La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
Monsieur le président, madame la secrétaire d'État chargée de l'écologie, mes chers collègues – dont je salue, à défaut de la quantité, la très grande qualité (Sourires) –, la crise que traverse le monde n'est pas seulement d'ordre économique et financier. Elle est systémique, au sens où elle intègre une crise sociale et écologique.
Par sa dimension environnementale, elle constitue un écueil bien plus imposant, un défi à l'échelle de l'humanité. Les deux derniers siècles, théâtre d'un emballement productiviste aussi déraisonnable qu'irraisonné, nous ont laissé en héritage la mise en péril des écosystèmes menaçant jusqu'à la pérennité de la vie humaine sur terre. L'activité humaine a rejeté tant de gaz à effet de serre que nous sommes confrontés aujourd'hui au réchauffement climatique.
Si la France doit prendre une position claire et cohérente pour accomplir la part qui lui revient, force est de constater que, pour l'heure, ce n'est pas le cas. Il y a eu, certes, le Grenelle de l'environnement, mais, alors que, pour les autres lois, l'urgence est toujours de rigueur – parfois de manière abusive –, l'inscription du Grenelle 1 et 2 à l'ordre du jour du Parlement n'est jamais jugée prioritaire. Faut-il rappeler que l'examen du Grenelle 2 a été reporté au lendemain des élections régionales ? Sur le fond, ces textes peu normatifs ne sont pas à la hauteur des enjeux. Qui plus est, le Grenelle 1 a été amoindri, voire dévoyé par certaines dispositions. Ainsi, à ce jour, rien n'a permis d'inverser la tendance : les pays les plus riches, premiers responsables du changement climatique, sont incapables de revoir leur modèle économique capitaliste de production et de consommation.
Tous les signaux du dérèglement climatique sont pourtant visibles : évolution des températures – que certains s'obstinent pourtant à nier –, élévation rapide du niveau des mers, augmentation de la vapeur d'eau dans l'air plus chaud, acidification des océans et réaction des écosystèmes. Selon le rapport de l'Institut de recherche sur les impacts du climat de Potsdam, publié le 24 novembre, avec la tendance actuelle, le réchauffement climatique atteindrait sept degrés en 2100, soit le pire scénario jamais imaginé, alors que la limite acceptable est évaluée à 2 degrés. Les trois dernières années – 2007, 2008, 2009 – font déjà partie des plus chaudes depuis cent cinquante ans et, depuis trois ans, la rétractation de la banquise arctique pendant l'été dépasse de 40 % les prévisions.
L'une des conséquences majeures du changement climatique réside dans la hausse du niveau des mers, laquelle s'accélère depuis 2003 à raison de 3,4 millimètres par an et double l'estimation du niveau marin futur, qui avait été établie par le GIEC en 2007. Quant aux glaciers des Andes tropicales, ils ont perdu de 30 à 100 % de leur surface depuis trente ans.
Alors que les nations les moins favorisées ont encore à assurer des conditions de vie décentes à leur population, la croissance perpétuelle et la quête infinie du profit propres aux pays riches sont inexcusables. Les pays occidentaux ont une dette écologique à l'égard des pays du Sud. En France, le système économique de notre mode de vie consomme l'équivalent de 2,7 planètes. Il est physiquement et matériellement impossible que tous les habitants du monde vivent de la même façon.
À l'heure du bilan du protocole de Kyoto de 1998 sur le climat, et alors que se tiendra dans les prochains jours à Copenhague une nouvelle conférence sous l'égide de l'ONU, les résultats apparaissent tout à fait modérés. L'expérience du protocole de Kyoto montre la faiblesse d'une convention internationale qui n'est pas retranscrite en droit interne ni adossée à une procédure de sanction, en cas de manquement.
L'Union européenne s'est certes engagée en faveur de l'environnement en édictant, à la fin de l'année 2008, l'objectif du triple 20 en matière énergétique : en 2020, les pays européens devront avoir réduit de 20 % leurs émissions de gaz à effet de serre par rapport au niveau de 1990, les énergies renouvelables devront représenter 20 % des énergies utilisées dans l'Union et les États membres devront avoir réalisé 20 % d'économie d'énergie. Mais cela ne suffit pas. Selon les experts du climat, pour éviter un réchauffement supérieur à deux degrés, les pays industrialisés doivent se fixer une fourchette de réduction de leurs propres émissions de 25 à 40 % d'ici à 2020, avec comme objectif de passer à 80 % avant 2050.
La bataille contre l'effet de serre, comme la transition des politiques énergétiques qu'elle implique, ne peut se réduire à la somme des modifications de comportements individuels. Elle ne pourra être remportée si nous n'assumons pas certaines ruptures avec le productivisme et le retour à l'action des pouvoirs publics, au service de l'intérêt général. Au laisser-faire libéral comme au mythe du marché régulé, nous voulons opposer la volonté politique. Les seules mesures incitatives ou correctives avancées par le Gouvernement ne suffiront pas à stopper à temps la marche du capitalisme, source de désastres écologiques.
Contrairement aux propos souvent fallacieux de ses détracteurs, la planification ne s'est pas limitée historiquement à l'expérience du régime soviétique. La planification française n'a pas été l'équivalent de l'abolition de l'initiative privée, de la restriction des libertés individuelles et d'une vision comptable déshumanisée de l'activité économique.
Son plus bel exemple a été inscrit dans l'histoire nationale à l'initiative du général de Gaulle. Conçu pour moderniser la France, le Plan a procédé de façon non pas autoritaire mais incitative, non pas seulement à l'initiative de l'État mais par l'association du secteur privé et des partenaires sociaux. À dix reprises, le Commissariat général au Plan s'est livré à l'exercice de la planification jusqu'en 1992. Ensuite, l'idéologie du tout-marché a pris le pas. Les autorités publiques refusent désormais de planifier, au motif qu'elles préfèrent programmer de façon sectorielle.
Pourtant, de nos jours, de brillants économistes, comme James Galbraith, aux États-Unis, prônent la nécessité d'une planification fondée sur la volonté de préserver l'environnement. Ils contestent les idées reçues du libéralisme économique issues de l'ère Reagan et de la fin de la guerre froide. Selon Galbraith, « il faudra nécessairement retirer du champ d'action des entreprises privées un élément central de la vie économique – le contrôle des sources et des usages de l'énergie – et le placer sous administration publique. »
La mise en sommeil du Plan, en 1992, a vu en revanche l'implication grandissante des collectivités locales aux côtés de l'État dans la mise en oeuvre territorialisée des politiques nationales. Les contrats de plan État-régions, rebaptisés « contrats de projet » en 2007, sont actuellement dans leur cinquième génération. Ils ont pour ambition de relayer les choix stratégiques nationaux et communautaires en termes d'infrastructures. La création d'un Plan écologique de la Nation rendrait à la délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale la fonction historique qu'elle assumait depuis 1963 : coordonner différentes administrations pour la réalisation territoriale d'objectifs nationalement définis.
De même, le schéma directeur de la région Île-de-France, adopté le 25 septembre 2008 par le conseil régional d'Île-de-France, est un document de planification territoriale écologique que l'on peut qualifier d'exemplaire. Définissant à l'horizon de 2030 l'avenir de l'Île-de-France en termes d'aménagement de l'espace ainsi que d'évolution sociale, économique et environnementale, il exprime une vision stratégique et un projet spatial. Ce document d'urbanisme est opposable aux documents d'urbanisme locaux. La démarche même d'élaboration du SDRIF a inversé les postulats classiques qui auraient appréhendé en priorité la compétitivité et l'attractivité de l'économie régionale, faisant passer au second plan les questions sociales et reléguant plus loin encore les réflexions environnementales. Malheureusement, la proposition du Grand Paris conçue par le Gouvernement fait exactement l'inverse !
Le SDRIF favorise, outre la lutte contre les inégalités sociales, la transformation écologique touchant l'énergie, le climat ou le milieu environnant, pour prévenir des tensions dans l'accès aux ressources vitales et protéger la biodiversité. Or le Gouvernement continue de bloquer son entrée en vigueur, bien qu'il soit le fruit de deux ans de concertations institutionnelles et citoyennes exemplaires.
La proposition de loi que je rapporte devant vous, présentée par les députés de la Gauche démocrate et républicaine, s'inscrit dans la continuité de notre histoire nationale de la planification, conçue à la Libération. Elle vise à assurer les mécanismes démocratiques de son élaboration par la création d'un Commissariat à la planification écologique, évolution du commissariat au Plan, par la modification de la DATAR en Délégation interministérielle à l'aménagement écologique des territoires, par la proposition de conférence citoyenne de participation, par des concertations avec les partenaires sociaux et les associations environnementales, par une contractualisation État-régions et l'association des autres collectivités territoriales, par la proposition du vote par le Parlement d'une loi de Plan écologique et par des droits d'intervention accrus des salariés dans leurs entreprises.
La planification écologique telle que nous la proposons, c'est-à-dire démocratique, représente un outil de mobilisation globale. En matière énergétique, elle vise à privilégier les approches qui permettent à la fois de réduire la consommation énergétique et de développer les énergies nouvelles renouvelables tout en diminuant le recours aux énergies fossiles et carbonées.
Elle vise aussi à l'innovation dans le secteur de l'écoconstruction, car la thématique du logement doit être considérée en lien avec le domaine des transports, dans le but de développer les transports alternatifs, les transports collectifs et les modes doux de déplacement sur l'ensemble du territoire. Cette planification écologique et démocratique permettrait de donner une nouvelle impulsion à la conception française du service public de transport et d'établir des accords publics de coopération.
Dans le champ de l'agriculture, dont l'inspiration productiviste développée en France et en Europe s'est imposée au reste du monde, notre proposition permettrait de faire obstacle à la crise majeure que nous vivons à l'échelle de la planète. Elle vise à offrir une alimentation de qualité à tous et à assurer la viabilité économique des familles paysannes par une rémunération digne de leur travail et le renouvellement générationnel des agriculteurs.
À la société du « toujours plus » – plus de croissance, plus de compétitivité, plus d'attractivité, plus de vitesse, plus de consommation –, nous proposons une planification écologique qui soit l'outil public et démocratique d'une société du vivre autrement, du vivre plus lentement, en tissant les liens de coopération, pour piloter la transition vers un vivre mieux répondant aux défis écologiques présents et futurs, ainsi qu'aux défis sociaux.
Voilà, chers collègues, le contenu et le sens de la proposition de loi que je vous demande d'adopter. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
La parole est à Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'État chargée de l'écologie.
Monsieur le Président, mesdames et messieurs les députés, madame la rapporteure, cette proposition de loi part d'un constat que nous partageons tous : notre modèle de développement a atteint ses limites.
Pour faire face à cette réalité, le Président de la République et le Gouvernement se sont engagés en organisant le Grenelle de l'environnement, démarche que le prix Nobel de la paix Rajendra Pachauri a récemment saluée.
Le fondement même de la politique du Gouvernement est d'engager une mutation écologique de la société fondée sur la croissance verte, principe que vous avez vous-même validé dans le cadre de la loi dite Grenelle 1.
Pour répondre à ce défi considérable, nous avons besoin de la contribution de tous. Il nous faut en effet être très modestes face au défi à relever. C'est en ce sens que je salue votre initiative, madame la députée, ainsi que celle des cosignataires de cette proposition de loi.
Toutefois, les préoccupations que vous y exprimez ont déjà trouvé une réponse dans le cadre des lois dites Grenelle 1 que complètera la loi Grenelle 2 sur laquelle nous allons passer de longues et heureuses heures de débat ici même dès le début de l'année. Je conçois donc votre proposition comme un appel et un soutien à l'action.
Vous faites état d'une urgence écologique, et vous avez parfaitement raison. Le Grenelle apporte une réponse à cette urgence, avec un programme d'investissement de 450 milliards d'euros d'ici 2020 et l'engagement de créer plus de 600 000 emplois dans le domaine de l'écologie.
Dans votre article 2, vous appelez à la « définition de choix stratégiques et d'objectifs à moyen et long terme ». Ce sont ces objectifs que l'Assemblée a votés à la quasi-unanimité dans la loi dite Grenelle 1. Vous y appelez également à définir des mesures fiscales et administratives propres à les atteindre. Nous avons commencé à le faire dans la loi de finances pour 2009 qui comprenait quarante-quatre mesures à objectif environnemental, afin de rattraper notre retard sur les autres pays européens. La loi de finances pour 2010 poursuit l'effort au prix de choix difficiles mais nécessaires, tel que celui de créer la contribution carbone pour que tous les citoyens trouvent intérêt à modifier leur comportement.
Dans la lutte contre le changement climatique, la France s'est engagée, grâce au Grenelle, ainsi qu'au niveau européen, à réduire de 24 % ses émissions de gaz à effet de serre d'ici 2020, à améliorer son efficacité énergétique de 20 % et à porter la part des énergies renouvelables dans la consommation finale à 23 %. Sur ce dernier point, avec la mise en place du fonds énergies renouvelables et du fonds chaleur renouvelable, le maintien des tarifs de rachat, la simplification des procédures et leur encadrement pour les sécuriser, nous sommes aujourd'hui sur la bonne voie. Il en va de même pour l'éolien et pour le solaire ; nous allons même au-delà des objectifs que nous nous étions fixés.
Vous avez évoqué deux secteurs clés, à commencer par celui du bâtiment. La réglementation va nous permettre de diviser par trois la consommation d'énergie dans les bâtiments neufs. Surtout, la rénovation des bâtiments existants doit permettre d'améliorer leur situation énergétique d'au moins 38 % d'ici 2020. Dans ce secteur, nous devons investir plus de 191 milliards, ce qui entraînera la création de plus de 300 000 emplois de toutes catégories – un gros effort de formation sera nécessaire. Les principaux outils de ce plan se révèlent efficaces. Ainsi nous avons conclu plus de 50 000 écoprêts à taux zéro, soit plus de deux fois la moyenne annuelle ; le crédit d'impôt développement durable dépasse les objectifs fixés et la Caisse des dépôts accorde des prêts bonifiés à 1,9 % pour la rénovation des logements sociaux les plus dégradés.
Le deuxième secteur clé est celui des transports. La première priorité est de rénover les infrastructures existantes, la deuxième de développer des modes alternatifs, notamment à la route, pour les transport de marchandises. Dans ce domaine, plus de 112 milliards d'euros vont être investis et devraient créer 170 000 emplois supplémentaires avec, par exemple, 2000 kilomètres de nouvelles lignes de TGV, le doublement des lignes de tramway – le ministre d'État a signé très récemment des conventions à ce sujet – la relance des transports en commun en site propre ou encore le plan fret.
Un autre domaine d'action, au mieux ignoré et souvent méprisé, est celui de la biodiversité. 2010 sera l'année de la biodiversité et nous comptons sur vous tous pour engager des actions dans ce cadre. A l'évidence, il faut changer de braquet pour conforter la trame verte et bleue et développer les espaces naturels protégés ; dans le domaine de l'agriculture, il est nécessaire de concilier les impératifs de production et le réalisme écologique. Avec le lancement du plan « Écophyto 2018 », nous avons pris l'engagement de réduire de 50 % d'ici dix ans l'utilisation des produits phytosanitaires dans l'agriculture et de labelliser au moins 50 % de nos exploitations en agriculture à haute valeur environnementale ; nous avons réorienté les programmes de recherche, doublé les crédits d'impôt et mis en place une aide au maintien pour l'agriculture biologique afin qu'elle représente 20 % des surfaces en 2020.
Dans un autre domaine, qui porte sur la prévention des risques, la santé et les déchets, nous avons, avec Roselyne Bachelot, présenté à l'automne le deuxième plan national santé-environnement, doté de 480 millions d'euros dont 110 millions pour la recherche, avec pour priorités de réduire les pollutions les plus lourdes, ainsi que de lutter contre les inégalités, plus fortes dans ce domaine que partout ailleurs
S'agissant des déchets, les objectifs que vous avez validés sont de réduire de 7 % la production de déchets par habitant par an et de diminuer de 15 % les déchets qui partent à l'incinération ou à la décharge. C'est tout simplement du jamais vu s'agissant des politiques publiques dans ce domaine. A cette fin, nous avons mis en place auprès de l'ADEME un fonds déchets alimenté par plusieurs TGAP, de façon à ce que toutes les collectivités trouvent intérêt à agir.
Vous avez insisté, à juste titre, sur l'association des citoyens à l'élaboration des plans écologiques. Tel est bien le principe de la « négociation à cinq » qui a été au coeur du Grenelle de l'environnement, et que le Parlement a validé. Nous l'avons utilisé également pour une table ronde sur les risques industriels, et sur la question si délicate des ondes émises par les antennes. Nous travaillons à généraliser cette méthode de négociation à cinq, et à améliorer l'information des consommateurs, notamment avec Hervé Novelli. En fait, le commissariat à la planification écologique que vous proposez de créer existe déjà avec le comité de suivi du Grenelle, que nous avons institutionnalisé en comité national du développement durable et du Grenelle de l'environnement, qui reprend les missions du conseil national du développement durable.
La loi dite Grenelle 1 et le projet de loi Grenelle 2 remplissent déjà bien, à mes yeux, de rôle de cette loi pour l'économie écologique que vous appelez de vos voeux. Voter un troisième texte remettrait en question les engagements pris par consensus par les cinq collèges du Grenelle de l'environnement, et l'engagement voté à la quasi-unanimité par ce Parlement.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement est défavorable à votre proposition de loi.
Monsieur le président, mes chers collègues, je ne reviens pas sur le contexte que Mme Billard a bien développé. Mais, madame la secrétaire d'état, en entendant vos derniers propos, je me suis demandé s'il valait encore la peine de débattre de projets concernant l'environnement dans cet hémicycle dans la mesure où le « groupe des cinq » devrait tout faire à notre place.
A la veille du sommet de Copenhague, qui mettra le développement durable au coeur de l'actualité pour des raisons climatiques, cette proposition de loi vise à instaurer un plan écologique de la nation, afin de définir des choix stratégiques aux contenus et objectifs forts, appelant de fait, à repenser nos modes de production, de consommation.
Comment les repenser, pourquoi et pour qui ?
Face à la crise économique, sociale, écologique, il est urgent d'effectuer les mutations industrielles et technologiques qui s'imposent pour garantir le droit de chacun à satisfaire ses besoins vitaux et à un environnement de qualité.
La France, avec ses salariés qualifiés, compétents, ses outils industriels et technologiques, a la capacité de faire des choix courageux, novateurs, utiles au monde. Cela suppose de produire autrement, de développer la recherche pour des matériaux novateurs, performants, dans l'industrie, l'habitat, l'agriculture, les transports.
J'illustrerai ces affirmations en prenant des exemples dans la Pointe de Caux et dans ma circonscription, la plus industrielle de France.
Pour ce qui est de l'énergie tout d'abord : les énergies fossiles, charbon, gaz et pétrole vont se raréfier dans quelques dizaines d'années. Il faut donc dès à présent consacrer des moyens importants à mettre en place des alternatives.
Dans ces conditions, est-il utile de construire le port méthanier d'Antifer, à Saint-Jouin-de-Bruneval près d'Étretat ? Qui sert-il ? Et qui dessert-il ? Répond-il à cet enjeu que vous venez de décrire, de protéger l'environnement et ne pas subir les diktats de l'économie ?
Pour ce qui est de l'automobile ensuite : parce qu'elle est facteur de liberté et de mobilité pour les individus, elle a un avenir même s'il ne prendra certainement pas les mêmes formes qu'auparavant. Pour préserver la filière, ne devons-nous pas la faire évoluer grâce à des matériaux composites recyclables, des moteurs à propulsion non carbonés, moins consommateurs d'essence et de gasole, et, à terme, des systèmes utilisant l'électricité comme source d'énergie ? Les salariés de Renault-Sandouville dans ma circonscription ont présenté un projet industriel pour l'avenir du site que j'ai soumis au gouvernement il y a peu. Pourquoi ne pas les entendre et les soutenir ?
Les mutations écologiques, oui, les délocalisations non !
Pour ce qui est de la chimie et la pétrochimie : la semaine dernière, M. Estrosi nous expliquait que « pour l'automobile, c'est réglé ; il reste les sous-traitants, mais je m'en occupe. Mais je suis très inquiet pour la chimie. » L'inquiétude du ministre de l'industrie ne me rassure pas. Pour l'instant en effet, la chimie a l'air de résister. Dans ces industries, on ne peut rester passif face à la fin programmée du tout pétrole. Il s'agit de l'anticiper. Je proposerai d'ailleurs un grand débat sur l'avenir de la chimie et de la pétrochimie, avec tous les acteurs concernés sur les thèmes suivants : « Quelle doit être la chimie du XXIe siècle ? Pour quels besoins ? Avec quelles matières premières ? Quel rôle la chimie peut-elle jouer dans le recyclage et l'économie circulaire ? Les matières premières de demain ne sont-elles pas les déchets d'aujourd'hui ?
Pour ce qui est de l'aéronautique également : le transport aérien consomme beaucoup d'énergie et pollue beaucoup. Les moteurs à réaction, sous leur forme actuelle, sont remis en cause. Chez Aircelle, dans ma circonscription, les ouvriers hautement qualifiés qui construisent les matériaux composites utilisés pour les nacelles qui tiennent les moteurs à réaction sur l'A380 sont inquiets. Mais ces matériaux composites peuvent se substituer au métal pour les éoliennes, les carénages de train et autres véhicules, bref, répondre à de nouveaux besoins. Quelle synergie impulser ? Et qui doit l'impulser ?
Pour ce qui est de l'agriculture, si vitale, il faut revenir à une politique sûre et de qualité, productive et non productiviste, Martine Billard l'a bien dit, rémunératrice du travail, diversifiée. Dans le Pays de Caux comme dans de nombreuses régions, trop d'exploitations familiales disparaissent chaque année, alors que c'est sur elles que repose l'équilibre de nos territoires.
L'habitat quant à lui bénéficie de progrès novateurs concernant l'isolation phonique et thermique. Les économies d'énergie ont un impact direct sur notre qualité de vie et sur la réduction des factures carbone.
Il faut libérer l'innovation en matière de techniques et de matériaux, investir dans les restructurations de l'habitat avec ambition, et exiger des programmes de formation considérables pour les professions du bâtiment.
En matière de transport, si l'automobile demeure, le transport collectif doit être une réponse aux besoins, tant en milieu urbain que rural, et chacun doit disposer de transport collectif de proximité à moindre coût.
Dans le domaine du fret dont vous avez parlé, madame la secrétaire d'État, nous devons nous engager dans une politique ambitieuse tournée vers le ferroviaire et le fluvial. Un plan ferroviaire sans précédent doit être impulsé pour un maillage plus dense du territoire avec, par exemple, la traversée de l'estuaire de la Seine. Ces modes de transport doivent supplanter le tout routier, prédateur de notre atmosphère et néfaste à la sécurité. Le ferroviaire comme le fluvial ont un double avantage : ils sont peu générateurs de CO2, et ils permettent de déplacer une grande capacité de fret par voyage.
Des projets sont en cours ; encore devons-nous nous assurer qu'ils ne seront pas sous-utilisés. Ainsi, au Havre, on nous propose de creuser un nouveau canal. Mais ce projet s'accompagne-t-il de mesures nationales imposant que les marchandises non périssables soient obligatoirement acheminées par le fleuve ?
Le transport fluvial est certes plus lent que le transport routier, mais il permet bien d'aller jusqu'à Gennevilliers. (Sourires.)
Ces quelques exemples sont autant de liens pour une planification écologique économique, sociale, efficace, fiable et utile aux hommes et à la planète.
Mais nous avons aussi des mesures radicales à prendre pour éradiquer la famine et pour réduire les gaz à effet de serre. Il faut commencer par produire là où l'on consomme, au plus près des besoins humains. Nous ne pouvons plus continuer à regarder les marchandises sillonner les mers pendant que les salariés chôment en France, que la précarité se développe, que la misère monte d'un cran et que des peuples meurent de faim.
Nous avons l'obligation de recycler à l'infini, autant que faire se peut, ce que nous consommons, y compris les déchets. Ce que nous sommes capables de construire, nous sommes capables de le déconstruire et nous pouvons valoriser les matières. Nous savons le faire et nous devons le faire au plus près.
Ces mesures à elles seules répondraient en partie aux défis à relever. Outre l'effet sur l'écologie, elles auraient aussi un effet protecteur pour l'emploi, l'économie et le social.
La nature a ses lois. Elle ne connaît pas le profit. Les climats, les sols savent ce qui peut pousser ou non à tel ou tel endroit. La loi du marché ne peut être la réponse adéquate à la protection de notre planète et de ses habitants. Les exigences des capitaux sont souvent incompatibles avec les besoins humains. Ce n'est pas une théorie, c'est un constat ! Les capitaux vont là où c'est rentable. Il faut agir pour qu'ils aillent là où c'est utile et, pour cela, il faut l'intervention publique et démocratique.
Or nous constatons que le système capitaliste ne peut pas répondre aux enjeux de protection de notre planète. Le développement durable nécessite des bouleversements et l'adoption d'autres comportements à l'échelle mondiale. Si nous devons inciter les citoyens à modifier leurs habitudes, nous avons le devoir de les accompagner dans cette démarche. Nous ne pouvons demander à des femmes, des hommes, des enfants de s'impliquer dans la protection de l'environnement, quand eux-mêmes ne se sentent pas protégés.
Nous avons la responsabilité de répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs, ce qui passe par un nouveau modèle de société où prime l'intérêt général en lieu et place des intérêts privés.
Cela suppose que soit menée une forte politique d'action publique autour de services publics redynamisés. Il faut aussi en créer certains, en particulier un Commissariat à la planification écologique, afin de maîtriser et de contrôler sur le long terme les dispositifs à mettre en oeuvre, et les moyens financiers à consacrer cette démarche, en y associant les citoyens, tous les acteurs sociaux et économiques.
Cela suppose de rompre avec la « concurrence libre et non faussée » qui n'a rien de libre, et qui est totalement faussée, puisqu'elle asservi les hommes, qu'elle les réduit à de simples consommateurs, et qu'elle entrave l'émancipation humaine en même temps qu'elle détruit la planète.
L'État doit se saisir de cette grande cause nationale et mondiale.
Comme nous l'a montré Martine Billard, cette proposition de loi a pour objectif de poser les fondations d'une planification écologique de l'économie dont les Français, les Européens et toute l'humanité ont besoin.
Elle s'inscrit pleinement dans la poursuite de la planification européenne qui, depuis de nombreuses années, pose les bornes en matière de pollution ou de protection des espaces naturels et de la biodiversité. Elle s'inscrit aussi pleinement dans la démarche de Copenhague.
Lorsque l'on parle de la planète, nos concitoyens ont l'habitude de répondre que ce n'est ni une affaire de droite ni une affaire de gauche, mais que c'est l'affaire de tous. Madame la secrétaire d'État, nous vous proposons qu'il en soit ainsi aujourd'hui. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, madame la rapporteure, mes chers collègues, la présente proposition de loi a pour finalité de développer un modèle alternatif de société qui s'oppose frontalement au capitalisme et au productivisme.
Ce modèle se fonde sur la décision collective émanant de l'ensemble des acteurs de la vie politique économique et sociale. Le dispositif que vous proposez s'inscrit dans le prolongement de la proposition de loi tendant à réduire l'empreinte écologique de la France, et que l'Assemblée nationale, rappelons-le, a rejetée : sa rédaction a été jugée insatisfaisante et son sujet soulevait un certain nombre d'interrogations. Nous avons ainsi remis en cause la fiabilité totale de la mesure de l'empreinte écologique comme indicateur permettant de suivre le développement durable afin d'orienter par la suite les politiques publiques. Ce constat a été confirmé, par ailleurs, par le rapport d'expertise du Commissariat général au développement durable.
En revanche, nous sommes tout à fait d'accord sur l'objectif de la reconversion écologique de l'économie, mais, pour notre part, c'est avec le Grenelle de l'environnement que nous défendons le modèle de croissance que nous aspirons de nos voeux. Nous nous prononçons ainsi en faveur d'un développement économique et social, maîtrisé et durable, qui prenne en compte les limites des ressources naturelles dont nous disposons.
Vous souhaitez qu'une loi mette en oeuvre un processus de planification nationale au nom d'une urgence impétueuse de répondre à la crise écologique actuelle. Mais sachez que l'impératif environnemental est entièrement pris en compte dans la loi Grenelle 1, comme l'a souligné Mme la secrétaire d'État, ainsi que dans le projet de loi Grenelle 2 dont nous débattrons dans les semaines à venir. Ce dernier texte s'inscrit en effet dans la lutte menée par le Gouvernement contre le réchauffement climatique.
Ces deux textes permettront d'assurer la transition écologique de notre pays.
Vous aimeriez que la proposition de loi instaurant une planification écologique détermine la responsabilité sociale et environnementale des entreprises. Mais le titre VI, et plus précisément l'article 83, du projet de loi Grenelle 2 impose déjà à toutes les entreprises l'obligation d'inclure dans leur rapport de gestion des données sociales et environnementales.
Vous espérez qu'une loi instaurant une planification écologique définira les orientations majeures des politiques publiques. Or ces préoccupations se trouvent déjà au coeur de la politique du Gouvernement et de la majorité UMP.
Prenons par exemple le projet de loi Grenelle 2, et notamment son titre III consacré à l'énergie.
La réduction de la consommation énergétique et la prévention des émissions de gaz à effet de serre au niveau régional y sont privilégiées. Pour ce qui est du développement des énergies renouvelables, les collectivités territoriales ont vocation à se saisir des questions liées à l'usage, à la distribution et à la production de chaleur.
Le titre II du projet de loi renforce les compétences des collectivités territoriales en matière d'aménagement, de transport et d'urbanisme, afin d'améliorer la planification et la gestion de l'ensemble des modes de transports.
En ce qui concerne les trames verte et bleue, le Gouvernement fixe les orientations nationales en matière de continuité écologique. Avec la région, il élabore un schéma régional de cohérence écologique mis en oeuvre par les élus locaux. En outre, l'État définit les directives d'aménagement et de développement durable en association avec les collectivités territoriales.
Ces quelques exemples montrent bien à quel point, dans le domaine environnemental, les collectivités territoriales jouent un rôle primordial.
Pourtant votre proposition de loi promeut une recentralisation des pouvoirs à visée prescriptive. Vous envisagez le dispositif planificateur en vous appuyant sur trois structures : le Commissariat à la planification écologique, la Délégation interministérielle à l'aménagement écologique des territoires et la Commission nationale du débat public. Les deux premières seraient associées à l'élaboration des lois de plan écologique et la troisième aurait pour mission d'organiser des conférences de participation populaire, dont les travaux guideraient la mise en oeuvre législative.
Je crois nécessaire de rappeler que, dans le cadre du Grenelle de l'environnement, de nombreuses réunions publiques ont été organisées à l'échelle nationale et régionale. Avec le dialogue à cinq collèges, nous avons également mis sur pied une méthode novatrice de prise de décision. Ainsi, les représentants d'administrations publiques, de collectivités territoriales, les acteurs économiques et les organisations syndicales participent au processus décisionnel.
De surcroît, le projet de loi portant engagement national pour l'environnement prévoit la constitution de commissions locales destinées à suivre les modalités d'application du Grenelle.
Mes chers collègues, vous l'avez bien compris, le groupe UMP apporte une réponse simple aux préoccupations des auteurs de la présente proposition de loi : le Grenelle de l'environnement. Par conséquent, nous ne pas voterons pas la proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Madame la secrétaire d'État, vous nous avez rappelé que la protection de l'environnement, la lutte contre les gaz à effet de serre et la raréfaction de la diversité biologique constituaient un engagement du Président de la République et du Gouvernement.
Force toutefois est de constater que ces sujets ne suscitent pas une très forte motivation chez les parlementaires de la majorité, bien peu nombreux dans l'hémicycle pour débattre d'un sujet qui me paraît aussi important – ils n'étaient guère plus nombreux. ce matin, alors que nous traitions d'une autre question majeure, celle du logement, Tout cela peut nous faire douter de la capacité que nous aurons dans ce pays à avancer sur ces deux problèmes.
La proposition de loi que nous examinons entend instaurer une « planification ». S'agit-il là d'un gros mot ? Non. Peut-être rappelle-t-il à certains – sans doute est-ce le cas de Mme Labrette-Ménager – un modèle qui peut faire frémir. Mais sachons raison garder !
Pour rassurer les plus libéraux qui tremblent à l'idée de voir resurgir un interventionnisme d'un autre âge, je leur rappelle que la planification écologique est, certes, un modèle de gestion politique importé de l'étranger, mais pas d'où ils croient ! En effet la planification écologique est un produit made in USA, que nous avons importé à l'époque de la Libération.
Mais ça change tout ; on aurait tout de même pu nous le dire avant ! (Sourires.)
À cette époque, les États-Unis confrontés à la détérioration accélérée de leur environnement furent les premiers à rechercher systématiquement et à mettre en oeuvre les techniques de planification écologique comme l'acquisition de servitudes par la puissance publique, la participation des citoyens à la décision… Bref, tout cela a déjà été expérimenté aux États-Unis, et cela a marché.
Sur le terme « écologique », on rencontrera beaucoup d'appréhensions tant aujourd'hui toutes les familles politiques s'en sont approprié les valeurs stigmatisées hier, car associées à une douce idée utopiste, et souvent strictement réservées à nos amis Verts.
Je lui aurais, quant à moi, très largement préféré le terme « environnementale », nettement plus approprié, car l'environnement embrasse, on le sait, une problématique plus large que l'écologie. Nous aurions pu en débattre longuement à l'occasion de cette proposition de loi.
« Planifier », c'est, à partir d'un constat, d'un état de situation, d'un inventaire, anticiper, prévoir afin d'éviter un écueil pour obtenir un résultat des réalisations en se dotant d'un calendrier pour mettre en oeuvre des actions au moyen de mesures, d'outils, et de budget définis.
À ce stade, si l'on applique le qualificatif « écologique » à cette planification, on obtient, d'une certaine façon, la définition du Grenelle de l'environnement. En effet, lors de l'étape du dialogue sociétal, préalable à la phase législative, un constat d'urgence fut dressé – constat de notre défaut à mettre en perspective notre développement pour en éviter les égarements. Ensuite se sont dégagées les mesures à reprendre dans les projets de lois éponymes.
Vous avez bien voulu retenir et faire nôtre, à l'unanimité, l'amendement que le groupe socialiste avait soutenu en ce sens à l'article 1er du Grenelle 1, consacrant cette urgence à agir et appelant à un programme d'actions, qui est le propre du Grenelle 2.
Tout ce mécanisme relève bien de ce qu'on pourrait qualifier de « planification écologique ». À ce stade, je suis un peu déçue que l'exposé des motifs de la proposition de loi dont nous avons aujourd'hui à connaître ne se soit pas directement réclamé du Grenelle de l'environnement. Je suis aussi un peu déçue que la commission ait rejeté un texte qui s'inscrivait si clairement dans cette volonté d'effort commun que l'on appelle Grenelle de l'environnement.
Les deux premiers titres de la proposition de loi précisent la notion de plan écologique de la nation. Les opposants au texte affirment y voir un doublon avec « l'engagement national pour l'environnement » du Grenelle 2, mais je pense que la nécessité d'agir de façon programmée et coordonnée, engageant l'État et, au-delà, les collectivités et les entreprises, bref l'ensemble de la nation, survivra à l'application du seul Grenelle 2. Pour atteindre les objectifs que nous visons, il faudra sûrement un Grenelle 3 et des Grenelle 4, 5, 6 …, en fait, un véritable plan environnemental de la nation.
Par le passé de nombreuses politiques de conservation et d'aménagement, qu'elles soient d'initiatives nationales ou européennes, comme Natura 2000, ont largement démontré la nécessité d'avoir une vision globale et cohérente des politiques territoriales. Chacun se souvient des difficultés à mettre en place Natura 2000, et chacun sait que cet outil ne suffit pas à protéger la faune et la flore menacées. À ce titre, les trames verte et bleue sont intéressantes. Elles sont complémentaires du réseau Natura 2000 et, au-delà, de l'ensemble des aires protégées. Reste à savoir si on leur donne une force juridique suffisante : c'est tout le débat de l'opposabilité des trames verte et bleue aux documents d'urbanisme. Une véritable planification écologique aurait probablement levé toutes ces interrogations.
Enfin, tout dispositif, aussi bon soit-il, s'apprécie également au regard des moyens budgétaires qui lui sont alloués ; c'est un élément nécessaire de la planification. En effet, qu'est-ce qu'un plan, sinon un engagement politique et financier dans la durée ?
Il y a quelques années, Philippe Duron et moi-même avions rédigé un rapport intitulé : « Du zonage au contrat ». Jusqu'à présent, les plans d'aménagement tels que nous les élaborons sont fondés sur le zonage. Il s'agit en effet de définir les usages incompatibles, de fixer les densités de construction par les coefficients d'occupation des sols, de concentrer l'urbanisation pour éviter de multiplier les équipements collectifs et préserver le plus possible les espaces naturels, agricoles et forestiers. Toutefois, bien souvent, les inventaires écologiques sont arbitraires et, surtout, très insuffisants. En outre, les conflits qu'entraîne la délimitation des zones sont nombreux et inévitables. Ainsi, la planification écologique de type américain a remis en cause la logique de zonage, pour s'orienter vers d'autres procédures.
Pourquoi ne pas profiter de l'examen de cette proposition de loi pour réfléchir, ici et ensemble, à ces différentes problématiques, au lieu de balayer ce texte d'un revers de main, comme l'a fait notamment la commission ?
Le titre III de la proposition de loi définit les outils et les structures de la planification, ainsi que les nouvelles missions de celles-ci. Il est ainsi proposé de renommer le Centre d'analyse stratégique « Commissariat à la planification écologique » et la Délégation interministérielle à l'aménagement et à la compétitivité des territoires « Délégation interministérielle à l'aménagement écologique des territoires ». Au-delà de ma critique du terme « écologique », auquel je préfère celui d'« environnemental », ce texte aurait pu nous permettre de discuter de manière plus approfondie des moyens de ces structures et de leur rôle.
En dépit de ces réserves, le groupe SRC, sensible à l'idée d'une anticipation et d'une programmation des actions et des politiques publiques environnementales, est globalement favorable à l'esprit de la proposition de loi, à laquelle il reconnaît le mérite de prévoir l'après-Grenelle. Nous voterons donc pour ce texte, en espérant qu'il sera discuté dans cet hémicycle et que lui sera épargné le sort réservé aux propositions de loi examinées ce matin. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est présentée aborde un sujet fondamental : l'adaptation de nos politiques publiques à l'urgence écologique. L'objet de ce texte, l'instauration d'une « planification écologique », m'amène à formuler deux remarques liminaires sur les termes mêmes de son intitulé.
Tout d'abord, la référence à la planification me semble intéressante. Elle tend en effet à réhabiliter un concept invalidé par sa traduction collectiviste et impérative dans les pays de l'ancien bloc soviétique, qui a totalement échoué et s'est traduite, permettez-moi de le faire remarquer, par un désastre écologique total. Toutefois, en lui donnant une forme indicative, le général de Gaulle avait su adapter de manière intelligente à notre pays cette « ardente nécessité » du Plan, qui n'a pas peu contribué au redressement de la France de l'après-guerre. À cet égard, on peut regretter l'abandon de cet outil sous le précédent quinquennat.
Ensuite, le caractère écologique de cette planification se justifie par l'urgence environnementale dans laquelle nous sommes aujourd'hui. Je rappelais ce matin la vulnérabilité de notre petite île-lagon de Mayotte aux phénomènes liés au réchauffement climatique mis en lumière par les scientifiques. Comme les Grenelle I et II au plan national et le sommet de Copenhague au plan mondial, le texte dont nous débattons s'inscrit dans cette salutaire prise de conscience.
C'est donc sans a priori défavorables que j'aborde l'examen de la proposition qui nous est présentée. Elle a le mérite de d'exposer de manière directe la situation dans laquelle nous sommes et la nécessité d'y apporter des réponses fortes, en faisant toute sa place au volontarisme de l'action des pouvoirs publics.
Néanmoins, je me permets de faire les remarques suivantes, qui témoignent, sinon d'une inquiétude, tout au moins d'une vigilance quant à la démarche qui sous-tend cette proposition.
Il convient tout d'abord de bien se mettre d'accord sur les objectifs recherchés. S'agit-il de rendre le développement économique et social de notre pays compatible avec la préservation des ressources de la planète ou bien de s'inscrire dans une logique de décroissance, voire de malthusianisme, faisant de l'homme un suspect par nature et de ses activités économiques de dangereuses pratiques à combattre ? Mon ami et collègue Jean Lassalle a souvent souligné le risque d'une conception uniquement punitive et, parfois même, hélas ! dans ses versions extrêmes, anti-humaniste de l'écologie. Permettez-moi également de vous rappeler combien, compte tenu des retards économiques et sociaux très lourds qui sont ceux de Mayotte, est forte chez nous l'attente d'un vrai développement, et non d'une décroissance. Cette clarification sur les fins de la planification écologique semble donc nécessaire.
Se pose également la question du degré de liberté laissé aux acteurs de terrain ; je pense en premier lieu aux collectivités locales, qui sont explicitement mentionnées dans la proposition et qui pourraient se retrouver extrêmement contraintes par des orientations s'imposant à elles, en contradiction avec le principe de leur libre administration. On peut également légitimement s'interroger sur la pertinence d'une planification à l'échelle strictement nationale, alors que les enjeux environnementaux relèvent de décisions en grande partie européennes.
Enfin, il est peut-être quelque peu dérisoire d'attacher une telle importance à la dénomination des dispositifs et structures, que vous souhaitez rebaptiser « Commissariat à la planification écologique » et « Délégation interministérielle à l'aménagement écologique des territoires ».
Trouver un juste équilibre entre la réponse à l'urgence écologique, le développement économique et la justice sociale : tel est le défi que nous devons relever, dans le respect des valeurs de notre République, au premier rang desquelles figure la liberté, et avec le souci constant d'associer au maximum les citoyens à ces choix décisifs. En conclusion, j'attends avec une certaine circonspection de notre débat les éléments qui me convaincront que cette proposition s'inscrit effectivement dans cette vision équilibrée.
La discussion générale est close.
La parole est à Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'État chargée de l'écologie.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, voilà un débat intéressant !
Madame Gaillard, monsieur Lecoq, vous souhaitez ardemment que nous puissions continuer à débattre. Je vous rassure : nous débattrons de longues heures, durant trois à quatre semaines, du Grenelle 2. Vous appelez également de vos voeux un Grenelle 3, voire un Grenelle 4 ; sachez que des adaptations législatives seront très probablement nécessaires.
Madame Gaillard, vous souhaitez que la confiance du Gouvernement se traduise par un engagement financier important. Dans le cadre des lois de finances, notamment des engagements triennaux, 19 milliards ont été budgétés, auxquels il faut ajouter 5 milliards au titre du plan de relance, ainsi que les propositions qui seront faites au titre du grand emprunt, puisque la commission Rocard a évalué à environ 13 milliards les investissements possibles dans le domaine de la croissance écologique.
S'agissant du niveau de planification approprié, la loi sur le Grenelle privilégie l'échelon régional. Nous avons ainsi des schémas régionaux de cohérence écologique pour la biodiversité, ainsi que des schémas régionaux « Air, énergie, climat », qui réunissent l'État et les régions, puisqu'ils sont co-élaborés par le président de la région et le préfet de région.
Dans le débat sur l'écologie, rien n'est simple, et M. Aly a rappelé à juste titre la nécessité de concilier écologie et croissance.
La question d'Antifer est très judicieuse. Le choix d'implanter un terminal méthanier en France est inscrit dans la PPI, la programmation pluriannuelle des investissements pour l'énergie, présentée au comité de suivi du Grenelle et débattue au Parlement. Nous nous sommes en effet engagés, dans le cadre de cette programmation, à réduire de 50 % l'usage du charbon à l'horizon 2015 en lui substituant en partie celui du gaz, qui est deux fois moins polluant. Nous avons, du reste, besoin de sécuriser notre énergie ; vous connaissez les problèmes que nous rencontrons en Bretagne dans ce domaine. Le choix du site d'implantation de ce terminal n'est pas arrêté. Nous avons renoncé à celui du Verdon, qui ne répondait pas aux critères écologiques du Grenelle. S'agissant d'Antifer, aucune décision n'a été prise pour l'instant.
La biodiversité, madame Gaillard, est un enjeu majeur – je n'insisterai jamais assez sur ce point. La trame verte et bleue sera opposable aux infrastructures nationales de l'État. Quant aux documents d'urbanisme locaux, le principe est qu'ils la prennent en compte, ce qui signifie qu'elle leur est opposable, sauf si l'intérêt général ou un intérêt local majeur est en jeu. Le juge pourra donc s'en saisir pour statuer sur un projet local, si une erreur manifeste d'appréciation a été commise. Un équilibre a donc été trouvé entre la compatibilité totale et la simple information.
En conclusion, ainsi que l'a rappelé Fabienne Labrette-Ménager, nous nous en tenons aux engagements qui ont été déterminés par les acteurs du Grenelle et que vous avez adoptés à la quasi unanimité.
Monsieur le président, avant de poursuivre la discussion, le Gouvernement demande, en application de l'article 96 du règlement de l'Assemblée nationale (Exclamations sur les bancs du groupe GDR),…
…la réserve du vote sur les articles et les amendements de la proposition de loi.
Merci, madame la secrétaire d'État. Votre annonce a soulagé M. Muzeau, pour qui le suspens était manifestement insoutenable. (Sourires.)
J'appelle maintenant les articles de la proposition de loi dans le texte dont l'Assemblée a été saisie initialement, puisque la commission ne l'a pas adoptée.
En application de l'article 96 du règlement, le Gouvernement demande la réserve des votes ; celle-ci est de droit.
Madame la secrétaire d'État, je regrette que le Gouvernement demande, pour la troisième fois depuis ce matin, la réserve sur le vote d'une proposition de loi du groupe GDR. À chaque séance d'initiative parlementaire réservée aux groupes de l'opposition, c'est la même chose : le Gouvernement demande la réserve sur les votes, qui sont donc reportés, et, de fait, nous ne pouvons aller au fond des choses.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que cela ne contribue pas au renforcement des pouvoirs du Parlement, bien au contraire ! Il aurait été très intéressant que nous débattions de ce texte. Qu'au terme de ce débat, le Gouvernement appelle à rejeter la proposition de loi, c'est le jeu démocratique. Mais clore la discussion avant qu'elle n'ait réellement commencé me semble très dommageable pour la démocratie.
Par ailleurs, je rappelle que les signataires de cette proposition de loi se sont abstenus lors du vote de la loi sur le Grenelle 1, précisément parce qu'ils jugeaient celle-ci insuffisante, notamment pas assez normative. Notre proposition de loi relative à la planification écologique s'inscrit donc bien en cohérence avec notre vote sur le Grenelle 1.
J'ajoute que, selon nous, la loi, les dispositifs thématiques et les dispositifs régionaux souffrent précisément d'un manque de cohérence globale. C'est pour y remédier que nous avons déposé cette proposition de loi. En effet, faute de mise en cohérence, ces dispositifs, qui, pris un par un, pourraient être intéressants, risquent devenir inapplicables à un certain niveau.
Si cette proposition est dite de planification écologique, et non environnementale, c'est parce qu'elle va plus loin : il est bien précisé à l'article 1er que « le plan écologique détermine les choix stratégiques et les objectifs à moyen et long terme de la nation dans les domaines économiques, sociaux, environnementaux et d'aménagement du territoire ainsi que les moyens nécessaires pour les atteindre. » Cette proposition de loi visait à aller plus loin que les lois Grenelle, plus loin qu'une simple planification environnementale, et je regrette que nous ne puissions avoir des débats construits et fructueux avant de prendre des décisions sur ces questions.
La décision du Gouvernement est d'autant plus étonnante que lorsque nous débattons de projets de loi, le Gouvernement reproche constamment à l'opposition de ne pas avoir de projet alternatif à proposer.
Or, dans le cadre d'un projet de loi, l'opposition est presque systématiquement bloquée par le fameux article 40 de la Constitution, qui interdit aux parlementaires de proposer des mesures créant ou augmentant des dépenses – il ne leur reste donc que la possibilité de formuler des propositions n'entraînant aucune dépense, ce qui ne permet guère de construire des propositions cohérentes.
Les propositions de loi formulées dans le cadre de l'initiative parlementaire devraient offrir à l'opposition l'unique opportunité d'avancer des dispositifs globaux cohérents – quoique également restreints par l'article 40 –, ce qui n'est pas le cas en pratique. En effet, la majorité UMP ayant décidé de ne pas faire l'effort d'être présente en séance, les journées d'initiative parlementaire se trouvent vidées de toute leur essence, de tout intérêt. Au nom du groupe GDR, je le regrette profondément. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
Afin de clarifier les débats, je précise, madame la rapporteure, que la conférence des présidents aura à examiner ces questions ; le président Accoyer a d'ailleurs proposé que le bureau de l'Assemblée nationale se réunisse à cet effet.
Pour le reste, je ne peux faire autrement que d'appliquer l'article 96 du règlement de notre assemblée…
…ce qui ne signifie d'ailleurs nullement qu'il n'y a pas de débat. Je vais donner la parole sur les articles et appeler les amendements – reste à savoir s'ils seront défendus ou non –, la réserve ne portant que sur le vote. Je le répète, le débat aura lieu sur cette proposition de loi, comme sur toutes les propositions examinées aujourd'hui.
Je me réjouis d'étudier aujourd'hui un texte de loi proposant une planification des activités humaines. L'écologie est une porte d'entrée dans ce débat, mais on peut étendre la démarche assez facilement. Je pense en particulier à la création d'un pôle public bancaire et financier, où la planification démocratique prendrait tout son sens !
Le but de cette proposition de loi est de créer une véritable boîte à outils au service de tous les citoyens et de la démocratie, ce qui est absolument nécessaire, car nous partons de pratiquement rien : les administrations et la planification, on le sait, ont été abandonnées en France ! Les textes sur le Grenelle de l'environnement, par exemple, se suivent, mais ne sont pas appliqués. La réalisation de leurs objectifs est soumise au critère de la rentabilité financière, comme dans le fret ferroviaire, ce qui est inacceptable.
Je pense qu'il faut se donner les moyens d'une politique ambitieuse en matière d'environnement. Les entreprises françaises doivent être irréprochables pour accompagner le mouvement en faveur de la préservation des écosystèmes. Partant de cette idée et estimant que cela doit passer par une meilleure information sur l'impact des activités et par une consultation systématique des comités d'entreprise, j'avais pensé déposer des amendements en ce sens. Il s'agissait d'étendre les droits d'intervention des élus des salariés aux questions environnementales, afin que la planification écologique gagne les entreprises mais aussi, je le dis clairement, afin de sortir du carcan capitaliste et de faire avancer la démocratie.
Toutefois, à cause de la réserve de vote décidée par le Gouvernement, j'ai renoncé à défendre mes amendements. La réserve de vote déclarée systématiquement par le Gouvernement est un véritable scandale ! Il n'y a aucun sens à débattre sans pouvoir voter ! À l'avenir, j'espère que le travail des parlementaires ne sera pas cantonné au témoignage sympathique. Pour le moment, à défaut de revalorisation du Parlement, on constate surtout une négation du rôle des représentants du peuple, qu'ils soient dans la majorité ou non !
(Le vote sur l'article 1er est réservé.)
Je souhaite faire quelques observations sur l'article 2, en particulier sur l'alinéa 5, qui me semble d'une très grande importance. Selon cet alinéa, la loi de plan écologique « fixe les critères de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises et fixe dans le code du travail les droits d'intervention des salariés au sein de leurs entreprises à travers les institutions représentatives du personnel, pour favoriser la mise en oeuvre des objectifs du plan écologique auprès des acteurs du secteur privé de l'économie. »
Cet alinéa appelle deux observations. Premièrement, en ce qui concerne la responsabilité sociale et environnementale des entreprises, chacun sait que la loi, telle qu'elle a été construite – je pense en particulier à la loi sur la responsabilité environnementale – considère qu'en matière de pollution, la responsabilité n'incombe qu'à celui qui se trouve en bout de chaîne, en bout de filière. Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire lors de précédents débats, les petites et moyennes entreprises se retrouvent donc seules responsables des dégâts causés à l'environnement. Lorsque cette loi a été débattue, nous avons été plusieurs à faire valoir qu'il fallait instaurer une responsabilisation de l'ensemble de la filière, en particulier des maisons mères. Aujourd'hui, des maisons mères et des donneurs d'ordres imposent aux petites entreprises des conditions de production sur les prix, menacent de délocaliser, obligent à augmenter les cadences de travail ; afin de produire pour le moins cher possible, certaines petites et moyennes entreprises en viennent à ne pas tenir suffisamment compte des conséquences environnementales.
Il faut condamner le système à origine de ces dérives, qui procède d'une orientation inscrite dans le Grenelle de l'environnement, consistant à exonérer les grandes entreprises de leurs responsabilités en matière de dommages à l'environnement, au nom de la compétitivité.
L'alinéa 5 évoque également, de façon très pertinente, la responsabilité qui devrait être confiée aux salariés dans les entreprises. En effet, les premiers à pouvoir constater, au sein d'une entreprise, les dégâts occasionnés à l'environnement, sont les salariés, ceux qui se trouvent devant les machines ou à l'entretien et sont témoins du fait que des produits sont lâchés dans la nature, par les égouts, sans faire l'objet d'aucun traitement. Sur tous les territoires de France, on trouve désormais des friches industrielles polluées. Aucune responsabilité n'est recherchée, la loi de responsabilité environnementale qui a été votée ne remontant pas en arrière : elle exonère les responsables, ce qui fait que l'on ne peut obtenir de remise en état des lieux, à moins de l'effectuer sur les fonds publics, ce qui est tout à fait inacceptable.
Les questions de l'environnement ne peuvent être traitées sans mettre en cause le système, un système recherchant uniquement le profit et la compétitivité, et exonérant les grandes entreprises de leurs responsabilités. Il est trop facile de n'apporter comme réponse qu'une taxe carbone, qui pénalise individuellement. Certes, il existe une responsabilité individuelle, mais il faut avant tout rechercher celle des premiers responsables – ceux qui, pour alimenter les profits de leurs actionnaires, font fi de l'environnement comme de la santé des salariés. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe GDR.)
Je veux répondre à M. Chassaigne, qui a mis beaucoup de passion à évoquer ce qui, bien souvent, est une réalité.
Certains articles de la loi Grenelle 2 visaient à faire figurer, dans les rapports annuels, des informations relatives au développement durable et aux risques dans les différentes entreprises. De même, des dispositions avaient pour objet de permettre de remonter jusqu'aux maisons mères en matière de responsabilité environnementale. En ce qui concerne les sites et les sols pollués, on se heurte généralement au principe d'autonomie des personnes morales ; néanmoins, la loi permet d'invoquer la faute de la maison mère lorsque la filiale est en faillite. Certes, cette disposition est très restrictive, puisqu'elle exige qu'une faillite soit survenue ; mais elle a tout de même le mérite d'exister.
M. Chassaigne a également évoqué le problème très spécifique de la protection des salariés donneurs d'alerte. D'une part, la loi contient des dispositions relatives à ce sujet très spécifique, que nous aurons l'occasion d'évoquer à nouveau dans le cadre de la loi Grenelle 2. D'autre part, nous avons introduit les questions environnementales dans le cadre des discussions des comités d'entreprise et CHSCT.
(Le vote sur l'article 2 est réservé.)
Nous avons achevé l'examen des articles de la proposition de loi.
La suite de la discussion de ce texte aura lieu le mardi 8 décembre, après les questions au Gouvernement.
L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution de M. Jean-Jacques Candelier et plusieurs de ses collègues, estimant urgente la création d'un service public bancaire et financier, ainsi que d'un pôle public financier, afin de favoriser le développement humain (n° 2003).
La parole est à M. Jean-Jacques Candelier, auteur de la proposition de résolution.
À trois semaines de Noël, je vous donne une chance, monsieur le ministre chargé des relations avec le Parlement, de changer la situation économique de notre pays. J'espère que vous saurez la saisir !
Ah ! Voyons un peu !
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'objet de la résolution que j'ai l'honneur de présenter aujourd'hui consiste à souligner l'urgence à mettre les banques à l'abri des caprices des marchés financiers et à les replacer dans leur coeur de métier, à relancer les activités, l'emploi, les salaires, les investissements utiles, l'innovation et la recherche.
Certains chiffres font tourner la tête de nombre de nos concitoyens, moi y compris ! Le bénéfice net de la BNP Paribas a atteint 1,3 milliard d'euros au troisième trimestre, marquant une hausse de 45 %. Sur les neuf derniers mois, alors que nous sommes en période de crise, cette banque a dégagé 4,5 milliards de bénéfice. Ce sont là des chiffres hallucinants.
Faut-il se réjouir de ces profits mirobolants, constatés d'ailleurs dans toutes les grandes banques ? On pourrait faire beaucoup de choses pour le bien collectif avec seulement quelques milliards ! En comparaison, le tout nouveau plan cancer coûtera 750 millions d'euros à l'État et l'aide aux agriculteurs en prêts bonifiés, un milliard d'euros. L'argent existe dans notre société, encore faut-il se donner les moyens pour arracher au privé ce qui revient de droit à la collectivité.
Surtout, nous devons nous interroger : par quel miracle, en période de crise, la finance, elle, arrive-t-elle à marcher aussi fort ? Le « miracle » a en réalité une explication fort simple : la crise financière a dégagé un horizon nouveau pour les spéculateurs. L'État, qui a soutenu fortement nos banques en pleine tempête, les a surtout remises en selle pour qu'elles profitent à plein des nouvelles opportunités sur les marchés. Fort logiquement, les spéculateurs se remettent à spéculer. C'est leur raison d'être : on ne peut demander à des loups de manger de la salade !
La crise a démontré que l'intervention des pouvoirs publics doit être durable afin de s'assurer la maîtrise des grands leviers économiques et financiers. Ce n'est pourtant pas la voie choisie par la droite. À défaut d'avoir fait reculer au G20 les abus et la dérégulation de la finance, elle a donné quitus aux spéculateurs et aux pratiques indécentes et malsaines d'argent facile !
D'ailleurs, les bonus des traders ne sont qu'une partie d'un problème plus vaste, celui du règne de l'argent roi.
Le cynisme des banques privées s'est illustré encore tout récemment quand leurs dirigeants ont remboursé au plus vite les aides publiques reçues afin de tuer dans l'oeuf toute tentative d'instaurer un droit de regard dans leur business. On comprend dans ces conditions qu'il ne sert strictement à rien de supplier les banquiers privés de soutenir l'économie réelle : l'agriculture, le bâtiment ou l'automobile représentent une part de plus en plus faible des profits des banques. Pourquoi s'occuper du crédit d'un artisan quand on peut engranger des plus-values en faisant des transactions sur des valeurs mobilières mondiales ?
Autre exemple, le Premier ministre a prononcé récemment un discours dans l'enceinte du Crédit Agricole, chose peu commune. Au prix de « négociations serrées » avec certaines banques, nous dit-on, celui-ci n'a finalement réussi qu'à sortir de son chapeau des prêts bonifiés pour les jeunes agriculteurs, soit des prêts avantageux. Mais le Premier ministre n'a pas demandé aux banques de consentir le moindre effort en leur faveur.
Nous ne sommes pas dans le cas où le Crédit Agricole consentirait un effort pour soutenir les investissements agricoles. Dans ces opérations, la rentabilité des banques est sauve car c'est bien les contribuables qui financent le manque à gagner pour les banques, soit le différentiel d'intérêt.
Il faut être clair : en tant qu'antilibéraux, nous nous réjouissons que la puissance publique intervienne pour soutenir les activités utiles. D'ailleurs, avec notre collègue André Chassaigne nous proposons de faire beaucoup plus pour notre agriculture. Mais en tant que communistes et que républicains, nous proposons que la pratique des prêts bonifiés pour des investissements utiles soit systématisée, avec le volontarisme de l'État, garant de l'intérêt général, mais aussi en mettant à contribution la force de frappe des grandes banques privées.
J'irai un peu plus loin : sans changement radical dans le comportement des grandes banques, sans changement dans leurs objectifs, sans un contrôle public du crédit, on ne peut pas soutenir l'économie réelle. Car c'est bien la norme de rentabilité financière et les exubérances de profit qui conduisent notre pays à enregistrer plus de 30 000 demandeurs d'emploi supplémentaires par mois. La sortie de crise est encore bien loin.
Soutenir et développer des secteurs stratégiques – services publics, logement, environnement – ne peut, selon nous, se faire sans briser cette norme de rentabilité. Oui, nous voulons briser le mur de l'argent ! On a beaucoup parlé de la chute du mur dernièrement, mais on a moins évoqué la construction de la muraille de l'argent. Celle qui empêche les PME d'investir, de surmonter leurs difficultés de trésorerie, qui prive la recherche publique des moyens nécessaires, et certains ménages de la possibilité de faire des projets, mais qui est, par contre, si conciliante avec les groupes du CAC 40 !
Pour faire face aux besoins, nous ne proposons pas une froide planification d'État : nous voulons remettre l'humain au coeur de la finance, « En faire la chose de tous », comme disait Jaurès de la Nation. Voila ce que nous voulons pour le secteur de la finance !
Notre proposition de résolution est bien fondée sur une certaine identité française : la France des services publics, de la Sécu, de l'école laïque et gratuite, et de grandes entreprises nationales comme la SNCF ou EDF – tout ce que la droite brade afin de satisfaire les nantis !
Il faudrait plutôt construire des services publics, pour sortir véritablement de la crise et développer l'humain. Le Gouvernement et les élites ne prennent pas la mesure de la situation catastrophique de la France.
À la suite de sa reconduite à la tête de la Banque de France, le Gouverneur, Christian Noyer, indiquait, après s'être félicité du G 20 : « Nous veillerons à ce que les bénéfices viennent renforcer en priorité le capital et que les banques concentrent leurs activités sur le financement de l'économie. Je serai intransigeant sur ce point. »
Cessons ces déclarations lénifiantes ! Il faut se donner les moyens qu'exige la situation ! Nous sommes contre le renforcement des fonds propres de banques qui continuent à spéculer ! À quand la prochaine crise financière ? Nous sommes opposés à l'autosatisfaction du Gouvernement, qui pense avoir fait de bonnes opérations à travers le remboursement des aides octroyées aux banques.
Nous voulons développer une vision de long terme, d'intérêt général, à l'inverse de la gestion boutiquière du Gouvernement. Nous proposons de créer un nouveau service public et un contrôle démocratique des banques. La monnaie est un bien public. L'argent des banques, l'argent des Français, doit servir l'intérêt général et non les intérêts des banquiers.
Nous voulons créer ce nouveau service public, car les opérations de banques sont des activités vitales de notre économie. Elles concernent aussi bien les ménages que les entreprises. Tout le monde est tenu de disposer d'un compte bancaire. Le service public, c'est ce qui est commun à tous, c'est ce qui est indispensable.
Il est donc grand temps de prendre conscience que les règles de service public doivent se mettre en place pour assurer l'égalité des usagers sur l'ensemble du territoire et garantir l'accessibilité de tous aux services bancaires et financiers. Tout comme il existe une éducation nationale et une assurance maladie, il faut créer un outil républicain pour assurer la mise en oeuvre effective du droit d'accès aux services financiers.
Pour concourir à ce nouveau service public, nous voulons des établissements publics. Nous le disons pour La Poste, nous le disons pour l'hôpital, et dans cette proposition de résolution. Celle-ci suggère de créer un pôle public financier. Il s'agit de coordonner tous les acteurs publics du secteur pour mener une politique nationale ambitieuse au service du développement. Il y a un grand besoin de démocratie dans la gestion de l'argent. Il faut aussi voir plus grand dans les dispositifs.
Ainsi, si la banque publique d'aide aux PME, OSÉO, a soutenu, au 1er septembre 2009, 18 000 entreprises, pour un montant total de 4,5 milliards d'euros, je rappellerai qu'il existe environ 3 millions d'entreprises dans notre pays. Nous aimons bien OSÉO, mais nous aimons aussi la BNP Paribas, le Crédit Agricole ou la Société Générale. Du moins, nous aimerions que ces banques mettent leur gigantesque force de frappe au service du développement de l'économie, plutôt qu'à celui du portefeuille de leurs actionnaires. Le pôle public financier doit donc atteindre une masse critique. Cela passera par de nécessaires nationalisations.
Pour mener une politique ambitieuse de développement, il n'est pas utile de faire un grand emprunt qui profitera encore et toujours aux nantis. Il est nécessaire de prendre le contrôle total et permanent des principaux groupes bancaires français et de démocratiser leur fonctionnement.
Il ne s'agit pas de nationaliser les pertes pour privatiser les profits. Nous ne voulons pas aider les banques à franchir ce que les libéraux considèrent comme un mauvais cap. Quand des banques sont nationalisées en Allemagne, en Angleterre ou aux États-Unis, c'est pour maintenir la rentabilité financière des établissements et pour leur permettre de continuer leur business comme si de rien n'était.
Notre position va à l'encontre de la politique actuelle et des diktats capitalistes de l'Union européenne. Nous, nous voulons révolutionner le système ! Nous voulons refondre démocratiquement les objectifs stratégiques des banques, avec la participation, à tous les niveaux, des usagers et des salariés, que ce soit dans les conseils d'administration et de surveillance, mais aussi dans les comités de crédit, là où l'on décide de l'octroi des crédits.
Voilà notre grande ambition : faire en sorte que la souveraineté appartienne effectivement au peuple, et non à la bourse et aux actionnaires !
Je me permets à cette occasion un rappel historique. Pourquoi avoir peur de nationaliser, alors que le Gouvernement propose de débattre de la Nation ? Qu'est-ce qu'une nationalisation si ce n'est remettre la Nation, sa population, ses associations, ses salariés, au coeur des activités économiques ?
Le programme du Conseil national de la résistance réclama dès 1944 le « retour à la Nation de tous les grands moyens de productions monopolisées, fruits du travail commun, des sources d'énergie, des richesses du sous-sol, des compagnies d'assurance et des grandes banques ». Il s'agissait de sanctionner la collaboration et de rationaliser la reconstruction de la Nation.
Le 30 novembre 1945, un projet de loi avait été déposé après la fermeture de la bourse, pour être voté le 2 décembre et publié au Journal officiel le lendemain. Le 3 décembre 1945, toutes les banques de dépôt et de crédit ainsi que la Banque de France étaient nationalisées.
Nous sommes bien, aujourd'hui, dans une situation qui exige qu'une même énergie soit déployée pour reconstruire ce que la finance détruit.
J'en appelle donc à tous les héritiers du gaullisme – il doit bien en rester : à circonstances exceptionnelles, moyens exceptionnels ! Il n'est plus temps de moraliser le capitalisme, autant chercher à domestiquer un requin.
Alors, bien entendu, on va nous dire que les temps ont changé. On va nous expliquer que la Commission européenne serait inquiète de voir se créer un pôle public du crédit en France, qui pourrait prendre du poids et venir fausser la sacro-sainte « concurrence libre et non faussée ». Eh bien, si tel était le cas, alors il s'agira d'un excellent encouragement à poursuivre nos efforts !
Pour terminer, je veux évoquer le risque énorme qui pèse sur l'avenir de l'établissement public de La Poste. Nous n'avons jamais vu qu'un changement de statut serait nécessaire pour répondre à un besoin de financement. Le statut d'établissement public n'a jamais empêché en quoi que ce soit une aide directe de l'État pour assurer le développement de La Poste. Sinon, il faudra nous expliquer pourquoi l'établissement public OSÉO peut, lui, bénéficier d'une aide publique de l'État pour soutenir les PME et les agriculteurs.
Voter oui à la présente proposition de résolution, c'est aussi l'occasion d'affirmer son attachement à un avenir public de La Poste.
Voter oui, c'est asseoir la domination et la souveraineté du monde du travail dans la finance. C'est émettre un signal fort pour tous les grands de ce monde qui s'engraissent avec toujours plus de milliards, quand leurs victimes subissent le chômage et la misère.
Chers collègues, je vous invite donc à donner ce grand coup de pied salutaire dans la fourmilière. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Pierre Gorges, pour le groupe UMP.
Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, nous débattons aujourd'hui d'une proposition de résolution estimant urgente la création d'un service public bancaire et financier ainsi que d'un pôle public financier, afin de favoriser le développement humain.
À l'heure d'une économie globalisée, du rapprochement du monde vers le monde, et de l'instantanéité de la décision économique et financière, le groupe GDR nous propose des vieilles recettes qui n'ont jamais marché,…
…un système dont personne aujourd'hui ne conteste plus le bilan catastrophique en termes de dépenses publiques pour le contribuable. On se souvient du Crédit Lyonnais, propriété de l'État dans les années 80 et des contribuables qui ont encore payé le prix fort de la gestion de vos amis, chers collègues.
Évidemment, il était géré avec les mêmes méthodes qu'une banque privée !
La vocation de l'État est non pas de gérer les banques, mais bien d'être le garant des dépôts des épargnants. C'est un rôle de régulateur et non d'actionnaire. Un rôle de contrôle et non de prise de participation financière.
Votre vision du système bancaire est réductrice, car si la relance s'est faite de manière coordonnée, la sortie de crise se fera de manière concertée et à l'échelle européenne.
La crise est mondiale et la France doit travailler avec ses partenaires européens pour définir ensemble ce que sera la régulation du système bancaire futur.
Vous proposez une France de l'isolement, repliée sur elle-même : nous proposons une France qui bouge avec ses partenaires européens pour sortir de la crise.
Je voudrais rappeler ici l'action du Gouvernement qui a notamment instauré un médiateur du crédit. Près de 8 000 entreprises ont bénéficié de ses services et plus de 150 000 emplois ont été sauvés grâce à ses interventions.
Je voudrais aussi rappeler que l'argent prêté aux banques par l'État, et non les nationalisations que vous réclamez encore, a rapporté près de 2,2 milliards d'euros à nos finances publiques et n'a pas coûté d'argent aux contribuables.
Mes chers collègues, les banques françaises sont solides. Il existe un fonds de garantie des dépôts, destiné à couvrir les dépôts et titres en cas de défaillance de la banque. En cas de faillite, il est prévu un remboursement des dépôts à hauteur maximale de 70 000 euros par déposant pour les espèces et un montant identique pour les titres rendus indisponibles.
Enfin, je rappelle que les encours de crédits en France ont augmenté de 2,7 % en un an contre 0,7 % dans la zone euro ce qui montre que l'action du Gouvernement, soutenue par la majorité, a permis à l'économie française de mieux résister à la crise que les autres grandes économies européennes.
Certes, cette période de turbulence financière est difficile, mais elle est l'occasion de porter la vision de la France sur les règles de régulation. La nomination de Michel Barnier au poste de commissaire européen en charge du marché intérieur et des services financiers montre la capacité de la France à peser dans les choix stratégiques de l'Europe en matière de politique économique et financière.
La création d'un service public bancaire, comme vous le proposez, aurait pour conséquence d'isoler la France et d'affaiblir ses positions auprès de nos partenaires dans la refonte de notre économie. Vous voulez nationaliser nos banques, mais nos établissements financiers sont précisément ceux qui ont le mieux résisté à la crise. Il n'y a eu aucune faillite – du moins, à ce jour, je n'en connais aucune. Les dépôts des épargnants ont été préservés et les marchés boursiers stabilisés.
Vous proposez de mettre une fois de plus les Français à contribution dans la création d'un pôle financier public franco-français. Mes chers collègues, nous choisissons quant à nous l'ouverture, et préférons mener ce débat sur le système financier mondial, bien sûr de manière concertée, car nous voulons nous aussi une économie responsable au service des peuples européens et, je le précise, sans dogmatisme.
Pour ces raisons, le groupe UMP ne votera pas l'adoption de cette résolution.
Monsieur le président, monsieur le ministre chargé des relations avec le Parlement, qui peut discuter de l'opportunité d'un texte abordant la question des banques, de leur régulation, du service public et de la création d'un pôle financier, comme le suggèrent nos collègues du groupe GDR ?
Les banques jouent un rôle déterminant dans l'économie, aussi bien réelle que virtuelle. Il faut, à notre sens, légiférer en la matière. En effet, le « code de bonne conduite », que quelques-uns acceptent après une admonestation amicale, lors d'une convocation à l'Élysée, est pour nous insuffisant. Si nous voulons jouer notre rôle, nous devons effectivement légiférer sur ces questions qui influent, directement ou indirectement, sur la vie quotidienne de nos concitoyens.
Quel est le rôle des banques ? Assurer l'accès de tous nos concitoyens au service bancaire, assurer l'accès au crédit pour les particuliers, les agriculteurs et les entreprises – qu'il s'agisse des PME, des TPE ou des grandes entreprises. Leur rôle n'est pas de spéculer pour gonfler des bulles plus ou moins artificielles ou fabriquer du papier plus ou moins volatil.
Quel est le rôle de l'État ? S'assurer que le service est rendu, que l'argent des déposants est garanti, que le rôle de prêteur, qui permet d'alimenter et donc de faire fonctionner l'économie, est bien exercé, que le risque pris en prêtant et en investissant ne dépasse pas les capacités des établissement à assurer, avec leurs fonds propres, la stabilité des éléments financiers. Tout cela impose de la régulation et de la surveillance.
La crise dite financière que nous avons connue – et que nous connaissons encore, j'y reviendrai –, était inscrite dans les comportements, même si, j'en conviens, cela est plus facile à dire après qu'avant. Je me souviens des propos du candidat Sarkozy vantant les mérites des prêts américains, érigés en modèles. Je me souviens aussi des propos larmoyants de Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, qui vantait au mois de juin 2007 les mérites de la place londonienne et qui versait des larmes sur les pauvres traders, obligés de faire la queue à la gare du Nord pour prendre l'Eurostar en classe affaires afin de se rendre dans le paradis londonien ! (Sourires.)
Cette crise nous a démontré les failles des systèmes de régulation. Elle nous oblige à renforcer la présence de la puissance publique, et donc de l'État, dans les mécanismes bancaires et financiers. Elle nous conduit à revoir les différents outils. Je pense aux agences de notation, dont le comportement – elles sont à la fois juges et parties – a été souligné à juste titre ; à la titrisation, qui permet de véhiculer des avoirs, actif ou passif, en faisant en sorte que plus personne ne sait plus, au bout de quelques manoeuvres, qui est qui et qui doit combien à qui ; aux rémunérations des dirigeants, des traders et des différents acteurs, qui dépassent toute imagination ; aux systèmes plus ou moins sophistiqués comme les leveraged buy-out – ou LBO –, qui permettent de racheter en s'endettant, de se rembourser sur la bête et qui sont responsables de l'absence – que tout le monde reconnaît – de politique industrielle dans ce pays. Cette crise nous oblige enfin à réfléchir sur les normes utilisées, notamment, au niveau mondial, les International financial reporting standards, ou IFRS.
Les banques ont pris une place considérable dans le fonctionnement de l'économie mondiale. J'ai observé par exemple que le bilan de la BNP a bondi, s'établissant à 2 290 milliards d'euros, soit 17 % de plus que le produit intérieur brut de la France en 2008 ! En Europe, quinze banques pèsent désormais plus lourd que l'économie de leur pays. C'est dire, mes chers collègues, si la présence de nombreux parlementaires de l'UMP aurait été souhaitable pour que nous discutions de cette question ! (Sourires.)
Et, malgré tout le respect que j'ai à votre égard, monsieur le ministre chargé des relations avec le Parlement, je pense que la présence d'un ministre en charge du pôle bancaire et financier eût été utile, voire nécessaire, dans l'amorce de discussion que nous pourrons avoir cet après-midi.
Cette crise nous oblige à réfléchir : faut-il couper en deux les banques en séparant la partie banque de dépôt de la partie banque d'affaires, voire banque d'investissement, pour ne pas dire banque de spéculation ? Cette question, de même que d'autres, est régulièrement posée ; nous n'avons pas encore forcément toutes les réponses. J'ose espérer que le texte sur la régulation bancaire, qu'on nous annonce comme imminent depuis quelques temps, nous permettra d'aborder au fond ces sujets, parce que, à mon sens, la crise n'est pas finie. L'effet boomerang d'un certain nombre de défaillances d'entreprises est à craindre. Il en va de même avec les LBO, nous aurons l'occasion d'en reparler : certaines, qui sont énormes, vont s'écrouler au fur et à mesure que les remboursements ne pourront plus être assurés. Le directeur général du Fonds monétaire international disait lui-même que 50 % des pertes bancaires, liées à la crise financière, et particulièrement en Europe, n'étaient pas encore intégrées dans les bilans des grandes banques.
Ainsi, la présente proposition de résolution aborde des sujets importants. Certaines des suggestions qui y sont formulées sont excellentes : il convient en effet de plafonner les écarts de rémunération, de soumettre à la négociation annuelle obligatoire les rémunérations variables des dirigeants, d'imposer plus et de soumettre aux cotisations sociales ces mêmes rémunérations variables. Nous approuvons ces orientations contenues soit dans cette résolution, soit dans des propositions de loi connexes. La question des paradis fiscaux mérite elle aussi d'être traitée et ce ne sont pas les dispositions frileuses du G 20, de même que celles qui sont contenues dans le projet de loi de finances rectificative, qui nous rassurent pleinement ! En effet, je n'oublie pas que les plus grands paradis fiscaux du monde sont l'État du Delaware et la City londonienne.
Or, les dispositions contenues dans le projet de loi de finances rectificative excluent déjà, de fait, les pays européens. On se demande pourquoi ! Ou plutôt, on ne le sait que trop bien…
La création d'une agence nationale financière et d'un pôle public financier nous semble une bonne idée. Il ne faudrait pas que les dispositions législatives qui nous seront présentées à la fin de ce mois ou au début de l'année prochaine soient de simples mesurettes, comme celle qui consiste à fusionner la commission bancaire et l'Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles. Des dispositions aussi timorées et timides ne sont pas de nature à répondre aux besoins.
J'attire notre attention à tous sur la nécessité de se doter d'outils de contrôle et de surveillance, avec les personnels que cela suppose. Comment peut-on imaginer que les grandes banques françaises, qui brassent quotidiennement des milliards, voire des centaines de milliards, ne soient pas surveillées par des personnels de même niveau que ceux qu'ils sont censés contrôler ? J'observe que, aujourd'hui, la plupart des polytechniciens vont non plus dans l'industrie, mais dans la finance, de même que les normaliens. Aujourd'hui, fabriquer des algorithmes pour rajouter des milliards aux milliards est une pratique beaucoup plus courante que d'investir pour améliorer les techniques et la technologie.
Alors que le rôle du Parlement doit être renforcé dans ces domaines, je n'ai pas vu l'ombre du quart d'un progrès dans ce qui nous est proposé ici ou là par le Gouvernement. On nous parle de G 20, de réunions de consensus, mais pour ce qui est des dispositions législatives – c'est-à-dire ce vers quoi on se tourne quand ça va mal – je n'ai rien vu de tel !
Enfin, la question d'une action à l'échelle au moins de l'Europe, sinon du monde, doit être posée. On nous dit que le G 20 ou tel ou tel groupe s'occupe de tout. En tout cas, en Europe, je pense qu'il est effectivement nécessaire de revoir les objectifs de la Banque centrale européenne, qui devraient davantage être tournés vers l'emploi et l'économie. Ces objectifs, d'ordre étroitement monétaire, n'ont, à l'évidence, pas toujours fait la preuve de leur fécondité !
Cette proposition de résolution contient donc, mes chers collègues, un certain nombre de préconisations que nous partageons. Toutefois, la question de la nationalisation a été évoquée. C'est peut-être aller loin et vite ! Nous pensons qu'une participation de l'État dans les banques lui donnerait plus de facilité de contrôle et plus de présence afin de contribuer à la mise en oeuvre des politiques qu'il estime nécessaires. Pour autant, la nationalisation des banques ne doit pas être une fin en soi. Nous ne partageons donc pas pleinement cet objectif. C'est pourquoi le groupe SRC s'abstiendra probablement au moment du vote de cette proposition de résolution. (Applaudissements sur certains bancs du groupe GDR.)
Il y en a d'autres qui sont encore plus coutumiers du fait : nos collègues de l'UMP !
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur Jean-Pierre Gorges, représentant unique de l'UMP, dont tous les bancs sont vides aujourd'hui, et que je tiens donc à saluer pour son courage…
En effet, monsieur Chartier ! Je vous salue également… Vous êtes donc deux députés UMP présents en séance.
Je vous salue également, monsieur le ministre, et ce n'est pas vous faire injure que de vous dire que vous n'avez pas compétence en matière d'économie et de budget. Je vous fais néanmoins confiance : je suis sûr que vous rapporterez avec exactitude à vos collègues ce qui se dit cet après-midi à l'Assemblée nationale ! (Sourires.)
Avec cette demande de création d'un pôle public financier, nous sommes au coeur de questions essentielles : celle de la création de la monnaie, celle du crédit et celle de l'utilisation de l'argent. En fait, où va l'argent ? Est-il utile à la société ? Sert-il l'intérêt général ou bien des intérêts particuliers et privés ? Sert-il l'humanité ou une caste de privilégiés ? Tirer aujourd'hui véritablement les leçons de la crise de système que nous traversons impose de répondre très concrètement à ces questions.
Depuis un an, vous vous efforcez de répéter à nos concitoyens qu'après cette crise rien ne sera comme avant. Or, lorsque l'on demande à des personnes qualifiées du monde économique – et que l'on aurait du mal à taxer de cryptocommunisme –, que disent-elles aujourd'hui ? Je n'en citerai qu'une, sinon je serais trop long. Voici ce que dit Mme Dominique Senequier, polytechnicienne, présidente du directoire d'Axa Private Equity : « Rien ne permet de dire que les excès que nous avons connus ne ressurgiront pas. L'origine du problème vient de l'existence de profits très élevés que peuvent réaliser certaines activités des banques ». Elle ajoute : « On observe aujourd'hui un décalage qui peut être choquant entre la culture de Wall Street, l'appauvrissement des populations et un taux de chômage supérieur à 10 % aux États-Unis. »
Mme Senequier évoque les États-Unis, mais c'est exactement la même chose chez nous : on vient d'annoncer que près de 4 millions de personnes, ayant ou non une activité réduite, sont actuellement à la recherche d'un emploi. Et ce chiffre augmente, comme ceux de la fréquentation des Restos du coeur, du Secours populaire et du Secours catholique.
Les inégalités continuent de se creuser. Dans les quartiers populaires de nos villes, le tiers des habitants vit en dessous du seuil de pauvreté.
Pendant ce temps, les banques françaises – avec d'ailleurs plus ou moins de discrétion – annoncent des profits, des dividendes et des bonus en hausse constante, et ce à tel point que le quotidien Les Échos titrait récemment sur « l'insolente santé de la Bourse ».
En fait, tout repart comme avant. Et si l'explication de Mme Senequier n'est pas totalement satisfaisante, elle a au moins le mérite d'appuyer là où ça fait mal : « La spéculation est un instinct primitif de l'homme » ; cela me fait irrésistiblement penser à cette phrase de Jean Jaurès, si juste et actuelle : « L'humanité n'existe pas encore, ou elle existe à peine. »
Vous vous glorifiez d'avoir évité le pire. C'est bien présomptueux ! Car outre la dégradation sans précédent du marché du travail, les banquiers ont déjà repris leurs mauvaises habitudes en matière de spéculation et de rémunérations, et la pompe du crédit n'est pas vraiment réamorcée.
Que restera-t-il de votre politique quand vos plans de relance conjoncturels cesseront, à court terme, de produire leurs effets ? Nous nous retrouverons devant des déficits publics abyssaux, et les marges de manoeuvre de l'État comme des collectivités locales seront réduites à la portion congrue. Nous serons, en d'autres termes, placés devant les conséquences désastreuses de votre politique, qui n'aura su faire qu'une chose : s'attaquer toujours davantage aux dépenses sociales utiles à nos concitoyens pour mieux remplir le tonneau des Danaïdes des exonérations et cadeaux fiscaux en tout genre.
Vous n'avez eu de cesse, tout au long de cette année, de nous expliquer que le coeur de votre action – le fameux plan de sauvetage des banques de 360 milliards d'euros – allait permettre de relancer l'économie. Mais les quelque 28 milliards d'euros que l'État a mis à disposition sous forme de prêts, sans compter les milliards accordés sous forme de fonds propres remboursables, n'ont en rien été des instruments efficaces de relance. Les salariés et dirigeants des dizaines de milliers de PME qui ont fait faillite ou sont aujourd'hui menacées peuvent en témoigner. L'augmentation du chômage et de la pauvreté témoignent de votre échec.
Les aides que vous avez accordées sans contrepartie aux banques n'ont en rien permis d'ouvrir le robinet du crédit. Les établissements bancaires ont utilisé cet argent non pas aux fins d'apporter leur soutien aux investissements, mais pour reconstituer leurs fonds propres. De fait, nous le savons, l'engagement pris par les banques d'augmenter leurs encours de crédit de 3 % à 4 % ne sera pas tenu.
Les banques déclarent ne pas pouvoir tenir cet engagement faute de demandes de la part des entreprises, du fait du ralentissement de l'activité. Cet argument est un peu trop facile pour être totalement crédible. Et si vous avez des doutes – et, monsieur le ministre, je tiens à ce que cela soit rapporté –, laissez-moi vous aider à les lever.
Les banques n'accomplissent pas aujourd'hui leur mission de soutien et de développement de l'économie, et certaines moins encore que d'autres. Je n'hésite pas à dénoncer – même s'il pourrait y en avoir d'autres – la Société générale, qui donne le sentiment que prêter à quelques PME représenterait plus de risques que ne lui en ont fait prendre ses traders et l'achat d'actifs pourris aux États-Unis et ailleurs.
Je veux citer trois exemples précis dans ma circonscription et, à moins qu'il n'y règne un microclimat particulier – et vous verrez tout à l'heure que ce n'est pas le cas –, vous pouvez les généraliser et les multiplier.
Soyons précis et concrets. En premier lieu, je citerai le cas d'une société de Vierzon, qui fabrique des presses hydrauliques et qui, à quelques jours près, a évité le dépôt de bilan. Son client, une société suisse, était financé par la Société générale pour l'acquisition d'une machine-outil unique en Europe. Au nom d'une conjoncture économique difficile, de la baisse du chiffre d'affaires de la société en question, la banque s'est retirée – mettant en péril en cascade l'entreprise cliente, le fabricant et les fournisseurs de ce dernier.
Le médiateur de la Banque de France, sollicité par mes soins, s'est entendu répondre par son correspondant au siège parisien de la Société générale que cela ne le concernait pas, car il s'agissait d'un problème entre la filiale suisse de la Société générale et une entreprise suisse. Chacun appréciera !
Deuxième exemple, celui d'une entreprise de la petite commune de Méreau, dans le Cher, spécialisée dans la sérigraphie sur verre et porcelaine : elle rencontre des difficultés de trésorerie ; elle est installée à proximité d'une entreprise appartenant à la même holding, laquelle affiche un chiffre d'affaires en progression de 30 %. Pour poursuivre l'ensemble de ses activités, la holding locale a besoin de 350 000 euros. OSEO et le Conseil régional du Centre garantissent le prêt à hauteur de 35 % chacun, les 30 % restants étant garantis par les dirigeants. Refus de la Société générale, qui se retranche derrière un délai de carence de neuf mois !
Enfin, troisième et dernier cas – mais il pourrait y en avoir des centaines : le refus de la Société générale d'accorder le moindre prêt à une société qui investit 4 millions d'euros, dans laquelle les actionnaires apportent 30 % du capital, ce qui est considérable, avec vingt emplois à la clef. Après des discussions et des échanges, toutes les autres banques sollicitées se sont engagées, parfois, certes, avec difficulté, sauf la Société générale !
Je n'invente strictement rien, et ce n'est évidemment pas l'effet d'un microclimat ! La CGPME fait le même constat : « Près de deux PME sur trois ont besoin de financements ; 78 % de leurs dirigeants estiment être confrontés à un durcissement des conditions d'accès au crédit. » Il y a bien des demandes, ce sont les conditions qui se durcissent ! « Il est parfaitement incompréhensible pour les chefs d'entreprises, ajoute la CGPME, que les banques ne respectent pas leurs engagements ». Voilà la vérité !
Dans ce contexte, notre proposition de création d'un pôle bancaire et financier public n'a rien d'idéologique, comme vous le prétendez. C'est d'abord une question d'efficacité économique. D'ailleurs, les États-Unis et la Grande-Bretagne n'ont-ils pas carrément nationalisé des banques ?
C'est la moitié du système bancaire et financier britannique qui a été nationalisée.
Ce que nous proposons s'appuie sur quatre constats.
D'abord, les banques ont failli et elles sont responsables de la crise. Certes, elles ne sont pas seules : il faut ajouter les gouvernements et toutes les institutions financières. Ensuite, elles ont reçu massivement des aides publiques. Et elles recommencent comme si rien ne s'était passé, et elles spéculent. Enfin, elles ne consentent des crédits qu'au compte-gouttes.
Cela fait beaucoup, et même beaucoup trop !
La question posée n'est effectivement pas d'ordre idéologique, monsieur le ministre, mais bien politique. Nous sommes placés devant un choix politique : il faut avoir le courage de le dire et de s'attaquer à ce problème. Veut-on un système bancaire et financier efficace économiquement et socialement ? Partons-nous du principe que l'argent des banques, c'est l'argent des banquiers ? Ou bien cet argent est-il le fruit du travail de tous et doit-il contribuer à créer du travail pour tous ?
Nous choisissons, nous, la seconde solution.
Les banques doivent devenir les acteurs d'un développement économique pérenne, au service de l'intérêt général, et faire en sorte que le crédit aujourd'hui mobilisé en faveur des activités financières soit réorienté vers l'investissement productif et la création d'emploi. Voilà ce qui, au fond, motive notre volonté de voir notre assemblée se saisir du débat sur la création d'un service public bancaire et financier.
Il faut créer ce pôle, au plan régional mais aussi national, en réunissant l'ensemble des banques et institutions dont a parlé Jean-Jacques Candelier. Il faut allouer des crédits à taux bonifiés, de façon sélective, aux entreprises qui investissent dans la formation et la recherche, aux entreprises qui créent des emplois qualifiés et correctement rémunérés.
La création d'un pôle public financier permettrait de financer l'investissement des entreprises dans l'emploi, la formation et la recherche. Il faut séparer à nouveau les banques de dépôt des banques d'affaires, de façon à permettre aux premières d'exercer de nouveau le rôle qui doit être le leur d'instruments de financement de l'économie.
Voilà deux objectifs fondamentaux si l'on souhaite sortir durablement de la crise et prévenir tout risque de rechute.
Vous nous direz que le cadre européen ne nous permet pas d'envisager de telles réformes, mais nous vous répondrons que non seulement beaucoup peut déjà être fait en termes d'allocation sélective de crédits, à laquelle la Banque centrale européenne ne s'opposerait pas, mais encore qu'il y a sans doute nécessité de relancer le débat à l'échelle européenne sur l'indépendance de la Banque centrale.
Pour l'heure, nous vous invitons à adopter la présente proposition de résolution, particulièrement bien défendue par mon ami Jean-Jacques Candelier, dont l'ambition est d'ouvrir un débat sur une meilleure utilisation de l'argent et une autre répartition des richesses favorable aux hommes et aux femmes, et non à une caste de privilégiés. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
Je ne peux pas résister, en écoutant MM. Candelier et Sandrier, au plaisir d'engager le débat sur cette proposition de résolution.
J'ai bien écouté, et je relève deux thèmes. D'une part, un service public bancaire et financier aurait-il empêché la crise financière que nous avons connue ?
D'autre part, monsieur Brard, un service public bancaire et financier permettrait-il de mieux financer les PME et les particuliers ?
Sur le premier thème, on sent bien la limite de la présentation qui nous est faite. Certes, la crise financière vient du fait que nombre d'acteurs financiers privés ont émis des créances que l'on qualifie de toxiques, c'est-à-dire, au fond, des créances à fort rendement, ou des emprunts à très faibles taux d'intérêt. Ceux-ci ont intéressé nombre de personnes : des particuliers, qui ont acheté des titres, mais surtout des entreprises ou des collectivités.
J'observe, finalement, que lorsque des banques proposent des produits intéressants, toutes les collectivités, toutes les entreprises, beaucoup de particuliers souhaitent s'en saisir.
Il y a quand même beaucoup de salariés qui ne sont pas tout à fait concernés !
Prenons l'exemple des fameux emprunts toxiques malencontreusement souscrits par quelques collectivités.
Je pense, par exemple, au conseil général de Seine-Saint-Denis, présidé par un élu communiste, qui a sombré sous un flot d'emprunts toxiques…
…tout simplement parce que ses services financiers avaient trouvé ces produits intéressants pour les finances départementales, sans en mesurer le risque !
Voilà la réalité. Certes, il faut toujours une offre. Mais finalement, lorsque la demande est là et bien là, et qu'elle oublie de regarder les risques, le tort est partagé ! Cela n'excuse pas, bien sûr, les aigrefins et ceux qui ont abusé de ces dispositifs.
Cela a été dit par Dominique Senequier, cela a été dit à maintes reprises par nombre de dirigeants de groupes bancaires, notamment français – qui, à l'échelle mondiale, s'en sortent tout de même remarquablement bien dans cette affaire.
Mais il y a des emprunteurs, et notamment certaines collectivités, qui ont tout de même pris des risques inconsidérés !
Ce n'est donc pas l'existence d'un service public bancaire et financier qui nous aurait préservés de la crise financière.
Parlons ensuite du financement des PME et des particuliers par un service public bancaire et financier. Y a-t-il, aujourd'hui, à l'échelle mondiale, des banques publiques ?
Oui, et aussi en Grande-Bretagne, la Northern Rock, et d'autres, qui ont été nationalisées du fait du marché tout simplement !
L'existence de ces banques publiques a-t-elle modifié l'accès au crédit pour les PME et les particuliers ? Bien sûr que non ! Car une politique bancaire est une politique bancaire : elle est fondée sur la prise de risques.
Quelle est, en revanche, la différence française avec les banques publiques du Royaume-Uni ou des États-Unis d'Amérique ?
Eh bien, c'est OSEO ! Aujourd'hui, quelle est sa fonction – une fonction particulièrement intéressante ? C'est la prise de risque, soit à parité, soit à majorité, dans le crédit consacré aux PME. L'encours d'OSEO – je parle sous le contrôle des membres de la commission des finances réunis ici cet après-midi – a considérablement augmenté pendant la crise : il a été presque multiplié par trois. Ce que l'on observe, c'est que cet encours a effectivement servi à financer les PME au coeur de la crise. Voilà comment une banque publique – dont le capital est, certes, réparti à parité entre l'État et la Caisse des dépôts et consignations – joue son rôle pour soutenir les PME.
La vérité m'oblige à dire que le crédit s'est effectivement rétracté au plus fort de la crise financière ; chacun en est conscient, et c'est la raison pour laquelle un médiateur du crédit a été mis en place. Il s'est d'ailleurs révélé particulièrement efficace pendant toute cette période, et il continue à l'être, avec la mise en place de ses délégués locaux. Ce dispositif est incontestablement efficace !
Le fait que le capital soit détenu en majorité par l'État changerait-il quelque chose ? La réponse est non, à cause des ratios prudentiels. En revanche, les décisions des sommets successifs du G20, notamment le dernier à Pittsburgh, sur les fonds propres des banques exigibles pour les activités à fort risque, dont il va falloir discuter parce que les effets induits peuvent être préjudiciables à l'économie, particulièrement à l'économie française, sont-elles de bonnes décisions ?
Qui est l'initiateur, sinon le Président de la République française ? Cela aussi, il faut le dire.
Nous aurons l'occasion de reparler de l'indépendance de la Banque centrale européenne, mais je voulais absolument montrer qu'aucun des arguments que vous avez présentés ne justifie la création d'un pôle public bancaire et financier.
La discussion générale est close.
La parole est à M. Henri de Raincourt, ministre chargé des relations avec le Parlement.
Là, ce n'est pas le tiers état qui s'exprime. Heureusement qu'il est sympathique parce que sinon, on crierait « À la lanterne ! ».
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je voudrais d'abord vous présenter les excuses de Mme Lagarde.
Je vais tâcher, avec une grande humilité, de la remplacer. Néanmoins, je crois déjà avoir eu l'occasion de le dire, la politique du Gouvernement est une.
Non. C'est bien ce que le Gouvernement a fait que j'exprime par ma voix.
La proposition de résolution que nous discutons propose la création d'un service bancaire et financier public pour soutenir le financement de l'économie.
Permettez-moi tout d'abord de rappeler que le Gouvernement n'a pas attendu cet appel pour agir avec détermination en faveur du financement des ménages et des entreprises.
La réponse du Gouvernement a été double. Elle a consisté, d'une part, à soutenir le crédit à l'économie, d'autre part, à réformer le système financier international.
Nous avons, tout d'abord, soutenu le financement de l'économie.
En réponse à la crise, personne ne l'a oublié, le Gouvernement a mis en place un plan de soutien au crédit à l'économie. Ce plan a été adopté par le Parlement avec la loi de finances rectificative du 16 octobre 2008.
Le risque était qu'avec la crise, les difficultés à se financer conduisent les banques à réduire leur activité de prêt aux ménages et aux entreprises. Cet effondrement du crédit aurait à son tour aggravé la crise économique.
C'est pourquoi le soutien au crédit est au coeur de la politique économique du Gouvernement. L'État a mis en place, M. Chartier vient d'en parler, un médiateur du crédit afin qu'aucune entreprise ne se trouve sans recours quand les financements font défaut. L'action de ce médiateur a permis de remédier, dans plusieurs cas, à la réponse négative des banques. Le nombre d'emplois sauvés par cette initiative est même considérable.
Absolument.
L'État a financé les banques pour qu'elles continuent de prêter aux ménages et aux entreprises.
Nous avons, en outre, créé la Société française de financement de l'économie et la Société de prise de participation de l'État pour renforcer la liquidité et les fonds propres des banques.
Entre décembre 2008 et octobre 2009, la Société française de financement de l'économie a prêté 77 milliards d'euros aux banques. Elle a été mise un peu en sommeil à la fin du mois d'octobre. À partir de décembre 2008, l'État a prêté 20 milliards d'euros de fonds propres aux banques.
Quel est aujourd'hui le bilan de ce dispositif ?
L'État n'a pas perdu un centime, au contraire : les banques ont déjà remboursé 13,45 milliards d'euros sur les fonds propres prêtés par l'État. Mieux encore, l'État a réalisé un profit puisqu'il a perçu des banques une rémunération de 1,4 milliard d'euros au cours de la présente année. À ces montants viennent s'ajouter 775 millions d'euros d'intérêts supplémentaires que la Société de prise de participation de l'État a reçus à l'occasion du remboursement par les banques des montants prêtés.
Mais ce dispositif a également été efficace pour financer l'économie. En contrepartie du soutien apporté par l'État, les banques ont pris des engagements pour soutenir le crédit aux ménages et aux entreprises.
Grâce à ces mesures, le crédit bancaire a été plus dynamique en France que dans le reste de la zone euro.
De septembre 2008 à septembre 2009, les encours de crédit aux ménages et aux entreprises ont crû de 1,7 % en France, alors qu'ils reculaient de 0,2 % dans la zone euro.
Ces dispositifs ont évité que l'économie française ne connaisse une récession bien plus sévère au cours de l'hiver 2008 et ont contribué à la reprise observée sur la période récente.
La croissance a en effet connu une augmentation de 0,3 % au troisième trimestre 2009, après celle de 0,3 % au deuxième trimestre de la même année.
En réponse à la crise, nous avons également entrepris de réformer le système financier international.
La bonne résistance des groupes bancaires français à la crise, il faut s'en féliciter, témoigne de la qualité du contrôle et de la supervision du secteur financier dans notre pays. Mais les défaillances graves de régulation constatées dans certains pays et au niveau international ont fait prendre conscience à l'ensemble de la communauté financière de la nécessité de renforcer le contrôle et la surveillance du secteur financier.
Sous l'impulsion du Président de la République,…
Mais c'est vrai.
…la France a obtenu des avancées majeures à l'occasion du G20 de Pittsburgh. Le G20 a en effet décidé d'exiger des banques qu'elles constituent des réserves plus importantes pour couvrir leurs activités les plus risquées. Concrètement, le Gouvernement soutient une multiplication par trois des réserves des banques.
En face des activités des marchés, il en coûtera trois fois plus cher pour les banques de spéculer.
Au final, nous voulons moins de trading, ou plutôt d'activité de marché en français,…
…plus de crédit aux ménages et aux entreprises et des banques plus prudentes.
Nous avons également obtenu de nos partenaires un encadrement des bonus des opérateurs de marché.
Nous avons encore acté le principe de sanctions de la communauté internationale contre les juridictions non coopératives en matière fiscale à partir de mars 2010.
Nous avons enfin décidé de règles pour renforcer la transparence et encadrer les marchés de dérivés.
Ces règles du G20, nous avons commencé à les mettre en oeuvre à l'échelon national.
La France a été le premier pays à introduire dans son droit national des règles d'encadrement des bonus.
Les bonus garantis sont désormais interdits.
L'arrêté prévoit une transparence totale sur les bonus.
Nous avons également complété le dispositif français de lutte contre les juridictions non coopératives, en publiant un arrêté qui demande aux banques de faire toute la transparence sur leurs activités dans ces juridictions.
Dans le cadre de la loi de finances rectificative, nous avons proposé des sanctions fiscales contre les juridictions non coopératives.
J'espère que vous soutiendrez cette démarche.
Enfin, un projet de loi de régulation bancaire et financière sera présenté au conseil des ministres avant la fin de l'année 2009.
En effet. Ce projet de loi sera présenté au Parlement au cours de l'année 2010, dès que le calendrier le permettra.
Votre proposition radicale, si j'ose dire,…
…de nationalisation du secteur bancaire repose en fait sur le postulat qu'évoquait Jérôme Chartier tout à l'heure qu'une gestion publique du secteur financier aurait été plus efficace.
Les déboires du Crédit lyonnais et du GAN montrent que cette idée est assez discutable.
Oui, mais les déboires du Crédit lyonnais et du GAN sont plus proches de nous.
Loin de tout dogmatisme, justement, le Gouvernement a cherché l'efficacité en poursuivant deux objectifs : soutenir le crédit aux ménages et aux entreprises, d'une part, réformer le système financier international, d'autre part.
Sur le premier point, nous avons des résultats. Sur le second, la réforme est en marche. Telle est la dynamique que nous vous proposons de poursuivre. C'est la raison pour laquelle – je pense que vous n'en serez pas surpris – nous souhaitons que le Parlement rejette la proposition de résolution. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
J'appelle maintenant l'article unique de la proposition de résolution.
La parole est à M. André Chassaigne.
Je voulais dire quelques mots après l'intervention de M. le ministre.
En l'écoutant, je me demandais si c'était un Rastignac défenseur des banques qui s'exprimait, ou alors quelque aristocrate très éloigné des réalités du tiers état.
Je voudrais rappeler quelques réalités de nos territoires car, comme la totalité des députés sans doute, je suis quotidiennement soumis à des sollicitations qui montrent qu'actuellement le système bancaire a d'autres orientations que de répondre aux besoins des populations et du milieu économique. Le système bancaire n'a qu'une seule obsession : l'argent, les profits, bref, servir les privilégiés. Mon collègue Jean-Claude Sandrier a donné trois exemples sur la région Centre, notamment avec le désengagement de la Société générale sur Vierzon.
Je voudrais pour ma part donner deux exemples précis, qui montrent qu'il manque quelque chose : un levier qui fonctionne.
Le premier exemple est celui d'un agriculteur qui est venu me voir, avec un projet tout à fait viable, qui a reçu l'agrément de la chambre d'agriculture et de l'ADASEA et qui concerne un territoire qui exige la diversification. Le Crédit agricole, après avoir étudié le projet, a estimé qu'il ne lui était pas possible d'apporter l'aide nécessaire parce qu'il y avait trop de risque au regard du niveau des prix agricoles. Et ce n'est pas un cas isolé.
Quand un chef d'entreprise a besoin de crédit pour développer son entreprise, ou la créer, il peut se heurter au même obstacle. Pas plus tard que la semaine dernière, dans ma circonscription, à Thiers, des salariés ont voulu reprendre leur entreprise qui venait d'être liquidée. Ils avaient les bons de commande, les commandes étaient prêtes, ils avaient un projet industriel, ils avaient le savoir-faire, ils avaient la confiance de tout leur environnement – politique et économique : malgré cela, ils n'ont pas pu obtenir une garantie de prêt du Crédit agricole si bien que, lorsqu'ils sont passés devant le tribunal, l'entreprise ne leur a pas été confiée à eux, mais à quelque repreneur dont le seul objectif est de spéculer sur les locaux qu'il revendra dans quelques semaines ou quelques mois.
Il arrive un moment où il manque le levier pour mener une action efficace sur nos territoires. Bien sûr, l'on pourrait faire du clientélisme, prendre le téléphone pour essayer de convaincre la banque que le projet est beau. Malheureusement, en général, on se retrouve le nez contre la vitre car, quand une banque a décidé qu'un projet n'était pas viable, il ne pourra pas se concrétiser. Le clientélisme, le coup de téléphone d'un parlementaire, ce n'est jamais une solution.
Bien sûr, les collectivités territoriales interviennent de leur côté. Des politiques audacieuses ont été menées par les conseils régionaux, notamment des conseils régionaux communistes. Elles consistent à utiliser tous les leviers qui existent pour que soient accordées des garanties d'emprunt, des bonifications d'intérêt, pour que des accords soient passés avec les banques de la région afin que ces banques puissent avoir un peu plus de tranquillité, pour essayer de faire sortir l'argent de ces banques afin qu'il serve à l'économie. On aboutit parfois à des résultats, mais ces résultats sont partiels. Et il arrive que, malgré tous ces efforts, le projet n'aboutisse pas, comme en a témoigné Jean-Claude Sandrier.
Cela signifie qu'une certaine maîtrise du secteur bancaire est bel et bien nécessaire pour pouvoir intervenir. Les bonnes paroles ne sauraient être efficaces ! Certes, le médiateur du crédit a pu résoudre certaines questions, mais à la marge, beaucoup restant sans réponse parce qu'il ne dispose pas de moyens coercitifs. Si, en période de crise, on se rend compte qu'il faut davantage d'État pour inciter les banques à tenir leurs responsabilités, le médiateur ne peut que chercher à les en convaincre.
Quand mon collègue Jean-Jacques Candelier appelle à l'instauration d'un secteur public de la banque, d'un pôle public des banques, il ne fait pas une déclaration idéologique ; il rappelle simplement que l'argent doit servir à répondre aux besoins, à créer des richesses, non pas pour quelques-uns, à partir d'actions lucratives, mais des richesses collectives, les richesses de l'emploi, celles de nos territoires, pour accompagner en particulier les petites et moyennes entreprises. Dès lors, il n'y a pas cinquante solutions : il faut créer ce pôle public pour assurer une maîtrise publique, pour que l'État puisse poser des orientations en lien avec les salariés des banques, avec le milieu économique, les usagers. Les banques poursuivront alors les objectifs qui doivent être les leurs : servir les intérêts collectifs.
Un député UMP, qui vient de déserter les rangs – il n'en reste plus beaucoup, à présent –, avançait l'exemple de banques nationales, à l'étranger, qui ne remplissaient pas leurs fonctions. Il est bien évident qu'un pôle public ne peut pas remplir ses fonctions si on ne lui donne pas les orientations qui permettent de répondre aux besoins.
Monsieur le ministre, vous avez fait un discours lénifiant, en particulier sur le G20. À un certain moment, il faut arrêter les grandes déclarations et venir sur le terrain, mettre les sabots dans la boue, pour se rendre compte des véritables problèmes qui se posent, réaliser que l'État ne remplit pas ses responsabilités parce que vous considérez que le libéralisme doit tout résoudre. Or, en cette période de crise, on constate bien que le libéralisme ne résout rien, bien au contraire. Il créé la crise et la nourrit. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
Je voudrais dire à M. Chassaigne que, moi aussi, je suis un élu de terrain et que ma légitimité démocratique est au moins égale à la sienne. (« Très bien ! » sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Je reconnais totalement votre légitimité, monsieur le député, et j'ai toujours soutenu qu'un élu de gauche avait exactement la même légitimité qu'un élu de droite.
Avant de me traiter comme vous l'avez fait au début de votre propos, d'une manière très déplacée et particulièrement discourtoise, venez donc dans l'Yonne, vous verrez comment je suis considéré.
Je suis passé quatorze fois devant les électeurs, j'ai été quatorze fois élu au premier tour, au suffrage universel. Faites-en autant ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Nous connaissons, bien évidemment, nous aussi les faits ou les situations que vous signalez. Quoi que vous en pensiez, nous rencontrons des gens, nous nous rendons sur le terrain, nous visitons des entreprises – j'y passerai d'ailleurs ma journée de demain, comme chaque semaine. L'État a mis en place un certain nombre de dispositifs que j'ai rappelés tout à l'heure, dans un propos que vous avez qualifié de lénifiant mais qui traduit tout de même la réalité. Je le répète, en cas de problème, on peut faire appel au médiateur de la République, à son correspondant départemental et parvenir ainsi, avec l'aide du préfet et du trésorier-payeur général, à régler d'innombrables problèmes. Je ne sais pas comment cela se passe dans le Puy-de-Dôme mais dans l'Yonne, c'est ainsi, avec de bons résultats.
Bien sûr, je vous l'accorde, la situation n'est pas parfaite. Sur le plan agricole, Bruno Le Maire viendra ce soir. Je ne sais pas s'il aura l'occasion de vous expliquer les mesures que le Gouvernement a décidé de prendre pour soutenir l'agriculture, en accordant notamment des prêts à hauteur d'un milliard aux agriculteurs qui rencontrent des difficultés, avec prise en charge des intérêts par l'État – 1 % ou 1,5 %.
Vous pensez que notre politique s'appuie sur la volonté libérale quasi pathologique de notre Gouvernement et de la majorité qui le soutient.
Contrairement à ce que vous pensez – mais je suis persuadé que vous êtes disposé à le comprendre et à l'accepter –, nous militons jour après jour pour une régulation financière, sur le plan international et sur le plan européen, y compris au niveau des marchés agricoles. Pour cette raison, je vais reprendre mon propos lénifiant de tout à l'heure et vous répéter que nous voulons être des pragmatiques et non des dogmatiques. Imaginer que seule la puissance publique parviendrait à régler les problèmes que vous soulevez est un leurre. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les explications de vote et le vote par scrutin public sur la proposition de résolution auront lieu le mardi 8 décembre, après les questions au Gouvernement.
Par ailleurs, par courtoisie et par égard pour le groupe GDR, le ministre de l'agriculture tient à être personnellement présent lors de la discussion du dernier texte sur le droit au revenu des agriculteurs.
Il se trouve actuellement au Sénat où l'on débat du budget de la mission Agriculture. Je vous propose donc de suspendre nos travaux et de les reprendre vers dix-neuf heures. Je pense que nous pourrons examiner ce texte sans séance de nuit.
Article unique
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures vingt-cinq, est reprise à dix-neuf heures.)
L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. André Chassaigne et plusieurs de ses collègues sur le droit au revenu des agriculteurs (no 1992).
Je remercie M. le ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche pour son élégance et sa courtoisie à l'égard du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, puisqu'il a tenu à être présent à nos travaux.
La parole est à M. André Chassaigne, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire.
Monsieur le président, chers collègues, je tiens avant tout à remercier M. le ministre d'avoir tenu à participer personnellement à la discussion de cette proposition de loi, malgré un emploi du temps fort chargé. La suspension de séance de plus d'une heure et demie qui en a résulté explique l'absence de nombreux collègues. Reste qu'il me paraît très important, monsieur le ministre, que vous soyez parmi nous.
Je me réjouis de nos excellents échanges en commission. Je tiens à remercier nos collègues pour leurs nombreuses interventions, en particulier ceux qui sont présents ce soir.
Ce texte s'appuie sur un constat qui a frappé le monde agricole : pour l'agriculture française et européenne, la crise n'est pas seulement conjoncturelle, elle est aussi structurelle. Il suffit, comme je l'ai fait en commission, de citer quelques chiffres qui illustrent l'effondrement des cours. Le kilogramme de porc vaut désormais moins d'un euro au marché au cadran de Plérin. La tonne de blé valait jusqu'à 300 euros en 2007 contre 110 euros environ aujourd'hui. Je pourrais continuer avec l'évolution du prix du lait, avec la baisse du prix de la viande bovine – au coeur des préoccupations des bassins d'élevage du Massif Central – qui atteint 25 %, voire 30 % pour la vente à la production.
Pourtant, que n'avons-nous entendu en 2007 et 2008, en particulier dans la bouche de la commissaire européenne chargée de l'agriculture, Mariann Fischer Boel ? À l'heure du bilan de santé de la politique agricole commune, au regard de l'évolution du niveau de vie des nouveaux pays consommateurs, qu'il s'agisse de la Chine ou de l'Inde, elle promettait des cours en hausse. Nous l'avions reçue en commission des affaires économiques, où elle avait tenu un discours laissant croire que tous les cours allaient s'envoler, garantissant ainsi un revenu suffisant aux producteurs sans qu'il soit besoin que l'Union européenne prévoie des soutiens spécifiques ou des mécanismes de stabilisation des marchés.
Nous constatons aujourd'hui qu'il s'est passé tout le contraire : une volatilité terrible des prix, des effets catastrophiques au moindre dérèglement climatique ou au moindre virus, sans oublier la difficulté à préserver un modèle agricole durable, respectueux de l'environnement, présent sur les territoires en difficulté. Or nous souhaitons le maintien de cette agriculture produisant en quantités suffisantes des aliments sains, de qualité, à un prix raisonnable pour les consommateurs et offrant un revenu décent aux producteurs.
Certes, plusieurs discours du Président de la République contenaient des annonces fortes pour le monde agricole. C'est le cas de son allocution du 27 octobre 2009 à Poligny, dans le Jura. Permettez-moi de la citer car nous pourrions tous reprendre ces propos à notre compte : « La crise révèle en premier lieu un défaut de régulation européenne et mondiale auquel il est urgent de répondre. Elle révèle en second lieu des défaillances nationales réelles dans la répartition de la valeur au sein de nos filières agricoles. Entre le mois de septembre 2008 et le mois de septembre 2009 l'indice des prix à la production des produits agricoles a baissé de 20 %. Sur la même période, les prix à la consommation des produits alimentaires ont baissé de 1 %. Cet écart est sans précédent. Cet écart est inacceptable ! Il révèle une répartition inéquitable de la valeur ajoutée au sein des filières. Cet écart met notre production alimentaire en danger. »
Le présent texte, que j'ai déposé – c'est un hasard – quelques jours avant la déclaration du Président de la République, répond justement aux interrogations du monde agricole reprises par le chef de l'État dans son discours, et dresse quelques pistes pour que les agriculteurs aient enfin droit à un revenu. Et je dirai même, ce qui peut paraître inhabituel dans ma bouche, que cette proposition se situe dans la droite ligne des annonces faites par le Président de la République.
Je ne reviendrai pas sur l'ensemble du texte, mais en retracerai la philosophie générale.
Il convient tout d'abord d'agir pour garantir des prix rémunérateurs pour tous les producteurs par le moyen d'outils qui pourraient servir de levier. Nous proposons ainsi que l'existence de l'observatoire des prix et des marges, créé en mars 2008, soit pleinement reconnue et que ses missions soient renforcées, notamment par un suivi précis des prix et des marges de chacun des acteurs de la filière. Il s'agit d'une exigence de la profession agricole. Ainsi, les prix et les marges des différents types de produits pourront être analysés en fonction des territoires ou des spécificités ainsi que des signes d'identification de la qualité et de l'origine des productions. L'observatoire pourra également proposer l'application d'un coefficient multiplicateur en période de crise conjoncturelle, ce qui, pour certaines productions, peut permettre de franchir un cap difficile.
Nous proposons par ailleurs d'établir un prix minimum indicatif pour chaque production. Vous comprenez bien que, si le texte précise « indicatif », c'est à cause de la réglementation européenne. Je n'en reste pas moins convaincu que nous pourrons, avec la participation de l'interprofession, définir un prix minimum indicatif qui tienne compte de l'évolution des charges de production et des revenus des producteurs.
Ce prix indicatif sera accompagné d'un niveau de prix d'achat plancher au producteur qui permettrait – objet de la deuxième partie de ce texte – de mettre en place un dispositif réactif d'alerte pour la mise en oeuvre de mesures d'urgence. En effet, alors que la profession est en crise, alors que les cours chutent, alors qu'un nombre croissant d'agriculteurs sont en proie aux pires difficultés, au point que certains doivent même cesser leur activité, nous pensons qu'il est possible de nous doter d'un outil qui enclencherait mécaniquement et immédiatement un dispositif réactif d'alerte économique et sociale de l'interprofession agricole, plutôt que d'attendre pendant des mois un discours du Président de la République comme celui que j'ai cité.
Dans sa troisième partie, le texte exprime le souhait que la France s'engage en faveur d'une politique agricole européenne régulatrice. Il s'agit de promouvoir au niveau européen toutes les mesures susceptibles de garantir des prix rémunérateurs pour les productions, avec la mise en place d'un prix minimum indicatif européen variable selon les territoires, avec l'activation de dispositions concourant à appliquer concrètement le principe de préférence communautaire dont parle si souvent le Président de la République, avec l'instauration d'outils de régulation que nous devons conserver ou créer de façon à permettre à certaines productions de continuer d'exister dans les territoires les plus fragiles. Enfin, dernière proposition qui ne fait pas l'unanimité : réactiver le programme européen d'aide alimentaire ; en effet, de nombreuses ONG constatent le manque d'efficacité du programme alimentaire mondial pour financer l'achat de produits tels que le lait.
Selon de nombreux députés de la majorité, ce texte est certes intéressant mais la loi de modernisation de l'agriculture donnera, dans les mois à venir, des réponses réfléchies, construites, concertées à la situation.
Selon ces collègues, je serai alors à même de faire valoir plusieurs aspects de ma proposition de loi sous forme d'amendements.
J'appelle néanmoins votre attention sur l'urgence des mesures que je propose. Je demeure persuadé que certaines dispositions du texte auraient déjà pu être retenues car ma crainte, largement partagée par le monde agricole, est que, si nous attendons encore six mois qu'on applique la loi de modernisation de l'agriculture, des centaines de milliers d'agriculteurs continueront à subir les pires difficultés, plusieurs milliers d'entre eux devant cesser toute activité faute de mesures prises assez rapidement.
Il s'agit donc de ma part d'un appel. La majorité aurait pu retenir certains articles, mais le Gouvernement n'est pas allé dans ce sens en commission. En tant que rapporteur, j'ai été particulièrement déçu que la majorité considère que la proposition de notre groupe ne présentait aucun caractère d'urgence.
La parole est à M. Bruno Le Maire, ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, monsieur le député André Chassaigne, y a-t-il un problème avec le revenu des agriculteurs, qui est l'objet de votre proposition de loi ? La réponse est évidemment oui. Ce problème est d'autant plus aigu qu'après une année 2008 déjà difficile, nous avons assisté en 2009 à un effondrement du revenu dans certaines filières.
Quand on regarde, à plus long terme, comment se caractérise le revenu des agriculteurs en France par rapport au reste de la population, deux caractéristiques sautent aux yeux. Elles transparaissent dans toutes les statistiques. La première, c'est que ce revenu est profondément instable, soumis à toutes sortes d'aléas. La seconde, c'est qu'il est constamment inférieur à la moyenne nationale.
Il est donc nécessaire d'agir. C'est ce que fait le Gouvernement, et ce dans trois directions.
Tout d'abord, il importe d'apporter une solution immédiate aux problèmes de trésorerie auxquels sont confrontés beaucoup d'agriculteurs. Nombre d'entre eux sont financièrement étranglés, n'arrivent plus à faire face à leur endettement, se retrouvent dans des situations de trésorerie extraordinairement difficiles. Il était urgent d'agir, et d'agir de manière proportionnée, c'est-à-dire de manière massive, tout en prenant en compte la diversité des situations à travers les différents départements. C'est ce qu'a proposé le Président de la République dans le plan d'urgence qu'il a présenté à Poligny il y a quelques semaines.
Ce plan d'urgence, je tiens à le dire, est un plan sur lequel j'ai travaillé pendant plusieurs semaines, en faisant attention à ce qu'il soit conforme aux règles européennes. Je précise que, pour la première fois depuis de nombreuses années, la Commission européenne a indiqué, dans un délai très rapide – car le travail avait été fait avant –, que ce plan était intégralement conforme aux règles européennes. Ainsi, l'argent qui va être donné par l'État aux agriculteurs n'aura pas à être remboursé dans quelques années parce que nous n'aurions pas respecté les règles européennes. Je vous le dis en tant que ministre chargé d'assurer un certain nombre de recouvrements en raison de comportements qui ont été différents par le passé…
Je veux également insister sur la diversité des moyens mis en oeuvre. Il y a, pour ceux qui ont le plus de difficultés, des prises en charge immédiates d'intérêts d'emprunt ou des allégements de cotisations à la MSA, qui permettent de soulager immédiatement la trésorerie des producteurs. Il n'y a donc pas que des possibilités de nouveaux emprunts, il y a aussi des allégements immédiats.
Les possibilités d'emprunt portent au total sur un milliard d'euros, avec des prêts bonifiés à 1 % pour les jeunes agriculteurs et à 1,5 % pour les autres. Ces prêts peuvent être soit des prêts de consolidation de la trésorerie, soit des prêts de trésorerie immédiats.
Pour ceux qui sont le plus en difficulté, il y a également le dispositif AGRIDIF – agriculteurs en difficulté –, qui permet de soutenir des exploitants dont le niveau d'endettement est trop important pour qu'ils puissent contracter un nouvel emprunt.
Ce plan d'urgence comporte donc des mesures immédiates, des mesures fortes, qui répondent aux attentes des agriculteurs.
Je précise également que nous avons nommé un médiateur, Nicolas Forissier, que je rencontre chaque semaine. Je le reverrai lundi prochain pour faire le point avec lui. Certains ajustements sont nécessaires. Sur le terrain, certaines banques ne jouent pas tout à fait le jeu. Il y a des blocages qu'il faudra lever. Je vois également naître certaines demandes, par exemple celle de reports en fin de tableau pour les exploitations qui rencontrent le plus de difficultés. Je suis prêt à regarder tout cela et à corriger ce qui mérite de l'être.
La deuxième direction dans laquelle nous voulons travailler, c'est celle des réponses structurelles, qui rejoignent beaucoup des propositions que vous faites aujourd'hui, monsieur le rapporteur. Lorsque le projet de loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche viendra en discussion, au début de l'année prochaine, je vous invite donc à travailler avec nous à l'amélioration, à la consolidation des propositions qui seront faites par le Gouvernement. Je crois en effet, et je vous rejoins sur ce point, que c'est par ces réponses structurelles que nous répondrons le mieux aux difficultés de revenu que rencontrent les agriculteurs.
En quoi consistent ces réponses structurelles ? Il s'agit d'abord de mettre par écrit un certain nombre d'obligations, afin de permettre à l'agriculteur de percevoir un revenu stable sur plusieurs années. Je suis choqué de voir qu'il y a encore trop de producteurs en France qui vendent leurs produits, à des distributeurs ou à des industriels, sur la base de contrats simplement verbaux, sans contrat écrit, sans savoir exactement combien ils vont toucher à la fin du mois. Je connais, en Haute-Normandie, des exploitants laitiers qui livrent leur lait à un industriel sans savoir combien celui-ci va les payer à la fin du mois. Ils se sont engagés à acheter un robot de traite à 150 000 euros ou à mettre aux normes leur installation pour un montant de 200 000 euros. À la fin du mois, ils savent donc exactement ce qu'ils auront à payer comme traites, mais ils ne savent absolument pas ce que sera leur revenu.
Je pense qu'il est vraiment temps de changer de système et de rendre obligatoires les contrats écrits dans un certain nombre de filières. Ces contrats seront définis par la loi. Ils permettront de savoir exactement quels volumes seront fournis à l'industriel, pour quelle durée et à quel prix. Ainsi, chaque producteur de lait saura, sur quatre ou cinq ans, quel sera son revenu mensuel. Cela me paraît le minimum acceptable pour que cette activité difficile, qui prend du temps, soit suffisamment rémunératrice.
La deuxième réponse que nous voulons apporter dans le cadre de cette loi vise à améliorer la relation entre ce que l'on appelle l'amont et l'aval, c'est-à-dire entre les producteurs, d'une part, et les distributeurs ou industriels, d'autre part. Nous proposerons un renforcement de l'observatoire des prix et des marges et un droit de suite pour le Parlement sur les conclusions de cet observatoire. Car il ne suffit pas d'observer ce qui se passe : encore faut-il en tirer les conséquences.
Nous proposerons la suppression de pratiques que je juge inacceptables en temps de crise. Je ne peux pas accepter que les distributeurs maintiennent en période de crise des dispositifs de remises, rabais et ristournes, alors même que les producteurs voient leurs marges se réduire et fondre comme neige au soleil, mois après mois.
Vous avez également proposé, monsieur le rapporteur, que l'on étudie la mise en oeuvre du coefficient multiplicateur. Sur ce point, j'ai déjà eu l'occasion de dire à cette tribune combien j'étais sceptique. Ce dispositif risque en effet d'avoir plus d'inconvénients que d'avantages. Je pense en particulier à une augmentation des importations, en provenance d'Amérique du Sud ou d'autres continents. Dans le domaine des fruits et légumes, cela risque d'être le cas. Cela étant, je suis prêt à tenter l'exercice, sous réserve que les professionnels le demandent.
J'ai rencontré ceux de la filière fruits et légumes il y a peu de temps. La Fédération nationale des producteurs de fruits est prête à me demander la mise en application de ce coefficient multiplicateur. Après tout, soyons comme saint Thomas, et regardons ce que donne cette mesure. Je suis prêt à l'appliquer si la Fédération nationale des producteurs de fruits me le demande, notamment pour la pomme. Nous verrons ce que cela donne. Si ça marche, tant mieux : nous pourrons l'étendre. Si ça ne marche pas, nous en tirerons toutes les conséquences.
La troisième question sur laquelle nous devons impérativement travailler si nous voulons stabiliser le revenu des agriculteurs, c'est celle des dispositifs assuranciels. On ne peut pas continuer avec un système dans lequel, depuis des décennies, aussi peu de producteurs sont assurés contre les aléas de toute sorte. Quand on regarde les choses à l'échelle stratégique, la situation est simple : il y a de plus en plus d'aléas – climatiques, économiques, liés aux coûts des matières premières, aux variations des monnaies, à la parité euro-dollar – et de moins en moins d'assurances et de garanties pour les producteurs. D'un côté, de plus en plus de risques ; de l'autre côté, de moins en moins de protections. Comment voulez-vous que l'activité agricole reste rentable et soutenue ? Il est essentiel que, dans le cadre de la loi de modernisation, nous progressions vers un dispositif assuranciel universel, dispositif que beaucoup de mes prédécesseurs, depuis des années et des années, n'ont pas été en mesure d'instaurer, tant ils se sont heurtés à des oppositions farouches, notamment de la part de Bercy. Ce dispositif assuranciel universel sera garanti par la réassurance de l'État. C'est la seule solution pour garantir et stabiliser le revenu des agriculteurs.
Enfin, cette loi s'engagera dans la stabilisation des terres agricoles. La première puissance agricole en Europe n'a pas vocation, comme c'est le cas actuellement, à perdre tous les dix ans l'équivalent d'un département en surface agricole utile. Si nous voulons conserver notre capital agricole, nous devons nous en donner les moyens.
La troisième direction qui me paraît essentielle pour stabiliser le revenu des agriculteurs et leur garantir « des prix plutôt que des primes », comme ils le disent eux-mêmes, c'est la régulation des marchés agricoles, qui est à la base de tout. Elle est urgente. Et si j'ai voulu prendre fermement position sur ce point dès le début du mois de juillet, c'est parce que je suis profondément convaincu que la clé de la stabilisation passe par une régulation forte des marchés.
Or, si l'on regarde la situation actuelle, on constate que les marchés agricoles sont probablement les moins régulés au monde. On a fait de la régulation financière, on a essayé d'encadrer les pratiques financières. Je propose que l'on fasse la même chose pour les marchés agricoles.
Nous l'avons fait sur le marché du lait. Je réunirai jeudi prochain à Paris le G22, c'est-à-dire les vingt-deux États européens favorables à la régulation des marchés agricoles. et nous ferons des propositions pour la réforme de la PAC. Je souhaite que la France affirme haut et fort qu'elle est favorable à la régulation, qu'elle veut une régulation européenne des marchés agricoles, et qu'elle n'est pas seule à le demander puisque elle est capable de réunir vingt-deux États européens sur cette ligne. Celle-ci doit donc être écoutée et respectée. J'indique au passage que, de ce point de vue, la nomination de M. Dacian Cioloş comme commissaire européen à l'agriculture est de bon augure.
Enfin, une régulation européenne ne suffit pas. Je suis choqué par la situation des marchés agricoles dans le monde, choqué de voir des variations de cours de l'ordre de 30 à 40 %. Comment voulez-vous qu'un agriculteur, au Bénin, au Bangladesh, ou dans tout autre pays en voie de développement, puisse survivre s'il ne sait pas si sa récolte va lui rapporter 30 % ou 50 % de moins que le mois précédent ?
Je suis choqué, également, quand je vois que 10 millions d'hectares de terres agricoles ont été achetés par des pays étrangers aux pays en voie de développement en 2008, que 30 millions d'hectares l'ont été en 2009 – trois fois plus ! – et que l'on n'a toujours pris aucune initiative pour enrayer ce phénomène. C'est pourquoi j'ai proposé, avec mon homologue brésilien, de prendre une initiative sur la régulation mondiale des marchés agricoles. Nous avons proposé à la FAO un texte allant dans ce sens. Hier, à l'occasion de la Conférence ministérielle de l'OMC qui se tenait à Genève, nous avons défendu cette idée auprès d'un certain nombre d'États. Je peux vous dire qu'elle rencontre un écho croissant.
Voilà les trois directions dans lesquelles nous souhaitons travailler : le plan d'urgence pour la trésorerie des agriculteurs en 2009 ; la loi de modernisation au début de l'année prochaine, à l'élaboration de laquelle je vous invite vraiment à participer, car je crois que chacun retrouvera la même ambition en faveur de l'agriculture française ; et puis, je compte sur votre soutien pour la régulation européenne et mondiale des marchés agricoles. Je pense que c'est l'honneur de la France d'être à la tête de ce mouvement en faveur de la régulation de l'agriculture dans le monde. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Mais on fait le contraire de ce que vous dites ! C'est ça, le problème !
Dans la discussion générale, la parole est à M. Marc Dolez, premier orateur inscrit.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, notre débat s'inscrit dans un contexte dramatique pour l'ensemble des agriculteurs français et européens. Le revenu agricole net a connu une chute vertigineuse de 20,3 % en 2008. Et encore n'est-ce qu'une moyenne, qui cache des situations individuelles dramatiques. Toutes les filières sont sinistrées. Comme l'a dit notre rapporteur, cette crise sans précédent n'est pas simplement conjoncturelle. Elle est aussi et surtout la traduction de la libéralisation forcenée des échanges agricoles, de l'affaiblissement des politiques agricoles publiques et des outils de gestion des marchés.
C'est ainsi que la crise laitière résulte fondamentalement du démantèlement organisé des quotas laitiers et des mécanismes de protection du marché agricole européen, démantèlement qui s'inscrit dans la politique de libéralisation de l'agriculture, d'ailleurs conforme à l'idéologie de l'actuelle construction européenne, reprise dans le traité de Lisbonne.
L'ensemble des productions agricoles continuent de subir des baisses de prix considérables, consécutives tant à la suppression des actes de régulation européens et nationaux qu'à la liberté accordée, dans la fixation des prix d'achat, à une poignée de centrales d'achat et d'enseignes de la grande distribution. S'il se poursuit, ce démantèlement se traduira par une la saignée aggravée de la population paysanne et par la concentration toujours plus importante de la production au sein de grosses exploitations situées dans les régions les plus compétitives.
Dans ce contexte de crise économique majeure, la proposition de loi visant à instaurer un droit au revenu des agriculteurs, présentée par notre collègue André Chassaigne avec la conviction que nous lui connaissons, a d'abord le grand mérite d'aller à l'essentiel en centrant le débat sur la question des prix d'achat aux producteurs, de la juste rémunération du travail agricole et de la promotion d'une politique européenne régulatrice.
La dégringolade des revenus appelle, en effet, une politique volontariste et responsable.
À crise exceptionnelle, mesures exceptionnelles certainement ! Mais au-delà des mesures d'urgence indispensables, le monde agricole a aussi et surtout besoin de vraies mesures structurelles.
Cette proposition de loi répond à la fois à l'urgence de la situation et aux attentes de la profession, en apportant des solutions pour garantir des prix à la production rémunérateurs et stables par la mise en oeuvre d'outils de régulation simples et efficaces, d'ailleurs approuvés par l'ensemble des organisations syndicales.
Si, pour vivre de leur métier, les producteurs de toutes les filières ont besoin de prix rémunérateurs, ils ont aussi besoin – et c'est particulièrement vrai pour les jeunes qui s'installent – d'une visibilité en matière de prix et d'une réelle stabilité.
La maîtrise de l'offre, la garantie des prix, la pérennité des outils de transformation sont aujourd'hui fragilisées, alors que le lien entre production et consommation a besoin d'être renforcé. C'est pourquoi je souhaite insister particulièrement sur la pertinence et le caractère opérationnel du dispositif proposé.
L'observatoire des prix et des marges, qui est aujourd'hui un simple outil statistique, participerait à la transparence des marchés en suivant l'évolution des prix et des marges pratiqués par type de produits au sein des filières agricoles et agro-alimentaires, et deviendrait en outre une vraie force de proposition et d'impulsion des politiques publiques en cas de crise.
La possibilité de proposer l'instauration d'un coefficient multiplicateur entre le prix d'achat et le prix de vente, étendu à l'ensemble des produits agricoles et alimentaires périssables, constituerait un outil très efficace pour éviter les situations dans lesquelles les producteurs sont obligés de travailler à perte.
La définition de prix minima indicatifs par les interprofessions serait un véritable levier pour organiser les relations commerciales au sein de chaque filière. L'interprofession est en effet le lieu où les acteurs des filières peuvent partager les moyens d'observation de la production et des marchés dont ils disposent.
Cette forme de régulation interne aux interprofessions permettrait d'éviter, ou du moins d'amortir, les excès auxquels les fluctuations de prix sur les marchés mondiaux ont pu donner lieu entre 2007 et 2009.
La création d'un prix plancher d'achat aux producteurs complète le dispositif, puisqu'il désigne la limite en deçà de laquelle les acteurs de la filière s'accorderaient à dire que les producteurs ne gagnent plus leur vie.
Le double mécanisme ainsi mis en place permettrait d'agir directement, tant sur les prix, avec le déclenchement du coefficient multiplicateur, que sur les revenus, avec les aides d'urgence débloquées suite à un avis d'alerte économique et sociale en cas de dépassement des prix plancher.
Mais si la juste rémunération du travail agricole nécessite la mise en place de mécanismes de gestion des productions agricoles et d'organisation des marchés, elle implique aussi une harmonisation sociale progressive, par le haut, au sein de l'Union européenne.
Cela suppose donc de rompre avec la logique libérale de dérégulation des marchés et de dumping social au seul bénéfice de la rémunération des capitaux investis dans les filières agro-alimentaires, et notamment des groupes de la grande distribution.
Le second intérêt de la proposition de loi est aussi, par conséquent, de tracer les grandes orientations de ce que devrait être la politique de la France en Europe.
Dans la perspective de la PAC d'après 2013, notre pays doit clairement et concrètement affirmer sa volonté d'une politique agricole commune rénovée en profondeur, efficace, juste, équitable, et obtenir pour cela des mécanismes de régulation des marchés au niveau communautaire.
La mise en place d'un prix minimum indicatif européen permettrait, par exemple, de réduire les cas de distorsion de concurrence qui se multiplient sur le marché intracommunautaire, sachant que ce prix minimum devrait être modulé en fonction des conditions de production.
L'Europe doit se recentrer sur son marché intérieur en le protégeant chaque fois que nécessaire, faire respecter le principe de souveraineté alimentaire, stopper la concentration de la production et la diminution des emplois agricoles, engager, notamment pour répondre à l'urgence écologique, une révolution des modes de production, une relocalisation des productions, et mettre fin au dumping de l'Europe sur les marchés des pays du Sud.
II ne s'agit évidemment pas d'un repli égoïste, mais au contraire de permettre aux autres pays d'exercer leur droit de souveraineté alimentaire et de développer partout, au Nord comme au Sud, une agriculture paysanne et durable.
Pour assurer la sécurité alimentaire, pour préserver la planète, pour dynamiser le monde rural, l'objectif doit être le maintien de tous les paysans dans toutes les régions d'Europe. Il faut produire au plus près des consommateurs afin de réduire les transports et d'améliorer la qualité des produits.
Telles sont, mes chers collègues, les raisons de fond pour lesquelles les députés communistes, républicains et du parti de gauche vous invitent à voter cette proposition de loi, qui vise à exprimer en France comme en Europe une véritable ambition agricole et alimentaire, en rupture avec la logique libérale. Je veux insister plus particulièrement sur ce point à la fin de mon propos. Nous avons, en effet, la conviction qu'il ne peut pas y avoir de régulation – tout le monde en parle et vous aussi, monsieur le ministre, en avez brillamment parlé – sans rupture avec cette logique libérale que nous dénonçons.
Au-delà du constat partagé sur l'ampleur de la crise et des grands discours sur le sujet, avouez que l'adoption de ce texte par notre assemblée serait, aujourd'hui, un signal fort, concret et encourageant pour toute une profession, si indispensable au pays, mais qui a plus que jamais peur du lendemain.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme cela a été dit sur tous les bancs de cette assemblée, le secteur agricole connaît certainement aujourd'hui sa plus grave crise depuis trente ans. La spécificité de cette crise est qu'elle touche l'ensemble des filières, qu'il s'agisse de la filière laitière, des fruits et légumes, des céréales, des viandes ou encore de la pêche. En tant qu'élue de Flandres, je peux malheureusement en témoigner.
Dans ce contexte, le Gouvernement et la majorité ont rapidement pris conscience de l'ampleur de ces difficultés et de la détresse des agriculteurs. Nous menons, en effet, une politique particulièrement active et ambitieuse afin de répondre efficacement aux besoins des différentes filières agricoles. Nous n'avons pas attendu la proposition de loi qui nous est soumise aujourd'hui pour prendre des mesures fortes dans le domaine agricole.
Vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, mais la pédagogie est l'art de la répétition.
Le plan massif d'urgence, d'un montant de 1,65 milliard d'euros, présenté par le Président de la République le 27 octobre dernier en est l'illustration principale.
Les mesures annoncées sont en cours de mise en oeuvre. Elles témoignent de la rapidité d'action du Gouvernement et surtout, de votre action, monsieur le ministre.
Comme vous le savez, mes chers collègues, ce plan comporte des mesures destinées à permettre à chaque agriculteur en difficulté d'assainir sa trésorerie et ainsi d'engager immédiatement les dépenses d'investissement pour les prochaines campagnes. Un milliard d'euros de prêts bancaires bonifiés par l'État sont prévus. À ce montant déjà très important, vous en conviendrez, viennent s'ajouter 650 millions d'euros de soutiens exceptionnels de l'État.
La proposition de loi qui nous est présentée aujourd'hui par le groupe GDR n'est qu'une réponse imparfaite et insatisfaisante à cette crise. Le texte se cantonne à la question de la garantie des prix et n'évoque également que de manière sommaire l'éventualité de la mise en place d'un dispositif réactif d'alerte.
Cette proposition de loi n'est donc que partielle, et représente vraisemblablement plus un outil de communication que la construction de mesures préparant l'avenir des agriculteurs.
Que les agriculteurs se rassurent ! Ces dispositifs seront bien présentés dans le projet de loi de modernisation de l'agriculture, qui nous sera bientôt soumis et qui ne manquera pas de compléter les dispositions déjà mises en oeuvre afin d'apporter des solutions efficaces pour éviter les crises futures. Comme vous vous y êtes engagé, monsieur le ministre, je ne doute pas que chacun, quels que soient les bancs sur lesquels il siège, vous apportera son concours et son soutien.
Contractualisation, protection contre les aléas, assurances, mise en place d'un dispositif d'alerte, protection du foncier agricole en sont les principales mesures. Ce texte très ambitieux aborder en outre les questions de l'établissement des prix agricoles, de la fiscalité et des charges. Il visera également les relations des producteurs avec les organismes chargés d'acheter, de transformer et de commercialiser les produits agricoles.
Permettez-moi de revenir sur les principales raisons de notre opposition à cette proposition de loi.
Tout d'abord, le coefficient multiplicateur ne peut être appliqué à toutes les productions. S'il peut, en période de crise, l'être au secteur des fruits et légumes, il n'est pas adapté au secteur laitier ni aux filières des viandes. Par ailleurs, celui introduit dans la loi relative au développement des territoires ruraux est peu appliqué pour des raisons de compatibilité avec les règles européennes.
De plus, il peut aussi produire des effets pervers en encourageant, par exemple, la substitution des produits français par des produits importés, comme vous l'avez rappelé, monsieur le ministre. Il ne garantit aucunement une préférence pour les produits français, ni l'augmentation immédiate des prix à la production. Il ne garantit pas non plus l'augmentation des volumes mis sur le marché. Le dispositif du coefficient multiplicateur, tel que vous le prévoyez, pourrait même avoir un effet néfaste pour l'agriculture française.
Vous proposez ensuite l'instauration d'un observatoire des prix et des marges. Dois-je vous rappeler qu'un tel organisme a déjà été mis en place en mars 2008 par le Gouvernement ? Vous me permettrez de vous informer, puisque vous semblez l'ignorer,…
…qu'un comité de pilotage de cet observatoire – qui existe, malgré tout – a par la suite été instauré et qu'il a, dès sa création, lancé des travaux sur le lait UHT, les fruits et légumes et la viande porcine.
Vous proposez également de mettre en place un prix minimum indicatif défini pour chaque production agricole par l'interprofession compétente. Un tel dispositif mérite d'être regardé avec une grande prudence, car il risque d'entrer en contradiction avec la réglementation européenne.
Enfin, concernant la politique agricole européenne, le ministre de l'agriculture a effectué un travail remarquable, que je tiens à souligner. Grâce à votre combat offensif, à votre ténacité, vous avez obtenu, monsieur le ministre, lors du conseil des ministres de l'agriculture des 19 et 20 octobre, le soutien de vingt et un autres États membres et du Parlement européen.
Les négociations que vous menez ont permis une réflexion positive sur la mise en place d'une nouvelle régulation européenne des marchés agricoles. Ajoutons qu'un fonds laitier de 280 millions d'euros a ainsi été créé, et que 50 millions d'euros provenant de ce fonds ont été octroyés à la France, ce qui représente une somme non négligeable.
Monsieur le ministre, vous avez – vous l'avez rappelé – l'ambition d'élargir au-delà des frontières européennes cette régulation agricole. Aussi ne pouvons-nous que soutenir l'action que vous menez avec beaucoup de ténacité, et que rejeter cette proposition de loi.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat, qui nous réunit ce soir, et dont l'initiative revient à notre collègue André Chassaigne, est essentiel en raison du contexte actuel. Chacun a entendu les cris d'alarme lancés par les éleveurs laitiers, qui sont à la pointe de la contestation depuis plus d'un an. Le monde agricole subit une crise globale aux conséquences dramatiques pour l'emploi et l'aménagement du territoire. L'ensemble de la filière est touchée par la pression exercée sur les prix des productions agricoles. Si nous n'y prenons garde, les prédictions funestes des économistes qui envisageaient le futur agricole autour d'une centaine de milliers d'exploitations seulement se réaliseront très rapidement.
Chers collègues, le groupe socialiste, radical et citoyen soutient l'initiative du groupe GDR. Elle est le signe de notre solidarité et témoigne de notre engagement commun à défendre la dignité des travailleurs qui se lèvent tôt et travaillent désormais pour rien, parfois même pour perdre de l'argent.
Il ne suffit pas de vanter la « valeur travail » en faisant de beaux discours. Encore faut-il donner aux travailleurs les moyens de vivre normalement de leurs efforts. Or ce n'est pas ce à quoi la doctrine libérale nous a conduits. Au contraire, cette logique que vous êtes si nombreux à soutenir dans la majorité impose de travailler toujours plus pour vivre moins bien. En fait, vous promouvez la société du bas coût, incompatible avec le progrès social.
En présentant la loi de modernisation de l'économie en 2008, l'UMP nous expliquait que l'objectif était de faire baisser les prix à la consommation. Il faudra tout de même un jour nous expliquer comment l'on fait pour faire baisser les prix sans que les travailleurs de la chaîne économique, à un stade ou à un autre, en souffrent. Il y a soit de la naïveté, soit de l'aveuglement volontaire à croire que les décideurs économiques rogneront sur leurs marges sans rien dire. Il est à espérer que l'affaire de la TVA sur la restauration ouvrira les yeux des naïfs et aura un effet sur la suffisance dont Président de la République fait preuve. Cela n'en prend pas le chemin, mais l'autosatisfaction n'a jamais résolu les problèmes des Français.
Monsieur Chassaigne, nous soutenons votre proposition, mais je ne vous cache pas un certain pessimisme quant à la capacité de la majorité d'accepter votre proposition de loi. (Sourires.) Toutefois, nous voulons accompagner votre premier pas en vous proposant quelques amendements, sans doute trop modestes d'ailleurs. Je les présenterai tout à l'heure.
En attendant, monsieur le ministre, je veux vous faire part de notre utopie, du rêve que nous faisons pour l'agriculture de demain, et vous demander que la France convainque ses partenaires européens d'édifier les fondements de la future politique agricole commune.
Je veux également vous parler de l'urgence qu'il y a à relocaliser relocalisation des productions agricoles. Je reviens ce matin du Togo où j'ai participé à un atelier sur le développement durable, organisé par l'Assemblée parlementaire de la francophonie. Chaque fois que j'aborde ce sujet, j'ai l'impression d'être entendu.
Il ne suffit pas, comme le Président de la République, de faire semblant de quitter le dogme libéral pour appeler à une nouvelle régulation sans en définir les contours. Il est urgent de promouvoir une nouvelle régulation mondiale qui s'appuie sur la relocalisation des productions agricoles.
Je suis d'accord.
De ce point de vue, la présidence française de l'Union européenne a été un échec majeur, avec l'abandon définitif de la régulation. C'est en 2003, avec les accords de Luxembourg, que les plus importantes décisions de dérégulation de la PAC ont été avalisées par la France. Le Gouvernement peut toujours tenter de revenir sur ce qu'il a admis hier, mais vous ne pourrez guère faire mieux, car il est trop tard.
Pendant ce temps, nos territoires agricoles s'enfoncent dans la crise et la désespérance.
Trois crises doivent être résolues : la crise environnementale, la crise alimentaire et la crise territoriale.
Au cours du siècle dernier, les moyens de production, de transport et d'échange se sont considérablement développés, sans tenir aucun compte du fait que la planète était un monde fini et devait être protégée. Aujourd'hui, les atteintes à la qualité de l'environnement sont patentes ; la plus spectaculaire après la pollution des eaux est, sans conteste, le réchauffement climatique. Il y a urgence à agir et à limiter, au plus vite, les émissions de gaz carbonique, dues principalement aux transports.
L'idée prônée par les libéraux que les productions agricoles peuvent être assurées sur n'importe quel continent pourvu qu'elles le soient au meilleur prix est aujourd'hui dépassée.
Pour la protection de la planète, il faut, dès à présent, limiter les transports inutiles et éviter de faire parcourir des milliers de kilomètres à des productions qui peuvent être assurées localement. Nourrir l'Europe avec du mouton de Nouvelle-Zélande qui a parcouru 22 000 kilomètres, avec du boeuf d'Argentine, des pommes de Chine, des poires d'Afrique du Sud et des kiwis du Chili n'a plus de sens.
La réponse au défi environnemental est l'une des clés de la réponse à la crise alimentaire. Vous le savez, le développement agricole est la base du développement économique des pays pauvres.
Depuis des décennies, les partisans du libre-échange sans contrainte, sous l'égide de l'Organisation mondiale du commerce, nous ont fait croire que la libéralisation des échanges allait rééquilibrer les productions dans le monde et résoudre le problème de la faim. L'échec est aujourd'hui dramatique. L'abaissement des droits de douane et l'ouverture des marchés n'ont pas enrichi l'Afrique. Autosuffisante sur le plan alimentaire en 1970, elle est aujourd'hui totalement dépendante. Les pays riches, en particulier européens, ont en réalité recolonisé l'Afrique par la voie alimentaire.
Avec la libéralisation des marchés, nous avons déversé nos surplus de céréales, de poulets et de poudre de lait à des prix tellement bas qu'ils ont déstabilisé les productions locales. Pis encore, les pays riches ont saisi l'occasion de la libéralisation des marchés pour réduire leur aide aux pays les plus pauvres. Ainsi, la part de l'agriculture dans l'aide publique au développement est passée de 17 % en 1980 à 3,8 % en 2006.
En 1980, la Banque mondiale consacrait 30 % de ses ressources à l'agriculture, contre 6 % en 2006. Dans le neuvième fonds européen de développement, l'Union européenne n'a consacré que 4,5 % à l'agriculture des pays ACP – Afrique, Caraïbes et Pacifique.
Pour résoudre la crise alimentaire, il faut, comme le dit Jacques Diouf, directeur général de la FAO, « produire où les gens ont faim ». Il est temps de redonner toute leur place aux cultures vivrières locales et de redonner à chaque continent la possibilité de nourrir sa population. Ainsi, nous remettrons en avant le droit des peuples à se nourrir eux-mêmes. Ce faisant, nous préserverons aussi l'équilibre des territoires.
Sur les 6,5 milliards d'êtres humains que compte la planète, 2,5 milliards sont des paysans et près d'un milliard souffrent de malnutrition. Par centaines de milliers, poussés par la misère et les difficultés alimentaires, une partie de ces femmes et de ces hommes quittent les zones rurales et vont s'entasser dans les mégapoles d'Amérique Centrale ou du Sud, d'Afrique et d'Asie, où la plupart vivent dans des bidonvilles.
Cet exode rural massif vers les villes et les côtes engendre des déséquilibres sociaux, sanitaires et environnementaux quasi insurmontables. Même si c'est dans une moindre mesure, nous connaissons ce problème en France et en Europe. Là encore, la relocalisation et le développement des productions agricoles s'avèrent une absolue nécessité.
Je vous expose là, monsieur le ministre notre part d'utopie, le fondement d'une réflexion qui doit orienter nos choix et nos combats politiques pour l'avenir.
Si personne n'a pu imposer de critères sociaux dans les échanges mondiaux, peut-être l'urgence environnementale, la crise alimentaire et le nécessaire équilibre des territoires imposeront-ils une nouvelle régulation, qui pourrait commencer par la relocalisation des productions agricoles et qui pourrait aussi être un axe de discussion à Copenhague. Faire tout cela nous engagerait dans une voie nouvelle durable du point de vue social, économique et environnemental.
C'est la multifonctionnalité de l'agriculture qu'il faut défendre. C'est contre cela que la droite – votre majorité, monsieur le ministre – a, dès 2002, bataillé en revenant sur les instruments – les contrats territoriaux notamment – mis en place par la majorité de gauche, qui visaient à faire vivre les agriculteurs et les territoires. Nous en sommes bien loin, et le dogme libéral écrase tout.
M. Chassaigne veut garantir le revenu des agriculteurs. Nous le soutenons parce que ce que nous avons vécu ces derniers temps est un déni de justice à l'égard des agriculteurs.
C'est au nom du libéralisme que les services du Gouvernement ont attaqué les pratiques de l'interprofession laitière, en 2008, comme par hasard, à la veille de la discussion de la loi de modernisation de l'économie.
Mardi, notre assemblée a voté une proposition de loi visant à tourner le dos à la LME pour le secteur du livre. Vous avez compris que votre loi était mauvaise. Nous vous demandons de faire de même pour l'agriculture. C'est le sens de nos amendements qui visent à mieux rémunérer les producteurs agricoles. Je veux vous montrer que c'est possible.
Tous les spécialistes de la ruralité, des juristes et des économistes le reconnaissent : la production du vivant, des paysages, ainsi que l'apport en matière d'aménagement du territoire imposent des sujétions très importantes aux producteurs. Ils doivent être en conséquence relativement protégés de la concurrence.
L'article 33 du traité de Rome traduit les objectifs de la politique agricole commune, parmi lesquels il faut noter le besoin d'« assurer ainsi un niveau de vie équitable à la population agricole, notamment par le relèvement du revenu individuel de ceux qui travaillent dans l'agriculture » et celui d'« assurer la stabilité des marchés et des prix raisonnables dans les livraisons aux consommateurs ». Ce triptyque est attaqué au nom de la volonté de faire baisser les prix et d'accroître la concurrence. Or le traité de Rome a admis des dérogations au droit à la concurrence. Alors qu'il faut se battre pour les maintenir, les autorités françaises en charge de la concurrence font tout pour les éliminer. Comment comprendre que, soudain l'orientation indicative des prix du lait soit interdite après dix ans d'existence ?
La lettre de la direction de la concurrence en date du 21 avril 2008 mérite d'être discutée et critiquée, comme la position sur le secteur laitier prise le 2 octobre dernier par l'Autorité de la concurrence.
Pis encore, on sait que l'Autorité de la concurrence va jusqu'à mettre en doute la compatibilité européenne de l'article 141 de la loi de finances pour 2009, que nous avons voté à l'unanimité afin de permettre à l'interprofession laitière de donner des indications de prix informatives à l'échelle régionale.
C'est vrai, les autorités de la concurrence reconnaissent des spécificités au secteur agricole, mais elles refusent un traitement dérogatoire. Une question se pose : à quoi cela sert-il d'être spécifique ?
La fixation, même indicative, d'orientations générales de prix serait le crime de lèse-majesté. Il y aurait entente, pratique concertée ! Une telle analyse laisse songeur lorsque l'on connaît la diversité des prix pratiqués à l'égard des producteurs. Parler d'entente n'a pas de sens, puisque les comportements des producteurs restent autonomes. Ou alors, chers collègues, il faut aller jusqu'à remettre en cause le système des interprofessions. Il faudra, en effet, que l'on nous explique à quoi servent les interprofessions si ce n'est, au bout du compte, à réguler les marchés, donc à influencer les politiques de prix des produits agricoles.
Depuis des années, le législateur a accepté les conclusions d'un certain nombre d'accords interprofessionnels pour réguler la concurrence. La lecture des lois d'orientation agricole en fait comprendre les motivations. Le législateur parle du besoin de « renforcement de l'organisation économique des producteurs » et de « renforcement de l'organisation économique des marchés, des producteurs et des filières dans le souci d'une répartition équitable de la valorisation des produits alimentaires entre les agriculteurs, les transformateurs et les entreprises de commercialisation ».
Aux termes de l'article L. 632-1 du Code rural, ces accords peuvent viser « à contribuer à la gestion des marchés par une « veille anticipative des marchés ». L'article L. 632-2 ajoute l'idée d'une « programmation prévisionnelle et coordonnée de la production en fonction des débouchés ».
Je ne vais pas plus loin dans ces rappels, mais la lecture du droit montre que l'interprofession est érigée en instrument de police économique anticoncurrentiel. Son objectif est bien d'atteindre des prix rémunérateurs. Qui oserait critiquer un tel objectif ? Jusqu'à quand les autorités de la concurrence l'admettront-elles ? Nous pouvons légitiment être inquiets devant leur orthodoxie libérale. En réalité, les autorités de la concurrence sacrifient les dérogations possibles au nom du dogme libéral.
Sur le marché européen, la pratique d'une indication d'évolution collective des prix paraît certes, à première vue, contredire le principe défini à l'article 81, paragraphe 1, du Traité. Mais cette analyse doit être nuancée, le paragraphe 3 du même article précisant que l'interdiction des ententes ne s'applique pas à celles qui visent à améliorer la production ou la distribution ou qui favorisent le progrès technique ou économique. Il faudrait tout de même défendre l'idée que les pratiques agricoles dénoncées par les autorités de la concurrence correspondent parfaitement à cette définition.
J'ai dépassé mon temps de parole, monsieur le ministre : je dois conclure.
Loin de moi l'idée de vous mettre personnellement en cause...
En revanche, je ne crois pas à la sincérité de la majorité. Vous faites le contraire de ce que vous dites aux agriculteurs : vous parlez de régulation, mais vous ne cessez de déréguler ; vous invoquez la régulation mondiale, mais vous n'avez de cesse de défendre tout ce qui permet de détruire les instruments de régulation en Europe et dans le monde.
Le groupe SRC soutiendra donc la proposition de loi de notre collègue Chassaigne et de son groupe, qui a le mérite de porter devant l'Assemblée nationale un sujet crucial : rien de moins que 300 000, 400 000 ou 500 000 emplois sont en jeu, ainsi que l'équilibre social, économique et environnemental de nos territoires. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je précise tout d'abord que le groupe Nouveau Centre et apparentés a décidé de marquer sa désapprobation à l'égard des événements survenus hier dans cette enceinte, tant dans les tribunes du public que sur les bancs de la gauche, en ne prenant pas part au débat d'aujourd'hui. Je m'exprime toutefois dans la discussion générale par respect pour le ministre et pour l'auteur de la présente proposition de loi, mais je ne prendrai pas part à la discussion des articles.
La proposition de loi qui nous est soumise souligne, si cela était nécessaire, l'urgence et la gravité de la situation à laquelle sont confrontés nos agriculteurs et, plus largement, le monde agricole, en France, mais aussi en Europe.
Que de chemin parcouru, que de travail accompli, monsieur le ministre, depuis votre entrée en fonctions, il y a à peine cinq mois ! Je vous l'avais alors dit lors de votre visite au salon des productions animales de Rennes, puis en commission des affaires économiques : comme votre prédécesseur, vous avez véritablement pris la mesure de la gravité de la situation.
Je tiens à saluer, comme vous, monsieur le ministre, la nomination de deux nouveaux commissaires européens : Michel Barnier, chargé du marché intérieur, et Dacian Cioloş, chargé de l'agriculture et de l'espace rural. Car lorsque l'on évoque l'agriculture en France, on parle inévitablement d'Europe.
Avec 545 000 exploitations agricoles, la France est, rappelons-le, le premier producteur et le premier exportateur agricole européen. Les élus des territoires ruraux, mais aussi des territoires mixtes, que nous sommes en font l'expérience : l'agriculture et les agriculteurs constituent un atout économique majeur pour notre pays.
Toutefois, l'agriculture française est aujourd'hui confrontée à deux grands défis dont dépend son avenir. D'une part, elle doit résorber l'érosion continue de sa population. En effet, le nombre d'actifs agricoles continue de décroître ; il a diminué de 7 % depuis 2005 et de plus de moitié depuis 1988. D'autre part, elle doit faire face à ce que vous appelez « libéralisation », monsieur le rapporteur, c'est-à-dire à la mondialisation, laquelle s'impose à nous tous…
…et doit nous conduire à réviser la politique agricole commune. Il est donc urgent que nous anticipions l'échéance de 2013 ; c'est ce que fait le Gouvernement et, au premier chef, le ministre de l'agriculture.
Venons-en, monsieur le rapporteur, à votre proposition de loi, qui, vous l'avez rappelé, définit principalement trois priorités : premièrement, garantir des prix rémunérateurs à tous les producteurs ; deuxièmement, adopter des mesures d'urgence ; troisièmement, définir la nouvelle régulation européenne des marchés agricoles que nous appelons tous de nos voeux.
Au nom de la première de ces priorités, vous préconisez notamment la reconnaissance de l'existence de l'observatoire des prix et des marges, ainsi que la clarification et le renforcement de ses missions. Vous le savez, les centristes sont favorables à l'observatoire des prix et des marges et au coefficient multiplicateur. En 2005, nous nous étions battus au côté des parlementaires UMP pour faire adopter ce dernier dans le cadre de la loi relative au développement des territoires ruraux. Mais nous devons en constater aujourd'hui les imperfections.
Les agriculteurs ne peuvent plus être considérés comme une variable d'ajustement par les intermédiaires qui fixent unilatéralement les prix. Nous souhaitons que soit véritablement reconnu ce qui constitue le marché mondial des produits agricoles aujourd'hui. À cette fin, il est essentiel de fournir, notamment à nos agriculteurs, les outils permettant de garantir la transparence de la répartition des marges et de la constitution des prix.
Toutes les mesures contenues dans cette proposition de loi ne doivent donc pas nécessairement être rejetées ; mais il faut relativiser la portée de certaines d'entre elles. Ainsi, le coefficient multiplicateur ne peut être appliqué à toutes les productions : il pourrait convenir, en période de crise, au secteur des fruits et légumes, mais non à celui du lait ou des viandes bovines. Actuellement, ce coefficient multiplicateur n'est pas appliqué ou l'est peu, faute de compatibilité avec les règles européennes et parce qu'il comporte des effets pervers, donnant au distributeur une raison supplémentaire de se reporter sur des produits venus de pays où les coûts de main d'oeuvre sont inférieurs. L'exemple des fraises d'Espagne en témoigne. Ainsi, en voulant bien faire, nous risquons de défavoriser les producteurs français.
Le texte propose en deuxième lieu d'instaurer un dispositif d'alerte pour la mise en oeuvre de mesures d'urgence. Or le Gouvernement a lancé un plan d'urgence qui vient d'être annoncé par le Président de la République et auquel M. le ministre et Mme Hostalier ont fait référence. Nous en connaissons désormais les tenants et les aboutissants, que je ne détaillerai donc pas davantage.
Le groupe Nouveau Centre et apparentés se félicite de ce plan, qui répond à bien des égards aux attentes maintes fois exprimées par notre groupe et par les agriculteurs. Si son application continue de soulever des difficultés, elle est soutenue par une authentique volonté politique, comme dans les territoires, notamment au sein du corps préfectoral et des directions départementales de l'agriculture.
Monsieur le rapporteur, vous avez évoqué le revenu des agriculteurs. Je suis surpris qu'une proposition de loi du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, lequel inclut les députés communistes, ne parle que d'argent. La crise à laquelle sont aujourd'hui confrontés les agriculteurs excède pourtant largement les questions de rémunération et de revenu.
Il sera tout à fait opportun d'inclure certaines dispositions de votre texte dans le projet de loi de modernisation de l'agriculture qui nous sera soumis dans quelques semaines. Outre le revenu, je citerai des questions aussi cruciales que la maîtrise de l'outil d'exploitation, la maîtrise foncière, la transmission des exploitations, l'installation des jeunes agriculteurs et les retraites.
En somme, monsieur le rapporteur, votre intention est bonne et vous soulevez un véritable problème. Mais le plan de soutien à l'agriculture présenté par le Président de la République tend à traiter l'urgence, et il nous faut désormais intégrer à la loi de modernisation de l'agriculture les dispositions précitées.
La mondialisation s'impose, je l'ai dit, à nous tous et appelle un nouveau cadre de régulation, européen et mondial. S'agissant de l'Europe, le ministre a convaincu vingt-et-un de ses homologues en quatre mois et réunira le G22 dans une semaine, ainsi qu'il l'a rappelé tout à l'heure.
En outre, on sait que la volatilité des prix est liée à la fois à l'offre et à la demande, aux conséquences des changements climatiques et au fait que les produits agricoles sont par nature vivants, donc périssables. Une plus grande transparence s'impose donc, je l'ai dit. Enfin, il est urgent d'harmoniser, tout au moins à l'échelle européenne, les règles environnementales, sanitaires, sociales et fiscales.
Pour toutes ces raisons, monsieur le rapporteur, le groupe Nouveau Centre ne pourra pas apporter son soutien à votre proposition de loi et appelle tous les parlementaires à travailler en amont, au côté du Gouvernement, au projet de loi de modernisation de l'agriculture.
Je ne répondrai pas point par point à tous les orateurs. Je tiens à remercier les députés présents pour la qualité de leurs interventions, dont nous tiendrons le plus grand compte, notamment dans le projet de loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche.
Je remercie particulièrement M. Thierry Benoit et, à travers lui, tout le groupe Nouveau Centre d'avoir accepté de faire une exception à la règle qu'il s'était fixée et de participer au débat ; j'y suis très sensible.
Monsieur Peiro, en matière de régulation européenne, il ne s'agit pas de paroles, mais d'actes. Réunir vingt-deux États membres de l'Union européenne autour de l'idée de régulation des marchés agricoles à Paris, à l'initiative du Gouvernement français, relève du tour de force : les usages de l'Union, que vous connaissez bien, veulent que l'on se réunisse à Bruxelles, autour de la présidence en exercice et non d'un État membre. Nous témoignons donc ainsi de notre volonté de marquer des points dans ce domaine.
Enfin, en application de l'article 96 du règlement de l'Assemblée nationale, le Gouvernement demande la réserve du vote sur les articles et les amendements en discussion.
J'appelle maintenant les articles de la proposition de loi dans le texte dont l'Assemblée a été saisie initialement, puisque la commission n'a pas adopté le texte.
En application de l'article 96 du règlement, le Gouvernement demande la réserve des votes. La réserve est de droit.
Je voudrais à mon tour remercier M. le ministre d'être présent, à la différence de ses collègues qui n'ont pas pris la peine de se déplacer pour les autres propositions de loi. Je regrette toutefois que le Gouvernement ait à nouveau demandé la réserve. Encore une fois, nous nous demandons ce que nous faisons ici. Il était prévu de donner de nouveaux pouvoirs au Parlement mais, ce soir, quelle image donnons-nous ? Seuls quatre députés siègent dans l'hémicycle, et il ne leur est même pas possible de voter sur les articles et les amendements. Permettez-moi de le regretter publiquement.
Notre amendement vise à compléter les fonctions des interprofessions et à accroître leurs pouvoirs.
Trois conditions sont aujourd'hui mises à la reconnaissance en tant qu'organisation interprofessionnelle : définir une démarche contractuelle, contribuer à la gestion des marchés et renforcer la sécurité alimentaire. Nous proposons d'en ajouter une quatrième : définir chaque année un prix minimum indicatif. J'ai développé cette question, je n'y reviendrai pas.
Les interprofessions ont en effet un rôle régulateur en matière d'organisation de la production et de la commercialisation et, forcément, en matière de rémunération. Nous y reviendrons lors du débat sur la loi de modernisation agricole.
Il faut donner à l'interprofession la possibilité de fournir un prix indicatif. Tout le monde peut comprendre que dans une économie de marché, les prix fluctuent. Pour autant, comme vous l'avez vous-même souligné, monsieur le ministre, on ne saurait laisser les producteurs dans la méconnaissance totale des revenus qu'ils obtiendront dans quelques semaines ou tout simplement à la fin du mois. Comment, sinon, pourraient-ils établir un plan d'investissement et s'engager pour l'avenir ?
Sur tous les bancs, nous avons eu l'occasion de rencontrer de jeunes laitiers. Ils ont fait preuve du plus grand dynamisme en faisant le plus d'investissements et le plus de paris sur l'avenir, et sont aujourd'hui le plus en difficulté. Ils viennent aujourd'hui nous voir pour nous dire qu'ils sont en train de dilapider le capital laissé par leurs parents ou leurs grands-parents.
Inutile d'être plus long : vous comprenez dans quel sens va cet amendement. Il doit susciter la discussion. Il doit aussi permettre au Gouvernement et à l'administration de s'appuyer sur un texte législatif au lieu de prendre des décisions malencontreuses comme celle d'avril 2008, aux dégâts terribles, qui compte pour une part dans la crise laitière que notre pays a connue.
La parole est à M. le rapporteur pour présenter le sous-amendement et donner l'avis de la commission sur l'amendement.
Monsieur le président, je tiens tout d'abord à préciser que la commission a repoussé l'ensemble des amendements ainsi que le sous-amendement que je vais présenter.
À titre personnel, je voudrais exprimer mon accord avec l'amendement de Germinal Peiro qui apporte des précisions très pertinentes, en faisant d'un article du code rural le socle législatif du prix minimum indicatif.
Notre sous-amendement vise à supprimer la référence à l'annualité de la fixation des prix minimum indicatifs. Il existe des fluctuations importantes en cours d'année, notamment en matière de coût de production, de coût des intrants ou du carburant. Une révision régulière doit être possible.
Le Gouvernement est défavorable à l'amendement et au sous-amendement ? mais il est sensible à la question que tous deux posent : le rôle à assigner aux interprofessions.
Actuellement, le droit européen interdit toute mention de prix et toute indication relative aux tendances de marché au sein de l'interprofession. Si nous souhaitons introduire une mesure législative visant à renforcer le rôle des interprofessions en ce domaine, la première étape à franchir est donc de modifier le droit européen. C'est ce à quoi je m'attache depuis bientôt quatre mois, en demandant la réouverture de l'organisation commune de marché unique, qui définit les règles de la concurrence applicables au marché agricole.
Si nous persistons toutefois dans cette voie, la DGCCRF reprendra l'avis que vous avez mentionné, monsieur Peiro, monsieur Chassaigne, dans vos interventions respectives, en précisant que le droit européen interdit que l'organisation interprofessionnelle fournisse quelque indication que ce soit en matière de prix dans ses décisions.
J'ai cependant bon espoir que nous obtenions gain de cause quant à la modification de l'OCM unique.
Une fois cette première étape franchie, je suis favorable à ce que, dans le cadre des interprofessions, dont le Président de la République a d'ailleurs annoncé le renforcement, il puisse y avoir non pas un prix minimum – qui serait encore contraire au droit européen –, mais au moins des indications de tendances de marché.
Le point sur lequel je vous rejoins, c'est que nous avons besoin que les interprofessions indiquent au monde agricole quelles sont les tendances du marché et autour de quel niveau doivent fluctuer les prix.
Mais, je le répète, le préalable à toute évolution en ce sens est la modification du droit européen et j'y travaille, jour après jour.
(Les votes sur l'amendement n° 1 , le sous-amendement n° 4 et l'article 3 sont réservés.)
Cet amendement vise à réécrire l'article L. 441-2 du code du commerce selon lequel des ristournes, remises ou rabais peuvent être imposés par contrat.
Je ne dis pas que la loi de modernisation de l'économie n'ait pas éclairci la situation en ce qui concerne les marges arrière. Mais, en réalité, ces marges arrière se sont transformées en marges avant : la situation est quasiment identique à celle qui prévalait auparavant.
Nous proposons donc de supprimer la possibilité d'imposer, par contrat, la pratique des ristournes et rabais. Vous avez évoqué cette interdiction dans votre intervention, monsieur le ministre, mais uniquement pour les périodes de crise. Or les agriculteurs vivent une situation si difficile que l'on ne peut plus vraiment distinguer période de crise et période de non crise, je pense en particulier au secteur des fruits et légumes.
Il faudrait passer par cette solution législative pour régler une fois pour toutes le problème entraîné par ces pratiques : au moment de la négociation, le prix fixé paraît raisonnable mais une fois retirés rabais, remises et ristournes, le producteur est rémunéré à un prix totalement insuffisant.
L'avis de la commission sur cet amendement, comme sur le suivant, est défavorable.
À titre personnel, en revanche, je suis favorable à cet amendement qui pose une question de fond, celle de l'anticipation, qu'il faudra bien étudier lors de la discussion de la loi de modernisation de l'agriculture.
La contractualisation, que vous avez évoquée dans votre intervention, monsieur le ministre, est censée permettre d'assainir les relations entre producteurs et distributeurs, les centrales d'achat en particulier, et de les rendre plus équilibrées.
Dans certains cas, cependant, elle risque de créer des problèmes. Sans encadrement nettement fixé, elle pourrait favoriser la grande distribution au détriment des producteurs.
Il sera donc très important de mesurer dans la future loi quelles peuvent en être les conséquences négatives. Cet amendement a l'avantage de poser des limites de nature à garantir un certain revenu aux producteurs.
L'avis du Gouvernement est défavorable pour deux raisons.
D'une part, la pratique des remises, rabais et ristournes permet au producteur et au distributeur, dans certaines filières, de bâtir une relation dans la durée, lorsque les choses vont bien, ce qui n'est pas si usuel. La suppression automatique de toute remise, rabais ou ristourne risque, je le crains, de favoriser les achats au coup par coup du distributeur, au détriment du producteur.
D'autre part, certaines filières sont très défavorables à cette suppression, je pense, par exemple, à la filière de la volaille qui trouve tout à fait son compte dans cette pratique.
Dans le cadre de la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche, nous proposerons de supprimer les remises, rabais et ristournes pendant les périodes de crise, lesquelles sont définies de manière très précise dans les textes de loi.
Je regrette à cet égard que dans la période de crise intense que nous venons de traverser, les distributeurs n'aient pas eux-mêmes fait le geste de les supprimer.
(Le vote sur l'amendement n° 2 est réservé.)
Cet amendement vise à relever le seuil de revente à perte. Sa diminution dans le cadre de la loi d'août 2005 a abouti à rendre les négociations avec la grande distribution encore plus difficiles.
L'objectif était de faire baisser les prix. Mais les faire baisser au point que les producteurs soient étranglés n'est pas tenable. Il faut donc corriger l'erreur commise en 2005.
Mon avis est extrêmement favorable. La loi de 2005 a eu des effets très pervers et cet amendement permettrait d'apporter une solution rapide au problème du revenu des agriculteurs.
Avis défavorable une nouvelle fois – je regrette de devoir me transformer en « Monsieur Niet » ce soir. (Sourires.)
Je redoute en effet que ce dispositif, même s'il est plein de bonnes intentions, ne renforce la capacité de négociation du distributeur vis-à-vis du producteur et aboutisse à un prix final encore plus faible.
Mais nous pourrons prolonger cette discussion dans le cadre de la loi de modernisation.
(Le vote sur l'amendement n° 3 est réservé.)
Nous avons achevé l'examen des articles de la proposition de loi. La suite de la discussion de ce texte ainsi que les explications de vote et le vote par scrutin public auront lieu le mardi 8 décembre, après les questions au Gouvernement.
Prochaine séance, lundi 7 décembre, à dix-sept heures :
Déclaration du Gouvernement suivie d'un débat, en application de l'article 72-4 de la Constitution, sur la consultation des électeurs de Guyane et de la Martinique sur le changement de statut de ces collectivités.
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures trente.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,
Claude Azéma