Madame (Mmes et MM. les députés, ainsi que Mmes et MM. les membres du Gouvernement se lèvent), monsieur le Premier ministre, mesdames les ministres, messieurs les ministres, monsieur le Président du Conseil constitutionnel, monsieur le Premier Président de la Cour des comptes, mes chers collègues, samedi matin, un mal foudroyant emportait notre ancien collègue, celui qui, il y a peu de temps encore, occupait ce perchoir : Raymond Forni.
Cette disparition nous a tous profondément attristés. Raymond Forni était respecté, et bien au-delà de sa famille politique. L'hommage unanime qui lui est rendu depuis samedi matin est éloquent : il avait, ici, à l'Assemblée nationale, l'estime de tous.
Modèle de promotion républicaine, il était un grand parlementaire, un homme de convictions.
Né le 20 mai 1941 à Belfort dans une famille d'immigrés italiens, Raymond Forni, orphelin de père dès l'âge de onze ans, fut tôt confronté aux douleurs de l'existence.
Issu d'un milieu modeste, longtemps étranger dans son propre pays – puisqu'il dut attendre ses dix-sept ans pour obtenir la nationalité française –, c'est par sa volonté, par son travail, que Raymond Forni a su construire son destin. Un autre destin que celui que lui réservait sa naissance, un destin remarquable ! Il aimait rappeler qu'il le devait à la France.
Tous ici, nous nous souvenons comment, et avec quels mots émouvants, pleins de gratitude, il avait, de cette tribune, rendu hommage à la République.
Celui qui occupa ce perchoir commença sa vie professionnelle à dix-huit ans ouvrier chez Peugeot.
Sa ténacité eut raison des circonstances : jeune homme courageux, il passa avec succès son baccalauréat à vingt-deux ans. Puis, tout en travaillant à l'usine, il fera des études de droit qui le conduiront à devenir avocat à vingt-sept ans. De l'usine au barreau, déjà, quel parcours !
Très vite, il s'intéressera à la politique et, dès 1973, il est élu député du Territoire-de-Belfort. Il a trente-deux ans. Il sera réélu à cinq reprises, pour cinq législatures, jusqu'en 2002.
À l'Assemblée, en ces lieux, son talent de juriste et sa force de travail feront vite sa réputation.
En 1981, à quarante ans, il devient président de la prestigieuse commission des lois. Il y laissera l'empreinte d'un législateur éminent.
En 1985, il est nommé à la Haute Autorité de l'audiovisuel.
De retour à l'Assemblée en 1988, il sera élu le 29 mars 2000 Président de l'Assemblée nationale.
De l'usine au barreau, du barreau au Palais-Bourbon et du Palais-Bourbon à la Présidence de l'Assemblée nationale : il est peu d'exemples d'une aussi remarquable ascension républicaine.
Son premier discours de Président de l'Assemblée nationale est encore dans la mémoire de beaucoup d'entre nous. Ce discours est l'un de ceux, parmi les très nombreux prononcés depuis cette tribune, qui ne s'oublieront jamais.
Son hommage vibrant, poignant, à la République qui, pour reprendre ses propres mots, « accueille, éduque, rassemble sans distinction de race, d'origine, de couleur, de religion » restera l'un des moments les plus forts et les plus émouvants du coeur de la démocratie que constitue cet hémicycle.
Président de l'Assemblée nationale jusqu'en 2002 – huitième président de l'Assemblée de la Ve République –, Raymond Forni remplira ses fonctions dans un esprit républicain qui lui vaudra le respect de tous.
Il fut parmi nous un député assidu, engagé, convaincu, exigeant. Il fut et il restera pour nous tous un grand parlementaire.
Raymond Forni, c'était enfin un homme de convictions. Il avait des idées claires, un engagement ancien. Il ne transigeait pas. Cette fidélité à ses idées l'honore. Elle est exemplaire. Ses convictions étaient aussi celles d'un humaniste.
En 1981, il fut rapporteur de l'un des plus grands textes débattus dans cet hémicycle : l'abolition de la peine de mort. L'homme, l'avocat et le député qu'il était, confessait volontiers que c'était son plus grand souvenir de parlementaire.
Ses convictions, c'était aussi cet attachement aux libertés publiques dont il fit preuve avec constance à la Haute Autorité de l'audiovisuel, puis à la Commission nationale de l'informatique et des libertés, qu'il avait lui-même contribué à créer et dont il fut vice-président plus de dix années durant.
L' « enfant de la République », le fils d'immigrés italiens naturalisé français à dix-sept ans, l'homme passionnément attaché à la France qu'était Raymond Forni avait les meilleures raisons d'être farouchement européen.
Dans son discours du 29 mars 2000, il résumait son engagement européen par ces mots : « La France m'a tout donné, et c'est peut-être pour cela que, mon sang et mon coeur se mêlant, je crois à l'Europe par-dessus tout. »
La solidité de ses convictions, enfin, c'était sa volonté de servir la République, de servir les Français. Pour ce service, il s'engagera sans relâche, au niveau national comme au niveau local, dans cette région de Franche-Comté où il avait grandi : maire de Delle, conseiller général du Territoire-de-Belfort et, enfin, président du conseil régional de Franche-Comté. Cette fidélité force l'admiration.
C'est un homme de très grande qualité dont nous saluons ici la mémoire.
À vous, madame, à ses enfants, à ses anciens collèges et à ses amis politiques, j'adresse, au nom de tous les députés de l'Assemblée nationale et en mon nom personnel, mes condoléances particulièrement attristées.
(Mmes et MM. les députés, ainsi que Mmes et MM. les membres du Gouvernement, observent quelques instants de recueillement.)