Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous débattons ce matin d'une proposition de loi de progrès, qui mettrait notre législation en conformité avec les principes supérieurs du droit. Cette proposition de loi intervient après que la Cour européenne des droits de l'homme a confirmé le principe selon lequel l'assistance d'un avocat dès la mise en cause d'une personne était une composante du procès équitable.
Elle survient alors même que, dans notre pays, la pratique n'est assurément pas conforme à l'esprit de la loi et à la volonté du législateur, et que le nombre de mesures de contrainte augmente dangereusement, ce qui met en cause la liberté individuelle.
Dès la fin 2008, je m'étais inquiétée, dans une question écrite à Mme la garde des sceaux, de l'augmentation du nombre de gardes à vue et de la nécessité d'une réforme de la procédure pénale. Je faisais valoir que le nombre des gardes à vue avait déjà augmenté – de plus de 225 000 entre 2001 et 2007, mais ces chiffres sont malheureusement dépassés –, alors que le nombre des personnes condamnées dans la même période n'avait pas augmenté.
Deux traits me paraissaient et me paraissent toujours caractériser et marquer cette intempérance française en matière de garde à vue. Le premier est que de nombreuses personnes ont fait et font l'objet d'une mesure de limitation de leur liberté sans qu'il soit possible, in fine, de prouver que leur comportement est constitutif d'une infraction tombant sous le coup d'une sanction pénale.
Le second est que cette augmentation est soutenue et amplifiée par l'insuffisance de garanties données aux personnes mises en cause.
Dans votre réponse, madame la ministre, vous expliquiez que le placement en garde à vue n'est qu'une mesure d'exception prise lorsque les nécessités de l'enquête l'exigent et qu'elle n'est possible que lorsqu'une peine d'emprisonnement est encourue. Vous indiquiez que les « mesures de contraintes doivent être strictement limitées aux nécessités de la procédure, proportionnées à la gravité de l'infraction reprochée et ne pas porter atteinte à la dignité de la personne ».
Force est de constater que cette pratique croissante n'est pas conforme à l'esprit de la loi et à la volonté du législateur. C'est pourquoi il faut changer la loi et dire expressément que les personnes contre lesquelles une limitation de liberté est décidée doivent pouvoir faire appel à un avocat dès le premier moment de la restriction de liberté les touchant.
Il nous faut donc une mesure pratique, dissociable du reste de la procédure d'enquête et qui permette de juger de l'état du droit dans notre pays.
Un des arguments opposés à cette proposition de loi est qu'il vaudrait mieux attendre le projet de loi portant réforme de la procédure pénale pour revoir cet élément fondamental. Ce raisonnement s'appuie sur un double présupposé. Le premier est que cet élément ne serait pas dissociable d'une réforme globale de la procédure pénale. Je note que le rapport du comité de réflexion sur la justice pénale – le rapport Léger – ne répondait que de façon impartiale à la nécessité de respecter le principe, malgré l'existence d'une législation européenne en avance sur la nôtre. Ainsi, ce n'est pas parce que l'on promet une réforme d'ampleur que l'on y affirmera et garantira la présence d'un avocat dès le début de la limitation de liberté.
Le second présupposé est que cet élément fondamental ne prendrait sa signification que dans le cadre d'une réforme d'ensemble et cohérente. Pourtant, en Allemagne, en Angleterre, au Danemark, en Espagne et en Italie, les personnes placées en garde à vue peuvent bénéficier de l'assistance effective d'un avocat dès qu'elles sont privées de liberté et les règles de procédure pénale applicables ne sont pourtant pas les mêmes dans chacun de ces États, ce qui n'empêche pas que cet élément fondamental y soit affirmé explicitement et de façon quasi autonome.
Pourquoi, en France, la situation ne pourrait-elle évoluer dès maintenant dans ce sens ? De façon complémentaire, la réforme de la procédure pénale est annoncée comme devant se décliner en quelque 600 à 800 articles, ce qui suscite cette réaction des honnêtes gens à qui j'en parle : « Qui maîtrisera cette loi ? Qui connaîtra l'ensemble de ses principes, de ses règles et toute sa portée ? » Les magistrats chargés de l'appliquer ? Les avocats chargés de défendre les personnes mises en cause ? Certes. Mais la lisibilité et l'intelligibilité de la loi, pour le grand nombre, justifient aussi, me semble-t-il, qu'un élément fondamental de notre droit puisse, dès à présent, être adopté, mis en oeuvre et garanti.
Ce ne sont pas seulement les individus qui y gagneront, c'est notre justice. Le principe de dignité que l'autorité judiciaire et la police ont à servir ne pourra qu'en sortir renforcé. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)