La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à neuf heures trente.)
L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. André Vallini et de plusieurs de ses collègues visant à instituer la présence effective de l'avocat dès le début de la garde à vue (nos 2225, 2372).
La parole est à M. André Vallini, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
Madame la présidente, madame la ministre d'État, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, il y a un problème de la garde à vue en France.
C'est, tout d'abord, un problème quantitatif : le nombre des gardes à vue est en effet passé de 336 000 en 2001 à 577 000 en 2009, chiffre auquel il faut ajouter environ 200 000 gardes à vue pour infractions routières. Le nombre de gardes à vue s'élève donc aujourd'hui, dans notre pays, à près de 800 000.
Cette augmentation considérable est due au fait que, depuis quelques années, la garde à vue est utilisée pour gonfler les statistiques du ministère de l'intérieur. Si le Premier ministre avait raison, en novembre dernier, de dire que « la privation de liberté est un acte grave qui doit rester exceptionnel », les syndicats de policiers ont, eux aussi, raison d'avoir réagi en déclarant que « c'est le Gouvernement qui impose des quotas d'interpellations en mettant la pression sur les policiers par une politique du chiffre ».
Cependant, ce sont les gardes à vue elles-mêmes, quel que soit leur nombre, qui, en France, posent plusieurs problèmes.
Tout d'abord, les locaux sont trop souvent indignes.
Ensuite, la procédure pénale française accorde toujours à l'aveu une valeur probante excessive, ce qui conditionne le travail des enquêteurs et aboutit parfois à ce qu'une personne reconnaisse des faits qu'elle n'a pas commis.
Locaux indignes, pressions excessives... De surcroît, le contrôle du déroulement des gardes à vue par les parquets est insuffisant, chacun le sait.
Ces problèmes sont d'autant plus graves que la garde à vue est une phase le plus souvent déterminante des poursuites pénales. Tout d'abord, dans la grande majorité des cas, la garde à vue débouche sur des poursuites judiciaires dites rapides, et la personne poursuivie comparaît alors souvent fatiguée par une ou deux nuits sans sommeil, psychologiquement affaiblie par l'épreuve qu'elle vient de subir, n'ayant pu ni se laver ni se raser, ni être en mesure de préparer sa défense.
Même lorsque la garde à vue débouche sur une procédure plus longue, on sait que les déclarations faites en garde à vue ont un impact déterminant sur la procédure judiciaire et qu'elles poursuivent, en quelque sorte, le mis en cause tout au long du processus pénal, depuis le juge d'instruction jusqu'à l'audience. La garde à vue fabrique ainsi souvent une sorte de vérité policière, qui devient finalement une vérité judiciaire.
Compte tenu de l'augmentation considérable de leur nombre, des conditions le plus souvent déplorables de leur déroulement et de l'influence déterminante qu'elles ont sur les poursuites judiciaires, réformer les gardes à vue est devenu impératif, incontournable.
Cette réforme est devenue plus impérative encore depuis que la Cour européenne des droits de l'homme, a posé, dans deux arrêts de 2008 et 2009, des exigences qui ne sont pas satisfaites dans notre pays.
En effet, si l'entretien de trente minutes en début de garde à vue permet à l'avocat d'assumer deux types d'interventions exigées par la Cour de Strasbourg, à savoir le soutien de l'accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention, il ne lui permet cependant pas d'apporter son aide pour la discussion de l'affaire, l'organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l'accusé et la préparation des interrogatoires, ce qu'exigent pourtant aussi les arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme.
Cette non-conformité du droit français est, en outre, aggravée par notre jurisprudence, qui n'impose pas au policier de différer l'audition d'une personne gardée à vue dans l'attente de l'arrivée de l'avocat, dès lors qu'il a effectué des diligences suffisantes pour le joindre ou dès lors que l'avocat a été prévenu et qu'il ne peut se déplacer immédiatement. Force est donc de constater que le droit français ne prévoit pas le droit réel à bénéficier d'un avocat pendant trente minutes au début de la garde à vue, mais simplement le droit de demander à s'entretenir avec un avocat.
Cette pratique est d'autant plus choquante que, depuis la loi du 18 mars 2003, le gardé à vue n'est plus informé de son droit au silence. Cette information avait été instaurée par la loi du 15 juin 2000. Elle répond en outre à une exigence de la jurisprudence européenne.
La garde à vue à la française ne peut donc en aucune manière être jugée conforme à la Convention européenne des droits de l'homme et à l'interprétation qu'en donne la Cour de Strasbourg.
Depuis ces deux arrêts de 2008 et 2009, les praticiens de la garde à vue ont adopté deux attitudes. D'un côté, les officiers de police judiciaire et les magistrats du parquet, soumis à leurs hiérarchies respectives, s'appuient sur la lettre du code de procédure pénale pour refuser aux personnes gardées à vue le droit d'être assistées par un avocat. De l'autre côté, certains juges du siège s'appuient sur la jurisprudence européenne pour annuler les gardes à vue ou refuser de les prolonger.
Le risque d'invalidation massive d'un très grand nombre de gardes à vue est donc aujourd'hui bien réel en France. Il est même d'autant plus grand que, dès l'entrée en vigueur, le 1er mars dernier, de la réforme constitutionnelle sur la question prioritaire de constitutionnalité, le tribunal correctionnel de Paris a soumis à la Cour de cassation une demande concernant la garde à vue en France. La Cour dispose de trois mois pour saisir ou non le Conseil constitutionnel, lequel sera, le cas échéant, appelé à se prononcer – lui aussi dans un délai de trois mois – sur la conformité de la garde à vue française au bloc de constitutionnalité mais aussi au bloc de conventionnalité, donc à la Convention européenne des droits de l'homme et à la jurisprudence de la Cour de Strasbourg.
À ce risque majeur, celui de l'invalidation de milliers de gardes à vue, s'en ajoute un autre : celui de la condamnation de notre pays.
L'enjeu est d'importance, tout d'abord, pour l'image de la France, mais aussi en termes financiers car – vous le savez – la Cour de Strasbourg peut décider d'accorder une compensation financière à la personne victime d'une violation de l'un de ses droits. La France, dont on sait quel est l'état de ses finances publiques, court donc le risque d'être condamnée à verser des indemnisations à toutes les personnes gardées à vue qui estimeront avoir subi une atteinte à leur droit à un procès équitable.
En conclusion, je veux répondre à trois critiques formulées à l'encontre de la présente proposition de loi lors de son examen en commission des lois en février dernier,
Première critique : certains ont estimé que cette loi sera inapplicable compte tenu du nombre de gardes à vue dans lesquelles un avocat devra intervenir. À ceux-là, je réponds très simplement que les barreaux, qui sont les premiers demandeurs de cette réforme, devront s'organiser en conséquence. J'en discutais encore hier soir avec les représentants du conseil de l'ordre des avocats de Paris, dont j'étais l'invité. Ils m'ont effectivement déclaré qu'il reviendra aux barreaux de s'organiser, à Paris mais aussi en province, où cela sera sans doute plus compliqué.
Deuxième critique : certains reprochent à cette proposition de loi de n'apporter qu'une réponse partielle. Ils arguent qu'il serait également nécessaire de limiter le champ d'application de la garde à vue. C'est vrai, Mme la ministre d'État prépare une réforme globale de la procédure pénale, et donc de la garde à vue. Cette réforme est annoncée, elle est soumise à la concertation, on en connaît l'avant-projet, mais elle prendra du temps, notamment à cause de votre volonté, madame la garde des Sceaux, de recourir – et vous avez raison – à la concertation.
Cette réforme n'interviendra donc qu'après que le projet aura été soumis à l'avis du Conseil d'État et délibéré en conseil des ministres puis voté par le Parlement, soit, au mieux, à la fin de cette année ou, plus probablement, au cours de l'année 2011. Pendant ce laps de temps, des centaines, voire des milliers, de gardes à vue vont être annulées, et des centaines, voire des milliers, de procédures judiciaires vont être fragilisées, au détriment du travail de la police et de la justice, au détriment aussi, par conséquent, de la sécurité de nos concitoyens.
Une troisième critique concerne l'efficacité des enquêtes, l'avocat présent en garde à vue pouvant, selon certains, éprouver la tentation d'entraver le cours de la justice. Or, aujourd'hui, pendant la demi-heure où l'avocat s'entretient avec son client, ce dernier peut déjà lui demander d'alerter un complice ou de faire disparaître une pièce, mais, depuis que la loi du 15 juin 2000 a permis ce contact entre l'avocat et le gardé à vue, les infractions commises par des avocats sont rarissimes. Si l'avocat doit être présent pendant les interrogatoires, ce n'est pas pour en troubler le déroulement ou pour entraver le cours de la procédure mais, simplement, pour garantir sa régularité et, notamment, la conformité de la retranscription par la police ou la gendarmerie des déclarations de la personne gardée à vue.
Une étude du Sénat, qui porte sur six États européens et qui a été publiée en décembre 2009, révèle que le droit à l'assistance effective d'un avocat en garde à vue est largement reconnu au sein de l'Union européenne.
Alors, à ceux qui voudront sans doute, tout à l'heure, opposer l'efficacité de la lutte contre la délinquance au renforcement des droits des personnes, je veux objecter, avec force et conviction, que, dans un État de droit, la justice n'a rien à gagner à permettre que des justiciables soient condamnés dans des conditions laissant le moindre doute sur le respect de leur droit fondamental à bénéficier d'un procès équitable.
Nous avons aujourd'hui le devoir urgent, mes chers collègues, d'aligner notre droit sur celui de toutes les démocraties voisines de la France, faute de quoi la Cour de Strasbourg condamnera tôt ou tard la République française, à notre grande honte. Remplir ce devoir passe par la reconnaissance du droit à bénéficier de l'assistance d'un avocat pendant la garde à vue. La démocratie l'exige. Les Français l'attendent. Nous devons le faire. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
La parole est à Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.
Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je crois, s'agissant des problèmes de la garde à vue, qu'il faut tout d'abord insister sur ce point : nous partageons, sur les divers bancs de cette assemblée, les mêmes constats.
Premièrement, il y a trop de gardes à vue, la procédure n'étant pas toujours utilisée dans l'esprit dans lequel elle a été créée.
Deuxièmement, les conditions de garde à vue sont trop souvent indignes, malgré les efforts de chacun et sans qu'il s'agisse, de quelque manière que ce soit, en disant cela, de montrer du doigt les policiers ou les gendarmes.
Troisièmement, l'avocat n'a pas la possibilité de jouer totalement son rôle, notamment son rôle de conseil, au cours de la garde à vue.
Je pense que nous sommes unanimes à penser cela.
Bien entendu, sur le fondement de ce constat, des propositions sont faites pour essayer de résoudre ces problèmes.
La proposition de loi de M. Vallini est effectivement l'une des réponses susceptibles d'être données. Elle prévoit que toute personne placée en garde à vue, si elle en fait la demande, soit immédiatement assistée d'un avocat, et ce pendant toute la durée de la garde à vue.
Je voudrais tout d'abord remercier M. Vallini de sa contribution à la réflexion et de sa proposition. Je veux d'ailleurs lui dire que j'entends bien tenir compte de ses réflexions et de ses travaux dans le cadre de la concertation que je mène à propos de la réforme de la procédure pénale.
Je note également que d'autres propositions, abondant dans le même sens même si elles présentent des variantes, ont été déposées, au nombre, me semble-t-il, de six ou sept. Cela peut d'ailleurs nous amener à réfléchir sur notre façon de travailler et sur le travail parlementaire.
Nous aurons l'occasion de reparler de l'ensemble de ces sujets.
Vous dites, sur tous les bancs, que le travail parlementaire est parcellaire et que, souvent, les petites réformes s'accumulent, nuisant ainsi à la cohérence et à la visibilité des textes. Or la méthode consistant à examiner la question de la garde à vue, laquelle n'est qu'un des aspects de la procédure pénale et notamment du déroulement de l'enquête, est trop parcellaire. Cela ne nuit en rien à la réflexion sur le fond mais, à mon sens, la démarche doit être autre.
Si nous voulons que nos concitoyens comprennent les transformations que nous apportons, les réformes, la modernisation que nous souhaitons, notamment en matière de justice, nous ne devons pas faire se succéder de petits textes ; nous devons envisager les problèmes dans leur ensemble. C'est ce que nous faisons avec la réforme de la procédure pénale afin qu'elle soit totalement cohérente et compréhensible pour tout le monde.
Selon moi, en dehors de toute polémique – il n'y en a pas vraiment sur le fond –, notre réflexion sur la garde à vue doit s'inscrire dans une approche globale de la procédure pénale. Dans ce cadre, la question particulière de la présence de l'avocat lors de la garde à vue devra également prendre en compte, comme vous l'avez mentionné, monsieur le rapporteur, l'ensemble des paramètres de l'enquête judiciaire. Par conséquent, il vaut mieux que nous travaillions ensemble sur la réforme de la procédure pénale, puisque c'est dans ce cadre que s'inscrit la question de la présence de l'avocat.
J'ai eu l'occasion de le dire, notamment en commission, la réforme que nous proposons constitue une refondation de la procédure pénale. Nous examinons tout, de la commission des faits jusqu'aux voies d'exécution. Il est important de montrer, à travers cette réforme, que notre objectif est d'écouter ce que nous disent nos concitoyens sur des procédures qu'ils estiment trop longues et incompréhensibles ; ils ressentent un déséquilibre entre leur propre position et celle de la machine judiciaire. Nous devons entendre le sentiment de la défense, mais aussi celui des victimes, qui ont elles-mêmes l'impression de ne pas être écoutées.
Mon but, à travers la réforme de la procédure pénale, est d'assurer l'équité de l'enquête, de renforcer la protection des droits et des libertés à toutes les étapes de la procédure et de trouver un meilleur équilibre entre le droit des victimes et les garanties de la défense. Estimant qu'il s'agit d'un point essentiel pour que nos concitoyens aient confiance dans leur justice et dans leur justice pénale, j'ai lancé une très vaste concertation comprenant les spécialistes, les syndicats de magistrats, les associations d'avocats, mais aussi les syndicats de policiers, les représentants des gendarmes et les représentants des associations de victimes.
C'est la raison pour laquelle j'ai souhaité que nous travaillions non sur des concepts, mais de la façon la plus claire possible sur un « pré-texte » rédigé. Car un texte déjà rédigé est un texte auquel on n'échappe pas, où il ne peut y avoir d'imprécisions. C'est pourquoi le projet lui-même a déjà été élaboré de façon extrêmement ouverte : en dehors des magistrats et des avocats y participent également des universitaires et des parlementaires, de la majorité comme de l'opposition, à qui j'ai proposé d'essayer de rédiger le meilleur texte possible. Toutefois, même si nous élaborons le texte qui nous semble le meilleur possible, certains éléments peuvent nous échapper. Aussi, après cette rédaction déjà ouverte, j'ai souhaité que la concertation permette à chacun de s'exprimer.
Monsieur Brard, il faut toujours être modeste lorsqu'on oeuvre pour le peuple français.
Monsieur Brard, j'ai lancé cette méthode il y a fort longtemps…
…et j'entends travailler avec l'ensemble des groupes parlementaires. L'esprit est d'essayer de trouver ensemble la meilleure solution possible, mais ce n'est pas pour retarder les choses, monsieur Vallini. Depuis le début, j'ai annoncé mon calendrier, en y incluant cette vaste concertation. Mais après la concertation, le dépôt devant le Conseil d'État, que vous avez évoqué, et le passage en conseil des ministres, le projet sera déposé, comme je l'ai toujours dit, au début de l'été. Par rapport à votre texte et compte tenu du calendrier parlementaire, il n'y a pas de décalage entre le temps de votre proposition de loi et les navettes qu'elle devrait faire et le temps de la réforme.
Il faudra, dans le cadre de cette réforme, poser la question de la présence de l'avocat au cours de la garde à vue, dans la situation actuelle et à l'avenir. Monsieur le rapporteur, je ne partage pas votre analyse sur les conclusions qu'il faut tirer des décisions de la Cour de Strasbourg. En termes de garde à vue, la France n'a jamais été condamnée par la Cour européenne. Si les premiers arrêts sur les avocats sont intervenus en mai 1996, nos textes actuels sur la garde à vue datent de 2001, monsieur Vallini – vous voyez ce que je veux dire… Si ceux de votre groupe qui étaient au gouvernement à l'époque avaient estimé en 2001 qu'il fallait aller plus loin, je suppose qu'ils l'auraient fait.
Les décisions de la Cour de justice européenne, selon les principes du droit anglo-saxon qui s'appliquent, ne sont valables que dans les cas de figure visés. En outre, elles concernent essentiellement la Turquie, sur les bases d'un texte turc qui interdit la présence de l'avocat au cours de la garde à vue. Ce n'est pas le cas en France où la présence de l'avocat est possible dès la première heure de garde à vue. Nous ne sommes pas dans la même situation que celles sanctionnées par la Cour européenne. Si certains ont voulu en tirer des conséquences, ils se trompent dans leur interprétation. D'ailleurs, le Conseil constitutionnel a validé notre formule actuelle de garde à vue, ainsi que la Cour de cassation, et ce à plusieurs reprises. Aussi, je pense que les arguments avancés ne sont pas bons.
Le projet de texte que nous avons élaboré comporte des avancées par rapport à la situation légale actuelle. Le projet va d'ores et déjà au-delà puisqu'il veut garantir non seulement la présence de l'avocat, mais aussi l'efficacité de son assistance. Nous créons une nouvelle présence à la deuxième heure, nous prévoyons une présence en continu à la vingt-quatrième heure et la transmission au fur et à mesure des procès-verbaux d'interrogatoires. J'ai rencontré nombre d'avocats qui m'ont confié que leur problème était de ne pas savoir exactement ce qu'avaient dit leurs clients au cours des interrogatoires. Nous prévoyons aussi que l'avocat puisse, dans la prolongation de la garde à vue, poser des questions ou intervenir. Ce sont de grandes avancées par rapport à la situation actuelle résultant de la loi de 2001.
Enfin, les réponses que nous apportons au souci de renforcer les garanties de la défense doivent s'inscrire dans une logique et une réflexion d'ensemble. Je souhaite que, dans notre discussion, aucune question ne soit laissée de côté, aucune arrière-pensée éludée.
La première question à poser est celle du rôle réel des gardes à vue. L'explosion de leur nombre amène à s'interroger sur leur utilité. En permettant de poser des questions à une personne, le rôle de la garde à vue est de faire avancer les moyens de connaître la vérité. Toutefois, elle doit être limitée aux cas où elle est véritablement nécessaire. S'agissant du dégrisement, certaines personnes se retrouvent prises dans un système semblable à celui de la garde à vue, alors que le seul problème, compte tenu de leur état d'ébriété, est de les protéger d'abord d'elles-mêmes. Il faut également distinguer les locaux : ceux qui existent dans certains cas et ceux qui n'existent pas dans tous les cas.
Mais il faut aller au-delà. Le recours à la garde à vue, qui est une façon de priver quelqu'un de liberté, ne doit être possible que dans le cas d'un crime ou d'un délit susceptible d'être puni par une peine d'emprisonnement. On ne va pas priver quelqu'un de liberté quand la sanction même de l'acte commis n'est pas la privation de liberté. C'est une véritable aberration.
Ce sera inscrit dans la loi, ce qui marque un progrès par rapport à ce qui existe aujourd'hui.
Par ailleurs, il faut se demander à quoi sert la garde à vue. Sa première mention est d'obtenir des éléments qui permettent d'aller vers la connaissance de la réalité des faits. Mais il y a des cas où le problème ne se pose pas. Si l'on est sûr que la personne ne va pas disparaître ou qu'elle ne va pas faire disparaître les preuves de sa culpabilité, si l'on n'a pas à craindre qu'elle prévienne des complices et s'il s'agit de délits qui ne sont pas très graves, nous devons disposer de systèmes moins lourds que celui de la garde à vue. C'est pourquoi nous ouvrons, dans le projet de loi, la possibilité d'entendre librement une personne. Je cite souvent le cas de la gamine qui a volé un tube de rouge à lèvres dans un Monoprix : il n'est pas pour cela nécessaire de la placer en garde à vue ! Elle ne va pas disparaître ou faire disparaître des preuves. Il faut seulement l'auditionner pour obtenir des renseignements ; cela ne nécessite pas la lourdeur d'un dispositif tel que la garde à vue.
Dans ces situations, si la personne veut bénéficier des garanties de la garde à vue, avec le contrôle d'un médecin et éventuellement la présence d'un avocat, elle peut le faire. Mais c'est la possibilité d'avoir un système plus léger qui est offerte dans le cas d'une faute peu grave.
S'agissant des arrière-pensées, la première que j'ai entendue est la suivante : la garde à vue sert à obtenir, par la pression, des aveux ensuite utilisés pour condamner la personne. Ceci n'est pas admissible. C'est pourquoi nous disons clairement, dans le projet de loi, qu'un aveu obtenu hors la présence d'un avocat ne pourra servir à lui seul de base pour une condamnation. Il s'agit là d'une garantie très importante.
Se pose également le problème des conditions de la garde à vue. Les conditions matérielles, notamment, peuvent représenter en elles-mêmes une pression. Nous prévoyons donc, dans le projet de texte, que certaines pratiques soient mieux encadrées. C'est en particulier le cas des fouilles qui pose problème. Le recours en sera limité et les conditions précisées. Certains actes portent en effet atteinte à la dignité de la personne, comme le retrait des soutiens-gorge ou des lunettes, qui est souvent évoqué. L'exigence de ne pas porter atteinte à la dignité de la personne sera explicitement inscrite dans le futur code de procédure pénale.
Comme vous pouvez le constater, mesdames, messieurs les députés, nous avons essayé, avec le groupe qui a travaillé avec moi, d'envisager toutes les hypothèses, d'écouter toutes les critiques et d'apporter des réponses permettant d'éviter ce qui empoisonne les relations du citoyen avec la justice, autrement dit le soupçon.
Notre justice joue un rôle très important dans l'unité de la nation. Nous devons donc sortir de l'ère du soupçon à l'égard de la justice et de la police. C'est pourquoi notre méthode de travail a effectivement consisté à lever ces soupçons en veillant à être le plus cohérent possible. Il ne me paraît en conséquence pas souhaitable d'isoler la question de la présence de l'avocat de l'ensemble de la procédure pénale.
De plus, monsieur Vallini, si vous avez relevé un certain nombre des questions que j'ai posées lors de notre discussion en commission des lois, vous n'y avez pas répondu. N'oublions pas d'abord – et je crois que chacun ici le reconnaît – que la garde à vue, bien entendu encadrée, est nécessaire pour obtenir des informations indispensables à la révélation de la vérité, donc pour faire avancer certaines enquêtes. En conséquence, des régimes différenciés doivent être mis en place, s'agissant des cas les plus graves tels que ceux liés au terrorisme ou à la grande criminalité. Nous sommes tous d'accord sur ce point.
Supposons que l'on retienne la présence de l'avocat obligatoire dès le début et tout au long de la garde à vue ; que se passera-t-il si l'avocat ne se présente pas, soit parce qu'il ne le veut pas, soit parce qu'il est empêché pour des raisons diverses ? Que se passera-t-il si la situation – séquestration ou enlèvement, par exemple – exige une réaction très rapide ? Il faudra attendre, alors que chaque minute compte. « Nous allons nous organiser » disent les bâtonniers. Certes, mais comment ? Les avocats ne se trouvent pas sur tout le territoire national. Comment pourra-t-on agir en cas de séquestration dans une gendarmerie située au fin fond des Pyrénées ou du Massif central ? Je suis désolée, mais vous ne répondez pas à cette question !
Que se passera-t-il également si l'avocat ne se présente pas au bout de vingt-quatre heures ? Il existe en effet de nombreux cas où des avocats, même commis d'office, ne se présentent pas, pour des raisons d'éloignement ou autres. Sur les 52 000 avocats, nombreux sont ceux qui touchent aujourd'hui un revenu inférieur au SMIC. Allons-nous – et j'exclus les gardes à vue pour infractions routières – pour faire face aux 500 000 gardes à vue, dont le nombre va je l'espère baisser, créer 50 000 ou 100 000 postes d'avocats supplémentaires ? Comment vont-ils vivre ? Soyons raisonnables ! De toute façon, où va-t-on trouver ces avocats ? Exerceront-ils au fin fond de la campagne ? Je ne le pense pas. Un véritable problème d'organisation se pose aujourd'hui.
Si l'on se place simplement du point de vue de la procédure, que se passera-t-il si l'avocat ne se présente pas au bout de vingt-quatre heures ? La garde à vue sera-t-elle alors automatiquement prolongée, faute d'avoir pu commencer l'interrogatoire ? Ce serait là encore plus attentatoire à la liberté ! Et si l'avocat ne se présente jamais, devra-t-on tout annuler quelles que soient les circonstances ?
Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Bonne remarque !
Je pose simplement ces questions, mais je vous demande d'y réfléchir. En effet, notre devoir est de faire la loi et de veiller à ce qu'elle soit applicable. N'oublions jamais que quand la loi n'est pas appliquée, c'est l'autorité même du législateur qui est en jeu.
Nous devrons nous poser ces questions lorsque nous examinerons le texte relatif à la réforme de la procédure pénale. Il conviendra de trouver des solutions justes, nécessaires et acceptables. Des efforts doivent sans doute être consentis, mais il vient un moment où l'on ne peut pas aller plus loin.
Votre proposition de loi, monsieur Vallini, est intéressante, mais trop rigide. Le régime envisagé me semble inadapté à certaines procédures indispensables à la manifestation de la vérité. D'autres mesures, je pense par exemple à celles intéressant les mineurs, soulèvent également un certain nombre de difficultés. Par conséquent, tout en vous confirmant mon intention de prendre en compte vos réflexions et les avancées contenues dans la proposition de loi, je considère que nous devons éviter tout saucissonnage. Nous devons avoir une vue globale et cohérente de l'ensemble de la procédure pénale.
C'est la raison pour laquelle, monsieur le député, tout en reconnaissant l'intérêt essentiel de votre réflexion et de celle de tous ceux qui ont signé cette proposition de loi, je ne peux souscrire à son adoption. Il est essentiel que nous travaillions ensemble, ce que je vous ai d'ailleurs proposé et que je continue de faire, pour élaborer le meilleur texte possible : celui qui permettra la manifestation de la vérité et donc la protection de nos concitoyens tout en respectant les libertés ; une loi compréhensible par l'ensemble des Français qui laissera les victimes s'exprimer.
N'oublions jamais, les uns et les autres, que nous légiférons avant tout pour le peuple français et en son nom. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Votre propos, madame la garde des sceaux, était fort intéressant. Vous dites avoir vos convictions et votre méthode. Il est vrai que, dans ce gouvernement médiocre, vous êtes une femme d'État ! Mais, quitte à avoir des adversaires, autant qu'ils soient de qualité ! Vous êtes sur vos rails, mais vous ne maîtrisez ni les aiguillages, ni la signalisation ! C'est Sa Majesté impériale qui appuie sur les boutons !
Vous voudriez que ce soit la CGT qui dirige les affaires… Je ne suis pas loin de partager votre point de vue !
Après avoir tressé des lauriers à M. Vallini qui sentaient déjà le requiem, vous avez refusé son texte !
Vous avez d'ailleurs tenu des propos assez contradictoires, puisque vous avez dit que traiter un problème ne permettait qu'une vue trop partielle et que les successions de textes étaient inutiles, pour préciser plus tard qu'il ne fallait pas travailler sur des concepts et des idées. Par ailleurs, madame la garde des sceaux, vous savez parfaitement que, dès que se produit un fait divers, Sa Majesté, qui bouge tout le temps, dit : « On va faire une loi. » C'est ce que l'on pourrait appeler la maladie de Parkinson sarkozienne ! Comment voulez-vous vous y retrouver ? Je ne voudrais pas être ministre à votre place, parce que c'est l'insécurité permanente !
Surtout avec ce personnage ! Dieu m'en garde !
Depuis quelque temps, les statistiques officielles des gardes à vue appellent particulièrement l'attention, vous l'avez vous-même reconnu. Il faut avouer qu'elles sont pour le moins inquiétantes ! Selon le ministère de l'intérieur, le nombre de gardes à vue est, en effet, passé de 336 718 en 2001 à 580 108 en 2009, soit une augmentation de 72 %, sans compter toutes celles qui sont exclues des statistiques de police et de gendarmerie, et notamment celles relevant des infractions routières.
Je citerai l'exemple récent d'un jeune de ma ville qui a été arrêté et placé en garde à vue tout simplement parce qu'il avait emprunté un sens interdit en bicyclette ! Croyez-vous vraiment que cela légitimait une garde à vue ? En revanche, c'était une véritable atteinte aux libertés !
Comment expliquer cette explosion des gardes à vue alors que, dans le même temps, la délinquance a officiellement baissé depuis 2002 ? Les syndicats de police sont unanimes : cette augmentation dans des proportions tout à fait inédites est la conséquence de la culture du résultat et de la politique du chiffre qui leur est imposée depuis 2002 par Nicolas Sarkozy et les siens. Peut-il d'ailleurs en être autrement dès lors que la garde à vue est désormais considérée comme un indicateur de performance ? C'est ainsi que des pompiers espagnols se sont retrouvés en garde à vue dans l'affaire récente que vous connaissez !
Cette obligation de faire du chiffre explique que le recours à cette privation de liberté avant jugement, précédemment réservée aux braqueurs, aux meurtriers ou aux délinquants d'envergure, s'étende désormais aux automobilistes, aux couples qui se disputent, aux camarades qui se bagarrent – peut-être y aura-t-il bientôt des interpellations au sein de l'UMP ! (Sourires) – aux voleurs de supermarchés, aux fumeurs de joints, aux sans-papiers ou encore à tous ceux qui ont des mots avec les forces de l'ordre. Comment prétendre, dans de tels cas, que la garde à vue est nécessaire à l'enquête de police alors que, pour la grande majorité de ces infractions de faible gravité, les personnes interpellées ne contestent même pas les faits qui leur sont reprochés et, par conséquent, ne refuseraient pas de se présenter si elles étaient convoquées ?
Le scandale des gardes à vue ne s'arrête cependant pas là. Dans son premier rapport annuel d'avril dernier, le contrôleur général des lieux de privation de liberté, M. Delarue, a souligné l'indignité des conditions de garde à vue dans notre pays. Face à l'état répugnant des locaux de garde à vue, le gardé à vue est placé, de fait, dans un état d'infériorité inacceptable. En vertu des pouvoirs qui sont les nôtres, mes chers collègues, je me suis rendu la nuit, voici environ six semaines, pour voir les cellules de garde à vue du commissariat de Montreuil. J'ai pu constater que les cellules, ne contenant qu'une espèce de matelas en plastique à même le sol, étaient sales. J'ai demandé où étaient les couvertures. Personne n'y avait à vrai dire pensé. Un fonctionnaire de la police nationale fort courtois et dévoué a fini par trouver « la » couverture. Son état de crasse était tel que vous auriez préféré dormir sans couverture ! Voilà comment sont aujourd'hui respectés nos concitoyens qui, semble-t-il, bénéficient de la présomption d'innocence ! Mais quand bien même ne serait-on pas innocent, on a le droit d'être traité dignement. Je vous renvoie pour plus de détails au rapport de M. Delarue.
Il faut que le législateur accepte de questionner la pratique législative depuis 2002. En effet, tous les placements en garde à vue dénoncés comme abusifs par les médias, les associations ou les avocats sont néanmoins légaux, madame la garde des sceaux. Le code de procédure pénale est respecté, me semble-t-il. Mes chers collègues de la majorité, vous êtes toujours le petit doigt sur la couture du pantalon et ne savez faire qu'une chose quand on vous le demande : incliner la tête du bas vers le haut pour dire amen aux requêtes de Sa Majesté ! C'est ainsi que cela se passe ! Or la responsabilité du législateur, qui tend à accroître toujours plus le périmètre de la garde à vue, est première, bien avant celle de la police nationale. Si je parviens à lire dans vos pensées, madame la garde des sceaux, je vois, par votre sourire discret mais que je remarque, que vous n'êtes pas loin, en votre for intérieur, de partager mon point de vue ! Il nous faut donc nous aussi accepter de prendre toutes nos responsabilités. Comment s'indigner qu'une adolescente de quatorze ans soit placée en garde à vue pour une simple bagarre de jeunes, alors que le code de procédure pénale l'autorise ? Il est de notre responsabilité, lors de la réécriture de ce code, de revoir les infractions autorisant le placement en garde à vue, notamment des mineurs. C'est, j'en suis convaincu, le chantier essentiel pour mettre fin au scandale des gardes à vue dans notre pays. Ce n'est pas pour autant le seul.
Un autre chantier concerne le rôle et la place de l'avocat. C'est en effet une question déterminante qui permettra de répondre, en partie, aux conditions indignes de la garde à vue. Aujourd'hui, notre droit autorise seulement l'avocat à faire une courte visite d'une demi-heure pour vérifier que son client n'est pas maltraité, mais sans avoir accès à son dossier.
À cet égard, deux arrêts récents de la Cour européenne des droits de l'homme de 2008 et de 2009 ont mis en exergue trois fragilités du régime juridique de la garde à vue quant au rôle confié à l'avocat lors de la garde à vue, à son délai d'intervention et aux motifs justifiant une dérogation à ces délais. Vous avez souligné, madame la ministre, que nous n'avions pas été condamnés ; vous auriez dû préciser que nous ne l'avions pas encore été.
Au regard du droit européen et selon le bâtonnier de Paris, Me Christian Charrière-Bournazel,…
Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Ancien bâtonnier !
…les gardes à vue à la française sont tout simplement illégales. D'ailleurs, différentes juridictions se sont chargées de traduire en actes ces arrêts de la Cour en refusant de verser au dossier des procès-verbaux rédigés en l'absence d'avocat.
Pour le moins, la France est désormais dans une situation qui est source d'une insécurité juridique réelle en ne respectant pas les droits de la défense dès la première heure. La comparaison avec la Turquie ne m'impressionne pas trop, je préfère que nous comparions avec nos principes fondamentaux, ceux de la Déclaration des droits de l'homme de 1789. Nous avons vocation dans notre histoire à être à la pointe et non pas à la traîne.
La discussion de cette proposition de loi qui vise à instituer la présence effective de l'avocat dès le début de la garde à vue est donc opportune. Nous avons d'ailleurs nous-mêmes déposé une proposition relative à la garde à vue qui avait notamment cet objectif.
Cependant, la proposition de loi de nos collègues socialistes ne sera pas suffisante pour mettre fin au scandale des gardes à vue dans notre pays, parce qu'elle n'est que partielle. Elle ne traite pas, par exemple, de la présence de l'avocat à l'issue de cette audition. Or il faudrait que la personne gardée à vue ne puisse être entendue, interrogée, ou ne puisse assister à tout acte d'enquête hors de la présence de son avocat. Elle ne revient pas non plus sur la loi du 4 mars 2002, qui donne à l'officier de police judiciaire un délai de trois heures pour satisfaire au droit de prévenir par téléphone un proche et d'être examiné par un médecin. De même, elle ne réinscrit pas la notification obligatoire du droit de garder le silence, qui a été supprimée par la loi du 18 mars 2003 alors qu'il s'agit d'un droit consacré par la Convention européenne des droits de l'homme.
Néanmoins, la présence de l'avocat dès la première heure réglera une partie des relations de force entre ceux qui cherchent à clore leur enquête et le coupable présumé. L'avocat ne sera pas là, en effet, pour empêcher la police de faire son enquête mais simplement pour s'assurer que la personne humaine est traitée convenablement. Il sera une sorte de témoin muet. Encore faudra-t-il que les barreaux puissent s'organiser pour assurer la présence effective de l'avocat en garde à vue, problème que vous évoquiez tout à l'heure, madame la ministre.
La proposition de loi a été rejetée par la commission des lois le 24 février dernier au seul motif que la question de la garde à vue sera examinée dans le cadre de la réforme globale de la procédure pénale dans les prochains mois. Pourtant, il y a quelques semaines seulement, la majorité n'a pas hésité à modifier le régime de publicité applicable devant les juridictions pour mineurs alors qu'une réforme est également attendue dans quelques mois.
Vous voyez les contradictions auxquelles vous êtes confrontée. J'ai d'ailleurs pour vous de la compassion parce que je ne suis pas certain que vous ayez eu votre mot à dire, et je le regrette.
Aurait-il été plus éclairé que le point de vue de celui qui a pris la décision ? Je comprends bien que vous ressembliez au sphinx parce que vous ne pouvez pas commenter mes propos. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Madame la présidente, madame la ministre d'État, garde des sceaux, mes chers collègues, nous discutons ce matin d'une proposition de loi de M. Vallini et de son groupe visant à rendre obligatoire la présence de l'avocat dès la première heure de garde à vue.
Sur le fond, monsieur le rapporteur, qui en êtes aussi l'auteur, je considère que c'est une bonne proposition, d'autant plus qu'avec l'accord de mon groupe j'en ai déposé une similaire en janvier 2010, et vous avez bien fait de rappeler, madame la garde des sceaux, qu'elle comportait un certain nombre d'éléments visant à améliorer la garde à vue.
Je me réjouis que la discussion se déroule ce matin dans un climat apaisé, car la garde à vue en France pose un véritable problème. Vous l'avez tous rappelé, cela concerne près de 600 000 cas par an. Le Gouvernement comme la représentation nationale en ont conscience et, vous l'avez souligné, il y a une certaine unanimité pour faire quelque chose.
Le Président de la République lui-même, lors de son discours devant la Cour de cassation, le 7 janvier 2009, disait : « Parce que les avocats sont auxiliaires de justice et qu'ils ont une déontologie forte, il ne faut pas craindre leur présence dès les premiers moments de la procédure. Il ne le faut pas parce qu'elle est bien sûr une garantie pour leurs clients, mais aussi une garantie pour les enquêteurs, qui ont tout à gagner d'un processus consacré par le principe du contradictoire. »
Nous devons donc réfléchir ensemble pour apporter des réponses.
Le problème de la garde à vue a été soulevé par les parlementaires mais également par le comité Léger, qui a proposé une série de solutions : renforcement de la présence de l'avocat, extension de l'enregistrement obligatoire à toutes les gardes à vue, restriction des possibilités de placement en garde à vue. M. Delarue, dans son rapport, a lui-même proposé des pistes pour améliorer la situation, notamment le fait de retenir le nombre de placements en garde à vue comme l'un des indicateurs de la performance de la police et de la gendarmerie nationale ou de l'insuffisance du contrôle que les parquets exercent sur les mesures de garde à vue.
On voit bien que la prise de conscience est partagée, qu'il y a la volonté de trouver des moyens de réforme.
La réforme proposée par André Vallini et ses collègues du groupe socialiste rejoint la proposition de loi que j'ai moi-même déposée visant à permettre la présence de l'avocat à la première heure. Madame la garde des sceaux, vous avez soulevé des problèmes très pratiques. La présence effective de l'avocat est-elle possible dans la réalité ? Si l'objectif est louable, cela a au moins le mérite de faire en sorte que le Gouvernement veuille faire quelque chose. Vous l'avez indiqué à cette tribune, vous l'avez annoncé quelques instants auparavant aux Français sur LCI, c'est bien l'une des réformes du code de procédure pénale que la réforme de la garde à vue.
Je voudrais donc saluer votre méthode et la réponse que vous apportez car ce que j'ai retenu de votre intervention à la tribune, c'est qu'il y aura bien dans les semaines à venir une réforme de la garde à vue. Vous en avez déjà indiqué les pistes, pour une large concertation. C'est d'autant plus urgent que la question de la constitutionnalité de l'article 63-4 du code de procédure pénale vient d'être soulevée devant plusieurs juridictions. C'est un droit nouveau puisqu'il est applicable depuis le 1er mars dernier. On voit donc bien qu'il y a là un problème.
Concernant les pistes de réforme de la Chancellerie, j'ai retenu que vous vouliez limiter la garde à vue aux strictes nécessités de l'enquête. Aujourd'hui, une personne gardée à vue peut s'entretenir avec un avocat une demi-heure durant la première heure de garde à vue. La réforme prévoit un deuxième entretien à la douzième heure. Je suis certain qu'au cours de la discussion parlementaire vous serez ouverte à l'apport des parlementaires, et il n'est pas dit que, par voie d'amendement, nous n'arrivions pas à améliorer la situation. La proposition d'André Vallini a le mérite de rejoindre un certain nombre de points de vue selon lesquels l'avocat devrait être présent à la première heure. Nous pourrons en discuter.
Nous avons lors des réformes précédentes évoqué le fait que les gardes à vue sont filmées dans certaines conditions. N'aurions-nous pas intérêt, pour enrichir notre réflexion, à procéder à une évaluation, à un bilan de cette faculté ?
On voit donc que des pistes de réforme viennent abonder une volonté de moderniser le régime juridique de la garde à vue. C'est l'un des enjeux essentiels de la réforme du code de procédure pénale. Pour moi, la discussion de ce matin est un moment important. Il y a dans cet hémicycle beaucoup trop d'affrontements. Ce matin, nous avons plutôt un instant de consensus sur une question essentielle, qui touche aux libertés fondamentales des individus. Ce sont des sujets particulièrement sérieux, nous devons tout faire pour garantir la présomption d'innocence, les libertés les plus essentielles. Nous sommes tous attachés au principe que, tant que l'on n'est pas jugé, on est présumé innocent. Vous l'avez souligné, madame la garde des sceaux, en donnant des détails à cette tribune, bien des gardes des sceaux s'abstiennent parfois de dire que certains comportements sont une atteinte à la dignité d'une personne gardée à vue et une honte.
Nous avons été un certain nombre, notamment l'auteur de la proposition, à travailler dans le cadre de la commission dite d'Outreau. Nous allons discuter de cette réforme dans la plus grande concertation et je pense que vous devez être confortée dans votre méthode. Je souhaite que, grâce aux pistes du comité Léger, de la commission Outreau et aux huit propositions de loi, dont celle du parti socialiste et celle du Nouveau Centre, nous puissions améliorer encore les textes.
Au nom de mes collègues, je salue votre détermination à mettre en oeuvre la réforme du code de procédure pénale. La priorité, c'est de s'attaquer aux conditions de la garde à vue. Cela contribuera à permettre de concilier libertés individuelles et exigence de la sécurité.
Vous êtes bien placée pour le savoir, parce que vous avez occupé des fonctions régaliennes à la défense et à l'intérieur, il y a un vrai malaise dans la police et dans la gendarmerie, qui sont souvent montrées du doigt à propos des conditions de la garde à vue, alors qu'elles ne font qu'appliquer une loi votée par le législateur. S'il y a des insuffisances ou des abus, c'est d'abord au législateur d'assumer ses responsabilités et de modifier les textes. C'est la raison pour laquelle je salue à nouveau l'initiative de mes collègues du groupe socialiste.
J'aurais aimé, monsieur Vallini, que vous acceptiez la proposition que vous avait faite le président de la commission des lois lorsque votre proposition est venue en discussion, d'avoir une proposition groupée avec celles, quelque peu similaires, ayant été déposées auparavant. On voit bien que, sur cette question, il n'y a ni droite ni gauche, mais une volonté commune d'améliorer le système de garde à vue.
Pour ma part, madame la garde des sceaux, je me rallierai à votre point de vue. Vous prenez acte de ces propositions et nous donnez rendez-vous dans cet hémicycle dans quelques semaines ; je suis certain que la plupart de ces propositions se retrouveront dans le texte qui sera finalement voté. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, tout le monde en convient, sur les bancs de notre assemblée comme dans l'opinion publique : il y a trop de gardes à vue dans notre pays. Les chiffres ont été cités, je les confirme : 500 000 à 600 000, soit 35 % de plus qu'en 2003, voire 800 000 à 900 000 si l'on y ajoute les délits routiers, qui ne sont pas comptabilisés dans les statistiques officielles du ministère de l'intérieur.
Sur ce total, plusieurs dizaines de milliers de gardes à vue sont sans doute inutiles. Un automobiliste qui commet un excès de vitesse, par exemple, n'a aucune raison de se voir retenu dans un commissariat ou dans les locaux de la gendarmerie puisque, 1'infraction étant constituée, les investigations n'ont aucune raison d'être.
Ce qui choque le plus dans les gardes à vue, ce sont les conditions matérielles dans lesquelles elles se déroulent : cellules dépourvues de toute hygiène, saleté ambiante, odeur nauséabonde. Permettez-moi de vous citer les propos d'un de nos collègues sénateurs qui a eu la malchance d'être placé en garde à vue. Voici son témoignage tel que l'a rapporté, il y a peu, la chaîne Public Sénat : « Quand on entre dans un endroit où l'on vous jette une couverture dans laquelle le précédent a vomi, lorsque vous entrez dans un cachot maculé d'excréments, avec des gens qui ont fait leurs besoins, oui, on peut avoir peur. »
Au vu de tout ce qui précède, je ne vois aucune raison pour qu'il n'y ait pas consensus entre les membres de la représentation nationale pour l'amélioration des conditions de la garde à vue.
Pour autant, il n'est pas question de remettre en cause la notion même de garde à vue. Beaucoup de progrès ont été accomplis dans ce domaine. Le temps n'est plus où, avant la réforme du code d'instruction criminelle de 1959, la garde à vue était quasi illimitée. Comme vous le savez, depuis la loi de 1993, la garde à vue est en France encadrée par une législation qui se situe dans la moyenne des pays d'Europe. Je vous rappelle qu'au Royaume-Uni la garde à vue peut durer jusqu'à vingt-huit jours en matière de terrorisme, et que la Belgique n'admet pas la présence de l'avocat lorsque s'applique cette mesure restrictive de liberté.
Aujourd'hui, notre collègue André Vallini propose que toute personne gardée à vue soit obligatoirement entendue en présence de son avocat. Il va même plus loin : aucune audition ne devrait être possible tant que l'avocat n'aurait pas rejoint les locaux de police ou de gendarmerie dans lesquels se trouve la personne soupçonnée. François Goulard a rédigé une proposition quasi identique.
Par ce texte, estime notre collègue André Vallini – et je sais qu'il est loin d'être le seul à le penser –, nous nous mettrions en conformité avec deux arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme qui ont jugé que l'avocat devait être présent auprès de son client dès le début de la mesure privative de liberté. Mais ces deux arrêts concernent la Turquie et non la France. Aussi, la chancellerie a fort logiquement estimé – nos collègues ne 1'ignorent pas –, dans un argumentaire de novembre 2009, que l'absence d'avocat au cours d'une garde à vue ne constituait pas un motif de nullité.
Certes, on m'opposera un jugement du tribunal de grande instance de Paris qui, sur le fondement des deux arrêts précités, a annulé, le 10 février 2010, cinq gardes à vue, considérant que « cet entretien de trente minutes avec un avocat ne correspond manifestement pas aux exigences européennes. Cette mission de spectateur impuissant est d'autant plus préjudiciable que la garde à vue constitue une atteinte majeure à la liberté individuelle, majorée par ses conditions matérielles et sa fréquence. »
À ces opposants, je peux à mon tour citer un arrêt de la Cour d'appel de Paris du 9 février 2010 qui, à propos de la non-présence d'un avocat dans une affaire de stupéfiants, a jugé sans ambiguïté : « Notre droit prévoit une intervention différée de l'avocat lorsque le gardé à vue est mis en cause pour certaines infractions relevant de la criminalité organisée, du terrorisme ou encore, comme en l'espèce, pour infraction à la législation sur les stupéfiants, ensemble d'infractions estimées d'une particulière gravité. »
Ces remarques étant faites, il me semble que la proposition de notre collègue pèche par défaut de pédagogie.
Je reconnais qu'en deux lignes la mission relevait de l'impossible. Je crois qu'il eût été utile de préciser à quoi doit servir réellement la garde à vue, et surtout quelles personnes elle doit concerner. Ainsi, il serait logique que seules les personnes susceptibles d'être emprisonnées puissent être placées en garde à vue car, comme l'a souligné à plusieurs reprises Mme la garde des sceaux, que je cite de mémoire, « il y aurait un paradoxe à ce que soit privé de liberté quelqu'un qui, même condamné, n'irait pas en prison ».
De ce constat découle cette question fondamentale, souvent occultée : doit-on avoir recours à la garde à vue en fonction de la gravité de l'infraction constatée ? Pour ma part, j'aurais tendance à répondre par l'affirmative. À quoi bon retenir six, voire douze heures, et même plus, un automobiliste peu aimable ou, disons, perdant son sang-froid avec la maréchaussée ? Ne serait-il pas plus efficace et judicieux de prévoir une citation directe ? À quoi bon agir de même avec un automobiliste ayant légèrement dépassé le taux toléré d'alcool ?
Nous sommes tous très pointilleux sur la question des libertés publiques et des droits de la défense. Mais attention à ne pas verser dans un certain angélisme !
Un avocat présent dès les trente premières minutes de garde à vue pour assister son client sur le plan psychologique, prendre connaissance des charges qui pèsent sur lui, c'est la loi ; pas question de remettre en cause celle-ci. Mais, en matière de terrorisme, d'atteinte à la sûreté de l'État ou de trafic en bande organisée, la présence de l'avocat est-elle vraiment nécessaire ? La Cour de Strasbourg, ainsi que je viens de le rappeler, ne l'exige pas.
Autre interrogation : la présence immédiate de l'avocat soulève, comme l'a indiqué Mme la garde des sceaux, certaines difficultés d'application. Il est indiqué que, lorsque la personne en fait la demande, son audition est différée jusqu'à l'arrivée de l'avocat. Il conviendrait de voir, en pratique, comment un tel système pourrait fonctionner. Que devront faire les enquêteurs – je répète ce qu'a dit la garde des sceaux – si l'avocat, dont la présence subordonne l'audition de son client gardé à vue, ne vient pas ? En effet, le placement de l'intéressé peut être décidé en pleine nuit ou à des moments de la journée où l'avocat est susceptible de ne pas être disponible. Si cette absence dure vingt-quatre heures, faudra-t-il suspendre l'enquête, avec le risque de voir disparaître des éléments de preuve ? Et si l'avocat ne se présente jamais, faut-il admettre que les enquêteurs repartent bredouilles ? Comment, dans ces conditions, peut-on envisager de paralyser la procédure, en subordonnant l'audition de l'intéressé à la présence effective de l'avocat ?
De surcroît, l'avocat n'ayant pas à sa disposition le dossier de la procédure, préalablement à l'entretien, peut-on parler de défense effective, puisque les détails de ce qui est reproché au gardé à vue n'auront pas été portés à sa connaissance ?
Bref, nous devons trouver un équilibre entre les nécessités de l'enquête et la garantie des droits de la défense. Le comité Léger propose à cet égard des solutions dignes d'intérêt. Ainsi, l'avocat pourrait être présent non seulement dès la première heure, mais aussi à la douzième. Il pourrait même avoir accès aux procès-verbaux de son client et demander à l'officier de police judiciaire d'accomplir tout acte qu'il estimerait nécessaire. Ce même comité Léger évoque, pour des infractions peu graves, de retenir quatre heures seulement leurs auteurs présumés. L'idée me semble intéressante.
Comme beaucoup de parlementaires, je souhaite que les enregistrements vidéo se multiplient sur l'ensemble de notre territoire. C'est d'ailleurs ce que réclame le syndicat des commissaires de police. Je le souhaite pour une double raison, capitale. On verrait très vite si l'aveu, comme beaucoup le prétendent, a été extorqué. On verrait tout aussi vite dans quelles conditions exactement s'est déroulée la garde à vue, s'il y a eu violence ou deal passé entre le policier et le gardé à vue…
On pourra toujours disserter sur cette mesure restrictive de liberté qu'est la garde à vue. C'est vrai, cette mesure est coercitive et pénible. Comme vous tous, j'ai été consternée par les bavures révélées par la presse. S'il est possible d'humaniser les gardes à vue, alors faisons-le. S'il est possible de créer un équilibre harmonieux entre les droits de la défense et les nécessités de l'enquête, alors faisons-le. Mais il est impératif de considérer la réforme de la garde à vue dans son ensemble ; la présence de l'avocat dès la première heure n'en est qu'un élément.
Si nous adoptions ce texte aujourd'hui, cela aurait pour moi le goût d'un travail inachevé. La réflexion sur la garde à vue doit s'inscrire dans une vision d'ensemble de la procédure pénale. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, j'interviens au nom du groupe SRC pour faire quelques remarques sur la proposition de loi de notre collègue André Vallini.
La première remarque qui s'impose, c'est que notre procédure pénale a mal vieilli. Elle était pensée comme devant se dérouler en deux temps, avec une phase policière, secrète, suivie d'une phase judiciaire, contradictoire, devant être assurée par le juge d'instruction. Or, sur les 600 000 condamnations prononcées par les tribunaux correctionnels chaque année, moins de 30 000 font l'objet d'une instruction. Ce qui signifie que la phase policière n'est pas suivie d'une phase contradictoire, et que nous en restons le plus souvent à une phase d'enquête secrète, où personne ne peut faire d'observation ni demander une expertise, une vérification quelconque.
Il ne s'agit pas pour moi de porter une accusation à l'encontre de la procédure policière. Elle a été pensée ainsi et elle est exécutée ainsi, et il n'y a rien à y redire dès lors que, dans l'architecture de notre procédure, elle doit être suivie d'une phase judiciaire contradictoire.
La garde à vue illustre bien mon propos puisqu'elle est, dans la plupart des cas, suivie de poursuites judiciaires qui ne passent pas, aujourd'hui, par l'instruction. C'est dans ce cadre, ainsi que dans le contexte de l'inquiétante progression du nombre de gardes à vue, que nous devons situer la proposition de loi de notre collègue André Vallini.
On peut certes souscrire à l'idée que, si une réflexion est menée sur la procédure pénale, il faut que ce soit de manière globale, en plaçant la garde à vue au centre. Néanmoins, je pense comme M. Vallini qu'il est urgent de trancher cette question, parce qu'il est important de rétablir du contradictoire dans une procédure qui a perdu cette dimension au fil des décennies. De même, il est urgent de rétablir un peu de sécurité juridique ; nous avons aujourd'hui la crainte de voir toute une partie des gardes à vue annulées par une décision du Conseil constitutionnel. Cette insécurité est insupportable pour les policiers, qui risquent de voir leur travail entièrement détruit pour des raisons de procédure, et pour les victimes, qui risquent de voir leurs droits bafoués. Enfin, s'il est toujours difficile, en matière judiciaire, de faire des pronostics, nous ne sommes pas à l'abri d'une décision défavorable de la Cour européenne des droits de l'homme.
C'est pourquoi, même si une réflexion sur le code de procédure pénale est en cours, il est nécessaire de procéder dès maintenant à une réforme importante.
Mme la garde des sceaux et Mme Grosskost ont posé de bonnes questions sur la déclinaison du principe posé dans la proposition de loi. L'extrême modestie du groupe que je représente m'interdit de dire que nous avons à ces bonnes questions d'excellentes réponses. Néanmoins, nos réponses ne sont pas mauvaises. (Sourires.)
La première de ces réponses consiste à établir un contrôle de la magistrature sur les gardes à vue. Nous présenterons un amendement prévoyant que le placement en garde à vue ne peut intervenir que sur décision du procureur de la République, sauf dans les cas de flagrant délit, dans lesquels il y aura un laps de temps à l'issue duquel le maintien devra être confirmé par le procureur.
Ensuite, il faut disposer que le nombre de gardes à vue ne doit pas être une mesure de l'activité policière, car cela conduit à une inflation de leur nombre. Ce travers s'ajoute à la difficulté qui résulte du fait que la garde à vue est à la fois une mesure de contrainte et de protection ; on reproche parfois aux policiers de ne pas avoir placé une personne entendue en garde à vue, lui faisant perdre le droit de bénéficier d'un médecin et d'un avocat, et d'aviser sa famille.
C'est une difficulté importante mais, dès lors que l'on indique dans la loi que le nombre de gardes à vue ne peut servir à mesurer l'activité policière, il est certain que ce nombre diminuera.
Vous avez souligné, tant vous, madame la garde des sceaux, que vous, madame Grosskost, que prévoir la présence systématique d'un avocat peut être source de difficultés matérielles du fait de l'absence ou de l'éloignement de cet avocat. Il est vrai que les avocats du barreau de Rennes auront du mal à venir à la gendarmerie de Martigné-Ferchaud, ceux de Nantes à celle de Chateaubriand, ceux de Mende à celle à Langogne, et ceux de Valenciennes ou d'Avesnes-sur-Helpe à Aulnoye-Aymeries. Mais nous avons déposé un amendement qui prévoit que si l'avocat est absent, l'enregistrement de l'audition est de droit. Nous répondons donc à cette objection.
Nous prévoyons aussi que soit notifié le droit au silence, qui n'existe plus aujourd'hui, afin de mettre notre législation en conformité avec la jurisprudence européenne, qui a établi qu'on ne peut exiger de quelqu'un qu'il contribue à sa propre accusation.
Nous répondons également à l'objection des barreaux : la présence de l'avocat n'ayant de sens que s'il connaît les charges réunies à l'encontre de la personne auditionnée, il faudrait en effet qu'il ait accès au dossier. Aussi prévoyons-nous un accès au dossier, sauf avis contraire du procureur de la République en cas de possibilité de concertation entre plusieurs auteurs présumés – par exemple, la présence d'un seul avocat permettrait à chacun d'entre eux de savoir ce que les autres ont dit. Notre texte assure donc l'équilibre entre les droits de la défense et l'efficacité des enquêtes.
En outre, nous proposons la présence de l'avocat lors de l'audition, et qu'à l'issue de celle-ci il puisse faire poser des questions – comme c'est le cas aujourd'hui –, l'officier de police pouvant refuser s'il estime qu'elles sont malintentionnées, vont à l'encontre de l'enquête ou que dans le corps même de la question est contenue la réponse que l'on suggère fortement à l'intéressé. Ces dispositions, actuellement en vigueur devant le magistrat instructeur, pourraient être utilement reprises devant les officiers de police judiciaire.
La garde à vue est d'une durée de vingt-quatre heures, prolongeable vingt-quatre heures. Sur les 600 000 gardes à vue, 100 000 environ font chaque année l'objet d'une prolongation. C'est une décision assez lourde pour l'intéressé. Vous avez tous décrit les conditions matérielles difficiles dans lesquelles s'effectue cette mesure de rétention. Il convient donc de prendre un certain nombre de précautions. Aussi, nous proposons que la prolongation puisse être autorisée par un magistrat, mais après présentation de l'intéressé
Notre texte pose le principe de la présence de l'avocat, avec des modalités pratiques qui la rendent possible. L'avancée que nous souhaitons tous en matière de défense des libertés mais également en matière de sécurité juridique, à la fois pour les enquêteurs et pour les victimes, est aujourd'hui possible. Et nous vous proposons de la faire dès maintenant. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Madame la présidente, madame la ministre d'État, mes chers collègues, face à la recrudescence des témoignages de violences perpétrées par une infime minorité d'officiers de police judiciaire pendant les gardes à vue, et suite aux deux arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme établissant la nécessité de garantir à toute personne placée en garde à vue le droit d'être effectivement entendue, la problématique de la mise en application de cette mesure privative de liberté revient une fois de plus sur le devant de la scène.
Un certain nombre de nos collègues ont choisi, avec un sens certain de l'opportunité, une période propice au dépôt de propositions de loi pour présenter un texte visant à protéger et à encadrer les droits des gardés à vue. Cette proposition intervient après la parution des chiffres sur le nombre de gardes à vue ainsi que l'ébauche par vous-même, madame la garde des sceaux, du projet de loi relatif à la réforme de la procédure pénale. Cette réforme va renforcer les droits de la défense en tenant compte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme – arrêt Salduz contre Turquie –, elle consistera à réviser les articles 63 et suivants du code de procédure pénale. Si la déclaration récente du président de la CEDH, Jean-Paul Costa, encourage les États à anticiper les recours des justiciables en révisant de leur propre initiative leurs lois en matière de garde à vue, il est nécessaire que cette révision intervienne dans le cadre d'une réforme globale, et non dans le cadre plus étroit d'une proposition de loi.
La Cour de Strasbourg fait une analyse in concreto des affaires qui lui sont soumises. Elle a clairement reconnu que l'intervention de l'avocat peut être différée si des raisons impérieuses liées aux circonstances le justifient, dès lors que les exceptions à l'application du droit à un prompt accès à un avocat sont clairement circonscrites et strictement limitées dans le temps. Rendre l'intervention de l'avocat, dès le début de la garde à vue, obligatoire dans toutes les affaires, sans aucune dérogation possible, n'est absolument pas souhaitable.Arlette Grosskost a évoqué ce point, je n'y reviens donc pas.
Mes chers collègues, vous le savez, la loi accorde déjà des droits à tout gardé à vue, droits qui doivent lui être notifiés dans les meilleurs délais, à savoir : la possibilité de voir un médecin, de faire prévenir un membre de sa famille et d'obtenir un entretien d'une demi-heure avec un avocat durant la première heure de garde à vue. Voilà quelques-unes des obligations auxquelles doit satisfaire l'OPJ. Par ailleurs, est-il utile de rappeler que la décision de placer une personne en garde à vue est d'après la loi prise conjointement par un officier de police judiciaire et par le procureur de la République ? Cette décision bilatérale permet normalement d'éviter toute détention arbitraire.
Cette proposition de loi, si elle était adoptée, parasiterait la réforme globale de la justice et rendrait encore plus complexe sa lisibilité, ce qui est contraire aux objectifs de simplification et de clarification du droit que nous poursuivons tous. Il apparaît donc sage d'attendre la réforme de la procédure pénale qui viendra apporter des réponses aux questions soulevées aujourd'hui – Mme la garde des sceaux vient de nous en faire une belle démonstration.
Par ailleurs, j'entends régulièrement, notamment dans l'opposition, des collègues se plaindre de ne pas avoir assez de temps pour examiner un projet ou une proposition de loi. Or, en l'espèce, nous disposons de quelques mois pour nous pencher ensemble sur cet important sujet. Il est donc souhaitable de ne pas se précipiter.
Aussi louable que soit votre proposition, chers collègues, elle ne va pas assez loin : elle n'apporte que des solutions formelles en ne résolvant pas le problème de fond, à savoir l'explosion du nombre de gardes à vue, résultat du recours systématique à cette mesure privative de liberté, dont le formalisme s'est alourdi. Votre texte se révèle de fait inapplicable puisqu'il requiert la disponibilité permanente de l'avocat. Sa présence durant tout le processus n'est d'ailleurs pas compatible avec certaines exigences de l'enquête.
De plus, il me semble primordial de mener un travail en profondeur sur les conditions de la garde à vue. Or cette proposition ne s'y attelle pas. Mme la garde des sceaux nous a annoncé qu'elle allait remettre sur le métier l'intégralité de la garde à vue.
C'est uniquement pour ces raisons que je ne voterai pas la présente proposition de loi et que je vous propose, chers collègues de l'opposition, que nous continuions de travailler ensemble sur ce sujet. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Madame la présidente, madame la ministre d'État, mes chers collègues, rien n'est plus important dans une démocratie développée comme la nôtre que la protection des personnes contre toute arrestation ou rétention arbitraire. Ce droit est garanti depuis la Déclaration des droits de l'homme de 1789, et nous sommes tous extrêmement attachés à cette liberté fondamentale. Certes, il faut que l'honnête citoyen ou la victime soient défendus contre les malfaiteurs. Par conséquent, il faut que les policiers aient la possibilité de mener leurs enquêtes, de faire au plus vite le point sur les affaires et de faire apparaître la vérité.
Mais la période de flou juridique que constitue la garde à vue n'est pas satisfaisante pour nous. Malgré les aménagements apportés à ce pouvoir exorbitant accordé à la police, nous sommes encore très loin du compte. C'est d'autant plus préoccupant aujourd'hui que, chacun l'a remarqué, le nombre de gardes à vue a explosé, de manière tout à fait incompréhensible. On a beau savoir que depuis l'époque où M. Sarkozy était ministre de l'intérieur, la délinquance, notamment la violence contre les personnes, a augmenté, le nombre de gardes à vue n'a pas augmenté à due proportion. Par conséquent, on ne voit pas pourquoi une fraction aussi importante de la population mériterait d'être arrêtée et enfermée. Vous avez vous-même reconnu, madame la ministre d'État, que l'explosion du nombre de gardes à vue constituait un véritable problème.
Pourquoi faut-il de manière urgente revoir le régime de la garde à vue ?
Tout d'abord, pour se conformer à la Convention européenne des droits de l'homme, notamment à son article 6 qui prévoit que tout accusé a droit à être informé, dans les plus courts délais et dans une langue qu'il comprend, de la cause de l'accusation portée contre lui, et de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense. Plusieurs arrêts successifs de la Cour européenne des droits de l'homme l'ont confirmé en prévoyant qu'il était nécessaire que la personne puisse être assistée d'un avocat dès le premier interrogatoire. Certes, ces arrêts ne concernent souvent que la Turquie, mais le président Costa a bien précisé que les principes qu'ils énoncent sont valables pour tous les pays. Par conséquent, cette jurisprudence s'applique aussi évidemment à la France.
Elle établit qu'il y a une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes sont faites lors d'un interrogatoire de police subi sans l'assistance possible d'un avocat et qu'elles sont utilisées comme fondement d'une condamnation.
Dès lors, comme l'a dit excellemment André Vallini, il est nécessaire d'intervenir pour sécuriser des procédures appliquées tous les jours et qui risquent d'être censurées sur le fondement de la jurisprudence de la Cour européenne. Certes, dans notre droit, l'avocat peut assister la personne en garde à vue mais, certains avocats l'ont reconnu, il s'agit seulement d'une visite de courtoisie. En effet, ils doivent conseiller des gens alors qu'ils ne connaissent ni le dossier ni les charges qui leur sont reprochées. Ils ne peuvent donc pas faire grand-chose.
De plus, l'intervention de l'avocat est retardée en matière d'extorsion de fonds, d'association de malfaiteurs et de terrorisme. On nous dit qu'il s'agit de procédures exceptionnelles et que l'on a alors affaire à des délinquants chevronnés. Mais nous avons vu la semaine dernière, à Dammarie-les-Lys, qu'on pouvait de bonne foi confondre des gens tout à fait honorables, des pompiers, avec des terroristes. Même en matière de terrorisme, il est donc nécessaire que l'avocat puisse intervenir et que les droits fondamentaux de la personne soient suffisamment garantis.
C'est d'autant plus important qu'il y a des cas où les conditions de la garde à vue sont inadmissibles et, surtout, que de plus en plus de gens sont concernés par cette mesure pour des raisons banales, sans avoir jamais imaginé se retrouver un jour dans une telle situation. Dans ma circonscription, j'ai rencontré un honnête fonctionnaire, contrôleur des douanes me semble-t-il, qui, suite à une simple observation pour une contravention, s'est retrouvé, dans le quart d'heure qui a suivi, arrêté chez lui, menotté devant ses voisins et emmené en garde à vue. Il n'aurait jamais imaginé que cela puisse arriver à un honnête citoyen comme lui. Toujours dans ma circonscription, des collégiennes soupçonnées – à tort selon elles – d'avoir participé à une petite bagarre entre ados à la sortie d'un collège tout à fait correct, ont été arrêtées chez elles en pyjama. Comment alors transmettre à un jeune le sens de la justice, le respect de certaines choses, s'il a le sentiment qu'il est traité d'une manière particulièrement injuste ? D'ailleurs, l'affaire des collégiennes s'est dégonflée comme elle devait puisqu'il n'y a eu aucune procédure à leur encontre. Pourquoi, si on avait à faire des reproches à ces gamines – qui peut-être n'ont pas eu raison de se disputer à la sortie du collège –, ne pas s'être contenté de les convoquer au commissariat et de leur passer un savon, de préférence en présence de leurs parents ?
L'utilisation actuelle de cette procédure est totalement inadaptée. Citons un autre cas relaté par la CNDS : un couple de septuagénaires – tout de même pas des criminels ! – ayant utilisé un chéquier remis à mauvais escient par sa banque s'est retrouvé convoqué à la police, placé en garde à vue, fouillé à corps, etc.
Madame la garde des sceaux, sans même attendre le vote de notre proposition de loi, il devrait être possible d'endiguer certains excès de cette procédure, en donnant des instructions très précises aux services. Actuellement, le Français lambda se dit que ses libertés essentielles touchant au droit d'être respecté dans sa dignité ne sont plus garanties dans notre pays, ce qui créé une insécurité tout à fait préjudiciable à notre perception de la démocratie.
En outre, cette situation créé une insécurité pour le travail des policiers. Si l'avocat exerçait un contrôle réel du travail des policiers à l'avenir, certains excès qui nuisent à la considération que nous portons tous aux policiers et à leur travail ne seraient plus possibles. Il me semble que toute la profession en sortirait grandie, car nous savons tous que la grande majorité de ces fonctionnaires essaie de faire son travail correctement au jour le jour, et se sent humiliée quand ce type d'excès survient du fait de l'absence de contrôle.
Ce que nous demandons et qui est formulé dans le texte d'André Vallini est finalement une proposition minimale. Nous sommes tous d'accord sur cette présence de l'avocat. Dominique Raimbourg a donné nos réponses aux objections formulées : quand l'avocat ne sera pas disponible, par exemple, il suffira d'enregistrer l'audition pour assurer toutes les garanties.
S'il est vrai qu'il nous sera possible d'aller plus loin à l'occasion de la réforme de la procédure pénale, le calendrier parlementaire impose des limites : nous ne pourrons pas examiner cette réforme avant octobre, et même sans doute encore plus tard compte tenu de l'embouteillage des textes.
Puisque nous sommes tous d'accord sur certains points minimaux que vous avez énoncés, madame la garde des sceaux, je ne vois vraiment pas pourquoi nous ne pourrions pas d'ores et déjà avancer. Ensuite, à l'issue de la concertation très élaborée que vous conduisez, nous pourrons réformer davantage la procédure. Nous pourrons notamment traiter un sujet qui me tient à coeur : encadrer la garde à vue des mineurs par des garanties supplémentaires. Là encore, dans un pays développé comme le nôtre, il n'est pas acceptable que les mineurs ne soient pas plus protégés quand ils sont attraits dans une procédure aussi exorbitante du respect des libertés qu'est la garde à vue.
En attendant, nous sommes aujourd'hui d'accord sur un point limité. Alors, avançons ensemble ! Cela me semble une bonne manière de mettre en oeuvre le droit. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi du groupe SRC aborde un sujet qui touche à des valeurs fondamentales : les droits de l'homme, l'État de droit, les libertés publiques.
Elle touche au rapport entre la société et sa justice et les conditions d'exercice de celle-ci, autant de sujets cruellement mis en lumière, au cours des dernières années, notamment par la catastrophe judiciaire d'Outreau, et sur lesquels nous avons, nous législateurs, le devoir d'agir.
Comme le rappelle M. le rapporteur, le nombre de gardes à vue n'a cessé d'évoluer de façon exponentielle au cours des dernières années. L'enjeu est donc de taille et peut concerner, dès demain, chacune et chacun d'entre nous.
L'intitulé du texte, et à travers lui son objectif, sont clairs. Il s'agit d'instituer la présence effective de l'avocat dès le début de la garde à vue. À la faculté doit désormais se substituer le principe d'obligation de cette présence de l'avocat de la défense.
Le dispositif retenu pour cela est simple : un article unique visant à rendre obligatoire cette présence si, naturellement, la personne placée en garde à vue ne la refuse pas.
La situation actuelle se caractérise en effet par le règne généralisé du non-droit. Insécurité juridique et insuffisant respect des droits de la personne en sont les traits marquants. Trop nombreux sont les conditions matérielles et les comportements attentatoires à la dignité humaine et à la présomption d'innocence. Le rapport de force dans le cadre de la garde de vue s'exerce très largement à armes inégales, au détriment de la personne entendue.
Or, et cela a été rappelé, les conditions de la garde à vue sont l'un des éléments déterminants d'un procès équitable. Les motivations de ce texte ne sont donc pas seulement d'ordre humanitaire, mais elles visent à garantir un service public de la justice efficace et sûr, au bénéfice de la société tout entière et du lien de confiance qui unit celle-ci à sa justice.
Par ailleurs, la situation actuelle nous place en totale contradiction avec l'article 6, paragraphe 1er, de la Convention européenne des droits de l'homme qui institue le droit à un procès équitable.
Les récents arrêts Salduz et Danayan de la Cour européenne des droits de l'homme vont dans le même sens et nous invitent à faire évoluer les choses d'urgence si nous ne voulons pas laisser à la France un rôle de mauvais élève.
La proposition de loi du groupe SRC vise donc ni plus ni moins qu'à mettre notre pays au diapason des démocraties modernes en créant les conditions d'un équilibre réel lors de la garde à vue. Comme avocat, dans ma pratique quotidienne, j'en mesure pleinement l'urgence et la nécessité.
Il s'agit là d'un préalable indispensable à toute réforme de la procédure pénale, en quelque sorte un prérequis avant une remise à plat dans ce domaine. La légitime aspiration à la sécurité et le nécessaire soutien au travail de nos forces de police ne sauraient faire perdre de vue ce qui relève d'un impératif au regard des droits de l'homme, auxquels nous sommes tous attachés.
N'oublions pas que la garde à vue fait partie intégrante de la procédure pénale et qu'à ce titre elle ne saurait se dérouler sans la présence effective de l'avocat, dûment informé par la communication complète du dossier d'enquête afin de pouvoir remplir correctement sa mission de défense du gardé à vue.
De plus, en cas de classement sans suite du dossier, la privation de liberté ne doit plus rester sans compensation. N'attendons donc pas un futur grand soir pénal pour garantir à nos concitoyens l'un de leurs droits fondamentaux. Parce qu'il est question de libertés fondamentales, nous ne devons pas attendre pour agir. Agissons tout de suite ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Madame la présidente, madame la ministre d'État, mes chers collègues, cette proposition de loi concerne davantage la présence effective de l'avocat lors de la garde à vue que la garde à vue elle-même, sujet beaucoup plus vaste. Cela étant, je n'emploierai pas les mêmes arguments que certains de mes collègues pour me réfugier dans une discussion générale. Je le dis très nettement : ce texte est bon et opportun, mais je ne le voterai pas parce qu'il n'est pas applicable.
Passons à la démonstration de ces trois éléments.
Le texte est bon pour une raison très simple : les barreaux sont désormais prêts à assumer ce qu'ils n'ont pas toujours souhaité assumer. Je me souviens d'un débat en commission des lois, en 1993, qui portait déjà sur cette question. Les barreaux nous avaient fait savoir qu'ils n'étaient pas en mesure d'assurer une présence de l'avocat dès la première heure de garde à vue. C'est d'ailleurs ce qui avait fait reculer certains députés qui, comme moi, avaient émis des propositions.
En mars 2009, les barreaux ont affirmé qu'ils étaient prêts à assumer cette responsabilité qui les honore. Avec eux, nous réclamons la présence de l'avocat dès la première heure. Certains arguments – l'avocat sera en retard, il ne pourra pas se déplacer, etc. – sont à la limite de la correction à l'égard du barreau : quand le barreau assume, il assume. Par conséquent, il faudra lui donner les moyens d'assumer, j'y reviendrai.
Le texte est opportun car il fallait que ce débat démarre. Tôt ou tard, les arrêts de la Cour européenne auront valeur de droit positif. Tôt ou tard, la France sera sanctionnée, même si les cours d'appel françaises ne sont pas toutes unanimes à reconnaître l'effet erga omnes des arrêts de la Cour européenne. Je pense en particulier à la décision prise en février 2010 par la cour d'appel de Paris, évoquée tout à l'heure. Cependant, ma chère collègue, cet arrêt est en cassation. On verra comment la Cour de cassation tranchera.
De plus, une échéance encore plus brutale risque de peser très lourd dans le débat : la saisine directe du Conseil Constitutionnel, dont nous n'avons pas parlé.
Pour le coup, cette mesure nous impose un délai très précis. En admettant que sa mise en place, le 1er mars, donne un délai de trois mois à la Cour de cassation, la nécessité de trancher se fait jour en juillet.
Madame la garde des sceaux, vous avez entendu comme moi les propos du président du Conseil Constitutionnel lors de la rentrée du barreau de Paris. D'une manière un peu légère, compte tenu de sa fonction, le président du Conseil Constitutionnel s'est déclaré très favorable à une révision dans ce sens.
Certes, le Conseil Constitutionnel est une instance pluraliste. Mais je ne doute pas que, tôt ou tard, l'effet conjoint des décisions de la Cour européenne et de la saisine directe du Conseil Constitutionnel ne nous pousse à réagir assez rapidement.
Non car, pour autant, et c'est mon troisième point, nous ne pouvons pas adopter le texte en l'état, pour plusieurs raisons que je vais résumer.
D'abord, la présence de l'avocat en garde à vue nécessite des moyens, notamment financiers, dont actuellement les barreaux, quelle que soit leur volonté d'appliquer la mesure, ne disposent pas. La réforme de la garde à vue ne pourra se faire sans celle de l'assistance judiciaire.
Les sommes actuellement dévolues à l'assistance judiciaire – entre 200 et 300 millions d'euros – seront très nettement insuffisantes si nous mettons en place un système prévoyant la présence systématique de l'avocat lors de la garde à vue. D'après un calcul approximatif mais sérieux, il va falloir trouver entre 600 et 700 millions d'euros supplémentaires. On évalue en effet le coût de cette mesure à un milliard d'euros.
Cette somme pourra être trouvée car cette réforme, qui va certainement nous échoir, va engager des entreprises, des particuliers et des compagnies d'assurance à développer un système mutualiste qui rapportera de l'argent dont pourra bénéficier l'assistance judiciaire.
Quoi qu'il en soit, vous voyez que l'application de la réforme bonne et opportune qui nous est proposée ne peut se faire dans les conditions financières actuelles.
Deuxième raison qui nous permet tout de même d'avoir un peu le temps de réfléchir : la présence du procureur. Dans la procédure de garde à vue actuelle, la présence du procureur est incontestable et d'ailleurs incontestée en l'absence de l'avocat.
En recevant, hier, divers magistrats, nous avons pu constater les contradictions existant entre leurs souhaits et ceux des avocats. Le parquet n'entend pas renoncer à son rôle judiciaire dans la procédure de la garde à vue, tandis que les avocats réclament que ce rôle soit confié à un magistrat du siège.
On voit bien, avec le projet de réforme du code de procédure pénale, que la question n'est pas seulement importante dans les faits, mais qu'elle l'est aussi en droit. Mme la garde des sceaux a proposé qu'un magistrat du siège participe au contrôle de l'enquête : la logique voudrait en effet que ce soit effectif dans la nouvelle procédure de garde à vue avec présence d'un avocat. Si nous laissons au seul procureur le soin de veiller sur la garde à vue, nous n'aurons pas seulement de gros problèmes avec les avocats, cela voudra également dire que la procédure de garde à vue n'est pas une procédure judiciaire. Or, quoi qu'on dise et quoi qu'on fasse, en dépit des discours, des rapports et des textes préparatoires qui proposent d'instaurer une période de quatre heures sans avocat, il ne s'agit pas d'une procédure administrative. Elle fait partie de la procédure judiciaire, et, pour cette raison même, la présence de l'avocat lors de la première heure signifie que le magistrat du siège a seul le contrôle du début de la procédure.
Ainsi, même si les principes sont bons, même si je souhaite, moi aussi, que soit prise cette décision symbolique, qui sera certainement intégrée un jour dans notre droit positif, il faut bien reconnaître que, en l'état actuel des choses, elle ne serait pas applicable. Ce texte est bon, il est opportun, j'en partage la philosophie, mais, comme il est inapplicable, je ne peux pas le voter. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous débattons ce matin d'une proposition de loi de progrès, qui mettrait notre législation en conformité avec les principes supérieurs du droit. Cette proposition de loi intervient après que la Cour européenne des droits de l'homme a confirmé le principe selon lequel l'assistance d'un avocat dès la mise en cause d'une personne était une composante du procès équitable.
Elle survient alors même que, dans notre pays, la pratique n'est assurément pas conforme à l'esprit de la loi et à la volonté du législateur, et que le nombre de mesures de contrainte augmente dangereusement, ce qui met en cause la liberté individuelle.
Dès la fin 2008, je m'étais inquiétée, dans une question écrite à Mme la garde des sceaux, de l'augmentation du nombre de gardes à vue et de la nécessité d'une réforme de la procédure pénale. Je faisais valoir que le nombre des gardes à vue avait déjà augmenté – de plus de 225 000 entre 2001 et 2007, mais ces chiffres sont malheureusement dépassés –, alors que le nombre des personnes condamnées dans la même période n'avait pas augmenté.
Deux traits me paraissaient et me paraissent toujours caractériser et marquer cette intempérance française en matière de garde à vue. Le premier est que de nombreuses personnes ont fait et font l'objet d'une mesure de limitation de leur liberté sans qu'il soit possible, in fine, de prouver que leur comportement est constitutif d'une infraction tombant sous le coup d'une sanction pénale.
Le second est que cette augmentation est soutenue et amplifiée par l'insuffisance de garanties données aux personnes mises en cause.
Dans votre réponse, madame la ministre, vous expliquiez que le placement en garde à vue n'est qu'une mesure d'exception prise lorsque les nécessités de l'enquête l'exigent et qu'elle n'est possible que lorsqu'une peine d'emprisonnement est encourue. Vous indiquiez que les « mesures de contraintes doivent être strictement limitées aux nécessités de la procédure, proportionnées à la gravité de l'infraction reprochée et ne pas porter atteinte à la dignité de la personne ».
Force est de constater que cette pratique croissante n'est pas conforme à l'esprit de la loi et à la volonté du législateur. C'est pourquoi il faut changer la loi et dire expressément que les personnes contre lesquelles une limitation de liberté est décidée doivent pouvoir faire appel à un avocat dès le premier moment de la restriction de liberté les touchant.
Il nous faut donc une mesure pratique, dissociable du reste de la procédure d'enquête et qui permette de juger de l'état du droit dans notre pays.
Un des arguments opposés à cette proposition de loi est qu'il vaudrait mieux attendre le projet de loi portant réforme de la procédure pénale pour revoir cet élément fondamental. Ce raisonnement s'appuie sur un double présupposé. Le premier est que cet élément ne serait pas dissociable d'une réforme globale de la procédure pénale. Je note que le rapport du comité de réflexion sur la justice pénale – le rapport Léger – ne répondait que de façon impartiale à la nécessité de respecter le principe, malgré l'existence d'une législation européenne en avance sur la nôtre. Ainsi, ce n'est pas parce que l'on promet une réforme d'ampleur que l'on y affirmera et garantira la présence d'un avocat dès le début de la limitation de liberté.
Le second présupposé est que cet élément fondamental ne prendrait sa signification que dans le cadre d'une réforme d'ensemble et cohérente. Pourtant, en Allemagne, en Angleterre, au Danemark, en Espagne et en Italie, les personnes placées en garde à vue peuvent bénéficier de l'assistance effective d'un avocat dès qu'elles sont privées de liberté et les règles de procédure pénale applicables ne sont pourtant pas les mêmes dans chacun de ces États, ce qui n'empêche pas que cet élément fondamental y soit affirmé explicitement et de façon quasi autonome.
Pourquoi, en France, la situation ne pourrait-elle évoluer dès maintenant dans ce sens ? De façon complémentaire, la réforme de la procédure pénale est annoncée comme devant se décliner en quelque 600 à 800 articles, ce qui suscite cette réaction des honnêtes gens à qui j'en parle : « Qui maîtrisera cette loi ? Qui connaîtra l'ensemble de ses principes, de ses règles et toute sa portée ? » Les magistrats chargés de l'appliquer ? Les avocats chargés de défendre les personnes mises en cause ? Certes. Mais la lisibilité et l'intelligibilité de la loi, pour le grand nombre, justifient aussi, me semble-t-il, qu'un élément fondamental de notre droit puisse, dès à présent, être adopté, mis en oeuvre et garanti.
Ce ne sont pas seulement les individus qui y gagneront, c'est notre justice. Le principe de dignité que l'autorité judiciaire et la police ont à servir ne pourra qu'en sortir renforcé. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la question de la garde à vue n'est pas réservée aux spécialistes de la procédure pénale. Quand, chaque année, 800 000 personnes sont privées de liberté, quand, chaque jour, 2 500 personnes sont placées sous ce régime, ce sont les libertés publiques qui sont en jeu.
Lorsqu'ils découvrent des chiffres aussi élevés, nos concitoyens ne peuvent être qu'incrédules. À l'origine, la garde à vue était un statut comportant des droits particuliers pour la personne, parce qu'il s'agissait d'une mesure de privation temporaire de liberté. Comment expliquer l'explosion du nombre de gardes à vue, notamment entre 2002 et 2006, quatre années qui ont vu une augmentation de 70 % ? Chacun sait bien que l'intégration de ce paramètre comme indicateur de performance, voire d'efficacité, de la police, a conduit à une dénaturation d'une procédure qui est devenue l'alpha et l'oméga de l'activité policière.
Il n'est pas surprenant que cette banalisation de la garde à vue ait conduit à des excès, voire à des dérives. Est-il normal de recourir à une garde à vue pour des mineurs impliqués dans un vol de vélo ? Est-il normal de recourir à une garde à vue après une bagarre présumée entre collégiennes à la sortie d'un établissement scolaire ? La garde à vue est devenue l'objet d'un vrai débat de liberté publique, non seulement en raison du nombre exorbitant des procédures, mais aussi des conditions de sa mise en oeuvre. La pratique quasi systématique des fouilles à corps, l'obligation qu'ont les femmes d'enlever leur soutien-gorge, l'interdiction de garder ses lunettes, tout, dans cette procédure, est vécu comme une humiliation.
Vous avez raison, madame la garde des sceaux, de parler de dignité de la personne, car tous ceux qui ont rencontré des citoyens sortant de garde à vue ont pu faire ce constat : la vérité judiciaire, la vérité policière, la nécessité de l'enquête ne peuvent jamais justifier cette humiliation.
Faut-il rappeler que, en 2007, le rapport du comité européen pour la prévention de la torture a dénoncé les conditions matérielles de la garde à vue en France ? La garde à vue, c'était à l'origine un statut fixant les droits d'une personne privée de liberté. Elle est devenue un instrument, un outil de mise en condition de la personne interrogée. Le temps n'est donc plus de disserter sur l'origine de cette dérive, mais d'apporter une réponse, dont l'urgence sociale et juridique est indéniable.
Le Gouvernement se contente de nous renvoyer à la future réforme de la procédure pénale – vous venez encore de le faire, madame la ministre. Or il est au moins une question qui doit être traitée en urgence, c'est celle de la présence et du rôle de l'avocat pendant la garde à vue. Nous aurons bien d'autres débats, et probablement des divergences. Des questions essentielles ont d'ailleurs déjà été posées : celle qu'a soulevée M. Goasguen à propos de l'identité du magistrat qui doit décider en matière de garde à vue, est capitale. Il faudrait que ce soit – ce serait un grand progrès – un magistrat du siège. Mais nous débattrons de la question le moment venu.
Ce que nous avons à résoudre aujourd'hui, c'est le problème de l'incertitude juridique, car les récentes décisions rendues par la Cour européenne des droits de l'homme sont évoquées, chaque jour, devant nos juridictions, et des annulations sont déjà intervenues. Vous écartez de nouveau cette réalité juridique en soutenant que ces arrêts n'ont qu'une valeur indicative. Ce débat juridique ne permet pas de sortir de l'incertitude. M. Costa, président de la Cour européenne des droits de l'homme, vous a répondu en indiquant que ses décisions s'imposent à tous les États signataires.
Il faut ajouter à cette incertitude la nouvelle procédure de saisine du Conseil constitutionnel. Son président nous a d'ailleurs mis en garde sur ce qui risque d'arriver. Tout cela, il faut le prendre en compte. Vous ne pouvez pas soutenir que, tant dans le texte exact des décisions que dans la réalité de notre procédure, nos obligations sont remplies. Il suffit de lire l'arrêt de la Cour européenne : « Ainsi, un accusé doit, dès qu'il est privé de liberté, pouvoir bénéficier de l'assistance d'un avocat et cela indépendamment des interrogatoires qu'il subit. En effet, l'équité de la procédure requiert que l'accusé puisse obtenir toute la vaste gamme d'interventions qui sont propres au conseil. À cet égard, la discussion de l'affaire, l'organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l'accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l'accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention sont des éléments fondamentaux de la défense que l'avocat doit librement exercer. » Personne ne peut soutenir que notre code de procédure pénale répond aujourd'hui à ces exigences. La police, la justice, nos concitoyens sont donc dans une incertitude majeure, qui peut conduire à des annulations de procédure.
Dès lors que nous débattons d'une question de libertés publiques, chaque seconde, chaque jour perdu est un jour de renoncement. C'est bien pourquoi nous vous proposons aujourd'hui, dans l'attente du grand débat, de répondre à cette question d'urgence pour la protection des libertés et le respect de la convention européenne dont la France a l'honneur d'être signataire. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
La discussion générale est close.
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Sans chercher à prolonger cette discussion, je souhaite répondre aux principales questions posées par les intervenants.
M. Brard a fait comme nous le constat de l'indignité de certaines conditions de garde à vue, mais je souhaiterais que l'on évite les excès. Lorsqu'on laisse entendre que toutes les gardes à vue sont indignes de la réputation de notre pays, ce n'est pas recevable, il faut être plus mesuré. Il y a des problèmes, je le dis moi-même, mais il ne faut pas systématiquement stigmatiser notre pays et en faire le dernier de tous en ce qui concerne la protection des libertés ou le respect des personnes. Il est important, particulièrement dans cet hémicycle, de savoir faire la part des choses et de tenir des propos responsables.
M. Brard a ensuite repris l'analyse des décisions de la Cour européenne des droits de l'homme. Je pense que son interprétation est erronée. Deux arrêts récents ont condamné d'une part l'absence totale de l'avocat durant la garde à vue, d'autre part le fait que les déclarations recueillies pendant la garde à vue aient constitué le seul élément de preuve pour une condamnation. Or, sur ces deux points, le droit français est bien conforme aux exigences européennes, puisque la présence de l'avocat dès la première heure est prévue, et que la jurisprudence ne retient pas les aveux faits en garde à vue hors de la présence de l'avocat s'ils sont les seuls éléments de preuve : cela sera repris explicitement dans le projet que nous vous soumettons.
Monsieur Hunault, vous avez vous-même déposé une proposition de loi et le texte que nous discutons aujourd'hui correspond aux éléments qui y figurent.
Vous avez évoqué l'éventualité d'un recours devant le Conseil constitutionnel sur les conditions de garde à vue. Je rappelle simplement que le Conseil constitutionnel a d'ores et déjà été saisi de différents textes sur la garde à vue et qu'il a validé ces lois. Il a donc bien estimé que l'état actuel de notre droit en la matière était conforme à notre loi fondamentale.
Vous demandez à connaître le bilan des vidéos réalisées pendant certaines gardes à vue. Nous pourrons vous le présenter de façon plus exhaustive, mais je peux dire dès à présent que ce bilan est très positif. La vidéo est indispensable lors de l'audition de mineurs et pour les enquêtes concernant un certain nombre de crimes. Chaque fois qu'il existe un enregistrement, cela fait disparaître les polémiques ou les attaques sur le déroulement de la garde à vue. Je suis donc très favorable à cette mesure : je l'étais en qualité de ministre de l'intérieur, je le suis toujours aujourd'hui. Le problème est d'équiper les lieux où se déroulent les gardes à vue, locaux de police ou de gendarmerie, mais cette pratique va se développer et permettra de répondre à des critiques injustifiées.
Madame Grosskost, c'est avec raison que vous avez insisté sur les conditions de la garde à vue et c'est bien pourquoi notre réforme affirme le principe du respect de la dignité, qui devra être précisé dans les textes d'application. Vous ajoutiez qu'il faudra traduire ce principe dans l'évolution des pratiques ; c'est effectivement un élément important. De ce point de vue, des travaux associant la chancellerie et le ministère de l'intérieur ont été engagés à ma demande en parallèle avec la réforme.
Monsieur Raimbourg, vous avez judicieusement rappelé que notre code de procédure pénale souffrait d'un manque de contradictoire. La réforme en préparation a justement pour but de répondre du début jusqu'à la fin à cette problématique. Il est effectivement prévu que les parties puissent avoir accès à toutes les procédures, en étant habilitées à demander des actes non seulement au procureur, mais aussi au juge.
Quant à exiger une décision préalable du procureur pour le placement en garde à vue, cela risque de poser certains problèmes. Le projet prévoit que le procureur est immédiatement informé du début d'une garde à vue, ce qui lui permet de la contrôler. Il ne pourrait pas le faire s'il en décidait lui-même, car celui qui décide ne peut pas être celui qui contrôle. Afin de préserver le principe du contradictoire, il convient donc de maintenir une distinction. Bien entendu, il faut que le contrôle des magistrats sur la garde à vue s'exerce réellement, et c'est bien ce qui est prévu.
Vous avez insisté, monsieur Schneider, sur la nécessité d'une vue d'ensemble et d'une réforme globale, je vous en remercie. Je pense moi aussi qu'il faut éviter les petits bouts de réforme. Nous avons connu cinquante réformes de la procédure pénale depuis 1958 ; cela contribue à son absence de lisibilité et peut être parfois à l'origine de contradictions. Avec un texte global et une discussion d'ensemble - à brève échéance, j'en suis bien d'accord - nous éviterons ce type de problème.
J'estime comme vous qu'il nous faut trouver ensemble un équilibre entre l'efficacité de l'enquête et les droits des personnes gardées à vue. Toute la concertation avec les praticiens et les parlementaires doit nous permettre d'aboutir à un texte équilibré.
Madame Pau-Langevin, vous avez également fait état de contradictions supposées entre les principes évoqués par la CEDH et notre droit. Comme je l'ai déjà dit, notre droit est conforme aux principes énoncés ; il n'y a donc pas de problème.
Vous avez soulevé, au travers d'exemples précis, une autre question, qu'il faudra que nous nous posions. Il est vrai qu'il y a beaucoup de gardes à vue parce qu'elles suivent immédiatement des interpellations. C'est le texte qui existe actuellement. Le problème, notamment dans le cas de ces jeunes de quatorze ans que vous avez évoqués, est qu'une plainte a été déposée par les parents, avec constitution de partie civile. Nous devons réfléchir aux moyens de prévenir la tentation de déposer systématiquement des plaintes à la moindre occasion, qui est un des aspects de la judiciarisation de notre société ; il faut chercher d'autres solutions que le contentieux.
M. Abdoulatifou Aly m'a surprise en déclarant que la garde à vue est caractérisée par le non-droit. Vu le nombre de textes qui s'applique à la garde à vue, cela me semble une interprétation pour le moins curieuse. Un texte fondamental suivi de cinquante réformes, cela commence à faire beaucoup ! Sur la seule garde à vue, une dizaine de textes s'appliquent, récents pour une bonne part. Par ailleurs, son interprétation des décisions de la CEDH me semble erronée.
Vous nous avez expliqué avec brio, monsieur Goasguen, que vous étiez d'accord sur le fond et l'intention de cette proposition de loi – pour l'essentiel, nous le sommes tous – et même sur son opportunité, ce dont on peut discuter.
Je reconnais, en revanche, que vous avez soulevé un problème majeur d'applicabilité. Parallèlement à la révision des textes, nous allons en effet devoir nous pencher sur la question de l'aide juridictionnelle. Au-delà de la prise en charge financière de la présence permanente de l'avocat, nous sommes confrontés au problème du montant de l'indemnité qui lui est versée – elle est très basse – et à celui des plafonds de ressources des justiciables. Beaucoup de personnes de la classe moyenne qui se situent juste au-dessus du seuil peuvent se payer un avocat, mais elles ne peuvent pas pour autant payer les expertises qui sont souvent indispensables. Ces personnes se trouvent dans l'incapacité de faire valoir leurs droits parce qu'on ne leur accorde pas l'aide juridictionnelle.
Nous devrons aborder ces questions dans le cadre de la réforme à venir, car nous ne pourrons pas l'adopter sans avoir les moyens concrets de la mettre en oeuvre. Prenons garde, monsieur Vallini, de ne pas donner aux Français des signaux leur laissant penser qu'un progrès va s'appliquer immédiatement quand on sait que cela ne sera pas le cas, notamment pour les raisons évoquées par M. Goasguen.
Madame Karamanli, je ne reviendrai pas sur la nécessité d'une approche globale du problème de la garde à vue, qu'il s'agisse de la présence de l'avocat ou de la place de cette mesure dans l'enquête et dans la procédure pénale. Si l'on veut de la cohérence, on est obligé d'en passer par là.
La présence de l'avocat lors de la garde à vue est également liée à d'autres questions, telles que sa présence lors du défèrement devant le procureur. L'avant-projet de loi, que vous pouvez voir sur internet, rend cette présence obligatoire.
La question de la force probante des procès-verbaux effectués sans la présence de l'avocat est également abordée dans l'avant-projet de loi : ils ne pourront, à eux seuls, motiver une déclaration de culpabilité.
Monsieur Vidalies, vous avez raison de dire qu'une loi sur la garde à vue ne concerne pas que les spécialistes, mais l'ensemble des citoyens. C'est la raison pour laquelle j'ai souhaité que le futur code soit clair, lisible et compréhensible par tous. D'où la simplification de la procédure et le grand soin que nous avons apporté à la rédaction du texte, à sa présentation chronologique, au vocabulaire utilisé, car mon souci a été que même un non-juriste puisse le comprendre, s'agissant d'un texte fondamental de la République. Tout citoyen doit comprendre les textes qui lui sont applicables. C'est essentiel pour la reconnaissance de la justice, donc pour son autorité, qui est indispensable à l'unité de la nation. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
J'appelle maintenant la proposition de loi dans la rédaction dont l'Assemblée a été saisie initialement, puisque la commission n'a pas adopté de texte.
Je suis saisie d'un amendement n°1 , portant article additionnel avant l'article unique.
La parole est à Mme Pau-Langevin.
Nous présentons cet amendement afin de rappeler le principe que la garde à vue n'est pas automatiquement nécessaire à l'enquête pénale. Il nous semble important, s'agissant d'une mesure de contrainte, qu'elle ne soit utilisée que s'il n'y a pas d'autre manière de procéder à l'enquête.
L'explosion du nombre des gardes à vue est notamment due au fait qu'elle a été utilisée comme indicateur de mesure de l'activité des policiers, ce qui ne correspond pas à sa finalité.
La procédure de la comparution instituée pour traiter rapidement toute infraction entraîne une sorte de chaîne entre arrestation, garde à vue et comparution. Ces pratiques ne sont pas compatibles avec la sérénité de la justice.
Voilà pourquoi notre amendement exclut que la garde à vue puisse servir à la mesure de l'efficacité des policiers.
La commission a émis un avis défavorable. Mais à titre personnel, j'émets un avis très favorable à cet amendement.
Si vous le permettez, madame Pau-Langevin, je ne reprendrai pas les explications que j'ai déjà données. Nous avons beaucoup parlé de cette question. J'émets simplement un avis défavorable.
(L'amendement n° 1 n'est pas adopté.)
Je suis saisie d'un amendement n° 2 .
La parole est à Mme Catherine Quéré.
Cet amendement a pour objet de renforcer le contrôle des parquets sur les gardes à vue.
Hormis les cas de flagrance, le procureur doit donner son accord au placement en garde à vue. En cas de flagrance, l'officier de police judiciaire décide seul du placement en garde à vue, mais celle-ci doit être confirmée par le procureur dans les quatre heures.
J'ai déjà expliqué pourquoi je suis défavorable à ces dispositions.
(L'amendement n° 2 n'est pas adopté.)
Je suis saisie d'un amendement n° 3 .
La parole est à M. Dominique Raimbourg.
Cet amendement vise simplement à rétablir la notification d'un droit à garder le silence. Il met notre législation en conformité avec la Convention européenne des droits de l'homme, qui prévoit que la personne entendue n'a pas à participer à sa propre accusation.
L'avis de la commission est défavorable ; personnellement, je vais voter cet amendement. Le droit au silence avait été instauré par la loi Guigou du 15 juin 2000, puis supprimé, non par la loi Perben, comme on le dit trop souvent, mais par la loi Sarkozy de 2003.
Il faut rétablir cette notification du droit au silence, qui est la règle dans tous les pays démocratiques.
Comme je considère que la discussion sur la proposition de loi est prématurée, je suis défavorable à cet amendement.
(L'amendement n° 3 n'est pas adopté.)
À l'article unique, je suis saisie d'un amendement n° 4 .
La parole est à Mme Marietta Karamanli.
Cet amendement donne à l'avocat un droit d'accès au dossier, tout en prévoyant des limites de l'exercice de ce droit, qui seront fixées par le procureur.
C'est une question fondamentale. Un avocat qui n'a pas accès au dossier, c'est comme un médecin qui serait au chevet d'un patient sans pouvoir ni disposer des analyses, ni procéder à un examen clinique.
L'accès au dossier est essentiel pour le bon déroulement de la garde à vue. Il est tout aussi essentiel de rappeler que le procureur de la République a la possibilité de le refuser, mais par décision motivée.
La commission a émis un avis défavorable. Pour ce qui me concerne, s'agissant du rôle du procureur, je suis d'accord avec ce qu'a dit Mme Karamanli. S'agissant de l'accès de l'avocat au dossier, je balance. Ma proposition initiale le prévoyait. Une discussion a eu lieu au sein du groupe socialiste, sous la présidence de Jean-Marc Ayrault, et les avis étaient partagés. J'ai donc retiré l'accès au dossier de ma proposition de loi. Certains amis du groupe socialiste souhaitent le rétablir. Je vais voter cet amendement, qui reprend ma proposition initiale, mais la question fait débat, même au sein du groupe socialiste. C'est un sujet très compliqué.
Les praticiens savent que, le plus souvent, à ce stade de l'enquête, il n'y a pas encore de procédure formalisée. Je pense, monsieur le rapporteur, que c'est la raison pour laquelle vous aviez retiré cette disposition de votre texte. Il faut aussi être pragmatique.
En revanche, en prévoyant que l'avocat ait accès, au fur et à mesure, aux procès-verbaux d'audition, nous répondons, me semble-t-il, à la préoccupation de fond, qui est d'assurer l'efficacité de son rôle. Mais la pratique est telle que poser une règle comme celle-ci au départ de l'enquête ne correspond à rien de réel et d'utilisable.
On voit bien que, même au sein du parti socialiste, l'accès au dossier pose problème.
Sur un plan plus général, je constate que nous entrons dans le détail de la discussion. Les indicateurs de performance, l'accès au dossier, ce sont des sujets très importants, que nous expédions en quelques secondes.
Vous nous proposez, madame la garde des sceaux, de discuter de ces questions à l'occasion de la révision du code de procédure pénale. Si j'ai bien compris vos propos, la garde à vue fera l'objet du premier texte. En outre, ayant écouté attentivement tous les intervenants, je crois pouvoir dire que ce débat était de haute tenue ; nous étions tous animés du désir de réformer la garde à vue. Dès lors, je pense qu'il n'est pas bon d'expédier ainsi l'examen de ces amendements. Ne vaudrait-il pas mieux renvoyer ces sujets à une discussion plus approfondie. Si l'avocat n'a pas accès au dossier, à quoi va-t-il servir ? Sur quoi va-t-il s'appuyer ? On voit bien que ce sont là des questions importantes, et il me semble dommageable d'entrer dans le détail des procédures alors que nous aurons dans quelques semaines une discussion sur ces sujets qui mériteraient plus de nuance dans les jugements.
Et à quoi sert le groupe Nouveau Centre ?
(L'amendement n° 4 n'est pas adopté.)
Je suis saisie d'un amendement n° 6 .
La parole est à Mme Gisèle Biémouret.
Nous proposons qu'en matière de garde à vue, les auditions réalisées en dehors de la présence d'un avocat soient obligatoirement enregistrées, afin de pallier son absence.
Nous ne mettons pas en doute l'intégrité professionnelle des avocats. Mais il arrive qu'il leur soit difficile de se présenter à l'heure voulue au lieu de la garde vue. Je suis élue d'un département rural, le Gers. Un avocat dont le cabinet est situé à Auch doit faire plus de cinquante kilomètres pour se rendre à la gendarmerie de Marciac.
La commission a émis un avis défavorable. Le rapporteur émet un avis très favorable. Comment les avocats pourront-ils s'organiser pour être présents en garde à vue lorsque la gendarmerie ou le commissariat de police sont très éloignés ? Le problème se pose surtout pour les gendarmeries, en milieu rural. L'amendement est une façon de répondre à l'objection tout à fait justifiée de Mme la garde des sceaux concernant l'aspect pratique des choses. Si l'avocat ne peut pas être là, on enregistre.
J'ajoute qu'en Espagne, en matière de terrorisme, un avocat désigné est présent pendant la garde à vue. En Espagne toujours, si l'avocat choisi par le gardé à vue ne s'est pas présenté au bout de huit heures, l'interrogatoire peut commencer. Nous, nous prévoyons qu'il peut commencer et qu'il est enregistré. Encore une fois, cela répond, madame la garde des sceaux, à l'objection que vous avez soulevée quant à la faisabilité de cette réforme.
Je ne vais pas dire que la proposition n'est pas intéressante, puisqu'elle rejoint en partie certains éléments du futur code. Mais cet amendement prévoit un enregistrement systématique en l'absence de l'avocat, même si la personne refuse l'assistance d'un avocat, ce qui peut paraître trop rigide.
Là encore, c'est un sujet dont nous allons discuter, à la fois sur les principes et sur l'aspect pratique, lorsque nous aborderons l'examen du texte général. C'est certainement une idée à laquelle il faut réfléchir. Mais il faut, plus que dans cet amendement, en voir les limites et les contraintes. C'est la raison pour laquelle j'émets un avis défavorable, tout en précisant que la voie est ouverte à certaines réponses.
(L'amendement n° 6 n'est pas adopté.)
Je suis saisie d'un amendement n° 7 .
La parole est à M. Dominique Raimbourg.
Il s'agit d'organiser la présence de l'avocat lors de l'audition. Nous avons prévu qu'il aurait la possibilité de poser des questions, comme c'est actuellement le cas devant les magistrats instructeurs. L'officier de police judiciaire pourrait, comme le magistrat instructeur, s'opposer à certaines de ces questions, à condition de mentionner au procès-verbal celles qu'il refuse.
Cet amendement vient clore, ou presque, la série de ceux que nous avons présentés, et qui constituent un ensemble homogène permettant de décliner pratiquement la proposition de principe de notre collègue André Vallini. Nous avions là un tout parfaitement cohérent, et il est dommage que ces amendements soient rejetés et que nous repoussions à plus tard la mise en place de cette réforme importante. Mais ainsi va la vie…
Avis défavorable de la commission et favorable pour ce qui me concerne.
Le futur projet de loi prévoit cette intervention de l'avocat en cas de prolongation de la garde à vue. Par contre, il semble irréaliste de la permettre dès le début de la garde à vue.
(L'amendement n° 7 n'est pas adopté.)
Je suis saisie d'un amendement n° 5 .
La parole est à M. Alain Vidalies.
Nous avons tous évoqué les dérives, dans les faits, de la garde à vue. Nous avons tous constaté que cette question était majeure, parce qu'il s'agit quand même de priver quelqu'un de sa liberté.
Cet amendement concerne la prolongation de la garde à vue. Aujourd'hui, d'une manière trop systématique, cette prolongation, qui se fait sans présentation de la personne au magistrat mais par un simple contact avec le parquet, est utilisée pour aboutir à la mise en condition du gardé à vue. Chacun, y compris Mme la ministre, a évoqué les problèmes qui se posent, touchant à la dignité de la personne.
L'une des réponses que nous proposons, et qui vient compléter notre proposition de loi, c'est de prévoir que la prolongation ne peut être décidée qu'avec l'accord d'un magistrat, mais un magistrat auquel la personne serait présentée. C'est une mesure de bon sens, et qui pourra éviter les dérives que nous avons presque tous dénoncées.
L'avis de la commission est défavorable. Pour ma part, je voterai cet amendement. Et je m'inscris ainsi dans la suite des propos qu'a tenus Claude Goasguen. Même si certains contestent encore que la garde à vue soit une phase du procès pénal, le fait est qu'elle s'est judiciarisée au fil des décennies. Ce n'est plus une mesure administrative, c'est maintenant une mesure totalement judiciaire. Il faut aller jusqu'au bout de la logique, et prévoir la présence des magistrats beaucoup plus que ce n'est le cas aujourd'hui.
J'hésite ; c'est un point qui mérite réflexion. Cela dit, je pense qu'il faut une étude d'impact sur les conséquences pratiques de cette mesure, notamment en termes de lourdeur des procédures ou encore de délais. Dans l'immédiat, j'émets un avis défavorable, tout en considérant qu'il y a peut-être quelque chose d'intéressant dans cette idée, sur laquelle je suis prête à travailler.
(L'amendement n° 5 n'est pas adopté.)
(L'article unique n'est pas adopté.)
Je suis saisie d'un amendement n° 8 , portant article additionnel après l'article unique.
La parole est à M. Dominique Raimbourg.
Cet amendement est le dernier pan de l'édifice que nous avions bâti pour organiser et mettre en pratique le droit à la présence d'un avocat lors de la garde à vue.
Il est prévu que l'avocat puisse s'entretenir avec le gardé à vue à la première heure, à la douzième heure, à la vingt-quatrième heure, et à la trente-sixième heure. Cela permet de faire en sorte que cette présence ne perturbe pas les enquêtes.
Avis défavorable de la commission, et favorable en ce qui me concerne.
Je reprends le mot de cohérence, qui a été employé tout à l'heure par Dominique Raimbourg. Ma proposition minimale, enrichie de tous les amendements du groupe socialiste, présente vraiment une cohérence d'ensemble. La plupart des orateurs de la majorité ont dit qu'il fallait faire ce que nous proposons, que c'est opportun, que c'est nécessaire, que cela va dans le bon sens. Tout le monde est d'accord. Pourtant, vous avez rejeté tous les amendements et vous allez rejeter le texte. La cohérence, elle est vraiment de ce côté-ci de l'hémicycle. Et j'en suis profondément désolé.
Monsieur Vallini, la cohérence, c'est d'abord être en accord avec soi-même. Vous ne pouvez pas déplorer sans arrêt que certains textes soient ponctuels, vous plaindre de rajouts incessants, de modifications perpétuelles, et ensuite présenter vous-même un texte ponctuel alors qu'on vous propose une réforme globale, et sans délai.
Le texte du projet de loi est sur internet depuis quinze jours. Et là encore, soyez cohérent. Vous ne pouvez pas me reprocher régulièrement de ne pas faire assez de concertation, et me reprocher aujourd'hui de prendre deux mois pour une concertation. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) La cohérence, c'est présenter un texte global, qui aborde largement tous les sujets, en faisant participer à son élaboration tous ceux qui ont quelque chose à apporter.
Mais pour l'instant, on ne touche à rien ! Pour vous, c'est tout ou rien !
Et la cohérence, monsieur Emmanuelli, c'est aussi, moyennant ce que j'ai expliqué jusqu'à présent, de dire non à cet amendement. M. Raimbourg me le pardonnera.
Madame la garde des sceaux, je ne suis pas sûr qu'il appartienne à un ministre du Gouvernement d'expliquer à un groupe politique de l'Assemblée comment se comporter (Exclamations sur les bancs du groupe UMP),…
…en particulier pour ce qui concerne les textes que ce groupe décide d'inscrire à l'ordre du jour des journées d'initiative parlementaire prévues par notre règlement.
Je constate que nous pourrions nous accorder sur un texte relatif à un sujet d'actualité auquel l'opinion est sensible mais que nous n'y parvenons pas.
Vous voulez prendre le temps de mener une concertation sur votre projet de loi ; c'est très bien. Mais nous savons que le parcours parlementaire de ce texte sera long : les discussions succéderont aux votes, et nous attendrons les décrets d'application. Tout cela prendra beaucoup de temps.
Vous avez aujourd'hui, avec cette proposition de loi, la possibilité d'être cohérent et de mettre en oeuvre immédiatement un texte qui, nous le savons tous, fait l'objet d'un accord unanime. Ne nous donnez donc pas de leçon de cohérence ; ce matin elle est de ce côté de l'hémicycle ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Mes chers collègues, nous avons travaillé jusqu'à maintenant dans la sérénité, je propose que nous continuions de nous écouter les uns les autres.
Monsieur Valls, ce que vous venez de dire est assez injuste. Il est arrivé que certains débats ne donnent pas lieu à de véritables échanges contradictoires, mais cela n'a pas été le cas aujourd'hui. La qualité de nos débats devrait vous inciter à mesurer vos propos.
Sur ce sujet, nous n'avons pas les mêmes avis en opportunité, même si, sur le fond, nos positions ne sont pas si éloignées. L'argument de Mme la ministre d'État me semble être tout à fait recevable car il est clair qu'il faut non seulement inclure la garde à vue dans le code de procédure pénale mais que la place de l'avocat au cours de celle-ci pose d'autres problèmes juridiques.
Cohérence pour cohérence, je vous signale que votre amendement n° 8 est en contradiction totale avec votre proposition de loi. Cette dernière rend obligatoire l'intervention de l'avocat à la première heure alors que votre amendement prévoit que la personne gardée à vue « peut demander à s'entretenir avec son avocat à la douzième heure », etc.
Certes, mais je vous le demande néanmoins avec humour : où est la cohérence ?
Notre débat est apaisé, il a été intéressant et il prélude à l'examen d'un projet de loi qui permettra d'assurer, comme le souhaitent la plupart des parlementaires, une véritable présence de l'avocat lors de la garde à vue. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Je ne veux pas engager de polémique et je regrette que les derniers propos de Mme Alliot-Marie aient altéré la sérénité d'un débat intéressant.
Madame la ministre, vous avez vous-même contribué à ce débat en dialoguant avec nous et en reconnaissant que nous posions un problème bien réel. Nous proposons aujourd'hui une solution concrète, pratique et immédiatement applicable, mais vous renvoyez le sujet à une réforme ultérieure beaucoup plus ample, dont certains éléments provoquent un large débat et de nombreuses oppositions – je pense notamment à la suppression du juge d'instruction alors qu'est maintenue la dépendance hiérarchique du parquet.
La question de la garde à vue pouvait parfaitement être réglée de façon spécifique. Vous voulez la traiter dans un texte global. Je vous pose donc une question simple afin d'éviter la polémique : quand le Gouvernement entend-il inscrire à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale le projet de loi que vous avez mis en ligne ?
Monsieur le président Ayrault, je ne fais pas de polémique, je réponds seulement sur le ton qu'utilisent ceux qui s'adressent à moi. Cela a toujours été l'un de mes grands principes.
Je vous répète que je me tiens au calendrier que j'ai annoncé. Avec le groupe, nous avons voulu que se déroule une concertation sur la base d'un texte réel pour que celui-ci puisse vraiment être enrichi. Cette concertation a commencé il y a quinze jours et elle est prévue pour deux mois, étant entendu que je ne suis pas à une semaine près.
Nous aurons donc les résultats de la concertation au début du mois de mai. Le groupe de travail qui réunit autour de moi des magistrats, des avocats, des universitaires et des parlementaires de la majorité comme de l'opposition, aura ensuite besoin d'environ quinze jours pour intégrer au texte les amendements qui paraîtront intéressants dans la logique qui est la nôtre. Un avant-projet de loi sera donc transmis au Conseil d'État vers le 15 mai. Compte tenu des délais nécessaires et du fait qu'il s'agit tout de même d'un texte volumineux, il pourrait être inscrit à l'ordre du jour du conseil des ministres au mois de juin et déposé sur le bureau des assemblées au début de l'été, fin juin ou début juillet.
Les 720 articles devront nécessairement être examinés en plusieurs fois par les commissions des lois des deux assemblées. Je demanderai donc à leurs présidents respectifs quelles dispositions ils souhaitent débattre en premier ; ce pourra être celles relatives à la garde à vue. Le délai réglementaire de six semaines entre le dépôt d'un projet de loi et son examen permettra donc une inscription à l'ordre du jour au début de la session parlementaire, voire au début de la session extraordinaire.
Cela dit, je ne suis pas seule maître de l'ordre du jour des assemblées, et je ne voudrais pas empiéter sur les compétences du bureau de l'Assemblée nationale.
J'espère seulement que le Conseil constitutionnel et la Cour de Strasbourg ne déclareront pas dans les mois qui viennent que la garde à vue « à la française » est non conforme à la Convention européenne des droits de l'homme.
Madame la ministre, c'est une épée de Damoclès au-dessus de votre tête : il serait vraiment dommage pour notre pays et pour son image que le Conseil constitutionnel, dont Claude Goasguen rappelait qu'il a été saisi, ou la Cour européenne des droits de l'homme se prononce en ce sens.
(L'amendement n° 8 n'est pas adopté.)
Nous avons achevé l'examen de la proposition de loi.
Je rappelle que la Conférence des présidents a décidé que les explications de vote et le vote, par scrutin public, sur l'ensemble de la proposition de loi auront lieu le mardi 30 mars, après les questions au Gouvernement.
L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi constitutionnelle de M. Jean-Marc Ayrault et plusieurs de ses collègues, visant à accorder le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales aux étrangers non ressortissants de l'Union européenne résidant en France (nos 2223, 2371).
La parole est à Mme Sandrine Mazetier, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État à la justice, chers collègues, communauté de vie, communauté de destin, communauté de droit : c'est ainsi que nos concitoyens considèrent, avec raison, la question du droit de vote des étrangers aux élections locales. Aussi se déclarent-ils majoritairement favorables à la proposition de loi constitutionnelle que le groupe SRC a déposée et dont j'ai honneur d'être la rapporteure. Selon le sondage réalisé par l'institut CSA le 13 janvier dernier pour la Lettre de la citoyenneté, 55 % des personnes interrogées sont favorables au droit de vote et d'éligibilité aux élections locales pour les étrangers. Ainsi, ceux qui pensent sincèrement que l'opinion publique ne serait pas mûre se trompent, sans parler de ceux qui utilisent cet argument comme prétexte.
Aussi, constatant qu'à plusieurs reprises le Président de la République lui-même, ainsi que des membres du Gouvernement et de la majorité, se sont tour à tour déclarés favorables à ce principe, le groupe SRC a décidé de tendre la main en proposant à l'Assemblée de voter une loi constitutionnelle qui pourrait enfin permettre de concrétiser ces intentions affichées.
Nous avons déposé la même proposition de loi constitutionnelle que celle qui avait été adoptée, ici même, au siècle dernier. Celle-là même que vous aviez votée, monsieur le secrétaire d'État à la justice, lorsque vous étiez député de la cinquième circonscription du Haut-Rhin. Elle consiste à accorder pour les élections municipales les mêmes droits de vote et d'éligibilité aux ressortissants étrangers non communautaires qu'aux ressortissants étrangers communautaires.
À ceux qui disent que cela constitue une provocation, nous répondons qu'au contraire nous avons fait le choix de proposer un dispositif limité, tant par rapport à la proposition de loi qu'avait magnifiquement défendue à cette tribune Bernard Roman en 2002, que par rapport aux amendements présentés en 2008 par le groupe socialiste lors des débats sur la réforme de la Constitution.
À ceux qui disent que cette idée est un serpent de mer puisqu'elle était déjà présente dans les 110 propositions du premier et, à ce jour, unique président de gauche de la Ve République, je réponds que j'étais loin d'être majeure et d'avoir le droit de vote en 1981, alors que cette idée était ultra-minoritaire, mais que c'est l'honneur de la gauche et des socialistes de l'avoir portée contre vents et marées, durablement et continûment du XXe au XXIe siècle.
À ceux-là, je rappelle aussi qu'en 1981, on était loin d'imaginer que le droit de vote et d'éligibilité serait accordé sur le papier bien des années plus tard aux ressortissants de l'Union européenne dans le traité de Maastricht, et qu'il faudrait encore bien des années pour que ce principe puisse s'appliquer, grâce à Lionel Jospin et au vote d'une loi organique en 1998.
Il aura donc fallu dix-sept ans, soit près d'une génération d'électeurs, pour que ce principe audacieusement proposé par François Mitterrand fasse son chemin et trouve une traduction concrète dans notre droit électoral, même si, pour le moment, cette dernière reste étroite !
« La démocratie jusqu'au bout », disait Jaurès. « La démocratie jusqu'au bout », rappelait Bernard Roman en 2002. Mes chers collègues, la démocratie jusqu'au bout, c'est encore, toujours et pour l'éternité, le combat des socialistes et de la gauche. C'est aussi le combat de la France depuis plus de deux siècles qu'elle a choisi de se confondre avec la République.
Dans le pays des Lumières et de la Révolution française, qui a inscrit dans les premiers mots du préambule de sa Constitution que « le peuple français proclame solennellement son attachement aux droits de l'homme » ; dans cette nation, la nôtre, pétrie d'égalité et d'universalisme, comment comprendre plus longtemps, comment expliquer rationnellement que certains de nos voisins de palier, de nos collègues de travail, des parents des camarades de classe de nos enfants soient privés du droit de vote aux élections locales ?
Et pourtant cette nation qui chérit les valeurs de la République et ne vibre jamais autant que lorsqu'elle les propose au monde entier, cette nation est progressivement en train de devenir la lanterne rouge des grandes démocraties européennes, pour ne pas dire mondiales.
Au point que l'on peut se poser la question suivante – et je vous demande en cet instant de vous la poser, chers collègues : cette stagnation et ce retard par rapport aux grandes démocraties ne participent-ils pas confusément au sentiment de déclin, de déclassement, ou à tout le moins de doute, qui étreint nos concitoyens sur la place et le rang de la France dans le monde, et sur sa mission historique ?
Où est cette nation qui, en 1792, lançait un appel d'offres à l'univers, une invitation mondiale aux amis de la liberté et de l'égalité pour qu'ils présentent leurs vues sur la Constitution à donner à la France ?
Je crois qu'elle est ici, dans cet hémicycle, et au delà. C'est ce souffle, cette ambition, ce rêve fou, qui sommeille, j'en suis sûre, chez tout républicain sincère, que nous voulons réveiller. Sur tous les continents, ce droit de vote des étrangers aux élections locales existe. Réveillons-nous, retrouvons la République !
Que ceux que le souffle si fragile et si endurant à la fois de la démocratie dans le monde ne convainc pas, ou n'intéresse pas, considèrent la situation actuelle dans l'hexagone, et qu'ils osent soutenir qu'il est parfaitement normal et rationnel, dans le pays de Descartes, qu'un Lituanien présent en France depuis six mois puisse participer aux élections municipales, mais qu'un Marocain ou un Sénégalais présent depuis vingt ans dans la même ville ne le puisse pas !
Quant à ceux qui évoquent des problèmes de souveraineté, je rappelle que cette proposition de loi constitutionnelle, si elle était adoptée par notre assemblée et par le Sénat, devrait nécessairement être soumise à référendum, et que la souveraineté nationale, selon l'article 3 de notre Constitution, « appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum ».
Ce retard pris, cette forme d'anachronisme, a de multiples conséquences.
D'abord en termes de représentation. La population majeure étrangère non communautaire ne représente que 3,5 % de la population en France, mais elle n'est pas également répartie sur le territoire et réside principalement dans les zones de grandes concentrations de population, en particulier dans les trois grandes régions métropolitaines, et principalement en Île-de-France. Aujourd'hui, tous les élus locaux et les maires des communes de ces territoires s'interrogent et essaient de trouver des solutions pour associer à la délibération collective ces administrés présents, actifs et investis dans la vie de la cité, mais officiellement privés de droit de cité.
Au reste, le nombre des élus municipaux et les dotations aux collectivités sont calculés en fonction de la population et non du nombre d'inscrits sur les listes électorales. La seule façon de remédier à cette rupture d'égalité entre les citoyens d'une même cité, c'est de consacrer, enfin, la citoyenneté de résidence.
Surtout, je souhaiterais évoquer la question de la participation électorale. J'ai rendu ce rapport avant les élections régionales, mais les scrutins des dimanches 14 et 21 mars 2010 n'ont fait qu'amplifier un phénomène déjà ancien : la participation est en chute libre partout, et singulièrement dans les grandes concentrations urbaines et les quartiers populaires, là où vivent la population étrangère et des générations de Français issus de l'immigration.
Nul ne peut prétendre donner une explication unique, univoque, à cette abstention, déjà sensible en 2008 aux élections municipales. Mais les faits sont là : au premier tour des régionales, moins d'un électeur sur deux a voté. Je le répète, il n'existe pas une explication univoque à cette abstention. Toutes et tous, vous avez, comme moi, fait maintes fois la tournée des bureaux de vote lors d'un scrutin. Vous y avez certainement vu des parents avec leurs enfants ; peut-être avez-vous vous-même, un jour, amené vos enfants voter avec vous. En effet, si le vote est un droit, c'est aussi un rituel civique dont on hérite, ou pas. Que ressentent les électeurs dont les parents sont privés de ce droit ? Quel rapport à l'idée même de politique, c'est-à-dire, étymologiquement, à la vie de la cité, cela induit-il ?
Quand, dans des quartiers entiers, les grands-parents et parents d'électeurs français sont privés du droit de vote, le rite ne se transmet plus, et les doutes, les colères et les aspirations trouvent d'autres voies pour s'exprimer. Les élus du peuple que nous sommes ne sauraient s'y résigner. En tout cas, nous, nous ne l'acceptons pas. C'est donc également dans le souci de revitaliser notre démocratie représentative que je vous propose de voter ce texte. Cessons de fabriquer des Français défiants envers les institutions de la République !
À ceux qui disent que cette proposition de loi n'a aucune chance de passer et que nous avons donc tort de l'examiner, je rappelle que cette assemblée a débattu pour la première fois en 1906 d'un texte proposant d'accorder le droit de vote aux femmes. Elle en a délibéré à dix-neuf reprises et l'a même voté à six reprises. Mais il a fallu un demi-siècle pour que, dans ce pays, la moitié de l'humanité se voie reconnue dans ses droits civiques.
Nous sommes patients et déterminés. Je n'oublie pas que la grand-mère de la députée que je suis a passé une partie de sa vie adulte privée de ce droit (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC) et que c'est le général de Gaulle qui le lui a accordé.
Puisque j'évoque le général de Gaulle, je souhaiterais, pour conclure, citer André Malraux, qui disait : « La France n'est elle-même que lorsqu'elle est la France pour tous les hommes. » (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Madame la présidente, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les députés, cette proposition de loi n'est pas anodine, puisqu'il s'agit de renverser une tradition juridique et politique vieille de deux siècles, qui réserve aux seuls Français l'exercice des droits politiques.
Cette tradition est sous-tendue par des justifications fortes. Il existe en effet dans notre pays un lien consubstantiel entre la nationalité française et le plus sacré des droits politiques, le droit de vote, et son corollaire naturel, le droit d'éligibilité.
Cette tradition – vous y avez fait allusion, madame la rapporteure – a reçu, en 1992, une unique exception, afin de permettre aux ressortissants communautaires résidant dans notre pays de participer aux élections municipales et européennes. Cette exception s'explique, compte tenu des liens qui nous unissent à nos partenaires européens et de la réciprocité qui régit nos relations, par la communauté de destin qui, depuis 1957, s'est construite, étape après étape, entre les peuples d'Europe, au plan économique, puis au plan politique. Elle est la manifestation tangible de cette « citoyenneté de l'Union » qui figure désormais à l'article 8 du traité sur l'Union européenne et qui s'ajoute à la citoyenneté nationale sans la remplacer. Ce n'est pas une justification anodine, et je tenais à le rappeler.
En 1981, vous étiez favorable au droit de vote des étrangers, monsieur le secrétaire d'État. C'était une des 110 propositions du candidat Mitterrand !
Madame Dumont, nous allons écouter M. le secrétaire d'État, si vous le voulez bien.
Ils peuvent ne pas m'écouter ; j'exposerai néanmoins mes arguments et je préciserai quelle est mon opinion personnelle.
Alors, ne me la demandez pas.
Il est légitime que l'acquisition du droit de vote soit liée à l'acquisition de la nationalité française. À cet égard, je voudrais dire mon désaccord avec la position des auteurs de cette proposition de loi constitutionnelle, qui stigmatisent la prétendue étroitesse d'esprit de ceux qui présentent la naturalisation comme le meilleur moyen d'accéder au droit de vote. En effet, récuser la naturalisation comme marche d'entrée dans la citoyenneté, c'est faire peu de cas de tous ceux qui se lancent dans cette démarche positive pour devenir nos compatriotes.
Nous sommes plusieurs ici à avoir, en tant que maires, solennisé cette démarche, en organisant des moments forts pour marquer l'acquisition de la nationalité française et nous pouvons témoigner de l'importance que cette cérémonie revêt pour les personnes concernées. Je rappelle que plus de 90 000 personnes, en 2008 comme en 2009, sont ainsi devenues françaises par décret, auxquelles il convient d'ajouter plus de 40 000 personnes devenues françaises par déclaration, au terme d'une démarche également volontaire.
C'est une chose de conférer un droit nouveau aux étrangers résidant en France ; c'en est une autre de s'engager volontairement dans la démarche de devenir Français. Cette démarche est porteuse de sens. Elle témoigne de l'adhésion à une nouvelle communauté de destin. La France, fidèle à sa tradition, peut s'enorgueillir de ces nouveaux citoyens. Elle est en droit de leur réserver l'accès aux droits civiques et de demander à ceux qu'elle accueille sur son territoire, s'ils veulent prendre une part active à la vie politique et électorale, d'engager les démarches nécessaires à leur naturalisation.
C'est là, également, une part essentielle de notre politique d'intégration, qui concilie fermeté et générosité, laquelle ne peut se résumer à des gestes en direction des étrangers résidant sur notre sol. Elle doit être accompagnée d'une volonté d'intégration. En matière politique, bien plus qu'ailleurs, cette volonté doit être fermement exprimée.
Par ailleurs, je voudrais contester la notion de citoyenneté de résidence, contenue dans la proposition de loi. La citoyenneté ne peut pas se fonder sur la résidence. Nous ne sommes pas, en effet, un pays de cités-États. Le fait de résider dans une commune ne peut fonder, en soi, un droit politique, pas plus d'ailleurs que le fait de payer des impôts — ce qui serait une forme de suffrage censitaire – ou d'être engagé dans la vie associative, ce qui est par ailleurs très respectable.
Le droit de vote n'est pas la contrepartie de tout cela. Le droit de vote est quelque chose de beaucoup plus profond. Je ne peux, dès lors, qu'en revenir à mon propos initial : seule l'acquisition de la nationalité, qui témoigne d'un attachement particulier à la France et de la volonté d'entrer dans son histoire, non pour quelque temps, mais pour le reste d'une vie, justifie l'octroi du droit de vote.
Élu d'un territoire où résident de nombreuses personnes étrangères représentant plus de cent nationalités, je connais bien, comme d'autres, ici présents, les termes de ce débat. J'ai toujours été réticent à l'idée que l'acquisition du droit de vote serait la condition d'une meilleure intégration et d'une amélioration du vivre ensemble. Personnellement, je n'y crois pas, sauf si, comme je viens de le dire, les personnes concernées s'engagent dans une démarche volontaire.
Nous connaissons tous les difficultés actuelles liées à la nécessité pour chacun de trouver sa place dans la société. Si elle était adoptée, la mesure qui nous est proposée comporterait un certain nombre de dangers et pourrait produire des effets pervers. Je pense aux risques de dérives clientélistes ou d'encouragement de démarches communautaristes. Certes, ces phénomènes existent déjà et je ne veux procéder à aucun amalgame. Je ne prétends pas qu'ils soient liés à votre proposition et je ne doute pas que celle-ci vise à améliorer la cohésion nationale. Mais je ne crois pas qu'elle permettrait d'atteindre cet objectif.
Encore une fois, je suis, depuis plus de vingt ans, élu d'une ville où ce débat existe et je suis intimement convaincu que votre proposition n'est pas une bonne réponse. Je suis persuadé, au contraire, que ce sont l'acquisition de la nationalité, la naturalisation et la forme qu'elle revêt actuellement – j'ai participé aux travaux du Haut conseil à l'intégration sur ces questions – qui permettront de renforcer la cohésion nationale, le vivre-ensemble et l'aspiration à approfondir la citoyenneté. Quelles que soient les bonnes intentions qui vous animent, votre proposition de loi ne saurait, si elle était adoptée, atteindre cet objectif.
La position du Gouvernement est donc conforme à la tradition de notre République. Elle est généreuse, car elle tend à élargir la communauté nationale. Elle est également exigeante, car elle demande, au terme d'un cheminement personnel, de faire en toute responsabilité un choix qui engage une vie.
Fidélité à la République, générosité et exigence : c'est ainsi que nous concevons le droit de vote. Il se mérite au travers d'une démarche personnelle de ceux qui ont décidé de s'établir dans notre pays et ne se confère pas par une mesure générale et impersonnelle. C'est pourquoi je vous demande de bien vouloir rejeter la proposition de loi constitutionnelle qui vous est soumise.
Mes chers collègues, nous allons maintenant entamer la discussion générale. Certains d'entre vous m'ont fait savoir qu'ils souhaitaient intervenir ce matin. L'équation que nous avons à résoudre est simple : il est midi vingt-cinq et il est prévu que la discussion générale dure une heure quinze. Je vous laisse vous organiser en conséquence.
La parole est à M. Jean-Paul Garraud, pour dix minutes.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, Mme Sandrine Mazetier, rapporteure de la présente proposition de loi constitutionnelle, nous a brossé un tableau quasi idyllique de la situation sociale, humaine, démocratique, culturelle, juridique et même économique qui devrait immanquablement nous conduire à entériner cette évolution de notre société consistant à accorder le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales aux étrangers non ressortissants de l'Union Européenne.
En clair, il y aurait, d'un côté, les humanistes, les grands démocrates, nécessairement de gauche, et de l'autre, les conservateurs rétrogrades, campés sur des modèles complètement dépassés. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe SRC.)
D'un côté, les bons sentiments, la générosité, l'intelligence ; de l'autre, le manque de clairvoyance et la résurgence d'idées, de notions ambiguës qui, finalement, encourageraient les discriminations.
Au reste, vous n'hésitez pas à comparer ceux qui s'opposent à cette vision, que vous qualifiez de progressiste, à ceux qui refusaient de donner le droit de vote aux femmes, tardivement acquis, grâce au général de Gaulle, en 1944.
En définitive, il faudrait passer de l'ombre à la lumière et s'engager résolument dans la voie du progrès assimilable à cette citoyenneté plurielle que vous appelez de vos voeux.
Au risque de vous déplaire, c'est résolument et sans aucun complexe que le groupe UMP votera contre votre proposition de loi.
Comme je l'avais souligné lors de l'examen du texte en commission des lois, il n'est pas question de stigmatiser qui que ce soit et de nier l'apport que constituent pour notre pays les étrangers qui veulent sincèrement s'y intégrer, respecter notre culture, les lois et les valeurs de la République, y travailler, apprendre notre langue, y fonder une famille.
Les étrangers ont vu, et c'est bien normal, progresser leurs droits dans l'entreprise, les syndicats, les élections professionnelles, l'université, les associations. Les milliers de personnes qui, tous les ans, s'installent en France dans cet esprit, le savent. Nous sommes et resterons une terre d'asile ouverte aux cultures, aux opinions et aux croyances, ouverte aux communautés, avec la seule mais très importante restriction de ne pas remettre en cause notre union et notre souveraineté nationales.
En effet, la France n'est pas l'adjonction d'intérêts particuliers et catégoriels, elle n'est pas une mosaïque de communautés indépendantes les unes des autres. Elle est une et indivisible, cimentée sur un socle commun républicain, dont la nationalité et la langue sont des pivots essentiels. C'est déjà sur cet aspect que votre proposition de loi pose problème : pour nous, citoyenneté et nationalité sont indissociablement liées.
Pour voter, il faut être français. (« Non ! » sur les bancs du groupe SRC.)
La citoyenneté que vous qualifiez de « plurielle » est, comme la « gauche plurielle », une vue de l'esprit. C'est la somme d'intérêts particuliers, quelquefois complètement antagonistes, animés par des objectifs plus ou moins avouables comme la conquête du pouvoir – la fin justifie en quelque sorte les moyens.
Votre texte est en réalité inspiré par une démagogie qui se nourrit de « politiquement correct » et vise à nous mettre dans l'embarras, à nous culpabiliser. La ficelle a beau être grosse, vous l'utilisez sans arrêt !
Bien sûr, certains de vos arguments peuvent porter : il est vrai que des brèches ont été ouvertes dans la citoyenneté, à commencer par les suites, sur ce plan, du traité de Maastricht, qui ont conduit à accorder le droit de vote pour les élections municipales et européennes aux étrangers membres de l'Union européenne.
L'esprit de ces mesures était d'encourager une citoyenneté européenne qui, en fait, n'a abouti qu'à créer des sortes de demi-citoyens. En effet, si le droit de vote et d'éligibilité est reconnu, il n'est pas total. La personne de nationalité étrangère ressortissante de l'Union peut voter et être élue, sauf en qualité de maire ou adjoint, car elle ne peut participer à l'élection des sénateurs sous peine de remettre en cause la souveraineté nationale. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Autre importante restriction : ce droit de vote et d'éligibilité n'est reconnu pour les étrangers communautaires qu'en cas de réciprocité entre les autres pays de l'Union. En fait, voilà les deux principes posés, y compris par le traité de Maastricht : la souveraineté nationale et la réciprocité.
Alors, pourquoi donner plus de droits aux étrangers non communautaires qu'aux étrangers communautaires ? Et pourquoi donner le droit de vote à ces étrangers à l'Union européenne alors que, dans les cas que vous évoquez, ils peuvent obtenir d'abord et avant tout la nationalité française ? Pour quelle raison voudraient-ils voter sans être français ?
J'avoue ne pas comprendre, à moins qu'il ne s'agisse que de bénéficier de droits sans se reconnaître de devoirs. Être français est un honneur, une fierté, la phase ultime de reconnaissance du partage des valeurs communes de la démocratie. Comment peut-on envisager, alors que l'on se trouve dans les conditions de la naturalisation, de ne pas la demander pour réclamer un droit de vote qui est dans l'essence même de la nationalité française ? C'est totalement contradictoire et incompréhensible.
Et la réciprocité, qu'en faites-vous ? Pourquoi donner en France le droit de vote et d'éligibilité à des étrangers non communautaires alors que les Français, placés dans les mêmes conditions, ne bénéficient pas de ce droit dans les pays d'origine de ces étrangers ?
Tout comme nous l'avons fait pour les pays membres de l'Union, commençons donc par des accords internationaux de réciprocité sur ce droit de vote, avant que de fixer d'une façon unilatérale les choses en France. À moins que vous ne vous estimiez infiniment supérieurs et plus « progressistes » que nos amis étrangers à qui vous ferez une sorte de leçon de démocratie « à la française », comme au siècle des Lumières – auquel vous vous êtes référée tout à l'heure, madame Mazetier.
N'oublions pas non plus que la plupart des pays que vous citez en exemple, tels l'Espagne et le Portugal, n'ont accordé ce droit de vote que sous réserve de réciprocité, ou parce que l'acquisition de la nationalité, comme en Suède, est quasi impossible pour un étranger, ou encore parce qu'un contexte historique bien particulier expliquait cette mesure. Ainsi l'Irlande, après avoir connu une émigration massive, a favorisé une politique d'immigration bien compréhensible.
N'oublions en effet jamais le contexte historique, y compris le nôtre. Vous citez 1789, la notion de citoyen du monde dépassant de loin la simple nationalité française, la patrie « communauté des affections » selon Saint-Just, le terme « nationalité », qui n'existait pas au moment de la Révolution, la conception dite « ouverte » de la citoyenneté qui ne la lierait pas à la nationalité, la constitution de 1793 qui invoque les étrangers ayant « mérité de l'humanité » – sauf que cette constitution n'a jamais été appliquée…
…et que les idéologues révolutionnaires pétris d'humanisme ont, en fait, engendré l'une des périodes les plus sombres de notre histoire, la Terreur, et, si vous me permettez l'expression, sont vite redescendus sur terre au moment même où ils perdaient leur tête. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Enfin, et c'est de bonne guerre, si j'ose la transition, vous cherchez à nous mettre en difficulté en invoquant certaines personnalités de notre majorité qui se seraient déclarées favorables à ce droit de vote des étrangers non communautaires.
Cela ne vous gêne pas de ne pas être d'accord avec le Président de la République ?
D'abord parce qu'il faudrait bien vérifier les termes employés qui, sortis de leur contexte, peuvent avoir une autre signification ; ensuite parce que, et c'est un gage de bonne démocratie, les avis peuvent différer, y compris dans la majorité ; enfin parce qu'il ne s'agissait en aucune façon d'un engagement dans le cadre du programme présidentiel, mais d'un simple avis personnel, assez nuancé d'ailleurs, du candidat Nicolas Sarkozy. Rien à voir avec les propositions en bonne et due forme faites sur ce point par François Mitterrand en 1981 – qui, malgré deux septennats, s'est empressé de ne pas les respecter !
Quant à invoquer un prétendu manque de maturité de nos concitoyens sur cette question qui nécessiterait un peu plus de temps de réflexion, je ne suis pas du tout d'accord : ce n'est pas une question de temps, c'est une question de principe. Si on dissocie nationalité et citoyenneté, si on met en cause l'union et la souveraineté nationales, on court à la catastrophe (Exclamations sur les bancs du groupe SRC), surtout au moment où nos concitoyens manquent de repères, de culture politique, perdent de vue certaines valeurs fondamentales, et où notre démocratie se heurte à des communautarismes et des intégrismes. Ce n'est donc vraiment pas le moment d'en rajouter, surtout que notre législation est très armée pour lutter efficacement contre toute forme de discrimination et d'inégalité.
Enfin, il y a une certaine incohérence et même une absurdité à prôner le vote des étrangers non communautaires au moment même où la moitié des électeurs français ne se sont même pas déplacés pour voter aux dernières élections régionales ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Sérieusement, ne pensez-vous pas que nous devrions plutôt nous consacrer à faire comprendre à nos concitoyens toute l'importance de leur droit de vote pour l'exercice de la démocratie avant que de débattre du vote en France des étrangers ?
Au lieu d'un débat d'avance, vous avez en fait un débat de retard. Ce n'est certainement pas de cette manière que les Français se réconcilieront avec la politique. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, en écoutant M. Garraud, j'ai parfois eu le sentiment que tout en étant dans le même hémicycle, nous ne vivions pas dans le même pays.
Oui, notre pays est en crise ; oui, la République est en crise. Le Président de la République a lancé, il y a quelques mois, un grand débat sur l'identité nationale, ce qui veut bien dire que l'idée de nation n'est pas forcément conçue de la même façon par tout le monde dans notre pays.
J'ai moi-même participé à plusieurs de ces débats, notamment en préfecture. Certains de nos concitoyens, qui vivent sur le sol français depuis cinq, dix, vingt, parfois cinquante ans, aimeraient bien que les grands principes de liberté, d'égalité et de fraternité, les grands principes de citoyenneté et de démocratie voulus par la République française soient enfin mis en oeuvre.
Nous devons être attentifs à ce qu'ils disent. Vous disiez ne pas comprendre le lien entre abstention et vote des étrangers. Mais vous oubliez que la France a ghettoïsé dans certains quartiers les populations issues de l'immigration ; nous y avons concentré toutes les personnes venues de l'extérieur ; on y dénombre jusqu'à 60 % de population étrangère. Les enfants sont français, vont à l'école de la République et ont le droit de vote, alors que leurs parents ne l'ont pas !
La majorité doit comprendre qu'il est nécessaire, à un moment donné, de proposer au peuple français un nouveau pacte républicain tenant compte de la réalité sociologique de notre pays. Oui, nous avons fait venir ces étrangers. Oui, nous avons colonisé des pays. Oui, nous avons laissé les frontières ouvertes. Vous pouvez toujours prétendre le contraire, mais même à l'heure actuelle, elles le sont ! Si vous voulez rétablir les principes républicains dans ces quartiers et partout en France, il faut être capable de tendre la main. On ne peut pas se contenter d'appeler au respect des devoirs, il faut aussi offrir des droits !
Pourquoi, alors que dix pays européens ont accepté que les étrangers non communautaires votent aux élections locales, cela n'est pas possible en France, pays des droits de l'homme ?
Puisque vous avez évoqué le débat au sein de la majorité, je vais vous citer quelqu'un : « À compter du moment où ils payent des impôts, où ils respectent nos lois, où ils vivent sur notre territoire depuis un temps minimum, par exemple de cinq années, je ne vois pas au nom de quelle logique nous pourrions les empêcher de donner une appréciation sur la façon dont est organisé le cadre de vie quotidienne. »
Je sais bien que c'est Nicolas Sarkozy, mais tout le monde peut se tromper !
Il considérait donc, lorsqu'il a tenu ces propos en 2008, que le droit le vote des étrangers constituait un facteur d'intégration. Pourquoi la France ne serait-elle plus capable, en 2010, d'avoir un sursaut républicain et d'affirmer que dans le pays des droits de l'homme, à vocation universaliste, des gens qui y résident depuis des années et ont prouvé qu'ils respectaient nos principes et nos règles de vie commune, qui ont été exemplaires, qui font en sorte que leurs enfants fréquentent l'école de la République pour devenir des citoyens éclairés, bref, qui ont eu un comportement digne d'un citoyen français, ces gens-là méritent de s'exprimer lors des élections locales, afin de pouvoir au moins contrôler ceux qui utilisent les impôts qu'ils paient ?
Pourquoi notre République ne serait-elle plus capable d'avoir l'honneur de tenir ce discours ? Oui, ces habitants sont exemplaires ! Arrêtons de discriminer les étrangers, de considérer qu'ils sont tous des délinquants, des gens incapables de s'intégrer : ils sont parfaitement intégrés !
Vous dites qu'ils devraient demander la nationalité française, mais vous savez bien que notre passé commun avec ces populations est parfois douloureux. C'est un fait, la France a colonisé certains pays et nous avons fait venir chez nous bon nombre de leurs habitants pour travailler dans nos mines et nos usines. Oui, nous avons exploité ces peuples !
Ah bon ! Selon vous, nous n'avons pas été un pays colonisateur, et nous n'avons pas organisé l'immigration afin de disposer d'une main-d'oeuvre dans nos mines et nos usines ? Et nous ne serions pas capables de tourner la page douloureuse de cette histoire, en tendant enfin la main à ces populations pour pouvoir imaginer un avenir commun dans l'idéal républicain ?
Si tel n'est pas le cas, je suis inquiet pour l'avenir de la France. Restera-t-elle encore, aux yeux du monde entier, le pays des droits de l'homme et du citoyen ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, chacun mesure la portée de la proposition de loi qui nous est soumise aujourd'hui. Pour la seconde fois dans cette enceinte, après le vote majoritaire en 2000 de la proposition de loi présentée par les députés Verts, nous pouvons en effet discuter de l'accession à une citoyenneté pleine et entière de quelque deux millions d'habitants de notre pays, exclus du suffrage universel depuis trop longtemps. La grande majorité des résidents non communautaires qui vivent sur notre sol y sont installés depuis de nombreuses années et se soumettent aux devoirs qui leur incombent. Mais ils n'ont aucun droit de regard sur les décisions qui touchent à leur vie quotidienne. Sans représentation politique de tous ses habitants, notre République restera orpheline de l'égalité.
Où est l'égalité lorsque, dans certaines de nos banlieues, la proportion d'habitants n'ayant pas ce droit minimum d'expression politique peut atteindre 20, 30, 40 voire 50 %, comme le disait François Pupponi ? Comment justifier que le nombre d'élus pour chacune de nos communes soit calculé sur la base du nombre d'habitants et non du nombre d'électeurs ? Parce qu'ils vivent cette situation comme une mise à l'index de leurs parents, les jeunes issus de l'immigration ne se sentent pas motivés pour accomplir leur devoir de citoyen. Ils viennent de le rappeler à l'occasion des élections régionales. Quels que soient nos camps politiques, nous devrions nous employer à mettre fin à cette anomalie qui constitue un danger pour notre démocratie.
Le droit fondamental de contribuer à la construction du destin de la collectivité dans laquelle on vit est le levain de la citoyenneté. Quiconque a vu les yeux brillants d'une personne jusqu'alors privée de ce droit lorsqu'elle met un bulletin dans l'urne pour la première fois de sa vie comprend la signification profonde de l'acte démocratique. Comme le disait Victor Hugo : « Le suffrage universel, au milieu de toutes nos oscillations dangereuses, crée un point fixe. Et pour qu'il soit bien le suffrage universel, il faut qu'il n'ait rien de contestable, c'est-à-dire qu'il ne laisse personne, absolument personne en dehors du vote […], qu'il ne laisse à qui que ce soit le droit redoutable de dire à la société : je ne te connais pas. »
Notre assemblée débattra-t-elle dans la sérénité de cette question ? J'en doute si j'en juge aux propos que je viens d'entendre. Les contradictions sont nombreuses.
Mais nos arguments sont contradictoires.
J'en doute également au regard du prétendu débat sur l'identité nationale et des déclarations xénophobes qui ont émaillé la campagne des régionales et qui, hélas, ont fait revenir le Front national en force dans le débat public.
Notre pays est-il donc condamné à être toujours en retard d'une loi ? Depuis deux siècles, les républicains n'ont cessé de lutter pour l'égalité des droits politiques. Or la démocratie ne sélectionne pas les électeurs en fonction de leur naissance. Elle implique au contraire que tout résident régulièrement installé soit représenté.
Les arguments maniés dans ce débat jouent sur les fantasmes et les peurs recuites de l'opinion publique, qui invoquent l'intégrisme des immigrés ou les risques de déstabilisation de notre société. Les pays qui accordent le droit de vote et d'éligibilité aux étrangers non communautaires, qu'il s'agisse de l'Irlande, du Danemark, de la Suède ou des Pays-Bas, sont pourtant davantage déstabilisés par le pouvoir des multinationales, des banques et des fonds de pension que par l'accès au suffrage d'une partie de leurs habitants.
Le droit de vote des étrangers est un défi démocratique parce qu'il passe outre aux positions xénophobes d'une partie de l'opinion et parce qu'il parie sur la maturité des Français ; il procède en cela de la démarche politique qui a inspiré la gauche lorsqu'elle a aboli la peine de mort, même si l'opinion n'y était prétendument pas majoritairement favorable.
Nous devons accompagner la marche en avant de la société qui rejette ces frilosités d'un autre âge. Ne restons pas à la traîne d'une opinion qui évolue : la majorité des Français est maintenant acquise au droit de vote des étrangers. Comme l'a rappelé l'orateur précédent, même le Président Sarkozy l'a évoqué plusieurs fois dans ses discours de campagne. Ouvrir ce débat est donc pleinement légitime.
Le droit de vote des étrangers dessine aussi une autre conception de l'Europe. Avec l'application du traité de Maastricht sur le droit de vote des étrangers communautaires, une nouvelle législation a créé de fait une discrimination entre les étrangers extra-communautaires et les autres. De quelle Europe voulons-nous ? Une Europe citadelle blanche et judéo-chrétienne ou une Europe ouverte, qui ignore les distinctions d'origine ou de religion ? L'Union européenne doit proposer un modèle nouveau d'alliances entre les peuples, elle doit être une fédération ouverte. Les 16 millions d'immigrés extra-communautaires qui y vivent sont une chance pour l'Europe, parce qu'ils sont une passerelle vers le reste du monde. Les États nations doivent reconsidérer leur fonctionnement dans une Europe où la souveraineté est, de facto, partagée.
Au-delà de la stricte définition de la nationalité, la citoyenneté se fonde sur l'existence d'une communauté de vie et de travail. Le droit de vote est donc un élément permettant d'accéder à une citoyenneté européenne de résidence. Ce sont les logiques de guerre et de défense des frontières qui ont fusionné les notions de citoyenneté et de nationalité. C'est la paix avec nos voisins, la construction d'une Europe solidaire et la mondialisation qui permettent à la France de renouer avec la conception universaliste de la citoyenneté.
C'est pourquoi les députés écologistes comme le groupe GDR appelleront à voter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, si ce projet n'a jamais été voté par le Parlement, c'est que, alors même qu'il apparaît comme une idée généreuse, il remet fondamentalement en cause notre identité nationale. Le fait d'aborder la question d'une possible égalité des droits politiques pour tous les résidents d'un État amène en effet nécessairement à s'interroger sur la pertinence des concepts de nation, de nationalité, d'État et de citoyenneté.
La question de fond qui se pose est celle de la compatibilité entre, d'une part, l'élargissement des droits politiques des étrangers et, d'autre part, le maintien de la nation en tant que fondement de l'État. Il y a contradiction entre l'exercice des droits politiques par les citoyens, par lequel ils font leurs choix et décident de leurs orientations pour l'avenir, et l'inclusion à cet exercice des résidents étrangers, qui, par définition, ne font pas partie de la nation.
Nous comprenons que des étrangers qui vivent légalement en France veuillent s'intégrer, appartenir à notre communauté de vie et de destin. Mais rien ne les empêche de le faire aujourd'hui : cela s'appelle tout simplement la naturalisation.
Le droit de vote est un de nos droits essentiels et il ne doit pas être galvaudé. Il est la conséquence de l'intégration par naturalisation au sein de la communauté nationale et non pas un facteur d'intégration. La naturalisation, c'est la conclusion d'un parcours personnel d'intégration d'hommes et de femmes qui ont décidé de partager avec les Français cette communauté de vie et de destin que je viens d'évoquer.
En France, il y a un peu plus de 100 000 naturalisations chaque année. Cela prouve que le processus actuel fonctionne bien et que des milliers d'étrangers rejoignent tous les ans notre communauté par une démarche volontaire. Ces nouveaux citoyens jouissent ainsi de tous les droits conférés par leur appartenance, et non d'une citoyenneté au rabais.
Par ailleurs, distinguer la citoyenneté locale et la citoyenneté nationale revient même à nier tout sens, toute valeur à la notion de citoyenneté. Rappelons qu'un citoyen est, par définition, le « membre d'un État considéré du point de vue de ses devoirs et de ses droits civils et politiques. » Le civil, c'est ce qui concerne la vie au sein de la collectivité, au sens du rapport social. Le politique, c'est ce qui est relatif au pouvoir, local ou national, et à son exercice.
Il n'existe que deux façons de concevoir positivement la nécessaire intégration des étrangers : l'assimilation politique dans la nation avec la naturalisation, qui est l'inscription dans une histoire et dans une culture politique, ou l'insertion économique et sociale dans la société civile. Il n'existe pas de troisième voie possible. La citoyenneté, comme la nationalité, ne se partage pas. C'est la force de notre pays d'avoir su si bien assimiler ses résidents étrangers, grâce à notre conception républicaine de la citoyenneté liée à la nationalité issue de la Révolution française.
Votre conception d'une « nouvelle citoyenneté » nous apparaît comme plus vague, plus mondialiste, niant notre héritage culturel et politique au profit d'une citoyenneté de passage, d'un consumérisme citoyen. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Donner le droit de vote aux étrangers, c'est étendre la société civile au champ du politique, confondre démocratie sociale et démocratie politique. Il n'est pas certain que ce soit la meilleure façon de redonner du sens à la politique.
Arguer du droit de vote des ressortissants communautaires pour réclamer une égalité de traitement de tous les étrangers est une imposture morale. Si la France a établi le droit de vote de citoyens de l'Union européenne, c'est dans un cadre précis, celui de la construction européenne. Cela ne concerne évidemment en rien les citoyens des autres nations.
L'ouverture, par le traité de Maastricht, aux résidents étrangers ressortissants des États de l'Union européenne du droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales et du Parlement européen s'inscrit dans la logique de la construction européenne. Si nous voulons construire l'Europe, il est indispensable, il est normal que les étrangers européens, parce qu'ils sont des citoyens européens, bénéficient de plus de droits politiques que les autres.
De plus, je rappelle que ce droit de vote est basé sur le principe de la réciprocité, appliqué à tous les pays de l'Union européenne. C'est d'ailleurs ce même principe de réciprocité qui est souvent exigé par les pays d'Europe du Nord ayant étendu le droit de vote à certains résidents non communautaires. Lorsqu'on étudie de plus près ces pays, on constate du reste qu'ils n'ont pas la même culture d'assimilation des communautés que nous. Ils pratiquent le droit du sang et l'acquisition de la nationalité y est difficile.
C'est sans doute pour cela que les étrangers peuvent y obtenir le droit de vote. À l'inverse, en France, où nous pratiquons le droit du sol, les modalités d'acquisition de la nationalité française sont plus souples et il n'est donc pas nécessaire de donner un tel droit de vote aux étrangers.
En Suède, en Finlande ou en Grande-Bretagne, on vous fait citoyen parce que l'on ne veut pas vous naturaliser. La conséquence de cette pratique, c'est le communautarisme, c'est-à-dire la constitution de communautés étrangères, organisées en forces de pression et d'action.
Je voudrais maintenant aborder l'idée sous-jacente de ce texte selon laquelle le vote local serait d'une nature différente des autres scrutins nationaux. Certes, le vote aux élections municipales est un vote de proximité, puisque le maire et la municipalité sont directement responsables des services gérés et rendus par la commune. Selon vous, la nationalité devrait continuer à commander le lieu de vote aux élections nationales, à caractère politique. En revanche, les personnes justifiant d'une communauté de vie et d'intérêts dans une commune devraient pouvoir se voir reconnaître le droit de vote et d'éligibilité dans cette commune.
Cela voudrait dire qu'il existe des différences fondamentales entre les divers mandats électifs, certains étant à caractère politique, car ils ne toucheraient pas à la vie quotidienne des citoyens, et d'autres à caractère bureaucratique, au sens étymologique du terme. Ainsi, la proposition de loi introduirait une discrimination entre les élus communaux, ceux du département et de la région, et les députés et sénateurs.
Eh bien, non ! Le maire n'est pas le simple président d'un syndicat d'administrés. Ne vous en déplaise, il fait partie intégrante de la souveraineté nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous débattons sur le sujet depuis des années et on a parfois l'impression que c'est un dialogue de sourds. Tout à l'heure encore, la majorité a repris des arguments dont nous avons démontré depuis longtemps qu'ils ne reposent pas sur grand-chose.
D'abord, on nous dit que le droit de vote est un attribut exclusif de la nationalité. Sur ce point, nous ne cessons de rappeler que, durant de longues années, des gens qui étaient de parfaits nationaux français n'ont pas eu le droit de vote. C'est ainsi que nous avons connu le suffrage censitaire, où seuls les plus aisés votaient et que jusqu'à une période très récente, les femmes, qui étaient parfaitement françaises, n'avaient pas le droit de vote. Les hommes antillais ont voté avant les femmes de métropole ! Voilà quelle était la situation.
Vous nous dites aussi qu'il serait inadmissible de faire voter les étrangers parce que cela développerait le communautarisme. Mais cela n'a rien à voir ! Ces deux questions sont tout à fait distinctes. Je ne vois pas au nom de quoi on dirait aux gens qui veulent justement s'intégrer, participer à la vie de la cité : « Non : si vous le faites, cela signifiera que vous êtes à part ! » Ce raisonnement est absolument incompréhensible.
À la naissance de la République, la règle était que, sous certaines conditions, des étrangers pouvaient voter. Comme on l'a rappelé en commission des lois, Thomas Paine, l'un des penseurs de la Révolution, a été député.
Un très beau texte, la constitution de 1793,…
…avait fixé ces conditions permettant aux étrangers de voter. Il y est notamment question de tout étranger qui, « domicilié en France […], y vit de son travail ou acquiert une propriété, ou épouse une Française, ou adopte un enfant, ou nourrit un vieillard ».
Aujourd'hui, finalement, les critères que nous proposons sont à peu près les mêmes : ils portent sur l'intégration des étrangers.
Vous nous objectez que beaucoup de ces révolutionnaires ont fini sur l'échafaud !
Mais cela n'empêche pas que nous ayons gardé la Déclaration des droits de l'homme et la République, ainsi qu'un certain nombre de principes qu'ils ont énoncés à cette époque et qui sont les fondements mêmes de notre démocratie.
Ainsi, nous pouvons tout à fait conserver le principe, de même que les raisons alors invoquées pour autoriser les étrangers à voter.
Qui plus est, nous parlons simplement de gens qui voteraient aux élections locales. Tous les jours, en tant qu'élus, nous discutons avec des voisins étrangers des projets concernant nos communes. Nous parlons avec eux de leurs soucis et, le cas échéant, nous les aidons. Pourquoi, le jour où il s'agit d'aller un peu plus loin, de leur permettre de s'exprimer sur la vie de la cité, leur dirait-on : « Non, pas vous ! Vous n'avez pas le droit. » ?
Pourquoi ne veulent-ils pas devenir français ? C'est ça, la vraie question !
Aujourd'hui, il n'y a plus de lien direct entre citoyenneté et nationalité : quelqu'un arrivant de Lituanie ou de n'importe quel autre pays d'Europe peut parfaitement voter ! Or nous avons souvent beaucoup plus de liens, hérités de l'histoire ou tenant à la langue, avec certains étrangers extracommunautaires qu'avec des personnes venues de pays d'Europe qui sont à tout point de vue très éloignées de nous.
Rappelons aussi, puisque, comme d'habitude, il a été question des droits et des devoirs, que beaucoup de ces gens dont nous demandons qu'ils puissent voter ont, eux-mêmes ou bien leurs pères, dans les périodes où c'était nécessaire, versé leur sang pour la France. Le devoir de citoyenneté, ils l'avaient déjà accompli à cette époque ! Ne venons donc pas leur dire aujourd'hui qu'ils n'ont pas à s'exprimer sur notre société.
Vous avez une fois encore réfuté l'exemple d'autres pays d'Europe en arguant que notre droit n'a rien à voir avec le leur, parce que nous, nous attribuons la nationalité. Rappelons donc – puisque vous semblez ne pas vouloir l'entendre – que ce ne sont pas les étrangers qui décident : l'attribution de la nationalité est un pouvoir régalien de l'État et on peut très bien la demander longtemps sans jamais l'obtenir !
Enfin, les comparaisons que vous faites avec les autres pays d'Europe me semblent particulièrement sommaires, car j'ai beau étudier le sujet d'assez près depuis un certain temps, je ne vois pas pour ma part que, dans beaucoup de pays, et pas plus en Grande-Bretagne qu'ailleurs, les étrangers aient autant de mal à obtenir la nationalité.
Il existe par exemple la nationalité du Commonwealth, qui permet de créer une unité. Pourquoi ne proposez-vous pas au moins que tous les francophones puissent voter ?
Je pense que vous êtes arc-boutés sur des arguments qui n'en sont pas. Il serait temps aujourd'hui que l'on avance sérieusement. Comme on l'a dit – et je conclus, madame la présidente –, l'abstention observée à l'occasion des dernières élections régionales nous conduit à nous interroger sur ce que signifie, dans notre pays, la démocratie représentative. Il est temps de lancer de nouvelles réformes permettant au corps électoral de mieux correspondre à la population qui vit effectivement dans nos communes. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mes chers collègues, je vous ai dit tout à l'heure que j'étais prête à tout faire pour que chacun d'entre vous puisse intervenir ce matin, mais aucun des orateurs inscrits pour cinq minutes n'a respecté son temps de parole. Je dois donc vous prévenir qu'il est fort probable que je sois obligée de lever rapidement la séance.
La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, c'est un sujet important sur lequel nous sommes appelés à donner notre avis.
Les députés communistes et républicains entendent dire leur soutien plein et entier à la proposition de loi constitutionnelle présentée par Sandrine Mazetier.
Lors de la réforme constitutionnelle, ou encore pendant l'examen du projet de loi organisant la concomitance des renouvellements des conseils généraux et régionaux, nous avions réclamé l'ouverture du droit de vote aux élections locales pour les étrangers non ressortissants de l'Union européenne résidant en France.
Une autre réforme des collectivités territoriales est possible : celle qui renforcerait leur vitalité démocratique en accordant ce droit aux résidents, quelle que soit leur nationalité.
C'est un débat récurrent, que nous avons déjà eu dans les années quatre-vingt. Les citoyens de l'Union européenne ont depuis longtemps le droit de vote aux élections locales. À cette époque, plus encore qu'aujourd'hui, on pouvait poser la question suivante : pour qui le droit de vote aux élections locales est-il chez nous le plus légitime ? Est-ce pour les Allemands ou bien pour les tirailleurs sénégalais ? Qui, des uns ou des autres, a le plus contribué à la libération du territoire national ?
Je prends un autre exemple. Qui a le plus mérité de la France : les patriotes étrangers qui ont contribué, en versant leur sang, à libérer le pays de l'occupation nazie, ou bien les collabos ? Il n'y a pas photo ! Par conséquent, revenons aux fondamentaux !
Oui, mes chers collègues, le patriotisme me conduit à dire que ceux qui ont lutté aux côtés de la Résistance, et c'est une vieille tradition dans notre pays, ont davantage mérité de la France que ceux qui l'ont combattue et ont collaboré avec l'ennemi.
J'ai dit que c'était une vieille tradition. Rappelez-vous en effet Garibaldi, Elisabeth Dimitrieff, Wroblewski, Dombrovski pendant la Commune de Paris, qui se sont opposés aux Prussiens avec lesquels Thiers collaborait ! Qui était le plus français ? Ceux auxquels on a refusé la citoyenneté française ! Ainsi en va-t-il, mes chers collègues, et vous ne pouvez pas le nier.
D'ailleurs, même si je n'aime pas faire appel aux morts, je dois bien rappeler que le général de Gaulle avait des idées assez claires à ce sujet !
L'actuel chef de l'État lui-même – on l'a rappelé tout à l'heure – s'était déclaré partisan de cette ouverture,…
Et comme disait Edgar Faure, ce n'est pas la girouette qui tourne, c'est le vent !
Mais ce n'est pas du tout rassurant, ni pour l'autorité de notre État, ni pour ceux qui sont chargés de le représenter.
Comment peut-on encore penser qu'un étranger résidant en France, d'où qu'il vienne, a plus à voir avec un pays où il ne vit plus qu'avec celui où il a choisi de s'installer, de travailler, de fonder une famille, de scolariser ses enfants, de payer ses impôts, d'agir dans la cité et de créer des richesses ?
Mon cher collègue, entre M. Tapie, qui a escroqué le fisc, et l'honnête travailleur qui, bien qu'étant sans-papiers, paie ses impôts, quel est celui qui mérite le plus de la France ?
Il n'est pas besoin de chercher longtemps la réponse : elle coule de source !
Et en quoi ces résidents seraient-ils moins méritants que les citoyens nés ou naturalisés français ou encore que les ressortissants de l'Union européenne ? Au nom de quoi peut-on faire une différence entre étrangers communautaires et étrangers extracommunautaires, sauf à s'en tenir à une frontière administrative bornée, créant de fait une rupture d'égalité ?
Au contraire, nous pensons que l'égalité des droits, notamment en ce qui concerne la participation à la vie politique de son lieu de résidence, est une condition indispensable d'une véritable représentation de la souveraineté populaire.
J'en termine, madame la présidente.
En règle générale, la droite est hostile à cette réforme car elle veut croire que droit de vote et nationalité sont intimement liés,…
…ce qui est un contresens historique et juridique, les deux notions ayant bien souvent été déconnectées dans l'héritage républicain.
Notre collègue George Pau-Langevin faisait référence à l'instant à la constitution de 1793, qui ne fut jamais appliquée…
…mais qui avait été adoptée à l'époque par référendum. Il est vrai que nos collègues de droite savent ce qu'on fait des référendums : confer ce qui est advenu de celui de 2005, sur les résultats duquel le Président de la République d'alors s'est assis ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
La suite de la discussion de cette proposition de loi constitutionnelle est renvoyée à la prochaine séance.
Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :
Suite de la proposition de loi constitutionnelle sur le droit de vote des étrangers ;
Proposition de résolution sur la situation de M. Ibni Mahamat Saleh, ressortissant tchadien disparu ;
Proposition de loi relative à la modernisation du congé de maternité.
La séance est levée.
(La séance est levée à treize heures dix.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,
Claude Azéma