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Intervention de Serge Blisko

Réunion du 8 janvier 2008 à 15h00
Rétention de sûreté et déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental — Question préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSerge Blisko :

Vous avouerez que ce n'est plus de la justice, mais de l'élimination sociale.

M. Burgelin, qu'on ne peut soupçonner d'angélisme ou de gauchisme, rappelait que les risques de passage à l'acte violent étaient multipliés par dix quand la personne est désocialisée et précarisée. Comme la prison actuellement, le centre socio-médico-judiciaire de sûreté – « médico-judiciaire » mais, comme l'a fait remarquer M. Le Guen, il est très curieux qu'il n'y ait personne du ministère de la santé et que la commission des affaires sociales n'ait pas été saisie pour avis – s'apparentera à un nouveau moyen de traitement de la misère sociale.

De plus, évaluer la dangerosité des délinquants au terme d'une longue période de détention, au moins treize ans après leur condamnation, relève de la provocation quand on sait à quel point la prison est criminogène et pathogène. Ce n'est pas au bout de treize ans qu'il faut évaluer, c'est tout de suite. La privation de liberté aggrave les états dépressifs et les troubles psychiques. L'absence de soins, les violences entre co-détenus et les humiliations subies fabriquent quotidiennement du ressenti et de la haine chez les personnes incarcérées.

Je me demande comment vous pouvez être sourds et aveugles au refus de tous les professionnels que nous avons consultés. Tous, qu'ils soient du champ judiciaire, du champ psychiatrique ou psychologues, ont manifesté leur hostilité face à la psychiatrisation de la justice que vous proposez.

Les juges, n'ayant pas de compétence en la matière, ne feront que confirmer les conclusions de l'expertise médicale. Tous ceux qui ont déjà vu une expertise médicale ou médico-psychiatrique savent à quel point elle est confuse et évite de répondre clairement aux questions. La rétention de sûreté est une peine, dont l'application sera décidée par des psychiatres, la juridiction se transformant en chambre d'enregistrement de leurs recommandations.

Pour leur part, les syndicats de magistrats et les représentants de l'Association nationale des juges de l'application des peines, dans un colloque parlementaire que dirigeait M. Houillon, ont réaffirmé que la mission des juges prenait fin dès lors que la peine était purgée. En résumé, les psychiatres ne veulent pas devenir juges et les juges ne veulent pas enfermer sur avis médical. Qui va s'occuper de cela ? On se le demande aujourd'hui.

Vous essayez de psychiatriser notre justice en médicalisant la délinquance, en la considérant donc comme une pathologie, sans que la médecine et l'administration du ministère de la santé s'en occupent. Ce n'est pas si simple. La France a accumulé un retard considérable dans le recours à la psycho-criminologie clinique en tant que mode de prise en charge des condamnés. Nous devons former dans l'administration pénitentiaire des personnels capables de répondre à ces questions angoissantes. Il ne sert à rien de jouer de l'émotion, monsieur Hunault ! Je vous ai connu mieux inspiré. Nous posons vraiment des questions lourdes.

Le pire coup porté aux principes de notre justice est sans doute que la rétention de sûreté laisse planer sur certains condamnés l'ombre de l'enfermement à vie. À la réclusion criminelle de plus de quinze ans viendra s'ajouter, pour les criminels jugés dangereux, un placement en rétention renouvelé tous les ans. On peut imaginer que, d'une année à l'autre, aucun expert psychiatre ne désavouera son pronostic de dangerosité et n'assumera la responsabilité d'une éventuelle récidive, surtout si l'on tient compte de la télévision et de la presse. C'est le spectre de la peine de mort sociale qui se profile à l'horizon.

Par définition, même dans les cas les plus difficiles, même au bout de trente ou de trente-cinq ans d'enfermement, la peine doit déboucher à terme sur une remise en liberté. Dès lors que celle-ci devient inaccessible, l'objectif de réinsertion, qui est le fondement de notre politique pénale depuis deux cents ans, est perdu de vue et la notion de paiement de la dette à la collectivité perd tout son sens puisque la dette n'est jamais purgée. Après une peine à durée déterminée, même très longue, la société doit savoir tourner la page, et vous, vous proposez d'enfermer le citoyen dans une sanction perpétuelle. Au mieux, la sortie des centres de rétention n'interviendra que lorsque le pronostic vital sera engagé ou lorsque l'état physique, voire psychique, des retenus sera suffisamment dégradé pour supprimer tout risque de récidive. Ce n'est pas glorieux !

La France a déjà été condamnée par la Cour européenne des droits de l'Homme pour traitements inhumains et dégradants. Notre pays se distingue tristement par ses lieux de détention. Nous souhaitons tous contribuer à l'amélioration de cette situation, et je pense que nous ferons du bon travail au sein du groupe d'études sur les prisons et les conditions carcérales. Ne commençons pas par ajouter de nouveaux centres de relégation, qui viendront alourdir ce constat déjà si honteux ! On ne peut que craindre la prolifération des attitudes suicidaires chez des personnes emmurées pendant des décennies, qui seront par ailleurs peu enclines à s'investir dans des protocoles de réhabilitation ou de soins. Je vous rappelle que, en 2005, 122 personnes se sont donné la mort dans les prisons françaises. Il y en a de plus en plus et vous savez que c'est un lourd problème qui angoisse l'administration pénitentiaire, les familles et tous ceux qui s'occupent des prisons.

Des soins qui seront prodigués dans les centres médico-sociaux de sûreté, on ne sait rien. La seule possibilité évoquée est l'atténuation de la libido, que M. Le Président de la République, qui a des connaissances médicales que j'ignorais, nomme la « castration chimique ». Celle-ci est présentée par Mme la garde des sceaux comme un remède miracle censé inhiber les pulsions perverses des délinquants sexuels. Or ce type de traitement présente des limites car, s'il réduit considérablement les manifestations physiques de la libido, il ne peut contenir sa dimension fantasmatique. Le plus inquiétant est que cette possibilité de castration ouvre la porte à des mesures plus radicales. À quand la psycho-chirurgie ? Quand rétablirez-vous la lobotomie, qui donne des résultats ? (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Madame la garde des sceaux, quels traitements prévoyez-vous pour les criminels dangereux qui n'ont pas commis d'infraction à caractère sexuel ? Il y a tout de même un paradoxe. Ce projet concernait les pervers, ceux qui tuent, qui violent, les enfants, puis ceux qui violent les adultes. Pourquoi pas d'ailleurs ? On ne voit pas très bien la différence entre violer une jeune fille de dix-neuf ans et violer une jeune fille de dix-sept ans. Depuis ce matin, il concerne aussi ceux qui tuent pour des raisons crapuleuses, mais ce ne sont pas des malades : ce sont des criminels. Il n'y a pas de traitement médical, on ne va pas donner des médicaments contre la libido à quelqu'un qui tue des vieilles dames pour leur voler leurs bijoux, ça n'a pas de sens. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

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