La réponse au défi environnemental est l'une des clés de la réponse à la crise alimentaire. Vous le savez, le développement agricole est la base du développement économique des pays pauvres.
Depuis des décennies, les partisans du libre-échange sans contrainte, sous l'égide de l'Organisation mondiale du commerce, nous ont fait croire que la libéralisation des échanges allait rééquilibrer les productions dans le monde et résoudre le problème de la faim. L'échec est aujourd'hui dramatique. L'abaissement des droits de douane et l'ouverture des marchés n'ont pas enrichi l'Afrique. Autosuffisante sur le plan alimentaire en 1970, elle est aujourd'hui totalement dépendante. Les pays riches, en particulier européens, ont en réalité recolonisé l'Afrique par la voie alimentaire.
Avec la libéralisation des marchés, nous avons déversé nos surplus de céréales, de poulets et de poudre de lait à des prix tellement bas qu'ils ont déstabilisé les productions locales. Pis encore, les pays riches ont saisi l'occasion de la libéralisation des marchés pour réduire leur aide aux pays les plus pauvres. Ainsi, la part de l'agriculture dans l'aide publique au développement est passée de 17 % en 1980 à 3,8 % en 2006.
En 1980, la Banque mondiale consacrait 30 % de ses ressources à l'agriculture, contre 6 % en 2006. Dans le neuvième fonds européen de développement, l'Union européenne n'a consacré que 4,5 % à l'agriculture des pays ACP – Afrique, Caraïbes et Pacifique.
Pour résoudre la crise alimentaire, il faut, comme le dit Jacques Diouf, directeur général de la FAO, « produire où les gens ont faim ». Il est temps de redonner toute leur place aux cultures vivrières locales et de redonner à chaque continent la possibilité de nourrir sa population. Ainsi, nous remettrons en avant le droit des peuples à se nourrir eux-mêmes. Ce faisant, nous préserverons aussi l'équilibre des territoires.
Sur les 6,5 milliards d'êtres humains que compte la planète, 2,5 milliards sont des paysans et près d'un milliard souffrent de malnutrition. Par centaines de milliers, poussés par la misère et les difficultés alimentaires, une partie de ces femmes et de ces hommes quittent les zones rurales et vont s'entasser dans les mégapoles d'Amérique Centrale ou du Sud, d'Afrique et d'Asie, où la plupart vivent dans des bidonvilles.
Cet exode rural massif vers les villes et les côtes engendre des déséquilibres sociaux, sanitaires et environnementaux quasi insurmontables. Même si c'est dans une moindre mesure, nous connaissons ce problème en France et en Europe. Là encore, la relocalisation et le développement des productions agricoles s'avèrent une absolue nécessité.
Je vous expose là, monsieur le ministre notre part d'utopie, le fondement d'une réflexion qui doit orienter nos choix et nos combats politiques pour l'avenir.
Si personne n'a pu imposer de critères sociaux dans les échanges mondiaux, peut-être l'urgence environnementale, la crise alimentaire et le nécessaire équilibre des territoires imposeront-ils une nouvelle régulation, qui pourrait commencer par la relocalisation des productions agricoles et qui pourrait aussi être un axe de discussion à Copenhague. Faire tout cela nous engagerait dans une voie nouvelle durable du point de vue social, économique et environnemental.
C'est la multifonctionnalité de l'agriculture qu'il faut défendre. C'est contre cela que la droite – votre majorité, monsieur le ministre – a, dès 2002, bataillé en revenant sur les instruments – les contrats territoriaux notamment – mis en place par la majorité de gauche, qui visaient à faire vivre les agriculteurs et les territoires. Nous en sommes bien loin, et le dogme libéral écrase tout.
M. Chassaigne veut garantir le revenu des agriculteurs. Nous le soutenons parce que ce que nous avons vécu ces derniers temps est un déni de justice à l'égard des agriculteurs.
C'est au nom du libéralisme que les services du Gouvernement ont attaqué les pratiques de l'interprofession laitière, en 2008, comme par hasard, à la veille de la discussion de la loi de modernisation de l'économie.
Mardi, notre assemblée a voté une proposition de loi visant à tourner le dos à la LME pour le secteur du livre. Vous avez compris que votre loi était mauvaise. Nous vous demandons de faire de même pour l'agriculture. C'est le sens de nos amendements qui visent à mieux rémunérer les producteurs agricoles. Je veux vous montrer que c'est possible.
Tous les spécialistes de la ruralité, des juristes et des économistes le reconnaissent : la production du vivant, des paysages, ainsi que l'apport en matière d'aménagement du territoire imposent des sujétions très importantes aux producteurs. Ils doivent être en conséquence relativement protégés de la concurrence.
L'article 33 du traité de Rome traduit les objectifs de la politique agricole commune, parmi lesquels il faut noter le besoin d'« assurer ainsi un niveau de vie équitable à la population agricole, notamment par le relèvement du revenu individuel de ceux qui travaillent dans l'agriculture » et celui d'« assurer la stabilité des marchés et des prix raisonnables dans les livraisons aux consommateurs ». Ce triptyque est attaqué au nom de la volonté de faire baisser les prix et d'accroître la concurrence. Or le traité de Rome a admis des dérogations au droit à la concurrence. Alors qu'il faut se battre pour les maintenir, les autorités françaises en charge de la concurrence font tout pour les éliminer. Comment comprendre que, soudain l'orientation indicative des prix du lait soit interdite après dix ans d'existence ?
La lettre de la direction de la concurrence en date du 21 avril 2008 mérite d'être discutée et critiquée, comme la position sur le secteur laitier prise le 2 octobre dernier par l'Autorité de la concurrence.
Pis encore, on sait que l'Autorité de la concurrence va jusqu'à mettre en doute la compatibilité européenne de l'article 141 de la loi de finances pour 2009, que nous avons voté à l'unanimité afin de permettre à l'interprofession laitière de donner des indications de prix informatives à l'échelle régionale.
C'est vrai, les autorités de la concurrence reconnaissent des spécificités au secteur agricole, mais elles refusent un traitement dérogatoire. Une question se pose : à quoi cela sert-il d'être spécifique ?
La fixation, même indicative, d'orientations générales de prix serait le crime de lèse-majesté. Il y aurait entente, pratique concertée ! Une telle analyse laisse songeur lorsque l'on connaît la diversité des prix pratiqués à l'égard des producteurs. Parler d'entente n'a pas de sens, puisque les comportements des producteurs restent autonomes. Ou alors, chers collègues, il faut aller jusqu'à remettre en cause le système des interprofessions. Il faudra, en effet, que l'on nous explique à quoi servent les interprofessions si ce n'est, au bout du compte, à réguler les marchés, donc à influencer les politiques de prix des produits agricoles.
Depuis des années, le législateur a accepté les conclusions d'un certain nombre d'accords interprofessionnels pour réguler la concurrence. La lecture des lois d'orientation agricole en fait comprendre les motivations. Le législateur parle du besoin de « renforcement de l'organisation économique des producteurs » et de « renforcement de l'organisation économique des marchés, des producteurs et des filières dans le souci d'une répartition équitable de la valorisation des produits alimentaires entre les agriculteurs, les transformateurs et les entreprises de commercialisation ».
Aux termes de l'article L. 632-1 du Code rural, ces accords peuvent viser « à contribuer à la gestion des marchés par une « veille anticipative des marchés ». L'article L. 632-2 ajoute l'idée d'une « programmation prévisionnelle et coordonnée de la production en fonction des débouchés ».
Je ne vais pas plus loin dans ces rappels, mais la lecture du droit montre que l'interprofession est érigée en instrument de police économique anticoncurrentiel. Son objectif est bien d'atteindre des prix rémunérateurs. Qui oserait critiquer un tel objectif ? Jusqu'à quand les autorités de la concurrence l'admettront-elles ? Nous pouvons légitiment être inquiets devant leur orthodoxie libérale. En réalité, les autorités de la concurrence sacrifient les dérogations possibles au nom du dogme libéral.
Sur le marché européen, la pratique d'une indication d'évolution collective des prix paraît certes, à première vue, contredire le principe défini à l'article 81, paragraphe 1, du Traité. Mais cette analyse doit être nuancée, le paragraphe 3 du même article précisant que l'interdiction des ententes ne s'applique pas à celles qui visent à améliorer la production ou la distribution ou qui favorisent le progrès technique ou économique. Il faudrait tout de même défendre l'idée que les pratiques agricoles dénoncées par les autorités de la concurrence correspondent parfaitement à cette définition.
J'ai dépassé mon temps de parole, monsieur le ministre : je dois conclure.
Loin de moi l'idée de vous mettre personnellement en cause...