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Intervention de Arlette Grosskost

Réunion du 25 mars 2010 à 9h30
Présence de l'avocat dès le début de la garde à vue — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaArlette Grosskost :

Aujourd'hui, notre collègue André Vallini propose que toute personne gardée à vue soit obligatoirement entendue en présence de son avocat. Il va même plus loin : aucune audition ne devrait être possible tant que l'avocat n'aurait pas rejoint les locaux de police ou de gendarmerie dans lesquels se trouve la personne soupçonnée. François Goulard a rédigé une proposition quasi identique.

Par ce texte, estime notre collègue André Vallini – et je sais qu'il est loin d'être le seul à le penser –, nous nous mettrions en conformité avec deux arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme qui ont jugé que l'avocat devait être présent auprès de son client dès le début de la mesure privative de liberté. Mais ces deux arrêts concernent la Turquie et non la France. Aussi, la chancellerie a fort logiquement estimé – nos collègues ne 1'ignorent pas –, dans un argumentaire de novembre 2009, que l'absence d'avocat au cours d'une garde à vue ne constituait pas un motif de nullité.

Certes, on m'opposera un jugement du tribunal de grande instance de Paris qui, sur le fondement des deux arrêts précités, a annulé, le 10 février 2010, cinq gardes à vue, considérant que « cet entretien de trente minutes avec un avocat ne correspond manifestement pas aux exigences européennes. Cette mission de spectateur impuissant est d'autant plus préjudiciable que la garde à vue constitue une atteinte majeure à la liberté individuelle, majorée par ses conditions matérielles et sa fréquence. »

À ces opposants, je peux à mon tour citer un arrêt de la Cour d'appel de Paris du 9 février 2010 qui, à propos de la non-présence d'un avocat dans une affaire de stupéfiants, a jugé sans ambiguïté : « Notre droit prévoit une intervention différée de l'avocat lorsque le gardé à vue est mis en cause pour certaines infractions relevant de la criminalité organisée, du terrorisme ou encore, comme en l'espèce, pour infraction à la législation sur les stupéfiants, ensemble d'infractions estimées d'une particulière gravité. »

Ces remarques étant faites, il me semble que la proposition de notre collègue pèche par défaut de pédagogie.

Je reconnais qu'en deux lignes la mission relevait de l'impossible. Je crois qu'il eût été utile de préciser à quoi doit servir réellement la garde à vue, et surtout quelles personnes elle doit concerner. Ainsi, il serait logique que seules les personnes susceptibles d'être emprisonnées puissent être placées en garde à vue car, comme l'a souligné à plusieurs reprises Mme la garde des sceaux, que je cite de mémoire, « il y aurait un paradoxe à ce que soit privé de liberté quelqu'un qui, même condamné, n'irait pas en prison ».

De ce constat découle cette question fondamentale, souvent occultée : doit-on avoir recours à la garde à vue en fonction de la gravité de l'infraction constatée ? Pour ma part, j'aurais tendance à répondre par l'affirmative. À quoi bon retenir six, voire douze heures, et même plus, un automobiliste peu aimable ou, disons, perdant son sang-froid avec la maréchaussée ? Ne serait-il pas plus efficace et judicieux de prévoir une citation directe ? À quoi bon agir de même avec un automobiliste ayant légèrement dépassé le taux toléré d'alcool ?

Nous sommes tous très pointilleux sur la question des libertés publiques et des droits de la défense. Mais attention à ne pas verser dans un certain angélisme !

Un avocat présent dès les trente premières minutes de garde à vue pour assister son client sur le plan psychologique, prendre connaissance des charges qui pèsent sur lui, c'est la loi ; pas question de remettre en cause celle-ci. Mais, en matière de terrorisme, d'atteinte à la sûreté de l'État ou de trafic en bande organisée, la présence de l'avocat est-elle vraiment nécessaire ? La Cour de Strasbourg, ainsi que je viens de le rappeler, ne l'exige pas.

Autre interrogation : la présence immédiate de l'avocat soulève, comme l'a indiqué Mme la garde des sceaux, certaines difficultés d'application. Il est indiqué que, lorsque la personne en fait la demande, son audition est différée jusqu'à l'arrivée de l'avocat. Il conviendrait de voir, en pratique, comment un tel système pourrait fonctionner. Que devront faire les enquêteurs – je répète ce qu'a dit la garde des sceaux – si l'avocat, dont la présence subordonne l'audition de son client gardé à vue, ne vient pas ? En effet, le placement de l'intéressé peut être décidé en pleine nuit ou à des moments de la journée où l'avocat est susceptible de ne pas être disponible. Si cette absence dure vingt-quatre heures, faudra-t-il suspendre l'enquête, avec le risque de voir disparaître des éléments de preuve ? Et si l'avocat ne se présente jamais, faut-il admettre que les enquêteurs repartent bredouilles ? Comment, dans ces conditions, peut-on envisager de paralyser la procédure, en subordonnant l'audition de l'intéressé à la présence effective de l'avocat ?

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