Monsieur le président, monsieur le ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire, monsieur le rapporteur de la commission des lois, mesdames, messieurs les députés, si M. le secrétaire d'État aux collectivités territoriales n'est pas parmi nous cet après-midi, c'est qu'il a été victime, cet été, d'un accident dans son département du Cantal. Il avait l'intention de venir nous rejoindre, mais, pour lui, se déplacer est encore compliqué. Michel Mercier, qui était déjà son partenaire lors de la première lecture, assumera très bien cette charge.
L'Assemblée entame cet après-midi l'examen en deuxième lecture du projet de réforme des collectivités territoriales après que le Sénat a lui-même voté ce texte en deuxième lecture le 8 juillet.
Vous connaissez l'ambition de cette réforme, ainsi que son économie générale. S'il fallait résumer à ce stade, je rappelle simplement qu'elle constitue à la fois un pari, un défi et un aboutissement.
Le pari est celui de la création d'un élu local puissant, représentatif, proche des territoires : le conseiller territorial, à qui l'on confie en quelque sorte les clés de la décentralisation. C'est un acte de confiance envers nos élus locaux, dans leur capacité à mettre en oeuvre les synergies entre les départements et les régions. C'est une innovation, un pari audacieux, et je ne comprends pas très bien les procès en prétendue recentralisation que l'on nous fait. Ce texte est, pour moi, tout l'inverse.
Le défi est celui de l'émergence d'une organisation institutionnelle adaptée à nos plus grandes agglomérations : la métropole. Pour la première fois, notre organisation territoriale consacre la spécificité de ses territoires urbains et leur propose un statut adapté reposant, une nouvelle fois, sur le volontariat.
Cette loi marquera un tournant, une première étape qui, à l'évidence, pourra en appeler d'autres. N'opposons pas les territoires urbains aux territoires ruraux. Reconnaître la spécificité des premiers ne conduit en rien à diminuer notre engagement en faveur du développement des seconds. Je le dis en présence de Michel Mercier, ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire, dont chacun connaît l'engagement sur ce sujet.
L'aboutissement, enfin, c'est le chantier de l'intercommunalité, auquel Alain Marleix a beaucoup travaillé. Cette loi, j'en suis convaincu, marquera une étape décisive dans le développement de l'intercommunalité. Après l'impulsion de la loi de 1999, ce projet vient couronner plus de dix ans de développement de l'intercommunalité et consacre, dans ce domaine, une triple avancée.
D'abord, la démocratisation de nos intercommunalités, avec l'élection au suffrage universel direct des conseillers communautaires, qui est devenue un impératif démocratique, compte tenu à la fois des compétences et des budgets qui sont gérés par les intercommunalités.
Ensuite, la couverture intercommunale intégrale du territoire français à l'horizon 2013 et l'enclenchement d'un processus continu de simplification, d'approfondissement et de rationalisation des structures locales.
Enfin, l'encouragement de toutes les formes possibles de mutualisation au sein des intercommunalités.
Sur chacun de ces trois grands aspects de la réforme, un dialogue s'est instauré entre les deux chambres du Parlement. Curieusement, certains s'en étonnent. Or un système bicaméral, par définition, favorise le dialogue institutionnel entre les deux assemblées.
Le Gouvernement s'était engagé à ce que le débat parlementaire ne soit ni précipité ni tronqué. C'est pourquoi nous avons indiqué très tôt notre refus de recourir à la procédure accélérée. Chacun, j'imagine, a perçu que le Gouvernement avait tenu parole : les quelque 180 heures consacrées à la discussion parlementaire jusqu'à présent sont là pour en témoigner. Il y a eu des échanges, des différences, des contradictions portées sur l'ensemble des bancs des deux hémicycles, ce qui, encore une fois, n'est que logique et naturel dans un débat qui engage l'avenir institutionnel de notre pays. Chacun se souvient d'ailleurs des débats de 1982 au moment des lois Defferre, des controverses de 1999 lorsque certains croyaient pouvoir pronostiquer avec une forte assurance la mort des communes ou, plus récemment, des débats passionnés au moment de l'acte II de la décentralisation en 2004, débats qui se sont achevés, certains s'en souviennent sans doute, par le recours à l'article 49-3.
Une réforme territoriale n'est jamais simple pour un gouvernement et réclame du courage, de la constance et de la détermination. Je me réjouis que des convergences importantes soient apparues entre le Sénat et l'Assemblée. Ces convergences sont d'ores et déjà acquises. En clair, près de la moitié des articles de ce projet de loi ont été adoptés dans les mêmes termes par les deux assemblées, et ce ne sont pas des articles secondaires. Je pense naturellement au principe de la création du conseiller territorial, voté conforme dès la première lecture ; je pense aussi, dans une très large mesure, au tableau des effectifs par département et par région ; je pense à l'élection au suffrage universel direct des conseillers communautaires ainsi qu'aux règles de composition et de répartition des sièges entre les communes ; je pense aux procédures de regroupement de départements ou de régions ; je pense, enfin, au processus d'achèvement et de simplification de l'intercommunalité, à l'approfondissement des mutualisations au sein de nos intercommunalités et entre les collectivités territoriales.
Il existe toujours des différences et il est légitime que le Sénat, qui assure la représentation des collectivités territoriales de la République, soit prudent et attentif à toutes les évolutions qui touchent à notre organisation territoriale. De même, il est dans l'ordre des choses que l'Assemblée nationale soit portée au mouvement. Ce dialogue institutionnel se poursuit avec le texte adopté par votre commission des lois. J'observe que la commission, à l'initiative de son rapporteur, Dominique Perben, et sous la présidence de Jean-Luc Warsmann, a souhaité, sur les dispositions restant en discussion, rétablir un texte très proche de celui que vous aviez adopté en première lecture.
Tout d'abord, concernant le conseiller territorial, la commission des lois a souhaité rétablir, comme l'y invitait le Gouvernement, le scrutin uninominal majoritaire à deux tours. Cette question a été la plus débattue dans le cadre de ce projet de loi. Le sujet est extrêmement complexe et sensible, car il n'existe pas de mode de scrutin parfait, qui permettrait de respecter les quatre objectifs qui sont les nôtres : la représentation des territoires, l'expression des sensibilités politiques, la poursuite de l'objectif de parité et la formation de majorités de gestion au sein des assemblées délibérantes. Il faut donc faire des choix, et le Gouvernement, après une longue réflexion et de nombreuses consultations, s'est rallié au choix du mode de scrutin majoritaire à deux tours.
La commission des lois du Sénat l'avait aussi adopté, mais le débat en séance publique n'a pas confirmé ce choix. Dans le même temps, le Sénat a rejeté tous les modes de scrutin sans en proposer un seul. Nous avons donc quitté la Haute assemblée sans mode de scrutin, ce qui est un peu étonnant. Il appartient désormais à l'Assemblée nationale de se prononcer sur le choix clairement exprimé par sa commission des lois en faveur de ce mode de scrutin. C'est le choix de la simplicité et de la lisibilité pour l'électeur, qui comprend facilement ce mode de scrutin, simplement parce qu'il y est habitué. Il ne s'agit pas de donner des leçons à la terre entière puisque les autres pays ont plutôt choisi un autre mode de scrutin. Pour notre part, ce mode de scrutin est dans notre tradition ; il faut donc en prendre acte. Son immense avantage est de maintenir un lien entre l'élu et le territoire : s'il s'agit d'élire des conseillers territoriaux, mieux vaut qu'ils représentent un territoire ! Enfin, cela signifie que, demain, les conseillers territoriaux seront véritablement les porte-parole des territoires, les interlocuteurs uniques de l'ensemble des acteurs de leur territoire. Là se trouvent l'innovation et la simplification voulues par le Gouvernement. Je crois qu'il y aurait eu une contradiction, même si cela méritait réflexion, à envisager des conseillers territoriaux hors sol, déconnectés concrètement d'un territoire précis.
Ce choix permet de donner aux élus une autorité liée à leur assise territoriale, tout en permettant de dégager des majorités stables dans les assemblées qui seront élues, sans toutefois empêcher l'expression des diverses sensibilités politiques. Il doit s'accompagner de mesures complémentaires, notamment un mécanisme incitant vigoureusement les partis politiques à agir en faveur de la parité. Il est d'ores et déjà acquis que cette loi introduira, pour la première fois dans notre législation électorale, un mécanisme de sanctions financières des partis politiques basée non plus seulement sur le résultat des élections législatives, mais désormais sur celui des élections territoriales.
Toujours sur le volet électoral, le Gouvernement a proposé à votre commission des lois, qui l'a accepté, un amendement visant à modifier à la marge le tableau des effectifs des conseillers territoriaux par département et par région – tableau adopté par le Sénat en deuxième lecture –, afin d'en garantir la sécurité juridique au regard des exigences de la jurisprudence constitutionnelle. Je précise que les corrections ne portent que sur quelques départements, dans six régions. Cela signifie que les deux assemblées ont largement convergé sur cette question qui peut encore être l'objet de quelques ajustements entre les deux chambres.
Votre commission des lois a également souhaité rétablir les dispositions relatives aux compétences et au cofinancement. Tout ce qui est écrit n'est pas forcément vrai, mais, sur ce point, j'ai pu lire ou entendre dire que le Sénat aurait souhaité rétablir la clause de compétence générale ou s'opposer à la logique de spécialisation des compétences exercées par les départements et les régions. Je le dis clairement, c'est faux. Et j'invite ceux qui auraient eu ce sentiment à relire précisément le compte rendu des débats. Il y a eu des nuances, c'est vrai, qui se sont exprimées au sein des différentes composantes de la majorité au Sénat ; toutefois, ces nuances n'ont pas porté sur le contenu, mais sur le rythme de l'entrée en vigueur de ces dispositions, puisque certains préconisaient de traiter les compétences et les cofinancements dans un texte à part, les autres souhaitant sans attendre un dispositif opérationnel, quitte à ce que de futurs textes législatifs viennent poursuivre le chantier, à l'évidence nécessaire, de la clarification des compétences qui doit s'inscrire dans la durée.
Votre commission des lois a clairement opté pour cette seconde option en rétablissant les articles 35 et suivants du projet de loi.
Le Gouvernement est, lui aussi, convaincu de la nécessité d'adopter, dès maintenant, des règles qui concilient pragmatisme et volonté de simplification et de clarification. Il s'agit, tout d'abord, de l'affirmation par le législateur de quelques principes généraux de bon sens, peu nombreux, mais qui fixent un cadre pour notre législation, existante et à venir, et qui permettent de faire évoluer la jurisprudence administrative. C'est l'objet de l'article 35 du projet de loi. Seules les communes conservent donc la clause de compétence générale. Les départements et les régions n'exercent, quant à eux, que les compétences que leur a conférées le législateur, mais disposent d'une capacité d'initiative – nombre d'entre vous s'étaient exprimés sur ce sujet – leur permettant, par délibération spécialement motivée, de se saisir de tout objet d'intérêt départemental pour lequel la loi n'a donné compétence à aucune autre personne publique. En réalité, il s'agit, là, d'un constat simple que le législateur ne peut prévoir à l'avance toutes les situations et qu'il faut pourtant qu'une réponse publique puisse leur être apportée. Nous répondons, ainsi, au souhait des collectivités de pouvoir apporter à des situations des réponses innovantes et aussi d'initier des projets. Cette préoccupation a donc été retenue. On opère, par ailleurs, la distinction entre les compétences que le législateur doit attribuer à titre exclusif et celles qui demeurent partagées entre les catégories de collectivités territoriales. Elle est assortie d'un corollaire de bon sens : lorsqu'une compétence est dévolue par la loi à une catégorie de collectivités territoriales, les autres collectivités territoriales ne pourront plus y intervenir.
La deuxième série de dispositions prend appui sur la création du conseiller territorial pour faire jouer à ce nouvel élu un rôle de clarification et de meilleure articulation des interventions entre les départements et les régions. C'est l'article 35 bis du projet de loi. Nous sommes, là, au coeur de l'ambition de cette réforme territoriale. Il s'agit de faire confiance à un élu local – le conseiller territorial qui est porteur d'une double vision territoriale et régionale – pour engager avec bon sens, au plus près de la réalité du terrain et des territoires ce chantier de clarification, de simplification, de mutualisation des moyens. Cela pourrait, en réalité, se résumer ainsi : la proximité pour le département et la vision d'avenir pour la région. Tout cela n'a qu'un seul objectif : favoriser les complémentarités, supprimer les doublons, simplifier les démarches pour nos entreprises, les élus locaux et nos concitoyens. Demain, le conseiller territorial sera l'interlocuteur unique des différents acteurs territoriaux, à commencer par les maires. Cette avancée majeure sera, j'en suis convaincu, un facteur de réactivité, de cohérence dans les choix de financement et d'accélération dans le montage des projets.
Nous proposons donc concrètement que les conseillers territoriaux, dès 2014, dans les six mois de leur élection, puissent adopter un schéma d'organisation des compétences et de mutualisation des services par délibérations concordantes des régions et des départements. Ce sera un élément d'adaptation aux réalités locales.
Avec la conférence des exécutifs qui réunira, demain, le président du conseil régional, les présidents de conseils généraux, les présidents des métropoles, des communautés urbaines, des communautés d'agglomération et un représentant des communautés de communes par département de la région, conformément d'ailleurs à ce que vous avez voté en première lecture, les élus locaux disposeront donc de deux mécanismes puissants de clarification et d'articulation des actions des principaux acteurs institutionnels de la région.
Enfin, troisième et dernière série de dispositions : l'édiction de quelques règles permettant d'encadrer de manière raisonnable et non dogmatique la pratique des cofinancements. C'est l'objet des articles 35 ter, 35 quater et 35 quinquies du texte adopté par votre commission. Le Gouvernement salue les dispositions qui visent à renforcer l'information et la transparence en matière de subventions croisées. Il est convaincu de la nécessité d'une règle vertueuse de participation minimale pour les collectivités territoriales pour les projets dont elles assurent la maîtrise d'ouvrage. Il considère, enfin, que la règle d'interdiction du cumul de subventions des départements et des régions doit s'inscrire dans le cadre du schéma régional qui prend d'ailleurs toute sa force avec la création de ce conseiller territorial.
Avec le rétablissement des dispositions du titre IV du projet de loi, je crois donc que nous disposons d'un texte pragmatique et réaliste sur lequel une large majorité devrait pouvoir se retrouver.
Faut-il aller plus loin et réfléchir, par exemple, à un mécanisme d'évaluation de ces dispositions dans la durée ? Le Gouvernement, je le dis là aussi, y est ouvert.