Permettez-moi, tout d'abord, d'ouvrir une parenthèse et de revenir sur le grave événement de ce matin, qui constitue un véritable déni de la démocratie, indigne d'une République démocratique. Appartenir à la majorité ne veut pas dire détenir le pouvoir absolu ni choisir ses propres règles.
L'opposition, elle, a respecté le règlement. Quand, à deux heures trente du matin, en raison de l'épuisement du temps imparti au groupe GDR, notre collègue André Chassaigne s'est vu couper la parole, il a accepté la sentence sans rechigner.
Le règlement de l'Assemblée prévoit que chaque député dispose du droit d'expliquer durant cinq minutes le sens de son vote. Or, ce matin, j'ai personnellement été privé de ce droit sur la réforme portant sur les retraites.
Je souhaitais rappeler ce grave manquement à la démocratie avant de commencer mon intervention sur le projet de loi de réforme des collectivités territoriales, auquel je viens maintenant.
Je n'irai pas jusqu'à dire que je suis content d'être ici. J'ai trop souvent l'agaçante sensation de parler face à un mur.
Le texte sur les collectivités territoriales ne cesse de circuler entre les deux chambres et est critiqué par de nombreux parlementaires. Il revient aujourd'hui devant notre assemblée, au point de bientôt épuiser tout le parcours législatif. La commission des lois et son rapporteur n'en restent pas moins « droits dans leurs bottes », ce qui démontre, une nouvelle fois, l'arrogance de la majorité parlementaire, pour qui le dialogue et la négociation sont des artifices et les seules bonnes solutions les siennes.
Je vais cependant vous demander d'être attentifs à mes arguments, messieurs les ministres, et de tenir compte des amendements que nous défendrons, car nous souhaitons que la réforme des collectivités territoriales soit la moins injuste possible.
Les sénateurs ont largement contesté le texte. En leur qualité d'élus locaux, ils sont bien placés pour relever les risques qu'il comporte. Le message qu'ils nous ont, par deux fois, transmis est sans équivoque : le projet de loi va à l'encontre à la fois du maillage communal de notre pays, de l'autonomie institutionnelle et fiscale de nos collectivités territoriales et du principe de libre administration. Les sénateurs ont rejeté de nombreuses dispositions prévues dans le texte initial. L'opinion publique, très attachée aux collectivités locales, les ont également rejetées.
Pourtant, comme dans le « débat » sur les retraites – permettez-moi de rabâcher un peu – la majorité parlementaire fait la sourde oreille. Encore une fois, la droite cherche à imposer sa vision de la société.
En dépit des dangers qu'elle représente, vous cédez à la tentation de la fusion. La réorganisation des collectivités n'a d'autre but que de diminuer le nombre d'élus, de limiter la compétence générale des communes et de regrouper les collectivités dans des structures uniformes.
Ce projet de loi matérialise finalement l'application – cela a déjà été souligné à plusieurs reprises, ici et au Sénat – de la révision générale des politiques publiques, et tant pis si cela va jusqu'à l'absurde, tant pis si l'État se décharge de nombre de services de proximité.
Défendre ce projet de loi, c'est enfoncer un peu plus encore la tête sous l'eau des Français et des Françaises, de ceux et celles qui, au contraire, ont le plus besoin de mains tendues, le plus besoin de services publics. Ce rôle est tenu, et doit continuer d'être tenu, par les collectivités locales. Dans ma circonscription, en Seine-Saint-Denis, ces dernières assurent une présence quotidienne. Le lien entre le territoire et la population ne doit pas être rompu. Pourtant, avec la concentration de collectivités que met en place ce projet de loi, j'ai bien peur que le sort des citoyens passe une nouvelle fois au second plan.
Par ailleurs, ce projet de loi me semble dangereux. Il offre en effet aux préfets une trop importante compétence en matière territoriale. Les préfets ont été créés par Napoléon Bonaparte – ne voyez aucune malice dans ce rappel – afin d'être ses yeux et ses oreilles au sein des départements qui venaient d'être formés. De fait, ils seront désormais la tête, les jambes et les bras. Ils auront le pouvoir de fusionner des EPCI entre elles selon leur bon plaisir ou, plutôt, selon celui d'en haut, et c'est là que le bât blesse.
Si je suis convaincu que les petites communes gagneraient à se regrouper, je refuse que cela leur soit imposé. Ce n'est pas au seul représentant de l'État de décider si une commune appartiendra à tel ou tel établissement public de coopération intercommunale. Je ne suis pas surpris que ce genre de mesures figure dans ce projet de loi : ce texte est à l'image de tous les autres. Noyer de force les communes dans de grosses structures fera brutalement disparaître ces petits services de proximité tant appréciés par la frange la plus modeste de la population française.
Le fond de la mesure ne me paraît pas ridicule, mais la forme l'est tant que je ne peux la soutenir. Il serait plus judicieux, me semble-t-il, d'inscrire dans le texte que les communes ont l'obligation de rejoindre un EPCI, mais que le choix de l'établissement public qui les accueillera doit être de leur fait, et uniquement de leur fait. Cette solution permettrait aux communes et à leurs habitants de faire ce passage en douceur.
De même, le département est l'échelon de l'action sanitaire et sociale par excellence. Sa disparition programmée illustre bien la politique du Gouvernement. Les nouvelles collectivités territoriales seront complètement asphyxiées du point de vue financier. En effet, avec la suppression de la taxe professionnelle, ce sont déjà 50 % de l'autonomie fiscale des collectivités qui disparaissent. Qu'en sera-t-il lorsque ces dernières centraliseront une liste de compétences très variées ? L'article 35, auquel je fais référence, consacre l'encadrement des financements des collectivités. Il consacre surtout l'inéluctable disparition de nombreuses bouées de sauvetage sociales, consécutive à la forte réduction des moyens qui leur sont alloués. Ce processus est déjà en marche dans certains départements.
Je vous invite, monsieur le ministre, à rencontrer, dans ma circonscription, les habitants de Saint-Denis, de Pierrefitte ou de Villetaneuse, même s'il est vrai qu'il n'est pas nécessaire de vous inviter pour que vous veniez.