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Intervention de Serge Blisko

Réunion du 8 janvier 2008 à 15h00
Rétention de sûreté et déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental — Question préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSerge Blisko :

Comme l'a dit tout à l'heure M. Vaxès, on ne peut pas oublier que la prise en charge médico-sociale doit commencer dès le premier jour de la détention et non dix ou treize ans après l'acte criminel, ce qui n'aurait plus aucun sens. Il faut pour cela augmenter le nombre de conseillers d'insertion et de probation, de personnels de santé et de surveillants pénitentiaires qui oeuvrent aujourd'hui dans le plus grand dénuement auprès des détenus. Les soins et l'encadrement prévus par la loi ne peuvent être effectifs en raison du manque criant de moyens. Pour plus de 63 000 personnes incarcérées – record absolu dans notre histoire pénitentiaire – on dénombre environ 18 000 surveillants et 3000 SPIP. Il en faudrait beaucoup plus pour vos projets. Le surpeuplement des maisons d'arrêt allonge tous les délais de consultation et de traitement des spécialistes. On se souvient – c'était il y a deux ans – du cri d'alarme de la responsable du service médico-psychologique régional – SMPR – de Fresnes, le docteur de Beaurepaire, qui a fait valoir son droit d'alerte en mai 2006 pour dénoncer cette pénurie.

Cette misère de la psychiatrie, cette psychiatrie de la misère, dans l'écrasante majorité des prisons, réduit le plus souvent le rôle des personnels soignants à la distribution de médicaments, en particulier de substitution. Il y a peu de soins ergothérapiques et psychothérapiques puisqu'ils s'avèrent impossibles à mettre en oeuvre en milieu pénitentiaire alors qu'ils devraient être prépondérants, notamment pour les délinquants sexuels. De l'avis des professionnels compétents, aucun travail sérieux ne peut être mis en place en prison en l'état actuel des choses.

Tant que l'on ne se préoccupera du devenir des délinquants qu'à leur sortie de prison, le temps de détention demeurera un temps mort, inutile. Les longues années d'enfermement devraient au contraire être mises à profit pour l'élaboration d'un projet solide de réinsertion du condamné, seul rempart efficace contre la récidive.

C'est la raison pour laquelle nous préconisons que, dès sa condamnation, le détenu soit placé en observation pendant plusieurs mois auprès d'une équipe pluridisciplinaire, composée de psychiatres, de psychologues, de médecins généralistes, de criminologues, de conseillers d'insertion et de probation et de magistrats, un peu comme ce qui existe aujourd'hui au centre national d'observation de Fresnes, en mettant beaucoup plus de moyens. On a dit tout à l'heure à quel point le travail des experts était fondamental dans ce domaine.

La mission confiée à ces professionnels serait d'élaborer un programme de soins et d'encadrement social personnalisé et, une fois la première expertise réalisée, d'orienter le sujet vers l'établissement ou le dispositif le plus approprié, avec des clauses de revoyure. Une telle démarche présenterait l'avantage d'intervenir en amont et tout au long de la peine, et non à la fin de celle-ci.

Votre projet de loi, madame la garde des sceaux, est dangereux à trois autres égards : il va à l'encontre des fondements de notre justice, repose sur des notions ambiguës qui mériteraient d'être clarifiées et véhicule une vision partielle et surmédicalisée de la délinquance.

L'invocation de la dangerosité pour justifier l'enfermement dévoie les fondements mêmes de notre justice. Comme le soulignait Robert Badinter, le recours à ce concept contribue à substituer la notion de crime virtuel à celle de crime effectivement commis. Le lien entre l'infraction commise et la sanction de son auteur s'efface. Le fantasme remplace les faits. La justice de sûreté contredit notre justice de responsabilité, mettant à mal le principe même de la responsabilité pénale. Le placement en centre fermé d'un individu considéré comme dangereux revient à le présumer coupable de faits à venir. Un tel raisonnement contredit le III de l'article préliminaire du code de procédure pénale selon lequel « toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n'a pas été établie ». Vous nous proposez la violation de la présomption d'innocence au profit de la présomption de culpabilité. C'est extrêmement grave !

Le projet, de plus, confie la décision de mise en rétention à une commission régionale qui présente toutes les caractéristiques d'une juridiction : formation de jugement, décision exécutoire motivée, débat contradictoire, défense assurée par un avocat, possibilité de recours et de pourvoi en cassation. Vous ne voulez pas l'avouer, mais la rétention de sûreté a bien toutes les caractéristiques d'une peine.

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