(Au moment où le président de l'Assemblée nationale monte au fauteuil de la présidence, les députés des groupes UMP et NC se lèvent et applaudissent vivement. – Huées sur les bancs des groupes SRC et GDR, dont la plupart des membres sont ceints de leur écharpe tricolore.)
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
(Les députés du groupe GDR se lèvent en silence et restent debout.)
De nombreux députés du groupe SRC. Accoyer, démission ! Accoyer, démission !
Je vais commencer par une courte déclaration sur le déroulement de nos débats.
Chacun des groupes pourra ensuite, s'il le souhaite, prendre la parole.
Mes chers collègues, je rappelle que le débat sur ce texte important a duré, en dehors des explications de vote individuelles, soixante-deux heures (« Et alors ? » sur les bancs du groupe SRC) et que les groupes d'opposition ont utilisé tout le temps qui leur avait été accordé dans le cadre d'un temps législatif programmé exceptionnel.
Je rappelle également que, vendredi soir, les groupes de l'opposition ont refusé que la séance se prolonge au-delà de deux heures du matin. Pourtant, aucune séance n'était prévue le samedi. Le débat aurait pu parfaitement se poursuivre, jusqu'à son terme, en l'absence des députés de l'opposition. C'est personnellement que j'ai veillé à ce qu'il ne continue pas dans de telles conditions. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Je rappelle enfin qu'en retirant au dernier moment leurs vingt-six inscrits sur l'article 25, les groupes SRC et GDR ont conduit à abréger la séance de lundi soir. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Nous avons entendu ce matin, en application de l'article 49, alinéa 13, du règlement, vingt-trois députés de l'opposition, dont aucun n'a exprimé d'intention de vote sur le texte se démarquant de celle exprimée par son groupe. (« Et alors ? » sur les bancs du groupe SRC.)
Dans ce contexte, j'ai estimé que le nombre d'inscrits pour de telles explications de vote, 166, soit treize heures, cinquante minutes de débat, constituait à l'évidence une stratégie délibérée d'obstruction. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.) Comme je l'ai déjà dit, j'estime de mon devoir de ne pas laisser, par de telles manoeuvres détournant le règlement, se réinstaller une paralysie dévalorisante pour notre Assemblée. (Les députés des groupes UMP et NC se lèvent et applaudissent vivement.)
La parole est à M. Yves Cochet, président du groupe GDR.
Dans l'actualité de cette année 2010, nous avons assisté à ce que l'on pourrait appeler – et c'est ainsi que les observateurs l'appellent – une sorte de dérive droitière (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), de la part du Gouvernement et de la majorité qui a suscité un rappel à l'ordre de la Commission européenne, de l'ONU et du Parlement européen. Je veux parler plus précisément des mesures concernant les expulsions d'étrangers.
Cette dérive droitière se caractérise, d'une part, par une sorte d'impuissance à régler les problèmes économiques, sociaux, écologiques et internationaux de la France, et, d'autre part, par une vision autoritariste, policière, réglementaire de l'administration des personnes et des biens.
Cette dérive, nous pensions qu'elle était réservée à ce gouvernement que nous combattons en tant qu'opposition démocratique – et nous essayons d'avoir un débat démocratique, en l'occurrence sur les retraites –, mais nous ne pensions pas, monsieur le président, qu'elle aurait touché les débats au sein du Parlement. Au Parlement, en effet, toute la France est représentée par ces représentants légitimes que nous sommes tous, que ce soit sur les bancs de droite ou sur les bancs de gauche. Or nous avons vu, à notre grande surprise, que cette dérive, cet autoritarisme y avaient également pris place. (« C'est faux ! » sur de nombreux bancs du groupe UMP.)
Le Parlement n'est donc plus représentatif du débat démocratique entre l'opposition et la majorité (Protestations sur les bancs du groupe UMP) : il est représentatif de cette dérive droitière, policière, autoritaire impulsée sous l'action du Gouvernement (Protestations sur les bancs du groupe UMP), et je le regrette.
À la suite de la modification de la Constitution et du règlement intérieur de notre assemblée, un temps programmé a été institué pour la première fois. Cela signifie qu'on a plafonné notre possibilité de nous exprimer collectivement, par exemple lors de la discussion de la loi sur les retraites. En contrepartie, et c'était ça le contrat avec le peuple français souverain, ses représentants pouvaient s'exprimer individuellement à la fin de l'examen d'un projet de loi dans une explication de vote.
Nous avions déposé un peu plus de 165 demandes d'explication de vote ce matin. Nous pensions que, dans la mesure où, depuis la modification de la Constitution, le temps était programmé, donc plafonné collectivement, chacun de nous pouvait s'exprimer à titre individuel, ceux qui avaient déjà parlé mais aussi, évidemment, ceux qui n'avaient pas pu s'exprimer dans le débat.
À notre grande surprise, monsieur le président, et cela relève de votre responsabilité en tant que président, de votre responsabilité personnelle, allais-je même dire, vous avez mis fin au débat ce matin vers neuf heures et demie, dans des conditions anticonstitutionnelles (Protestations sur les bancs du groupe UMP. – Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC), et, sur ce point, votre autorité même est remise en cause. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
La parole est à M. Jean-Marc Ayrault.
(M. Ayrault monte à la tribune.- Les députés du groupe SRC se lèvent et restent debout. – Huées sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
De nombreux députés du groupe UMP. Cinéma !
Messieurs les ministres, mes chers collègues, je monte à cette tribune, que Bernard Accoyer a interdit ce matin à 142 députés de la nation. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Oui, nous étions dans un débat essentiel, celui portant sur l'avenir de nos retraites.
Comme vous, mesdames, messieurs de la majorité, nous pensons qu'une réforme est indispensable. (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP.)
Comme vous, nous constatons que la réforme Fillon de 2003 n'a pas tenu ses promesses et que, sept années après son adoption, son échec rend nécessaire une nouvelle loi.
Mais, contrairement à vous, nous n'acceptons pas que le poids et le prix de la crise soient supportés par ses victimes. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP. – Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Nous n'acceptons pas que 95 % du financement reposent sur les classes populaires et moyennes tandis que vous continuez à protéger Mme Bettencourt avec un bouclier fiscal. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
Nous n'acceptons pas que celles et ceux qui ont le plus souffert au travail, perdu leur santé pour construire notre nation, créé de la richesse dans notre pays soient aujourd'hui les laissés pour compte d'une réforme aussi injuste qu'inefficace. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.– Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) )
Plusieurs députés du groupe UMP. Qu'avez-vous fait ?
Nous n'acceptons pas que les jeunes générations fassent les frais de votre imprévoyance et que les fonds de réserve qui leur étaient destinés soient siphonnés et qu'ils soient ainsi sacrifiés. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Nous sommes entrés dans ce débat avec nos propositions. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Nous avons conduit une confrontation projet contre projet. À aucun moment, il n'y a eu la tentation de faire de l'obstruction (Rires et exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Peut-on d'ailleurs parler d'obstruction lorsque, sur un sujet aussi sensible, le temps réservé au premier parti d'opposition est limité à vingt petites heures,…
…alors que les décisions qui seront prises affecteront directement et durablement la vie de nos concitoyens ? Est-ce trop pour en débattre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Peut-on parler d'obstruction lorsque les députés de l'opposition demandent simplement, en tant que députés de la nation, à exercer leur droit d'expression individuel de cinq minutes prévu par la Constitution et garanti par elle Vives dénégations sur les bancs du groupe UMP) et que l'usage de ce droit aurait eu simplement pour effet de repousser ce vote de quelques heures ? Étiez-vous si impatients ?
Ce qui s'est passé ce matin est particulièrement grave, non pas pour nous personnellement, mais pour ces millions de Françaises et de Français qui nous ont élus et dont la voix mérite autant de respect que celle de la majorité. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs du groupe GDR.)
Il n'y a pas de démocratie sans pluralisme des courants d'opinion et d'expression. Voilà pourquoi la Constitution et les règlements reconnaissent des droits aux députés de l'opposition. Que devient notre démocratie lorsque ces droits sont ainsi bafoués ? Que devient notre démocratie lorsque la minorité au Parlement est ainsi sommée de se taire ?
Cette décision inqualifiable de Bernard Accoyer est au fond dans la droite ligne des dérives actuelles du pouvoir.
Oui, malheureusement, aujourd'hui, notre République est abîmée. (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP. – Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Notre République perd ses repères lorsque des ministres confondent l'intérêt général et l'intérêt de l'UMP (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs du groupe GDR. – Protestations sur les bancs du groupe UMP),…
…lorsque la justice est instrumentalisée, lorsque les violations des droits fondamentaux valent à la France des rappels de l'ONU et de l'Union européenne, lorsque la liberté de la presse est malmenée par l'utilisation illégale des services secrets (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur quelques bancs du groupe GDR. – Vives protestations sur les bancs du groupe UMP, dont de nombreux députés scandent : « Mitterrand ! Mitterrand ! »), et lorsque, comme ce matin encore, la souveraineté des élus de la nation est méprisée.
De nombreux députés du groupe UMP. Mitterrand ! Mitterrand !
Vous le mesurez sûrement au fond de vous-mêmes : nous faisons face à une crise morale et politique, dont M. Woerth est devenu le symbole. (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et NC.) Nous assistons à une confusion de certains intérêts et de l'État. Plus les Français découvrent cette toile qui s'est tissée du Fouquet's au Bristol (Mêmes mouvements) …,
…moins vous supportez les contre-pouvoirs. Un à un, vous tentez de les briser. Hier, c'était la mise en cause du travail de la presse, qualifiée par certains d'entre vous, et non des moindres, de « presse fasciste », qui a créé le malaise.
À présent, c'est votre silence assourdissant qui indigne, lorsque aucun d'entre vous n'ose s'inquiéter de circulaires discriminatoires en provenance du cabinet d'un ministre condamné récemment pour ses propos racistes. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Aujourd'hui, oui, la parole est confisquée à des parlementaires (Protestations sur les bancs des groupes UMP et NC) qui osent prétendre qu'une autre réforme des retraites est possible et souhaitable. Demain, c'est vous, mesdames et messieurs les députés de la majorité, à qui l'on tordra le bras pour que vous acceptiez la déchéance de nationalité de ces Français d'origine étrangère qui ont eux aussi leur place dans la République. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR. – Exclamations sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Les Français doivent comprendre que, si nous ne sommes pas parvenus, aujourd'hui, 15 septembre, à faire entendre leurs revendications, leur exaspération, leur colère, tout simplement, cela ne doit pas les conduire à la résignation ou à l'abattement, parce que le combat continue, la bataille n'est pas finie. Chaque jour, ici et par-delà ces murs où l'on bafoue la démocratie,…
…avec eux, je le dis au nom de tous mes collègues du groupe socialiste, radical et citoyen, avec mes amis de la gauche démocratique et républicaine, et tous les républicains, nous continuons à nous mobiliser et à nous battre pour ouvrir d'autres voies, celles du renouveau et de l'alternance. Ensemble – c'est notre mission, notre engagement –, nous voulons remettre la République à l'endroit ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR. – Huées sur les bancs des groupes UMP et NC.)
(Les députés des groupes SRC et GDR se rassoient.)
Monsieur le président, je vous remercie de me donner la parole car je souhaite réaffirmer certains principes qui doivent nous rassembler.
Monsieur Ayrault, mesdames et messieurs les députés de gauche, ceindre, comme vous le faites, l'écharpe bleu-blanc-rouge de la République dans le coeur battant de la démocratie, revient à laisser entendre qu'il y aurait, d'un côté, les républicains et, de l'autre, des élus illégitimes. Ce n'est pas ma conception de la République et de la démocratie. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)
Un député du groupe SRC. Vendu !
Cet hémicycle doit être un lieu qui garantisse, comme vous l'avez dit, l'expression de chacun.
En outre, monsieur Ayrault, ce qui abîme la République,…
…ce sont les allégations, les accusations sans preuve (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR),…
…la décrédibilisation de certains corps de la République, alors que nous devrions tous ensemble travailler à la restauration de leur crédit. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.) Les amalgames auxquels vous venez à nouveau de vous livrer ne sont pas de nature à restaurer la crédibilité des institutions de la République, qui est ce qui doit nous rassembler dans un État de droit. (Mêmes mouvements sur les mêmes bancs.)
En ce qui concerne le débat sur les retraites lui-même, nous avons eu 70 heures de discussion, au cours desquelles chacun a pu exprimer son point de vue. (« Non ! » sur les bancs du groupe SRC.) J'ai regretté que la gauche adopte une posture d'opposition systématique plutôt que de proposition, quand tous les pays européens ont recherché, comme nous l'avons fait, la concorde afin d'assurer, à nos jeunes comme à nos aînés, la retraite à laquelle ils ont droit, dans une solidarité active. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.) Je déplore, pour la vitalité du débat démocratique, une telle posture, et l'absence d'un projet.
Le débat a eu lieu mais vous avez souhaité, ce matin, que s'expriment quelque 166 députés du même groupe,…
Plusieurs députés du groupe SRC. Et alors ?
…pour une durée de cinq minutes chacun, prétextant une différenciation de pensée. On voit bien qu'il y a là un dévoiement ! Moi qui me suis battu avec certains d'entre vous – je pense au groupe GDR – pour l'expression des groupes minoritaires et celle des non-inscrits, qui ne siègent dans aucun groupe et doivent également être assurés de pouvoir exprimer la position de ceux qui les ont élus, je souhaite rappeler que l'expression individuelle est faite pour garantir la parole de ceux qui expriment des positions divergentes de celles de leur groupe. L'art de la répétition, alors que nous sommes tous en train de travailler à la revalorisation du travail du Parlement, n'est pas un mode d'expression souhaitable dans une démocratie respectueuse des opinions de chacun. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)
Je le dis devant tous les députés du Nouveau Centre ici présents, s'il y avait eu transgression d'une règle garantissant l'expression, j'aurais été le premier à me lever pour la dénoncer. (Exclamations et rires sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
S'agissant de la réforme des retraites, nous avons rendez-vous avec l'avenir. Tous ceux qui pensent que l'on peut préparer l'avenir de notre pays en berçant les Français : « Dormez tranquilles, nous pouvons rester dans la situation actuelle », alors que tous les pays d'Europe ont travaillé à une amélioration de leur système pour garantir le versement des pensions, s'égarent. En engageant aujourd'hui cette réforme responsable, juste, dont la discussion se poursuivra, au Sénat mais aussi à l'occasion du projet de loi de financement de la sécurité sociale, je souhaite que chacun fasse preuve d'esprit de responsabilité, plutôt que de se livrer à des postures.
Mon intervention est peut-être un peu longue mais j'ai le droit à l'expression de mon groupe. Pour terminer, je tiens à dire avec solennité que j'ai été, ce matin, proprement scandalisé, révulsé par les propos de l'un d'entre vous laissant entendre que l'expulsion des Roms, conduite sur des bases juridiques, s'apparentait à la Shoah. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.) J'appelle à la conscience républicaine de tous ceux qui ont entendu ce propos pour le dénoncer avec la plus grande vigueur. Le débat républicain suppose le respect de notre histoire collective.
L'opposition a droit au respect, la majorité tout autant ! (Les députés des groupes NC et UMP se lèvent et applaudissent longuement. – Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Je souhaite tout d'abord, pour prendre les choses dans l'ordre, dire à M. Cochet combien nous sommes nombreux à avoir été indignés de lire que des députés européens avaient adopté une motion insultant la France et les Français (Applaudissements sur divers bancs des groupes UMP et NC.- Protestations sur les bancs du groupe SRC),…
…et indignés de découvrir que, parmi les signataires de cette motion insultante, se trouvaient des députés français socialistes, Verts, communistes et Front national. C'est d'autant plus indigne et scandaleux, comme l'a excellemment rappelé François Sauvadet, que ces amalgames avec le régime de Vichy ou la Shoah procèdent de techniques gauchistes qui n'ont rien à voir avec les valeurs de la République. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
En outre, monsieur Cochet, vous et vos amis, qui étiez pourtant déjà nés à cette époque, n'avez rien dit lorsqu'il est devenu de notoriété publique que François Mitterrand avait entretenu des relations amicales avec René Bousquet, organisateur de la rafle du Vel d'Hiv. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC. – Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
M. Ayrault, que nous avons de nouveau entendu à la tribune, a, avec ces amis, utilisé la bonne vieille technique du détournement de procédure. Cela n'a échappé à personne, ni dans cet hémicycle ni au-delà.
Ces techniques, monsieur Ayrault, l'opposition les utilise pour essayer de retarder les débats et surtout, dans le cas d'espèce – c'est criant –, de faire oublier que les socialistes ont été incapables d'assumer, à aucun moment, une ligne politique claire sur les retraites, lisible, susceptible de convaincre les Français que vous aviez une autre solution que la nôtre ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.) Monsieur Ayrault, nous ne sommes pas dupes !
Vous estimez que l'opposition est muselée ? Vous avez parlé vingt-huit heures et nous, huit ! Vous avez longuement répété les mêmes choses, avec les mêmes mots,…
…et vous n'avez pas non plus résisté, tout au long de ces débats, en séance comme lors des longues heures de réunion des commissions, aux insultes personnelles, aux injures. (Protestations sur les bancs du groupe SRC.) Vous avez essayé de traîner dans la boue le Président de la République, le ministre du travail et certain d'entre nous. Nous ne sommes dupes de rien, monsieur Ayrault !
Le débat a eu lieu, longuement. Ceux qui disent qu'il a été bien court oublient que c'est au mois d'avril que nous avons lancé les discussions, en commission, dans les groupes de travail, avec de nombreuses auditions et de multiples réunions, comme de juste, avec les partenaires sociaux de notre pays.
L'heure est maintenant venue de voter, parce que, dans tout débat parlementaire, il y a un début et une fin. Si je prends le temps de dire, au nom de mon groupe, que nous sommes totalement solidaires de la décision prise par le président de l'Assemblée nationale ce matin (Applaudissements sur divers bancs du groupe UMP), c'est parce qu'au moment de procéder à l'une des réformes les plus importantes de ce quinquennat, qui a pour vocation de préserver notre système de retraite pour nos enfants, demain, nous avons une pensée…
…pour celles et ceux de nos compatriotes qui, en manifestant, expriment leurs inquiétudes et leurs interrogations, auxquelles nous nous devons de répondre, mais aussi à celles et ceux qui ne manifestent pas et qui savent qu'il n'y a aucune autre solution que celle de cette réforme courageuse, engagée dans tous les grands pays d'Europe et que nous devons adopter pour le redressement de la France ! (Les députés des groupes UMP et NC se lèvent et applaudissent. – Exclamations sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
Mes chers collègues, nous en venons maintenant aux explications de vote sur l'ensemble du projet de loi.
Pour le groupe SRC, M. Ayrault m'a fait savoir que son intervention valait également explication de vote.
Monsieur le président, je demande la parole pour un rappel au règlement.
Monsieur le président, je demande la parole sur le fondement de l'article 58 du règlement !
Les explications de vote se font au nom des groupes : c'est l'alinéa 3 de l'article 54 de notre règlement. (De nombreux députés des groupes SRC et GDR se lèvent et protestent : « La parole à Garrigue ! À Garrigue ! ».)
Seule Mme Billard a la parole !
Prenez la parole, madame Billard, ou je la passe à l'orateur suivant. (M. Jean Lassalle et M. Nicolas Dupont-Aignan se lèvent et restent debout au côté de M. Daniel Garrigue.)
Monsieur le président, dans cet hémicycle, il y a des groupes politiques mais également des députés non inscrits. Au nom de mon groupe, je proteste contre le traitement infligé à ces députés non inscrits (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC), tout aussi légitimes que les autres : ils sont, eux aussi, des élus du peuple ! (Mêmes mouvements.)
Au nom du groupe des députés communistes, républicains, du parti de gauche, des Verts et des ultramarins, je proteste solennellement contre votre putsch de ce matin, commis sur ordre de l'Élysée. Le Gouvernement est aux abois, empêtré dans le maquis des affaires et les règlements de compte internes à votre majorité. (« La parole à Garrigue ! » sur de nombreux bancs du groupe SRC.) Ses tentatives de diversions en excitant des relents xénophobes sur le dos des populations roms qu'il désigne à la vindicte populaire n'ont pas réussi. Des dizaines de milliers de manifestants vous l'ont dit le 4 septembre : vous jetez la honte sur notre pays ! Qui a dit : « Le présumé coupable », bafouant ainsi les valeurs de notre République ? C'est le ministre de l'intérieur, Brice Hortefeux.
Face à la montée du rejet de votre texte sur les retraites par les Français, dont nous sommes tous les représentants dans cet hémicycle, y compris les députés non inscrits, il ne vous reste que l'autoritarisme et le manque de courage ! Où est le Premier ministre en ce moment, alors que nous allons voter cette contre-réforme antisociale ? (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
Depuis le début, vous avez tout fait pour museler le débat : aucune négociation avec les syndicats, mais un simulacre de discussion ; un examen en commission fin juillet pour empêcher le débat avec la nation ; une seule lecture tellement vous êtes pressé d'imposer cette contre-réforme et tellement vous avez peur de l'expression du peuple français ; la contrainte, une fois de plus, du temps limité. Depuis ce matin, votre agence de com vous fait répéter en boucle que la démocratie moderne, c'est de délibérer à la va-vite. Si c'est cela votre modernité, nous vous la laissons ! Soixante-deux heures de débat, soit moins de sept minutes par député ! C'est ce que vous appelez la démocratie ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.) Oui, chers collègues, la démocratie est en berne !
Ce gouvernement est un gouvernement de menteurs, du Président de la République à l'arrière-ban des ministres (« Démocratie ! Démocratie ! » sur de nombreux bancs du groupe SRC)…
…mensonge sur vos comparaisons européennes, mensonge sur la démographie, mensonge à propos de la situation des femmes devant la retraite, mensonge sur les fonctionnaires, mensonge sur la pénibilité, mensonge sur la médecine du travail, mensonge sur l'efficacité financière de votre réforme ! L'équité, pour vous, cela s'applique toujours entre pauvres, mais lorsqu'il s'agit de taxer les richesses, l'équité disparaît. Ce mépris des élus du peuple, des syndicats et du peuple tout entier est insupportable. Vous avez ajouté la régression démocratique à la régression sociale.
Les Français refusent votre loi : 57 % sont contre le report de l'âge de la retraite à soixante-deux ans, 65 % contre le passage à soixante-sept ans pour toucher une retraite sans décote, et les deux tiers jugent vos concessions sur la pénibilité et sur les carrières longues insuffisantes. À la dernière minute, bien entendu sans aucune négociation avec les syndicats, des amendements scélérats ont été introduits pour casser la médecine du travail. Une fois de plus, lorsque le MEDEF bloque tout accord, vous nous imposez sa loi.
De même, votre asservissement au marché et aux compagnies d'assurance vous conduit à imposer la retraite par capitalisation aux Français, qui la refusent. Votre objectif, malgré tous vos mensonges, est la casse de la retraite par répartition, solidaire et contributive.
Ce sont toujours les mêmes qui trinquent : 80 % de l'effort pour les salariés et le travail, 7 % seulement pour les hauts revenus ! Ce sont les femmes, les jeunes, les retraités les plus pauvres à qui vous demandez de se serrer la ceinture, pas à vos amis du Fouquet's, du Bristol et du Premier cercle.
Le 24 juin, près de deux millions de travailleurs étaient dans la rue pour exprimer leur refus. Pendant tout l'été, la mobilisation a continué, et les députés du parti communiste et du parti de gauche ont rencontré un accueil chaleureux lors de la présentation de la pétition de soutien à leur proposition de loi pour la retraite à soixante ans : elle a rassemblé 120 000 signatures. Nous avons ainsi montré qu'il y avait bien trois projets. Le 7 septembre, près de trois millions de manifestants ont renouvelé leur opposition. 70 % des Français souhaitent la poursuite de ces mobilisations, et des mouvements de grève sont déjà annoncés dans plusieurs branches pour le 23 septembre, y compris dans le secteur privé. Nous serons à leurs côtés ! Aujourd'hui, nous voterons contre ce texte.
Nous sommes très fiers, devant vous, messieurs les ministres, mesdames, messieurs les députés de la majorité, qui allez asséner ce sale coup au peuple français, d'avoir été à la rencontre des manifestants Place de la Concorde (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC) pour leur dire que nous sommes avec eux pour défendre les vraies idées de progrès : la retraite à soixante ans à taux plein, sans allongement de durée de cotisation et sans décote. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et sur quelques bancs du groupe SRC.) La retraite, ce n'est pas une aumône ; c'est un droit, et c'est possible. Vous avez perdu cette bataille devant l'opinion publique ; les sénateurs vont reprendre le flambeau pour ce qui est du Parlement ; et vous serez obligés de reculer ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et sur de nombreux bancs du groupe SRC.)
Je fais d'ores et déjà annoncer le scrutin dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
Je vous rappelle, monsieur Garrigue, que vous êtes député non inscrit, et que vous n'appartenez donc à aucun groupe. C'est votre choix.
Mais vous connaissez parfaitement le règlement. Or l'article 54, alinéa 3, réserve les explications de vote aux groupes parlementaires. Je vous donnerai donc la parole après le vote. (Vives protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous en sommes aux explications de vote au terme d'une longue préparation, de nombreuses auditions et d'un travail sérieux en commission, et au terme d'un long débat où chacun a pu s'exprimer avec, de la part de la gauche, des répétitions fastidieuses et fort peu de propositions. Il n'y a pas en effet de projet alternatif crédible.
Pour le Nouveau Centre, la réforme de notre système de retraite est indispensable pour sauvegarder nos régimes basés sur la répartition et pour donner confiance à nos jeunes, qui ont l'impression de cotiser aujourd'hui sans pouvoir bénéficier de droits à la retraite demain. Cette réforme est indispensable pour des raisons démographiques liées au papy boom et à l'augmentation de la durée de vie. De ces raisons découle la nécessité d'une réforme basée sur la démographie.
Cette réforme est nécessaire, disais-je, c'est pourquoi le Nouveau Centre approuve l'augmentation de l'âge de fin d'activité pour liquider la retraite de soixante à soixante-deux ans, et le report pour bénéficier d'une retraite sans décote de soixante-cinq à soixante-sept ans.
Nous approuvons également l'utilisation du fonds de réserve pour financer le déficit d'ici à 2018. Il ne serait pas raisonnable d'emprunter pour le financer alors que nous disposons d'une réserve de 33 milliards.
Cependant, le Nouveau Centre regrette vivement, je l'ai répété à de nombreuses reprises, que le Gouvernement n'ait pas profité de ce texte pour s'engager dans une vraie réforme d'équité, c'est-à-dire vers un régime universel, unique, à points ou à comptes notionnels, géré par les partenaires sociaux, avec mise en extinction des régimes spéciaux. Une telle réforme aboutirait à ce que chacun de nos concitoyens paie une cotisation unique, que sa retraite soit calculée selon les mêmes critères. J'ai compris que l'idée progressait : le secrétaire général de l'UMP, Xavier Bertrand lui-même, avait déposé un amendement en ce sens. Mais, pour le Gouvernement, il est trop tôt pour une telle réforme. Pourtant sa mise en oeuvre demande du temps, et celui-ci nous est compté. Il est urgent de l'engager.
En outre, le Nouveau Centre a émis des doutes sur le financement de la réforme. En effet, l'équilibre ne semble pas assuré en 2018 : les travaux du COR, sur des bases économiques optimistes, montrent un besoin de financement de 48 milliards alors que seuls 23 milliards semblent couverts. Une forte participation de l'État, à hauteur de 15 milliards, est prévue chaque année pour équilibrer le régime des fonctionnaires, ce qui, compte tenu de l'endettement de l'État, signifie un financement par la dette. Nous sommes donc favorables à des financements complémentaires, notamment par la CSG, qui permettraient l'équilibre de nos retraites et des avancées sociales significatives pour les polypensionnés et pour les petites retraites, les veuves notamment.
Notre groupe, très présent dans le débat, a déposé soixante-dix amendements pour améliorer le texte. Des avancées sont ainsi intervenues sur les carrières longues, les polypensionnés et la pénibilité – un système basé sur les comptes notionnels règlerait d'ailleurs ces problèmes. Mais, pour les carrières longues, est-il juste de maintenir une durée de cotisation de huit trimestres supplémentaires pour pouvoir bénéficier de la retraite ? S'agissant des polypensionnés, je salue l'avancée pour les non-droits de la fonction publique, c'est-à-dire ceux qui ont moins de quinze ans de service, mais regrette que l'on ne puisse appliquer aux polypensionnés la règle simple des vingt-cinq meilleures années. Un rapport nous permettra peut-être d'aller plus loin l'année prochaine, lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
La pénibilité, elle aussi, a été prise en compte. Francis Vercamer, auteur d'un brillant rapport, est intervenu sur le sujet. (Applaudissements sur les bancs du groupe NC.) Plusieurs de ses amendements ont été pris en compte. L'important est d'améliorer la prévention, de définir la pénibilité, de conforter l'Observatoire de la pénibilité, puis de compenser. Le taux d'incapacité à 10 % constitue un progrès (« Eh oui ! sur plusieurs bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR), mais il faudrait prendre en compte les effets différés dûs aux expositions à des conditions ou à des produits potentiellement nocifs.
M. Ayrault a dit à plusieurs reprises que les socialistes avaient un projet et qu'ils reviendraient sur les mesures de report d'âge. Après avoir contesté les réformes précédentes, ils les ont pourtant entérinées : ils n'envisagent plus aujourd'hui de revenir à trente-sept ans et demi. Demain, ils ne reviendront pas davantage aux soixante ans. Bien entendu, ils entérineront cette réforme. Le projet socialiste, lui, est basé sur la fiscalité : dès lors que devient le principe de la répartition, fondée sur la solidarité intergénérationnelle, les cotisations des actifs finançant les retraites des aînés ? Non, leur projet n'est pas sérieux. Charles de Courson a brillamment démontré l'absurdité des mesures financières proposées : leur projet n'est pas financé.
Notre groupe approuve les mesures principales du projet de loi, espère que le débat au Sénat permettra des avancées complémentaires et renouvelle son souhait d'une mise en oeuvre rapide d'une vraie réforme allant vers un régime unique à points ou à comptes notionnels. Le Nouveau Centre votera donc ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)
Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, il n'y a qu'une seule légitimité en démocratie : celle qui est issue du peuple et qui respecte la loi et le règlement, notamment celui de notre assemblée. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Protestations sur de nombreux bancs des groupes SRC et GDR.)
Oser dire, mes chers collègues de l'opposition, que nous n'avons pas travaillé, alors que nous avons tous contribué à l'élaboration de l'ensemble des rapports portant sur ce texte, que nous avons passé vingt-cinq heures en commission, soixante-huit heures en séance et procédé à plus de cinquante-quatre auditions avec le président Méhaignerie, constitue un déni de réalité, ou témoigne d'une non-participation au débat. La sauvegarde, la pérennisation de notre système de retraite par répartition, auxquels les Français sont si attachés – c'est à eux que nous, majorité présidentielle, nous adressons –, appelle des décisions pragmatiques et courageuses. Comme en 1993, en 2003, en 2008, nous, nous prenons nos responsabilités.
L'allongement de la durée de vie au travail constitue une dimension incontournable de la réforme. Nous vivons plus longtemps : il n'y a rien d'anormal à ce que nous travaillions plus longtemps. Le report de l'âge légal de départ à la retraite de soixante à soixante-deux ans, et le report parallèle de soixante-cinq à soixante-sept ans du taux plein n'est pas une question de droite ou de gauche : c'est une question de bon sens. (Exclamations sur les bancs du groupe GDR.)
La position défendue par Martine Aubry, consistant à maintenir l'âge de départ à soixante ans, mais avec un système de décote, n'est pas acceptable parce qu'elle revient à accepter la baisse des pensions des retraités ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Pour notre part, nous proposons une pérennisation et non pas une paupérisation du système de retraite. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur plusieurs bancs du groupe Nouveau Centre.)
Le projet de loi a pour ambition de renforcer l'équité, en alignant progressivement le taux de cotisations salariales du secteur public sur celui du secteur privé. Le maintien de telles inégalités de traitement n'aurait pas manqué de susciter l'incompréhension de nos concitoyens, à un moment d'effort collectif.
En ce qui concerne les polypensionnés, le projet de loi constitue une avancée considérable, en proposant de ramener de quinze à deux ans, la durée minimale de travail dans le public, nécessaire pour être prise en compte dans le régime des fonctionnaires. Là encore, comment comprendre les réticences de l'opposition ?
Le projet de réforme propose de véritables avancées sociales qui devraient vous toucher, mes chers collègues ! (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Si l'allongement de la durée du travail est inévitable, il est important de mieux prendre en compte les conditions de travail. Pour les salariés qui ont commencé très jeunes, le dispositif concernant les carrières longues, mis en place à l'initiative de François Fillon…
… et que vous n'avez pas approuvé, sera maintenu et étendu aux salariés qui ont commencé à travailler avant dix-huit ans. Le dispositif concernera 90 000 personnes en 2015, excusez du peu !
En outre, avec ce texte, nous nous donnons pour la première fois – c'est historique ! – les moyens d'une réelle politique de reconnaissance de la pénibilité.
Les salariés, justifiant d'un taux d'incapacité permanente compris entre 10 et 20 % se verront reconnaître un droit nouveau et pourront partir à la retraite dès soixante ans à taux plein.
C'est une avancée majeure…
… qui permettra à 30 000 personnes de partir plus tôt. Ces 30 000 ajoutées aux 90 000 cela fait 120 000 personnes, excusez du peu ! (Rires et exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
En parallèle, nous encourageons une approche préventive de la pénibilité. Cela suppose une plus grande implication de la médecine du travail…
… une meilleure approche des parcours professionnels et individuels.
La question de l'inégalité salariale entre les hommes et les femmes – qui pèse encore trop souvent sur l'évolution professionnelle de ces dernières et par conséquent sur leur niveau de pension – trouve également des réponses dans ce texte.
Mes chers collègues, face à une gauche fragmentée, désunie, désemparée (Rires et exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR), la majorité présidentielle, avec le Nouveau Centre, autour de Jean-François Copé, a pris ses responsabilités et elle a marqué son unité sans faille. (Mêmes mouvements.)
Mes chers collègues, je tiens à vous remercier pour toutes les nuits que vous avez passées sur ce texte.
Ce projet de loi, nous sommes fiers de le porter. Je vous le dis, messieurs les ministres, nous sommes fiers de l'approuver aujourd'hui. Ce projet de loi va permettre de sauver le système de retraite par répartition. Excusez du peu ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Nous allons maintenant procéder au scrutin public sur l'ensemble du projet de loi.
(Il est procédé au scrutin.)
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 573
Nombre de suffrages exprimés 562
Majorité absolue 282
Pour l'adoption 329
Contre 233
(Le projet de loi est adopté.)
(Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Monsieur le président, je voudrais d'abord vous rappeler que vous n'aviez pas le droit de me refuser la parole (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC), car l'article 58 du règlement est formel : « Les rappels au règlement et les demandes touchant au déroulement de la séance ont toujours priorité sur la question principale ; ils en suspendent la discussion. »
Je vous demande, monsieur le président, si vous ne l'aviez pas encore fait, de relire d'article 58 du règlement. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC – Les membres du groupe GDR se lèvent et applaudissent.)
Je vous rappelle ensuite que, lorsqu'on a réintroduit, l'an dernier, le temps programmé que Jacques Chaban-Delmas avait supprimé en 1969, on avait dit que l'une des dispositions serait une compensation pour les parlementaires : la possibilité de cette explication de vote personnelle, précisément.
Relisez l'article 49, alinéa 13, cette explication de vote personnelle n'est soumise à aucune limite ou condition. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Vous avez décidé ce matin de suspendre les explications de vote personnelles, en prétextant qu'elles n'étaient pas personnelles mais l'expression des positions de groupes politiques.
Je vous rappelle que, si la Constitution reconnaît le rôle des partis politiques qui concourent à l'expression des suffrages, son article 3 réaffirme très clairement que « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. » (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC, dont la plupart des membres se lèvent, et du groupe GDR.)
Nous sommes dans un système politique où le mandat représentatif est personnel ; chaque mandat a la même valeur quel que soit le parlementaire. Cette réalité, vous voulez aussi l'ignorer ! (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Un autre aspect de votre déclaration de ce matin est profondément anormal. Il y avait environ une centaine de parlementaires inscrits…
Même si l'on se place de votre point de vue en considérant que les positions personnelles ne peuvent être que dissidentes, vous ne pouvez pas préjuger des positions que vont exprimer les 100 ou 140 parlementaires qui étaient inscrits. (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Monsieur le président, vous êtes sortis du domaine du droit ; dans ce cas comme dans beaucoup d'autres, vous êtes entré dans le domaine de l'arbitraire !
(Mmes et MM. les députés des groupes SRC et GDR, tous débout, applaudissent longuement et scandent : « Démission ! Démission ! »)
Rappel au règlement
La séance est suspendue jusqu'à dix-sept heures.
(La séance, suspendue à quinze heures quarante, est reprise à dix-sept heures.)
Le groupe SRC a constaté, tôt ce matin, que plus de cent députés n'avaient pas pu obtenir la parole pour faire valoir leur point de vue sur la réforme des retraites, alors que cette possibilité est ouverte dans le règlement intérieur, sans qu'il soit possible de connaître par avance la position des différents orateurs inscrits dans le débat. Nous estimons qu'il a été porté atteinte au droit à l'expression individuelle des députés, dont chacun est porteur de la volonté nationale.
Nous sommes conviés à présent à un autre débat sur les retraites, à savoir l'application particulière aux magistrats du projet de loi portant réforme des retraites. Si le débat précédent avait été mené jusqu'à son terme, nous aurions voté contre celui concernant les magistrats, au motif, d'une part, qu'il ne prend pas en compte les spécificités de ce corps et, d'autre part, qu'il porte atteinte, comme la réforme des retraites, aux magistrats les plus fragiles, c'est-à-dire à ceux qui, ayant fait l'objet d'une intégration, n'ont pas une carrière complète au sein de ce corps. Comme vous le savez, certains avocats rentrent dans la magistrature et sont donc des polypensionnés, avec toutes les difficultés que cela représente.
Nous aurions également fait valoir que le corps de la magistrature est déséquilibré puisqu'il est composé d'une petite fraction de magistrats hors hiérarchie, d'une énorme fraction en catégorie 2 et d'une petite fraction en catégorie 3. Près de la moitié des magistrats appartiennent au corps intermédiaire et attendent un avancement qui, pour beaucoup d'entre eux, n'interviendra jamais.
Mais, eu égard à ce qui s'est passé ce matin, le groupe SRC a décidé de ne pas participer à cette séance. Je ne défendrai donc pas la motion de procédure pour laquelle je m'étais inscrit et je quitte l'hémicycle de ce pas.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur de la commission des lois, mesdames, messieurs les députés, je regrette la décision du groupe SRC de ne pas participer à l'examen de ce texte. Celui-ci a fait l'objet d'un bon débat en commission et nous aurions pu, par-delà les désaccords qui font partie d'un débat normal, avoir un échange intéressant autour d'une modification attendue par les magistrats.
Le projet de loi organique qui vous est soumis aujourd'hui est la déclinaison, pour les magistrats de l'ordre judiciaire, du projet de loi portant réforme des retraites applicable aux fonctionnaires civils et militaires de l'État, dont vous venez de débattre. La Constitution impose, en effet, l'intervention du législateur organique pour tout ce qui touche au statut des magistrats – et la limite d'âge constitue l'une de ses composantes.
Au-delà de cette spécificité, le présent texte procède du même effort et de la même volonté de préserver notre système de retraite par répartition.
Au demeurant, certaines des dispositions du projet de loi ordinaire que vous venez d'adopter concernent aussi les magistrats, auxquels s'applique le code des pensions civiles et militaires de l'État ; c'est le cas, par exemple, du recul de l'âge d'ouverture des droits à pension, qui sera donc également porté progressivement à soixante-deux ans pour les magistrats.
Le présent projet de loi organique a un double objet : d'une part, appliquer aux magistrats de l'ordre judiciaire le relèvement de deux années de la limite d'âge, prévu par la réforme générale, en fixant cette limite à soixante-sept ans, contre soixante-cinq ans auparavant ; d'autre part, prévoir le calendrier de mise en oeuvre progressive de cette mesure. La nouvelle limite d'âge s'appliquerait pleinement aux magistrats nés à compter de 1956.
Il faut savoir que les magistrats de l'ordre judiciaire prolongent très souvent leur activité au-delà de l'âge minimal d'ouverture des droits à pension et que leur âge moyen de départ en retraite est déjà aujourd'hui sensiblement supérieur à soixante-deux ans. Cette habitude est connue de ceux qui fréquentent les juridictions et connaissent le monde des magistrats. Mais cette modification imposait de revoir le mécanisme de maintien en activité des magistrats au-delà de la limite d'âge, prévu par deux lois organiques distinctes de l'ordonnance de 1958 portant statut de la magistrature.
Actuellement, les magistrats atteignant soixante-cinq ans peuvent, à leur demande, être maintenus en activité en surnombre des effectifs de la juridiction jusqu'à l'âge de soixante-huit ans pour les magistrats hors hiérarchie de la Cour de cassation, ou pour une période de trois ans non renouvelable pour les magistrats des premier et second degrés : TGI et cour d'appel. Ce dispositif, que l'on retrouve dans d'autres grands corps de l'État, doit être préservé, car il permet aux juridictions de bénéficier plus longtemps des compétences de magistrats expérimentés, et à ces derniers, de continuer à cotiser pour leur retraite si nécessaire. Soit dit en passant, l'allusion faite tout à l'heure à cette question de cotisation, trouve là un élément de réponse.
Si les rédactions actuelles n'étaient pas modifiées, le relèvement de la limite d'âge à soixante-sept ans aurait pour effet de permettre aux magistrats des cours et tribunaux d'être maintenus en activité jusqu'à soixante-dix ans, contre soixante-huit pour ceux de la Cour de cassation. Il y aurait donc une distorsion.
La Chancellerie a donc souhaité que les conditions de maintien en activité des magistrats des cours d'appel et des tribunaux de grande instance soient alignées sur celles applicables aux magistrats hors hiérarchie de la Cour de cassation. Ainsi, le projet de loi organique propose que le maintien en activité cesse, pour l'ensemble des magistrats, lorsqu'ils atteindront l'âge de soixante-huit ans, ce qui paraît raisonnable et ce qui est également en phase avec une pratique déjà bien instaurée dans un certain nombre de corps de l'État.
Votre commission des lois, sous l'impulsion de son rapporteur, dont je salue le remarquable travail, a apporté des améliorations au projet, dans un souci de clarté et d'intelligibilité du dispositif de maintien en activité en surnombre. La principale modification, que j'approuve pleinement, est l'intégration des dispositions prévoyant ce mécanisme dans l'ordonnance statutaire du 22 décembre 1958.
Ce travail de précision et de clarification va se poursuivre en séance grâce à de nouveaux amendements déposés par votre rapporteur, qui portent sur la définition des fonctions pouvant être exercées dans le cadre du maintien en activité en surnombre.
La parole est à M. Émile Blessig, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, alors que notre assemblée vient d'achever l'examen du projet de loi portant réforme des retraites, un second texte doit lui être soumis, car certaines dispositions concernant une catégorie particulière d'agents publics, dont les magistrats, relèvent de la loi organique et nécessitent donc l'adoption du présent projet de loi organique relatif à la limite d'âge des magistrats de l'ordre judiciaire.
Je commencerai par détailler les raisons pour lesquelles il est nécessaire de recourir à un texte distinct. Je présenterai ensuite son contenu, puis détaillerai les améliorations que votre commission des lois vous propose d'y apporter.
La limite d'âge des magistrats de l'ordre judiciaire fait partie de leurs garanties statutaires et relève donc de la loi organique. En effet, afin de garantir le maintien de l'indépendance de l'autorité judiciaire contre des modifications de circonstance de son statut, le constituant de 1958 a prévu qu'« une loi organique porte statut des magistrats ». Il s'agit dans les faits de l'ordonnance prise le 22 décembre 1958, qui a été modifiée à vingt-neuf reprises depuis lors mais est toujours en vigueur.
Ce texte énonce les garanties apportées aux magistrats dans le déroulement de leur carrière, parmi lesquelles figure la limite d'âge jusqu'à laquelle ils sont susceptibles d'exercer leurs fonctions. Il s'agit bien là d'une garantie fondamentale de l'indépendance des juges : le pouvoir politique ne doit pas être en mesure d'écarter un magistrat en le mettant d'office à la retraite.
Cependant, si le projet de loi organique ne comporte que quatre articles, c'est que toutes les dispositions relatives à la retraite des magistrats ne relèvent pas de son statut et des garanties y afférentes.
Ainsi, l'âge d'ouverture et les conditions de détermination de la pension des magistrats de l'ordre judiciaire sont régis par les dispositions applicables à l'ensemble des fonctionnaires d'État. Les intéressés se verront donc appliquer les modifications prévues par le projet de loi portant réforme des retraites, notamment le relèvement à soixante-deux ans de l'âge d'ouverture des droits à pension à l'horizon 2018.
De la même manière, dans un souci d'équité – c'est mon deuxième point –, le présent projet de loi organique vise à appliquer aux magistrats de l'ordre judiciaire les principes du projet de loi ordinaire.
Premièrement, il prévoit le relèvement de la limite d'âge prévu pour les fonctionnaires des catégories sédentaires, de soixante-cinq à soixante-sept ans, à l'exception de celle applicable au premier président et au procureur général de la Cour de cassation, qui continueront à partir à la retraite à soixante-huit ans.
Deuxièmement, il organise une élévation progressive de cette limite d'âge pour les magistrats appartenant aux générations nées entre 1951 et 1955 pour arriver à soixante-sept ans en 2018, à raison de quatre mois de plus par an.
Enfin, il réforme le régime du maintien volontaire en activité des magistrats ayant atteint leur limite d'âge, en fixant la limite de maintien en fonction au soixante-huitième anniversaire des intéressés.
Ces dispositions rendent donc applicables à la magistrature judiciaire les principes applicables à l'ensemble des fonctionnaires ; toutes les catégories de fonctionnaires participeront donc ainsi à l'effort collectif demandé aux Français, dans le respect de la spécificité de leur statut.
Cependant – et c'est mon dernier point –, l'examen de ce texte par la commission des lois a permis de mettre en lumière un certain nombre de points sur lesquels nous souhaiterions que cette discussion puisse permettre des avancées. La gestion de la carrière des magistrats, comme l'organisation du régime de maintien en activité au-delà de la limite d'âge, pourraient être améliorées.
Tout d'abord, l'allongement de la carrière des magistrats nécessitera de repenser les conditions d'exercice des fonctions juridictionnelles. Si aujourd'hui 63 % des magistrats partent en retraite après l'âge de soixante-deux ans, l'application des mécanismes de décote devrait inciter un nombre croissant de membres du corps à prolonger leur carrière au-delà de l'âge d'ouverture des droits à pension.
Il ne faudrait pas que cet allongement entraîne paradoxalement un transfert de charges en accroissant les effectifs des magistrats des deux grades les plus élevés, alors que la gestion du contentieux de masse, en accroissement constant, repose essentiellement sur les magistrats du premier grade. Il sera donc nécessaire de prévoir le reprofilage du déroulement de la carrière des magistrats, afin que le maintien dans les cadres d'un nombre plus élevé de magistrats des plus hauts grades ne se traduise pas par une diminution relative du nombre des recrutements et, in fine, par un accroissement de la charge de travail pesant sur les magistrats affectés dans les juridictions de premier degré.
En outre, à l'occasion de l'examen du projet de loi en commission, nous nous sommes particulièrement penchés sur le régime du maintien en activité. La rédaction initiale du projet de loi renvoyait à un texte organique renvoyant lui-même à l'état du droit existant « avant l'intervention de la loi organique du 13 septembre 1984 ». Votre commission des lois a jugé bon de simplifier le droit en codifiant au sein de l'ordonnance organique portant statut de la magistrature les dispositions relatives à ce statut. Cela permet de vous proposer d'abroger les trois lois organiques précédentes, ce qui va dans le sens de la simplification du droit, même lorsque celui-ci s'applique à des professionnels.
Ainsi, comme dans sa rédaction initiale, le projet de loi organique prévoit que les magistrats ne pourront désormais être maintenus en activité que pendant une année – celle qui s'écoulera entre leur soixante-septième et leur soixante-huitième anniversaires. Afin de garantir une meilleure administration de la justice, il serait souhaitable que les magistrats du premier ou du second degré qui demandent à recourir à cette possibilité soient maintenus dans les fonctions qu'ils exerçaient précédemment, plutôt que d'être nommés dans une nouvelle affectation, afin, notamment, de continuer à faire bénéficier la juridiction de l'expérience qu'ils ont acquise dans leur poste. C'est le sens des amendements qui vous seront proposés sur l'article 3.
Ainsi, mes chers collègues, au nom de la commission des lois, je vous propose d'adopter le présent projet de loi organique, avec ces quelques améliorations. Ce texte devrait ainsi permettre d'appliquer aux magistrats de l'ordre judiciaire les principes de la réforme des retraites, tout en leur apportant, jusqu'à leur départ en retraite, les garanties de déroulement de carrière nécessaires à une justice impartiale et sereine. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le mardi 7 septembre a été une grande journée d'espoir pour tous les opposants à la réforme des retraites. Cet espoir ne les a pas quittés – nous l'avons encore vérifié cet après-midi – et ils retourneront manifester dès le 23 septembre prochain. Votre offensive à marche forcée pour faire adopter ce texte avant la fin octobre ne les a pas découragés, et nous nous réjouissons qu'ils aient décidé de ne pas se résigner.
Cette réforme, qui met en place un système de retraite parmi les plus sévères d'Europe, en activant simultanément deux leviers – la durée de cotisation et l'âge légal de départ –, n'est que la chronique de la mort annoncée de notre régime de retraite solidaire. Tous vos efforts pour nous assurer du contraire sont vains, les Françaises et les Français ne sont pas dupes. Ils savent que, si notre peuple ne s'en mêle pas, seront créées ici les conditions pour la mise en place, à terme, d'un système de retraite par capitalisation, en élargissant encore un peu plus l'espace pour l'épargne privée.
D'ailleurs, ceux qui ont encore les moyens d'épargner souscrivent d'ores et déjà des systèmes complémentaires souvent défiscalisés, autrement dit aidés par l'État. Il faut dire qu'ils y sont encouragés et poussés par le monde de la finance qui, évidemment, se réjouit de la perspective de l'éventuelle disparition de notre système solidaire. Elle est la condition de leur enrichissement égoïste, et il est donc pour vous hors de question de mettre à contribution les revenus financiers ou de toucher aux cotisations sociales patronales gelées depuis 1996. «Il ne faut pas toucher aux cotisations sociales, déjà suffisamment élevées », avait déclaré Éric Woerth à l'issue de la première journée de discussions avec les syndicats, reprenant ainsi servilement l'injonction maintes fois répétée de Mme Parisot. Pour le patronat et le Gouvernement, la répartition injuste des richesses et des revenus, telle qu'elle s'est imposée depuis presque trente ans, serait désormais intangible. L'idée même d'une hausse des cotisations patronales, qui permettrait aux salariés de récupérer une partie de la croissance, vous est insupportable.
Pour ma part, j'ai toujours pensé que le doute était vertueux et que les certitudes étaient meurtrières. Je constate que vous n'avez que des certitudes, et si peu de vertus. Mais croyez-vous vraiment, monsieur le secrétaire d'État, que les salariés, qui font la richesse de la nation, accepteront encore longtemps de ne récupérer qu'un tiers de la croissance ? Vos préférences, qui vont au monde de l'argent, auront des conséquences sociales désastreuses. Il vous faudra, un jour ou l'autre, les assumer.
À peine ce texte, qui prépare une formidable régression sociale pour notre pays, a-t-il été examiné dans les conditions détestables que l'on sait – mais pas encore adopté définitivement –, vous nous demandez d'appliquer aux magistrats de l'ordre judiciaire le relèvement de deux années des limites d'âge tant pour le départ à la retraite que pour avoir droit à une retraite sans décote. Les magistrats ne sont évidemment pas les premiers à qui l'on pense lorsque l'on imagine les conséquences sociales de votre réforme des retraites. Ils sont certes épargnés par les difficultés que rencontrent la majorité des salariés du privé ayant atteint l'âge de cinquante ans et sans emploi. Ils ne devraient pas être nombreux, non plus, à se retrouver sans salaire avant d'avoir la possibilité de percevoir leur pension de retraite. Mais ce ne sont pas là des arguments recevables pour en rabattre sur notre opposition à ce texte. Il fait partie d'un tout, inacceptable, et ce ne sont que des raisons de pure forme qui nous conduisent à examiner leur cas séparément, dans le cadre d'un projet de loi organique.
Il est inenvisageable que nous nous inscrivions dans cette logique de régression sociale qui veut que l'on prenne à ceux qui ont un peu pour donner à ceux qui ont encore moins, afin d'épargner ceux qui ont beaucoup, et qui humilient l'État en décidant de tout. Nous ne sommes pas de ceux qui proposent d'avancer un peu l'âge de la retraite pour ceux qui ont un travail pénible, à condition de retarder celui de tous les autres. Nous voterons donc résolument contre un texte qui fait porter l'effort sur les salariés.
Au-delà du recul de l'âge de l'ouverture des droits à la retraite, cette réforme contient des points particulièrement contestables, ajoutés au fait que le régime de retraite des magistrats est d'ores et déjà particulièrement défavorable. L'Union syndicale des magistrats a détaillé ces points, mais vous n'en avez pas tenu compte.
Il y a tout d'abord la question du pouvoir d'achat. Depuis 2005, le régime indemnitaire des magistrats de l'ordre judiciaire n'a pas connu de revalorisation notable. Avec le gel du point d'indice d'ores et déjà annoncé pour les années à venir et l'augmentation du taux de cotisation prévue par le projet gouvernemental, qui aligne le taux de cotisation du public sur celui du privé, les magistrats devront, comme l'ensemble des salariés, faire face à une baisse de leur pouvoir d'achat.
À cela s'ajoutera la question du blocage d'accès aux fonctions hors hiérarchie. En effet, le double recul de l'âge de départ à la retraite et de l'âge pour la retraite sans décote aura pour conséquence de maintenir plus longtemps dans leurs fonctions les magistrats qui auront réussi à atteindre la catégorie hors hiérarchie. De fait, ils empêcheront les générations suivantes d'y accéder et les plus jeunes, aujourd'hui, percevront des retraites inférieures à celles qu'ils auraient pu espérer.
De plus, le recul du départ à la retraite entraînera mécaniquement un allongement du temps passé dans chaque échelon et retardera donc l'accès aux échelons les plus élevés. Cette dilatation des échelons conduira inévitablement à une baisse du pouvoir d'achat tout au long de la carrière.
Les magistrats ont également évoqué la question des primes. Depuis de nombreuses années, ils demandent leur prise en compte dans le calcul de la retraite, car elles composent une part significative des traitements. Si le taux de remplacement leur est aujourd'hui défavorable, cette réforme va encore aggraver la situation.
Reste, enfin, la question des polypensionnés qui concerne de nombreux magistrats ayant eu une vie professionnelle avant leur entrée dans la magistrature. Les conditions de reprise de leur ancienneté leur sont particulièrement défavorables et leur situation empirera avec le recul de l'âge d'annulation de la décote.
Autant de questions que les magistrats auraient souhaité vous soumettre avant la présentation de ce projet de loi, mais, souverainement, vous avez préféré ne pas réunir la commission permanente d'étude, comme les textes réglementaires l'imposent pourtant : curieuse façon de faire, mais qui finit par ne plus nous surprendre – plus rien, d'ailleurs, ne nous surprendra après ce qui s'est passé aujourd'hui. Je le redis, nous voterons résolument contre ce texte, comme nous avons voté résolument contre le projet de réforme des retraites.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la Constitution prévoit que le statut des magistrats doit être fixé par une loi organique, afin de protéger leur indépendance. C'est la raison pour laquelle la commission des lois a été saisie du projet de loi organique relatif à la limite d'âge des magistrats de l'ordre judiciaire.
Néanmoins, il faut le rappeler, l'âge d'ouverture et les conditions de la pension du magistrat de l'ordre judiciaire ne font pas partie de son statut spécifique. Ils sont soumis aux mêmes dispositions que les fonctionnaires d'État, ce qui explique l'intervention de notre collègue Vaxès. Ainsi, les modifications apportées par le projet de loi de réforme des retraites leur seront applicables, en particulier les mesures qui concernent le relèvement de l'âge d'ouverture des droits à pension.
Le projet de loi organique qui est soumis aujourd'hui à notre examen vise tout d'abord à relever la limite d'âge de soixante-cinq à soixante-sept ans, à l'image du relèvement prévu pour les fonctionnaires de catégorie sédentaire – c'est l'article 1er du projet de loi. À l'article 2, il s'agit de procéder à une élévation progressive de cette limite d'âge. L'article 3 réforme enfin le régime de maintien volontaire en activité des magistrats qui ont atteint leur limite d'âge en fixant la limite de maintien à l'âge de soixante-huit ans.
La limite d'âge, c'est-à-dire l'âge auquel une retraite est attribuée à taux plein même en l'absence de la durée d'assurance nécessaire, est portée de soixante-cinq à soixante-sept ans. La limite d'âge applicable actuellement est fixée par l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature. La limite d'âge pour les magistrats de l'ordre judiciaire est fixée à soixante-cinq ans, mais à soixante-huit ans pour ceux qui occupent les fonctions de premier président et de procureur général de la Cour de cassation. Le projet de loi organique fixe la limite d'âge des magistrats à soixante-sept ans. Comme pour les autres fonctionnaires, l'entrée en application de cette réforme sera étalée dans le temps. Les magistrats nés avant le 1er juillet 1951 ne sont pas concernés par la réforme et ils conservent la limite d'âge précédemment fixée à soixante-cinq ans. Pour les magistrats nés après cette date, le relèvement de la limite d'âge se fera par un accroissement de quatre mois par génération. Les magistrats nés au second semestre 1951 pourront rester en fonction jusqu'à l'âge de soixante-cinq ans et quatre mois. La nouvelle limite d'âge à soixante-sept ans s'appliquera donc pleinement pour les magistrats nés après le 1er janvier 1956. La réforme ne concerne pas la limite d'âge applicable au premier président et au procureur général de la Cour de cassation, qui restera fixée à soixante-huit ans.
En second lieu, les magistrats de l'ordre judiciaire pourront liquider leur pension à partir de l'âge de soixante-deux ans. L'âge d'ouverture des droits à pension des magistrats est le même que celui des fonctionnaires des catégories dites sédentaires. Actuellement, les magistrats sont susceptibles de bénéficier de leur pension à partir de l'âge de soixante ans s'ils ont effectué quinze années de service effectif. L'article 5 du projet de loi portant réforme des retraites prévoit le report de cette limite à soixante-deux ans. Ce report sera donc applicable aux magistrats.
Enfin, l'article 3 modifie les conditions de maintien en activité des magistrats qui ont dépassé la limite d'âge. Actuellement, ils peuvent bénéficier de deux dispositifs pour demander leur maintien en fonction lorsqu'ils ont atteint la limite d'âge de soixante-cinq ans : les magistrats hors hiérarchie du siège et du parquet de la Cour de cassation peuvent être maintenus en activité en surnombre, pour exercer les fonctions de conseiller ou d'avocat général, et ce jusqu'à l'âge de soixante-huit ans ; les magistrats des cours d'appel et des tribunaux de grande instance peuvent demander à être maintenus en activité, notamment pour exercer des fonctions de juge ou de substitut en surnombre des effectifs de la juridiction, jusqu'à l'âge de soixante-dix ans.
Pour éviter que les magistrats ne poursuivent leur activité au-delà d'un âge raisonnable, le projet de loi aligne le second régime sur le premier. S'agissant des magistrats hors hiérarchie de la Cour de cassation, la limite d'âge au-delà de laquelle ils ne pourront être maintenus en activité en surnombre reste de soixante-huit ans. Cette même limite sera applicable aux magistrats des tribunaux de grande instance et des cours d'appel.
Ce texte participe à la grande réforme des retraites qui a été proposée par le Gouvernement pour rééquilibrer et pérenniser notre système de retraite par répartition. Les enjeux démographiques et économiques, sur lesquels nous venons de travailler pendant quelques jours, exigent une telle réforme. C'est pourquoi, parfaitement cohérent avec son analyse sur la retraite, le groupe UMP votera avec détermination ce projet de loi organique.
D'un mot très rapide, je remercie à la fois le rapporteur et Étienne Blanc, qui s'est à l'instant exprimé au nom de la majorité, de leur soutien à ce projet, des arguments dont ils l'ont étayé et des amendements que nous examinerons tout à l'heure.
Comme tous, j'ai écouté l'intervention de M. Vaxès. Je ne reviens pas sur ses critiques d'ordre général auxquelles, je crois, nous avons su répondre.
Je reviens, en revanche, sur des points précis, notamment les conséquences de la réforme en termes de gestion du corps judiciaire et de carrière, et sur les craintes qu'il a exprimées à propos du pouvoir d'achat des magistrats. La Chancellerie travaille actuellement sur un large projet de repyramidage des emplois, avec notamment la création de postes supplémentaires en hors hiérarchie et emplois fonctionnaires hors échelles B – hors échelles dite Bbis – afin d'offrir aux magistrats un parcours professionnel encore plus valorisant, donc plus valorisé en termes de traitement.
Je souhaitais apporter à l'ensemble de la représentation nationale ces précisions sur un texte sur lequel la commission des lois s'est beaucoup impliquée.
En outre, comme M. Vaxès n'est pas le seul préoccupé par cette question – les députés de la majorité, particulièrement, portent de manière concrète ces préoccupations –, je profite de l'occasion donnée par ce débat pour vous indiquer que la Chancellerie souhaite également revoir le système indemnitaire des magistrats dans le sens d'une clarification des dispositifs existants et d'une revalorisation.
J'appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi.
Cet amendement de précision prévoit que les magistrats hors hiérarchie de la Cour de cassation maintenus en activité y exerceront des fonctions au siège ou au parquet correspondant à celles qu'ils y exerçaient précédemment.
Par ailleurs, comme l'état du droit actuel le prévoit, ces magistrats maintenus en activité ne pourront exercer des fonctions d'encadrement –président de chambre ou premier avocat général à la Cour de cassation –, comme le prévoit aussi le troisième alinéa pour les juridictions de premier et second degré.
Avis favorable. Dès lors que la durée du maintien en activité est réduite à une année, il est logique que le magistrat ne passe pas, à cette occasion, du siège au parquet ou inversement.
(L'amendement n° 5 est adopté.)
En l'état actuel du droit, tel que le codifie l'article 3, il est prévu que les magistrats du premier et du second degrés souhaitant être maintenus en activité en surnombre peuvent présenter trois demandes d'affectation au siège ou au parquet, quelles que soient les fonctions qu'ils ont précédemment exercées.
Comme ils ne pourront être maintenus dans cette position statutaire qu'une année, il apparaît nécessaire, pour une bonne administration de la justice, que les intéressés soient immédiatement opérationnels.
Cet amendement prévoit ainsi que les fonctions auxquelles ils peuvent postuler doivent correspondre à celles exercées au moment où ils atteignent la limite d'âge, comme c'est le cas actuellement pour les magistrats de la Cour de cassation.
(L'amendement n° 7 , accepté par le Gouvernement, est adopté.)
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi organique.
(L'ensemble du projet de loi organique est adopté.)
Vote sur l'ensemble
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures trente-cinq, est reprise à dix-sept heures quarante-cinq.)
L'ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi, modifié par le Sénat, de réforme des collectivités territoriales (nos 2779, 2720).
Je vous rappelle que la conférence des présidents a décidé d'appliquer à cette discussion la procédure du temps législatif programmé, sur la base d'un temps attribué aux groupes de quinze heures.
Chaque groupe dispose des temps de parole suivants : le groupe UMP, trois heures cinquante ; le groupe SRC, cinq heures quarante ; le groupe GDR, trois heures vingt, et le groupe NC, deux heures dix. Les députés non inscrits disposent d'un temps de trente minutes.
En conséquence, chacune des interventions des députés, en dehors de celles du rapporteur et du président de la commission saisie au fond, sera décomptée sur le temps du groupe de l'orateur.
La parole est à M. Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales.
Monsieur le président, monsieur le ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire, monsieur le rapporteur de la commission des lois, mesdames, messieurs les députés, si M. le secrétaire d'État aux collectivités territoriales n'est pas parmi nous cet après-midi, c'est qu'il a été victime, cet été, d'un accident dans son département du Cantal. Il avait l'intention de venir nous rejoindre, mais, pour lui, se déplacer est encore compliqué. Michel Mercier, qui était déjà son partenaire lors de la première lecture, assumera très bien cette charge.
L'Assemblée entame cet après-midi l'examen en deuxième lecture du projet de réforme des collectivités territoriales après que le Sénat a lui-même voté ce texte en deuxième lecture le 8 juillet.
Vous connaissez l'ambition de cette réforme, ainsi que son économie générale. S'il fallait résumer à ce stade, je rappelle simplement qu'elle constitue à la fois un pari, un défi et un aboutissement.
Le pari est celui de la création d'un élu local puissant, représentatif, proche des territoires : le conseiller territorial, à qui l'on confie en quelque sorte les clés de la décentralisation. C'est un acte de confiance envers nos élus locaux, dans leur capacité à mettre en oeuvre les synergies entre les départements et les régions. C'est une innovation, un pari audacieux, et je ne comprends pas très bien les procès en prétendue recentralisation que l'on nous fait. Ce texte est, pour moi, tout l'inverse.
Le défi est celui de l'émergence d'une organisation institutionnelle adaptée à nos plus grandes agglomérations : la métropole. Pour la première fois, notre organisation territoriale consacre la spécificité de ses territoires urbains et leur propose un statut adapté reposant, une nouvelle fois, sur le volontariat.
Cette loi marquera un tournant, une première étape qui, à l'évidence, pourra en appeler d'autres. N'opposons pas les territoires urbains aux territoires ruraux. Reconnaître la spécificité des premiers ne conduit en rien à diminuer notre engagement en faveur du développement des seconds. Je le dis en présence de Michel Mercier, ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire, dont chacun connaît l'engagement sur ce sujet.
L'aboutissement, enfin, c'est le chantier de l'intercommunalité, auquel Alain Marleix a beaucoup travaillé. Cette loi, j'en suis convaincu, marquera une étape décisive dans le développement de l'intercommunalité. Après l'impulsion de la loi de 1999, ce projet vient couronner plus de dix ans de développement de l'intercommunalité et consacre, dans ce domaine, une triple avancée.
D'abord, la démocratisation de nos intercommunalités, avec l'élection au suffrage universel direct des conseillers communautaires, qui est devenue un impératif démocratique, compte tenu à la fois des compétences et des budgets qui sont gérés par les intercommunalités.
Ensuite, la couverture intercommunale intégrale du territoire français à l'horizon 2013 et l'enclenchement d'un processus continu de simplification, d'approfondissement et de rationalisation des structures locales.
Enfin, l'encouragement de toutes les formes possibles de mutualisation au sein des intercommunalités.
Sur chacun de ces trois grands aspects de la réforme, un dialogue s'est instauré entre les deux chambres du Parlement. Curieusement, certains s'en étonnent. Or un système bicaméral, par définition, favorise le dialogue institutionnel entre les deux assemblées.
Le Gouvernement s'était engagé à ce que le débat parlementaire ne soit ni précipité ni tronqué. C'est pourquoi nous avons indiqué très tôt notre refus de recourir à la procédure accélérée. Chacun, j'imagine, a perçu que le Gouvernement avait tenu parole : les quelque 180 heures consacrées à la discussion parlementaire jusqu'à présent sont là pour en témoigner. Il y a eu des échanges, des différences, des contradictions portées sur l'ensemble des bancs des deux hémicycles, ce qui, encore une fois, n'est que logique et naturel dans un débat qui engage l'avenir institutionnel de notre pays. Chacun se souvient d'ailleurs des débats de 1982 au moment des lois Defferre, des controverses de 1999 lorsque certains croyaient pouvoir pronostiquer avec une forte assurance la mort des communes ou, plus récemment, des débats passionnés au moment de l'acte II de la décentralisation en 2004, débats qui se sont achevés, certains s'en souviennent sans doute, par le recours à l'article 49-3.
Une réforme territoriale n'est jamais simple pour un gouvernement et réclame du courage, de la constance et de la détermination. Je me réjouis que des convergences importantes soient apparues entre le Sénat et l'Assemblée. Ces convergences sont d'ores et déjà acquises. En clair, près de la moitié des articles de ce projet de loi ont été adoptés dans les mêmes termes par les deux assemblées, et ce ne sont pas des articles secondaires. Je pense naturellement au principe de la création du conseiller territorial, voté conforme dès la première lecture ; je pense aussi, dans une très large mesure, au tableau des effectifs par département et par région ; je pense à l'élection au suffrage universel direct des conseillers communautaires ainsi qu'aux règles de composition et de répartition des sièges entre les communes ; je pense aux procédures de regroupement de départements ou de régions ; je pense, enfin, au processus d'achèvement et de simplification de l'intercommunalité, à l'approfondissement des mutualisations au sein de nos intercommunalités et entre les collectivités territoriales.
Il existe toujours des différences et il est légitime que le Sénat, qui assure la représentation des collectivités territoriales de la République, soit prudent et attentif à toutes les évolutions qui touchent à notre organisation territoriale. De même, il est dans l'ordre des choses que l'Assemblée nationale soit portée au mouvement. Ce dialogue institutionnel se poursuit avec le texte adopté par votre commission des lois. J'observe que la commission, à l'initiative de son rapporteur, Dominique Perben, et sous la présidence de Jean-Luc Warsmann, a souhaité, sur les dispositions restant en discussion, rétablir un texte très proche de celui que vous aviez adopté en première lecture.
Tout d'abord, concernant le conseiller territorial, la commission des lois a souhaité rétablir, comme l'y invitait le Gouvernement, le scrutin uninominal majoritaire à deux tours. Cette question a été la plus débattue dans le cadre de ce projet de loi. Le sujet est extrêmement complexe et sensible, car il n'existe pas de mode de scrutin parfait, qui permettrait de respecter les quatre objectifs qui sont les nôtres : la représentation des territoires, l'expression des sensibilités politiques, la poursuite de l'objectif de parité et la formation de majorités de gestion au sein des assemblées délibérantes. Il faut donc faire des choix, et le Gouvernement, après une longue réflexion et de nombreuses consultations, s'est rallié au choix du mode de scrutin majoritaire à deux tours.
La commission des lois du Sénat l'avait aussi adopté, mais le débat en séance publique n'a pas confirmé ce choix. Dans le même temps, le Sénat a rejeté tous les modes de scrutin sans en proposer un seul. Nous avons donc quitté la Haute assemblée sans mode de scrutin, ce qui est un peu étonnant. Il appartient désormais à l'Assemblée nationale de se prononcer sur le choix clairement exprimé par sa commission des lois en faveur de ce mode de scrutin. C'est le choix de la simplicité et de la lisibilité pour l'électeur, qui comprend facilement ce mode de scrutin, simplement parce qu'il y est habitué. Il ne s'agit pas de donner des leçons à la terre entière puisque les autres pays ont plutôt choisi un autre mode de scrutin. Pour notre part, ce mode de scrutin est dans notre tradition ; il faut donc en prendre acte. Son immense avantage est de maintenir un lien entre l'élu et le territoire : s'il s'agit d'élire des conseillers territoriaux, mieux vaut qu'ils représentent un territoire ! Enfin, cela signifie que, demain, les conseillers territoriaux seront véritablement les porte-parole des territoires, les interlocuteurs uniques de l'ensemble des acteurs de leur territoire. Là se trouvent l'innovation et la simplification voulues par le Gouvernement. Je crois qu'il y aurait eu une contradiction, même si cela méritait réflexion, à envisager des conseillers territoriaux hors sol, déconnectés concrètement d'un territoire précis.
Ce choix permet de donner aux élus une autorité liée à leur assise territoriale, tout en permettant de dégager des majorités stables dans les assemblées qui seront élues, sans toutefois empêcher l'expression des diverses sensibilités politiques. Il doit s'accompagner de mesures complémentaires, notamment un mécanisme incitant vigoureusement les partis politiques à agir en faveur de la parité. Il est d'ores et déjà acquis que cette loi introduira, pour la première fois dans notre législation électorale, un mécanisme de sanctions financières des partis politiques basée non plus seulement sur le résultat des élections législatives, mais désormais sur celui des élections territoriales.
Toujours sur le volet électoral, le Gouvernement a proposé à votre commission des lois, qui l'a accepté, un amendement visant à modifier à la marge le tableau des effectifs des conseillers territoriaux par département et par région – tableau adopté par le Sénat en deuxième lecture –, afin d'en garantir la sécurité juridique au regard des exigences de la jurisprudence constitutionnelle. Je précise que les corrections ne portent que sur quelques départements, dans six régions. Cela signifie que les deux assemblées ont largement convergé sur cette question qui peut encore être l'objet de quelques ajustements entre les deux chambres.
Votre commission des lois a également souhaité rétablir les dispositions relatives aux compétences et au cofinancement. Tout ce qui est écrit n'est pas forcément vrai, mais, sur ce point, j'ai pu lire ou entendre dire que le Sénat aurait souhaité rétablir la clause de compétence générale ou s'opposer à la logique de spécialisation des compétences exercées par les départements et les régions. Je le dis clairement, c'est faux. Et j'invite ceux qui auraient eu ce sentiment à relire précisément le compte rendu des débats. Il y a eu des nuances, c'est vrai, qui se sont exprimées au sein des différentes composantes de la majorité au Sénat ; toutefois, ces nuances n'ont pas porté sur le contenu, mais sur le rythme de l'entrée en vigueur de ces dispositions, puisque certains préconisaient de traiter les compétences et les cofinancements dans un texte à part, les autres souhaitant sans attendre un dispositif opérationnel, quitte à ce que de futurs textes législatifs viennent poursuivre le chantier, à l'évidence nécessaire, de la clarification des compétences qui doit s'inscrire dans la durée.
Votre commission des lois a clairement opté pour cette seconde option en rétablissant les articles 35 et suivants du projet de loi.
Le Gouvernement est, lui aussi, convaincu de la nécessité d'adopter, dès maintenant, des règles qui concilient pragmatisme et volonté de simplification et de clarification. Il s'agit, tout d'abord, de l'affirmation par le législateur de quelques principes généraux de bon sens, peu nombreux, mais qui fixent un cadre pour notre législation, existante et à venir, et qui permettent de faire évoluer la jurisprudence administrative. C'est l'objet de l'article 35 du projet de loi. Seules les communes conservent donc la clause de compétence générale. Les départements et les régions n'exercent, quant à eux, que les compétences que leur a conférées le législateur, mais disposent d'une capacité d'initiative – nombre d'entre vous s'étaient exprimés sur ce sujet – leur permettant, par délibération spécialement motivée, de se saisir de tout objet d'intérêt départemental pour lequel la loi n'a donné compétence à aucune autre personne publique. En réalité, il s'agit, là, d'un constat simple que le législateur ne peut prévoir à l'avance toutes les situations et qu'il faut pourtant qu'une réponse publique puisse leur être apportée. Nous répondons, ainsi, au souhait des collectivités de pouvoir apporter à des situations des réponses innovantes et aussi d'initier des projets. Cette préoccupation a donc été retenue. On opère, par ailleurs, la distinction entre les compétences que le législateur doit attribuer à titre exclusif et celles qui demeurent partagées entre les catégories de collectivités territoriales. Elle est assortie d'un corollaire de bon sens : lorsqu'une compétence est dévolue par la loi à une catégorie de collectivités territoriales, les autres collectivités territoriales ne pourront plus y intervenir.
La deuxième série de dispositions prend appui sur la création du conseiller territorial pour faire jouer à ce nouvel élu un rôle de clarification et de meilleure articulation des interventions entre les départements et les régions. C'est l'article 35 bis du projet de loi. Nous sommes, là, au coeur de l'ambition de cette réforme territoriale. Il s'agit de faire confiance à un élu local – le conseiller territorial qui est porteur d'une double vision territoriale et régionale – pour engager avec bon sens, au plus près de la réalité du terrain et des territoires ce chantier de clarification, de simplification, de mutualisation des moyens. Cela pourrait, en réalité, se résumer ainsi : la proximité pour le département et la vision d'avenir pour la région. Tout cela n'a qu'un seul objectif : favoriser les complémentarités, supprimer les doublons, simplifier les démarches pour nos entreprises, les élus locaux et nos concitoyens. Demain, le conseiller territorial sera l'interlocuteur unique des différents acteurs territoriaux, à commencer par les maires. Cette avancée majeure sera, j'en suis convaincu, un facteur de réactivité, de cohérence dans les choix de financement et d'accélération dans le montage des projets.
Nous proposons donc concrètement que les conseillers territoriaux, dès 2014, dans les six mois de leur élection, puissent adopter un schéma d'organisation des compétences et de mutualisation des services par délibérations concordantes des régions et des départements. Ce sera un élément d'adaptation aux réalités locales.
Avec la conférence des exécutifs qui réunira, demain, le président du conseil régional, les présidents de conseils généraux, les présidents des métropoles, des communautés urbaines, des communautés d'agglomération et un représentant des communautés de communes par département de la région, conformément d'ailleurs à ce que vous avez voté en première lecture, les élus locaux disposeront donc de deux mécanismes puissants de clarification et d'articulation des actions des principaux acteurs institutionnels de la région.
Enfin, troisième et dernière série de dispositions : l'édiction de quelques règles permettant d'encadrer de manière raisonnable et non dogmatique la pratique des cofinancements. C'est l'objet des articles 35 ter, 35 quater et 35 quinquies du texte adopté par votre commission. Le Gouvernement salue les dispositions qui visent à renforcer l'information et la transparence en matière de subventions croisées. Il est convaincu de la nécessité d'une règle vertueuse de participation minimale pour les collectivités territoriales pour les projets dont elles assurent la maîtrise d'ouvrage. Il considère, enfin, que la règle d'interdiction du cumul de subventions des départements et des régions doit s'inscrire dans le cadre du schéma régional qui prend d'ailleurs toute sa force avec la création de ce conseiller territorial.
Avec le rétablissement des dispositions du titre IV du projet de loi, je crois donc que nous disposons d'un texte pragmatique et réaliste sur lequel une large majorité devrait pouvoir se retrouver.
Faut-il aller plus loin et réfléchir, par exemple, à un mécanisme d'évaluation de ces dispositions dans la durée ? Le Gouvernement, je le dis là aussi, y est ouvert.
Je pourrais m'arrêter là, face à cet élan spontané !
Plusieurs députés du groupe Nouveau Centre. Non !
Je vais tout de même poursuivre !
J'en viens au troisième point sur lequel votre commission des lois a souhaité faire évoluer le texte issu du Sénat, à savoir le volet financier du statut des métropoles. Je pense qu'avec ce texte, nous avons une occasion unique de réparer une des faiblesses de notre organisation territoriale en dotant nos grandes agglomérations d'un statut institutionnel mieux adapté et plus intégré. Il est vrai que nous avons été sensibles et attentifs aux propositions et à l'imagination de votre rapporteur. Parce que le Gouvernement a souhaité que la dynamique vienne des territoires eux-mêmes, il n'a pas, c'est vrai, voulu dresser la liste limitative des métropoles imposées par l'État depuis Paris. Il aurait, en effet, pu se référer à ce qui fut fait pour les premières communautés urbaines en 1966. Aujourd'hui, nous sommes bien loin de 1966. C'était l'assurance de polémiques inutiles – il peut arriver qu'elles soient utiles, mais ce n'aurait pas, à mon avis, été le cas ici – et c'était, surtout, la certitude de l'échec. De la même façon, le Gouvernement n'a pas souhaité précipiter les choses et a préféré retenir le statut d'EPCI pour la métropole et non celui d'une collectivité territoriale à part entière. Le ministre Mercier, avec une autre casquette, a aussi joué un rôle dans ce domaine.
Au fil des lectures successives, nous sommes également parvenus à un bon compromis sur le seuil démographique requis pour la création des métropoles ainsi que sur les compétences qu'elles exerceront demain. En réalité, la loi retranche peu aux compétences des communes qui composent la métropole, mais instaure un mécanisme innovant qui, au-delà d'un socle minimal obligatoire dans le domaine économique, l'urbanisme, les transports ou le logement, oblige le département, la métropole et la région à déterminer ensemble, par voie conventionnelle, la meilleure répartition possible des compétences en tenant compte des spécificités de chaque territoire.
Le projet de loi cherche donc à amorcer, à provoquer ce dialogue institutionnel, plutôt qu'à imposer une solution toute faite venue d'en haut. Il est en effet fondamental que les métropoles se construisent, non pas par opposition aux départements et aux régions, mais dans une logique de complémentarité. C'est pourquoi le texte prévoit l'association des métropoles à tous les exercices de planification en matière d'aménagement, de transport et d'environnement qui ont naturellement un impact sur le territoire de la métropole. De même, les métropoles seront consultées à l'occasion de l'élaboration et du suivi des schémas d'organisation des compétences et de mutualisation des services entre les départements et les régions.
Il nous reste donc un dernier volet à régler, celui du régime fiscal et financier de la métropole. Là aussi, votre commission des lois, à l'initiative de votre rapporteur, a adopté un régime ambitieux qui prévoit le transfert automatique de la taxe foncière sur les propriétés bâties des communes vers la métropole et l'instauration d'une DGF territoriale à l'échelle métropolitaine à la majorité qualifiée. Ces nouveaux outils financiers permettraient de concilier tout à la fois l'exigence de compétitivité et celle de solidarité entre les communes membres de la métropole par des perspectives inédites de péréquation entre les communes à l'intérieur de la métropole qu'elles rendent possibles. Le philosophe anglais Aldous Huxley avait déclaré : « Toute nouvelle vérité commence par être hérétique. » Je crains que certains considèrent que nous n'en sommes pas loin. Nous débattrons bien sûr de ces outils financiers, mais je crois qu'il faut nous fixer l'objectif que le statut final des métropoles représente bien un véritable « saut qualitatif » – pour reprendre l'expression du rapporteur – par rapport aux autres catégories d'EPCI existants et aux communautés urbaines en particulier. À nous de trouver ensemble le meilleur équilibre.
Nous avons, à l'évidence, une véritable occasion d'innover.
Enfin, sur l'intercommunalité, seule subsiste entre les deux chambres une différence sur le calendrier du processus d'achèvement et de simplification de la carte intercommunale. Votre commission des lois, à l'initiative de votre rapporteur, a rétabli la date du 30 juin 2013 pour l'achèvement du processus de simplification et de rationalisation de la carte intercommunale. Il est vrai que, en retenant la date du 1er mars 2013, le Sénat avait adopté un calendrier sans doute trop exigeant qui aurait conduit, en réalité, à réduire les phases disponibles pour la concertation locale.
Je pense que le calendrier retenu par votre commission des lois est pertinent : il n'est ni trop rapide pour permettre la concertation locale indispensable sur le terrain ni trop lent pour être – cette préoccupation légitime des élus locaux est partagée – bien distinct des campagnes municipales de mars 2014.
Voilà, mesdames et messieurs les députés, les quelques observations dont je souhaitais vous faire part.
Après beaucoup d'études, de rapports et de débats consacrés ces dernières années à la nécessité de réformer notre organisation administrative territoriale devenue trop complexe au fil du temps, le Président de la République et le Gouvernement ont souhaité proposer au Parlement, après une longue phase de négociation et de concertation, une réforme ambitieuse des collectivités territoriales.
Nous cherchons à fonder, ensemble, de manière pragmatique et concrète, une nouvelle ambition territoriale pour notre pays. Nous sommes totalement déterminés à réussir cette réforme, car notre pays ne peut faire l'économie d'une réforme des collectivités territoriales, de leur organisation, de leurs compétences et de leur financement.
Les collectivités territoriales ne peuvent, seules, échapper à l'effort d'adaptation et de modernisation de notre pays. Elles ne peuvent, seules, être exemptées de l'effort collectif et partagé de redressement de nos comptes publics qui passe par une plus grande modération de la dépense publique dans notre pays, y compris de la dépense publique locale. Cette réalité n'est pas simplement celle de la France. Il suffit, pour s'en convaincre, d'observer les décisions prises dans l'ensemble des pays européens.
Le Gouvernement, à la suite de la conférence des déficits publics, a pris des mesures budgétaires fortes, trop longtemps différées. Il a engagé une profonde réforme de notre fiscalité locale avec la suppression courageuse et difficile d'une taxe professionnelle tant décriée. Et il a la volonté, dès le projet de loi de finances pour 2011, de renforcer les mécanismes de péréquation, un chantier dont on parle beaucoup, c'est certain, mais sur lequel on a agi si peu par le passé. Il conduit, enfin, cette réforme territoriale pour adapter, alléger et simplifier un paysage institutionnel qui s'est complexifié au fil du temps en mettant l'accent sur la recherche systématique des synergies, des complémentarités et des mutualisations à chacun des trois niveaux de nos collectivités territoriales.
Nos choix sont cohérents. Le Gouvernement propose, innove, agit et ne se contente pas du statu quo, qui aurait été la solution la plus facile, mais certainement pas la plus utile.
Au fond, nous faisons un pari simple : celui que les premiers à vouloir bouger les choses, à simplifier, à rationaliser, ce sont les élus locaux qui ont parfaitement conscience de la nécessité de s'adapter. C'est tout le pari de ce projet de loi et, de ce point de vue, la création des conseillers territoriaux, c'est-à-dire d'élus locaux puissants au service de leurs territoires et de nos concitoyens, est bien la clef de voûte de cette réforme. Une réforme que le Gouvernement, avec sa majorité parlementaire – et je tiens à saluer ici le soutien et l'engagement du président Jean-François Copé, notamment, et j'espère pouvoir dire la même chose du président François Sauvadet ! – souhaite utile, au service de nos territoires, de nos institutions et de nos concitoyens. Je ne me suis pas tourné vers vous, monsieur Lecoq, parce que j'aurais alors peut-être anticipé, mais si vous voulez créer la surprise, ne vous gênez pas ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
La parole est à M. Dominique Perben, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous sommes appelés à examiner, en deuxième lecture, le projet de loi de réforme des collectivités territoriales. Ce projet repose sur quelques grandes orientations. Il tend, tout d'abord, à renforcer la démocratie locale en permettant la désignation au suffrage universel direct du plus grand nombre de délégués communautaires par le fléchage – formule que nous avons choisie pour éviter les conflits de légitimité entre le niveau municipal et le niveau communautaire. Il y aura là un vrai progrès dans la vie démocratique locale avec l'organisation, à l'occasion des élections municipales, de débats sur les enjeux de l'intercommunalité qui existent, certes, aujourd'hui, mais sont parfois considérés de manière secondaire.
Deuxième orientation, la mise en place d'une meilleure gouvernance urbaine, avec la création des métropoles qui, sur des espaces urbains cohérents et homogènes, pourront exercer les compétences traditionnelles des structures urbaines mais, en même temps, les compétences, sociales en particulier, des départements et certaines compétences économiques des départements et des régions.
Troisième orientation, la création du conseiller territorial, pour donner de la cohérence à cet ensemble constitué des départements et de la région. Cet élu unique permettra, nous en sommes convaincus, de mieux répartir concrètement les compétences. Il y a là un potentiel d'économie et ce sera vraiment plus simple pour nos concitoyens, car le conseiller territorial sera, sur son grand canton, leur interlocuteur unique. Ils s'adresseront à lui sans se poser la question de savoir s'ils doivent s'adresser au conseil général ou au conseil régional puisque la femme ou l'homme qui les représentera transmettra ensuite le dossier aux services compétents.
Dernière orientation, et non la moindre, la rationalisation de la carte territoriale, pour aller le plus loin possible dans l'évolution que nous connaissons depuis plus d'une dizaine d'années, avec l'achèvement de la carte intercommunale, en essayant de l'améliorer qualitativement dans un certain nombre de départements et de faire en sorte que les structures intercommunales qui sortiront de cette révision des cartes départementales soient vraiment les structures de l'avenir pour une très longue période.
Les allers et retours avec le Sénat ont été rappelés tout à l'heure. À l'issue de la première lecture par l'Assemblée nationale, le texte comportait quatre-vingt-huit articles, dont quatorze que nous avions adoptés conformes. Des soixante-quatorze articles transmis au Sénat, ce dernier en a adopté vingt-huit conformes lors de la deuxième lecture. Nous devons donc achever le travail avant les discussions entre les deux assemblées.
Les débats au Sénat ont montré un certain nombre de divergences mais, au-delà, il convient de souligner à ce stade la convergence entre les deux assemblées sur des dispositions essentielles, qu'il s'agisse du principe de la création du conseiller territorial, de la composition des conseils communautaires et du mode de désignation des délégués communautaires, des règles de fusion des collectivités départementales et régionales ou du renforcement de l'intégration intercommunale.
En ce qui concerne la création du conseiller territorial, par-delà l'accord de principe entre les deux assemblées, la deuxième lecture au Sénat a eu pour effet de supprimer plusieurs dispositions qui avaient été introduites à l'Assemblée nationale en première lecture : l'article 1er A, prévoyant l'application du mode de scrutin cantonal à l'élection des conseillers territoriaux ; l'article 1er B, qui porte de 10 % à 12,5 % le seuil des inscrits nécessaire pour se maintenir au second tour des élections cantonales, et je crois que l'Assemblée y tient ; l'article 1er bis, relatif à la composition et aux compétences de la commission permanente du conseil régional ; l'article 36 B, prévoyant le maintien de la qualité de chef-lieu de canton aux chefs-lieux de canton actuels.
La commission des lois, sur ma proposition, a souhaité rétablir ces différentes dispositions, qui sont nécessaires pour donner toute sa cohérence au dispositif du conseiller territorial. Le rétablissement de l'article 1er A a d'ailleurs été proposé par le Gouvernement lui-même.
En ce qui concerne les règles de délimitation des cantons, la commission des lois a souhaité retenir celles adoptées par l'Assemblée nationale en première lecture : respect des limites des circonscriptions législatives, inclusion dans un seul canton de toute commune de moins de 3 500 habitants.
Le dispositif de financement des partis politiques en fonction des résultats de l'élection des conseillers territoriaux et du respect de la parité a été modifié afin de prévoir une modulation de la sanction financière en fonction du pourcentage de l'écart entre le nombre de candidats et le nombre de candidates.
La commission des lois a approuvé les dispositions introduites par le Sénat en deuxième lecture pour prévoir que le conseiller général ou le conseiller territorial sera suppléé par un suppléant de sexe opposé, quel que soit le motif de la vacance du siège, article 1er D, et pour modifier à partir de 2014 les règles de cumul de mandats locaux, en substituant au mandat de conseiller municipal ceux de maire, d'adjoint au maire, de conseiller municipal bénéficiant d'une délégation, de président, de vice-président, de délégué communautaire bénéficiant d'une délégation, d'un EPCI à fiscalité propre de plus de 30 000 habitants, et en ajoutant celui de conseiller territorial. Je sais que ce point soulève des interrogations chez un grand nombre d'entre vous, nous aurons sans doute l'occasion d'en rediscuter.
Enfin, le Sénat avait modifié le tableau des effectifs de conseillers territoriaux par département initialement voté par l'Assemblée nationale, à l'article 1er bis B, afin, notamment, que les assemblées départementales aient un nombre impair de conseillers, ce qui me semble être une bonne idée. L'effectif de conseillers territoriaux était ainsi porté à 3 500. L'amendement présenté par le Gouvernement et adopté par la commission des lois n'opère que des corrections très marginales dans six régions. Ce sont donc, dans une très large mesure, les chiffres du Sénat qui sont finalement retenus.
En matière de désignation des délégués des communes au sein des EPCI, l'article 2 a été modifié sur un seul point par la commission des lois, afin de réintroduire une disposition sur les incompatibilités temporaires entre des fonctions de direction dans un EPCI et un mandat municipal. Le principe de la désignation des délégués communautaires au suffrage universel direct fait désormais consensus, de même que les nouvelles règles de répartition des sièges entre communes au sein des EPCI.
S'agissant des métropoles, articles 5 et suivants, le coeur du débat qu'il nous reste à mener concerne leur régime financier.
À mon initiative, comme l'a rappelé le ministre – ce qui est peut-être une façon de prendre un peu ses distances –, la commission des lois a rétabli le texte adopté par l'Assemblée nationale en première lecture, consistant à transférer de plein droit à la métropole la taxe foncière sur les propriétés bâties perçue par les communes membres et à permettre une mutualisation de la DGF des communes à la majorité qualifiée des conseils municipaux. Je sais que vous êtes nombreux à vous interroger sur ces deux points. Nous en rediscuterons plus longuement pour trouver une solution satisfaisante.
La commission des lois vous propose également de revenir sur les limitations apportées par le Sénat aux compétences métropolitaines, qu'il s'agisse des modalités de reconnaissance de l'intérêt métropolitain pour certaines compétences ou du maintien des prérogatives de chaque commune membre en matière de PLU. Je crois que ce point fait davantage consensus.
Sur les pôles métropolitains, article 7, la commission des lois s'est ralliée au texte du Sénat, sauf pour les pôles transfrontaliers, pour lesquels elle a rétabli à 50 000 habitants le seuil applicable à l'EPCI le plus important alors que le Sénat l'avait fixé à 120 000 habitants.
Par ailleurs, afin de favoriser le regroupement de communes, nous devons, j'en suis convaincu et je ne pense pas être le seul, assouplir les conditions juridiques de création des communes nouvelles. À un moment donné, il faut sortir de l'hypocrisie. Le texte adopté par le Sénat ne permettra aucune création de commune nouvelle. Si c'est l'objectif, disons-le et supprimons l'article, mais pourquoi empêcher des territoires qui vivent l'intercommunalité depuis des années d'aller plus loin s'ils le souhaitent ? Personnellement, j'en connais. Si l'on donne un droit de veto à chacune des communes, on sait très bien qu'il y en aura toujours une qui voudra négocier un petit équipement supplémentaire pour donner son accord. Parlons des choses concrètement, ne nous leurrons pas. Si nous voulons permettre à des communes nouvelles de se créer, il faut qu'un projet puisse émaner d'une majorité qualifiée de conseils municipaux, un référendum n'étant organisé que s'il n'y a pas d'unanimité. Le dispositif prévu par le Sénat a pour objectif de rendre impossible toute fusion de communes. Si c'est le cas, il vaut mieux le dire. Mettre en place un nouveau dispositif dont on sait qu'il ne servira jamais, ce n'est pas une bonne façon de légiférer.
La commission des lois a choisi d'adopter de façon conforme, dans la rédaction adoptée par le Sénat en deuxième lecture, les dispositions relatives aux regroupements de départements et de régions. Le Sénat avait apporté des modifications qui nous paraissent tout à fait raisonnables.
S'agissant des mesures relatives aux intercommunalités, le Sénat a modifié à la marge les dispositions que nous avions introduites en première lecture. Il a ainsi validé la suppression de la catégorie des communautés d'agglomération nouvelle et retouché le régime d'assouplissement des conditions de transformation d'un syndicat d'agglomération nouvelle en communauté d'agglomération ou en communauté de communes, permettant à la commission des lois de vous proposer d'adopter ces mesures sans modification.
Il a toutefois supprimé l'article 15 ter, qui prévoyait que l'EPCI était obligé d'indiquer chaque année quelles sommes d'argent il avait accordées aux communes membres. J'avoue que je ne comprends pas du tout. Cela me semble être la moindre des choses dans une république…
…d'avoir un système transparent, un tableau très simple montrant ce qui a été donné à chaque commune de façon que ses habitants puissent savoir comment fonctionne l'intercommunalité. C'est très important. Sinon, l'intercommunalité continuera à être perçue comme quelque chose d'opaque susceptible de favoriser certains et de défavoriser les autres. Puisque, par définition, nous pensons que la gestion est équilibrée et n'est injuste à l'égard de personne, montrons-le ! C'est une proposition à laquelle je tiens beaucoup et que la commission des lois a réintroduite, j'espère qu'elle sera maintenue.
Les mécanismes d'achèvement et de rationalisation de la carte intercommunale ont été adoptés conformes par le Sénat, à l'exception des articles 18, 29 et 30. Sur ces articles, ne subsiste qu'un désaccord sur le calendrier. Nous avions décidé de raccourcir la procédure de six mois, afin qu'elle s'achève le 1er juillet 2013, soit plus de huit mois avant la date prévue pour les prochaines élections municipales. Ramener l'échéance au 1er mars nous paraît assez déraisonnable car, avec un délai court, il ne pourra pas y avoir de vraie concertation dans les intercommunalités concernées. Le préfet risque soit de ne pouvoir rien faire – j'espère que ce n'est pas l'objectif –, soit d'agir à l'arraché, ce qui n'est pas non plus très satisfaisant. Nous devons donc avoir un calendrier plus raisonnable.
En ce qui concerne les dispositions relatives au renforcement de l'intercommunalité, les articles 31, 33 et 34 peuvent être adoptés tels qu'ils ont été modifiés par le Sénat, de même que le nouvel article 31 A permettant la participation de tous les conseillers municipaux aux commissions intercommunales. Seuls l'article 34 bis A, relatif à la mutualisation de services entres les collectivités territoriales, et l'article 34 quinquies, relatif à l'unification des impôts directs locaux au sein des EPCI à fiscalité propre, qui ont été enrichis par le Sénat, appellent sans doute quelques corrections mineures.
Par ailleurs, l'examen en seconde lecture par le Sénat n'a pas permis de faire avancer le chantier ô combien attendu de la clarification des compétences des collectivités locales, aux articles 35 à 35 bis. Alors que sa commission des lois avait adopté notre rédaction de l'article 35, qui énonce les règles de base de répartition et de délégation de compétences applicables aux collectivités territoriales, le Sénat a voté un amendement renvoyant la clarification des compétences et l'encadrement des cofinancements à une loi ultérieure. Votre commission des lois a rétabli le dispositif de clarification des compétences, ainsi que l'article 35 bis, qui permet l'élaboration, dans chaque région, d'un schéma d'organisation des compétences et de mutualisation des services, en intégrant, sur ces différents aspects, certaines précisions introduites par la commission des lois du Sénat.
Mise en pratique de cet effort de clarification des compétences, les règles d'encadrement des cofinancements avaient été supprimées par le Sénat en séance publique. Cependant, je crois que si l'on veut que nos concitoyens comprennent qui fait quoi, il est absolument indispensable qu'ils puissent aussi savoir qui finance quoi. C'est pourquoi la commission des lois a rétabli l'article 35 ter qui impose une participation minimale du maître d'ouvrage au financement des projets locaux, à l'exception d'un nombre limitatif de dérogations sectorielles, ainsi que l'article 35 quater, qui encadre les possibilités de cumuler, sur un même projet local, des subventions départementales et régionales. Là aussi, votre commission a rétabli des règles simples, claires et efficaces, en intégrant, partout où cela était possible, les avancées issues des travaux de la commission des lois du Sénat.
En somme, si, sur un certain nombre de points, la commission des lois vous propose de rétablir les dispositions qui avaient été adoptées en première lecture par l'Assemblée, cela s'accompagne d'une prise en compte des positions exprimées par le Sénat, notamment l'adoption de treize articles conformes et le maintien de sept suppressions d'articles souhaitées par les sénateurs. Il faut désormais espérer que nos deux assemblées puissent se retrouver sur un texte commun, suffisamment ambitieux pour ne pas perdre de vue les objectifs que j'ai rappelés au début de mon propos, objectifs qui ont initialement guidé la réforme et qui correspondent à des demandes constantes exprimées par nos concitoyens depuis le développement de la décentralisation. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
J'ai reçu de M. Yves Cochet et des membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine une motion de renvoi en commission déposée en application de l'article 91, alinéa 6, du règlement.
La parole est à M. Jean-Paul Lecoq.
Messieurs les ministres, monsieur le rapporteur, monsieur le président de l'Association des maires de France, mes chers collègues, je veux d'abord, au nom de tous les élus communistes et républicains, élever une protestation solennelle contre le calendrier retenu pour l'examen de ce projet de loi de réforme des collectivités territoriales.
En effet, la commission des lois s'est réunie à la hâte mercredi dernier. Elle a entièrement détruit le travail accompli au Sénat sur ce projet de loi et, aujourd'hui, nous examinons un texte qui n'a rien à voir avec celui qui était issu de la chambre haute.
Or le texte de la commission n'a été disponible que vendredi, et la date limite de dépôt des amendements était fixée à samedi, soit le lendemain, le tout en plein examen de la réforme des retraites ! Ces délais ne permettent pas un travail parlementaire sérieux. Pour un texte de l'importance de cette réforme, qui suscite tant d'inquiétudes sur le terrain, dans nos territoires, auprès des élus et des citoyens, cet examen à la va-vite, immédiatement après la réforme des retraites, n'est pas acceptable.
Face aux inquiétudes et à l'hostilité des élus et des acteurs de la vie locale, le Sénat avait, à juste titre, profondément réécrit le texte et en avait retiré les dispositions les plus scélérates. Or, en méprisant le travail accompli, la majorité UMP de l'Assemblée nationale contribue elle aussi à dégrader les termes du débat et à faire passer en catimini un projet de loi amené à bouleverser – il faut le dire et le répéter – notre architecture territoriale.
Ce n'est pas un hasard si la droite est divisée à propos de ce texte. L'ancien Premier ministre M. Raffarin en a d'ailleurs tiré les conséquences, en jugeant qu'une réforme des collectivités « avec une position hostile du Sénat » serait « fragilisée ».
L'Assemblée nationale, au vu du texte réécrit par sa commission des lois, se dirige vers l'adoption d'un projet dont les orientations seront diamétralement contraires à celles défendues par le Sénat. Or – faut-il le rappeler ? – le Sénat est la voix des territoires. Aux termes de l'article 24 de la Constitution, il « assure la représentation des collectivités territoriales de la République ». Que dire d'un projet de loi réorganisant complètement la démocratie locale et les collectivités alors que le Sénat, représentant constitutionnel de ces dernières, s'oppose à ses principales orientations ?
Qui soutient cette réforme, en dehors d'une poignée de députés ultralibéraux capables de voter les yeux fermés tout projet de loi estampillé sarkozyste et pourfendant les services publics ? En effet, si les sénateurs ne goûtent manifestement que très peu les orientations imposées par Dominique Perben et le groupe UMP de l'Assemblée nationale, il en est de même des élus locaux. Leur inquiétude est patente. Ils ne soutiennent pas ce texte qui les prive d'une partie de leur pouvoir, après que la suppression de la taxe professionnelle les a privés de l'autonomie fiscale.
Quant aux citoyens, toujours en demande de services publics, d'institutions capables de répondre à leurs attentes et de dynamiser leurs territoires, ils n'ont jamais été demandeurs de cette réforme. Pas plus que les associations locales, qui ne cessent de faire remonter, de partout, leur très vive inquiétude au sujet de la nouvelle répartition des compétences entre collectivités territoriales, ou encore au sujet de l'interdiction des financements croisés.
Enfin, les partisans de cette réforme ne pourront pas non plus compter sur le soutien des agents de la fonction publique territoriale. Ces derniers, qui ont permis dans bien des territoires de prendre le relais de l'État défaillant dans la lutte contre la précarité, ont bien compris qu'ils étaient la principale cible du texte. De fusions de services en mutualisations, de regroupements de communes en regroupements de départements et de régions, chacun a parfaitement saisi que l'enjeu numéro un du projet était l'application de la révision générale des politiques publiques aux collectivités territoriales.
Cela trahit l'axe idéologique de cette réforme, car ce texte est travaillé, de façon obsessionnelle, par le néolibéralisme. Je vais, devant vous, en faire la démonstration.
La création des fameux, et fumeux, conseillers territoriaux vise prétendument à réduire les dépenses de nos collectivités. En réalité, il s'agit surtout d'affaiblir l'action publique dans les territoires ; de remplacer les services publics par des opérateurs privés partout où c'est possible ; d'éloigner les élus des citoyens, pour que les revendications de ces derniers ne remontent plus, et que l'action des élus n'ait plus d'impact sur la vie des citoyens. De cette façon, ce sont les grandes entreprises qui prennent le relais de l'action locale, ces mêmes entreprises qui sont dirigées par des amis du pouvoir et dont les profits vont continuer à grossir grâce à ce texte.
Si toute la droite a voté pour la création des conseillers territoriaux, cette unité de façade n'a pas duré bien longtemps. Quel mode de scrutin retenir ? Quelle circonscription d'élection choisir ? Dès que ces questions sont posées, les désaccords sont légions, et le texte est modifié de fond en comble à chaque nouvel examen. C'est dire le manque de sérieux et l'impréparation de cette réforme. C'est dire aussi l'insuffisance de la consultation des élus et des citoyens.
Le conseiller territorial sera un élu cumulant deux fonctions. Ce sera moins d'élus pour la République, donc, naturellement, moins de proximité. Ce sera aussi plus de travail pour les élus, qui devront être aidés par des suppléants chargés de les représenter partout où ils ne pourront pas être, et ce sans indemnisation. Ce sera, en somme, la pagaille institutionnelle là où les institutions actuelles fonctionnent de façon globalement satisfaisante.
Bien entendu, dans sa volonté de réduire le pouvoir et les marges de manoeuvre budgétaires des élus locaux, la droite n'a pas profité de la création de ce nouveau mandat pour faire progresser la parité ou le pluralisme. Elle a choisi, tout au contraire, de les faire régresser. C'est peut-être la raison pour laquelle il y a si peu de femmes aujourd'hui dans notre hémicycle.
Ainsi, comme nous l'avons souligné à de nombreuses reprises lors de la première lecture, ce projet de loi marque une régression sans précédent dans l'application du principe constitutionnel de parité, qui veut que « la loi favorise l'égal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux et fonctions électives ». Le choix d'un mode de scrutin uninominal majoritaire à deux tours aura pour résultat, selon l'Observatoire de la parité auprès du Premier ministre, que les hémicycles territoriaux ne compteront plus que 17 % de femmes ! Faut-il rappeler qu'elles constituent aujourd'hui, grâce au mode de scrutin, la moitié des effectifs des conseils régionaux ? Sur ce terrain comme sur les autres, le recul que vous vous apprêtez à faire subir à la démocratie locale est sans précédent.
Or ce projet de loi marque aussi une régression pour le pluralisme dans notre démocratie. Non seulement le mode de scrutin uninominal favorise le bipartisme étroit tel qu'il existe dans les pays anglo-saxons, mais, pire encore, avec l'article 1er B et le relèvement des seuils de participation au second tour, ce texte procède à un affaiblissement mécanique et organisé du pluralisme. Ce relèvement des seuils de qualification au second tour de 10 % à 12,5 % ne correspond d'ailleurs qu'à des calculs électoralistes, puisqu'il s'agit pour l'UMP de se débarrasser de la concurrence gênante du Front national.
Je souhaite à présent aborder la création des métropoles et des pôles métropolitains, car elle est, elle aussi, profondément imprégnée de néolibéralisme.
Que sont en effet les métropoles si ce n'est des agglomérations déjà développées, des pôles de compétitivité déjà riches, où l'activité économique est déjà concentrée ? En dotant ces nouvelles formes d'EPCI de bonus fiscaux et d'incitations financières, le texte de loi rend l'aménagement du territoire particulièrement inégalitaire, puisque l'argent va à l'argent.
Ce projet de loi ne se préoccupe nullement des territoires relégués, pauvres, enclavés, terreau des discriminations. Il ne dit rien des territoires ruraux, en voie de désertification et d'abandon par l'État. En revanche, dès qu'il s'agit de créer de vastes zones urbaines de concentration des investissements et des capitaux, là le Gouvernement sait innover.
Avec cette logique de polarisation économique, déjà à l'oeuvre dans le chantier du Grand Paris, c'est bien le néolibéralisme le plus pur qui s'exprime. Il s'agit, en quelque sorte, de la « théorie du ruissellement », selon laquelle la création de pôles à forte concentration capitalistique finira par rejaillir positivement sur les zones pauvres qui en sont la périphérie. Nous pensons exactement le contraire : c'est seulement en concentrant les efforts sur les territoires relégués qu'un développement égalitaire du territoire pourra enfin avoir lieu.
C'est du reste la même « ragougnasse » néolibérale qui prévaut à l'article 8 du projet de loi, portant création des communes nouvelles, Il s'agit, une fois de plus, de polariser. Les petites communes, les communes rurales, celles qui représentent nos fameuses 36 000 communes, ce réseau unique qui permet à la République de s'enraciner dans chaque parcelle du territoire, seraient trop nombreuses. Là où nous, communistes, voyons un atout considérable, la droite et M. le rapporteur perçoivent un fardeau, baptisé « problème de l'émiettement communal ». Or, chers collègues, un maillage communal intégral du territoire, c'est ce qui permet la constitution d'une terre commune ; c'est ce qui permet que, dans nos territoires, l'humain passe avant le reste ; c'est aussi et surtout ce qui permet la proximité.
La logique des communes nouvelles, c'est, à l'inverse, la fusion des petites communes au sein d'ensembles urbains plus vastes. Perdus dans ces entités bureaucratiques, nos villages et nos villes seront bien entendu totalement dépourvus de pouvoir et d'autonomie financière. Ici encore, le projet de loi fabrique de l'éloignement, de la distance entre citoyens et élus. Tout se passe comme si l'objectif de la droite était que les territoires et les communes ne puissent plus se vivre à échelle humaine mais seulement de façon impersonnelle. En effet l'affaiblissement général de la démocratie locale laissera la place libre au secteur privé et à la marchandisation, conformément aux voeux du MEDEF.
Par une manoeuvre particulièrement basse, la commission des lois, à l'initiative de son rapporteur, a d'ailleurs introduit un dispositif de création des communes nouvelles qui ne correspond pas à celui voté en première lecture par l'Assemblée. Je veux le rappeler ici : aux termes de très longs débats, la représentation nationale avait voté, à l'unanimité ou presque, des amendements, présentés notamment par M. Jacques Pélissard, président de l'Association des maires de France, visant à requérir l'unanimité des conseils municipaux des communes concernées par une procédure de fusion au sein d'une commune nouvelle. Ce garde-fou a été supprimé du présent texte.
Dans l'état actuel du texte, si une petite commune ne souhaite pas être engloutie par une voisine plus vaste, elle ne pourra pas s'y opposer. En effet, la procédure de consultation de la population, désormais prévue si les conseils municipaux ne sont pas unanimes, se fait à l'échelle du périmètre tout entier du projet de commune nouvelle. Cela signifie qu'une petite commune, avec toute sa population, accotée à une commune démographiquement plus massive, est quasiment assurée d'être dépossédée de tout pouvoir lors de cette consultation. Dans ce dispositif profondément injuste, inégalitaire et antidémocatique, les petits villages et les communes moins peuplées sont à la merci des agglomérations les plus peuplées. Quand jacques Pélissard intervient sur cette question, c'est au nom du congrès des maires de France, au nom des maires de France eux-mêmes, et parce qu'il les a écoutés.
Le seul cas où une commune pourra sauver sa peau est celui où toutes les communes concernées par le projet de fusion ne seraient pas membres d'un même EPCI. Or ces cas de figure sont amenés à disparaître puisque le projet de loi organise par ailleurs la rationalisation par le préfet – et au pas de charge s'il vous plaît ! – de la carte de l'intercommunalité. Les schémas départementaux de coopération intercommunale auront déjà redessiné les périmètres des EPCI dont les communes sont fusionnables pour que toute contestation soit impossible. Si dix, vingt ou cinquante communes souhaitent fusionner en une seule, elles peuvent parfaitement le faire, mais si l'une d'elles ne le souhaite pas, il est normal qu'elle n'y soit pas contrainte.
Ce refus ne bloquerait en rien un processus de fusion qui associerait non plus cinquante communes, mais quarante-neuf. Il s'agit là d'une question de principe. En l'occurrence, c'est le respect des principes de libre administration des collectivités territoriales et de non-tutelle d'une collectivité sur une autre qui sont en jeu. Alors que l'Assemblée avait trouvé sur ce point un terrain d'entente et que le Sénat, pour une fois, y avait souscrit, la commission des lois vient d'effacer d'un trait de plume les heures de débat de juin et de juillet. Cette façon de légiférer est particulièrement sournoise.
J'en viens maintenant à l'article 13 bis du projet de loi.
C'est encore une fois une logique de polarisation qui est à l'oeuvre puisqu'il autorise la fusion des départements d'une région au sein d'un ensemble plus vaste. Avec cette innovation radicale, on peut très bien imaginer que quatre ou cinq départements fusionnent avec la région à laquelle ils appartiennent. De cette façon, les économies réalisées seraient substantielles : plus qu'une seule collectivité à la place de cinq, un seul hémicycle et quelques élus pour des millions d'habitants ! Est-ce là votre vision de la démocratie locale ? Cet objectif de disparition des départements par évaporation, est-ce bien le vôtre ? Si c'est le cas, pourquoi ne pas l'assumer haut et fort ? Quoi qu'il en soit, ce n'est assurément pas celui des communistes.
Je profite de l'affirmation de cette divergence politique pour en souligner une autre : les députés communistes, républicains et du Parti de gauche ne sont pas favorables à la procédure d'exception introduite par les articles 18, 29 et 30, qui permet au représentant de l'État dans le département de dessiner lui-même la carte de l'intercommunalité à la hache, en dépit de l'avis des communes ; c'est lui et lui seul qui tracera les périmètres des EPCI.
Que devient, là encore, le principe de libre administration des collectivités territoriales ? Comment les législateurs que nous sommes pourraient-ils autoriser le préfet à rattacher une commune, contre son gré, à un EPCI ? Cette procédure d'exception n'a aucun garde-fou puisque le mécanisme retenu par la formulation actuelle de l'article est particulièrement byzantin. En effet, le rattachement de force d'une commune à un EPCI est subordonné à l'accord de l'organe délibérant de l'EPCI, mais si celui-ci n'est pas d'accord, le préfet mettra tout de même en oeuvre le rattachement, « sauf si la commission départementale de coopération intercommunale s'est prononcée, à la majorité des deux tiers de ses membres, en faveur d'un autre projet de rattachement à un EPCI à fiscalité propre limitrophe de la commune concernée ». Scandaleux ! Heureusement que le ridicule ne tue pas !
Aux termes de cette disposition grotesque, la commune n'a pas d'avis à donner, seul celui de l'EPCI est demandé, mais même si son avis est négatif, le préfet pourra passer outre. Autrement dit, l'EPCI n'a que le droit d'être d'accord. Cependant, si la commission départementale de la coopération intercommunale est en désaccord avec le projet de rattachement, elle pourra en proposer un autre à la majorité qualifiée, mais seulement s'il existe un autre EPCI à fiscalité propre limitrophe de la commune. Ce prétendu garde-fou ne concerne donc que les cas rarissimes où la commune isolée se trouverait limitrophe de deux EPCI ! Qui peut prêter son concours à pareille façon de légiférer ? Quid du critère d'intelligibilité de la loi, retenu par le Conseil constitutionnel, et que méconnaît manifestement l'article 18 ?
Pour en revenir au fond, pourquoi les communes ne pourraient-elles pas choisir librement d'entrer dans des processus d'intercommunalité ? Pourquoi ne pas permettre des formes plus souples d'intercommunalisation ? Derrière ces dispositifs, plus autoritaires et caporalistes les uns que les autres, se cache une préfectoralisation…
…qui affaiblit, une nouvelle fois, nos collectivités territoriales, et qui, surtout, méprise les élus et les citoyens.
La commission des lois de notre assemblée a aussi réintroduit toute la quincaillerie des articles 34 et 35 que le Sénat avait très utilement supprimée. Nous en arrivons, mes chers collègues, vous l'avez compris, au coeur du sujet.
Ah !
Tout d'abord, l'article 34 bis A promeut, dans le droit fil de l'idéologie néolibérale, les « mutualisations de service » entre les collectivités territoriales et leurs EPCI. (Murmures sur les bancs du groupe UMP.)
Ces mutualisations n'ont bien évidemment qu'un seul but : raboter les budgets, faire des économies à tous les étages et, surtout, supprimer des postes d'agents de la fonction publique territoriale. En un mot, il s'agit d'appliquer la révision générale des politiques publiques aux collectivités territoriales.
Vous ne voulez pas l'avouer, mais M. Fillon l'a proclamé à de nombreuses reprises. Voici ce qu'il déclarait le 18 septembre 2009 : « Dans le même temps où nous supprimons des emplois publics dans la fonction publique d'État, les collectivités locales recrutent 36 000 fonctionnaires supplémentaires tous les ans. Comment imaginer que ce système puisse continuer ? Moi, je vous le dis, il ne continuera pas. »
Les prétendues mutualisations de service sont donc des dispositifs cache-sexe dont la véritable finalité est bien la réduction de l'emploi public dans nos territoires. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) L'objectif est d'empêcher les collectivités territoriales de compenser le désengagement de l'État central et le délabrement organisé des services publics. En effet si les collectivités prenaient le relais de l'État rendu défaillant par les privatisations, les coupes budgétaires et les libéralisations à tous crins, le secteur marchand et les entreprises privées ne pourraient alors prospérer suffisamment. Il faut donc lier les mains des élus locaux.
Si l'article 34 bis Acrée des conventions de mutualisation de service entre collectivités territoriales et EPCI, l'article 35 bis, lui, institue un schéma d'organisation des compétences et de mutualisation des services de la région et des départements. La frénésie mutualisatrice de M. le rapporteur a encore frappé ! (Rires sur les bancs du groupe UMP.)
C'est dans ce type d'articles que le caractère technocratique et bureaucratique de cette réforme apparaît avec le plus d'éclat. Je ne résiste pas au plaisir de vous citer le rapport : « Cette organisation pragmatique – qualificatif que vous aimez bien, monsieur le rapporteur –…
Mais le pragmatisme ne permet pas beaucoup d'innover.
Je reprends : « Cette organisation pragmatique permettrait de tirer pleinement profit des synergies institutionnelles créées entre les départements et les régions grâce à la mise en place, en 2014, des conseillers territoriaux. ». Ainsi, ces schémas seront les bras armés de la fusion programmée des départements et des régions, les uns s'évaporant dans les autres par le truchement des conseillers territoriaux et la mise en commun des services.
Constatons une fois de plus les contradictions dans lesquelles s'empêtre ce texte qui prévoit une séparation radicale des compétences des départements et des régions, mais qui, dans le même temps, les dote d'un élu unique et de services totalement mutualisés. En effet le funeste article 35 est rétabli dans sa rédaction issue de la première lecture à l'Assemblée.
Il signe la fin de la clause de compétence générale des départements et des régions, clause qui est le pivot de notre république décentralisée. Alors que les sénateurs avaient retenu le principe d'une loi future permettant, éventuellement,…
Les sénateurs ont l'éternité devant eux ! (Sourires.)
…les consultations et les ajustements nécessaires, le rapporteur et le Gouvernement en reviennent à la rédaction qui met fin à l'organisation de l'action publique locale telle qu'elle existe dans notre pays depuis des années avec d'excellents résultats.
De plus, l'article 35 incite régions et départements à passer des conventions de compétences. Cette mutualisation déguisée est un assaut de plus en direction de la fusion des départements et des régions. Les associations de terrain et les acteurs de la vie locale sont très mobilisés contre ce nouveau saucissonnage des compétences. Ils ne comprennent pas que, en dépit de la situation d'urgence qui découle mécaniquement de la crise, la droite choisisse de lier les mains des collectivités aussi bien sur le plan financier qu'institutionnel. Ils réclament au contraire une action conjointe et encore plus nourrie des collectivités territoriales, notamment pour continuer à compenser les incuries de l'État-Sarkozy, dépecé par la RGPP.
À ce titre, je tiens à rappeler que nos collègues sénateurs, en seconde lecture, avaient adopté un amendement déposé par le groupe communiste, et qui proclamait que « la compétence générale est un principe fondateur de la libre administration des collectivités territoriales ». Le Gouvernement, par la voix du secrétaire d'État Alain Marleix, a réclamé à corps et à cris la suppression de cette mention en seconde délibération, faisant par là une démonstration limpide que son projet de réforme est dirigé tout à la fois contre la clause de compétence générale et contre la libre administration des collectivités territoriales.
Quant à nous, nous avons déposé plus d'une dizaine d'amendements pour élargir le champ des compétences qui demeureront partagées. Ce sont en effet les députés communistes qui, en première lecture, avaient obtenu que le tourisme demeure une compétence partagée. Cette revendication émanait de tous les bancs et de tous les territoires, ce qui prouve l'utilité et l'importance de la clause de compétence générale. Or ces amendements validées en première lecture ont été retoqués : pourquoi le couperet de l'article 40 est-il tombé en seconde lecture et pas en première, alors qu'il s'agit des mêmes amendements, à la virgule près ? Son application se ferait-elle à géométrie variable, en fonction des circonstances politiques ? Décidemment, la première des mesures qui revaloriserait réellement le rôle du Parlement serait la suppression de l'article 40 de la Constitution.
Je rappelle que les députés communistes, républicains et du parti de gauche avaient proposé d'ajouter, parmi les compétences partagées, en plus du tourisme, de la culture et du sport, les compétences en matière d'action sociale et sanitaire, d'aménagement du territoire et d'équipements locaux, de jeunesse, de traitement des déchets, d'eau et d'assainissement, d'enseignement, d'environnement, de formation professionnelle et d'apprentissage, de logement et d'habitat, de transports. Vous le voyez, les chantiers sont multiples, et ce sont les élus locaux, et les autres acteurs des territoires dans ces différents domaines, qui nous demandent instamment de maintenir la possibilité d'une intervention partagée !
Un tel maintien est d'autant plus important que tout un pan de cette réforme est consacré au démantèlement des syndicats mixtes et des syndicats de communes, ces structures d'intercommunalité souples qui permettent à tant de communes de maintenir un haut niveau de service public, entre autres pour la collecte et le traitement des déchets, pour l'eau et l'assainissement, pour les transports scolaires. Ces outils de proximité sont pourtant très utilisés par les communes : depuis 1999, alors que nous étions déjà dans le renforcement des intercommunalités à travers la loi Chevènement, le nombre de syndicats mixtes a plus que doublé, passant de 1 454 à 3 161, ce qui montre leur utilité.
En fait la limitation drastique de ces outils répond à un objectif bien précis de votre part : libérer des parts de marché pour les grandes entreprises privées dans les domaines de la collecte et de l'assainissement. Je ne citerai pas de noms, vous les connaissez ! Peut-être sont-ce vos amis ? Empêcher la création de syndicats, c'est mécaniquement permettre la marchandisation, c'est-à-dire le remplacement pur et simple de la gestion publique et municipalisée par la gestion privée, marchande et lucrative.
Votre texte de loi ne se contente pas d'interdire une action transversale des communes, des départements et des régions : l'article 35 ter introduit l'obligation pour la collectivité territoriale maître d'ouvrage d'un projet d'assurer une participation financière minimale.
Là encore, le Gouvernement récite son credo néolibéral : toutes les communes, y compris les plus petits villages, devront fournir au minimum 20 % des financements des projets, même d'importance départementale ou régionale.
Comme maintenant !
Autant dire qu'elles ne pourront plus lancer le moindre projet d'envergure.
Cette volonté de mettre fin à l'autonomie financière de nos communes et de raboter le volume de leurs investissements apparaît avec clarté aux élus locaux, ainsi que le mépris dans lequel vous les tenez. Vous les considérez comme des gaspilleurs – vous ne cessez de le dire – et des irresponsables. Nous les considérons comme des hussards de la République.
Les Français, d'ailleurs, ne s'y trompent pas, qui désignent le maire comme leur élu préféré. Ils plébiscitent le maire, cette proximité que vous combattez à toute force en créant les communes nouvelles et en dépossédant les communes de leur autonomie fiscale.
En séparant radicalement les compétences des départements et des régions, vous limitez leurs domaines d'intervention. En interdisant tout cumul de financement des départements et des régions en direction des communes de plus de 3 500 habitants – article 35 quater –, vous amputez leurs marges financières.
Ce projet de loi, tel qu'il est actuellement rédigé, met en place un véritable arsenal contre l'investissement et l'action des collectivités territoriales.
Les sénateurs ne s'y sont pas trompés : ils ont voté unanimement la suppression de tous les articles que je viens de mentionner. Si M. le rapporteur et la commission des lois les ont réintroduits, faisant montre d'un mépris total à l'endroit du travail des sénateurs, nous demandons à nouveau leur suppression.
J'ai donc voulu démontrer que ce texte est une litanie de mesures destinées à réduire la voilure de l'action publique et à substituer des prestations marchandes aux services publics dans tous nos territoires.
C'est un texte qui répond, lui aussi, aux demandes du MEDEF. C'est un texte qui ne confirme pas la décentralisation mais qui confirme la marchandisation. C'est une réforme qui est finalement dans le droit fil de celle des retraites : une réforme néolibérale qui veut faire payer les plus modestes en les privant de l'action publique.
Vous l'avez compris, nous voterons contre ce texte, et nous continuerons d'expliquer à nos concitoyens, sur le terrain, le mauvais coup que ce gouvernement et sa majorité sont en train de leur faire.
Les députés communistes, républicains et du Parti de gauche, comme les élus de nos territoires, le disent depuis le début de l'examen de ce texte : halte au massacre de nos collectivités !
Dans les explications de vote sur la motion de renvoi en commission, la parole est à M. François de Rugy, pour le groupe GDR.
Je ne serai pas très long, monsieur le président, et comme l'un des groupes de l'opposition n'est pas représenté dans l'hémicycle, nous n'allons pas prendre de retard, au contraire.
Évidemment, j'exprime notre soutien à cette motion de renvoi en commission. Il faudrait même appliquer un renvoi en commission ferme et définitif à ce texte !
En effet, nous constatons qu'il n'est pas mûr, qu'il n'est pas prêt, qu'il n'a jamais été bien ficelé. Plus nous avançons et plus les objectifs fixés au départ empirent.
Notre collègue Jean-Paul Lecoq a bien défendu cette motion, même si chacun – y compris dans notre groupe – a sa sensibilité sur la démocratie locale et la décentralisation. Il parle d'expérience, en tant qu'élu local de longue date. Nos expériences, quelle que soit notre appartenance politique, sont utiles pour aborder ce texte.
Nous, écologistes, avons toujours été de fervents partisans de la décentralisation, parce que nous pensons que c'est un élément de démocratisation.
Quand on rapproche les citoyens du lieu de décision, qu'on clarifie les responsabilités, on démocratise notre pays. Or avec ce texte, nous assistons à une recentralisation et Jean-Paul Lecoq a eu raison d'utiliser le terme de « préfectoralisation ».
Monsieur le ministre de l'intérieur, je sais que vous vous targuez d'appartenir à la préfectorale – et c'est très honorable –, mais il ne faut pas confondre les rôles : ce n'est pas aux préfets de gérer les collectivités locales ; ce serait un gigantesque retour en arrière. En vertu de ce que j'appelle « la doctrine Guéant », on veut donner de plus en plus de pouvoir aux préfets. Je ne crois pas du tout que ce soit un signe de progrès pour notre pays.
Alors qu'il était question de simplifier, on constate que l'on ne cesse de complexifier au fil de la discussion, y compris en ajoutant un échelon – la métropole – aux contours et aux compétences assez flous.
Alors qu'il était question de clarifier, on créé des processus extrêmement compliqués comme l'intercommunalité dont a parlé Jean-Paul Lecoq. Il s'agit là d'un vrai sujet et je précise que nous sommes pour le renforcement de l'intercommunalité.
On affaiblit la région – ce qui paraît absurde – puisque vous êtes revenus à cette idée complètement folle de leur enlever la clause de compétence générale.
Pour finir, venons-en à la mesure phare, le fameux conseiller territorial !
À ce sujet, un peu comme lors du débat précédent sur les retraites, vous ne voulez rien entendre. Depuis le début, vous refusez de négocier, vous accrochant à votre idée : le conseiller territorial est la mesure, la solution miracle ; son mode d'élection doit être le scrutin majoritaire à deux tours, imposé par M. Copé et le groupe UMP de l'Assemblée nationale.
Vous n'avez pas écouté les associations d'élus locaux qui avaient mis en garde contre cette mesure qui est une régression. Vous n'avez pas écouté l'opposition, ce qui ne nous étonne plus depuis trois ans. Vous n'avez pas écouté la majorité sénatoriale – ce qui est plus étonnant – et l'un des ministres auxquels je m'adresse ici est pourtant un ancien président de groupe du Sénat. Vous n'avez pas écouté vos alliés centristes de l'Assemblée nationale dont j'ignore s'ils vont s'exprimer, mais j'espère qu'ils vont le faire et avec force.
Pour le conseiller territorial, nous étions tout à fait favorables à un mode de scrutin envisagé par un élu centriste du Sénat. Voyez que nous sommes ouverts à la discussion.
Vous n'avez pas écouté non plus la délégation au droit des femmes. Vous aurez beau expliquer tout ce que vous voudrez, vous savez très bien que le conseiller territorial représente un recul pour la démocratie, pour la diversité politique de nos assemblées territoriales, pour la parité et l'égalité hommes-femmes. Alors que la parité est quasi parfaite dans les conseils régionaux à l'heure actuelle, elle va être complètement bradée lors de l'avènement de ce conseiller territorial.
Cela me fait penser à un jeu qui amuse les enfants : « Jacques a dit ». Dans le cas présent, Nicolas Sarkozy a dit « il faut lever la main pour le conseiller territorial », alors les membres du groupe UMP vont lever la main !
Je trouve ce jeu drôle quand j'y joue avec ma fille de six ans et demi. À l'Assemblée nationale, quand on parle de l'avenir politique de nos collectivités locales, je ne le trouve plus drôle du tout. C'est pourquoi je vous invite à voter pour ce renvoi en commission, afin d'enterrer définitivement ce projet qui est à revoir complètement.
M. de Rugy vient de me donner une introduction. En effet il ressort de sa conclusion qu'il ne sert à rien de renvoyer ce texte en commission puisque, de toute façon, son groupe votera contre.
Je m'appuie également sur la conclusion de M. Lecoq selon lequel ce projet de loi est un massacre.
À ce moment-là, revenons aux fondamentaux : pourquoi renvoie-t-on un texte en commission ? Afin d'approfondir, de retravailler, d'amender au bon sens du terme…
… et de parvenir à un consensus. Dans la position où vous êtes, je crois que c'est impossible.
De plus vous avez démontré, depuis quelques jours, notamment cet après-midi, votre capacité et votre volonté non pas d'amender mais de faire de l'obstruction. Pour quoi faire ? J'aimerais voir où est l'intérêt de l'électeur et du concitoyen.
Cette attitude n'a pas beaucoup de sens. Je ne vois donc pas l'intérêt d'un renvoi en commission.
De toute façon, lorsqu'un texte est renvoyé, personne ne participe aux nouveaux examens. Un collègue me citait l'exemple de la commission sur le plan de relance où personne n'est venu. D'ailleurs, il n'y a aucun député de la gauche dans cet hémicycle. (Vives Protestations sur les bancs du groupe GDR.)
Nous, nous ne disons jamais que le Nouveau Centre c'est l'UMP ! Ayez autant de respect !
Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je partage l'appréciation de mon collègue Claude Leteurtre et je ne vois pas bien, à ce stade de la procédure, au moment où nous commençons la deuxième lecture, l'utilité de renvoyer le texte en commission.
La commission en a déjà longuement discuté.
Sans revenir sur tous les arguments avancés par M. Lecoq, j'insisterai sur deux points.
Sur le fait que l'existence d'un débat entre l'Assemblée et le Sénat justifierait que nous repassions en commission, je pense que ce débat avec le Sénat est non seulement naturel mais également sain. Si nos institutions prévoient deux chambres, si notre procédure parlementaire prévoit deux lectures avec les navettes correspondantes et l'intervention d'une commission mixte paritaire si les deux assemblées ne sont pas d'accord à la fin de la deuxième lecture,…
… c'est bien parce que le débat est légitime ; il est tout à fait normal qu'il se développe.
La démocratie est vivante ; elle suppose des appréciations différentes, en particulier sur un sujet aussi important que les institutions territoriales. Par conséquent, rien ne justifie que le texte repasse devant la commission.
Pour terminer, je reviendrai en quelques mots sur les enjeux de cette réforme qui, à vous entendre, seraient à la fois politiques – faire triompher une forme d'ailleurs mal définie de néolibéralisme – et financiers : tordre le cou financièrement aux collectivités territoriales.
Soyons clairs : que les collectivités territoriales doivent consentir un effort de maîtrise de leurs dépenses, comme le fait l'État, c'est une évidence. Que ce soit l'objectif principal de cette réforme, en aucun cas.
Que voulons-nous ? Que les communes, en se mettant ensemble, puissent faire ce qu'elles ne peuvent pas faire isolément. C'est donc un encouragement à l'intercommunalité. Nous voulons que les régions et les départements qui trop souvent s'ignorent superbement aujourd'hui, travaillent en étroite coordination demain, d'où la création du conseiller territorial. Nous voulons surtout tenir compte de la diversité des territoires. Gère-t-on de la même manière un espace rural et une grande ville avec son agglomération ? Sûrement pas !
La création des métropoles prend en compte cette nécessité. Tout en étant un élu rural, je reconnais que les grandes agglomérations rencontrent des difficultés particulières : problèmes sociaux, de logement, de transport. Les institutions doivent être adaptées en conséquence.
Pour toutes ces raisons et parce que, fondamentalement, nous voulons donner un nouveau souffle à la démocratie locale et mieux prendre en compte les besoins des populations, le groupe UMP repoussera cette motion. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP.)
(La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n'est pas adoptée.)
Dans la discussion générale, la parole est à M. Michel Piron, premier orateur inscrit.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, permettez-moi d'abord de formuler des souhaits de prompt rétablissement – au propre comme au figuré – à l'intention de M. Marleix avec lequel nous avons eu l'occasion d'échanger lors de la première lecture.
Venons-en au texte.
Dans ses grands principes, cette réforme des collectivités vise à améliorer l'articulation entre régions et départements d'une part, intercommunalités et communes d'autre part. Cela étant, à l'issue de la deuxième lecture au Sénat, cinquante-cinq articles restent en discussion, quarante-trois ayant été votés conformes.
Les divergences portent essentiellement sur le mode d'élection du conseiller territorial, sur le nombre et la répartition de ces conseillers territoriaux, sur les métropoles, sur les communes nouvelles et – ce qui est peut-être plus important encore – sur la clarification des compétences des collectivités et la limitation des financements croisés.
Au titre Ier, portant sur la rénovation de l'exercice de la démocratie locale, la création d'une nouvelle catégorie d'élu – le conseiller territorial – a non seulement retenu l'attention, mais également mobilisé beaucoup de temps lors de l'examen du texte en première lecture. La commission des lois a rétabli, sur proposition du Gouvernement, le fait que les conseillers territoriaux seraient élus au scrutin uninominal majoritaire à deux tours pour six ans avec, sur proposition du rapporteur, maintien au second tour des seuls candidats ayant obtenu au moins 12,5 % des suffrages des électeurs inscrits.
Par ailleurs, un amendement du Gouvernement a été adopté, qui modifie, pour six régions, le tableau de répartition des conseillers territoriaux par département et par région, de telle sorte qu'il y aurait, au final, 3 482 conseillers territoriaux.
Qu'est-on en droit d'attendre de ces conseillers territoriaux, craints par certains et attendus avec ô combien d'impatience par d'autres ? D'abord, puisqu'ils siégeront à la fois au conseil général et au conseil régional, qu'ils organisent d'autres modes de relations entre les régions et les départements. Ensuite, et surtout, qu'ils apportent de la complémentarité là où il y a encore trop de concurrence entre ces deux niveaux, et de la cohérence là où subsistent beaucoup de redondances et de surcoûts entre les deux. C'est d'ailleurs la justification première de la création de ce nouveau mandat.
Le Sénat avait souhaité aborder, dans ce texte, la question du cumul des mandats mais, je le dis tout de go, ce serait une curieuse manière d'aborder un sujet aussi vaste et aussi délicat au détour d'un amendement dans un texte où il n'a pas sa place. Nous aurons l'occasion d'en rediscuter.
Le système du « fléchage » retenu à l'article 3, qui institue des règles pour encadrer la composition des conseils communautaires, recueille toute notre approbation. La possibilité donnée aux communes n'ayant qu'un délégué de désigner un délégué suppléant est tout sauf négligeable car celle donne à ces dernières l'assurance d'être représentée.
La difficile question de la création de « métropoles », prévue aux articles 5 et 6 du titre II, relatif à l'adaptation des structures à la diversité des territoires, méritera un débat. Cependant, à titre de prolégomènes à celui-ci, je me permets de faire remarquer, relayant à n'en pas douter l'avis de notre excellent rapporteur, qu'il serait incompréhensible que la réforme territoriale que nous allons voter aboutisse à un recul par rapport à la situation actuelle. N'allons pas en arrière alors qu'on nous invite à progresser et à instituer une meilleure organisation territoriale. Nous devrions tous nous accorder sur ce principe de base.
L'instauration de « pôles métropolitains » soulève également des questions. Nous aurons également à en débattre.
Quant au nouveau dispositif de fusion de communes proposé aux articles 8 à 11 bis, le principe doit absolument en être maintenu : il faut en effet faciliter ces fusions et non les empêcher. La commission des lois est revenue à la version qu'elle avait adoptée en première lecture. Je suis en total accord avec notre excellent rapporteur, chez qui je n'ai perçu, monsieur Lecoq, aucune trace de frénésie, même pragmatique. La position qu'il a défendue m'est apparue, au contraire, empreinte d'une grande sagesse.
Les articles 14 à 34 bis, du titre III, relatif au développement et à la simplification de l'intercommunalité, prévoient de conforter l'acquis de celle-ci. De ce point de vue, la date retenue pour l'achèvement du schéma départemental de coopération intercommunale, que les préfets seront chargés d'élaborer, revient finalement à demander au Gouvernement d'aller un peu plus vite et au Sénat d'aller un peu moins vite : elle représente une position médiane qui me semble, là encore, pleine de sagesse.
Concernant les relations entre intercommunalité et communes, il me paraît bon de rappeler, après l'exposé de M. Lecoq, que, dans le paysage original et contrasté de nos 36 700 communes, nombreuses sont celles qui ont l'exercice de la proximité sans en avoir les moyens. Pour les 60 % de nos communes qui ont moins de 500 habitants, les moyens de la proximité sont à trouver au niveau de l'intercommunalité. Donc, plutôt que de défendre une proximité sans moyens, donnons-nous les moyens de la proximité avec l'intercommunalité. Là est la bonne articulation, et non dans la défense passéiste et nostalgique de la France de Jules Méline. Il y a là un enjeu majeur, que ce texte nous rappelle fort utilement.
L'article 35, au titre IV, relatif à la clarification des compétences des collectivités territoriales, prévoit une meilleure répartition de celles-ci entre les régions et les départements. Nos amis du groupe GDR n'ont pas dû lire le même texte car il n'est nullement question d'enlever la compétence générale au bloc local. Les compétences exclusives ne concernent que les départements et les régions. Il est même prévu que, à titre exceptionnel, l'exercice d'une compétence puisse être partagé entre plusieurs collectivités territoriale : une collectivité chef de file peut alors être désignée, soit par la loi, soit par les collectivités intéressées.
Un autre article permet, après l'élection des conseillers territoriaux, l'élaboration, dans les six mois et sur la base d'un consensus à élaborer entre les élus territoriaux – c'est une marque de respect à leur égard – d'un schéma précisant les responsabilités respectives des régions et des départements. Je préfère, comme le propose la loi, faire le pari de la vertu plutôt que de poser a priori l'impossibilité pour les responsables territoriaux d'arriver à un accord. Après tout, cet article est un hommage rendu à leur esprit de responsabilité et non, comme je l'ai entendu, la négation des compétences des collectivités.
Je ne parlerai pas, dans ce propos liminaire, des conditions de financement et des minima de participation. Nous aurons l'occasion de les évoquer ultérieurement.
Un amendement à l'article 36 D au titre V, relatif aux dispositions finales et transitoires, fournit une réponse à la question de la parité hommesfemmes, par le biais d'une modulation de l'aide publique en fonction du respect de celle-ci.
En conclusion, la réforme qui nous est proposée, mes chers collègues, est une étape. Elle n'est pas définitive. D'ailleurs, qui aurait la prétention de proposer une réforme définitive dans un monde en pleine évolution ? Elle sera certainement suivie de beaucoup d'autres.
L'étape qui nous est proposée prend appui sur les deux piliers que sont, d'une part, les régions et les départements, d'autre part, l'intercommunalité et les communes, pour nous inviter, et nous inciter, à une plus grande mutualisation. Dans le contexte financier général auquel nous sommes confrontés, comme tous les pays qui nous entourent, cela s'appelle tout simplement être responsable.
Comme j'ai déjà eu l'occasion de le souligner, avec cette étape nous sommes encore au milieu du gué, c'est-à-dire entre centralisation et décentralisation. Je m'en suis rendu compte quand ont été évoquées tout à l'heure les questions de logement.
Je fais partie de ceux qui pensent que, dans le monde en plein bouleversement qu'est le nôtre, et notre pays étant ce qu'il est, pour paraphraser un homme célèbre, c'est-à-dire en proie parfois aux divisions, il nous faudra un jour choisir entre un système centralisé et un système décentralisé, c'est-à-dire choisir la rive sur laquelle nous souhaitons aborder. Ce sera le défi des prochaines années. Pour le moment, si nous arrivons déjà à franchir l'étape qui nous est proposée, nous n'aurons pas perdu notre temps. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Permettez-moi, tout d'abord, d'ouvrir une parenthèse et de revenir sur le grave événement de ce matin, qui constitue un véritable déni de la démocratie, indigne d'une République démocratique. Appartenir à la majorité ne veut pas dire détenir le pouvoir absolu ni choisir ses propres règles.
L'opposition, elle, a respecté le règlement. Quand, à deux heures trente du matin, en raison de l'épuisement du temps imparti au groupe GDR, notre collègue André Chassaigne s'est vu couper la parole, il a accepté la sentence sans rechigner.
Le règlement de l'Assemblée prévoit que chaque député dispose du droit d'expliquer durant cinq minutes le sens de son vote. Or, ce matin, j'ai personnellement été privé de ce droit sur la réforme portant sur les retraites.
Je souhaitais rappeler ce grave manquement à la démocratie avant de commencer mon intervention sur le projet de loi de réforme des collectivités territoriales, auquel je viens maintenant.
Je n'irai pas jusqu'à dire que je suis content d'être ici. J'ai trop souvent l'agaçante sensation de parler face à un mur.
Le texte sur les collectivités territoriales ne cesse de circuler entre les deux chambres et est critiqué par de nombreux parlementaires. Il revient aujourd'hui devant notre assemblée, au point de bientôt épuiser tout le parcours législatif. La commission des lois et son rapporteur n'en restent pas moins « droits dans leurs bottes », ce qui démontre, une nouvelle fois, l'arrogance de la majorité parlementaire, pour qui le dialogue et la négociation sont des artifices et les seules bonnes solutions les siennes.
Je vais cependant vous demander d'être attentifs à mes arguments, messieurs les ministres, et de tenir compte des amendements que nous défendrons, car nous souhaitons que la réforme des collectivités territoriales soit la moins injuste possible.
Les sénateurs ont largement contesté le texte. En leur qualité d'élus locaux, ils sont bien placés pour relever les risques qu'il comporte. Le message qu'ils nous ont, par deux fois, transmis est sans équivoque : le projet de loi va à l'encontre à la fois du maillage communal de notre pays, de l'autonomie institutionnelle et fiscale de nos collectivités territoriales et du principe de libre administration. Les sénateurs ont rejeté de nombreuses dispositions prévues dans le texte initial. L'opinion publique, très attachée aux collectivités locales, les ont également rejetées.
Pourtant, comme dans le « débat » sur les retraites – permettez-moi de rabâcher un peu – la majorité parlementaire fait la sourde oreille. Encore une fois, la droite cherche à imposer sa vision de la société.
En dépit des dangers qu'elle représente, vous cédez à la tentation de la fusion. La réorganisation des collectivités n'a d'autre but que de diminuer le nombre d'élus, de limiter la compétence générale des communes et de regrouper les collectivités dans des structures uniformes.
Ce projet de loi matérialise finalement l'application – cela a déjà été souligné à plusieurs reprises, ici et au Sénat – de la révision générale des politiques publiques, et tant pis si cela va jusqu'à l'absurde, tant pis si l'État se décharge de nombre de services de proximité.
Défendre ce projet de loi, c'est enfoncer un peu plus encore la tête sous l'eau des Français et des Françaises, de ceux et celles qui, au contraire, ont le plus besoin de mains tendues, le plus besoin de services publics. Ce rôle est tenu, et doit continuer d'être tenu, par les collectivités locales. Dans ma circonscription, en Seine-Saint-Denis, ces dernières assurent une présence quotidienne. Le lien entre le territoire et la population ne doit pas être rompu. Pourtant, avec la concentration de collectivités que met en place ce projet de loi, j'ai bien peur que le sort des citoyens passe une nouvelle fois au second plan.
Par ailleurs, ce projet de loi me semble dangereux. Il offre en effet aux préfets une trop importante compétence en matière territoriale. Les préfets ont été créés par Napoléon Bonaparte – ne voyez aucune malice dans ce rappel – afin d'être ses yeux et ses oreilles au sein des départements qui venaient d'être formés. De fait, ils seront désormais la tête, les jambes et les bras. Ils auront le pouvoir de fusionner des EPCI entre elles selon leur bon plaisir ou, plutôt, selon celui d'en haut, et c'est là que le bât blesse.
Si je suis convaincu que les petites communes gagneraient à se regrouper, je refuse que cela leur soit imposé. Ce n'est pas au seul représentant de l'État de décider si une commune appartiendra à tel ou tel établissement public de coopération intercommunale. Je ne suis pas surpris que ce genre de mesures figure dans ce projet de loi : ce texte est à l'image de tous les autres. Noyer de force les communes dans de grosses structures fera brutalement disparaître ces petits services de proximité tant appréciés par la frange la plus modeste de la population française.
Le fond de la mesure ne me paraît pas ridicule, mais la forme l'est tant que je ne peux la soutenir. Il serait plus judicieux, me semble-t-il, d'inscrire dans le texte que les communes ont l'obligation de rejoindre un EPCI, mais que le choix de l'établissement public qui les accueillera doit être de leur fait, et uniquement de leur fait. Cette solution permettrait aux communes et à leurs habitants de faire ce passage en douceur.
De même, le département est l'échelon de l'action sanitaire et sociale par excellence. Sa disparition programmée illustre bien la politique du Gouvernement. Les nouvelles collectivités territoriales seront complètement asphyxiées du point de vue financier. En effet, avec la suppression de la taxe professionnelle, ce sont déjà 50 % de l'autonomie fiscale des collectivités qui disparaissent. Qu'en sera-t-il lorsque ces dernières centraliseront une liste de compétences très variées ? L'article 35, auquel je fais référence, consacre l'encadrement des financements des collectivités. Il consacre surtout l'inéluctable disparition de nombreuses bouées de sauvetage sociales, consécutive à la forte réduction des moyens qui leur sont alloués. Ce processus est déjà en marche dans certains départements.
Je vous invite, monsieur le ministre, à rencontrer, dans ma circonscription, les habitants de Saint-Denis, de Pierrefitte ou de Villetaneuse, même s'il est vrai qu'il n'est pas nécessaire de vous inviter pour que vous veniez.
J'y suis allé plusieurs fois, c'est vrai !
Vous n'y restez pas assez longtemps pour tout voir. Je vous invite donc à voir l'importance que revêtent, pour la plupart d'entre eux, tant l'échelon communal que l'échelon départemental. C'est là, c'est précisément là, que beaucoup sont aidés.
La décentralisation de 1982 entendait rapprocher les citoyens des lieux de décision et de mise en place des politiques publiques. La semaine dernière, François Fillon reprochait à la gauche d'être en retard sur l'histoire. Permettez-moi de retourner – sans animosité – la remarque à la droite.
Aucun problème de société ne peut-être géré à une seule échelle territoriale. Comment une collectivité territoriale unique pourrait-elle être sensible et compétente face à une société aussi diverse que celle de l'Île-de-France, par exemple ? Comment éviter, dans ce cas, que les métropoles ne soient pas créatrices – fût-ce involontairement – d'un développement inégalitaire et différencié des territoires ?
Les nouvelles collectivités ne peuvent que complexifier le quotidien de millions de Français. La bonne solution serait de mettre davantage de moyens dans la coopération entre les différents niveaux de collectivités. La vôtre est radicale et vise à détruire toutes les constructions que la gauche a mises en place, et cela sans aucun débat respectueux, sans consultation préalable : mais vous pensez sans doute détenir la vérité dans vos analyses.
Ni les élus locaux ni les Français ne souhaitent cette réforme. J'ai presque envie d'établir un parallèle avec l'ensemble de la politique que vous portez, politique particulièrement hostile aux femmes, par exemple : j'en veux pour preuve le « traitement de faveur » auquel elles ont eu droit dans le texte portant sur la réforme des retraites.
Quant au projet de loi qui nous occupe ici, il marque une véritable régression dans la recherche de l'égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités électives. L'Observatoire pour la parité, organisme dont on ne peut dire qu'il est au service de la gauche, encore moins des communistes ou de je ne sais qui, a estimé que, avec le mode de scrutin uninominal à deux tours que ce texte souhaite mettre en oeuvre, la part des femmes dans les institutions régionales devrait être ramenée de 47 % à 19 %.
Toutefois ce n'est pas seulement la parité que ce mode de scrutin ne garantit pas ; c'est aussi le pluralisme dans les assemblées élues. Il peut paraître simple, en théorie, de représenter à la fois le département et la région. Toutefois, en ramenant tout, systématiquement, à l'échelon supérieur, on fait courir un grand danger à la démocratie de proximité. Les élus de la Gauche démocrate et républicaine défendent la démocratisation des territoires et des collectivités. Ils souhaitent une vision égalitaire du développement local ainsi que le rapprochement entre les citoyens et leurs élus. En l'espèce, nous ne pouvons nous satisfaire de ce texte.
Il présente pourtant quelques avancées, que je souligne volontiers.
Président d'une communauté d'agglomération, je suis sensible à l'idée du fléchage des conseillers communautaires, qui redonnera une importance démocratique à ces entités dont l'action est encore fort peu reconnue par les Français. Le fait que les délégués communautaires seront répartis proportionnellement à la population de leurs communes dans les structures intercommunales ne me paraît pas non plus une mauvaise chose.
Ce volet sur la consécration de l'intercommunalité nous paraît acceptable, parce qu'il respecte une certaine idée de la démocratie et de la justice : je vous en donne acte sur ces deux aspects. Malheureusement ces principes n'inspirent pas le reste de votre texte. Nos critiques sont cohérentes. Celles des sénateurs l'étaient aussi. La priorité est donnée à de grandes métropoles capables de rivaliser dans tous les secteurs sur la sphère européenne.
Après l'adaptation sociale à l'économie, avec la réforme des retraites, voici donc l'adaptation administrative. L'économiste et député anglais David Ricardo, qui n'est pourtant pas celui qui a accordé le plus de place à la valeur travail, écrivait dans Des principes de l'économie politique et de l'impôt que toutes les aires géographiques proposent une spécificité qui leur permet de rentrer dans le jeu des échanges internationaux. Pourquoi donc forcer leur destin ?
Une fois de plus, la réponse à cette question se trouve peut-être dans votre volonté de généraliser à tout prix les principes de la révision générale des politiques publiques. Déjà appliquée à de nombreux secteurs, elle fait pourtant beaucoup de mal aux Français : qu'on songe à la justice et au manque cruel de personnel pour instruire les dossiers dans les délais ; qu'on songe à l'éducation, si essentielle pour l'avenir de nos enfants ; qu'on songe aussi à tout ce qui est lié à l'emploi, à la sécurité, dont les problèmes surgissent souvent en conséquence directe d'une mauvaise gestion des deux domaines précédemment cités ; et la liste pourrait s'allonger.
Ce texte revêt une importance symbolique : il enlèverait à nos concitoyens – à qui vous avez rendu la vie assez dure depuis quelque temps – leurs derniers services publics de proximité. Or ce sont souvent ceux qui sont les plus efficaces, ceux qui proposent encore un peu d'humanité. Les usagers du Pôle emploi, malheureusement nombreux dans ma ville, me parlent souvent d'une institution bien moins sensible, moins à l'écoute que l'ancienne ANPE, qui était pourtant déjà critiquable. Les agents de Pôle emploi avec lesquels j'ai pu discuter éprouvent la même nostalgie.
Pour conclure, permettez-moi d'établir un parallèle entre ce texte et l'actualité.
En une semaine, l'exécutif a provoqué le mécontentement de deux millions et demi de Français qui sont descendus dans la rue, celui d'un nombre au moins équivalent de personnes qui ne pouvaient déjà plus se permettre financièrement de rater une journée de travail, l'indignation des parlementaires qui se sentent de plus en plus muselés et une plainte du journal Le Monde pour violation du secret des sources. C'est beaucoup. Il serait grand temps de changer de méthode. Vous pourriez commencer par écouter ce que les élus locaux tels que moi ont à vous dire sur un texte qui les concerne directement.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la question qui se pose à nous est très simple : faut-il réformer les collectivités territoriales, au terme d'un processus de décentralisation dont nous voyons aujourd'hui toute la complexité ? Au Nouveau Centre, nous répondons par l'affirmative.
Nous étions nombreux, sur tous les bancs de l'hémicycle – même si, aujourd'hui, certains se font remarquer par leur absence, j'y reviendrai –, à considérer que nous devions tirer toutes les conséquences des lois de décentralisation et que nous devions en renforcer la lisibilité.
Chacun voit bien que les financements croisés sont devenus incompréhensibles pour les élus locaux, qui passent leur temps à faire de l'ingénierie financière. On demande souvent au président de conseil général que je suis d'accompagner les communes qui ne s'y retrouvent pas dans le maquis des aides. Il y a tout autant d'illisibilité pour nos concitoyens, qui se demandent qui intervient, qui fait quoi. Le système est à bout de souffle : il faut le moderniser et le réformer.
Cette complexité, c'est au quotidien qu'elle est vécue. Les conseils généraux s'occupent des collèges, les conseils généraux des lycées ; quand on veut restaurer un bâtiment, si les premiers ont décidé de renforcer leurs investissements et les seconds de marquer une pause en la matière, il est impossible de trouver une solution pour entreprendre des travaux. Je pourrais multiplier les exemples, en parlant des transports ou de la route. On le voit : la réforme s'impose.
À ce propos, j'ai trouvé irresponsable – je pèse mes mots – l'attitude d'un certain nombre d'élus de gauche qui, pendant toute cette période, au lieu d'apporter leur pierre à la réflexion, n'ont eu de cesse de jouer avec les peurs des élus locaux. Pendant la campagne pour les élections régionales, par exemple, ils leur ont dit qu'ils ne seraient plus financés, qu'on allait tout fermer, que ça allait être un « massacre » ; c'est le mot qui a été employé. Franchement, tout cela n'est pas sérieux. Dans les temps de crise que nous traversons, nous avons une exigence : nous assurer que la dépense publique aille bien à l'objectif que nous nous sommes fixé. De ce point de vue, nous devons parvenir à réaliser des économies. Quand les effectifs ont crû beaucoup plus que le coût des transferts, il faut évidemment que nous tâchions de rechercher des voies de performance. Ainsi, dans les régions et dans les départements, progressons ensemble sur les appels d'offres, essayons de moderniser tout cela et de simplifier.
Ce projet de loi ne nous est pas arrivé du jour au lendemain, par suite d'une réflexion du Gouvernement ou sur décision du Président de la République. Il est issu des travaux du comité Balladur, auxquels participa Dominique Perben. Chacun a salué son travail, mais, paradoxalement, dès qu'on est entré dans le vif du sujet, diverses personnes ont déclaré qu'elles ne voulaient plus de la réforme, comme si l'avenir d'un pays tel que le nôtre, avec ses 36 000 communes et toutes ses strates de décision, était dans l'immobilisme. Tel n'est pas le choix que nous avons fait au Nouveau Centre : nous avons au contraire décidé de nous consacrer avec ardeur à la réforme.
Je veux, à ce propos, dénoncer une situation assez paradoxale. Ce matin et cet après-midi, le parti socialiste nous réclamait de laisser 166 députés répéter la même chose, et voilà qu'ils ont déserté l'hémicycle où ils auraient pu parler d'un sujet qui intéresse toutes les communes et toutes les collectivités. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.) Je trouve cela complètement surréaliste.
Quand on est dans l'opposition, quand on veut faire vivre la démocratie, on vient dans son temple, on ne s'inscrit pas aux abonnés absents ! Quant à moi, je le répéterai partout, dans toutes les collectivités : nous, nous apportons notre pierre à l'édifice. J'aurais aimé que, dans cette deuxième lecture importante, décisive, l'opposition, le parti socialiste en particulier, apporte sa contribution, mais il a préféré la manipulation. Un tel comportement est indigne d'une opposition qui entend, un jour, incarner l'alternance.
Pas tout de suite !
Je le dis comme je le pense, en tant que membre de la représentation nationale et président du groupe Nouveau Centre. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)
J'ai déjà indiqué que la majorité devait le respect à l'opposition, mais l'opposition le doit également à la majorité. C'est ainsi qu'une démocratie fonctionne sereinement.
Revenons-en à la réforme.
Nous sommes pour la création du conseiller territorial. À cet égard, nos idées n'ont pas changé. À l'UDF, déjà, nous avions la volonté de rapprocher départements et régions, et nous avions porté cette réforme avec beaucoup de conviction. Vous la portez, monsieur le ministre de l'intérieur, avec autant de conviction, aux côtés d'un fervent décentralisateur, M. Michel Mercier : heureuse rencontre ! (Rires et exclamations sur les bancs des groupes NC et UMP.)
C'est vrai !
Elle est, je le souhaite, pleine de promesses. C'est d'ailleurs avec espérance et délectation que je vous ai entendu, monsieur le ministre de l'intérieur, dire que vous vous placiez sous le signe de l'ouverture à l'ensemble de la majorité.
Abordons donc les sujets qui ont fait débat entre nous, telle la question du mode de scrutin.
Vous le savez, mon groupe est favorable à une dose de proportionnelle. C'était d'ailleurs la proposition initiale du Gouvernement, mais nos collègues du groupe UMP nous ont opposé une fin de non-recevoir. Je le regrette d'autant plus que les questions qui ont été soulevées au moment du débat ont porté sur la parité. Or on sait bien que la proportionnelle est une garantie de représentation des femmes, de même qu'elle est une garantie de l'expression de certains mouvements de pensée.
J'ai pris acte de votre volonté, monsieur le ministre de l'intérieur, monsieur le ministre de l'aménagement du territoire, et celle de M. Marleix, d'avancer sur ce sujet en renforçant les sanctions à l'encontre des partis politiques qui ne joueraient pas le jeu de la parité. Je salue l'effort, car on s'encourage toujours les uns les autres à devenir meilleurs, c'est ainsi que l'on progresse. (Rires sur les bancs du groupe NC.) En même temps, je doute que cette réponse soit à la hauteur des enjeux. Compte tenu de l'importance de la réforme, j'espère que ce débat pourra intervenir dans des échéances qui se rapprochent, mais qui sont encore lointaines, puisque nous sommes dans le temps de l'action.
J'ai d'ailleurs observé que le Sénat avait successivement déploré le mode de scrutin proposé par le Gouvernement, puis repoussé le mode de scrutin uninominal à deux tours. Donc, finalement, balle au centre, si je puis dire, et nous reverrons ces questions le moment venu, dans un projet politique à présenter au pays. Une vision moderne du fonctionnement d'une démocratie suppose cependant, à mon avis, l'introduction d'une dose de proportionnelle. Je défends cette idée, et je salue le fait que le Président de la République ait aussi lui-même défendu cette position. Elle n'a pas été retenue par l'UMP ; dont acte. (Sourires sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le ministre, il faudrait, en tenant compte de la position de l'UMP, avancer sur deux ou trois sujets qui nous tiennent à coeur. Nous ferons notamment des propositions en termes de parité et de pluralisme pour équilibrer tout cela, notamment pour les communes pour lesquelles il serait permis de faire évoluer le mode de scrutin. Il s'agirait de faire adopter, pour les communes de 2 000 habitants, le mode de scrutin retenu pour les communes de plus de 3 500 habitants.
J'en ai parlé avec le président de l'Association des maires de France, l'AMF, qui souhaiterait même abaisser le seuil de 2 000 à 500 habitants. Cela permettrait de faire progresser la démocratie locale sur le thème, qui nous est cher, de la parité, renvoyant à demain une réflexion qui n'a pu aboutir faute d'une convergence entre le Sénat et l'Assemblée nationale, entre les groupes de la majorité. Ce serait un signal fort en faveur de la parité.
C'est donc, vous le voyez, un esprit d'ouverture partagé que, saisissant la main que vous nous avez tendue, j'affiche au nom du groupe Nouveau Centre.
Nous devrons revoir le sujet des compétences, sur lequel il faudra vraiment avancer. Cela étant, la disposition de la loi renvoyant à une discussion au sein des conseils généraux et des conseils régionaux futurs, avec des conseillers territoriaux élus, permettra aussi de jouer la carte de l'expérimentation à laquelle, vous le savez, nous sommes attachés en matière de démocratie locale. On essaie, on regarde si cela fonctionne, on généralise ; c'est comme cela que l'on fait respirer les territoires, que l'on fait respirer la démocratie. Je pense donc que cela va dans le bon sens.
La possibilité offerte aux communes de moins de 3 500 habitants et aux agglomérations de moins de 50 000 habitants de pouvoir continuer à apporter des financements croisés est judicieuse.
C'est vraiment un combat que Philippe Vigier, Claude Leteurtre et moi-même, qui suis l'élu de 706 communes de mon département, avons mené.
Cela est important parce que, nonobstant vos encouragements à la coopération intercommunale – nécessité absolue : il faut faire ensemble ce que l'on n'arrive plus à faire seul pour réaliser des économies d'échelle –, même le regroupement intercommunal ne peut constituer une réponse suffisante sans la solidarité régionale et départementale, sans la solidarité de l'État. Vous l'avez bien constaté, monsieur le ministre, dans cette grande région que vous aimez et que vous portez.
Je suis moi-même président d'une communauté de communes et je peux vous dire que, même si nous regroupons trois communautés de communes d'un territoire rural, pour atteindre une population de 12 000 ou 15 000 habitants, cela ne nous donnera pas plus de moyens pour l'enfance, les services à la personne, etc. Nous avons besoin de la solidarité départementale, de la solidarité régionale.
Je me réjouis que la solution adoptée par la commission des lois retienne la belle proposition d'une aide à nos communes rurales. Disons-le, mes chers amis, à tous ceux qui s'inquiètent – je compte beaucoup, à cet égard, sur le relais des institutions qui nous représentent, comme l'AMF –, rassurons les communes rurales : même après 2014, elles continueront d'être accompagnées. À cet égard c'est la voix de la sagesse qui s'est exprimée, même s'il faudra que nous puissions, à la lumière des expérimentations, avancer dans la définition de blocs de compétences.
Je vous fais une proposition nouvelle, monsieur le ministre : essayons de travailler tous ensemble pour bien montrer que nous sommes dans une évaluation. Créons non une commission de plus, pour renvoyer le problème, mais une instance parlementaire chargée de suivre, avec les collectivités territoriales, les expérimentations conduites, de les évaluer, de formuler des propositions. Cette création d'une sorte de comité de suivi permettant l'évaluation de l'expérimentation et habilité à proposer des mesures à la fois au Gouvernement et au Parlement, en y associant les collectivités territoriales, participerait d'une bonne façon de faire de la politique. Ce serait, à mon avis, un signal adressé à tous ceux qui se voulaient plus maximalistes sur la définition des compétences, comme à ceux qui s'interrogeaient sur la définition des compétences donnée aujourd'hui ; cela leur montrerait que nous voulons être pragmatiques.
Monsieur le président Sauvadet, puis-je vous interrompre une minute pour vous demander…
Non, pas du tout. Vous avez le temps que vous voulez. Simplement, j'ai promis à Mme Bello, qui me l'a demandé, qu'elle pourrait prendre la parole avant le dîner.
Vous m'aviez indiqué un certain temps...
…mais vous l'avez largement dépassé. J'aimerais donc savoir, simplement par courtoisie vis-à-vis de Mme Bello.
Je vais respecter le temps de parole que je vous ai indiqué, mais ce n'est pas simplement par courtoisie, monsieur le président ; c'est aussi parce que je veux - afin que les droits de l'opposition soient respectés - qu'elle puisse s'exprimer à cette tribune, en présence de M. le ministre de l'intérieur et de M. le ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire.
Attaché à l'expression de chacun, je vais donc conclure.
Ce serait donc une façon pragmatique de faire de la politique, ainsi qu'un signal adressé au Sénat. Je souhaite que vous reteniez cette proposition.
Tout cela ne fait pas de la réforme que nous avons proposée aujourd'hui une réforme a minima. Il s'agit simplement de faire en sorte que ce soit une réforme au service de nos compatriotes. C'est effectivement cela qui nous guide.
Je tiens à dire à Dominique Perben que j'ai apprécié son esprit d'écoute. Je sais que sa tâche est difficile, entre les élus des villes et les élus des campagnes, et qu'il faut faire des arbitrages, mais arbitrez donc en faveur des propositions du Nouveau Centre : elles sont pragmatiques, elles servent l'intérêt du pays, elles sont un signal adressé à nos amis sénateurs, et l'on ne gagnera pas à faire une réforme territoriale sans prendre l'avis des sénateurs, tout simplement parce que ce ne serait pas une réforme portée par ceux qui sont en charge de représenter les collectivités.
Je continuerai en tout cas, à la place qui est la mienne, à travailler à cette concorde entre nos deux assemblées pour faire en sorte que ce soit la France qui gagne. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)
Monsieur le ministre, en mai dernier, lors de l'examen de ce texte en première lecture, j'avais insisté pour que, d'une part, cette réforme prenne en compte l'architecture institutionnelle particulière des régions d'outre-mer et que, d'autre part, elle ne se traduise pas par un recul sans précédent de la parité politique. Malheureusement il faut constater que, au fil des lectures, la situation s'est aggravée.
Allons bon !
Tout le monde s'accorde à dire que la création du conseiller territorial dans ces régions monodépartementales de l'outre-mer aboutira à la mise en place de deux assemblées identiques. Personne ne conteste qu'elles seront composées strictement des mêmes élus, situation ubuesque qui, aux dires de notre rapporteur lui-même, sera vite intenable. À l'argument selon lequel le processus en cours débouchera, sans doute à l'insu de ses promoteurs, sur une assemblée unique, le Gouvernement répond que les deux entités - conseil régional et conseil général - continueront d'exister en tant que telles. Fort de cet argument, il n'a pas recours à l'article 73 de la Constitution qui prévoit l'organisation d'un référendum. Dans ces conditions, la difficulté d'application de ce texte reste entière.
Pour tenter de la résoudre, le Gouvernement a déposé un amendement qui lui permettra de légiférer par voie d'ordonnances. Ainsi, non seulement les populations concernées ne seront pas consultées mais, à présent, les parlementaires seront contournés. Cette situation est choquante. Il faut noter que, dans tout ce texte qui porte réforme des collectivités territoriales, seul l'outre-mer est visé par une ordonnance. C'est le seul cas depuis que la commission des lois de notre assemblée a rejeté, à l'unanimité, l'amendement destiné à habiliter le Gouvernement à fixer par voie d'ordonnances la répartition des conseillers territoriaux par département. Oui, depuis que le tableau de répartition des effectifs a été inséré dans ce texte à l'initiative du Gouvernement, il ne cesse d'être discuté et amendé par les parlementaires. Il a même fait l'objet d'une seconde délibération au Sénat. Nous ne comprenons donc pas pourquoi un sujet aussi sensible et aussi important pour l'outre-mer serait traité en dehors de la représentation nationale.
Il se trouve que le président de la commission des lois est à l'origine de l'introduction du tableau dans ce texte. L'Assemblée nationale l'aurait même « exigé », selon son homologue du Sénat. Puis-je demander à M. Warsmann, d'user de la même détermination pour nous aider à ce qu'il ne soit pas donné suite à l'article 40 du projet qui prévoit de légiférer par ordonnances pour l'outre-mer ? Le vote étant conforme, cet article n'est plus en discussion et les parlementaires ne peuvent plus agir.
Nous nous interrogeons d'ailleurs sur la portée réelle de cette ordonnance, qui concernera exclusivement le chapitre Ier du titre Ier, c'est-à-dire la création du conseiller territorial. Il ressort des différentes réponses gouvernementales que l'habilitation est surtout motivée par la situation de la Guadeloupe et la réflexion qu'on y mène sur le processus d'évolution institutionnelle. Il s'agit, en quelque sorte, d'une solution d'attente.
Pour La Réunion, où le congrès qui réunit les deux assemblées délibérantes n'existe pas, aucun moratoire n'a été décidé, aucun référendum n'est prévu. Il n'y a donc pas d'éventualité de loi organique relative aux institutions. Aussi, souhaitons-nous que la question institutionnelle soit réglée dans le cadre du présent débat parlementaire. Pour nous, le choix est aujourd'hui le suivant : ou bien le schéma institutionnel actuel, c'est-à-dire conseil général et conseil régional avec des compétences et des modes d'élection distincts, ou bien un conseil général aux compétences élargies.
En effet, le scrutin retenu, c'est-à-dire uninominal majoritaire à deux tours, le nombre de conseillers territoriaux fixé à 49 et le choix du canton comme circonscription d'élection, le tout appliqué à une région monodépartementale, ne conduit à rien d'autre qu'à un conseil général aux compétences élargies. Ainsi, pour La Réunion, l'acte III de la décentralisation risque fort de ressembler à l'avant 1982.
À y regarder de près, la création du conseiller territorial se traduira par un recul général de la décentralisation. La situation caricaturale qu'elle provoquera outre-mer rendra ce recul encore plus visible. M. Perben le sait bien pour avoir été ministre des départements et territoires d'outre-mer.
Du coup, mes chers collègues, vos discussions sur la clarification des compétences, l'efficacité financière ou encore la mutualisation des moyens et des services ne nous concernent plus guère.
Les États généraux de l'outre-mer l'ont confirmé : à La Réunion, le débat institutionnel et statutaire n'est pas à l'ordre du jour. Ironie de la situation, c'est l'application du droit commun, en l'occurrence l'application de la réforme instituant le conseiller territorial, qui risque d'ouvrir une période de turbulences. Qui peut prétendre que deux assemblées identiques sur un même territoire sont un gage d'efficacité ? Si cette hypothèse devait devenir réalité, il est à parier que le constant ballet des quarante-neuf mêmes élus entre leurs deux sièges – chez nous, le Palais de la Source et la Pyramide inversée – sera aussi inopérant que dérisoire.
Nous connaissons déjà, dans le monde du travail, le temps partiel subi. Avec cette loi, La Réunion risque de connaître l'assemblée unique subie. Les difficultés économiques et sociales que nous traversons ne nous laissent pas le loisir de faire les frais d'une telle expérience. Le droit commun, quand il instaure mécaniquement le conseiller territorial, c'est, pour La Réunion, une aventure très dangereuse. De grâce, n'évoquez pas le cas de Paris, où d'ailleurs le conseiller territorial n'est pas créé : pour flatteuse qu'elle soit, la comparaison entre une capitale de cette importance et l'une des régions les plus pauvres d'Europe n'est pas pertinente.
Je l'ai dit, et je le répète : sur un sujet aussi sensible, la réflexion et la concertation sont indispensables, messieurs les ministres. Or ni l'une ni l'autre n'ont été mises en oeuvre pour l'outre-mer. L'architecture institutionnelle actuelle est sans doute perfectible, mais elle a fait ses preuves et son bouleversement n'est pas la chose la plus urgente. Mieux vaut réfléchir, à partir de la situation actuelle en maintenant la distinction entre conseillers généraux et conseillers régionaux, comme cela est prévu pour la Corse. Cette solution n'aurait même pas d'incidence sur le renouvellement de 2014.
L'autre difficulté importante de ce texte réside dans le recul qu'il inflige à la parité. Il est vrai qu'aucun mode de scrutin ne permet de remplir à la fois tous les critères d'une parfaite représentativité, à savoir pluralisme, équilibre territorial, majorité de gestion et parité. Toutefois le fait est que le Gouvernement a opté pour celui qui sacrifie le plus la parité. Ainsi, en choisissant le scrutin majoritaire à deux tours, le conseiller territorial, censé incarner l'élu local de la modernité, sera élu selon un mode de scrutin qui n'accorde aux femmes que la portion congrue de la représentation. Faut-il rappeler que les conseils généraux ne comprennent que 12,3 % de femmes et que notre assemblée n'en accueille que 18,5 % ?
Nous avons pu mesurer le peu d'efficacité des sanctions financières qui prétendaient remédier à cette injustice. Nous savons déjà que le nouveau système de modulation n'aura guère plus d'effet. Après la réforme des retraites, qui fait payer aux femmes un lourd tribut, le Gouvernement s'apprête à faire adopter le recul de la parité. Cela fait beaucoup en une semaine !
Cette nouvelle dénégation de l'égalité entre les hommes et les femmes est un détestable signal. Ce n'est évidemment pas en renforçant la place des femmes dans les petites communes et les conseils communautaires, même s'il s'agit là d'avancées démocratiques certaines, que l'on compensera cette régression programmée.
De cette régression, la décentralisation elle-même souffrira. Elle a toujours été synonyme d'ouverture, elle symbolise de nouvelles pratiques, elle revivifie la vie démocratique. Cette réforme, à n'en pas douter, tourne le dos à ce qui a toujours été l'esprit et la marque de la décentralisation.
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Suite de la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi de réforme des collectivités territoriales.
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,
Claude Azéma