La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
Mes chers collègues (Mmes et MM. les députés, ainsi que Mmes et MM. les membres du Gouvernement, se lèvent), c'est avec une grande émotion et une profonde tristesse que nous avons appris le décès de Raymond Forni, ancien Président de l'Assemblée nationale.
Je rendrai hommage à sa mémoire à l'issue de la séance des questions au Gouvernement. Je précise qu'il n'y aura pas de suspension après la réponse à la dernière question.
Je vous invite à présent à marquer notre peine en observant une minute de silence à sa mémoire.
(Mmes et MM. les députés, ainsi que Mmes et MM. les membres du Gouvernement, observent une minute de silence.)
La parole est à M. Jean-François Copé, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
Monsieur le président, avant de poser ma question, je tiens, au nom du groupe de l'Union pour un mouvement populaire, à dire notre émotion à la suite du décès de Raymond Forni et à adresser un message de sympathie à nos collègues du groupe socialiste, en particulier à son président, Jean-Marc Ayrault.
Ma question s'adresse à M. le Premier ministre. Après six mois de réformes intenses, le Président de la République a présenté ce matin la feuille de route pour l'année 2008.
Les députés de l'UMP se réjouissent de voir que, sur les sujets évoqués, on est bien dans la ligne de ce que nous avons dit aux Français durant la campagne présidentielle. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Nous allons mener trois batailles au service de nos compatriotes. La première consiste à les convaincre que travailler plus, c'est avoir une vie meilleure, et non l'inverse, comme on le leur a si souvent répété à gauche. (Protestations sur les mêmes bancs.) C'est une des réponses à la question du pouvoir d'achat, de même qu'à celle de notre identité. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
La deuxième bataille concerne les réformes réputées impossibles, que votre gouvernement mène inlassablement et pour lesquelles nous sommes à vos côtés. Je pense à la réforme de l'assurance maladie, qui, après avoir démarré avec retard, avance désormais à un bon rythme ; à celle des retraites ou à celle de la réforme de l'État, qui a pris elle aussi un tour important.
Enfin, il s'agit de la réflexion plus générale, à laquelle le Président de la République nous a invités, sur l'identité des Français, sur ce que signifie de travailler ensemble à un projet collectif auquel nous croyons profondément (« Ah ! » sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine) : la politique de civilisation. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.) Sur ce point, monsieur le Premier ministre, nous serons très mobilisés pour convaincre les Français que, face aux difficultés, il s'agit d'un rendez-vous – comme on dit dans le sport – avec le mental, avec l'esprit de conquête, avec la volonté de valoriser nos atouts. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. – Exclamations sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.) Nous devons faire en sorte que ceux qui jalousent aujourd'hui le talent et la réussite soient demain moins nombreux que ceux qui les admirent, que les admirateurs du talent et de la réussite soient des modèles, pour que chacun y participe.
Monsieur le Premier ministre, quelles priorités allez-vous mettre en oeuvre dans les six mois qui viennent (« Le mariage ! » sur quelques bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche), suivant quel calendrier ? Quel rôle comptez-vous donner à la majorité et au Parlement au service des Français ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)
Mesdames, messieurs les députés, à mon tour, je veux dire l'émotion et la douleur que j'ai ressenties à l'annonce du décès de Raymond Forni. J'aurai l'occasion, dans un instant, de répondre au nom du Gouvernement à l'éloge funèbre que prononcera votre président.
Puisque c'est la première fois que je prends la parole devant l'Assemblée nationale en cette année 2008, permettez-moi aussi de souhaiter à chacun d'entre vous une excellente année.
Le Président de la République a en effet fixé ce matin le cap de l'année 2008. Il nous a proposé de poursuivre l'adaptation de notre pays aux changements du monde, que nous avons refusé d'admettre pendant trop longtemps, parce qu'ils venaient contrarier nos certitudes et qu'ils mettaient en cause la rente des pays riches.
Il nous a proposé de poursuivre la libération du travail, pour qu'enfin disparaisse le carcan des 35 heures, qui furent l'une des erreurs économiques et sociales les plus graves commises dans notre pays depuis vingt-cinq ans. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre. – Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Il nous a proposé d'élever le niveau de formation de tous nos concitoyens,…
…en agissant de manière prioritaire sur l'école primaire, sur l'enseignement supérieur – en engageant une dizaine de grands chantiers de modernisation de campus universitaires – et sur la formation professionnelle, en particulier en offrant systématiquement aux jeunes des quartiers une deuxième chance, avec une formation longue débouchant sur un emploi.
Il nous a proposé d'accroître la concurrence pour peser sur les prix des biens et des services et ainsi améliorer de façon vertueuse le pouvoir d'achat des Français.
Mais le Président de la République nous a aussi proposé d'inscrire l'action réformatrice du Gouvernement dans une perspective de long terme, dans un dessein de civilisation. (« Ah ! » sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Il s'agit d'abord de renforcer la démocratie dans notre pays. Si la France a longtemps été en avance en la matière, il faut bien reconnaître qu'elle a pris du retard depuis une vingtaine d'années. C'est pourquoi nous allons, en 2008, moderniser nos institutions. Cette réforme institutionnelle se traduira par l'accroissement des pouvoirs du Parlement,…
Un député du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. On en a bien besoin !
…mais aussi – comme l'a proposé le Président de la République – par l'ajout à la Déclaration des droits de l'Homme de 1789 et au Préambule de la Constitution de 1946 d'un nouveau préambule, qui sera une étape dans la construction des droits de l'homme. Il intégrera en particulier le droit à la diversité, l'égalité entre les hommes et les femmes ou encore les règles régissant les activités dans le domaine de la bioéthique.
Le Président de la République a proposé que nous partagions de façon plus équitable les fruits de la croissance (« Ah ! » sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine), en augmentant considérablement l'intéressement et la participation (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), c'est-à-dire en créant une obligation en matière de distribution de stock-options qui élargisse à l'ensemble des salariés la répartition des résultats de l'entreprise. (Exclamations sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Il a aussi proposé une réforme profonde du service public de l'audiovisuel, fondamentale pour le développement de notre culture et de la création française. La gauche l'avait rêvé, nous allons le faire : la télévision publique ne dépendra plus des contraintes commerciales de la publicité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre. – Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Le Président de la République a encore proposé une politique maîtrisée d'accueil et d'intégration des étrangers dans notre pays, qui verra le Parlement définir chaque année des objectifs et des quotas, afin que l'intégration soit rendue possible par les capacités d'accueil en matière de logement et d'emploi de la France dans le cadre de son développement.
Enfin, il a proposé de moderniser la gouvernance mondiale, en engageant la réforme du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, et en élargissant le Conseil de sécurité des Nations unies et le G 8 à des pays comme l'Inde, la Chine, l'Afrique du Sud et le Brésil.
Mesdames, messieurs les députés, je suis convaincu que les Français n'ont pas peur de ces changements ; ils sont plutôt impatients d'en mesurer les effets. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) Avec votre aide et votre soutien, tous ces engagements seront tenus en 2008. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)
La parole est à M. Christian Bataille, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.
Monsieur le Premier ministre, en décembre dernier, lors de sa rencontre avec le Pape Benoît XVI, le Président de la République – élevé pour la circonstance au rang de Chanoine de la basilique de Latran (Sourires sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche) –, a délivré un message inquiétant, pour les Républicains, s'agissant des relations entre la nation et l'Église. Dans des lieux qui ne sont pas neutres, et dans des circonstances officielles, il a d'abord appelé « à assumer les racines chrétiennes de la France » (Applaudissements et exclamations sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) et affirmé que « la morale laïque risque toujours de s'épuiser ou de se changer en fanatisme ». Ces propos violent les principes fondateurs de notre Constitution, dont le préambule affirme que « la République est indivisible, laïque, démocratique et sociale ». (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) Ces principes sont affirmés par la loi de séparation des Églises et de l'État de 1905, qui énonce : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. »
La laïcité de la République, produit d'une longue histoire, qui va de l'humanisme à la Révolution française, et dont les principes ont été définis sous la IIIe République, est un pilier de la démocratie française et un ciment pour la Nation. Souvent voulue par la gauche, promulguée par des partis et des hommes politiques modérés – Jules Ferry, Aristide Briand –,…
…la laïcité appartient à tous, à condition que tous la défendent !
Principe de tolérance, elle admet, pour la sphère privée, toutes les croyances et reconnaît le droit de croire ou de ne pas croire. (« La question ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) En revanche, elle ne retient pas le principe saugrenu entendu récemment, selon lequel il y aurait ceux qui espèrent et ceux qui n'espèrent pas.
La droite a pris tout son temps, monsieur le président !
C'est avant tout à l'État et aux dirigeants de la République de défendre les valeurs civiques mais aussi éthiques.
Monsieur le Premier ministre, en matière de laïcité, quelles modifications réglementaires et législatives – en particulier des dispositions de la loi de 1905 – envisagez-vous dans la prochaine période ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
La parole est à Mme la ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales.
Monsieur Bataille, l'intolérance a causé dans notre histoire trop de drames. (« C'est vrai ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Elle créée encore aujourd'hui dans le monde trop de drames (« Justement ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)…
…pour que le Parlement français ne s'honore pas d'une conception tolérante des écoles de pensée et des religions. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)
La conception de la laïcité du Président de la République, comme la mienne, c'est la tolérance – la tolérance à l'égard de toutes les religions et de toutes les écoles de pensée.
Je pense que c'est effectivement l'image que nous avons à donner dans le monde.
Il n'est pas question de remettre en cause la loi de 1905. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Mais la loi de 1905 date de 1905. (« Bravo ! » sur quelques bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
La Déclaration des droits de l'Homme de 1789 est plus ancienne encore !
Monsieur le député, vous aurez peut-être noté qu'un certain nombre d'évolutions sont intervenues depuis. Elles peuvent nécessiter des ajustements (« Lesquels ? » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche) pour que notre conception de la laïcité soit toujours une conception d'actualité.
Le fait d'avoir un carré confessionnel dans un cimetière, afin que ceux qui le veulent soient enterrés où ils le désirent doit être possible. Aujourd'hui, ce n'est pas contenu dans la loi. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Monsieur le député, vous pouvez peut-être avoir une conception de la laïcité intolérante et sectaire, mais ce n'est pas le cas de la nôtre. (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine. – Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre. – M. Cuvillier brandit une ardoise sur laquelle est inscrite la note de deux sur vingt.)
Monsieur Cuvillier, les accessoires – y compris scolaires – ne sont pas admis dans l'hémicycle. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
La parole est à M. Michel Vaxès, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Monsieur le président, ma question s'adresse à M. le Premier ministre.
La France est devenue un pays de bas salaires. Près d'un salarié sur cinq est rémunéré sur la base du SMIC horaire. La moitié des salariés perçoivent moins de 1 480 euros nets par mois.
Voilà le résultat d'une politique qui, au détriment de la rémunération du travail, transfère, chaque jour davantage, la richesse produite vers le capital.
En 1981, la part salariale représentait près de 77 % du PIB. Elle a été réduite à un peu plus de 66 % en 2006. Ce recul de plus de dix points représente 180 milliards d'euros, captés, pour l'essentiel, par les plus gros actionnaires. Pour la seule année 2006, les quarante groupes vedettes de la bourse parisienne leur ont versé 40 % de leur bénéfice net, soit un pactole de 40 milliards d'euros. Cette envolée de la rémunération du capital est d'autant plus indécente que l'INSEE constate qu'en six ans la rémunération des salariés à temps complet n'a augmenté que de 0,5 % en moyenne annuelle.
J'ai pris connaissance de l'intervention ce matin du Chef de l'État. Je ne l'ai pas entendu parler de l'avancée de civilisation que constituerait une plus juste répartition des richesses…
Un député du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Vous l'avez mal écouté !
..par le moyen d'une augmentation sensible des salaires. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
On comprend mieux, dans ces conditions, la légitime colère de nos concitoyens quant à la faiblesse de leurs revenus.
Vos mesures de la fin de l'année 2007, qui ne concerneront de surcroît ni les chômeurs, ni les retraités, ni les travailleurs précaires, ne sont pas de nature à les rassurer. Le seul moyen de répondre à leurs attentes serait d'inverser la tendance, en rémunérant mieux le travail.
Faute de vous y engager, vous continuerez à engraisser les gros rentiers, au détriment de celles et de ceux qui travaillent toujours plus pour gagner toujours moins.
J'y arrive, monsieur le président.
Monsieur le Premier ministre, la représentation nationale attend de connaître précisément vos objectifs, pour une plus juste répartition des richesses produites par le seul travail des salariés. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
La parole est à M. le secrétaire d'État chargé de la consommation et du tourisme. (Protestations sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Monsieur Vaxès, je souhaite tout d'abord rétablir une vérité.
Si l'on considère, dans notre pays, sur une longue période – une dizaine d'années – , l'écart entre les revenus les plus bas et les revenus les plus élevés, on constate qu'il s'est stabilisé entre 1997 et 2005. (Exclamations sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
En 1997, l'écart entre les 10 % des salariés les moins rémunérés et les 10 % les plus rémunérés était de 1 à 5,8. Dix ans après, il est de 1 à 5,6. (Exclamations sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Faut-il s'en satisfaire ? La réponse est non. C'est la raison pour laquelle le gouvernement de François Fillon s'est totalement mobilisé sur une politique de relance du pouvoir d'achat, notamment à destination des ménages les plus modestes.
Lorsque le Gouvernement a doublé par rapport à l'année précédente la prime à la cuve, 75 euros supplémentaires sont allés vers les ménages les plus modestes, confrontés à une augmentation du prix du pétrole. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) Lorsque ce gouvernement met en place le tarif social de l'électricité et du gaz, ce n'est pas la majorité que vous avez soutenue qui l'a mis en place, c'est notre majorité. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) Et le tarif social de l'énergie sera mis en oeuvre dans les prochaines semaines.
Lorsque le Gouvernement indexe le prix des loyers sur l'inflation pour un ménage moyen qui consacre environ 1 000 euros par mois à son logement, 130 euros de pouvoir d'achat supplémentaires seront obtenus à la fin de l'année. C'est une mesure concrète et pragmatique à destination des moins favorisés.
Enfin, lorsque le Gouvernement défiscalise les intérêts d'emprunts pour les ménages qui achètent leur logement, cela représente, sur la durée du prêt immobilier, environ 4 000 euros à destination des ménages qui acquièrent leur logement.
Monsieur le député, on peut certes parler éternellement des inégalités, mais il y a ceux qui débattent, qui vivent dans le passé, et il y a ceux qui agissent au service des Français : c'est cette majorité et ce gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Le groupe Nouveau Centre souhaite s'associer à l'hommage rendu au Président Forni, qui a toujours fait preuve de respect à l'égard des députés.
Ma question s'adresse à Mme la ministre de la santé et je désire y associer mes collègues Préel, Leteurtre, Vigier et Lang.
Madame la ministre, aujourd'hui, l'hôpital est en crise. Les anesthésistes et les urgentistes sont en grève. Je ne souhaite pas faire un cours d'histoire, mais je pense que les trente-cinq heures en sont effectivement, en grande partie, responsables. (Protestations sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine. – Applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau Centre.) Il n'avait pas été prévu suffisamment de médecins et d'infirmiers pour assurer les remplacements, et, au niveau financier, rien non plus n'avait été prévu. On voit donc actuellement s'accumuler les heures supplémentaires et les RTT non prises.
On constate un afflux important de malades aux urgences. Les Français ont confiance dans leur hôpital, mais il existe également un problème de démographie et de permanence de soins.
Enfin, l'hôpital connaît une crise financière majeure. On évalue actuellement le déficit à environ un milliard d'euros. Si l'on prend en compte les vingt-trois millions d'heures supplémentaires, les quatre millions de RTT non prises, on peut y ajouter à peu près 900 millions d'euros. Vous nous dites, madame la ministre, que l'État et les hôpitaux peuvent prendre à leur charge par moitié l'ensemble de ces coûts. Très honnêtement, je pense que l'hôpital ne le peut pas, ce que je regrette profondément, parce que cela aurait permis d'augmenter le pouvoir d'achat.
Ma question est à la fois simple et excessivement complexe. Comment comptez-vous résoudre les multiples problèmes de permanence de soins, de démographie médicale, de budget de l'hôpital, en sachant que la santé de nos concitoyens est notre bien le plus précieux ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau Centre.)
La parole est à Mme la ministre de la santé, de la jeunesse et des sports.
Monsieur Jardé, vous avez excellemment posé le problème. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Les urgentistes et les médecins anesthésistes sont en grève des astreintes et des gardes. Ils assument avec un grand sens des responsabilités leur service auprès des patients qui arrivent aux urgences. La permanence des soins est donc assurée. Je veux leur en rendre hommage.
Nous connaissons les causes. Vous avez évoqué les trente-cinq heures, malencontreusement appliquées à l'hôpital, alors que celui-ci est ouvert 365 jours par an et vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Cette crise exige des solutions de fond. L'absence ou la mauvaise qualité de la permanence des soins en ville rejaillit sur l'hôpital. Nous allons donc traiter ces problèmes. Les États généraux de l'organisation de la santé, la mission confiée à Gérard Larcher sur le rôle de l'hôpital, la transformation des agences régionales de l'hospitalisation en agences régionales de santé, la réflexion sur les nouveaux métiers de l'hôpital, les perspectives de carrière à l'hôpital vont nous permettre, à travers la loi sur l'organisation des soins proposée par le Premier ministre que nous examinerons dans quelques mois, de résoudre les questions de fond.
En attendant, nous devons, ces 23 millions d'heures supplémentaires aux personnels qui les ont effectuées. Un certain nombre d'heures, de jours ont été stockés sur les comptes épargne-temps et nous devons veiller à dédommager ces personnels.
La concertation a commencé hier avec les quatre intersyndicales de praticiens. Elle débutera dans quelques instants, après les questions au Gouvernement, avec les huit organisations représentatives de la fonction publique hospitalière.
Nous disposons de sommes importantes : 348 millions sur le fonds pour l'emploi hospitalier ; 324 millions sont provisionnés par les établissements sur les comptes épargne-temps.
Nous allons sécuriser cet argent, pour payer ces heures supplémentaires, veiller à monétariser ces comptes épargne-temps. La négociation, monsieur le député, est commencée et je compte qu'elle aboutisse très rapidement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)
La parole est à M. Georges Fenech, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
Monsieur le président, ma question s'adresse à Mme la garde des sceaux.
L'examen du projet de loi sur la rétention de sûreté, destiné à éviter le passage à l'acte des récidivistes dangereux, débute aujourd'hui à l'Assemblée nationale.
Au mois d'août, on s'en souvient, les Français avaient été profondément choqués d'apprendre qu'un délinquant sexuel récidiviste avait, dès sa sortie de prison, enlevé un enfant et lui avait fait subir les pires violences sexuelles. Ce drame nous a montré que nous devions agir, afin d'écarter de la société les délinquants les plus dangereux, tant qu'ils le resteront.
Madame la ministre, je vous ai accompagnée avec mes collègues Guy Geoffroy et Jean-Claude Mignon au centre de détention de Melun…
…et nous avons ainsi pu nous rendre compte des moyens nécessaires pour la mise en oeuvre des grandes mesures inscrites dans le projet de loi.
Pouvez-vous nous faire part, madame la ministre, des grandes lignes de votre projet de loi ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Monsieur Fenech, nous allons effectivement avoir cet après-midi un débat sur la nécessaire prise en charge des délinquants les plus dangereux : ceux qui commettent des actes atroces, des actes de barbarie.
Il est indispensable que, à l'issue de leur détention, à l'issue de leur peine, ces délinquants considérés et reconnus comme dangereux puissent être pris en charge dans le cadre d'une mesure de sûreté.
Car, sans sûreté, il ne peut pas y avoir de liberté. Je pense au petit Enis, âgé de cinq ans, qui a été enlevé, alors qu'il jouait devant chez lui, et violé.
Sans sûreté, il ne peut pas y avoir de vie. Je pense à la jeune Anne-Lorraine Schmitt, qui a été violée et tuée alors qu'elle se rendait dans sa famille en RER.
Nous ne pouvons plus être spectateurs de tels drames et de tels actes de barbarie. De nombreuses personnalités, de nombreux rapports auxquels les parlementaires ont participé demandent que ces délinquants reconnus comme dangereux, à l'issue de leur peine, puissent être pris en charge, placés dans des centres fermés. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) Nous prenons nos responsabilités et nous allons créer ces centres fermés, dont le premier ouvrira à Fresnes en septembre 2008. Lorsque ce texte sera adopté, ces centres seront créés. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
La parole est à Mme Isabelle Vasseur, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
Ma question s'adresse à Mme la ministre de la santé, de la jeunesse et des sports.
Vous avez, madame la ministre, hérité des conséquences de l'instauration des 35 heures à l'hôpital. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.) Les Français ont conscience que les principes de cette idéologie ne sont pas adaptés au bon fonctionnement de nos services hospitaliers.
La continuité des soins, l'accueil vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept de toutes celles et ceux qui en ont besoin exige une qualité de service qui n'est pas compatible avec l'application des 35 heures. Notre priorité est pourtant bien de maintenir cette qualité de soins exemplaire.
Depuis la mise en oeuvre des 35 heures, les personnels ont accumulé de très nombreuses heures supplémentaires non payées, ainsi que des RTT sur leurs comptes épargne temps, dont la durée de vie est de surcroît limitée à dix ans.
Aujourd'hui, les praticiens comme les personnels de la fonction publique hospitalière demandent, à juste titre, que la question des heures supplémentaires non payées comme celle des comptes épargne temps soient réglées rapidement.
Que comptez-vous faire, madame la ministre, sur ce dossier qui mérite un traitement de fond, dans l'intérêt des professionnels hospitaliers comme dans celui de la prise en charge de nos concitoyens ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
La parole est à Mme la ministre de la santé, de la jeunesse et des sports.
Mme Isabelle Vasseur me donne l'occasion de compléter la réponse que j'ai faite à M. Olivier Jardé.
Nous sommes confrontés à deux problèmes : depuis l'instauration des trente-cinq heures à l'hôpital, vingt-trois millions d'heures supplémentaires n'ont pas été payées…
…et 4,2 millions de jours ont été stockés sur le compte épargne temps. Les vingt-trois millions d'heures que nous devons aux personnels seront payées !
Les comptes épargne temps n'étaient pas monétarisables, la loi ne le permettant pas. La négociation a donc commencé avec les quatre intersyndicales de praticiens hospitaliers. Les personnels médicaux ont, en moyenne, stocké quarante-deux jours sur leur compte épargne temps, contre 3,5 jours pour les personnels non médicaux. La négociation que nous avons engagée porte sur le taux de monétarisation, le nombre de jours monétarisables et le calendrier du paiement de ces comptes.
Certains souhaiteront conserver leur compte épargne temps et garder la possibilité de prendre ces jours de congé, à leur convenance, durant leur activité, soit au moment de leur retraite. Avec Éric Woerth, nous avons lancé une négociation très importante sur la question de savoir comment transformer une partie des comptes épargne temps en droits à pension. Suite à l'arbitrage du Premier ministre, nous avons fait en sorte que la totalité des comptes épargne temps soit transmissible aux ayants droit en cas du décès du titulaire du CET : le décret est prêt et sera présenté, le 31 janvier, au Conseil supérieur de la fonction publique. Vous le voyez, madame la députée, nous avançons, et nous avançons vite ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
La parole est à Mme Geneviève Fioraso, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.
Monsieur le Premier ministre, ma question fait suite à ce qui a constitué la seule vraie information de la conférence de presse tenue ce matin par le Président de la République. En effet, à la question : « Monsieur le Président de la République, souhaitez-vous que 2008 soit l'année de la suppression des 35 heures ? », il a répondu par un « oui » abrupt. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Est-ce la fin annoncée de la durée légale du travail qui se profile à travers ce « oui » définitif ? (« Bien sûr ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Ma question concerne la notion même de durée légale. S'il n'y a plus de durée légale du travail, quel sera l'avenir du fameux slogan auquel vous tenez tant : « travailler plus pour gagner plus ? »
Comment mesurer et rétribuer les heures supplémentaires s'il n'y a plus de seuil de déclenchement des heures supplémentaires ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
C'en sera fini de la majoration de 25 % de ces heures et ce sera alors un manquement majeur aux promesses que vous avez faites et répétées sans relâche durant la campagne présidentielle. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Si c'est tel est le cas, il faut le dire clairement aux Français : entendez-vous purement et simplement supprimer toute durée légale du travail ? (« Oui ! » sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Les conséquences sont connues : on aboutirait à aggraver les inégalités entre les salariés et à faire perdre tout repère aux salariés et aux entreprises.
Cette surenchère libérale risque d'accentuer les difficultés des entreprises les plus fragiles, donc les plus délocalisables. L'emploi, la croissance, et donc le pouvoir d'achat des Français, feront les frais de votre politique.
En aucun cas, vous ne permettrez aux Français d'augmenter librement leur temps de travail, contrairement au slogan que vous leur avez martelé, puisque c'est l'employeur qui décidera, sans protection sociale pour le salarié.
Monsieur le Premier ministre, en ce début d'année, est-ce réellement le seul voeu que vous formez pour améliorer le pouvoir d'achat des salariés et la compétitivité des entreprises françaises, gravement menacées, en berne dans les classements européens et internationaux ?
Compte tenu de la gravité du sujet, je vous remercie à l'avance, monsieur le Premier ministre, de répondre clairement à la question que se posent, en toute légitimité, l'ensemble des salariés : oui ou non, comptez-vous abolir la durée légale du travail ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine. – « Oui ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
La parole est à M. le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité.
Madame la députée, les choses sont claires : nous voulons tourner la page des trente-cinq heures imposées ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Et nous ne sommes pas les seuls : M. Strauss-Kahn (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche), lors de son passage à Paris, disait, en décembre dernier, que les 35 heures étaient derrière nous ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Il y a quelques minutes, M. Gaëtan Gorce n'a pas dit autre chose, et, en tant que rapporteur de la loi Aubry 2, il sait de quoi il parle ! (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Voilà pourquoi vous n'êtes pas obligés de rester arc-boutés sur vos préjugés ! Vous n'êtes pas obligés en ce début d'année 2008 de vous figer dans l'archaïsme, pas plus que vous n'êtes obligés de laisser croire que nous ferions n'importe quoi, n'importe comment ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Notre priorité, contrairement à vous, c'est le dialogue social ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Voilà pourquoi le Premier ministre a, le 26 décembre dernier, transmis un document d'orientation complémentaire aux partenaires sociaux. Ils ont jusqu'au 31 mars pour nous dire comment ils voient les choses, et, quant à nous, nous prendrons nos responsabilités.
Nous ne sommes pas sourds à ce que nous disent les Français dans les entreprises. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.) Hier encore, en Eure-et-Loir, avec Philippe Vigier, les délégués syndicaux et les salariés nous ont dit qu'ils veulent de la souplesse dans l'entreprise.
Ils ne veulent plus qu'on leur impose les choses d'en haut, comme vous l'avez fait (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche), mais qu'on rende les choses possibles comme nous l'avons fait avec les heures supplémentaires et les journées de RTT.
Oui, il existe un cadre juridique pour la durée du travail en France et il en existera un. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous nous sommes opposés au projet de directive européenne, parce qu'il n'est pas question de faire n'importe quoi, n'importe comment. C'est nous, contrairement à vous, qui sommes attentifs aux conditions de travail, à la sécurité au travail, à la question de la pénibilité. Le statu quo n'est plus possible. (M. Facon brandit une ardoise avec la note de zéro sur vingt et la mention « hors sujet ».)
Et vous n'êtes pas obligés de continuer à regarder dans le rétroviseur ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire – Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
La parole est à M. Charles de La Verpillière, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
Ma question s'adresse à M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité.
Monsieur le ministre, nous avons adopté, en août dernier, la loi relative au dialogue social et à la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs, que le Président de la République avait annoncée pendant sa campagne électorale.
Cette loi, très attendue par nos concitoyens, prévoit la mise en oeuvre, par la voie du dialogue social, d'un service minimum garanti dans les entreprises de transport de passagers à partir du 1er janvier 2008.
Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Très bonne chose !
Pouvez-vous nous dire quel a été le résultat des négociations et si l'État devra intervenir ?
La loi a, en outre, confié aux collectivités locales le soin de fixer les priorités de desserte pour les transports dont elles ont la responsabilité. En cas de carence des collectivités, c'est l'État qui fixera lui-même les priorités de desserte.
De nombreuses collectivités territoriales, de droite comme de gauche, ont déjà pris les mesures nécessaires. C'est le cas, par exemple, dans l'Ain, mon département, et dans les départements voisins de l'Isère et du Rhône. D'autres collectivités tardent à le faire, semble-t-il.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire en ce début janvier ce qu'il en est, notamment en matière de transports ferroviaires régionaux ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
La parole est à M. le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité.
Monsieur le député, concernant le service minimum, les négociations ont abouti dans trois cas sur quatre : à la RATP, à la SNCF et dans les transports urbains, alors que l'on nous disait qu'aucun accord de ce genre ne serait jamais possible. Sur la prévisibilité du trafic comme sur la prévention des conflits, le problème est réglé.
En revanche, s'agissant des transports interurbains, notamment du transport scolaire, il n'y a pas eu d'accord national. C'est pourquoi, en ce moment même, au ministère des transports, sous l'égide des services de Dominique Bussereau et de mes propres services, les acteurs des transports interurbains sont réunis afin que leur soit présenté le projet de décret dont j'avais fait état fin 2007.
Pour plus de 90 % des déplacements quotidiens des Français, la question est donc réglée.
S'agissant des transports ferroviaires régionaux, la moitié des régions ont joué le jeu en déterminant les priorités de desserte,…
…afin que, en cas de grève, l'on puisse affecter les personnels non grévistes à tel train plutôt qu'à tel autre et garantir le droit des Français d'aller à leur travail. C'était un point essentiel ; il est aujourd'hui validé.
Dans les autres régions, les arrêtés préfectoraux sont en cours de publication. Ils le seront en janvier, comme cela a été indiqué. Certaines régions accélèrent le rythme, d'autres ne souhaitent visiblement pas le faire. L'État prendra donc ses responsabilités.
Ainsi, début 2008, le service minimum, que l'on disait impossible à mettre en oeuvre, va devenir réalité. Le droit de grève est un droit constitutionnel, mais le droit de se rendre à son travail doit aussi être reconnu, comme celui de savoir si les enfants pourront aller au collège et en revenir dans de bonnes conditions. L'information des usagers doit, elle aussi, être garantie.
De plus, après sept jours de grève, les employés se prononceront par un vote à bulletin secret. Surtout, autre point important, quand on fait grève, on ne travaille pas ; quand on ne travaille pas, on n'est pas payé !
Tout cela figure dans la loi que vous avez votée ! Les Français l'attendaient ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
La parole est à M. Lionel Tardy, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
Ma question s'adresse à Mme la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Madame la ministre, un nombre important d'étudiants doivent travailler pour financer leurs études, et ce nombre augmente en fin de cursus. En effet, si les parents peuvent financer les premières années d'études, cela leur est plus difficile au bout d'un certain temps, surtout lorsqu'ils ont plusieurs enfants poursuivant des études supérieures.
Travailler pendant ses études est bénéfique. Cela fait sortir l'étudiant de la salle de cours et lui donne une expérience concrète du monde du travail. C'est très enrichissant et cela permet d'équilibrer le caractère parfois très théorique de l'enseignement universitaire. Pour autant, il ne faut pas que cet emploi prenne le pas sur leurs études et la poursuite de leur cursus.
Dans la loi sur les universités que nous avons adoptée cet été,…
… figure un dispositif qui permet aux universités et aux grandes écoles de proposer des contrats de travail aux étudiants. Cette mesure va dans le bon sens : c'est sans doute pour cela que la gauche s'est bien gardée d'en parler, ne cherchant qu'à diaboliser ce texte. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) Le décret organisant ce dispositif vient de paraître, moins de cinq mois après l'adoption de la loi ; ce qui est une preuve d'efficacité, soulignons-le.
Madame la ministre, pouvez-vous nous détailler le dispositif mis en place par ce décret et nous donner les grandes lignes de votre politique concernant l'emploi étudiant en général ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
La parole est à Mme la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Aujourd'hui, les trois quarts des étudiants font durant l'année un travail rémunéré : certains, par nécessité, d'autres pour disposer de ressources supplémentaires pour leurs loisirs, d'autres enfin pour acquérir une première expérience professionnelle.
Je veux tout faire pour que le travail étudiant soit choisi, et non pas subi. Je veux tout faire pour que cette expérience soit bénéfique et n'entrave pas la réussite dans les études. C'est pourquoi nous avons lancé une grande réforme des bourses afin de donner davantage à ceux qui en ont le plus besoin. Dès l'année prochaine, il y aura 50 000 étudiants boursiers supplémentaires, et, dès cette semaine, les 100 000 étudiants les plus défavorisés verront leur bourse augmenter de 7,2 %.
J'ai aussi voulu créer un contrat de travail spécifique pour les étudiants au service de leurs camarades. Ils effectueront des missions de tutorat pour les élèves les plus en difficulté, accompagneront leurs camarades handicapés, participeront aux travaux du bureau des stages et de l'insertion professionnelle et à toutes les autres missions qui développent la solidarité dans la vie de ces campus que veut construire le Président de la République.
Ce sera un véritable contrat de travail rémunéré au moins au SMIC, qui offrira aux étudiants toutes les garanties d'un contrat de droit public. Les horaires seront aménagés spécialement pour permettre l'assiduité aux cours et aux examens et ne pourront dépasser un mi-temps, afin de ne pas entraver la réussite dans les études. Ces contrats seront offerts en priorité aux étudiants les plus défavorisés et les plus méritants pour augmenter leur pouvoir d'achat tout en leur permettant de poursuivre leurs études. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)
La parole est à M. Pierre-Alain Muet, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.
Monsieur le président, je comptais adresser ma question à Mme la ministre de l'emploi et de l'économie, mais, puisque M. Bertrand est intervenu longuement pour expliquer que les 35 heures avaient mis notre pays en grandes difficultés, …
Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Eh oui !
Posez votre question. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Permettez-moi de la développer.
Monsieur Bertrand, je vous invite à examiner les chiffres, car, dans le débat sur les 35 heures, vous commettez une double erreur.
Une erreur économique, d'abord, car on ne saurait opposer le pouvoir d'achat et l'emploi. La seule période en France où la croissance du pouvoir d'achat des ménages a été forte, c'est de 1997 à 2002 : elle a dépassé chaque année 3 %. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Il n'en était pas de même pour la croissance des salaires, comme vous le savez !
Le taux de croissance de notre pays était alors égal au taux de croissance mondial et supérieur d'un point au taux européen. Depuis 2002, la croissance française est inférieure d'un point à la croissance européenne, et, contrairement à ce qu'a affirmé M. Luc Chatel, les inégalités se sont profondément accrues.
Mais vous faites aussi une erreur historique, monsieur Bertrand. Toute l'histoire économique montre que la réduction du temps de travail – par rapport au siècle dernier, le temps de travail a été divisé par deux, dans tous les pays du monde – et l'augmentation continue du pouvoir d'achat et de la productivité du travail vont de pair.
Je repose donc la question de Mme Fioraso : avez-vous l'intention de supprimer la durée légale du travail ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
La parole est à M. le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité.
J'avais cru que vous aviez la nostalgie des lois Aubry, mais je vois que vous revenez au XIXe siècle : vous commencez l'année 2008 de fort belle façon !
Je ne vous adresse pas mes félicitations, et les Français non plus !
Vous avez oublié de dire une chose, c'est que, entre 1997 et 2002, l'augmentation de la croissance a été un phénomène européen, et même mondial. Elle n'a certainement pas été propre à notre pays ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.) En revanche, on peut estimer que le ralentissement de la croissance a été dû au choc lié aux 35 heures, et surtout à votre absence de courage en matière de réformes.
Mais surtout, vous avez omis de préciser que, à l'époque, les 35 heures imposées ont été synonymes de gel des salaires dans de nombreuses entreprises.
Vous ne ferez toutefois pas oublier que, lors de la campagne présidentielle, vous ne saviez pas très bien vous-mêmes où vous en étiez : fallait-il généraliser les 35 heures ? Ni la candidate socialiste ni les autres prétendants de son parti ne le savaient vraiment.
Les 35 heures vous donnent l'occasion de parler d'un sujet que vous aviez abandonné depuis bien longtemps : le travail. Mais la valeur « travail », c'est nous qui l'avons remise à l'honneur, et les Français qui travaillent se sentent à nouveau valorisés, respectés et considérés. Et nous continuerons dans cette voie ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre. – Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
La parole est à M. Michel Havard, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
Monsieur le secrétaire d'État chargé des sports, beaucoup de Français attendent des réponses après l'annulation du Rallye Paris-Dakar. En effet, pour la première fois depuis sa création en 1978, le rallye, qui devait prendre son départ le 5 janvier, a été annulé pour des questions de sécurité. Pourriez-vous nous préciser quels risques pesaient sur l'épreuve ?
Comme beaucoup de Français, je suis attaché à cet événement qui, depuis trente ans, associe de très nombreux passionnés de sport automobile qui poursuivent le rêve d'aventure initié par Thierry Sabine. Dans ce rallye, retransmis sur les cinq continents, sont engagés des coureurs de cinquante nationalités. Il mobilise dans tous les territoires de France – j'ai pu le constater à Lyon et dans sa région – les énergies d'hommes et de femmes, d'entreprises, de collectivités et d'amoureux du sport automobile. Aussi sommes-nous nombreux à redouter que cette annulation ne sonne le glas du Dakar. (Mme Martine Billard et M. Yves Cochet applaudissent.)
Par conséquent, j'aimerais savoir quelles initiatives vous comptez prendre pour assurer la survie du rallye en 2009 et au-delà. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)
Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, la société ASO, organisatrice du Paris-Dakar, a décidé d'annuler le rallye 2008. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) Cette décision est motivée par les recommandations fermes du Gouvernement, après les événements dramatiques récemment survenus en Mauritanie, où quatre ressortissants français ont été assassinés, un autre grièvement blessé et trois militaires mauritaniens tués. (« Et les casinos ? » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
J'attends qu'ils viennent me le dire après !
D'autre part, les menaces directes proférées par Al-Qaïda contre la course ont également poussé le Quai d'Orsay et le Gouvernement à émettre ces recommandations, malgré les mesures exceptionnelles prises par les autorités mauritaniennes, qui avaient déployé 4 000 personnes pour assurer la sécurité du rallye.
Nous savons tous qu'il est difficile de protéger des centaines de personnes sur des centaines et des centaines de kilomètres. Nul doute que la société organisatrice a pris la bonne décision.
Le Dakar fait partie intégrante du patrimoine africain, avec des retombées économiques bénéfiques pour le Maroc, le Sénégal et la Mauritanie.
La véritable question est celle de la pérennité de la compétition. C'est pourquoi une réunion rassemblera vendredi prochain les dirigeants d'ASO et mon cabinet afin d'envisager des solutions pour que le rallye perdure. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. – Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. – M. Laporte fait un geste d'impatience en direction du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Voyou !
La parole est à M. Philippe Martin, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.
Monsieur le président, permettez-moi de dire amicalement à Bernard Laporte que nous ne sommes pas sur un terrain de rugby et qu'on ne peut pas régler ici les problèmes comme le font parfois le Stade français et Montpellier. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. – Exclamations sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Monsieur Bertrand, je reviens à la question à laquelle vous semblez décidément ne pas vouloir répondre. Et si vous n'y répondez pas, c'est qu'elle vous gêne : allez-vous, oui ou non, abolir la durée légale du travail ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Allez-vous revenir sur les 35 heures, et pour les remplacer par quoi ? Allez-vous revenir sur les 37, les 38 heures, les 40 heures de Blum que votre candidat invoquait durant la campagne électorale ? Est-ce cela que vous entendez faire ? Les Français ont besoin de le savoir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Vous voulez, paraît-il, politiser les élections municipales et cantonales. Eh bien, chiche ! Nous irons expliquer aux Français que votre politique, c'est toujours plus de cadeaux pour les riches et toujours plus de casse sociale pour ceux qui souffrent ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Répondez-nous : oui ou non, allez-vous abolir la durée légale du travail ? (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
La parole est à M. le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité.
Mes chers collègues, je vous demande un peu de calme et de respect ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Monsieur le ministre, vous avez la parole.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, …
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Oui ou non ?
Je sais que certains d'entre vous ont depuis bien longtemps envie d'être au Gouvernement, mais il faudra auparavant que les Français vous fassent confiance et je ne suis pas certain que, en vous voyant vous comporter de la sorte, ils en aient envie. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Il y a aujourd'hui un cadre juridique pour la durée du travail, et vous le savez très bien. Il y aura demain un cadre juridique pour la durée du travail, vous le savez très bien aussi.
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Alors ?
La vérité, c'est que vous cherchez encore une fois à masquer une absence de propositions dont les Français se rendent compte année après année. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Vous savez pertinemment quelle est la position du Gouvernement français sur la durée du travail au plan européen. Et ce que nous faisons sur le plan européen, nous le faisons au plan national.
Et, bien évidemment, nous avons à l'esprit la question de la pénibilité et des conditions de travail.
Nous savons qu'il est possible aujourd'hui de ne plus imposer d'en haut, comme vous l'avez fait avec les 35 heures, mais nous voulons aussi apporter des garanties aux employeurs comme aux salariés. C'est la vérité et les Français le savent pertinemment, comme ils savent que vous tenez un double discours – j'ai pu moi-même le constater : dans vos circonscriptions, vous êtes prêts à dire qu'il faut de la flexibilité et de la souplesse quand ici vous faites mine de dire qu'il n'en faut pas du tout. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Il faudrait, en 2008, que vous cessiez ce double discours et que vous reconnaissiez enfin que les 35 heures imposées ont été un boulet insupportable pour l'économie française. En ce qui nous concerne, nous ne referons pas cette erreur. Nous laisserons de la souplesse tout en assurant des garanties aux salariés, car, nous, nous sommes du côté des salariés. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)
Madame (Mmes et MM. les députés, ainsi que Mmes et MM. les membres du Gouvernement se lèvent), monsieur le Premier ministre, mesdames les ministres, messieurs les ministres, monsieur le Président du Conseil constitutionnel, monsieur le Premier Président de la Cour des comptes, mes chers collègues, samedi matin, un mal foudroyant emportait notre ancien collègue, celui qui, il y a peu de temps encore, occupait ce perchoir : Raymond Forni.
Cette disparition nous a tous profondément attristés. Raymond Forni était respecté, et bien au-delà de sa famille politique. L'hommage unanime qui lui est rendu depuis samedi matin est éloquent : il avait, ici, à l'Assemblée nationale, l'estime de tous.
Modèle de promotion républicaine, il était un grand parlementaire, un homme de convictions.
Né le 20 mai 1941 à Belfort dans une famille d'immigrés italiens, Raymond Forni, orphelin de père dès l'âge de onze ans, fut tôt confronté aux douleurs de l'existence.
Issu d'un milieu modeste, longtemps étranger dans son propre pays – puisqu'il dut attendre ses dix-sept ans pour obtenir la nationalité française –, c'est par sa volonté, par son travail, que Raymond Forni a su construire son destin. Un autre destin que celui que lui réservait sa naissance, un destin remarquable ! Il aimait rappeler qu'il le devait à la France.
Tous ici, nous nous souvenons comment, et avec quels mots émouvants, pleins de gratitude, il avait, de cette tribune, rendu hommage à la République.
Celui qui occupa ce perchoir commença sa vie professionnelle à dix-huit ans ouvrier chez Peugeot.
Sa ténacité eut raison des circonstances : jeune homme courageux, il passa avec succès son baccalauréat à vingt-deux ans. Puis, tout en travaillant à l'usine, il fera des études de droit qui le conduiront à devenir avocat à vingt-sept ans. De l'usine au barreau, déjà, quel parcours !
Très vite, il s'intéressera à la politique et, dès 1973, il est élu député du Territoire-de-Belfort. Il a trente-deux ans. Il sera réélu à cinq reprises, pour cinq législatures, jusqu'en 2002.
À l'Assemblée, en ces lieux, son talent de juriste et sa force de travail feront vite sa réputation.
En 1981, à quarante ans, il devient président de la prestigieuse commission des lois. Il y laissera l'empreinte d'un législateur éminent.
En 1985, il est nommé à la Haute Autorité de l'audiovisuel.
De retour à l'Assemblée en 1988, il sera élu le 29 mars 2000 Président de l'Assemblée nationale.
De l'usine au barreau, du barreau au Palais-Bourbon et du Palais-Bourbon à la Présidence de l'Assemblée nationale : il est peu d'exemples d'une aussi remarquable ascension républicaine.
Son premier discours de Président de l'Assemblée nationale est encore dans la mémoire de beaucoup d'entre nous. Ce discours est l'un de ceux, parmi les très nombreux prononcés depuis cette tribune, qui ne s'oublieront jamais.
Son hommage vibrant, poignant, à la République qui, pour reprendre ses propres mots, « accueille, éduque, rassemble sans distinction de race, d'origine, de couleur, de religion » restera l'un des moments les plus forts et les plus émouvants du coeur de la démocratie que constitue cet hémicycle.
Président de l'Assemblée nationale jusqu'en 2002 – huitième président de l'Assemblée de la Ve République –, Raymond Forni remplira ses fonctions dans un esprit républicain qui lui vaudra le respect de tous.
Il fut parmi nous un député assidu, engagé, convaincu, exigeant. Il fut et il restera pour nous tous un grand parlementaire.
Raymond Forni, c'était enfin un homme de convictions. Il avait des idées claires, un engagement ancien. Il ne transigeait pas. Cette fidélité à ses idées l'honore. Elle est exemplaire. Ses convictions étaient aussi celles d'un humaniste.
En 1981, il fut rapporteur de l'un des plus grands textes débattus dans cet hémicycle : l'abolition de la peine de mort. L'homme, l'avocat et le député qu'il était, confessait volontiers que c'était son plus grand souvenir de parlementaire.
Ses convictions, c'était aussi cet attachement aux libertés publiques dont il fit preuve avec constance à la Haute Autorité de l'audiovisuel, puis à la Commission nationale de l'informatique et des libertés, qu'il avait lui-même contribué à créer et dont il fut vice-président plus de dix années durant.
L' « enfant de la République », le fils d'immigrés italiens naturalisé français à dix-sept ans, l'homme passionnément attaché à la France qu'était Raymond Forni avait les meilleures raisons d'être farouchement européen.
Dans son discours du 29 mars 2000, il résumait son engagement européen par ces mots : « La France m'a tout donné, et c'est peut-être pour cela que, mon sang et mon coeur se mêlant, je crois à l'Europe par-dessus tout. »
La solidité de ses convictions, enfin, c'était sa volonté de servir la République, de servir les Français. Pour ce service, il s'engagera sans relâche, au niveau national comme au niveau local, dans cette région de Franche-Comté où il avait grandi : maire de Delle, conseiller général du Territoire-de-Belfort et, enfin, président du conseil régional de Franche-Comté. Cette fidélité force l'admiration.
C'est un homme de très grande qualité dont nous saluons ici la mémoire.
À vous, madame, à ses enfants, à ses anciens collèges et à ses amis politiques, j'adresse, au nom de tous les députés de l'Assemblée nationale et en mon nom personnel, mes condoléances particulièrement attristées.
(Mmes et MM. les députés, ainsi que Mmes et MM. les membres du Gouvernement, observent quelques instants de recueillement.)
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, madame, humbles devant la mort, nous le sommes plus encore quand celui qui nous quitte a donné, par sa présence, par ses contributions à notre vie politique, par son parcours personnel, l'image d'un destin exemplaire.
Parmi nous, il y a ceux qui luttent contre la pauvreté, la solitude, et ceux qui les ont subies.
Il y a ceux qui débattent du travail en usine, et ceux qui l'ont vécu.
Il y a ceux qui encouragent l'effort d'intégration, la réussite personnelle, la promotion sociale, et ceux qui ont su tout donner, tout surmonter pour les mener eux-mêmes à bien, jusqu'à obtenir du pays la reconnaissance la plus haute.
Raymond Forni était de ceux-là.
Je veux redire le message à la fois clair, positif et exigeant que son parcours adresse à tous ceux dont l'intégration dans la société française semble difficile.
Je pense aux jeunes issus de l'immigration, mais aussi à ceux que leur histoire scolaire ou familiale semble écarter des voies balisées de la réussite.
Raymond Forni était devenu citoyen français à dix-sept ans. À trente-deux ans, il était député du Territoire-de-Belfort, grand juriste, grand constitutionnaliste.
Quinze ans pour passer d'une demeure modeste de Montreux-Château à la représentation nationale et, par-delà, au Conseil de l'Europe, à la CNIL, à la présidence de la région Franche-Comté.
Quand l'intégration est courageuse, volontaire, loyale, aucune porte ne lui reste fermée.
Les combats de Raymond Forni ont toujours été guidés par ce souci proprement humaniste de respect de l'homme et de ses dons, le souci de la tolérance, de l'ouverture intellectuelle, de la justice.
Raymond Forni s'était fait connaître comme avocat en défendant, dans l'affaire Mercier, cette enseignante poursuivie pour avoir abordé en classe de lycée une réflexion sur la sexualité, une lecture large et compréhensive de la liberté d'enseigner.
Il disait avoir connu son grand moment de député comme rapporteur d'une des lois qui ont honoré l'Assemblée nationale, la loi abolissant la peine de mort.
À cet esprit de tolérance et de générosité, je veux exprimer aujourd'hui l'hommage sans réserve du Gouvernement et de la nation.
Raymond Forni avait mis au service de l'État les talents que la France lui avait permis d'épanouir.
Son travail considérable, en particulier à la tête de la commission des lois, avait pour horizon la collectivité nationale. Son éloquence était à la disposition de la République. Il en vivait chaque progrès avec probité et avec une passion presque farouche.
Ceux d'entre vous qui ont eu le privilège de travailler ici même sous sa présidence s'en souviennent : au perchoir, Raymond Forni avait le ton rigoureux, parfois tranchant, le ton sans doute de ceux qui s'étaient battus pour tous, qui n'avaient jamais fait un pas pour eux seuls.
La République avait donné à Raymond Forni le rang de quatrième personnage de l'État. Lui-même s'était attribué en retour un titre à la fois modeste et beau, celui d'« enfant de la République ».
La République que j'aime, c'est celle qui donne leur chance à des hommes de la qualité et de la trempe de Raymond Forni.
Permettez-moi, au nom du Gouvernement tout entier, d'adresser à sa famille, à ses proches, à ses collègues et amis, mes plus sincères condoléances.
(Mmes et MM. les députés, ainsi que Mmes et MM. les membres du Gouvernement, observent quelques instants de recueillement.)
En hommage à notre ancien président, Raymond Forni, l'Assemblée ne tiendra pas séance demain après-midi.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures trente-cinq.)
La séance est reprise.
Mes chers collègues, je vous informe que la séance sera levée à dix-huit heures quarante-cinq en raison de la présentation, à l'Hôtel de Lassay, à dix-neuf heures, du film La Onzième heure : le dernier virage.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, la justice doit se tenir à l'écart des tumultes et des émotions passagères. Elle doit s'exercer dans la sérénité et l'impartialité pour préserver son indépendance et sa légitimité. Pour autant, la justice n'est pas une abstraction. C'est une réalité, une réalité qui se nourrit de nos vies quotidiennes. La justice est au coeur de la cité. Elle tranche les conflits et répare les préjudices. Elle entend ceux qu'elle protège et doit répondre à leurs inquiétudes. C'est aussi comme cela qu'elle est légitime.
Une justice aveugle et sourde serait dépourvue de sens, et ne pourrait inspirer le respect. La justice doit être proche des Français, car elle est humaine. Elle doit être concrète : c'est comme cela qu'elle est efficace.
Votre commission des lois l'a très bien compris. Son président, Jean-Claude Warsmann, à l'origine de la loi sur la simplification du droit, sait que la justice doit être proche des Français. Votre rapporteur, Georges Fenech, ancien magistrat, réfléchit depuis longtemps au sujet qui nous préoccupe aujourd'hui.
Depuis plusieurs années, les Français se sont émus de crimes odieux, commis par des personnes déjà condamnées et toujours considérées comme dangereuses. À chaque nouveau meurtre, à chaque nouveau drame, ils nous ont posé cette question : pourquoi un individu condamné pour des faits particulièrement graves et dont la dangerosité était manifeste a-t-il été laissé en liberté ? Les criminels, comme les prédateurs sexuels, ne présentant pas de pathologie psychiatrique, ils ne relèvent pas d'une prise en charge psychiatrique. Il n'existe donc aujourd'hui aucun dispositif pour les maîtriser, ni aucune structure pour les resocialiser de façon adaptée, de sorte qu'il faut attendre un nouveau passage à l'acte pour les enfermer et canaliser leur dangerosité.
La peine ne sert alors plus seulement à sanctionner un crime ou un délit ; elle est destinée à maintenir à l'écart un individu jugé dangereux. Il s'agit là en fait d'une mesure de sûreté pour la société. Vous le savez très bien, mesdames et messieurs les députés, ce système n'est pas satisfaisant. La sanction est détournée de son objectif initial. C'est là que se trouve la véritable atteinte à la liberté et à la finalité de la peine.
Les Français se sont également émus de la situation des irresponsables pénaux. Il s'agit des personnes que leurs troubles mentaux ne permettent pas de juger. L'affaire s'achève par un non-lieu, sans qu'il y ait d'audience, ni de débat. Le dossier est clos par un simple courrier.
Ces deux questions sont fondamentalement différentes. Dans le premier cas, le criminel est responsable de ses actes. Son discernement n'étant pas aboli, il peut être jugé et condamné. Dans le second, le discernement de l'auteur des faits est aboli. Il est alors reconnu comme pénalement irresponsable et peut relever de l'hospitalisation d'office en hôpital psychiatrique. Mais ces deux questions ont aussi des traits communs : elles reflètent deux préoccupations exprimées par les Français depuis longtemps ; elles montrent aussi que le droit actuel est inadapté.
Des réflexions très approfondies ont été conduites sur la question du traitement des criminels dangereux. Depuis 2005, trois rapports ont été rendus : celui d'une commission santé-justice présidée par Jean-François Burgelin ; deux rapports parlementaires, l'un de votre collègue Jean-Paul Garraud, l'autre des sénateurs Philippe Goujon et Charles Gautier. Mais ces deux questions sont toujours restées sans suite concrète. Les victimes comme leurs familles sont restées seules. Elles attendaient des mesures concrètes parce qu'elles voulaient que leur drame soit le dernier. Elles n'ont obtenu que de la compassion.
Le silence de la loi n'est plus acceptable. Les Français ne le comprennent pas. Ils ont le sentiment que la justice refuse de regarder les choses en face et que ceux qui les gouvernent sont indifférents. Ils ont la conviction que chaque drame aurait pu être évité, que chaque vie aurait pu être sauvée. J'entends leurs demandes. Doit-on encore attendre de nouveaux crimes pour agir ? Doit-on accepter que des prédateurs que l'on sait dangereux continuent à sévir ? Peut-on laisser un homme comme Francis Évrard commettre de nouveaux crimes ? Doit-on attendre que d'autres jeunes femmes soient, comme Anne-Lorraine Schmitt, violées et tuées ? C'est un débat de fond qui renvoie chacun de nous à ses propres responsabilités.
C'est à nous, Gouvernement et parlementaires, qu'il appartient de répondre aux questions des Français. C'est notre devoir. Il nous revient de trouver un équilibre entre la sécurité et la liberté de chacun, et d'agir. « Qui n'empêche le mal, le favorise », disait Cicéron.
La question de la dangerosité d'un criminel, c'est l'affaire de la justice, tout autant que l'acte commis qu'elle doit juger. La justice ne peut en aucune manière se désintéresser de l' « après-condamnation ». Toute la philosophie de l'individualisation de la peine repose sur cette évidence.
Le projet de loi n'a pas la prétention illusoire de faire disparaître le risque de récidive, mais il permettra de la réduire, conformément à ce que souhaitent les Français.
Le projet de loi comporte trois volets : premièrement, des mesures de sûreté pour les auteurs des crimes contre les mineurs ; deuxièmement, de nouvelles dispositions pour le traitement judiciaire des personnes déclarées irresponsables pénalement ; troisièmement, des mesures pour améliorer la prise en charge des détenus nécessitant des soins.
La première partie du projet de loi propose des mesures de sûreté pour les auteurs des crimes contre les mineurs.
Depuis 1998, les gouvernements successifs ont cherché à améliorer la lutte contre les délinquants sexuels dangereux, avec pour objectif de réduire autant que possible la dangerosité des criminels et le risque d'un nouveau passage à l'acte. Des solutions nouvelles ont été mises en place, comme le suivi socio-judiciaire et le fichier national des empreintes génétiques instaurés par Élisabeth Guigou en 1998. Ce dernier a été étendu en 2003 avec la loi sur la sécurité intérieure portée par Nicolas Sarkozy. Le fichier national des agresseurs sexuels a été créé en 2004, puis le bracelet électronique mobile en 2005, lequel peut désormais être généralisé depuis le 1er août 2007. Ont également été mis en oeuvre les traitements anti-hormonaux, dits aussi castration chimique, sur la base du consentement, depuis 2005. Enfin, j'ai souhaité renforcer l'injonction de soins grâce à la loi du 10 août 2007.
Les rapports Burgelin, Garraud, Goujon-Gautier ont conclu à la nécessité de mettre en place un dispositif permettant d'écarter de la société les délinquants les plus dangereux. Ils préconisent soit des centres fermés de protection sociale, soit des unités hospitalières de long séjour, spécialement aménagées. Le constat a été fait de longue date. Le projet de loi propose la création de centres socio-médico-judiciaires, où ces criminels seront pris en charge.
D'autres grandes démocraties ont fait le même constat. Leurs gouvernements ont abouti à des solutions analogues. Je suis allée aux Pays-Bas avec vos collègues Philippe Goujon et Jean-Paul Garraud, et nous avons visité un hôpital fermé pour délinquants dangereux. Tout y est fait pour faciliter la réinsertion et l'accompagnement de la personne retenue. Après une année de soins en hôpital fermé, le taux de récidive passe de 43 % à 13 %. Ces chiffres montrent l'efficacité du dispositif hollandais.
En Allemagne, l'idée de créer des structures fermées a émergé à la fin du XIXe siècle, fondée sur une logique de réinsertion sociale des individus dangereux. Je rappelle que c'est un gouvernement de coalition conduit par les socio-démocrates qui a durci la législation en la matière en 2004.
Au Canada, le parti libéral a créé le statut de délinquant dangereux en 1947, qui est assorti d'une durée d'enfermement indéterminée. En Belgique, un gouvernement de coalition chrétienne et socialiste a mis en place une procédure d'internement des condamnés toujours dangereux en fin de peine. Vous pouvez constater que nous sommes au-delà des clivages politiques et idéologiques.
Le Gouvernement souhaite s'appuyer sur l'expérience de nos partenaires européens. Le dispositif de rétention de sûreté constitue une innovation sans équivalent dans notre droit. Seront concernées les personnes condamnées à au moins quinze ans de réclusion pour des crimes commis sur des mineurs.
Selon le dispositif prévu, deux ans avant la fin de la peine, le juge de l'application des peines effectue un bilan personnalisé du suivi médical du détenu. C'est une mesure nouvelle qui va au-delà du simple suivi des mesures de soins actuellement en place. Un an avant la fin de peine, la situation du condamné est examinée par la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté. Elle dispose de tous les éléments utiles pour se prononcer sur la dangerosité et le risque de récidive, mais également sur la nécessité d'un placement en rétention de sûreté.
La commission pluridisciplinaire a été créée par la loi sur la récidive du 12 décembre 2005. Elle est composée d'un magistrat, d'un préfet, de deux experts – un psychiatre et un psychologue –, d'un directeur des services pénitentiaires, d'un avocat et d'un représentant d'une association nationale d'aide aux victimes.
Dans le cas de Francis Évrard, nous aurions eu les moyens d'agir avant le drame. Il avait été condamné à vingt-sept ans de prison, et il est sorti au bout de dix-huit ans. Dans le système que nous proposons, il aurait été placé sous bracelet électronique mobile dès sa sortie de prison, aurait été suivi attentivement et n'aurait pu changer de région. En cas de non-respect de ses obligations, il aurait été placé en rétention de sûreté.
Prenons un autre cas, celui de Martial Leconte : sorti de prison le 24 septembre 2007, il a été placé sous bracelet électronique mobile dans le cadre d'une surveillance judiciaire. Très rapidement, il n'a pas respecté les obligations qui lui étaient imposées ; il est donc retourné en détention. C'est le type même d'individu présentant encore une grande dangerosité.
La décision de rétention sera prise si le risque de récidive est particulièrement élevé : la commission pluridisciplinaire proposera au procureur général de saisir une commission régionale composée de magistrats de la cour d'appel, laquelle rendra, après un débat contradictoire, une décision motivée, valable un an et renouvelable.
La rétention est une mesure de sûreté de dernier recours, qui a vocation à s'appliquer de façon exceptionnelle ; elle est subsidiaire à toute autre mesure de contrôle, de suivi ou d'encadrement. C'est pourquoi il est indispensable d'étendre les possibilités de surveillance judiciaire et de suivi socio-judiciaire, afin que ces dispositifs représentent de réelles alternatives. La surveillance judiciaire, actuellement limitée à la durée des réductions de peine, pourra ainsi être prolongée d'un an renouvelable. Comme vous le voyez, ce projet de loi n'est pas à sens unique.
La décision de rétention prise, la personne sera placée dans un centre socio-médico-judiciaire, sous la tutelle des ministères de la justice et de la santé, et sous la surveillance de l'administration pénitentiaire. Elle bénéficiera d'une prise en charge médicale et sociale permanente, et sa situation sera réexaminée chaque année. Le cadre sécurisé permettra d'éviter son enfermement durant la journée : elle pourra se déplacer sur le site, s'y promener ou pratiquer un sport en plein air ; elle pourra également obtenir des permissions de sortie sous escorte.
Le premier centre sera créé au sein de l'hôpital de Fresnes – hôpital, et non prison – dès septembre 2008. Cette structure expérimentale, que nous mettons en place avec Roselyne Bachelot, aura une capacité d'accueil de trente personnes, qui pourra être augmentée suivant les besoins.
À la fin de la rétention, la personne pourra être soumise à certaines obligations, comme le placement sous surveillance électronique mobile ou une injonction de soins. En cas de manquement, elle pourra faire l'objet d'une nouvelle mesure de rétention, toujours sur décision de la commission régionale.
Les futurs condamnés seront avertis par le juge le jour de leur condamnation : ils pourront être placés dans une structure fermée à la fin de leur peine s'ils présentent encore une grande dangerosité.
Pour ce qui est des criminels actuellement incarcérés, le Conseil d'État a proposé un dispositif d'application immédiate, conforme à la Convention européenne des droits de l'homme. Il s'agit d'une surveillance judiciaire étendue : à sa sortie de prison, le condamné sera placé sous surveillance judiciaire par le juge d'application des peines dans les mêmes conditions qu'aujourd'hui et pour le temps des réductions de peine. Au-delà de cette durée, la décision de prolongation relèvera de la commission régionale.
Le condamné soumis à une injonction de soins ou au port d'un bracelet électronique et qui viole ces obligations pourra, si ces manquements traduisent un risque particulièrement élevé de récidive, être placé en rétention de sûreté ; cette décision appartient à la commission régionale.
Votre rapporteur, Georges Fenech, a suggéré d'aller beaucoup plus loin et d'appliquer la rétention de sûreté aux tueurs et violeurs en série déjà condamnés. Nous y avons réfléchi, et les discussions préparatoires nous ont fait juger souhaitable une telle extension du dispositif. Le Gouvernement a donc déposé un amendement visant à étendre la rétention de sûreté aux personnes condamnées pour plusieurs crimes. C'est une question de bon sens et de cohérence : la rétention étant une mesure préventive, elle doit s'appliquer aux criminels les plus dangereux ; d'ailleurs, si tel n'était le cas, l'opinion publique ne l'accepterait pas.
Je pense à cet homme condamné en 2000 à vingt ans de réclusion pour neufs viols et deux tentatives, commis avec usage d'une arme, la nuit, au domicile de ses victimes – des actes extrêmement graves. Cet individu, qui doit sortir de prison en 2010, a d'ores et déjà fait savoir qu'il comptait recommencer. Avons-nous le droit de fermer les yeux ? Devons-nous attendre qu'il mette sa menace à exécution ? Ne rien faire serait inacceptable !
Il est donc de notre responsabilité d'agir, et cet amendement complétera utilement notre dispositif.
Pour conclure sur ce point, je souhaite vous donner quelques indications sur le nombre de personnes concernées. Treize des personnes actuellement placées sous surveillance judiciaire ont été condamnées pour des infractions répondant aux critères de la rétention de sûreté. Par ailleurs, au 1er novembre 2007, sur 106 personnes répondant aux critères du projet et libérables en 2008, quinze, voire vingt, pourraient relever d'une rétention de sûreté.
Ce dispositif sera efficace, puisqu'il permettra de sauver des vies et de mieux prendre en charge les criminels sexuels. C'est aussi une affaire de raison : il faut voir les hommes tels qu'ils sont, et ne pas hésiter à prendre les mesures qui sont nécessaires. Il en va de notre responsabilité.
La deuxième partie du projet de loi apporte de nouvelles dispositions au traitement judiciaire des personnes déclarées irresponsables pénalement. Il s'agit de rendre les procédures plus humaines, plus transparentes et plus compréhensibles, afin que la vérité judiciaire puisse s'exprimer publiquement.
Aujourd'hui, lorsque l'auteur d'une infraction est déclaré pénalement irresponsable, le juge d'instruction rend une ordonnance de « non-lieu », mal vécue par les familles de victimes parce qu'elle donne l'impression que les faits ne se sont pas produits. Cette ordonnance clôture l'instruction et éteint les poursuites judiciaires ; les familles reçoivent un simple courrier les informant de la décision du juge.
Depuis 1995, l'irresponsabilité pénale de l'auteur d'un crime ou d'un délit peut faire l'objet d'un débat public devant la chambre de l'instruction ; cela a d'ailleurs été le cas dans l'affaire Romain Dupuy du double meurtre des infirmières de Pau. Ce débat n'intervient cependant qu'en phase d'appel, après que le juge d'instruction a décidé d'un non-lieu.
La nouvelle procédure ne se refermera plus sur la notification d'une ordonnance de non-lieu : une audience, publique ou non – suivant le souhait des victimes –, se tiendra devant la chambre de l'instruction afin d'engager un débat sur les éléments à charge et l'éventuelle irresponsabilité pénale. L'audience s'achèvera, le cas échéant, par une décision d'irresponsabilité pour cause de trouble mental.
Il ne s'agit évidemment pas de juger les fous, ce qui serait contraire aux grandes traditions de notre droit, mais d'assurer un examen approfondi et contradictoire du dossier, en présence des parties, témoins et experts. Les droits de la défense sont sauvegardés : la personne sera soit assistée, soit représentée par un avocat.
Les déclarations d'irresponsabilité pénale seront inscrites au casier judiciaire – ce qui est une innovation. Une fois la décision rendue, l'auteur des faits sera hospitalisé d'office en hôpital psychiatrique sur décision préfectorale. Nouveauté essentielle, la chambre de l'instruction pourra imposer des mesures de sûreté, applicables dès l'hospitalisation et qui seront très utiles au moment de la sortie ou des permissions de sortie :…
…notamment l'interdiction de se rendre dans certains lieux, de rencontrer les victimes ou de détenir une arme. La violation de ces mesures constituera une infraction passible de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende.
La chambre de l'instruction renverra l'affaire devant le tribunal correctionnel pour statuer sur les demandes de dommages et intérêts. Cette formation à juge unique est assurée par le juge délégué aux victimes, magistrature que j'ai souhaité créer, et qui est en place depuis le 2 janvier 2008.
Cette nouvelle procédure constitue donc une grande avancée : les mesures de sûreté permettront d'éviter un nouveau passage à l'acte, de mieux prendre en charge les personnes atteintes de troubles mentaux et de réduire les risques de rencontre entre l'auteur des faits et ses victimes.
Le troisième et dernier volet du projet de loi vise à améliorer la prise en charge des détenus nécessitant des soins.
Il faut tout d'abord les inciter plus fermement à se soigner ; ils sont encore trop nombreux à renoncer à une libération anticipée afin d'échapper à tout contrôle et à toute obligation en la matière. Le seul moyen de modifier de tels comportements consiste à ne pas accorder de réductions de peine aux détenus qui refusent les soins.
Les réductions de peine accordées aux personnes condamnées à de la prison ferme ne se font pas sans conditions, la loi prévoyant qu'elles doivent être justifiées par la bonne conduite et les efforts de réinsertion ; mais elles sont devenues trop automatiques. La loi du 10 août 2007 a constitué une première étape, en subordonnant l'obtention de réductions de peines supplémentaires au respect de l'obligation de soins. Nous allons aujourd'hui beaucoup plus loin : le détenu qui refusera des soins en détention pourra se voir retirer toutes ses remises de peine. Le refus de soins sera désormais assimilé à une mauvaise conduite.
Par ailleurs, il faut améliorer l'échange d'informations concernant les situations individuelles.
Avec Roselyne Bachelot, nous souhaitons ainsi assurer un meilleur suivi médical, sans rupture entre milieu fermé et milieu ouvert, en renforçant les échanges entre le médecin intervenant en milieu carcéral et celui qui suivra le détenu à sa sortie de prison dans le cadre de l'injonction de soins.
De même, les soignants devront signaler au chef d'établissement les risques sérieux pour la sécurité dont ils auraient connaissance. L'administration pénitentiaire pourra ainsi mieux prendre en compte le profil des détenus lors de l'affectation en cellule, ce qui permettra de lutter plus efficacement contre le suicide en détention, ainsi que d'éviter des drames comme les actes de cannibalisme survenus l'an dernier à Rouen.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, vous êtes appelés à vous prononcer sur un texte attendu par tous les Français. Ce projet n'est pas de circonstance, mais résulte de réflexions anciennes et approfondies. Les drames récents sont des signaux d'alerte qui nous invitent à passer de la réflexion à l'action.
Le choix qui s'offre à vous transcende les clivages politiques. Il s'agit d'un projet de loi humain, réfléchi et équilibré, qui incarne la proximité que le Gouvernement veut avoir avec les Français, et répond à la souffrance et à la douleur des familles de victimes : un projet de loi qui prépare l'avenir de notre société. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)
La parole est à M. Georges Fenech, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui vient de nous être présenté tente de répondre, avec courage et dans le respect des principes généraux de notre droit, à un problème majeur auquel notre pays – comme l'ensemble des démocraties occidentales – est aujourd'hui confronté : comment protéger la société des criminels les plus dangereux qui présentent une probabilité élevée de récidive ?
À mon tour, je rappelle que, ces dernières années, plusieurs lois ont permis de mieux lutter contre la récidive : celle du 12 décembre 2005 a instauré la surveillance judiciaire et créé le placement sous surveillance électronique mobile ; celle du 5 mars 2007, relative à la prévention de la délinquance, a renforcé les obligations des personnes inscrites au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes ; enfin, celle du 10 août 2007 a instauré des peines plancher pour les récidivistes et généralisé l'injonction de soins. Par ailleurs, comme vous l'avez rappelé, madame la ministre, deux affaires récentes, l'affaire Évrard et l'affaire Dupuy, ont ému l'opinion.
Outre des dispositions renforçant l'efficacité du dispositif de l'injonction de soins, ce projet de loi comprend deux volets principaux : l'instauration d'une procédure de rétention de sûreté et la déclaration d'irresponsabilité pénale.
Avant de présenter ces dispositifs, je voudrais signaler à l'ensemble de l'hémicycle que la commission des lois a adopté soixante-six amendements, dont de nombreux rédactionnels ; et je voudrais à mon tour rendre hommage aux trois rapports rendus, en 2005 et 2006, par le regretté Jean-François Burgelin, par les sénateurs Philippe Goujon et Charles Gautier, et par notre collègue Jean-Paul Garraud.
Le premier volet concerne l'instauration d'une rétention de sûreté applicable dès la fin de la peine.
Nous devons malheureusement nous résoudre au constat suivant : les dispositifs aujourd'hui existant en vue de surveiller certains condamnés à l'issue de leur incarcération ne permettent pas toujours de protéger la société des criminels les plus dangereux. Il s'agit du suivi socio-judiciaire, de l'inscription au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles et du placement sous surveillance judiciaire. Je tiens du reste à rendre hommage à la gauche qui a institué, lorsque Élisabeth Guigou était garde des sceaux, le bracelet électronique fixe, avant que notre majorité ne complète cette mesure en instaurant, sous la chancellerie de Pascal Clément, le bracelet électronique mobile. Toutes ces mesures en milieu ouvert se heurtent toutefois à certaines limites. La durée du suivi ou de la surveillance judiciaire est ainsi limitée à celle des réductions de peines dont le condamné a pu bénéficier et celle du suivi socio-judiciaire est fixée par la juridiction de jugement ab initio. En ce qui concerne le PSEM – placement sous surveillance électronique mobile –, il suppose le consentement du placé et la faisabilité technique d'un tel placement. Il n'empêche pas, du reste, la commission d'un nouveau crime, même si la certitude d'être retrouvé et réincarcéré exerce sans aucun doute un fort effet dissuasif.
Les différentes mesures existant aujourd'hui sont donc insuffisantes lorsque le risque de récidive est particulièrement élevé. La prise en charge en milieu ouvert ne saurait donc suffire et il est nécessaire de prévoir une procédure permettant de placer en rétention ces condamnés à l'issue de leur détention.
L'article 1er du projet de loi instaure une mesure de rétention de sûreté réservée aux auteurs de certains crimes – meurtre, assassinat, torture ou acte de barbarie et viol – commis sur mineurs de moins de quinze ans, auteurs qui ont été condamnés à une peine de réclusion égale ou supérieure à quinze ans. La commission des lois – je tiens à le rappeler – a adopté un amendement qui étend le champ d'application du texte aux victimes mineures de quinze à dix-huit ans et j'ai, ce matin, présenté un nouvel amendement, également adopté par la commission, qui étend encore ce champ aux victimes majeures lorsque le crime a été commis avec une circonstance aggravante.
C'est que, après mure réflexion, je considère, avec, je le pense du moins, la majorité des députés, que la dangerosité d'un criminel ne se mesure pas à l'âge de sa victime.
Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. C'est vrai !
La mesure de sûreté doit donc à mon sens pouvoir s'appliquer aux criminels les plus dangereux, quel que soit l'âge de leur victime. Les vieilles dames assassinées par le tueur en série Paulin ne méritent-elles pas autant notre considération que les enfants victimes d'actes de pédophilie ?
Le projet de loi – cela doit être souligné – vise donc à instaurer un dispositif très novateur. La rétention de sûreté, Serge Blisko, je tiens à le souligner, est conçue comme une mesure résiduelle.
Elle ne sera prononcée que dans les cas où elle constitue l'unique moyen de protéger la société.
Je tiens également à souligner que le placement en rétention de sûreté ne pourra être prononcé que si les obligations résultant du FIJAIS, c'est-à-dire l'injonction de soins et le placement sous bracelet électronique, sont jugées insuffisantes pour éviter la récidive. Je pense utile, mes chers collègues, de répondre dès maintenant – une fois n'est pas coutume – aux critiques émises par voie de presse depuis quelques jours par l'ancien garde des sceaux et actuel sénateur Robert Badinter, pour lequel nous avons par ailleurs la plus grande estime. Il dénonce l'idée qu'on puisse maintenir une personne en détention « pour ce qu'elle est et non pour ce qu'elle a fait », ajoutant : « Priver quelqu'un de sa liberté sans infraction, au nom de sa dangerosité supposée, c'est une idée qui remet en question les fondements même de notre justice pour se rapprocher des régimes totalitaires. » (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
C'est une critique gravissime, qui appelle une réponse claire. Je tiens à insister sur le fait que le placement en rétention de sûreté est encadré par toute une série de garanties : l'intervention des juges, tout d'abord, puisque c'est à la commission régionale, que la commission des lois a dénommée « commission régionale de la rétention de sûreté » et qui sera composée de trois magistrats de la cour d'appel, qu'il appartiendra de prononcer la mise en rétention de sûreté. De plus, la présence de l'avocat sera obligatoire et la décision de la commission régionale sera prise à l'issue d'un débat contradictoire. Par ailleurs, des recours seront possibles à tous les stades de la procédure : la décision de la commission régionale pourra être contestée en appel devant une commission nationale et la décision de la commission nationale sera elle-même susceptible d'un pourvoi devant la Cour de cassation. Enfin, le projet de loi prévoit le réexamen annuel de la situation : la décision de placement en rétention de sûreté ne vaudra que pour un an – je l'ai déjà dit.
Je tiens toutefois à revenir à ce que Robert Badinter nous dit de plus important : peut-on retenir une personne pour ce qu'elle est et non pour ce qu'elle a fait ? Je réponds sans état d'âme qu'une société démocratique fondée sur la liberté et la sécurité des personnes non seulement peut, mais doit prendre en considération la notion d'état dangereux pour, en dernière éventualité, et avec toutes les garanties du droit, retenir un individu en vue de le soigner et de lui permettre de se réinsérer.
Mais qu'est-ce que la dangerosité ? Être dans l'opposition, par exemple ?
N'est-ce pas sur ce même fondement qu'a été votée la loi de 1990 sur l'hospitalisation psychiatrique d'office lorsque la personne présente un état dangereux pour elle-même ou pour autrui ? Je rappellerai également que, suite à l'adoption de la loi du 15 avril 1954, les alcooliques dangereux pouvaient faire l'objet d'un placement d'office lorsqu'ils présentaient un état dangereux pour eux-mêmes ou pour autrui. Madame la garde des sceaux, c'est sur ce même fondement que votre projet de loi protégera simultanément trois intérêts : celui des victimes potentielles, notamment les plus vulnérables, hors d'état de se protéger elles-mêmes ; celui de la société tout entière, qui se sent légitimement blessée et meurtrie lorsqu'un crime a été commis alors qu'il aurait pu et dû être évité ; celui enfin – j'ose le dire – du condamné lui-même,…
…qui relèvera d'un encadrement renforcé de soins pour l'empêcher de récidiver. Nous avons vu hier, madame la garde des sceaux, au centre pénitentiaire de Melun, la souffrance qu'éprouvent ces condamnés d'avoir commis de tels actes.
Le projet de loi crée également une réelle alternative à la rétention de sûreté : la prolongation des obligations de la surveillance judiciaire – j'y reviendrai. Je tiens en outre à préciser que la commission des lois a adopté ce matin un amendement du Gouvernement qui prévoit que la rétention de sûreté s'appliquera aux personnes déjà condamnées avant la publication de la loi et exécutant une peine privative de liberté à la date du 1er septembre 2008, à la condition qu'elles aient été condamnées – vous l'avez rappelé – pour plusieurs crimes aggravés.
L'application immédiate de la loi semble possible d'un point de vue constitutionnel, car une mesure de sûreté, n'ayant pas la nature d'une peine, monsieur Le Bouillonnec, peut s'appliquer, sans qu'on lui oppose la rétroactivité, à une personne condamnée à raison de faits antérieurs à l'entrée en vigueur de la nouvelle loi. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) Une mesure de sûreté n'est pas une peine après la peine ! Vous pouvez vous égosiller tant que vous voudrez, c'est un principe général du droit déjà consacré par le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l'homme.
Vous serez l'auteur de cette infamie ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Le deuxième volet, relatif au traitement de l'irresponsabilité pénale, semble soulever moins de difficultés aux yeux de l'opposition : nous y reviendrons au cours du débat. Je souhaite simplement d'ores et déjà préciser que la commission des lois a ajouté aux quatre interdictions prévues dans le projet de loi deux interdictions relatives au permis de conduite. Elle a également souhaité préciser que ces interdictions ne pourront être notifiées à la personne que si elle a recouvré son discernement ou au moment où elle le recouvrera. Par ailleurs, le projet de loi modifie la procédure applicable devant le tribunal correctionnel ou la cour d'assises si l'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental est utilisée comme moyen de défense par le prévenu ou l'accusé.
Mes chers collègues, c'est, je vous le répète, sans état d'âme que je vous invite à adopter le présent projet de loi : il constitue en effet une avancée, et non un recul, comme d'aucuns voudraient nous le faire croire, puisqu'il atteint le point d'équilibre entre le respect des libertés individuelles et la nécessaire protection de la société. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)
J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.
La parole est à M. Dominique Raimbourg.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, défendant cette exception d'irrecevabilité, j'ai à tenir devant vous des propos qui ne sont agréables ni à dire ni à entendre. C'est que ce texte me paraît porter gravement atteinte à de nombreux principes du fait que vous ne vous intéressez pas fondamentalement à la question des causes de la délinquance ni à celle de la lutte à mener contre elle. Il vise en effet avant tout à faire un coup d'éclat et le coup que vous portez aux principes en fait malheureusement partie intégrante.
Le projet de loi devait, à l'origine, ne concerner que les actes commis à l'encontre des mineurs de moins de quinze ans. Or c'est à juste titre qu'on ne comprenait pas pourquoi ces actes étaient plus graves que ceux commis à l'encontre des mineurs jusqu'à dix-huit ans, voire à l'encontre des majeurs. Ce texte a donc initialement reposé sur une distinction fondée sur l'âge des victimes qui, rapidement, n'a pas résisté à l'analyse : aujourd'hui, à la suite des amendements adoptés en commission des lois, ce texte concernera tous les crimes retenus commis à l'encontre de toutes les victimes. C'est donc dire la faiblesse de la réflexion qui a présidé à la rédaction initiale du texte !
Plus extraordinaire encore, on nous a présenté ce texte comme absolument nécessaire à la rénovation de la justice : aussi devait-il être adopté en urgence, mais pour être appliqué seulement dans quinze ans, c'est-à-dire à l'issue des condamnations prononcées après sa promulgation ! L'urgence de son adoption était donc fort relative ! Or, ce matin, nous avons appris que l'urgence, de relative, était devenue absolue et qu'il était désormais nécessaire de rendre la loi rétroactive, afin de rendre immédiate l'application. J'y reviendrai.
Madame la garde des sceaux, si vous ne vous attaquez pas à la délinquance, c'est que vous ne vous intéressez pas au public que vous cherchez à atteindre. Le texte ne repose en effet sur aucune analyse de la délinquance visée. On nous explique que les pédophiles récidivistes seraient dangereux : or il existe des assassins qui ne sont pas des pédophiles et des pédophiles qui ne sont pas des assassins, si bien que c'est à l'ensemble des auteurs de meurtres, d'assassinats, de viols et d'actes de torture ou de barbarie que le champ d'application du texte est désormais étendu, jusqu'aux actes de séquestration d'une durée supérieure à cinq jours ! De fait, vous ignorez quel public vous visez et vous ne connaissez pas davantage le nombre de cas concernés – hier, on nous parlait de quinze à vingt personnes sur cent à cent cinquante condamnés à plus de quinze années de réclusion criminelle ; aujourd'hui, compte tenu de l'extension du champ d'application du texte décidée ce matin en commission des lois, on est incapable de nous fournir un chiffre. Je le répète : ce qui vous intéresse, ce n'est pas la réalité du phénomène que vous prétendez combattre, ce qui vous intéresse, ce sont avant tout des stéréotypes ! Tout cela est né d'une émotion télévisuelle et est destiné à y retourner ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Or j'appelle votre attention sur la dangerosité qu'il y a à faire des lois uniquement dictées par les gros titres de TF1 ou de France 2 ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Vous non plus !
Je le dis sans arrière-pensée : cela se retournera contre vous, car, demain, un autre crime encore plus émouvant sera commis – une attaque de banque, par exemple : on ne parle pas assez de la terreur des caissiers face à leurs agresseurs – et vous serez alors contraints d'étendre encore le champ d'application du texte ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Restons-en à la raison ! Ne nous laissons pas submerger par l'émotion !
Si vous ne vous intéressez pas à la délinquance, c'est également parce que vous ne vous en êtes pas donné les moyens, du fait que vous vous fondez sur un concept éminemment flou : celui de la dangerosité.
Personne ne sait exactement ce que ce concept recouvre.
Vous semblez réserver la dangerosité à une population de douze ou quinze personnes en France.
Ce serait merveilleux, madame la garde des sceaux, s'il n'y avait ainsi que douze ou quinze personnes dangereuses.
Vous ne tirez pas les conclusions des rapports excellemment rédigés sous l'égide de MM. Burgelin, Goujon, Gautier et Garraud.
Que nous apprennent-ils ? Que nous ne disposons pas d'un nombre suffisant d'experts psychiatres capables de déceler la dangerosité. Selon le rapport de M. Garraud, la France ne compte en effet que 800 experts,…
…soit, grosso modo, quatre experts par tribunal de grande instance. S'ils sont si peu nombreux, nous explique M. Garraud fort à propos, c'est qu'ils sont mal payés : 205,80 euros ! De plus, les experts qui travaillent en France demeurent peu au fait des techniques actuarielles, et appartiennent à des écoles d'expertise qui se fondent sur des entretiens semi-directifs très peu prédictifs, au contraire des techniques anglo-saxonnes.
Vous ne vous intéressez pas beaucoup à la lutte contre la délinquance, madame la garde des sceaux.
En effet, vous ne vous êtes pas non plus donné les moyens de contrôler ce qui se passe à la sortie de prison.
La loi sur le contrôle socio-judiciaire n'est pas appliquée faute de moyens suffisants.
Les services de probation ne disposent que de 3 000 à 3 500 agents, ce qui est dérisoire eu égard aux besoins.
Les médecins coordonnateurs qui doivent pratiquer l'injonction de soins ne sont que 150 et, madame la garde des sceaux, bien que vous ayez promis pour le mois de mars que leur nombre serait porté à 500, on ne les a toujours pas trouvés alors que nous sommes déjà en janvier.
La loi du 12 décembre 2005 sur la surveillance judiciaire prévoyait la création d'une commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté qui n'a vu le jour qu'au mois d'août 2007. Aussi tous les moyens de contrôle à l'extérieur ne sont-ils pas aujourd'hui mis en place, alors qu'ils sont nécessaires puisque, rétention de sûreté ou pas, un jour ou l'autre, des individus dangereux sortiront de prison. Or, contrairement à ce que vous soutenez, les personnes dangereuses débordent largement les catégories que vous retenez.
Par ailleurs, en cherchant à étayer vos arguments sur des exemples étrangers, vous oubliez beaucoup d'éléments. Ainsi, comme le souligne l'un des trois rapports précités, vous omettez de préciser que les expertises, en Allemagne, sont payées près de 4 000 euros. Vous oubliez également qu'aux Pays-Bas elles durent près de six semaines et qu'au Pieter Bann Center d'Utrecht travaillent quelque 200 experts ! Nous n'avons donc pas les moyens de mettre en oeuvre un travail aussi important que dans ces pays.
Ce texte n'aborde donc pas la réalité du phénomène décrit. Il y est question d'un concept, celui de dangerosité, qui n'est pas précis. Or nous allons l'utiliser pour enfermer des condamnés au-delà de l'accomplissement de leur peine sans savoir exactement ce qu'il recouvre puisque nous ne savons pas exactement qui est dangereux et qui ne l'est pas. De surcroît, j'insiste, nous n'avons pas mis en oeuvre les moyens de contrôle à l'extérieur des prisons et nous ne nous sommes pas dotés des mêmes outils que les pays qui pratiquent la rétention de sûreté.
D'autre part, nous appliquons une législation parmi les plus répressives du monde occidental.
Nous oublions que les Pays-Bas mènent des expertises des plus sérieuses. Nous oublions qu'au Canada, qui pratique également ce type de rétention de sûreté, les condamnés ayant accompli deux tiers de leur peine bénéficient d'une libération conditionnelle automatique.
C'est dire à quel point nos cultures sont différentes. Nous essayons de mélanger une culture de la répression avec la culture du contrôle telle que la pratiquent les pays anglo-saxons. Or avec ce mélange des genres, nous aboutissons à ce monstre juridique qu'est la sûreté judiciaire et qui a par surcroît le tort, malheureusement, de se révéler inefficace.
Voilà ce que l'on peut dire sur ce texte examiné selon la procédure d'urgence, à savoir dans des conditions qui ne nous permettent pas d'appréhender la réalité. Ce n'est en effet pas la récente visite à la centrale de Melun – dont je ne conteste pas l'intérêt ni le caractère émouvant ni encore la nécessité – qui nous permettra de bien mesurer la réalité. Vous vous fondez sur des fantasmes, sur une police des fantasmes et, en conséquence, je ne pense pas que vous puissiez déboucher sur grand-chose. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Au-delà de ces considérations, le texte paraît gravement anticonstitutionnel.
Si la partie concernant l'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental est l'objet d'un relatif consensus, elle mérite pourtant des critiques. Je souhaite à ce sujet ouvrir une parenthèse. Une fois encore, on ne s'intéresse pas complètement à la réalité. On semble croire que la plus grande partie des déclarations d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental sont l'objet d'ordonnances de non-lieu rendues par des juges d'instruction.
Or les ordonnances de non-lieu rendues par les juges d'instruction ne représentent qu'une infime minorité des décisions rendues par les tribunaux. Les juges d'instruction ne traitent plus aujourd'hui que de 5 à 10 % de l'ensemble des dossiers, tous les autres l'étant directement par le procureur de la République selon la voie dite du traitement direct.
Ainsi examinons-nous un texte qui ne concerne que de 230 à 250 ordonnances de non-lieu par an quand, dans le même temps, près de 9 000 décisions de classement sans suite pour irresponsabilité pénale sont rendues par les procureurs.
Je tire ce chiffre non de mon chapeau mais du rapport de M. Burgelin.
Ici encore, nous nous intéressons plus à l'apparence qu'à la réalité. Je ne méconnais pas le fait que les décisions rendues par les magistrats instructeurs concernent des faits plus graves mais, dans la pratique, un grand nombre de décisions d'irresponsabilité pénale sont rendues sous forme de décisions de classement sans suite et non sous forme d'ordonnance de non-lieu. Je ferme cette parenthèse, qui éclaire la façon dont nous travaillons.
Je le répète, la pratique minoritaire est celle des ordonnances de non-lieu alors que la pratique majoritaire est celle des classements sans suite. Or nous allons nous intéresser davantage aux ordonnances de non-lieu qu'aux décisions de classement sans suite.
Quoi qu'il en soit, le texte sur la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental pose quelques problèmes juridiques, et notamment de constitutionnalité.
Ainsi, la nature de l'audience d'imputabilité manque de précision : s'agit-il d'une déclaration de culpabilité, d'une déclaration selon laquelle il existe des charges suffisantes pour renvoyer le prévenu devant une juridiction qui va le déclarer irresponsable pénal, non pas coupable mais comme pouvant se voir imputer les faits qui lui sont reprochés ? Dans cette perspective, la présomption d'innocence du malade mental ne semble pas complètement préservée.
Faut-il rappeler qu'un malade mental tel Francis Heaulme a bénéficié à plusieurs reprises d'une décision de non-lieu non pas parce qu'il avait été déclaré pénalement irresponsable à cause de son état mental, mais parce qu'il avait été reconnu non coupable des crimes dont il avait été accusé malgré les soupçons que son lourd passé avaient fait peser sur lui.
Cela a à voir parce que l'audience de la chambre de l'instruction n'est ni tout à fait une audience de culpabilité ni tout à fait une audience de renvoi devant une juridiction à même de déclarer la culpabilité ou l'imputabilité. Or cette question n'est pas tranchée par le texte.
Ensuite, le texte ne prévoit pas de double degré de juridiction : c'est la chambre de l'instruction qui est saisie par le juge d'instruction.
Une troisième difficulté réside dans l'inscription au casier de cette imputabilité, qui s'apparente dès lors à une condamnation.
De même, en ce qui concerne les mesures de sûreté appliquées à un irresponsable pénal par une juridiction pénale : même si je veux bien entendre que, dès lors que l'on attend que l'individu en question recouvre la raison, il semble possible constitutionnellement de lui appliquer des mesures de sûreté.
Une dernière difficulté concerne la question des coauteurs éventuels de l'irresponsable pénal. Je vous concède volontiers qu'il s'agit d'une difficulté statistiquement marginale. L'audience devant la chambre de l'instruction va aboutir à une espèce de jugement avant le jugement qui va déterminer si les faits sont imputables à l'irresponsable pénal ou non. Qu'adviendrait-il si, par extraordinaire, des coauteurs étaient impliqués ? Je concède, j'insiste, qu'il s'agit là d'une hypothèse d'école.
Les critiques concernent bien évidemment davantage l'autre partie du texte. En effet, elle constitue une violation de l'article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme qui prévoit six cas de détention possibles : la condamnation, l'insoumission à une ordonnance, la détention provisoire, l'enfermement éducatif des mineurs, l'hospitalisation des malades et la rétention des étrangers.
Or aucun de ces cas ne correspond à la rétention de sûreté prononcée après la peine.
Je sais bien, monsieur le rapporteur, qu'avec des trésors d'intelligence vous essayer de nous expliquer qu'il s'agit d'une mesure de sûreté et que, donc, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ne s'applique pas.
Cependant, vous aurez un mal extraordinaire à démontrer qu'il s'agit d'une mesure de sûreté car elle n'est pas liée à un aménagement de peine. La totalité des mesures de sûreté que nous connaissons sont toujours liées à un aménagement de peine, qu'il s'agisse du bracelet électronique ou de la libération conditionnelle.
On ajoute des obligations à quelqu'un parce qu'on aménage sa peine. Il ne s'agit plus, ici, d'un aménagement de la peine, mais bien d'une sûreté d'enfermement. Dans l'impossibilité où vous vous trouverez de démontrer le contraire, votre texte tombera sous le coup de l'inconstitutionnalité.
Ensuite, la mesure de sûreté est prononcée par un collège de trois magistrats après une véritable procédure pénale. Or vous aurez du mal à démontrer que la rétention de sûreté, prononcée par trois magistrats après une procédure de droit pénal au cours de laquelle, à bon droit d'ailleurs, vous faites intervenir un avocat, et au terme de laquelle une possibilité d'appel est prévue, constitue bien une mesure de sûreté.
Par ailleurs, le texte viole le principe de la légalité des crimes et des peines. On retient en effet quelqu'un en détention pour des faits qu'il n'a pas commis, mais seulement à cause de ce que son profil psychologique laisse penser qu'il pourrait commettre. Il s'agit d'une violation de l'article VII de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, à laquelle le préambule de la Constitution de 1958 donne valeur constitutionnelle.
Le projet viole également l'article 8 de la même Déclaration, qui pose le principe de la non-rétroactivité de la loi pénale. Afin d'échapper à la critique selon laquelle vous ne lutteriez pas vraiment contre la délinquance puisque le texte n'est censé s'appliquer que dans quinze ans, un amendement a été tout récemment déposé qui prévoit une application rétroactive du dispositif. Or cette rétroactivité est très forte puisqu'elle concerne non seulement les faits commis avant l'adoption de la loi et avant condamnation, mais, plus encore, puisqu'elle s'applique aux condamnations prononcées avant l'adoption de la loi. Il s'agit donc d'une double rétroactivité. Je ne vois donc pas comment ce texte pourra échapper à la censure du Conseil constitutionnel.
Madame la garde des sceaux, une bonne politique pénale associe humanité et fermeté. Or votre texte manque totalement d'humanité et n'est qu'un simulacre de fermeté. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Le groupe que j'ai l'honneur aujourd'hui de représenter devant vous, mes chers collègues, appelle donc au vote de l'exception d'irrecevabilité et si, mais je suis convaincu que cela n'adviendra pas, cette exception n'était pas adoptée, il vous inviterait à repousser le texte. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, le projet de loi qui vous est soumis offre un nouveau moyen de protéger la société.
Tout d'abord, la rétention de sûreté est une mesure nécessaire et proportionnée. Elle est rigoureusement encadrée. Elle intervient à l'issue d'une procédure en plusieurs étapes – que j'ai décrites dans mon propos liminaire –, laquelle garantit parfaitement les droits de la personne concernée.
Certes, cette mesure procède d'un arbitrage entre deux valeurs fondamentales : la liberté individuelle, d'un côté, et le droit de tous les citoyens à être protégés par l'État, de l'autre.
Mais il est de la responsabilité du législateur, précisément, d'accorder au mieux ces deux exigences contradictoires. Le Conseil constitutionnel a l'occasion de le rappeler dans chacune de ses décisions sur ces questions. Je le cite : « La prévention d'atteintes à l'ordre public, notamment d'atteintes à la sécurité des personnes [...] est nécessaire à la sauvegarde de principes et droits à valeur constitutionnelle » ; « il appartient au législateur d'assurer la conciliation entre ces objectifs de valeur constitutionnelle et l'exercice des libertés publiques constitutionnellement garanties au nombre desquelles figurent la liberté individuelle et la liberté d'aller et venir. » Ces décisions sont celles des 5 août 1993, 18 janvier 1995, 8 décembre 2005 et 19 janvier 2006.
La représentation nationale doit aujourd'hui assurer la conciliation entre, d'une part, la protection de la société contre des criminels d'une dangerosité avérée et dont la récidive ne peut être empêchée autrement que par une mise à l'écart, et, d'autre part, la liberté de ces criminels à la fin de leur peine.
Dans un État de droit, assurer la sécurité de ses concitoyens, c'est un devoir. La dangerosité de certains criminels ne peut être canalisée autrement que par un placement dans une structure fermée permettant d'assurer leur surveillance constante et leur réinsertion.
Mais cette mesure est d'une rigueur strictement nécessaire et proportionnée. Elle concerne certains criminels, lourdement condamnés, et qui sont d'une dangerosité intrinsèque rare.
Elle intervient comme une solution ultime, subsidiairement à toute autre mesure de contrôle de la personne laissée libre.
Elle est décidée à l'issue d'une procédure qui garantit au maximum les droits de la personne concernée et les solutions alternatives à la privation de liberté.
Elle est prononcée par l'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle aux termes de l'article 66 de la Constitution.
Elle est susceptible de deux recours : l'un devant une commission nationale, et l'autre par la voie du pourvoi en cassation.
Elle cesse dès que l'état de la personne permet d'envisager une autre mesure de surveillance à l'extérieur.
Elle est, en outre, révisée tous les ans.
Les conditions d'application de la rétention de sûreté respectent les principes fondamentaux.
S'agissant d'une mesure de sûreté, votre rapporteur a parfaitement rappelé que la question de la rétroactivité ne se pose pas. Je vous renvoie au rapport de M. Fenech,…
…qui cite la jurisprudence du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation sur ce point.
Le rapport de votre commission des lois soulignait également une faille dans le dispositif pour les criminels dangereux actuellement écroués.
Le projet de loi exige en effet que l'éventualité du placement en rétention de sûreté en fin de peine soit prévue dans la condamnation elle-même. Cela signifie qu'en dépit d'un même degré de dangerosité, deux condamnés feraient l'objet d'un traitement distinct, au motif que l'un a été condamné avant l'entrée en vigueur de la loi et l'autre après celle-ci.
Cela n'est évidemment pas compréhensible. Nous parlons de protéger nos concitoyens face à un danger connu et identifié. Nous devons, en conséquence, prendre des mesures immédiates pour y remédier.
C'est pour cette raison que le Gouvernement a déposé un amendement qui rend la rétention de sûreté applicable à tous les criminels condamnés pour plusieurs crimes qui répondent aux critères de dangerosité définis par le texte.
On ne peut pas nier le potentiel de dangerosité de la personne déjà condamnée pour meurtre ou viol et qui récidive, ou de celle condamnée pour des meurtres ou des viols en série.
Depuis 2004, les Allemands n'exigent plus que le jugement prévoie la possibilité d'une détention-sûreté en fin de peine. Pour eux, ce dispositif ne méconnaît pas les exigences de la Convention européenne des droits de l'homme dès lors que la dangerosité de la personne ressort de la condamnation.
Or, il y a un lien de causalité évident entre la condamnation d'une personne reconnue coupable de meurtres ou de viols en série et la mesure de sûreté décidée en raison de la dangerosité ainsi démontrée et persistante.
Pour en finir sur les critiques concernant la rétention de sûreté, j'observe avec surprise que des mesures favorables aux condamnés, qui permettent d'assurer leur libération, sont contestées.
Le projet de loi prévoit que la surveillance judiciaire pourra être étendue au-delà des réductions de peine. Cette prorogation vaudra pour une durée d'un an renouvelable.
La mesure sera prise par la commission régionale dans les mêmes conditions et avec les mêmes garanties que pour placer en rétention de sûreté.
La violation des obligations de la surveillance judiciaire pourra être sanctionnée par une rétention de sûreté si elle traduit une résurgence de la dangerosité de la personne. Ce dispositif a été suggéré par le Conseil d'État, qui a considéré qu'il satisfaisait parfaitement aux exigences de la Convention européenne des droits de l'homme.
Votre commission des lois a par ailleurs adopté un amendement, n° 32 , strictement symétrique, qui prévoit le même dispositif pour la prolongation du suivi socio-judiciaire.
On ne peut que se louer de ces mesures nouvelles. Elles constitueront sans aucun doute des alternatives crédibles, réelles et sérieuses à un placement en rétention de sûreté dans un certain nombre de cas. Elles garantissent une surveillance satisfaisante de criminels pour lesquels la rétention de sûreté serait une mesure trop rigoureuse et disproportionnée au regard de leur degré de dangerosité.
Pour toutes ces raisons, mesdames et messieurs les députés, le Gouvernement considère avoir pris toutes les dispositions pour veiller dans ce texte au respect le plus strict des exigences constitutionnelles de notre République et aux engagements conventionnels qui lient la France.
Je vous demande, en conséquence, d'écarter l'exception d'irrecevabilité qui a été soulevée. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)
Dans les explications de vote sur l'exception d'irrecevabilité, la parole est à M. Jean-Paul Garraud, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
Au nom du groupe UMP, je m'élève bien entendu contre l'exception d'irrecevabilité déposée par le groupe socialiste. Et je tiens à dire les choses telles qu'elles sont. Quand on nous dit que ce texte est une sorte de monstruosité juridique, je réponds d'abord et avant tout : mais où sont les monstres ? Les monstres, ce sont ces grands prédateurs contre lesquels il n'existe pas encore assez d'outils juridiques. Nous savons tous, tous les professionnels de la justice et tous ceux qui travaillent au sein de l'institution judiciaire savent qu'il y a un vide juridique dans le traitement de ces individus particulièrement dangereux, qui, lorsqu'ils sortent de la maison centrale ou de la maison d'arrêt à l'issue de leur peine, sont toujours très dangereux, et le sont parfois même plus que lorsqu'ils y sont entrés.
Je voudrais resituer la problématique, parce que le discours de notre collègue, Dominique Raimbourg a entretenu une sorte de confusion.
Je tiens à dire, tout d'abord, que ce projet de loi constitue une très sérieuse avancée pour les droits des victimes. Il rééquilibre même la place de la victime dans le procès pénal. Quand on parle de la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, c'est une grande avancée, parce que toute une série de conséquences seront entraînées par ce texte.
Quand vous nous faites la leçon à propos des droits de l'homme, par une sorte de perversion de la théorie des droits de l'homme, je vous réponds que les droits de l'homme, ce sont aussi les droits des victimes. Il ne faut pas les oublier. Nous sommes là aussi pour en parler, et pour trouver des solutions. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
En second lieu, nous avons tous bien compris que ce qui vous gêne d'abord et avant tout, c'est ce fameux centre de sûreté, qui est un centre fermé.
Sur ce point, il faut d'abord vous rappeler l'existence d'un vide juridique. Car enfin, que proposez-vous ?
Vous nous avez dit tout à l'heure qu'il était surtout urgent de ne rien faire, et qu'il fallait attendre. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) Or, nous ne vivons pas dans un monde parfait. Je voudrais bien, mais ce n'est pas le cas. Alors, la prochaine fois qu'un crime affreux sera commis, quand on vous tendra le micro, vous le saisirez, et vous direz que oui, oui, vous soutenez les victimes.
Vous vous draperez dans une sorte d'angélisme béat, mais par contre, rien ne se fera.
Et vous, vous êtes majoritaires depuis cinq ans : qu'avez-vous fait ? Démagogue !
Mais moi, mesdames et messieurs les membres de l'opposition, je peux vous dire que j'ai connu dans ma carrière professionnelle des individus qui avaient été condamnés à des peines lourdes, et notamment un qui avait été condamné trois fois à perpétuité. Ne pensez-vous pas que c'était deux fois de trop ?
Cet individu-là a bien entendu manifesté une exceptionnelle dangerosité.
Et le texte qui nous est soumis a justement pour but, non pas d'ajouter une peine à une autre peine, mais d'instaurer une mesure de sûreté.
Nous sommes ici à l'Assemblée nationale, il nous arrive quand même de faire un peu de droit. La mesure de sûreté, ça existe, et ça existe depuis plusieurs années maintenant. Il existe des mesures de sûreté en milieu ouvert, et il en existe en milieu fermé. Le projet de loi propose une mesure de sûreté en milieu fermé. Et toutes les caractéristiques de la mesure de sûreté sont réunies par toute une série de dispositions.
Vous avez évoqué la Convention européenne des droits de l'homme, et vous avez eu tout à fait raison. Mais je vous ferai remarquer que des pays comme les Pays-Bas, l'Allemagne, la Belgique ont mis en place des systèmes similaires.
Ces pays sont membres de l'Union européenne. Leurs systèmes n'ont jamais été jugés contraires à la Convention européenne des droits de l'homme. Pourquoi seule la France serait-elle condamnée alors que les autres pays ne l'ont pas été ?
On nous fait une sorte de procès en sorcellerie en nous disant que nous légiférons sous le coup de l'émotion. L'émotion, ce sont plutôt les victimes qui la ressentent, et avec beaucoup de dignité. Elles réagissent en faisant confiance en la justice de leur pays et en la loi. Il n'est donc pas vrai que nous légiférions sous le coup de l'émotion.
Vous n'avez pas le monopole des victimes ! Vous avez même plutôt une tête de coupable ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Ce qui est dit m'importe peu, monsieur le président.
Ce texte est l'aboutissement d'un travail auquel nous nous consacrons depuis des années. Les dispositions qu'il comporte ne datent pas d'aujourd'hui, et ne sont pas du tout proposées sous le coup de l'émotion.
On a cité d'excellents rapports réalisés dans le passé, qui ont formulé un certain nombre de préconisations très importantes…
Le groupe UMP s'élève contre cette exception d'irrecevabilité. Il y a, derrière toute règle de droit, des règles de bon sens. Nous savons que des gens très dangereux vont être relâchés, et vont récidiver. Le dispositif proposé par le texte est encadré par toute une série de conditions très limitatives. C'est notre responsabilité d'élus de prendre cette décision. Le débat qui va s'instaurer est très important, mais les responsabilités, nous, nous les prendrons. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)
Le groupe Nouveau Centre rejettera cette exception d'irrecevabilité.
J'ai écouté avec beaucoup d'attention notre collègue Dominique Raimbourg. J'ai constaté que l'avocat qu'il est avait laissé place au procureur, qui a livré de ce texte une appréciation très critique. Il faut, me semble-t-il, revenir à plus de sérénité.
Vous avez dit, mon cher collègue, que nous n'étions pas là pour légiférer au gré des faits divers qui font la une de TF1. Nous devons mesurer la complexité du sujet qui nous interpelle aujourd'hui, d'autant plus qu'il y a dans le public des parents d'enfants victimes de criminels.
Je crois qu'il faut beaucoup de sérénité. Nous n'avons pas à légiférer sous le coup de l'émotion, mais nous ne pouvons pas ne pas donner toute sa dimension à la difficulté du texte qui nous réunit cet après-midi.
Je vous ai écouté avec beaucoup d'attention. Ce sujet appelle de notre part d'autant plus de modestie que, si la loi était si parfaite que cela, nous n'aurions peut-être pas, cet après-midi, l'obligation de légiférer pour améliorer l'arsenal juridique existant, tant ces questions sont difficiles.
Le projet de loi qui nous est soumis est un texte de protection. Et notre collègue Jean-Paul Garraud a eu raison d'employer un terme que vous n'avez jamais prononcé dans votre discours, celui de victime. Nous devons prévenir. Ce texte est un texte de protection. Il s'agit de faire en sorte que des individus qui ont été condamnés pour des crimes et qui sont dangereux ne sortent pas de prison sans qu'on évalue leur état de dangerosité.
Vous avez évoqué de vrais problèmes. Mais vous nous avez dit aussi que ce texte tomberait sous le coup de l'inconstitutionnalité. La gauche a fait le même procès l'été dernier, lorsque nous avons discuté de la loi sur la récidive. Vous nous aviez dit, alors, que cette loi serait censurée par le Conseil constitutionnel. Le Conseil constitutionnel n'a rien censuré du tout, il a validé ce texte.
Vous nous avez dit qu'il fallait s'occuper des prisons. Mais qui s'en occupe, si ce n'est ce gouvernement et cette majorité ? Mme la garde des sceaux a fait voter la loi instituant un Contrôleur général des prisons. Elle a lancé le chantier de la loi pénitentiaire, afin, précisément, que nos prisons cessent d'accueillir des gens qui n'ont rien à y faire et qui relèvent de la psychiatrie.
Le sujet est difficile, et ce texte mérite mieux que des procès d'intention. C'est un texte de protection, qui s'adresse aux victimes et qui obligera le législateur à voter les crédits nécessaires pour assurer le suivi socio-judiciaire et le traitement de délinquants à leur sortie de prison. Aucun détenu n'ayant vocation à rester enfermé, il faut préparer la fin de la peine et faire en sorte que les détenus quittent la prison moins dangereux que lorsqu'ils y sont entrés.
Le sujet mérite mieux que la présentation qui vient d'en être faite. C'est pourquoi, au nom de mes collègues du Nouveau Centre, j'appelle à rejeter l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau Centre et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
La parole est à M. Michel Vaxès, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Notre collègue Jean-Paul Garraud nous reproche d'attendre. Qu'il me permette de lui retourner l'argument : ce n'est pas nous, mais vous qui attendez pour prendre en charge dès le début de l'incarcération la situation des condamnés dangereux. D'ailleurs, lorsque vous citez en exemple des pays étrangers, vous omettez de préciser que la plupart d'entre eux interviennent, au contraire, dès le début de l'incarcération.
La dangerosité n'est en effet pas inscrite dans le patrimoine génétique et, si vous pensez le contraire, nous devons nous préparer à un tout autre débat.
Ne niez pas, monsieur Garraud : nous avons eu, il y a quelques années, un conflit sur la question de l'inné.
Le temps me manque, dans l'immédiat, pour vous rafraîchir la mémoire.
Je partage pleinement l'appréciation de notre collègue quant à l'inconstitutionnalité de ce texte. Mme la garde des sceaux a elle-même admis, lors de son audition devant la commission des lois, la fragile constitutionnalité de son dispositif sur la rétention de sûreté. Répondant à nos collègues de la majorité qui lui demandaient d'élargir le champ de l'article 1er, elle a en effet expliqué que, si le texte limitait la rétention de sûreté aux auteurs de crimes graves commis sur des mineurs de quinze ans, c'est parce qu'un champ beaucoup plus large aurait fait courir un risque d'inconstitutionnalité en raison de la difficulté à définir la notion de dangerosité. Cela vise directement les amendements déposés par le rapporteur qui, en dépit des mises en garde, élargissent le recours à la rétention de sûreté. Nous comptons donc, madame la ministre, sur votre sens des responsabilités : il serait cohérent que vous vous opposiez à tous les amendements allant dans le sens d'un tel élargissement.
Quel que soit leur sort, le texte ne saurait de toute façon résister à un examen objectif de sa constitutionnalité. Peut-être parviendrez-vous à convaincre certaines personnes que la mesure de rétention créée n'est pas une peine, mais la majorité saura s'en remettre à l'évidence : il s'agira bel et bien d'une privation de liberté s'apparentant à une peine. Peu importe que vous ayez décidé de lui donner le nom de « mesure de sûreté », la peine est loin d'être anodine puisque la durée de privation de liberté est illimitée. Une peine perpétuelle pour une probabilité de récidive n'est-elle pas disproportionnée ? Je vous pose la question. J'attends qu'il nous soit démontré, par des arguments juridiques ou même par le simple bon sens, que la décision de privation de liberté prise par la commission régionale de la rétention, composée de magistrats, n'est pas une peine ! Du reste, l'exemple de certains États – comme, me semble-t-il, le Canada –, où la peine prononcée avec sursis est assortie d'un suivi des condamnés qui peut durer fort longtemps, montre bien qu'il s'agit d'une vraie peine, purgée dans des conditions particulières liées aux pathologies des délinquants.
Au nom de mon groupe, je voterai donc l'exception d'irrecevabilité, car ce texte est contraire aux principes fondamentaux de notre droit pénal. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et sur plusieurs bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
La parole est à M. Jean Jacques Urvoas, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.
Comme Dominique Raimbourg l'a montré de façon limpide, ce texte inquiète profondément notre groupe.
D'abord sur la forme. Si une loi est une règle de portée générale ou impersonnelle, comment qualifier un texte qui, selon le rapport lui-même – et Mme la garde des sceaux vient de confirmer ce chiffre –, concernera entre dix et vingt cas chaque année ? Nous sommes en outre surpris qu'il traite à la fois des irresponsables mentaux et de ceux qui, jugés responsables, ont été condamnés à une peine d'au moins quinze ans de réclusion criminelle.
Sur le fond, nous contestons la philosophie de votre démarche. Vous nous proposez une nouvelle fois un dispositif qui fait de l'enfermement le remède à tous les problèmes.
Pour tenter de nous convaincre, vous n'hésitez d'ailleurs pas à forcer le trait dans l'exposé des motifs : « Dans un État de droit, garantir la sécurité des personnes est nécessaire à la sauvegarde des droits de valeur constitutionnelle. »
Faut-il comprendre que sans l'instauration de la rétention de sûreté, nos libertés fondamentales seraient gravement menacées ? Nous refusons ce postulat ! Et, sans doute pour modérer votre propos, vous insistez – en dépit des amendements qui ont été déposés ce matin – sur le caractère subsidiaire et exceptionnel de la rétention de sûreté. Nous n'en sommes pas plus rassurés pour autant. En effet, la détention provisoire, pourtant encadrée par des critères restrictifs et une procédure rigoureuse, est malheureusement loin de revêtir le caractère exceptionnel qui lui est assigné par la loi. En outre, ce texte présente toutes les caractéristiques d'un texte extensible. Nous assistons d'ailleurs depuis quelques heures à une véritable avalanche d'amendement visant à élargir son champ d'application. Enfin, la décision d'enfermement est fondée sur une appréciation hasardeuse de la dangerosité. Vous nous demandez de quitter la réalité des faits pour la plasticité des hypothèses. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
L'évaluation de la dangerosité ne relève plus du diagnostic, mais du pronostic, comme le souligne un appel cosigné notamment par le GENEPI, la Ligue des droits de l'homme, l'Observatoire international des prisons, le Syndicat de la magistrature et le SNEPAP-FSU.
Un député du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Donnez plutôt la parole aux familles des victimes !
En effet, votre texte n'envisage pas simplement de durcir les sanctions ou de renforcer les moyens de contrainte, mais aussi de procéder à des enfermements préventifs sur la base d'une présomption d'infraction future.
Vous orchestrez d'autre part un changement profond de la fonction de juge. En présence d'un condamné ayant entièrement purgé sa peine, et qui aura donc payé sa dette vis-à-vis de la société, celui qui était, jusqu'à présent, le gardien de nos libertés individuelles pourra, au vu d'une expertise psychiatrique – et chacun sait que la psychiatrie n'est pas une science exacte – ordonner une détention sans infraction ni condamnation. Nous demanderons d'ailleurs au juge constitutionnel de préciser ce qu'est une mesure de sûreté.
Nous sommes en effet convaincus que la détention de sûreté, expression d'un droit pénal répressif et rétrograde, est davantage qu'une mesure comparable au bracelet électronique.
Votre vision de la société n'est pas la nôtre, et c'est pour cela que le groupe SRC votera l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Je mets aux voix l'exception d'irrecevabilité.
(L'exception d'irrecevabilité n'est pas adoptée.)
M. Jean-Marie Le Guen. Monsieur le président, je demande la parole pour un rappel au règlement.
Mon rappel au règlement se fonde sur l'article 58, alinéa 1, monsieur le président.
J'aimerais savoir si la ministre de la santé a l'intention de nous rejoindre. En effet, alors que ce texte comprend, bien sûr, des aspects judiciaires, nous ne comprendrions rien à ce débat si nous ne l'abordions pas aussi sous l'angle de la politique de santé, de la prévention et de la santé mentale, ainsi que de la déontologie médicale, qui fait partie, me semble-t-il, du bien commun humaniste, de cette « politique de civilisation » à laquelle on nous appelle désormais.
À l'évidence, aucun des membres de notre groupe ne saurait se satisfaire de la situation actuelle, et ce pour de nombreuses raisons, la première étant que la loi de juillet 1998 proposée par Mme Guigou n'a pas été véritablement appliquée et que les politiques de prévention ne sont pas mises en oeuvre.
Vous vous attribuez le monopole de la défense des victimes, et souhaitez éviter que des criminels ne passent à nouveau à l'acte. Mais la première chose que nous demandent les victimes, n'est-ce pas une politique de prévention susceptible d'éviter que ces actes ne soient commis une première fois ? (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Cela vous gêne, monsieur Garraud ! (Mêmes mouvements.) Pourquoi ne vous interrogez-vous pas sur le parcours qui a amené ces pervers à passer à l'acte ?
Existe-t-il, dans ce pays, des politiques ou des institutions permettant d'éviter le passage à l'acte ? Non ! Ce projet de loi, par lequel vous prétendez prendre en compte la souffrance des victimes, opère-t-il des avancées en matière de prévention des actes criminels ? Non ! L'idée de la sanction suffit-elle à empêcher ces crimes ? Non ! Tenter, par des moyens divers, sur lesquels nous reviendrons, de prévenir la récidive n'empêchera pas les criminels d'agir. Votre texte n'est donc pas du tout de nature à donner satisfaction aux victimes. Il faudrait, pour cela, une véritable politique de prévention, et aussi une politique de santé – en particulier de santé mentale, un domaine dans lequel notre pays est en retard. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Vous vous éloignez des considérations touchant au déroulement de la séance, monsieur Le Guen. Veuillez conclure.
Il serait donc normal que la ministre de la santé soit présente pour nous exposer sa politique. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Mme Bachelot sera présente pour débattre des articles relatifs à la santé et à la justice, notamment ceux figurant au titre II. En effet, les centres de rétention seront sous la double tutelle des ministères de la santé et de la justice. (« Et voilà ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
J'apporterai de plus une petite précision. À vous entendre, nous ne mettons pas assez de programmes de prévention en place. Je vous renvoie au débat – j'étais présente à cette époque – sur le texte relatif à la prévention de la délinquance. Nous avons proposé des programmes de dépistage précoce, d'importants programmes de prévention qui figurent dans la loi du 5 mars 2007. Or vous étiez vent debout contre ces dispositions et vous avez, à l'époque, voté massivement contre, car vous étiez opposés au dépistage précoce. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.
La parole est à M. Serge Blisko.
Madame la garde des sceaux, le projet de loi que vous soumettez à notre assemblée avait été présenté comme devant prévenir la récidive des auteurs de crimes graves, en particulier de nature sexuelle, à l'issue de leur emprisonnement. Force est de constater que cet objectif de départ a déjà été largement modifié.
Ce projet de loi vise également, dans sa deuxième partie, à réformer la manière dont est constatée l'irresponsabilité pour cause de trouble mental des auteurs d'actes graves et nous savons que cette situation se répète environ 200 fois par an ; elle est essentiellement traitée par l'article 122-1 du code pénal.
Madame la garde des sceaux, le groupe socialiste considère que votre projet de loi est mauvais, inutile et dangereux. Ce texte est, en effet, la réponse à deux affaires dramatiques. Ainsi, la rédaction du premier volet consacré à la rétention de sûreté s'inspire de l'enlèvement et du viol à Roubaix d'un enfant par un pédophile récidiviste qui venait de purger une peine de dix-huit ans de prison. La réforme de l'irresponsabilité pénale trouve, quant à elle, sa source dans le non-lieu requis contre l'auteur du meurtre particulièrement atroce de deux infirmières de l'hôpital psychiatrique de Pau. De façon malhonnête, vous assimilez ces deux affaires, deux situations très différentes, en jouant sur le concept flou et discutable de dangerosité. Évrard a récidivé à Roubaix après être resté trente-deux années en prison. Que s'est-il passé pendant toute sa détention ? On peut dire « rien », car il n'a été pris médicalement en charge que quelques mois… Le jeune Dupuy a tué à Pau parce qu'il n'avait pas été soigné à temps et assez énergiquement à l'hôpital psychiatrique comme sa famille le réclamait avec insistance et angoisse depuis plusieurs années face à l'aggravation de son état.
Votre projet ne répond ni à ces drames ni à la misère des prisons et des hôpitaux psychiatriques de France. Il ne répond en rien à ces béances, il n'est d'aucune utilité pour ces personnes mal, voire pas soignées, en rupture de suivi de traitement, qui errent dans nos villes entre la rue et les centres d'hébergement d'urgence. Cette population malade s'anéantit de plus dans l'alcool ou la drogue, seul médicament et seul suivi qu'elle trouve.
Votre projet de loi marque l'échec des politiques pénales et de santé publique, notamment en psychiatrie. Vous ne résoudrez pas les problèmes en exploitant la légitime émotion de l'opinion publique, entretenue par les médias, en particulier les télévisions proches du pouvoir, cette pression constante qui alimente la peur et favorise ces mesures hypersécuritaires.
Ce projet est dangereux, car en instituant une peine après la peine il contrevient, comme le précisait Dominique Raimbourg, à tous nos principes constitutionnels et à l'article VIII de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen ainsi qu'aux divers engagements européens de la France. Il s'ajoute aux dispositifs existants, que l'on a cités, et qui fonctionnent mal compte tenu du manque de moyens humains et matériels, comme le démontre dans sa première partie le rapport – excellent de ce point de vue – de M. Fenech, très objectif quand il décrit la situation actuelle, mais beaucoup plus hasardeux et, j'ose le lui dire, spécieux quand il défend le projet de loi. Les nombreuses auditions auxquelles j'ai participé avec notre collègue Dominique Raimbourg l'ont démontré : toutes les enquêtes, du rapport Burgelin à celui de notre collègue Garraud en passant par celui des sénateurs Goujon et Gautier, constatent l'augmentation considérable des détenus souffrant de troubles psychiatriques graves pour lesquels le législateur a prévu la possibilité d'une hospitalisations d'office aux termes de l'article D. 398 du code de procédure pénale.
Le nombre d'hospitalisations d'office de détenus a crû considérablement, passant d'une centaine en 1990 à 1 800 en 2005. Pensez-vous que ce soit un hasard ? Face à cette situation qui alarmait l'administration pénitentiaire, les ministères de la santé et de la justice ont enfin diligenté en 2002 la première étude sur la santé mentale des personnes détenues, supervisée par M. Bruno Falissard, épidémiologiste, et par le docteur Frédéric Rouillon, professeur de psychiatrie. Cette étude corrobore en tous points le constat plus récent de M. Fenech, essentiellement à la page dix-huit de son rapport. Après avoir reçu un très bon accueil de l'administration pénitentiaire – qui, je me dois de le dire, madame la garde des sceaux, est toujours à l'écoute – cette étude a, hélas, comme d'habitude, rencontré l'inertie du ministère de la santé, dont on constate une fois de plus l'échec de la politique de santé mentale. Les résultats de cette étude sont terribles. Ils montrent que, sur l'ensemble des hommes détenus en France, 21 % – c'est un minimum – souffriraient de troubles psychotiques graves, parmi lesquels 7,3 % souffrent de schizophrénie, 7 % de paranoïas et de psychoses hallucinatoires chroniques pouvant conduire au meurtre, 40 % de dépression, 33 % d'anxiété généralisée, 20 % de névroses traumatiques. M. Le Guen évoquait, tout à l'heure, la prévention primaire : la part des détenus ayant vécu une enfance catastrophique est colossale et entraîne un fonctionnement psychique très perturbé à l'âge adulte. Tout étudiant en psychologie le sait : ceux qui se retrouvent en prison ont un lourd passé. Je m'étonne aussi que le ministère des affaires sociales et celui de la santé ne soient pas représentés aujourd'hui pour travailler avec nous sur ces questions. À titre de comparaison, entre 20 et 30 % de détenus sont dans un état mental très grave et posent d'énormes problèmes à l'administration pénitentiaire. Il suffit de se rendre à Fresnes pour le constater. En France, 1 % de la population est atteinte de schizophrénie et 5 % de dépression, et ces troubles sont dix fois plus prévalents en prison ! Ne pensez-vous pas que se pose, là, un problème ?
Nos prisons sont aujourd'hui des hôpitaux psychiatriques sauvages !
Vous nous proposez aujourd'hui de créer des centres médico-socio-judiciaires. Or ne vont-ils pas capter les moyens des rares unités pour malades difficiles : ces UMD de Cadillac, Sarreguemines, Monfalet et Villejuif – avec le fameux pavillon Henri-Colin – implantés dans des hôpitaux psychiatriques ? Pourquoi ne prévoyez-vous pas le traitement de ces criminels dangereux dans ces dispositifs à taille humaine qui ont fait leur preuve ? Ces centres, dont la surveillance est renforcée, doivent être davantage aidés.
Je vous rappelle qu'il y a 400 places en UMD dans notre pays, quand il en faudrait au moins 1800 – MM. Fenech et Garraud l'ont reconnu – et alors qu'il en existe 7 000 en Allemagne. Ne croyez-vous pas qu'il y ait, là encore, un problème ?
En 2002, pour compliquer la situation, le gouvernement précédent a créé – c'était la loi « Perben » – des unités spécialisées pour les traitements psychiatriques des personnes détenues, les UHSA. Vous avez prévu 700 places en UHSA à l'horizon 2011-2012, les premières s'ouvrant en 2009 à Rennes et à Lyon à l'hôpital psychiatrique du Vinatier, puis en 2010 à l'hôpital psychiatrique de Villejuif.
Je le dis d'emblée : la question des UHSA est complexe. L'avis des psychiatres qui travaillent dans les prisons est partagé. Pour certains, tout est préférable aux services médico-psychologiques installés dans les établissements pénitentiaires parce que les traitements y sont très difficilement applicables à mettre en oeuvre et parce que les moyens matériels et humains manquent cruellement. D'autres s'interrogent, à juste titre, sur la philosophie des UHSA. Réfléchissons un instant ensemble, mes chers collègues. En effet, si des personnes lourdement condamnées ne peuvent supporter médicalement les conditions de la détention, peut-on alors dire qu'elles sont accessibles à une peine lorsqu'elles ont été condamnées ? Il y a là une contradiction. Demain – et cela se passe déjà aujourd'hui, mais de façon marginale – les UHSA ne vont-elles pas vider de toute signification l'article 122-1 du code pénal ? On considérera qu'une personne ne peut pas être emprisonnée, parce que totalement folle ; elle sera alors directement évacuée pour purger sa peine dans cet hôpital-prison qu'est l'UHSA. Ainsi, l'article 122-1 disparaîtra.
Enfin, mais je l'ai précisé lorsque j'ai évoqué le Vinatier ou Villejuif, les UHSA seront des territoires gérés par l'administration pénitentiaire au sein des hôpitaux. Êtes-vous certaine, madame la garde des sceaux, que ce contexte carcéral entraînera l'adhésion du personnel soignant ? Que se passera-t-il si psychiatres et infirmiers refusent de soigner dans ces conditions ? À toutes ces questions, vous répondez par la fuite en avant.
En tout état de cause, la création de centres de sûreté vient inutilement se surajouter aux dispositifs existants. En effet, comme cela vient d'être précisé, la loi du 17 juin 1998 a institué le suivi socio-judiciaire des condamnés pour infractions à caractère sexuel. L'objectif de ce suivi est de prévenir la récidive par des mesures de surveillance après leur libération, dont l'interdiction de paraître dans certains lieux, de rencontrer certaines personnes et, bien entendu, d'exercer une activité en contact avec les mineurs. La loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales a élargi le champ d'application du suivi à d'autres infractions, sans d'ailleurs donner de moyens supplémentaires. Par conséquent, le nombre de suivis socio-judiciaires demeure limité : 1 063 en 2004. Du fait de la pénurie de médecins coordonnateurs, de médecins traitants et de psychiatres dans le secteur public – il en manque 800 –, les injonctions de soins sont peu fréquentes et mal appliquées. À ce propos, où en sont les 300 postes dont vous nous avez annoncé, madame la garde des sceaux, en août dernier la création pour mars 2008 ? Nous sommes à deux mois de cette échéance : ces postes ont-ils été mis au concours et quels sont les résultats de ce recrutement massif que nous attendons tous puisqu'il viserait à tripler le nombre de médecins coordonnateurs ? Par ailleurs, l'exigence d'une prise en charge thérapeutique de la délinquance sexuelle, que l'on a estimé ici comme évidente, se heurte à l'insuffisante formation des professionnels de santé dans ce domaine. Tout cela n'est pas évident.
Au cours des dernières années ont été crées un fichier judiciaire des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes, une surveillance judiciaire et le placement sous surveillance électronique. À ce jour, ces dispositifs n'ont pas été évalués.
Nous sommes tous d'accord pour reconnaître qu'une surveillance post-carcérale des condamnés est effectivement nécessaire pour un certain nombre de condamnés. Cela concernait, dans la première version de votre projet, environ quinze personnes, mais la décision prise ce matin a porté ce nombre à plusieurs centaines. Tout cela est, à mon sens, parfaitement irréalisable.
(M. Rudy Salles remplace M. Bernard Accoyer au fauteuil de la présidence.)
Comme l'a dit tout à l'heure M. Vaxès, on ne peut pas oublier que la prise en charge médico-sociale doit commencer dès le premier jour de la détention et non dix ou treize ans après l'acte criminel, ce qui n'aurait plus aucun sens. Il faut pour cela augmenter le nombre de conseillers d'insertion et de probation, de personnels de santé et de surveillants pénitentiaires qui oeuvrent aujourd'hui dans le plus grand dénuement auprès des détenus. Les soins et l'encadrement prévus par la loi ne peuvent être effectifs en raison du manque criant de moyens. Pour plus de 63 000 personnes incarcérées – record absolu dans notre histoire pénitentiaire – on dénombre environ 18 000 surveillants et 3000 SPIP. Il en faudrait beaucoup plus pour vos projets. Le surpeuplement des maisons d'arrêt allonge tous les délais de consultation et de traitement des spécialistes. On se souvient – c'était il y a deux ans – du cri d'alarme de la responsable du service médico-psychologique régional – SMPR – de Fresnes, le docteur de Beaurepaire, qui a fait valoir son droit d'alerte en mai 2006 pour dénoncer cette pénurie.
Cette misère de la psychiatrie, cette psychiatrie de la misère, dans l'écrasante majorité des prisons, réduit le plus souvent le rôle des personnels soignants à la distribution de médicaments, en particulier de substitution. Il y a peu de soins ergothérapiques et psychothérapiques puisqu'ils s'avèrent impossibles à mettre en oeuvre en milieu pénitentiaire alors qu'ils devraient être prépondérants, notamment pour les délinquants sexuels. De l'avis des professionnels compétents, aucun travail sérieux ne peut être mis en place en prison en l'état actuel des choses.
Tant que l'on ne se préoccupera du devenir des délinquants qu'à leur sortie de prison, le temps de détention demeurera un temps mort, inutile. Les longues années d'enfermement devraient au contraire être mises à profit pour l'élaboration d'un projet solide de réinsertion du condamné, seul rempart efficace contre la récidive.
C'est la raison pour laquelle nous préconisons que, dès sa condamnation, le détenu soit placé en observation pendant plusieurs mois auprès d'une équipe pluridisciplinaire, composée de psychiatres, de psychologues, de médecins généralistes, de criminologues, de conseillers d'insertion et de probation et de magistrats, un peu comme ce qui existe aujourd'hui au centre national d'observation de Fresnes, en mettant beaucoup plus de moyens. On a dit tout à l'heure à quel point le travail des experts était fondamental dans ce domaine.
La mission confiée à ces professionnels serait d'élaborer un programme de soins et d'encadrement social personnalisé et, une fois la première expertise réalisée, d'orienter le sujet vers l'établissement ou le dispositif le plus approprié, avec des clauses de revoyure. Une telle démarche présenterait l'avantage d'intervenir en amont et tout au long de la peine, et non à la fin de celle-ci.
Votre projet de loi, madame la garde des sceaux, est dangereux à trois autres égards : il va à l'encontre des fondements de notre justice, repose sur des notions ambiguës qui mériteraient d'être clarifiées et véhicule une vision partielle et surmédicalisée de la délinquance.
L'invocation de la dangerosité pour justifier l'enfermement dévoie les fondements mêmes de notre justice. Comme le soulignait Robert Badinter, le recours à ce concept contribue à substituer la notion de crime virtuel à celle de crime effectivement commis. Le lien entre l'infraction commise et la sanction de son auteur s'efface. Le fantasme remplace les faits. La justice de sûreté contredit notre justice de responsabilité, mettant à mal le principe même de la responsabilité pénale. Le placement en centre fermé d'un individu considéré comme dangereux revient à le présumer coupable de faits à venir. Un tel raisonnement contredit le III de l'article préliminaire du code de procédure pénale selon lequel « toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n'a pas été établie ». Vous nous proposez la violation de la présomption d'innocence au profit de la présomption de culpabilité. C'est extrêmement grave !
Le projet, de plus, confie la décision de mise en rétention à une commission régionale qui présente toutes les caractéristiques d'une juridiction : formation de jugement, décision exécutoire motivée, débat contradictoire, défense assurée par un avocat, possibilité de recours et de pourvoi en cassation. Vous ne voulez pas l'avouer, mais la rétention de sûreté a bien toutes les caractéristiques d'une peine.
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Absolument !
Avec cette mascarade judiciaire, vous sacrifiez la liberté individuelle sur l'autel du principe de précaution. Le dispositif de rétention de sûreté n'est censé concerner que des individus ayant commis des infractions très particulières. En cela, nous avons en quelque sorte affaire à une juridiction d'exception destinée à certains types de criminels. Mais, comme vous l'avez fait ce matin, vous ne pourrez qu'élargir le champ d'application de la loi, au gré des faits divers et des mouvements d'indignation publique. Vous avez mis le doigt dans un engrenage que vous ne contrôlerez plus.
Nos collègues de la majorité nous préparent un monde effrayant comme celui que décrit le film de Spielberg, Minority report, que je vous invite à voir, en DVD, car il ne passe plus en salle. Il met en scène une unité spéciale de la police de New York, qui s'est donné pour mission d'arrêter les futurs criminels avant même qu'ils ne commettent leurs forfaits. De la réalité à la fiction, il n'y a souvent qu'un pas, et le vote de ce projet de loi pourrait nous le faire franchir.
Dans ce film, les investigations de la police précriminelle de New York reposent sur la consultation de « precops », sortes de cerveaux surdoués, censés prédire l'avenir. Dans votre projet de loi, j'ai cru comprendre que le rôle de « precop » serait confié aux experts, aux psychiatres en particulier, qui devront apprécier la dangerosité. Je doute qu'ils souhaitent être les acteurs de ce mauvais film.
De plus, de l'aveu de tous, le concept de dangerosité est très flou. La définition criminologique de la dangerosité, qui se décline essentiellement en termes psycho-sociaux, diffère totalement, vous le dites vous-même, monsieur Garraud, de sa définition psychiatrique, axée sur la détection de troubles mentaux. Les critères d'évaluation se sont affinés au cours des dernières années. Les facteurs dits exposants, favorisant le passage à l'acte, sont mieux connus. C'est sur ces questions qu'il faut travailler. Inspirons-nous de travaux bien faits dans d'autre pays, comme au Québec, plutôt que d'inventer ce genre de construction monstrueuse – je reprends un terme qui a été employé.
Jamais on n'a dit que les facteurs exposants pouvaient permettre d'avoir une sorte de vision prédictive. Il est très délicat de savoir pourquoi tel individu passe à l'acte et tel autre non. Vous avez une solution simple, c'est de mettre tout le monde au trou, et personne ne passera plus à l'acte.
Vous avouerez que ce n'est plus de la justice, mais de l'élimination sociale.
M. Burgelin, qu'on ne peut soupçonner d'angélisme ou de gauchisme, rappelait que les risques de passage à l'acte violent étaient multipliés par dix quand la personne est désocialisée et précarisée. Comme la prison actuellement, le centre socio-médico-judiciaire de sûreté – « médico-judiciaire » mais, comme l'a fait remarquer M. Le Guen, il est très curieux qu'il n'y ait personne du ministère de la santé et que la commission des affaires sociales n'ait pas été saisie pour avis – s'apparentera à un nouveau moyen de traitement de la misère sociale.
De plus, évaluer la dangerosité des délinquants au terme d'une longue période de détention, au moins treize ans après leur condamnation, relève de la provocation quand on sait à quel point la prison est criminogène et pathogène. Ce n'est pas au bout de treize ans qu'il faut évaluer, c'est tout de suite. La privation de liberté aggrave les états dépressifs et les troubles psychiques. L'absence de soins, les violences entre co-détenus et les humiliations subies fabriquent quotidiennement du ressenti et de la haine chez les personnes incarcérées.
Je me demande comment vous pouvez être sourds et aveugles au refus de tous les professionnels que nous avons consultés. Tous, qu'ils soient du champ judiciaire, du champ psychiatrique ou psychologues, ont manifesté leur hostilité face à la psychiatrisation de la justice que vous proposez.
Les juges, n'ayant pas de compétence en la matière, ne feront que confirmer les conclusions de l'expertise médicale. Tous ceux qui ont déjà vu une expertise médicale ou médico-psychiatrique savent à quel point elle est confuse et évite de répondre clairement aux questions. La rétention de sûreté est une peine, dont l'application sera décidée par des psychiatres, la juridiction se transformant en chambre d'enregistrement de leurs recommandations.
Pour leur part, les syndicats de magistrats et les représentants de l'Association nationale des juges de l'application des peines, dans un colloque parlementaire que dirigeait M. Houillon, ont réaffirmé que la mission des juges prenait fin dès lors que la peine était purgée. En résumé, les psychiatres ne veulent pas devenir juges et les juges ne veulent pas enfermer sur avis médical. Qui va s'occuper de cela ? On se le demande aujourd'hui.
Vous essayez de psychiatriser notre justice en médicalisant la délinquance, en la considérant donc comme une pathologie, sans que la médecine et l'administration du ministère de la santé s'en occupent. Ce n'est pas si simple. La France a accumulé un retard considérable dans le recours à la psycho-criminologie clinique en tant que mode de prise en charge des condamnés. Nous devons former dans l'administration pénitentiaire des personnels capables de répondre à ces questions angoissantes. Il ne sert à rien de jouer de l'émotion, monsieur Hunault ! Je vous ai connu mieux inspiré. Nous posons vraiment des questions lourdes.
Le pire coup porté aux principes de notre justice est sans doute que la rétention de sûreté laisse planer sur certains condamnés l'ombre de l'enfermement à vie. À la réclusion criminelle de plus de quinze ans viendra s'ajouter, pour les criminels jugés dangereux, un placement en rétention renouvelé tous les ans. On peut imaginer que, d'une année à l'autre, aucun expert psychiatre ne désavouera son pronostic de dangerosité et n'assumera la responsabilité d'une éventuelle récidive, surtout si l'on tient compte de la télévision et de la presse. C'est le spectre de la peine de mort sociale qui se profile à l'horizon.
Par définition, même dans les cas les plus difficiles, même au bout de trente ou de trente-cinq ans d'enfermement, la peine doit déboucher à terme sur une remise en liberté. Dès lors que celle-ci devient inaccessible, l'objectif de réinsertion, qui est le fondement de notre politique pénale depuis deux cents ans, est perdu de vue et la notion de paiement de la dette à la collectivité perd tout son sens puisque la dette n'est jamais purgée. Après une peine à durée déterminée, même très longue, la société doit savoir tourner la page, et vous, vous proposez d'enfermer le citoyen dans une sanction perpétuelle. Au mieux, la sortie des centres de rétention n'interviendra que lorsque le pronostic vital sera engagé ou lorsque l'état physique, voire psychique, des retenus sera suffisamment dégradé pour supprimer tout risque de récidive. Ce n'est pas glorieux !
La France a déjà été condamnée par la Cour européenne des droits de l'Homme pour traitements inhumains et dégradants. Notre pays se distingue tristement par ses lieux de détention. Nous souhaitons tous contribuer à l'amélioration de cette situation, et je pense que nous ferons du bon travail au sein du groupe d'études sur les prisons et les conditions carcérales. Ne commençons pas par ajouter de nouveaux centres de relégation, qui viendront alourdir ce constat déjà si honteux ! On ne peut que craindre la prolifération des attitudes suicidaires chez des personnes emmurées pendant des décennies, qui seront par ailleurs peu enclines à s'investir dans des protocoles de réhabilitation ou de soins. Je vous rappelle que, en 2005, 122 personnes se sont donné la mort dans les prisons françaises. Il y en a de plus en plus et vous savez que c'est un lourd problème qui angoisse l'administration pénitentiaire, les familles et tous ceux qui s'occupent des prisons.
Des soins qui seront prodigués dans les centres médico-sociaux de sûreté, on ne sait rien. La seule possibilité évoquée est l'atténuation de la libido, que M. Le Président de la République, qui a des connaissances médicales que j'ignorais, nomme la « castration chimique ». Celle-ci est présentée par Mme la garde des sceaux comme un remède miracle censé inhiber les pulsions perverses des délinquants sexuels. Or ce type de traitement présente des limites car, s'il réduit considérablement les manifestations physiques de la libido, il ne peut contenir sa dimension fantasmatique. Le plus inquiétant est que cette possibilité de castration ouvre la porte à des mesures plus radicales. À quand la psycho-chirurgie ? Quand rétablirez-vous la lobotomie, qui donne des résultats ? (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Madame la garde des sceaux, quels traitements prévoyez-vous pour les criminels dangereux qui n'ont pas commis d'infraction à caractère sexuel ? Il y a tout de même un paradoxe. Ce projet concernait les pervers, ceux qui tuent, qui violent, les enfants, puis ceux qui violent les adultes. Pourquoi pas d'ailleurs ? On ne voit pas très bien la différence entre violer une jeune fille de dix-neuf ans et violer une jeune fille de dix-sept ans. Depuis ce matin, il concerne aussi ceux qui tuent pour des raisons crapuleuses, mais ce ne sont pas des malades : ce sont des criminels. Il n'y a pas de traitement médical, on ne va pas donner des médicaments contre la libido à quelqu'un qui tue des vieilles dames pour leur voler leurs bijoux, ça n'a pas de sens. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
C'est le fond du problème. Une telle extension va à l'encontre des principes que vous défendiez.
Je ne reviendrai pas sur le second volet du projet de loi, qui concerne l'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. Mon collègue et ami Dominique Raimbourg a présenté avec talent les améliorations qui pourraient être apportées à cette partie du texte, qui suscite évidemment moins d'émoi.
En conclusion, il s'agit d'un projet de loi bâclé, marqué par une surenchère médiatique. C'est la première fois que l'on cite le nom de victimes dans l'exposé sommaire d'un amendement.
C'est extraordinairement personnalisé, et c'est le contraire de ce que l'on attend du législateur. Nous ne sommes pas dans un journal télévisé ou dans une revue à grand tirage. On ne parle pas d'une victime en donnant son nom, son prénom, les circonstances de son assassinat ou du traitement terrible qu'elle a subi pour présenter ensuite un amendement. C'est extraordinairement préoccupant par rapport à notre conception du travail parlementaire.
L'extension hasardeuse du dispositif à des catégories de criminels non sexuels trahit le travail de tous ceux qui voudraient sortir la folie des prisons pour mieux la comprendre, la traiter et empêcher la récidive. Par cette création de prison après la prison, vous bafouez deux siècles d'humanisme et d'avancées judiciaires.
À rebours de notre philosophie judiciaire, vous réduisez à néant toute possibilité de réhabilitation.
Je suis extrêmement triste, madame la garde des sceaux, de devoir dire que votre nom restera associé à la restauration monstrueuse des culs-de-basse-fosse où on jetait pêle-mêle les fous et les criminels dans le seul but de les exclure de la société. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)
Vous défaites ce que deux cents ans d'humanisme médical et judiciaire avaient réussi à obtenir : distinguer les criminels des fous.
Un député du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. De ne rien faire ?
…de répéter les mots magnifiques de Mgr Myriel à Jean Valjean : « Mon frère, vous n'appartenez plus au mal, mais au bien. C'est votre âme que je vous achète ; je la retire aux pensées noires et à l'esprit de perdition. » Méditez ces mots.
Pour ma part, je préfère être du côté de Mgr Myriel que de celui de votre projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine. – Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
À la question de savoir s'il y a lieu de délibérer sur ce texte, je répondrai très simplement, monsieur Blisko : oui, nous allons bien sûr délibérer sur notre texte.
Vous qui êtes psychiatre de formation, vous ne nous ferez pas croire que vous ne comprenez pas le concept de dangerosité, qui nous intéresse ici. Vous confondez, à mon avis intentionnellement, la dangerosité criminologique, qui relève du champ pénal, et la dangerosité psychiatrique, qui n'en relève pas.
Comment pouvez-vous dire que vous êtes incapable de définir cette dangerosité criminologique après avoir entendu les professionnels que nous avons auditionnés en commission ? Je vous renvoie aux termes de mon rapport : « la dangerosité criminologique, à l'inverse de la dangerosité psychiatrique, se situe dans le champ pénal : c'est le risque qu'un individu commette une infraction. Dans son acception criminologique, la dangerosité peut se définir comme “ un phénomène psychosocial caractérisé par les indices révélateurs de la grande probabilité de commettre une infraction contre les personnes ou les biens. ” » Il existe donc bien une définition de la dangerosité.
En toute bonne foi, vous ne pouvez pas soutenir que notre société, les experts, les spécialistes aujourd'hui à la disposition des magistrats, sont incapables de définir la dangerosité d'un individu. On se demande dans ce cas comment les juges de l'application des peines peuvent décider des libérations conditionnelles : cela ne vous pose pas de problème qu'on motive des décisions de libération conditionnelle par l'absence de dangerosité, alors que cela vous en pose qu'on puisse décider un placement en rétention pour cause de dangerosité. Il y a là deux poids, deux mesures !
Voilà pourquoi je crois que votre confusion est intentionnelle. Il ne s'agit ni de science-fiction, ni de psychiatrisation de la justice : le malade psychiatrique échappe à la justice pénale et entre dans un autre champ, celui de l'univers médical et du traitement de l'irresponsabilité pénale, auquel, madame la garde des sceaux, est consacré le deuxième volet de votre projet de loi.
Je reconnais avec vous qu'il y a des efforts à faire pour mettre fin à la misère psychiatrique, notamment en matière de postes budgétaires. Mais dois-je vous rappeler que c'est notre majorité qui, grâce au « Programme 13 000 », augmente le nombre des places de détention ?
Dois-je vous rappeler que le nombre des agents des services pénitentiaire d'insertion et de probation, les SPIP, n'a jamais connu une telle augmentation depuis 2002 ?
Dois-je vous rappeler que nous avons en chantier une grande loi pénitentiaire, qui vise précisément à remédier à cette pénurie ?
Voilà pourquoi je crois que vous ne convaincrez pas cette assemblée et que cette question préalable n'a pas lieu d'être.
Dans les explications de vote sur la question préalable, la parole est à M. Michel Vaxès, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Notre groupe votera la question préalable défendue par notre collègue Serge Blisko. Les raisons qu'il a invoquées à l'appui de sa défense devraient suffire à convaincre la majorité d'entre nous. Permettez cependant que, dans le cadre de cette explication de vote, j'insiste plus particulièrement sur un point.
Il est prématuré de discuter des dispositions de ce texte avant même que nous n'ayons pu examiner la réforme pénitentiaire tant promise et si souvent annoncée : c'est dans ce seul cadre qu'il aurait convenu de traiter du cas des détenus dangereux et des moyens de prévenir leur récidive.
Instaurer, comme vous le faites, une rétention de sûreté applicable à l'issue de la peine, c'est reconnaître par avance, avant même que nous ne connaissions les dispositions de votre future réforme pénitentiaire, que vous renoncez à vous atteler à une amélioration de la prise en charge des détenus qui devraient recevoir un traitement médico-social spécifique dans le cadre de leur détention.
Au fond, cela revient à nous dire que votre réforme future n'aura pas cette ambition. Vous prenez acte ici de l'échec de notre système pénitentiaire et vous envisagez de poursuivre dans la voie de cet échec. L'instauration d'une rétention de sûreté, c'est-à-dire la mise en place d'une peine perpétuelle, n'est en effet rien d'autre qu'un renoncement définitif à toute réforme pénitentiaire ambitieuse.
D'ailleurs, le refus du Gouvernement de renouveler les subventions à destination de l'Observatoire international des prisons n'en est qu'une preuve supplémentaire. Ce désengagement des pouvoirs publics du financement de cette organisation non gouvernementale, qui milite pour l'amélioration des conditions carcérales en France et le respect de la dignité des détenus, prouve que l'État se désintéresse de la réflexion sur notre monde pénitentiaire.
Refuser de discuter d'un texte qui consacre par avance à la fois l'échec de notre système pénitentiaire et celui de la réforme à venir, tel est le sens essentiel de notre vote en faveur de la question préalable.
La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.
Les interventions prononcées par nos deux collègues pour défendre l'exception d'irrecevabilité et la question préalable étaient toutes deux d'un grand intérêt, et j'espère que nous resterons aux yeux de tous, notamment de ceux qui nous regardent de ces tribunes, à la hauteur de pensée à laquelle elles se sont hissées, comme le commandent notre dignité et notre mission.
Madame la garde des sceaux, si votre texte répondait à la quarantaine de questions posées par Serge Blisko, de façon à nous faire franchir un pas supplémentaire dans le règlement de problèmes que personne ne soulève, nous le voterions. Mais si ces questions ont été posées aussi pertinemment et aussi précisément qu'elles l'ont été, grâce à la compétence que notre collègue a acquise dans l'exercice de sa profession, et à laquelle je veux rendre hommage, c'est bien parce que votre projet de loi n'y répond aucunement, quand il ne constitue pas un recul.
Du même coup, mes chers collègues, il ne répond pas non plus aux attentes des familles des victimes, dont nous reconnaissons tous la légitimité. Il ne répond pas davantage aux attentes de ceux qui attendent de la loi de nos États démocratiques qu'elle permette au corps social de progresser chaque jour, en dépit des difficultés.
Serge Blisko a raison de dire que ce texte est inutile, dangereux, mauvais. Il a raison de dénoncer le fait que l'État ne met pas en oeuvre jusqu'au bout tous les moyens à sa disposition pour traiter la maladie mentale, dans notre société et dans l'univers carcéral, se réduisant ainsi à l'impuissance et à l'inefficacité. Il m'indiquait à l'instant – à l'oreille, par modestie – ces chiffres incroyables : alors qu'en 1980 la France comptait 30 000 détenus pour 120 000 personnes hospitalisées en psychiatrie, elle comptait, en 2002, 63 000 détenus pour 40 000 hospitalisés en psychiatrie. Telle est la réalité des chiffres.
On pourra bien, mes chers collègues, se contorsionner autant qu'on voudra dans cet hémicycle, le véritable débat est là, et j'espère qu'il aura lieu.
La définition de la dangerosité rappelée par notre collègue Georges Fenech est une définition théorique et doctrinale. (« Mais non ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Mais si ! Même s'il a eu raison de la rappeler car elle est pertinente, elle n'en reste pas moins doctrinale et théorique. Le problème de savoir quel individu répond à cette définition reste entier. C'est toute la question de l'examen psychiatrique : qui entrera dans la case, qui n'y entrera pas ? Et qui en décidera ?
En un mot, le vrai problème est de savoir qui sera considéré comme dangereux, non pas pour avoir commis tel ou tel acte – ne nous trompons pas de débat, chers collègues –, quand bien même s'agirait-il de l'acte le plus odieux de tous ceux que vous avez évoqués. Mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit : nous parlons de quelqu'un qui aura effectué la peine qui aura été prononcée à son encontre au nom du corps social, d'une vingtaine d'années de réclusion criminelle…
…et dont le sort, à l'issue de cette peine, dépendra du processus que vous voulez mettre en place.
Ce que je souhaiterais dire, monsieur le président…
Votre courtoisie me laissera la possibilité de conclure. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Je vous promets que j'en tiendrai compte lors de mes interventions ultérieures.
Ne nous y trompons pas : si notre but est de sanctionner une nouvelle fois ceux qui ont déjà fait l'objet d'une sanction judiciaire, nous commettons une infamie du point de vue du droit. Si nous cherchons en revanche à protéger la société, commençons par nous interroger sur la façon dont on accompagne celui qui passe vingt-cinq ou trente ans en réclusion.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous voterons la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Le groupe Nouveau Centre rejettera cette question préalable.
Nous reconnaissons la pertinence de vos questions, mon cher collègue, telle celle des moyens de la psychiatrie – j'aurai l'occasion de démontrer que ce texte nous oblige à faire en sorte qu'il y ait des moyens suffisants, tant humains et financiers qu'en matière de structures, pour accompagner les délinquants les plus dangereux. Vous avez à juste titre posé également la question des prisons, vous qui présidez avec compétence le groupe d'étude sur les prisons et les conditions carcérales.
Dans ces conditions, chers collègues de l'opposition, je vous pose la question que vous a posée Georges Fenech : pourquoi n'avez-vous pas voté les crédits consacrés à ces missions ? Qui a voté la loi de 1994 améliorant l'accès aux soins dans les prisons, sinon une majorité similaire à la nôtre ? (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) Qui a voté, le 15 novembre dernier, le budget de la justice présenté par la garde des sceaux et qui augmente les crédits de l'administration pénitentiaire de près de 8 % ?
C'est bien vous qui vous êtes opposés au vote des crédits consacrés à la modernisation des prisons. Pourquoi refuser d'aider le Gouvernement dans l'élaboration de la loi pénitentiaire, qui aura précisément pour vocation de lutter contre la surpopulation carcérale, que vous avez dénoncée à juste titre ? En effet, cette loi pénitentiaire aura pour finalité, entre autres, d'instaurer des peines alternatives à l'emprisonnement et d'assurer le traitement des délinquants les plus dangereux.
Ce qui distingue l'opposition de la majorité qui soutient ce texte, c'est, vous l'avez dit, chers collègues, le terme de « dangerosité ». Nous assumons notre responsabilité et notre engagement à faire en sorte que l'on distingue les détenus dangereux et que l'état de dangerosité soit établi, afin d'éviter les sorties sèches de détenus qui risquent de récidiver.
C'est là le fondement de ce texte, qui engage chacun et chacune d'entre nous. Ce texte, qui permettra de lutter contre la récidive est un texte utile, un texte de protection et nous prenons toutes nos responsabilités en soutenant son adoption. (Applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau Centre et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire, la parole est à M. Thierry Mariani.
Monsieur le président, mes chers collègues, le groupe UMP rejettera, bien entendu, la question préalable. La défense des victimes de la délinquance s'est imposée parmi les priorités du Président de la République.
Lorsque Nicolas Sarkozy a reçu à l'Élysée le père et le grand-père d'Enis, le père de l'enfant a déclaré à la presse, au sortir de l'entretien : « Si je suis venu aujourd'hui ici, c'est pour que les lois puissent être plus sévères pour des monstres comme cette personne-là. Le Président me l'a promis, j'espère qu'il va tenir parole ». C'est cette parole que nous tenons aussi aujourd'hui. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Permettez-moi de vous rappeler les objectifs principaux de ce texte et de vous démontrer ainsi toute sa justesse et sa nécessité compte tenu du droit des victimes et de la protection de nos citoyens, et particulièrement des plus vulnérables que sont les enfants.
Premier objectif : permettre de retenir dans des centres fermés les auteurs de crimes pédophiles condamnés à quinze ans de réclusion ou plus lorsqu'ils restent particulièrement dangereux et présentent un risque élevé de récidive. En effet, les mesures actuellement existantes semblent à l'évidence insuffisantes au regard des situations dramatiques qui sont encore vécues. Cette mesure est un ultime moyen de protection de la société. La rétention de sûreté sera prononcée pour un an renouvelable et prendra fin dès que le degré de dangerosité de l'individu permettra un autre mode de suivi.
Ce texte répond à une très forte exigence de la population française. Il est insoutenable et impensable de laisser se jouer de tels drames humains. Il est grand temps d'agir. C'est ce que nous avons décidé de faire aujourd'hui.
Il est important de rappeler, là encore, que des dispositifs équivalents existent déjà dans d'autres pays tels que l'Allemagne, la Belgique ou le Canada. (« C'est faux ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Je me suis d'ailleurs laissé dire que la candidate du parti socialiste à la dernière élection présidentielle, Mme Royal, s'était laissée séduire par le modèle québécois en matière de prévention et de suivi des délinquants sexuels.
Lors de la campagne présidentielle, elle avait en effet annoncé un plan contre les violences sexuelles et préconisait, je le rappelle, la construction de prisons spécialisées, dans lesquelles les délinquants sexuels condamnés seraient suivis.
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. C'est très différent !
Elle insistait aussi sur le fait qu'il n'y aurait plus de libération de délinquants sexuels sans qu'un comité d'experts ait garanti la non-dangerosité de ces individus.
Et voilà qu'aujourd'hui, mes chers collègues, vous vous opposez à ce texte qui aurait pu être rédigé par votre propre candidate ? Drôle de réaction, permettez-moi de le dire, pour le groupe d'un parti qui n'a aujourd'hui plus de programme ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Je vous laisse l'y enfoncer. C'est votre responsabilité.
Revenons-en à notre texte.
Deuxième objectif : modifier la procédure de jugement des irresponsables pénaux pour cause de trouble mental afin de mieux répondre aux attentes des victimes et de leurs familles. Les juges ne se limiteront plus à prononcer un non-lieu, mais pourront prononcer une déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. L'affaire pourra ainsi être renvoyée devant le tribunal correctionnel compétent afin qu'il se prononce sur la responsabilité civile de la personne et statue sur les dommages et intérêts. La chambre de l'instruction pourra aussi prononcer des mesures de sûreté.
Cela doit permettre de clarifier et de rendre plus cohérent, plus humain et plus compréhensible le traitement de la situation des personnes déclarées pénalement irresponsables. C'est un devoir que nous avons à l'égard des victimes et de leurs familles.
Enfin, le projet de loi renforce l'efficacité du dispositif d'injonction de soins.
Ce projet de loi, qui a pour objectif clairement exprimé la protection des citoyens et le traitement des victimes, ne s'oppose pas pour autant aux droits des condamnés et des détenus. Il a en effet été élaboré dans le respect des exigences constitutionnelles de nécessité, de proportionnalité et de garanties judiciaires des libertés individuelles.
C'est un texte équilibré que le Gouvernement nous présente aujourd'hui. La rétention de sûreté est entourée d'importantes garanties, sur lesquelles nous aurons l'occasion de revenir au cours des débats.
Aussi, mes chers collègues, à la mémoire des victimes, au nom de tous ceux dont l'enfance a un jour été volée, je vous demande, en toute conscience, de rejeter la question préalable. Du projet de loi, le droit des victimes sort renforcé et la situation des condamnés n'en est pas dégradée, mais mieux encadrée. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Je mets aux voix la question préalable.
(La question préalable n'est pas adoptée.)
La suite de la discussion du projet de loi est renvoyée à la prochaine séance.
Prochaine séance, ce soir, à vingt-deux heures :
Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-huit heures cinquante.)
Le Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,
Jean-Pierre Carton