La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
Je suis heureux de saluer en votre nom M. Jacques Chagnon, vice-président de l'Assemblée du Québec, qui conduit une délégation du groupe d'amitié Québec-France. (Mmes et MM. les députés, ainsi que M. Martin Hirsch, haut commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté, se lèvent et applaudissent.)
J'ai reçu de M. le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement une lettre m'informant que l'Assemblée ne tiendra pas séance demain, vendredi 26 septembre, et siégera mardi 30 septembre à vingt et une heures trente pour la suite de la discussion du projet de loi relatif au revenu de solidarité active.
Acte est donné de cette communication.
Au moment même où nous sommes heureux d'accueillir dans notre hémicycle, avec sa boîte de sparadrap, M. Martin Hirsch, qui a fait défection au meeting de l'UMP de Toulon, une dépêche de l'AFP nous apprend la suppression, chez Renault, après les 4 000 licenciements déjà annoncés au mois de juillet dernier, de 2 000 emplois supplémentaires, au nom du « maintien des marges pour les actionnaires » ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Il y a le texte et le contexte : la politique désastreuse de l'emploi actuellement suivie entraîne la réduction à la misère d'un grand nombre de personnes, et conduit donc le Gouvernement à proposer le RSA.
Monsieur le haut commissaire, vous couvrez cette politique de votre autorité, vous y participez, même, en tant que membre du Gouvernement. Vous cautionnez ces licenciements prononcés au nom de « la marge des actionnaires ». Il vous appartient donc de nous éclairer à l'ouverture de ce débat non seulement sur le texte mais également sur le contexte : quel sens a le projet de loi que vous nous présentez alors que la politique que vous couvrez produit de plus en plus d'ayants droit au système de réparation des dégâts que vous commettez ou que vous accompagnez, en servant de béquille sociale à Nicolas Sarkozy ? Nous devons le comprendre, sans quoi le débat serait complètement pollué puisque vous entretiendriez une sorte de schizophrénie que nous ne saurions cautionner. Pensons à ces nouveaux licenciements annoncés chez Renault, licenciements qui non seulement jettent des gens à la rue mais compromettent également un pôle industriel vital dans notre pays.
Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, messieurs les rapporteurs, mesdames et messieurs les députés : « Je hais l'espoir ». Ces trois mots terribles sont ceux de Gwenn Rosière, alors allocataire du RMI, en révolte contre les promesses non tenues, les engagements trahis, les formations sans débouché, les contrats aidés sans avenir, les retours au travail sans gain financier, la diminution des revenus quelques mois après la reprise d'emploi.
C'est ce défi que nous sommes conduits à relever ensemble aujourd'hui, en prenant conscience de la force de ce cri : faire renaître l'espoir, sans tromper ceux qui ont perdu la volonté d'espérer, sans mentir sur les efforts, sans nier les difficultés, sans faire miroiter de miracles, sans faire de promesses qui ne peuvent être tenues,…
…mais aussi sans abdiquer devant la fatalité, sans être indifférent aux détresses invisibles, en ayant l'obsession d'inverser les tendances, en forçant les chemins étroits et en bousculant, si nécessaire, les schémas établis.
Permettez-moi de citer celui qui fut député de Louviers, ville où la première expérimentation du RSA a été lancée : « L'optimisme, c'est, chevillée au corps, la foi dans la valeur de l'être humain, dans son énergie et son courage, la conviction qu'il est capable de surmonter les obstacles, même ceux qu'il porte en lui, de choisir les chemins difficiles. C'est la certitude que la justice prévaudra dans notre vie sociale et que, pour cela, l'effort et le combat valent d'être soutenus ». C'est cet optimisme volontaire et épris de justice de Pierre Mendès France que je vous invite à partager en vous soumettant ce projet de loi.
Nous vous proposons de franchir ensemble une nouvelle étape de notre histoire sociale.
Il y a vingt ans, l'ensemble du Parlement se retrouvait pour décider que nul ne pouvait se trouver sans ressources dans ce pays, en instaurant un revenu minimum. Il y a dix ans, l'ensemble du Parlement décidait de faire de la lutte contre les exclusions un impératif national. Aujourd'hui, nous vous invitons à débattre d'une approche nouvelle, la solidarité active, pour réconcilier le travail et la solidarité et pour réduire la pauvreté en se fondant sur le socle le plus précieux : le travail, donc la dignité.
Nous le faisons sans oublier ni négliger les étapes précédentes, dont nous n'avons pas à rougir. Les pères du RMI, dont Michel Rocard, Claude Évin, Pierre Méhaignerie, qui l'avait expérimenté en Ille-et-Vilaine, Jean-Michel Belorgey et Lionel Stoléru, ont permis que plus personne ne dépende uniquement de la charité publique ou privée mais tire ses revenus de droits.
Je le dis avec solennité, nous devons engager ce débat avec une lucidité modeste, mais une volonté inébranlable : une lucidité modeste, parce que les situations de pauvreté et d'exclusion sont nombreuses et complexes et que notre histoire récente est plus riche en discours vibrants sur la pauvreté qu'en avancées décisives – ceux qui souffrent ne se payent pas de mots – ; une volonté et une conviction inébranlables parce que notre pays a incontestablement les moyens de faire reculer la pauvreté. Notre économie, notre niveau de protection sociale, la force de nos valeurs…
…et le sens que nous donnons à la solidarité sont autant d'atouts qui nous obligent. Si nous avons porté depuis plus de mille jours cette idée de solidarité active, c'est parce que nous avons la certitude qu'une approche nouvelle est nécessaire, qu'elle peut produire des effets et entraîner des changements profonds. Si le Président de la République a fait du revenu de solidarité active l'une des priorités de son quinquennat, c'est parce qu'il s'est engagé, avec le Premier ministre, à réduire d'un tiers la pauvreté au cours de ce mandat et qu'il a mis la valorisation du travail au coeur de ses engagements. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Cette réforme part d'un constat partagé et implacable. Notre système social sait toujours produire de la dépense supplémentaire mais il ne sait plus réduire la pauvreté. Il nourrit davantage le scepticisme que l'espérance, la rancoeur que la cohésion.
L'ambition de ne laisser quiconque en deçà d'un plancher s'est muée en l'instauration d'un plafond infranchissable pour nombre de nos concitoyens.
Plus de 7 millions de Français vivent sous le seuil de pauvreté, dont 2 millions d'enfants et 4 millions d'adultes d'âge actif. Parmi eux, la moitié est pauvre parce qu'exclue du monde du travail, l'autre moitié reste pauvre bien que travaillant.
La réduction constante de la pauvreté dans les quatre décennies de l'après-guerre, favorisée par la montée en charge de notre système de retraites et par le dynamisme de notre politique familiale, a masqué une progression lente mais insidieuse de la pauvreté des personnes d'âge actif. La pauvreté s'est rajeunie et s'est diversifiée. Non seulement elle n'a pas disparu des marges de notre société, mais elle a atteint son coeur : l'emploi ne protège plus de la pauvreté.
Oui, nous comptons de nombreux, de trop nombreux travailleurs pauvres. Ce phénomène, nous l'avons longtemps occulté. Nous avons raillé ces pays qui, certes, avaient un chômage plus faible que le nôtre, mais multipliaient les travailleurs pauvres. Nous pensions être à l'abri de la paupérisation au travail grâce à l'instauration d'un salaire minimum et d'une réglementation du travail considérée comme protectrice, à tel point que, pendant longtemps, nous n'avons même pas traduit l'expression de « working poors ». La cruelle réalité a balayé nos pudeurs sémantiques.
Ces travailleurs pauvres se répartissent en trois. Si un tiers de pauvreté laborieuse est lié à un temps partiel et un tiers à des alternances de périodes de travail et d'inactivité, un tiers des travailleurs pauvres ne franchit pas le seuil de pauvreté, même en travaillant à plein-temps toute l'année, parce que leur salaire est insuffisant au regard de leurs charges de famille.
Ce phénomène s'est accru.
En effet, le nombre de travailleurs pauvres a augmenté de 21 % entre 2003 et 2005, années pendant lesquelles, pourtant, le salaire minimum a connu ses plus fortes revalorisations.
Le Conseil d'analyse économique rappelait récemment que l'existence d'un salaire minimum n'endiguait pas forcément la pauvreté laborieuse.
Dans le même temps, le nombre de personnes dont les ressources dépendent des minima sociaux a inexorablement augmenté : on en compte aujourd'hui plus de 6 millions. Parmi elles, on dénombre 1,2 million d'allocataires du RMI, 200 000 bénéficiaires de l'allocation parent isolé, 400 000 bénéficiaires de l'allocation spécifique solidarité et 800 000 de l'allocation adulte handicapé.
Toute une frange de la population est désormais vulnérable. Au-delà du noyau dur de la misère, s'étend un halo de pauvreté. Réduire la pauvreté est un impératif, mais les voies à emprunter ne sont pas les mêmes que celles qu'il fallait suivre il y a vingt ou quarante ans.
Les dispositifs d'exception sont devenus l'horizon indépassable de millions de nos concitoyens. On a l'habitude de dire qu'on ne vit pas au RMI mais qu'on y « survit ». La vérité, ce n'est pas la « survie », c'est la « sous-vie » ; car, au-delà du montant des allocations, la réalité, c'est quelques euros par personne et par jour.
Nous vous proposons, dans ce texte puis dans les faits, de réconcilier…
…notre pays avec son idéal social.
Nous ne vous proposons pas d'alourdir l'État-providence, mais de lui préférer la logique de la solidarité active, c'est-à-dire de construire une « société soutenante ». La solidarité ne tombe pas du ciel. Elle ne se limite pas à la redistribution. Elle doit davantage favoriser l'activité que la pénaliser. Elle ne repose pas seulement sur l'État, mais mobilise l'ensemble des corps sociaux et des collectivités territoriales, pour donner à l'ensemble de ses membres une place digne dans la société.
Nous vous proposons de nous donner les moyens d'en vérifier les progrès, sur le fondement d'indicateurs discutés avec les partenaires sociaux et les associations. Nous vous proposons la conciliation d'intérêts contradictoires et la réconciliation de logiques divergentes.
La situation dans laquelle une personne n'est pas sûre de voir ses ressources augmenter quand elle reprend du travail est désastreuse. Celle dans laquelle deux personnes ont les mêmes revenus alors que l'une travaille et l'autre non est délétère.
Elle dévalorise le travail. Elle dévalorise les individus. Elle dévalorise la solidarité. Elle nourrit une société de rancoeur, elle entretient la proximité des aigreurs.
Nous vous proposons aujourd'hui de mettre en place l'arme la plus efficace pour réduire le nombre de travailleurs pauvres. (« Très bien ! » sur quelques bancs du groupe UMP.)
Cette priorité donnée et assumée est la pierre angulaire de cette transformation. Pourquoi ? Parce que, quand rien n'endigue l'augmentation du nombre de travailleurs pauvres, le discours sur le travail sonne creux et les incitations sont vaines. Comment donner comme horizon à celui qui ne travaille pas de devenir travailleur pauvre ? Comment promouvoir l'emploi si l'emploi ne protège pas de la pauvreté ? Les travailleurs pauvres sont une population charnière ; or, si la charnière se brise, c'est l'ensemble de la charpente de la société qui est en danger.
En donnant la priorité aux travailleurs pauvres, on donne la priorité aux femmes et aux familles monoparentales, particulièrement concernées, et qui cumulent le plus de difficultés.
Les transformations contenues dans ce texte sont d'abord porteuses de sens. Elles résultent d'une longue maturation, de concertations, de consultations, de négociations, d'expérimentations, d'évaluations et de débats. Ce projet est né d'une volonté collective, au sein d'une commission composée de responsables d'associations, de syndicats, de responsables d'entreprises, d'élus de droite et de gauche.
Ce n'est pas une simple réforme. Ce n'est pas un renoncement. Ce n'est pas une résignation. C'est plus qu'une transformation. C'est presque une révolution tranquille. C'est certainement une métamorphose de notre système social. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes UMP et NC.)
Oui, ce projet poursuit simultanément deux objectifs de manière indissociable : favoriser le retour à l'emploi et réduire la pauvreté.
Deux objectifs qui ne sont pas son talon d'Achille mais, au contraire, son atout maître. Il est commode de réduire la pauvreté en payant le prix du chômage. Il est facile de réduire le chômage en multipliant les travailleurs pauvres. Ce que nous vous proposons, c'est de nous attaquer à la fois à l'exclusion de l'emploi et à la paupérisation du travail.
Si je place haut les ambitions de cette réforme, ce n'est pas par incantation, mais pour marquer que si nous réussissons ce tournant, si nous engageons ce renversement de tendance, alors nous serons liés par une obligation de résultats. Si nous enclenchons ce mouvement, cette transformation en appellera d'autres.
Ce n'est pas faute d'avoir tenté des politiques d'insertion. Les dispositifs se sont multipliés, se sont sophistiqués, se sont succédé, se sont spécialisés. Des actions formidables ont été conduites. Des entreprises d'insertion, des associations, des collectivités territoriales, des individus ont fait vivre les politiques d'insertion avec générosité et compétence. Elles n'ont pas pu faire reculer l'exclusion, mais elles nous ont apporté la preuve la plus précieuse : des actions bien conduites peuvent aboutir à des résultats excellents.
Des femmes et. des hommes se sont remis debout.
En réformant les. minima sociaux et les politiques d'insertion, nous ne nous attaquons pas à une cause désespérée. Bien au contraire, nous fondons nos espoirs sur ces initiatives multiples, réussies, volontaristes, pour leur donner une nouvelle cohérence, une plus grande puissance.
Nous nous appuyons sur des résultats, sur des faits, sur des témoignages, sur des trajectoires,…
…et non sur une idéologie. Il s'agit des expérimentations réalisées sur le fondement des dispositions que vous avez votées en juillet dernier et dont les résultats intermédiaires vous ont été transmis dans un rapport du comité d'évaluation indépendant.
Dans 33 départements volontaires, 46 zones expérimentales ont été comparées à autant de zones témoins. Ces territoires expérimentaux ont concerné plus de 100 000 allocataires du RMI. Le taux de retour à l'emploi dans les zones expérimentales est de 30 % supérieur au taux de retour à l'emploi dans les zones témoins.
Le comité d'évaluation a estimé que cet écart était statistiquement significatif et je me réjouis que des présidents de conseils généraux expérimentateurs en témoignent au sein de cet hémicycle.
Qui plus est, les personnes qui reprennent un emploi dans les zones expérimentant le RSA sont en moyenne depuis plus longtemps au RMI que dans les zones témoins : le quart des entrants en emploi sont au RMI depuis plus de quatre ans. Ce chiffre ne répond-il pas à la crainte – que j'ai tant de fois entendue – que le RSA ne concernerait que les mieux insérés ? C'est faux.
Le retour à l'emploi concerne des emplois « de droit commun », ce qui peut laisser espérer une insertion professionnelle durable.
Près de 60 % du retour à l'emploi se fait dans le secteur marchand, près de 40 % en CDI, en CDD de plus de six mois ou dans des activités indépendantes.
Rien ne laisse présager dans les conclusions du comité d'évaluation que le RSA favorise le temps partiel ou incite les entreprises à baisser les salaires. Les bénéficiaires concernés par les expérimentations soulignent l'importance d'une aide financière couplée à un accompagnement personnalisé qui leur permet de lever l'ensemble des freins au retour à l'emploi qu'ils rencontrent – problèmes matériels de transport ou de garde d'enfant, problème de qualification. C'est ce que nous vous proposerons de généraliser avec le RSA, complété par une aide à la reprise d'emploi sur mesure.
Enfin, le RSA représente un complément de revenu toujours bienvenu pour les ménages concernés, qui améliore le quotidien ou tout simplement le rend vivable. Ainsi, 700 000 personnes vivant dans un ménage avec au moins une personne qui travaille pourront sortir de la pauvreté directement par le supplément de revenu apporté par le RSA. D'autres ménages sortiront de la pauvreté une fois qu'ils auront renoué avec l'emploi.
Mais d'autres y plongeront, dans la pauvreté, quand ils seront licenciés !
Le RSA doit donc permettre de parcourir une partie du difficile chemin à accomplir pour atteindre l'objectif fixé pour la première fois de notre histoire sociale par le Président de la République et par le Premier ministre de baisser la pauvreté d'un tiers en cinq ans.
Je tiens à rendre hommage…
…aux conseils généraux qui se sont portés volontaires, au-delà des clivages politiques,…
…pour prendre le risque de ces expérimentations. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
La mobilisation des caisses d'allocations familiales, du service public de l'emploi, des acteurs de l'insertion, a été exemplaire. Le revenu de solidarité active a été le catalyseur d'initiatives remarquables. Tous se sont déjà approprié le RSA pour le faire vivre. Ils ont été rapides, efficaces, innovants, audacieux, enthousiastes. Toute l'année, notre moteur a été de voir des bénéficiaires reprendre confiance en eux, des travailleurs sociaux nous raconter qu'ils ne géraient plus des impasses mais des parcours, des employeurs satisfaits, des élus entreprenants, des organismes publics retrouvant l'envie de travailler ensemble, chacun se montrant fier de son travail, et à juste titre. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Certes, nous aurions pu prolonger l'expérimentation. J'ai plaidé pour que nous passions dès maintenant à l'étape suivante, faisant fi des conseils de prudence. Il ne s'agit toutefois pas de précipitation. L'idée du revenu de solidarité active n'est-elle pas née il y a plus de trois ans et demi ? Le besoin n'est-il pas criant depuis maintenant dix ans ? Relisez les rapports écrits pour les dix ans du RMI ! Ce n'est pas de l'improvisation. Rarement une réforme sociale aura été autant préparée, travaillée sur le terrain, concertée, soumise à expertise et contre-expertise.
Si nous venons devant vous maintenant, c'est que nombre de nos concitoyens ont attendu trop longtemps, que notre pays a besoin, dans ces moments délicats, de mobiliser toutes ses forces vives et de soutenir ses salariés modestes. Un élan a été donné que nous ne voulons pas compromettre.
Le monde entier est secoué par de violentes turbulences économiques. Notre pays sera plus fort s'il est plus solidaire, et plus résistant si nous aidons nos concitoyens à retrouver le chemin du travail. C'est plus que jamais le moment.
Nous voulons combattre avec la plus grande vigueur cette situation absurde selon laquelle notre pays connaîtrait à la fois des pénuries de main-d'oeuvre et le chômage, comptabilisé ou déguisé, d'une grande partie de sa population. Entendre sur le même territoire un chef d'entreprise se plaindre le matin de ne pouvoir embaucher et un allocataire du RMI déplorer l'après-midi qu'on ne lui a jamais rien proposé est intolérable.
Notre histoire sociale s'est construite autour de deux sillons parallèles. D'un côté, des politiques de lutte contre l'indigence, qui relèvent de la charité privée – religieuse puis laïque – et de l'aide sociale publique, avec les bureaux de bienfaisance. C'est la sphère de l'assistance, en dehors de l'emploi, dont la vocation est d'abord temporaire. De l'autre, une série d'avancées, souvent conquises de haute lutte, pour renforcer les droits du salarié. Ce sont les premières assurances sociales, avec les allocations familiales d'abord créées sous forme de « sursalaire », les régimes de retraite, les caisses d'assurance maladie puis la création de la sécurité sociale, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. C'est la sphère de l'assurance sociale, où le salaire s'accompagne d'une protection vis-à-vis des grands risques.
Les dernières décennies sont marquées par la recherche d'une universalisation de cette protection : universalisation des allocations familiale, instauration d'un minimum vieillesse, création du revenu minimum d'insertion, de la couverture maladie universelle.
Ces deux logiques ont été insuffisamment articulées, d'où de redoutables effets de seuil qui rendent difficile la sortie de l'assistance vers le travail et la protection sociale.
Ces deux approches, à force de se développer, ont fini par se concurrencer et même par se neutraliser.
Le revenu de solidarité active vient réconcilier ces deux pans de notre édifice social. Entre les deux piles du pont de notre protection sociale, il constitue l'indispensable tablier qui permet d'aller d'une rive à l'autre.
Il y a un lien étroit entre la construction technique d'une prestation et sa conception philosophique. Le RMI partait du présupposé, peut-être exact il y a vingt ans, que la majorité des personnes privées de ressources étaient dans l'incapacité de travailler. Il en a résulté le choix d'une allocation différentielle. Nous partons du principe que la majorité des personnes qui aujourd'hui dépendent des minima sociaux sont capables de travailler et le souhaitent. Le RSA doit alors être conçu comme une allocation complémentaire au revenu et non pas seulement différentielle ou substitutive.
En transformant le RMI en RSA, nous ne repeignons pas un sigle. Nous ne lui donnons pas une allure artificielle de modernité. Nous adressons un signe fort de « dé-relégation ». Nous disons à l'ensemble des allocataires des minima sociaux que le retour à l'emploi ou leur exercice d'emploi ne doit plus constituer l'exception mais la règle, et que la société s'organise pour le favoriser et le valoriser. Nous proclamons que chacun peut avoir une place utile dans la société, lui procurant des moyens dignes d'existence.
Pour cela, ce projet de loi contient dix changements majeurs,…
…dix renversements de perspective.
Le premier changement est naturellement le principe que toute augmentation des revenus du travail se traduise par une amélioration des revenus – principe simple, principe évident et principe si souvent bafoué. Ce principe, si vous le créez, si vous en faites un principe légal, nous le garantissons comme un principe réel.
Deuxième changement : alors qu'une minorité d'allocataires de minima sociaux bénéficiait de l'appui du service public de l'emploi, le projet de loi pose à la fois la vocation universelle du service public de l'emploi et la règle de la recherche active d'emploi. (« Très bien ! » sur quelques bancs du groupe UMP.)
Troisième changement : aujourd'hui, selon qu'on relève du RMI ou de l'API, on peut avoir les mêmes besoins mais pas le même accès aux actions d'insertion. Avec le RSA, cette distinction juridique s'estompe et ne sera plus un obstacle à l'inscription dans un parcours d'insertion.
Quatrième changement : actuellement, une personne en difficulté peut avoir autant d'interlocuteurs directs qu'il y a de services ou de problèmes. S'appuyant sur les conclusions du Grenelle de l'insertion, auxquels vous avez été nombreux à participer, le projet de loi instaure un réfèrent unique.
Cinquième changement : les droits connexes liés aux statuts pouvaient conduire à ce qu'une personne qui sortait du RMI avec 10 euros de plus perdait un droit qui pouvait lui coûter 40 euros ! Deux personnes avec des revenus égaux mais des statuts différents n'avaient pas le droit aux mêmes aides. Ce projet de loi remplace les droits connexes liés au statut par des droits qui sont fonction des revenus.
Sixième changement : ce projet de loi met fin aux déséquilibres des droits et devoirs. Et quand nous parlons de droits et de devoirs, ce sont des droits et devoirs pour tous : pour les bénéficiaires, bien sûr, avec désormais une contractualisation individuelle et non plus par foyer, et qui devra être systématique ; mais aussi droits et devoirs des organismes publics et privés qui doivent prendre en charge l'ensemble des publics concernés par le RSA.
Septième changement : de même que le revenu de solidarité active a été expérimenté en impliquant des bénéficiaires dans chaque département et que ceux-ci ont participé à tous les groupes de travail du Grenelle de l'insertion, le projet de loi prévoit l'association systématique des personnes concernées à l'élaboration et à l'animation des politiques qui les concernent.
Huitième changement : le projet de loi privilégie la régulation contractuelle et conventionnelle sur la réglementation tellement précise qu'elle est parfois excluante ou contre-productive.
Neuvième changement : l'évaluation comme moteur d'une politique publique. Le projet de loi s'inspire de programmes expérimentaux objectivement évalués et prévoira, grâce aux débats à venir une procédure d'évaluation particulièrement rigoureuse.
Dixième changement : en prévoyant le plafonnement global des niches fiscales, le projet de loi, si vous acceptez un certain nombre d'amendements, ouvre la voie à ce qu'il soit mis fin à cette situation inique de soustraction légale à l'impôt, où des revenus élevés pouvaient ne pas contribuer d'un centime aux charges publiques. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
J'y viendrai.
Dix changements majeurs pour qu'une politique de lutte contre la pauvreté se mesure aux résultats qu'elle obtient, pas aux milliards qu'elle engage. Pour qu'une politique de lutte contre la pauvreté se réalise avec celles et ceux qui en sont les acteurs, pas de manière descendante, et donc toujours condescendante.
Pour accomplir ces changements, nous vous proposons sept principes. Autant de choix explicites et assumés, qui résultent d'âpres débats, dont je vous invite à bien peser les termes.
Le premier est de ne pas renoncer au principe d'un revenu minimum garanti, à condition qu'il ne se transforme pas en maximum indépassable.
Le deuxième est de ne pas alourdir le coût du travail,…
…ni d'ailleurs de l'alléger, afin de ne pas créer d'effet d'aubaine pour les employeurs.
Le troisième est de ne pas créer un sous-statut par rapport au droit du travail. Le RSA n'est pas un contrat de travail, les salariés qui bénéficient du RSA sont, deviennent ou demeurent des salariés de droit commun. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Le quatrième est de ne pas faire peser la charge de la réforme sur les départements. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Je m'étais engagé à présenter aux départements une réforme à la loyale. Alors que dans les expérimentations, les départements volontaires finançaient 50 % de la prestation, l'État finance ici l'intégralité du surcoût. Et tout retour à l'emploi d'une personne ne travaillant pas se traduira directement par une économie pour le conseil général.
J'ajoute que le fonds de mobilisation départementale pour l'insertion est reconduit, et sera doté de 500 millions d'euros en 2009, en plus du milliard et demi.
Le cinquième principe est de privilégier le droit commun sur les dispositifs spécifiques. C'est une demande forte des acteurs réunis dans le Grenelle de l'insertion, une demande à laquelle nous avons été particulièrement attentifs.
Le sixième principe est de maintenir un revenu garanti identique sur tous les points du territoire, mais en donnant des marges de liberté aux acteurs locaux pour organiser au mieux les mesures d'accompagnement, d'orientation et de suivi.
Le septième principe est le plus symbolique. Il est à mes yeux le plus fondamental et le plus sacré : nul n'est inemployable.
« Non récupérable », hurle le héros de Jean-Paul Sartre au dernier acte des Mains sales. Notre société entière aurait les mains sales à considérer certains de ses membres comme non récupérables, ou non employables.
Nous vous proposons de refuser la condamnation, parfois perpétuelle, à l'inemployabilité, une notion souvent défendue avec bonne foi, mais qui se retourne toujours contre ceux qui sont ainsi relégués. C'est un choix important. Il est pour nous délibéré. Nul ne doit être considéré comme définitivement inemployable. Parfois, c'est à l'emploi d'adapter ses exigences à des capacités moins fortes, à une productivité plus faible. Mais cette notion, explicite ou sournoise, est porteuse de dérives dangereuses, qu'il faut combattre.
Cette réforme doit constituer la réconciliation de la France avec son modèle social.
La question que nous ne devons pas esquiver : que veut dire vivre de son travail ?
Vivre de son travail, ce n'est pas avoir 100 % de ses ressources tirées de son travail. Ce n'est pas le salaire « sec » qui procure seul le revenu.
Le prétendre, c'est nier tout notre système social. Il n'y a pas de honte à avoir construit un modèle de redistribution, des bien-portants vers les malades, des personnes d'âge actif vers les plus âgés et des plus aisés vers les plus modestes.
Oui, nous avons besoin d'une dose de redistribution pour réduire les inégalités. Impôts, cotisations, prestations y contribuent. Il n'y a pas de honte à bénéficier d'une part de la solidarité. L'impôt est destiné à couvrir les charges communes, mais aussi à réduire les inégalités.
Vivre de son travail, ce n'est pas dépendre à 100 % de son salaire. C'est faire en sorte que la majorité de ses revenus puissent être tirés de son travail. Que le revenu de celui-ci soit complété par des prestations familiales, des aides au logement et une part de revenu de solidarité active n'est pas un renoncement face au travail. Ce n'est pas renoncer à la qualité de l'emploi, c'est admettre la différence entre la solidarité et l'assistance.
Applaudissez-le, chers collègues de l'UMP ! C'est profond, ce qu'il dit !
Avec le revenu de solidarité active, nous vous proposons, de ne jamais dissocier de notre devise républicaine – Liberté, Égalité, Fraternité – la notion de dignité. Une personne me disait récemment : « Nous devenons des citoyens à part entière et non plus des citoyens entièrement à part ».
Ça, c'est une rhétorique destinée à habiller une politique de trahison !
Mesdames et messieurs les députés, c'est au nom de la dignité que ces grandes figures qui se sont illustrées dans la guerre contre la pauvreté vous ont demandé d'agir.
En 1987, c'était le rapport du père Wresinski. Vous avez créé le RMI l'année suivante. Dix ans plus tard, c'est Geneviève de Gaulle-Anthonioz qui, par un avis remarquable du Conseil économique et social, a jeté les fondements de la loi de 1998. Cette année vous pourrez rendre hommage au combat de l'abbé Pierre en adoptant enfin un statut pour les compagnons d'Emmaüs.
Nul besoin de vous préciser que le Gouvernement sera favorable à l'amendement que vos commissions ont adopté à l'unanimité.
Nos concitoyens attendent une mobilisation. Une mobilisation de l'État et des départements, et avec eux de l'ensemble des collectivités territoriales. Une mobilisation des employeurs et des syndicats, une mobilisation des travailleurs sociaux et des associations, notamment dans le secteur de l'insertion par l'activité économique, déjà au coeur de ce combat.
C'est dans cet esprit que nous avons constamment travaillé tout au long de cette année et organisé en juillet dernier une conférence de concertation. Pendant toute cette période, nous sommes restés strictement fidèles aux principes posés dans le consensus d'une commission qui réunissait des parlementaires de gauche et de droite. Nous avons su entendre, cependant, les positions exprimées pour améliorer le projet.
Nous avons entendu ceux qui ne voulaient pas qu'on touche à la prime pour l'emploi.
Nous avons entendu ceux qui ne voulaient pas que le RSA figure sur la feuille de paie.
Nous avons entendu ceux qui ne voulaient pas que l'on augmente le coût du travail.
Nous avons entendu ceux qui ne voulaient pas que le revenu de solidarité active se mette en place dans une nation qui tolérerait que les plus gros revenus ne soient pas des contribuables.
Nous avons entendu ceux qui ne voulaient pas d'une charge nouvelle sur les départements.
Nous avons entendu ce qu'ils nous disaient, car leurs demandes étaient légitimes et pouvaient contribuer à bâtir ce projet sans le dénaturer.
Nous avons entendu, enfin et surtout, les bénéficiaires du RSA, qui nous disaient que travailler et être accompagnés diminuait leur sentiment de honte, de mésestime, au profit d'un sentiment d'utilité et de valorisation. Nous avons entendu leurs employeurs et les travailleurs sociaux exprimer leur satisfaction.
Le revenu de solidarité active, ce sont des principes, c'est une méthode, ce sont des améliorations concrètes. Arrêtons-nous un instant sur ce que va apporter le revenu de solidarité active aux revenus modestes.
Une mère de famille qui élève seule son enfant et qui travaille à mi-temps a aujourd'hui un revenu disponible de 670 euros par mois, à peine plus que l'allocation de parent isolé. Chaque heure qu'elle travaille lui rapporte 1 euro et 40 centimes. Avec le revenu de solidarité active, son revenu sera de 883 euros. Si elle passe à plein temps, son revenu s'élèvera à 1 202 euros par mois, soit 310 euros de plus qu'à mi-temps, et 89 euros de plus que sans le revenu de solidarité active.
Une famille de deux enfants qui vit avec un SMIC à plein temps a actuellement un revenu de 1 240 euros par mois, dont 120 euros de prestations familiales et 92 euros de prime pour l'emploi. Soit, en tout, 10 euros par personne et par jour ! Cette famille aura, après la réforme, 1 445 euros par mois, soit 205 euros de plus. Près de 20 % de revenus supplémentaires.
C'est cela, la réalité du revenu de solidarité active. Sonnante, mais pas trébuchante. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Vous comptez en euros pour les pauvres et en millions pour les riches !
Aujourd'hui, certains travaillent en gagnant la même chose ou moins. Demain, en travaillant, ils gagneront plus. Et en travaillant plus, ils gagneront encore plus.
C'est cela, la réalité du revenu de solidarité active. C'est cela qu'attendent des millions de Français.
C'est un engagement concret et réel contre la pauvreté, aux antipodes de ce cynisme compassionnel qui a permis à notre société de s'accommoder de la pauvreté.
Si le revenu de solidarité active a un coût, c'est parce que nous soutenons les salariés modestes. Mais chaque fois qu'une personne passera de l'inactivité à l'activité, non seulement ses revenus augmenteront durablement, mais les dépenses sociales diminueront. Pour une personne au RMI, c'est 447 euros par mois de dépenses sociales. Pour une personne qui retravaille à mi-temps, ce sera 199 euros de RSA, et, à plein temps, 26 euros.
Si 200 000 personnes supplémentaires passent de l'inactivité à l'emploi, l'investissement que nous réalisons portera ses fruits en supprimant le surcoût de cette réforme.
Voilà le défi. Voilà aussi la différence entre la voie de la facilité – remettre une couche de plus dans un système d'assistance – et la voie ambitieuse du soutien au revenu. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Voilà pourquoi, sur le milliard et demi supplémentaire, pas un centime n'ira vers l'inactivité.
Voilà pourquoi, la grande majorité des Français, quelles que soient leurs opinions politiques, sont favorables au revenu de solidarité active.
Parce que le peuple français est attaché au travail et à la solidarité. Nous aussi. Et, je le sais, vous aussi.
Oui, 1,5 milliard d'euros supplémentaires, c'est une somme importante. C'est plus que ce qui a été consacré à la création du RMI, il y a vingt ans. C'est plus que ce qui a été consacré à la CMU il y a dix ans.
C'est un effort considérable en faveur des plus défavorisés. C'est aussi un effort justifié, un effort utile, un effort avec contrepartie.
Cette somme ne pèsera pas sur les revenus du travail. Elle ne pèsera pas sur les charges des entreprises. Le coût du travail ne sera en rien modifié par la création du RSA. Cette somme sera prélevée sur les revenus du capital.
Aucun prélèvement n'est indolore. Nous le savons. Et comme vous, je reçois des témoignages de ceux qui ont placé leurs économies, acquises par leur travail, dans un produit d'épargne financier ou dans un bien immobilier qui rapporte quelques centaines d'euros par mois pour compléter une petite retraite. À eux, nous disons que nous savons l'effort qui leur est demandé.
Et à Mme Bettencourt, vous lui dites quoi ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Nous leur disons aussi qu'ils sont moins concernés que si l'on avait choisi une assiette comme celle de la contribution sociale généralisée, qui touche tous les revenus du travail et les revenus de remplacement, comme les pensions de retraite.
Nous leur disons que la majorité de cet effort sera supporté par les 10 % des ménages qui ont les patrimoines les plus élevés. Nous leur disons aussi que le poids des dépenses sociales inertes pèse sur l'économie française et sur leurs propres ressources. Nous leur disons donc que cet argent sera bien placé, bien utilisé.
Nous en serons comptables. L'argent produit des intérêts ? L'intérêt, ce sera désormais que l'inactivité recule, que le travaille augmente, que la pauvreté diminue.
Ce prélèvement sera juste. Et nous respectons l'équilibre…
…sur lequel la majorité et l'opposition s'étaient retrouvés il y a vingt ans au moment de la création du RMI. Le RSA sera financé par une taxe sur les revenus du capital…
…et par le produit du plafonnement des niches fiscales, comme le RMI avait été financé par le rétablissement de l'impôt sur la fortune.
Pour vous montrer jusqu'où va le parallélisme des formes, je voudrais vous rappeler ce que disait le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et du budget de l'époque, Pierre Bérégovoy,…
…à cette même tribune, il y a exactement vingt ans : « S'il reprend les grandes lignes de l'IGF, l'impôt de solidarité sur la fortune tient compte également de l'expérience passée. Plusieurs mesures ont été prises pour améliorer la neutralité de l'impôt. Il s'agit, d'abord, de la création d'une clause de sauvegarde. À l'instar de ce qui existe dans certains pays, cette clause de sauvegarde permet de plafonner pour un contribuable le total de son impôt sur le revenu et de son impôt sur la fortune à 80 % de son revenu brut. »
« J'ai en mémoire – disait Pierre Bérégovoy – les discussions qui ont eu lieu au Parlement entre 1982 et 1985. Les adversaires de l'IGF nous disaient si vous adoptiez cette clause de sauvegarde, l'impôt sur les grandes fortunes deviendrait non seulement acceptable, mais serait un excellent impôt. J'espère qu'on ne l'oubliera pas dans la discussion à venir. » »
Mesdames, messieurs les députés, voilà dans quels termes, il y a vingt ans, Pierre Bérégovoy, ministre de Michel Rocard et de François Mitterrand, défendait le concept de bouclier fiscal pour créer le RMI. Je suis persuadé qu'on ne l'oubliera pas dans la discussion à venir
Adopter ce projet de loi, c'est également fonder les politiques d'insertion sur la confiance et sur la souplesse. Nous vous proposons une autre régulation des politiques d'insertion. Des politiques se sont construites sur des régulations fondées sur des critères de plus en plus pointilleux. Nous vous proposons une transition vers des régulations contractuelles, laissant une plus grande marge d'initiative aux acteurs locaux.
Pour cela, il faut pouvoir contractualiser sur des objectifs et tenir compte des performances et des résultats. Nous vous proposons la création d'un contrat unique d'insertion, dont l'ambition est de faire des contrats aidés de véritables « contrats aidants ».
Réduire la pauvreté dans un pays comme la France est possible. Accroître la proportion de ceux qui tirent la majorité de leurs revenus de leur travail est possible. Ne laisser personne sans un accompagnement adapté à ses besoins est possible. À ces « possibles là », si vous votez ce texte, nous serons collectivement tenus.
« Je suis redevenu le chef de ma vie », nous disait un allocataire du revenu de solidarité active. Écoutez bien ces mots : « Je suis redevenu le chef de ma vie. » Comment réfuter plus magistralement le procès d'assistanat ?
Mesdames et messieurs les députés, il y a des millions de Français qui aspirent à redevenir chefs de leur vie, qui ont besoin pour cela d'une nouvelle forme de solidarité qui les soutienne, les accompagne dans leur travail. Ils n'attendent pas la providence. Ils attendent notre engagement, votre engagement.
Ils demandent à être réconciliés avec l'espoir. Ne nous défilons pas. Je ne sais pas si nous avons rendez-vous avec l'histoire. Mais je sais que nous avons rendez vous avec leur espoir. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Plusieurs députés du groupe UMP. Jaloux !
La parole est à M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, pour quinze minutes.
J'ai relu, monsieur Brard, les débats sur le RMI. Il y a vingt ans, chacun avait eu le respect d'écouter les arguments des autres sur un sujet d'une telle importance.
Aujourd'hui, nous ferions bien de donner une belle image de notre assemblée et d'échanger nos arguments, dans le respect des uns et des autres. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
Monsieur Daubresse, vous ne trahissez pas votre cause, vous servez des intérêts !
Monsieur le président, monsieur le haut commissaire, mes chers collègues, vingt ans après le vote de la loi sur le revenu minimum d'insertion, le bilan est contrasté. C'est pour cela que Martin Hirsch a mené ces réflexions et cette action en profondeur. Cette grande loi – que beaucoup, ici, s'honorent d'avoir voté – devait aller plus loin.
Le bilan est contrasté. Tout le monde admet que ce texte a représenté un progrès social dans la reconnaissance majeure de la dignité des personnes les plus fragiles de notre société. Mais personne ne considère que le RMI ait résolu le problème de la pauvreté en France.
La nécessité de transformer et d'élargir le dispositif actuel est largement partagée, au-delà des clivages politiques traditionnels. Cette nécessité procède d'un triste constat, que rappelle souvent Pierre Méhaignerie : la France est, juste après la Suède, le pays d'Europe qui consent le plus gros effort financier pour sa protection sociale en y affectant plus de 30 % de sa richesse nationale. Pourtant, les résultats sont inquiétants : le nombre d'allocataires du RMI a augmenté, de même que celui des personnes vivant sous le seuil de pauvreté, et le nombre de ménages pauvres qui travaillent n'a cessé de croître dans notre pays. Pour ces raisons, il nous fallait une politique nouvelle. Le projet de loi que nous examinons répond à cette nécessité en refondant complètement le modèle social français dans une logique novatrice de lutte contre la pauvreté, axée d'abord et avant tout sur le soutien au travail.
La première nouveauté, c'est que le RSA généralisé, à la différence de ceux qui ont été préalablement expérimentés dans plusieurs départements de France, sera ouvert – il en a été peu question dans les commentaires précédant le débat – à plus de deux millions de travailleurs à revenus modestes, en tenant compte de leurs ressources, de leur situation familiale, et non plus de leur statut. De nombreux droits étaient jusqu'à présent rattachés au statut de bénéficiaire du RMI, et donc perdus en cas de reprise d'emploi, contribuant ainsi à enfoncer les personnes concernées dans ce qu'on a appelé avec des mots très durs des « trappes à pauvreté ».
En liant désormais l'attribution de ces droits, non plus à un statut, mais à un niveau de ressources, à une situation familiale, le nouveau RSA s'accompagne, non pas d'une perte brutale des droits, mais d'une réduction progressive.
La deuxième nouveauté, c'est la garantie d'une augmentation des revenus en cas de reprise d'activité. Plus on ira vers le travail, plus les revenus augmenteront et plus l'incitation à retrouver une dignité dans le travail sera forte.
La troisième nouveauté, c'est la simplification. Le RSA va remplacer le RMI, mais cela ira bien au-delà. Il remplacera également l'allocation de parent isolé, ainsi que les systèmes d'intéressement et la prime de retour à l'emploi. Il remet de l'ordre, en les simplifiant, dans les différents systèmes qui ont été empilés jusqu'ici – pas toujours avec une grande cohérence, reconnaissons-le.
La quatrième nouveauté, c'est la méthode qui a été choisie par Martin Hirsch et tous ceux qui ont participé – ils sont nombreux ici – au Grenelle de l'insertion et qui ont contribué à écrire le Livre vert sur le RSA. Ce document a tiré le bilan des expérimentations positives réalisées dans plusieurs départements. Même si – nous ne nous en cachons pas – nous aurions voulu que ces expérimentations aillent à leur terme, il y a moment où il est temps d'agir quand on voit la direction dans laquelle il faut mener le navire.
La cinquième nouveauté, enfin, c'est la réforme en profondeur des contrats aidés et la création d'un contrat unique d'insertion – nous l'appelions depuis très longtemps de nos voeux –, qui va beaucoup plus loin que les dispositifs élaborés dans le cadre du plan de cohésion sociale de 2004. J'y ai participé, j'en parle donc en connaissance de cause. Il a deux objectifs : premièrement mettre le pied à l'étrier à ceux qui ont besoin d'une transition vers l'emploi classique ; deuxièmement, faire bénéficier de la solidarité ceux qui ont des difficultés prolongées mais qui, pour autant, ne doivent pas être condamnés à vie à l'exclusion.
Lors de la phase de concertation, la plupart des acteurs avait convenu que le succès du RSA impliquait plusieurs conditions. En tant que rapporteur de ce texte, je me suis attaché à vérifier que le projet qui nous est présenté respecte bien les conditions énoncées dans le Grenelle de l'insertion et à souligner – c'est mon rôle – les points qui restent à approfondir.
Première condition : le RSA doit être tout autant un outil de lutte contre la pauvreté qu'un moteur puissant de retour vers l'emploi. Condition remplie !
Deuxième condition : le dispositif du RSA doit procurer à son bénéficiaire reprenant un emploi un surcroît de revenu suffisant pour qu'il ait un intérêt financier à quitter l'assistance. Condition remplie !
Troisième condition : le dispositif du RSA doit prendre en compte les droits connexes dont bénéficiaient les allocataires du RMI ou des minima sociaux, afin de supprimer ces fameuses « trappes à inactivité ». Condition remplie !
Quatrième condition : les financements du RSA doivent être à la hauteur des objectifs qui lui sont fixés. Ces financements doivent reposer à la fois sur le redéploiement de certaines dépenses et sur de nouvelles ressources. Une réflexion parallèle doit être menée – nous l'avions dit dès le mois de juin – sur la prime pour l'emploi, qui ne doit pas être sacrifiée à cette réforme, ainsi que sur le plafonnement global des niches fiscales. Condition remplie ! Monsieur le haut-commissaire, ce n'était pourtant pas gagné d'avance.
Cinquième condition : le RSA doit, dès sa mise en place, s'appuyer sur un équilibre entre droits et devoirs de ses bénéficiaires – le droit de bénéficier d'un accompagnement personnalisé et renforcé vers l'emploi, mais aussi le devoir de s'inscrire résolument et de bonne foi dans une démarche de retour à l'emploi. La lutte contre les abus et les fraudes doit être une priorité du service public d'accompagnement des bénéficiaires du RSA et des travailleurs modestes pour plus de justice et d'équité. Nous sommes dans une culture nouvelle du résultat et d'évaluation de l'action publique, qui fera l'objet d'amendements importants de notre commission.
Ces conditions étant désormais satisfaites, grâce à l'important travail préparatoire que vous avez mené, monsieur le haut-commissaire, il nous faut évaluer et évoquer sans détour les risques de la généralisation du RSA et les points à approfondir.
En premier lieu, l'instauration d'une prestation sociale unique s'adressant à un potentiel large de bénéficiaires n'est pas neutre. Elle concerne plusieurs millions de personnes correspondant aux bénéficiaires du RMI et de l'API, et aux personnes exerçant un travail à temps partiel choisi, mais souvent subi, ou à temps plein et percevant un salaire inférieur au SMIC. Il y aura intégration dans le RSA de la majorité des bénéficiaires de la PPE avec la possibilité de choisir – nous vous en remercions – le meilleur système : d'un côté, un système familial et un système basé sur des ressources et, de l'autre, un crédit d'impôt individuel. L'intégration doit donc se faire sans qu'il y ait de la part des travailleurs pauvres un sentiment de déclassement du fait de la substitution d'une aide sociale et familiale à une aide fiscale et individuelle : la prime pour l'emploi.
En outre, la mise en oeuvre du RSA ne peut s'abstraire du contexte de nécessaire maîtrise des charges publiques. Nous y sommes tous attentifs dans cet hémicycle. La France continue de se caractériser par un taux de charges plus élevé que nos concurrents, amputant d'autant le salaire direct et le pouvoir d'achat de chaque salarié. L'amélioration du salaire direct, fruit du travail, et plus particulièrement du niveau de rémunération des salariés se situant entre un SMIC et un SMIC et demi, doit rester la priorité dans toutes nos politiques économiques, sociales et d'accompagnement. L'objectif demeure bien entendu qu'il soit plus rémunérateur de travailler.
En troisième lieu, le RSA, qui est une réelle avancée pour la situation sociale et le pouvoir d'achat des plus modestes, ne doit pas devenir, à terme, une trappe à « temps partiel subi ». Je ne parle pas du temps partiel choisi.
Monsieur Muzeau, nous y reviendrons.
Il conviendra donc, le moment venu, d'ouvrir l'épineux dossier de la baisse des allégements de charges sociales sur les petits salaires, notamment dans les grandes entreprises.
Enfin, le principe de responsabilité doit être réaffirmé pour maintenir une solidarité durable, fondement de notre contrat social. La prestation doit être conçue pour aider à franchir un cap difficile dans une perspective d'autonomie, non pour constituer un moyen de subsistance à vie sans autre perspective.
Dans ce contexte, je me suis attaché, avec le soutien de la commission des affaires sociales, à vérifier et préciser le dispositif prévu par le Gouvernement sur plusieurs points.
Je voudrais remercier les commissaires, qui m'ont parfois soutenu à l'unanimité, par exemple pour faire de la lutte contre la pauvreté un impératif national – n'est-ce pas, monsieur Muzeau ? – ou pour donner un statut aux communautés d'Emmaüs, et donc garantir leur pérennité, à l'initiative d'Étienne Pinte et de plusieurs autres députés.
S'agissant de la gouvernance du dispositif et de la clarification du rôle des acteurs, la commission des affaires sociales a adopté des amendements pour simplifier et clarifier le dispositif tout en affirmant le rôle d'acteurs clés de certaines structures – je veux parler des centres communaux ou intercommunaux d'action sociale réintroduits dans le texte à l'initiative de Valérie Rosso-Debord et d'autres collègues.
Les maisons de l'emploi – nous y avons travaillé dans le plan de cohésion sociale – ont également été réintroduites, à l'initiative de Francis Vercamer et Jean-Paul Anciaux.
Nous voulons aussi affirmer la responsabilité des acteurs, notamment quand il faut envisager des sanctions. Sur proposition de Dominique Tian et de Jean-Frédéric Poisson, nous avons ainsi prévu que le président du conseil général devra motiver ses décisions s'il ne veut pas sanctionner quelqu'un qui ne respecte pas ses engagements d'insertion. Nous avons prévu de sanctionner le travail dissimulé.
C'est invraisemblable ! Les présidents de conseil général ne sont pas des flics !
Nous en parlerons, madame !
De même, la conclusion dans chaque département d'un pacte territorial pour 1'insertion nous paraît devoir être une obligation, et non pas une faculté.
Pour ce qui est de l'évaluation. Le président Pierre Méhaignerie a porté un amendement essentiel à la fin du texte, prévoyant la tenue, trois ans après la mise en oeuvre de la loi, d'une conférence annuelle pilotée par un comité réunissant tous les acteurs, afin d'évaluer le dispositif et de vérifier que les opportunités et les menaces soulevées dans ce rapport ont bien été prises en compte, et donc d'évoquer la pérennité du dispositif.
Sur la question délicate de la gestion des droits connexes au niveau national et local, nous aurons un débat sur deux amendements très importants : l'un exclut que le fait de bénéficier ou non du RSA puisse être le critère unique d'attribution d'une aide locale ; l'autre donne aux collectivités locales le droit, pour asseoir leurs aides, de demander des informations nominatives aux caisses d'allocations familiales.
Un mot de la compensation loyale des charges vis-à-vis des départements. La commission souhaite que la compensation soit intégrale, comme l'ont demandé, à juste titre, le rapporteur pour avis de la commission des finances et le groupe socialiste.
J'ai déposé des amendements pour résoudre le délicat problème de la gestion des tutelles. Le problème des jeunes de moins de vingt-cinq ans qui travaillent – cher à Pierre Cardo et à Christophe Sirurgue – doit trouver sa place dans une profonde réforme de la formation professionnelle.
Je ne ferai qu'évoquer l'assouplissement des nouveaux dispositifs d'insertion, en particulier la simplification et l'harmonisation des règles applicables aux organismes d'insertion par l'activité économique, s'agissant notamment du mode de financement des associations intermédiaires.
Enfin, vient le problème du financement. Sur ce point, un important travail a été mené, en étroite collaboration avec le rapporteur général et le rapporteur pour avis de la commission des finances, Laurent Hénart qui s'exprimera dans un instant, pour trouver un système équilibré dans lequel tout le monde paiera la taxe de 1,1 % pour contribuer au financement du RSA. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Tout le monde paiera, chers collègues !
Tout le monde paiera et nous le démontrerons au cours du débat : le tiers des foyers les plus riches qui bénéficient du bouclier fiscal – les deux autres tiers ayant des ressources inférieures à 3 000 euros mensuels – paieront 31,20 euros au lieu de 32 euros. En revanche, en face du bouclier plafond qui répond au principe d'un impôt non spoliateur (Rires sur les bancs des groupes SRC et GDR) …
Ce principe, émanant de députés toutes tendances politiques confondues, est inscrit dans la constitution allemande, par exemple. Il s'agit d'un principe constitutionnel de l'État allemand.
En regard du principe du bouclier plafond, nous instaurons un impôt plancher en plafonnant globalement les niches fiscales. Le véritable abus réside en effet dans le fait que des personnes très aisées n'ont pas besoin d'avoir recours au bouclier fiscal, car elles ne paient aucun impôt.
Monsieur Brard, si vous écoutiez plus souvent M. Méhaignerie, M. Migaud, M. Carrez et quelques autres, vous sauriez que…
Veuillez conclure, monsieur le rapporteur. Ne vous laissez pas entraîner dans des polémiques, car vous avez largement dépassé votre temps de parole !
Non, j'ai quinze minutes de temps de parole. Or j'en suis à quatorze minutes treize ! Votre horloge n'est pas à l'heure, monsieur le président. J'ai l'habitude de présider, je sais donc de quoi je parle ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
À côté du bouclier plafond, nous instaurons l'impôt plancher. En 1991, la gauche, alors au pouvoir, n'a pas osé faire ce que nous proposons aujourd'hui dans ce texte fondateur. Nous, nous savons ce que réforme sociale et équité sociale veulent dire ! (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Vous, vous vous contentez de discours, nous, nous agissons ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
En conclusion, je voudrais vous dire combien ce texte doit au volontarisme de Martin Hirsch, que je connais bien. En tant qu'ancien ministre du logement, je peux témoigner qu'il a énormément oeuvré en faveur des plus démunis de notre pays, et je salue avec gravité son action.
Et il mérite vos applaudissements ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Il ne s'est pas contenté de tenir des discours, car c'est un homme de terrain. Nombreux sont les hommes et les femmes qui ont pu bénéficier de toute une série de mesures fondamentales grâce à son action engagée.
Le volontarisme de M. Hirsch, vous le retrouvez dans la générosité du texte qui vous est présenté.
La commission des affaires sociales a naturellement adopté ce grand texte de progrès social car, dans ce débat, il ne s'agit pas de céder aux idéologies d'où qu'elles viennent.
…il s'agit de trouver un nouveau moyen de lutter contre la pauvreté tout en valorisant le travail. C'est possible et nous le ferons ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Je souhaite répondre à M. Daubresse qui m'a interpellé tout à l'heure, au demeurant fort civilement…
Pour ma part, j'ai le plus grand respect pour mes adversaires politiques :...
..M. Méhaignerie, M. Daubresse, M. Hénart. Je combats leurs idées car ils ont choisi de défendre les privilégiés et c'est leur droit.
Mais je respecte les personnes. Ils savent – et ils assument – qu'ils produisent de la souffrance, de la misère, de la pauvreté (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
Ils savent aussi les dangers de l'explosion sociale. C'est pour cela qu'ils donnent quelques compensations. Ce sont des gens raisonnables, de ce point de vue, mais ils sont de droite. Ils s'assument avec courage, et nous les combattons avec détermination !
M. Hirsch, lui, se présentait autrefois comme un homme progressiste. Certes, il a le droit de changer. Il n'est pas interdit d'aller vers la droite, ce n'est pas un problème. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Mais convoquer les morts – le père Wresinski, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, femme remarquable s'il en est, l'abbé Pierre, Pierre Bérégovoy, homme d'État – est indigne ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP.) Il faut laisser les morts reposer en paix et ne pas les utiliser comme alibi pour ses propres renoncements et ses trahisons ! (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Laurent Hénart, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l'économie générale et du plan, pour dix minutes.
Je vous invite, mes chers collègues, à respecter votre temps de parole.
Monsieur le président, monsieur le Haut-commissaire, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, je m'abstiendrai de faire la moindre citation pour donner satisfaction à M. Brard.
Nous nous délectons de vos bons mots, monsieur Brard, mais je vous rappelle que vous citez souvent des personnalités, hélas, disparues.
Permettez-moi d'en douter, cher collègue.
Vous avez prêté, monsieur le Haut-commissaire, une oreille bienveillante aux propositions de notre commission et vos services ont souvent permis que l'on avance sur les calculs et les simulations. Nos discussions avec vous ont porté sur le fond de la réforme, à savoir les défis sociaux auxquels le RSA apporte des réponses nouvelles, mais nous avons également débattu sur les trois questions suscitées par le financement de cette mesure.
Le RSA n'est pas qu'une histoire de gros sous. Ce dispositif incarne un changement en profondeur de notre politique de cohésion sociale. Le RSA est la réponse à de nombreux défis sociaux qui, depuis une quinzaine d'années, ont été dénoncés dans divers rapports et n'ont cessé d'inquiéter la classe politique, laquelle a, souvent, au-delà des clivages traditionnels, proposé des réponses variées. Aujourd'hui, nous passons à l'acte, et cela mérite d'être souligné.
Le premier défi à relever – présent tout au long de la campagne présidentielle – est la modification du rapport entre l'assistance et le travail. Nous connaissons tous – mon collègue Jacques Lamblin m'a récemment fait part d'une lettre d'une habitante de sa circonscription – des témoignages de personnes qui, bénéficiant du RMI, de l'API ou de l'ASS, voient, en reprenant une activité leur pouvoir d'achat diminuer du fait de la perte des différentes allocations, primes d'intéressement et autres dispositifs de retour à l'emploi. Finalement, leur pouvoir d'achat est plus faible en travaillant qu'en disposant d'un revenu de solidarité.
Ce constat récurrent mine une société qui veut réhabiliter la valeur du travail. Le RSA apporte une réponse à ce lancinant débat : c'est heureux et chacun, sur ces bancs, ne peut que s'en réjouir.
La commission des finances a apprécié la démarche de simplification à l'oeuvre dans votre réforme, qui ne se contente pas de supprimer le RMI et l'API pour les fondre en un seul revenu. Elle s'attaque à des droits connexes, à des dispositifs de retour à l'emploi, compliqués, temporaires et, qui, tous, avaient montré leurs limites.
Conformément à l'esprit du Grenelle de l'insertion, nous vous proposerons des amendements sur une évolution de l'allocation spécifique de solidarité afin, qu'à terme, elle rentre dans la corbeille du revenu de solidarité active. Je rappelle que le Grenelle de l'insertion que vous avez animé, monsieur le Haut-commissaire, a conduit tous les acteurs à réfléchir de manière approfondie à la solidarité nationale. Il en est ressorti qu'il était souhaitable d'avoir trois revenus de solidarité nationale : l'un s'adressant aux personnes, en âge de travailler, momentanée privées de travail – l'ASS fait partie de ce revenu cible –, les deux autres concernant le handicap et la vieillesse qui feront l'objet d'un autre débat.
La commission des finances souhaite revenir sur le sujet dans les années qui viennent, une fois achevé le dialogue avec les partenaires sociaux.
Le deuxième défi concerne la réalité du marché du travail, et les législations et les réglementations foisonnent dans ce domaine. On pense souvent que, pour régler les problèmes posés par le travail à temps partiel, par intermittence ou selon des horaires contraints, il suffit d'en passer par la voie législative ou réglementaire. Il n'en est rien ! On a beau multiplier les réglementations, rien n'y fait : on aboutit, en fait, à compartimenter le marché du travail en deux parties de plus en plus cloisonnées. D'un côté, des emplois stabilisés, au temps de travail substantiel et à durée indéterminée avec des dispositifs de convention collective ou de statut public qui en garantissent la sécurité ; de l'autre, des ruptures dans le temps de travail – répondant aux besoins de l'économie – qui aboutissent à de l'intérim, à des CDD et à du temps partiel.
Cette réalité concerne plusieurs millions de salariés. Elle correspond du reste souvent à la première étape, qu'on le veuille ou non, de l'entrée dans la vie active ou du retour à l'emploi. Avec le RSA, c'est la première fois qu'on apporte une réponse à cette réalité économique. D'autres pays l'ont fait – il en est fait état dans les travaux préparatoires. La France y arrive, et c'est heureux.
Pas moins de quatre millions de Français sont concernés : ceux qui sont au minimum social mais aussi ceux qui travaillent à temps partiel ou dans le cadre de contrats à durée déterminée. Nous devons expliquer à nos concitoyens que le RSA dépasse la problématique du retour à l'emploi et s'adresse à l'ensemble des travailleurs pauvres en apportant une réponse concrète, opérationnelle et pragmatique à une réalité économique.
Avec le troisième défi, il s'agit d'introduire du pragmatisme dans notre politique sociale. Bien souvent, on se contente de pétitions de principe, on souhaite engager de grandes réformes, répondre à des ambitions nobles mais sans s'en donner les moyens. La loi ou le règlement ne permettent pas toujours de prendre en compte les 5 à 10 % de cas difficiles qui ne rentrent pas sous la toise d'un texte général.
Je tiens à saluer votre démarche pragmatique, monsieur le Haut-commissaire. Vous avez, en effet, fait précéder la législation par l'expérimentation, cela dans trente-quatre départements. Par ailleurs, vous avez pris le temps de consulter tous les acteurs concernés. En tant que parlementaire, j'ai participé au Grenelle de l'insertion et j'ai apprécié que l'on ait pris le temps de la confrontation des points de vue et des pratiques avant de faire des propositions concrètes.
Pierre Cardo était présent, en effet.
Cette démarche a contribué à insuffler du pragmatisme et du réalisme dans le texte dont nous allons débattre. La commission des finances, en accord avec la commission des affaires sociales, proposera que le pragmatisme préside à la mise en oeuvre de la réforme. Elle souhaite, lors de chaque débat budgétaire, pouvoir disposer d'un rapport sur la manière dont le RSA est mis en place sur le terrain, sur les éventuels problèmes et ajustements nécessaires et sur la consommation des crédits du fonds dédié à son financement.
J'en viens aux trois questions liées au financement de cette importante réforme. Je rappelle que cela représente quelque dix milliards d'euros.
Sur ces presque dix milliards, 1,5 milliard de mesures nouvelles sont nécessaires pour conduire la réforme.
Faillait-il vraiment créer une taxe nouvelle ? N'était-il pas possible de procéder par redéploiement, par économies ? La réponse à cette question se trouve dans une autre question : veut-on attendre la fin du quinquennat pour lancer le RSA ? Ou estime-t-on que le RSA est tout aussi important que la libération du temps de travail, les exonérations des heures supplémentaires, mesures sur lesquelles nous nous sommes engagés ? Auquel cas, il faut le mettre en oeuvre dès 2009 pour être en mesure de l'évaluer à la fin de la législature. Il devra faire partie du bilan du quinquennat.
Compte tenu de l'état du budget de l'État, trouver les moyens pour le financer dès 2009 impliquait forcément la création d'une contribution nouvelle. Nous aurons dans le cadre du projet de loi de finances pour 2009 un débat sur l'évolution du budget de la nation pour les trois ans qui viennent. Il apparaîtra que, dans le contexte économique et financier actuel, il sera très difficile de garantir le retour à l'équilibre d'ici à la fin de la législature. Trouver 1,5 milliard d'euros en 2009 aurait été encore plus compliqué sans aggraver encore les déficits.
Faut-il que cette taxe nouvelle soit fixe ? N'y a-t-il pas de possibilité de retour sur investissement ? C'est la deuxième interrogation de nombreux parlementaires. Si l'on permet le retour à l'emploi des bénéficiaires de minima sociaux, ce retour ne produira-t-il pas, dans un second temps, des économies dans les budgets sociaux, permettant de réduire la taxe ?
À ce sujet, je tiens à souligner que le montage financier que vous avez choisi est transparent. Le fonds dédié aux solidarités actives dans le budget de l'État permettra de mesurer la montée en charge de cet investissement social qu'est le RSA et d'évaluer les éventuels retours sur investissement.
Cela dit, il faut noter qu'il ne s'agit pas seulement d'encourager les bénéficiaires de minima sociaux à revenir à l'emploi. Il s'agit également de compléter le revenu des travailleurs pauvres afin qu'ils puissent bien vivre du travail.
Mais la situation du marché du travail est telle qu'un peu plus de deux ou trois ans seront sans doute nécessaires pour faire reculer substantiellement le recours au temps partiel, les CDD et autres contrats d'intérim.
Par ailleurs, je précise qu'un amendement élaboré conjointement avec Marc-Philippe Daubresse et adopté par nos deux commissions prévoit que le taux de la contribution additionnelle sur les revenus du capital pourra évoluer à la baisse, compte tenu de l'équilibre du fonds et de la recette supplémentaire que nous avons dégagée grâce au plafonnement des niches.
J'en viens enfin à la troisième question, celle de l'équité du financement, qui a souvent été soulevée, notamment à propos du bouclier fiscal.
Premièrement, je rappellerai à mes collègues de la majorité qui se sont prononcés à deux reprises sur le bouclier fiscal – pour le créer et pour le réviser – qu'un bouclier avec des trous devient une passoire. Si nous voulons rester fidèles à l'esprit de la loi, il faut maintenir le principe intangible selon lequel un contribuable ne peut consacrer plus de la moitié de ses revenus à payer des impositions directes.
Deuxièmement, il faut savoir quels contribuables bénéficient du bouclier fiscal. Et Marc-Philippe Daubresse et moi-même avons fait des recherches en ce sans car il est toujours intéressant de savoir qui sera affecté afin d'éviter toute décision dogmatique. Les chiffres relatifs aux cohortes de 2007 confirment les analyses du rapport de Gilles Carrez. Plus de deux bénéficiaires effectifs du bouclier fiscal sur trois ne sont pas redevables de l'ISF de même que plus de deux sur trois ont un revenu mensuel de 1 000 euros.
Tout à l'heure, vous avez cité le chiffre de 3 000 euros, mettez-vous d'accord !
Autrement dit, les bénéficiaires du bouclier fiscal sont majoritairement des Français modestes, voire des Français parmi les plus modestes. (Protestations sur les bancs du groupe GDR.)
Troisièmement, nous nous sommes interrogés sur les moyens de faire contribuer les plus aisés au financement du RSA et sommes parvenus à l'idée du plafonnement des niches fiscales. La plus belle issue possible au débat sur l'équité serait d'obtenir du Gouvernement que le plafonnement des niches soit intégré au projet de loi de finances pour 2009 et que soit posé comme principe dans les textes fondateurs de notre législation fiscale qu'aucun contribuable ne saurait se dispenser d'acquitter l'impôt sur le revenu en accumulant réductions et crédits. Ainsi, le message de justice sociale porté par votre réforme trouverait une traduction fiscale.
En conclusion, je dirai que l'essentiel n'est pas dans le débat sur le financement. Cette réforme, je l'espère, est prise pour longtemps. Elle sera évaluée année après année. Chaque débat budgétaire sera, je n'en doute pas, l'occasion d'examiner le fonds spécial dédié au financement de la réforme. Selon l'évolution des équilibres budgétaires, …
…nous pourrons trouver le moyen d'adoucir telle ou telle contribution.
L'essentiel est le message que vous souhaitez porter : la valeur travail n'est pas seulement défendue pour les actifs, elle l'est aussi pour ceux qui sont privés d'emploi ; elle n'est pas seulement défendue pour ceux qui ont un emploi stable et protégé mais aussi pour tous ceux qui, aujourd'hui, se trouvent dans les segments les plus difficiles du marché du travail – emploi à temps partiel et contrats à durée déterminée. Ce message honore l'ensemble de la représentation nationale et, si nous voulons qu'il soit porté de manière consensuelle, j'invite la majorité à voter ce texte, conformément au projet présidentiel qu'elle a soutenu, et l'opposition à faire preuve d'ouverture d'esprit car je sais qu'elle en est parfois capable.
Les progrès accomplis par cette réforme méritent la même qualité d'écoute que celle qui avait prévalu il y a vingt ans lors des débats sur le RMI ou il y a dix ans au moment de l'examen de la loi sur les exclusions. Je souhaite la même sérénité et le même esprit d'ouverture. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Je voudrais tout d'abord vous faire part d'une nouvelle dépêche de l'AFP. Comme M. Brard l'a indiqué, Renault a annoncé 2 000 licenciements venant s'ajouter aux 4 000 départs déjà décidés afin de préserver, en tout cynisme, la marge des actionnaires. Et nous venons d'apprendre qu'Hewlett-Packard allait supprimer 24 600 emplois dans le monde dont 9 330 en Europe. Voilà autant de futurs bénéficiaires du RSA !
Mon rappel au règlement porte sur l'organisation de nos débats. Alors que tout le monde s'accorde à dire que ce projet de loi est emblématique, il sera examiné en trois fois, à votre demande expresse, paraît-il, monsieur le haut- commissaire. Je ne suis élu dans cette assemblée que depuis peu mais je crois que c'est sans précédent s'agissant d'un texte d'une telle importance.
Ainsi, cet après-midi et ce soir, les séances seront consacrées à la discussion générale et aux motions de procédure. Puis nous siégerons mardi soir pour commencer l'examen des articles, chose que je viens d'apprendre alors que le président Accoyer présidait ce matin même une réunion avec les responsables de groupe à ce sujet. Le mercredi restera consacré à l'organisation des commissions qui prendra probablement toute la journée.
Une séance de questions au Gouvernement est prévue l'après-midi, monsieur Muzeau.
Enfin, troisième étape, la discussion reprendra à partir du 6 octobre, après une interruption de nos travaux justifiée par la tenue des journées parlementaires de l'un des groupes de notre assemblée, ce que je ne conteste pas.
Quelle image de ce texte renvoyez-vous à l'opinion avec une telle organisation ? En mesurez-vous les effets ? Au nom du groupe GDR, je tiens à élever une très vive protestation : ce n'est pas ainsi que l'Assemblée doit travailler sur un projet de loi de cette importance !
La parole est à M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.
Mes chers collègues, je précise tout d'abord que tous les groupes parlementaires sont partie prenante dans ce problème d'organisation : certains ont demandé des réunions de groupe, d'autres ont contribué à allonger le débat sur le premier texte examiné cette semaine. Il est encore temps, s'il y a unité des groupes, de trouver d'autres solutions.
Monsieur le haut-commissaire, vous avez à juste titre souligné qu'il s'agissait de faire renaître l'espoir sans nier les difficultés. C'est le coeur du débat que nous aurons dans les semaines à venir. Faire renaître l'espoir passe par l'incitation au retour au travail, la réduction de la pauvreté, la simplification des systèmes de prestations sociales. Comment ne pas ensemble adhérer à ces objectifs ?
J'approuve donc cette réforme ambitieuse qui concernera trois millions de personnes. Le revenu de solidarité active est juste mais il constitue également, comme vous l'avez indiqué, un investissement important sur le plan humain.
Je salue, monsieur le haut-commissaire, votre détermination et votre capacité de conviction. J'en suis d'autant plus conscient que, adepte du parler-vrai, je rappellerai en préambule que je plaidais pour une approche plus progressive :…
…dans un premier temps, seuls les bénéficiaires du RMI et de l'API reprenant un travail auraient bénéficié du RSA ; dans un second temps, une fois tirés les enseignements des expérimentations, la généralisation du dispositif aurait été mise en oeuvre et nous aurions abordé à la fois la situation des bénéficiaires de l'ASS, la réforme de l'UNEDIC, l'allégement des charges sur les bas salaires, en particulier à temps partiel, et l'éventuel ajustement de certaines prestations. Votre détermination et la volonté du Président de la République ont conduit à une solution beaucoup plus générale que je soutiens.
Pour la réussite de cette réforme, je souhaite formuler trois observations : la première porte sur le contexte économique et social dans lequel cette réforme voit le jour et la nécessité d'articuler nos priorités sociales, qui sont nombreuses pour les années à venir ; la deuxième concerne le financement du RSA, abordé par les deux rapporteurs ; la troisième renvoie aux conditions de réussite et aux points de vigilance à retenir pour faire de cette réforme un succès.
Tout d'abord, la mise en oeuvre du RSA ne peut s'abstraire du contexte de la nécessaire maîtrise de nos charges publiques et sociales dans lequel elle s'inscrit.
La mondialisation modifie les conditions de notre développement. L'interdépendance des économies nous impose de conforter la compétitivité de nos entreprises si l'on veut améliorer l'emploi et réduire l'inégalité majeure que constitue le chômage. Or la France se caractérise par un effort social d'ores et déjà supérieur de trois points de PIB à la moyenne européenne, soit près de 60 milliards d'euros, et cela grâce à une politique familiale et une politique de santé plus actives, une politique du logement plus importante et une politique de prestations.
Le Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale rappelle qu'en ce qui concerne la structure des dépenses, la part de celles consacrées à la protection sociale s'est accrue. Il n'est pas impossible qu'au cours des deux prochaines années, nous devenions le premier pays pour ce qui est du niveau de l'État-providence. Je rappelle que nous sommes aujourd'hui vice-champion de l'impôt sur le capital et sur le travail.
Nos priorités sociales sont nombreuses pour les prochaines années du mandat présidentiel. Elles portent à la fois sur l'amélioration des petites retraites, la nécessaire revalorisation des bas salaires, …
..le financement de la politique du handicap, la mise en place du cinquième risque, le développement d'un plan pour l'accueil des jeunes enfants et le revenu de solidarité active.
Pour atteindre ces objectifs et surtout les concilier, la commission des affaires sociales, dans le cadre de la nécessaire évaluation des politiques, est décidée à rechercher toutes les voies permettant d'améliorer la performance sociale car il existe des marges de progrès. Je compte demander à certains de mes collègues – Pierre Morange, Dominique Tian, …
…Pierre Cardo, Valérie Boyer et d'autres – de se consacrer, ces dix-huit prochains mois, à la recherche d'une plus grande performance sociale, qui me paraît possible à la lumière des comparaisons européennes.
S'agissant du financement, je tiens à remercier le Gouvernement d'avoir maintenu la PPE. La petite classe moyenne, aussi bien en Chine qu'en Russie, en Allemagne qu'en France, se sent tirée vers le bas de l'échelle tandis que les catégories les plus aisées sont tirées vers le haut. Ce n'est pas un phénomène spécifiquement français.
Dans le cadre de la mondialisation qui fait peser de fortes contraintes sur notre tissu industriel, la PPE, que nous souhaitons entre 1 et 1,5 SMIC, constitue un élément essentiel d'une politique conciliant compétitivité et justice.
Et je ne vois pas aujourd'hui d'autre moyen de faire face à la compétitivité – le coût du travail en France est supérieur à la moyenne des Quinze –...
..tout en revalorisant les bas salaires. La critique facile formulée sur la prime pour l'emploi méconnaît, à mon avis, cette nécessité de concilier compétitivité et justice.
Deuxièmement, il aurait été très injuste de faire supporter le financement du revenu de solidarité active aux plus modestes. Le Gouvernement l'a compris et je l'en remercie, comme je le remercie d'avoir pris en compte une demande qui émanait de nombreux bancs de cette assemblée, à savoir faire correspondre un plancher au plafond d'imposition de 50 % – c'est vrai, certains n'auraient pas mis la CSG, mais on pourra en débattre. En effet, dans certains cas de revenus très élevés, nous étions non pas dans le cadre d'un impôt progressif – nous n'étions même pas dans le cadre d'une flat taxe – mais plutôt dans celui d'un impôt dégressif. Les calculs montrent que ce dispositif est plus efficace et plus juste que celui qui consiste à faire passer de 50 à 51,1 % le plafonnement. Avec la méthode retenue par le Gouvernement, les catégories très aisées participeront beaucoup plus qu'à hauteur de 1,1 % de leurs revenus du patrimoine.
Ma troisième observation porte sur les conditions de la réussite de la réforme et les points de vigilance à l'égard d'éventuels effets d'aubaine.
Première condition : privilégier la stratégie du retour à l'emploi en apportant aux bénéficiaires des réponses aux contraintes de garde de leurs enfants et d'organisation de leurs modes de transport ainsi qu'en identifiant les obstacles à l'implication des entreprises.
Les disparités entre départements sont très marquées, à taux de chômage égal, les taux de proportion de bénéficiaires du RMI accédant à un emploi variant de un à sept. Cela est dû surtout à la mobilisation des acteurs locaux.
Deuxième condition : la création d'une offre d'insertion sociale. Nous le savons, un tiers des bénéficiaires du RMI ne pourront pas retrouver un emploi, tant dans le secteur privé que public. Ce sont toutes les formules d'ateliers collectifs ou d'activités sociales qui permettent cette réponse au sein d'organismes d'accueil communautaire et d'activités solidaires.
La stratégie territoriale globale et de proximité doit être privilégiée. Je pense que les conseils généraux seront sensibles au fait que plus les décisions sont proches des citoyens, meilleure sera la mobilisation des forces locales. Ainsi, nous proposerons des amendements qui prévoient d'intégrer les centres communaux d'action sociale ou les établissements publics de coopération intercommunale.
Troisième condition : mettre en place une organisation simple et performante.
Nous avons été quelque peu surpris, lors des auditions auxquelles la commission a procédé, de voir le nombre important d'organismes qui ont envie de s'occuper du revenu de solidarité active. Mais chacun demande des centaines et des centaines d'emplois supplémentaires. Il est important, et je sais que vous partagez ce point de vue, monsieur le haut-commissaire, qu'il y ait un chef de file et que le bénéficiaire du revenu de solidarité active soit suivi par une seule structure.
Il est donc absolument nécessaire d'identifier clairement un chef de file.
Enfin, il faudra faire preuve de vigilance à l'égard d'éventuels effets d'aubaine.
Nous le voulons tous : la priorité doit rester naturellement au salaire direct et, si possible, pour un temps complet.
C'est vrai !
Il faudra combattre les effets pervers d'une situation qui conduirait à une trappe à temps partiel parfois voulue, parfois acceptée, dans l'intérêt de l'employeur et du salarié. En la matière, il ne faut pas faire preuve de naïveté : le phénomène existe déjà et pourrait se développer. Mais tel n'est pas le but du revenu de solidarité active dans la mesure où le différentiel entre un revenu à temps partiel et un revenu à temps complet sera relativement réduit, surtout si un certain nombre d'avantages connexes restent rattachés à un temps partiel par rapport à un temps complet.
Pour compenser les risques que peut faire naître le plafonnement des niches fiscales, et je me tourne vers mes collègues des départements et territoires d'outre-mer,...
..nous devrons trouver des financements complémentaires, soit sous forme de subventions, soit sous forme d'aides directes.
Un amendement a été déposé en ce sens. Vous le voterez donc avec nous !
Personnellement, j'y serai attentif afin que cela engendre, non pas une injustice fiscale, mais un élément et un investissement pour l'avenir.
Monsieur le haut-commissaire, telle est mon analyse de cette réforme ambitieuse que j'approuve parce qu'elle permet de contribuer au combat pour la dignité des plus modestes et parce qu'elle est profondément juste. Aussi, nous la soutiendrons avec le même dynamisme que vous. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
M. Muzeau s'est interrogé sur les conditions dans lesquelles nous allions travailler. Or aucune réponse significative ne nous a été apportée.
Déjà que ce texte n'a pas été examiné en priorité au cours de cette session extraordinaire, je ne voudrais pas que, de surcroît, pour des raisons inhérentes à l'organisation de travaux des parlementaires de la majorité, on soit amené à saucissonner son examen.
Aujourd'hui, nous commençons la discussion générale de ce texte. Ensuite, nous le reprendrons par morceaux : mardi soir prochain, puis le lundi suivant et peut-être encore le mardi. Ce n'est pas acceptable.
Si c'était une priorité, il fallait inscrire l'examen de ce texte en premier dans cette session extraordinaire.
Cela dit, je souhaite savoir dans quelles conditions nous allons pouvoir examiner sereinement le texte qui nous est proposé.
Je remercie M. Pierre Méhaignerie d'avoir parlé de l'outre-mer. Notre assemblée compte vingt-deux députés ultramarins qui représentent près de trois millions de nos concitoyens. Nous vivons parfois à huit heures, onze heures voire vingt-deux heures d'avion d'ici. Pendant quatre jours, nous avons attendu le début de l'examen de ce texte.
Et aujourd'hui on nous annonce que la suite de l'examen de ce texte aura lieu mardi soir, alors que le programme de travail de notre assemblée ne prévoyait pas initialement qu'elle siège la semaine prochaine, sauf le mercredi 1er octobre.
Mes chers collègues, j'aimerais que vous pensiez à l'outre-mer...
..car c'est un texte très important en raison des difficultés économiques et sociales que l'on rencontre actuellement. Nous avons notre mot à dire et des amendements à vous soumettre. Nous regrettons vivement que certains d'entre nous ne puissent être présents parce que l'ordre du jour a été modifié.
Nous aussi, nous avons attendu longtemps : lundi, mardi, mercredi, puis jeudi matin. Nous avons regretté la longueur du débat sur le texte précédent. Nous aurions pu gagner du temps.
Monsieur le président, nous verrons avec le Gouvernement, à la fin de la séance de cet après-midi, s'il est possible de répondre aux interrogations des uns et des autres. Mais il faut pour cela un accord de l'ensemble des familles politiques, de façon que le Gouvernement soit convaincu que cette solution n'entraînera pas d'autres difficultés.
Mesdames, messieurs les députés, il va de soi que je suis à votre disposition vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour examiner ce texte.
Je tiens à excuser M. secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement qui assiste actuellement aux obsèques de votre collègue Jean Marsaudon. Je lui ferai part de vos observations afin de trouver la solution la plus propice.
On n'a jamais vu l'examen d'un texte morcelé de cette façon. Et tout cela parce que le Gouvernement voulait faire passer ses textes à l'esbroufe dans une pseudo session extraordinaire avec une mise en scène médiatique.
Les territoires d'outre-mer sont très concernés par le sujet que nous évoquons et, comme c'est souvent le cas ici, on ne respecte pas nos collègues ultramarins comme ils devraient l'être. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Cela ne dérange nullement le député d'Île-de-France que je suis de siéger mardi soir prochain. Mais il faut aussi tenir compte des autres, par exemple des députés de province. Il n'est pas convenable de nous imposer de telles méthodes de travail.
On nous dit qu'on a élargi les droits du Parlement. Pour ma part, je n'y ai jamais cru. C'était évidemment une farce qui nous a valu de nous réunir en Congrès à Versailles. Voyez comment on élargit les pouvoirs du Parlement : en nous empêchant déjà de débattre normalement ! Voilà le respect du Gouvernement à l'égard du Parlement ! Évidemment, vous, mesdames messieurs de la majorité, vous n'avez le droit de ne rien dire. On vous interdit de parler pour ne pas allonger les débats !
Monsieur Apparu, je vous ferai remarquer que vous ne tenez pas le même discours à la buvette ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Alors, je parle à votre place car, moi, j'ai la liberté de parole ! Je pense donc qu'on porte aussi votre voix puisque vous êtes muets !
Il me semble regrettable de tronçonner ainsi l'examen d'un texte aussi important. Je n'avais pas l'impression ce matin qu'on était parti dans cette direction. J'en déduis que les groupes politiques se sont mis d'accord en négligeant peut-être la position des acteurs de ce texte.
Nous sommes d'accord, ce matin nous n'étions pas sur cette longueur d'onde.
J'estime qu'un texte aussi important que celui-ci mériterait un peu plus de respect. Je pense certes aux députés d'outre-mer, mais pas seulement à eux. J'attends depuis lundi le début de l'examen du texte généralisant le RSA. Si je comprends bien que les débats parlementaires doivent avoir lieu, je n'ai pas eu l'impression que le retard auquel nous assistons était le résultat du fonctionnement normal de l'Assemblée… (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
La parole est à M. Didier Migaud, président de la commission des finances, de l'économie générale et du plan.
Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, je ne critique pas le principe même du revenu social d'activité, puisque je fais partie de ceux qui l'ont approuvé, mais je regrette que le projet proposé soit en retrait par rapport aux ambitions initiales. Il n'en est pas de même des modalités de son financement, qui ne manquent pas de susciter des critiques, jusque dans les rangs de la majorité.
Le RSA devrait mobiliser plus de 9 milliards dont 1,5 correspond à des mesures nouvelles.
Le financement aurait pu être trouvé dans le cadre du plafond des dépenses et des recettes de la loi de finances, mais les économies auraient, semble-t-il, trouvé leurs limites. Et le parti pris d'accroître, dans le texte dit TEPA, les niches fiscales et sociales prive de toute marge de manoeuvre le Gouvernement alors que les dispositions adoptées posent la question de la justice fiscale et celle de leur efficacité au regard de leur coût.
Après avoir envisagé de remettre brutalement en cause la prime pour l'emploi, qui aurait conduit à diminuer fortement le pouvoir d'achat de plusieurs millions de ses bénéficiaires actuels, vous proposez un financement qui repose sur une série de redéploiements, la non-indexation de la PPE et une nouvelle taxe.
Le gel pour 2009 de l'indexation de la PPE vous permettra d'économiser 400 millions d'euros. C'est une décision regrettable. Vous avez décidé récemment d'indexer automatiquement les seuils et barèmes de l'ISF, ce que vous avez refusé pour la PPE alors que, précisément, l'inflation s'est récemment accélérée. Ainsi, des ménages modestes contribueront pour une part au financement du RSA.
Cette économie et les redéploiements n'étant pas suffisants, il nous est proposé de créer tout simplement une nouvelle taxe, sous la forme d'une contribution additionnelle au prélèvement social sur les revenus du capital, au taux de 1,1 %, ce qui accentuera les prélèvements obligatoires alors même que le Président de la République s'est engagé à réduire de plusieurs points de PIB le montant de ces prélèvements, et que la création de nouvelles taxes ne me semblait pas figurer au programme de la majorité.
Je suis favorable à un rééquilibrage de la fiscalité dans un souci de justice et d'efficacité, mais dans le cadre du montant actuel des prélèvements obligatoires. Dans ce contexte, la taxe sur le revenu du capital pourrait y contribuer.
Ce choix est de surcroît injuste car les contribuables les plus aisés en seront exemptés grâce au mécanisme du bouclier fiscal. (« Eh oui ! » sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Il n'a échappé à personne qu'il existe, depuis juillet dernier, un bouclier renforcé qui permet aux contribuables de ne pas être imposés, toutes impositions confondues, y compris les prélèvements sociaux qualifiés d'impositions de toute nature, à plus de 50 % du montant de leurs revenus.
En conséquence, la nouvelle taxe, qui se veut un prélèvement « de solidarité », ne s'appliquera pas à eux.
Cette situation n'a fait que révéler le principe et la motivation première du bouclier fiscal qui permettra à certains contribuables d'être exonérés de cette taxe comme de tout nouveau prélèvement qui pourrait être créé à l'avenir. Cela pose problème.
Face à la montée des critiques et avec une certaine précipitation, notre rapporteur pour avis a soumis, avec de nombreux autres signataires, un amendement à notre commission, mercredi dernier, tendant à mettre en oeuvre un plafonnement global des « niches fiscales » dans la prochaine loi de finances qui permettrait de réduire le taux de la nouvelle taxe.
Par ce dispositif, il s'agirait de remédier à l'iniquité du mode de financement initialement retenu. Les contribuables aisés, qui profitent le plus des différentes niches fiscales, jusqu'à échapper parfois totalement à l'impôt, verraient leurs exonérations limitées et seraient donc mis à contribution. La question de la justice fiscale aurait ainsi sa réponse et le débat n'aurait plus lieu d'être.
Cependant, je reste sceptique. S'il est bienvenu de plafonner les niches fiscales – ce que je réclame depuis longtemps, tout comme M. Pierre Méhaignerie –, la question de l'exonération des bénéficiaires du bouclier fiscal de la nouvelle taxe reste posée.
Quel est le lien entre le plafonnement global des niches fiscales et le bouclier fiscal ?
Dans tous les cas de figure, les bénéficiaires du bouclier fiscal sont protégés, par définition, de toute nouvelle taxation, qu'il s'agisse de la taxe de 1,1 %, de la hausse de toute autre imposition ou des conséquences d'un plafonnement global des niches fiscales.
En l'espèce, les bénéficiaires du bouclier fiscal qui utilisent très massivement les niches fiscales verront, du fait du plafonnement de ces niches, augmenter le montant théorique de leur impôt sur le revenu ; théorique, car cela ne fera qu'augmenter la part de l'impôt qui excède déjà 50 % de leur revenu.
En conséquence, le bouclier fiscal les protégera et, in fine, ils n'acquitteront pas d'impôt supplémentaire, ni au titre du plafonnement global des niches, ni au titre de la taxe de 1,1 %.
Pour apprécier les conséquences de ce fait, le Gouvernement devra nous indiquer combien de contribuables bénéficient du bouclier fiscal tout en utilisant massivement les niches fiscales, et dans quelle tranche de revenus ils se situent.
Le plafonnement global ne produira d'effet qu'à l'égard des non-bénéficiaires du bouclier fiscal, aussi est-il inexact de prétendre que le système du plafonnement global des niches est une réponse appropriée au problème posé par l'exonération des bénéficiaires du bouclier fiscal de toute nouvelle taxe.
De ces modalités dépendront ses effets réels en termes d'efficacité, de justice fiscale et de maîtrise de la dépense fiscale. À cet égard, l'amendement du rapporteur se contente de créer un lien entre le taux de la nouvelle taxe et le produit du plafonnement des niches. Ce taux actuellement fixé à 1,1 % serait réduit en fonction des recettes supplémentaires procurées par le plafonnement des niches. Il ne fait que poser le principe de l'instauration du plafonnement global des niches fiscales…
...« au futur antérieur », comme a pu le dire un membre de notre commission, puisqu'il renvoie à des dispositions qui n'ont pas encore été votées et ne précise en rien ces modalités, alors que tout en dépend.
Où placera-t-on le curseur ? Quel sera le montant du plafonnement ? Des chiffres sont évoqués : 10 000 euros plus 15 % du revenu imposable. À ce niveau, les 1 000 redevables de l'impôt sur le revenu les plus aisés se verraient appliquer un plafond de 400 000 euros en moyenne, alors même que les 1 000 plus gros « nicheurs » réduisent actuellement leur contribution de 295 000 euros en moyenne.
Selon le niveau auquel l'on place le curseur, la réponse peut être totalement différente.
Le plafonnement concernera-t-il toutes les exonérations actuelles ? Le rapport de la mission d'information sur les niches fiscales souligne la nécessité de traduire en réductions d'impôt les actuelles déductions du revenu imposable qui représentent une part importante des niches les plus profitables pour les contribuables aisés.
Quels critères seront retenus pour distinguer entre dépenses subies non soumises au plafonnement, comme le quotient familial, et dépenses choisies ? Autant de questions qui restent sans réponse, monsieur le haut-commissaire. Ce que vous avez mis en avant au niveau de la justice fiscale peut être contredit par les réponses qui seront apportées en loi de finances.
Nous devrons avoir ce débat de façon approfondie au cours de la discussion du prochain projet de loi de finances, même si, sur ce sujet, il ne me semble pas illégitime que vous pensiez nécessaire de laisser à une autre majorité le soin de compléter le dispositif mis en place. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Reprise de la discussion
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinquante-cinq, est reprise à dix-sept heures vingt-cinq.)
J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.
La parole est à M. Christophe Sirugue.
Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, c'est tout à la fois une noble ambition, une impérieuse nécessité et une situation d'urgence qui nous conduisent à engager devant la représentation nationale un débat sur la généralisation du revenu de solidarité active et la réforme des politiques d'insertion. Il doit, avant tout, nous offrir l'occasion d'une réflexion de fond sur la lutte contre la pauvreté et pour la réduction de la précarité, qui ne saurait être menée avec ce seul outil, nécessaire mais insuffisant.
Ce débat est d'autant plus souhaitable que la situation est préoccupante. Notre pays compte plus de 7 millions de personnes en situation de pauvreté, qui vivent donc avec moins de 650 euros par mois : cela représente plus de 10 % de la population. Si les chiffres du chômage ont baissé, l'explosion concomitante du nombre de petits boulots et d'emplois précaires est flagrante. Le nombre de CDD a ainsi progressé de 5 % entre 2006 et 2007, tout comme le recours au travail à temps partiel, qui concerne aujourd'hui 4,2 millions de salariés, pour lesquels ce n'est pas forcément toujours un choix. Dans le même temps, le nombre de personnes en situation de sous-emploi et prêtes à travailler davantage a progressé de 7 %.
Dans ce contexte, les députés du groupe socialiste, radical et citoyen ont à coeur de permettre la mise en place de politiques contribuant à redonner espoir aux plus fragiles de nos concitoyens et à leur assurer une prise en charge effective. C'est donc avec la volonté d'oeuvrer en ce sens que nous nous inscrivons dans le débat que vous nous proposez et que nous soutiendrons divers amendements.
Toutefois, je ne vous cache pas que nos interrogations sont nombreuses. Elles portent notamment sur les conditions de mise en oeuvre de votre réforme, sur notre souhait que soient évalués les effets négatifs, inhérents à chaque bouleversement législatif, que pourraient subir les publics qui nous semblent exclus de votre réflexion, sur les domaines qui, en dehors de l'emploi, contribuent à l'exclusion.
Le débat devra également porter sur le mode de financement que vous nous proposez. Par le truchement de votre bouclier fiscal, vous dispensez une partie des contribuables de l'effort national. Par son caractère inéquitable, cette rupture du principe de solidarité justifie, à elle seule, la motion d'irrecevabilité.
Mais il faut au préalable dire un mot du contexte. Pourquoi n'avoir pas attendu que nous disposions d'un bilan approfondi de l'expérimentation de trois ans lancée dans trente-quatre départements, conformément aux engagements que vous aviez pris, en juillet 2007, lors de l'examen du projet de loi en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat ? Sans doute invoquerez-vous l'urgence de la situation. Je ne la méconnais pas, mais, lorsqu'il s'agit de supprimer le revenu minimum d'insertion ou l'allocation de parent isolé, qui permettent aujourd'hui de faire vivre ou survivre quelque 1,5 million de personnes, le bilan détaillé d'une expérimentation prolongée du RSA aurait été un élément décisif.
Certes, j'ai lu le rapport d'étape présenté par M. Bourguignon et je me réjouis qu'il fasse état d'un accroissement moyen de 30 % du taux de retour à l'emploi des personnes ayant bénéficié du dispositif. Mais il précise que ces enseignements peuvent difficilement être généralisés à tous les départements, car, vous le savez, chaque département a élaboré son propre dispositif.
Mais je lis aussi, dans un ouvrage que j'ai reçu il y a quelques jours, le témoignage de mon ancien collègue Jean Louis Destans, président du conseil général de l'Eure, premier département de France à avoir expérimenté le RSA. Je le cite : « Lorsque nous avons lancé l'expérimentation, nous nous sommes donné trois ans […], à l'issue desquels nous voulions regarder comment modifier le dispositif, l'amender ou même l'abandonner si les résultats n'étaient pas là. » Il dit aussi quant au bilan : « Je dirais que le démarrage a été excellent Les bénéficiaires que j'ai rencontrés ne veulent pas se contenter de leur temps partiel, et nous avons déjà 15 % à 20 % de personnes sur des postes en CDI. La limite, c'est que nous avons très vite intégré dans le RSA des personnes qui étaient relativement proches de l'emploi. Au bout de quelques mois, nous sommes confrontés au groupe de personnes qui ont davantage de difficultés, et c'est plus compliqué. »
« C'est pourquoi il faut sans doute encore travailler avant de généraliser ».
Que faut-il en penser, alors même que l'échantillonnage est assez réduit ? Il s'agit de 15 000 ménages à mettre en parallèle avec plus de 3 millions de personnes qui seront concernées par ces évolutions législatives. Un test aussi parcellaire fournit sans doute des raisons de se réjouir, mais procure des enseignements trop incertains pour prétendre, sans risque d'être contredit par l'avenir, que le RSA fonctionne. Car des risques, il en existe et je souhaiterais que nous ne les oubliions pas au nom d'une vision généreuse, et donc, faussement fédératrice.
Le premier, et qui n'est pas le moindre, est celui de la dérégulation du marché du travail. Que nous dites-vous, monsieur le haut-commissaire ? « La réforme est neutre du point de vue du coût du travail : s'il ne pénalise pas des employeurs que l'on veut inciter à ouvrir leur porte à des personnes jusqu'ici écartées du monde de l'entreprise, l'emploi d'un salarié percevant le RSA n'est pas plus avantageux que celui d'un autre salarié ».
C'est vrai.
Ma question est simple. Qu'est-ce qui va faire, dans ces conditions, que les employeurs qui, globalement jusqu'alors, n'ont pas ouvert grand leurs portes aux bénéficiaires du RMI, le feront avec le RSA, sinon l'avantage de pouvoir recruter à moindre coût de la main-d'oeuvre pour des emplois à temps partiel ?
La notion de flexibilité, dont le Gouvernement a fait le coeur du débat de la loi sur la modernisation du marché du travail, trouve là son écho. Car, même s'il existe un marché du travail en tension dans certains secteurs, qui permet un peu facilement à certains de dire qu'il y a, d'un côté, un stock d'offres d'emploi non satisfaites et, de l'autre, des chômeurs disponibles, le texte traite peu des conditions d'une formation professionnelle approfondie qui pourrait être un vrai vecteur de réduction de la précarité.
Or, je le redis, le RSA n'est pas un emploi, mais seulement un mécanisme d'incitation au retour à l'emploi. Doit-on d'ores et déjà imaginer que son succès potentiel ne devrait tenir qu'aux futurs efforts des collectivités territoriales au niveau du secteur non marchand, comme c'est déjà le cas dans nombre d'expérimentations ?
Tout cela dans un contexte de réduction drastique du nombre de contrats aidés financés par l'État : encore 100 000 de moins pour cette année.
Ce risque d'une précarité plus grande n'est pas inéluctable. Il doit être encadré par la loi. Or ce n'est pas prévu par le texte qui nous est soumis.
Je ne peux ignorer non plus ce que M. le ministre du budget et des comptes publics nous a confirmé en commission, c'est-à-dire le gel de la PPE pour tous les salariés, ce qui affaiblit encore le pouvoir d'achat.
Car si je mets en perspective, d'une part, des emplois d'une durée hebdomadaire de 20 heures, inscrits dans le dispositif du RSA et, d'autre part, le gel de la PPE pour les salariés travaillant 35 heures par semaine au SMIC, il me reste une interrogation incontournable. Comment avoir la certitude que l'objectif que nous nous assignons est bien de favoriser le plus possible le passage du temps partiel au temps plein ? J'y reviens : quel intérêt un employeur aura-t-il à transformer un temps partiel en temps plein ?
Du coup, quel horizon les allocataires du RSA auront-ils pour sortir de la précarité ? Finalement, en sortiront-ils vraiment ?
Le second risque que je souhaite mentionner, c'est, bien sûr, ce qui m'apparaît comme un abandon des personnes en situation de très forte exclusion. Vous avez dit monsieur le haut-commissaire : « J'insiste également sur le fait que seules les personnes qui travaillent bénéficieront d'un surcroît de prestations par rapport à la situation actuelle. Avec le RSA, nous ne mettons pas un centime vers l'inactivité ».
Je pensais pourtant que l'objectif du Gouvernement était la lutte contre la pauvreté, toute la pauvreté. Car il n'y a pas, d'un côté, les « bons » pauvres, c'est-à-dire ceux que l'on pourrait réorienter vers l'emploi et, de l'autre, ceux qui mériteraient d'être pauvres, parce qu'ils sont éloignés de l'emploi.
Ce n'est pas ce que je dis !
Ces pauvres, coupables de leur sort, devraient-ils être condamnés à vivre avec des ressources inférieures au seuil de pauvreté ? Faut-il trouver là, une nouvelle fois, l'explication d'un RMI revalorisé deux fois moins que l'inflation, cette année ?
Ils ont droit à une offre d'insertion qui, peut-être, ne passera pas – temporairement ou plus longuement – par le travail. Toutes les études montrent que la question financière, loin d'être neutre, n'est malgré tout pas le seul frein au retour à l'emploi. À côté de votre dispositif, dont nous partageons l'esprit, mais qui a tout de même pour objet principal l'incitation au retour à l'emploi, il est nécessaire de développer des politiques ambitieuses en faveur du logement, de la santé – pas par les franchises –, de la mobilité, de l'offre de garde pour la petite enfance, etc.
C'est cette situation qui permet à certains analystes d'évoquer « les victimes collatérales du RSA ».
Le troisième sujet d'inquiétude réside dans la question de l'exclusion des jeunes. À ce jour, aucune politique publique n'a été à la hauteur des enjeux. Le taux d'emploi des jeunes de moins de vingt-cinq ans en France est de 30 %. C'est l'un des plus faibles d'Europe.
Plus que d'autres, ils sont soumis à l'insuffisance de ressources, aux ruptures familiales, à l'impossibilité d'accéder au logement et, alors que le titre de ce projet de loi évoque la réforme des politiques d'insertion, pas une ligne, pas un mot, pas un article n'évoque la situation des jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans. Nous ne sommes pas forcément favorables, pour ce qui nous concerne, à un RSA Jeunes. Mais nous ne voulons pas non plus qu'au prétexte que notre société ne peut offrir une formule d'assistanat comme seule porte d'accès à la vie active – débat qui a déjà eu lieu au moment du RMI –, nous en soyons à retrouver nos jeunes sous les ponts !
C'est dans cet esprit que j'ai proposé, au nom du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche, un amendement, accepté par M. le rapporteur, ce dont je le remercie. Cet amendement prévoit la présentation rapide d'un rapport sur les conséquences de la condition d'âge des bénéficiaires du RSA et, plus largement, l'initiation d'une véritable réflexion pour favoriser l'insertion, et notamment l'insertion professionnelle des jeunes. Nous avons des lacunes qu'il nous faut impérativement combler.
Oubliés aussi, nos amis des départements et territoires d'outre-mer, lesquels devront attendre dix-huit mois avant que ne s'applique le revenu de solidarité active, alors même qu'ils paieront la taxe dès la mise en oeuvre du dispositif !
Cela me paraît pour le moins contestable…
Ma dernière interrogation, monsieur le haut-commissaire, porte sur les moyens dont vous disposerez véritablement pour mener à bien ce dispositif. Je trouve ahurissant que nous soyons contraints de trouver des mécanismes pour financer 1,5 milliard d'euros, alors que vous avez, dès le mois de juillet 2007, fait cadeau de 15 milliards dans le cadre de la loi TEPA. Quand il s'agit de faire des cadeaux aux catégories sociales les plus aisées, vous n'avez aucun problème ; en revanche, il vous est bien plus difficile de trouver 1,5 milliard pour celles et ceux qui en ont le plus besoin !
Dans ce contexte, on a du mal à imaginer qu'il s'agisse pour le Gouvernement d'une réelle priorité. Au regard des enjeux, l'enveloppe semble réduite. Quant au processus de financement, il semble chaotique, comme l'ont montré les semaines passées et comme le révélera l'examen des amendements déposés par certains députés de votre propre majorité.
Permettez-moi tout d'abord de revenir sur le budget nécessaire pour relever le défi. Beaucoup de chiffres ont été donnés. Alors que Martin Hirsch n'était pas encore haut-commissaire, il évoquait la nécessité d'une enveloppe à hauteur de 5 milliards d'euros pour la mise en place du revenu de solidarité active.
Ensuite, vous avez dit, monsieur le haut-commissaire, que 3 milliards d'euros suffisaient à répondre aux enjeux du RSA pour, au final, proposer une enveloppe de 1,5 milliard d'euros. Cherchez l'erreur !
Le nombre de bénéficiaires potentiels n'a pas changé. C'est donc en diminuant de 70 % à 62 % la part du revenu d'activité dans le calcul du revenu disponible que vous avez trouvé quelques marges de manoeuvre. Ce que vous nous proposez ressemble beaucoup à un RSA rogné.
Précarité, dérégulation du marché du travail, accroissement de l'exclusion des plus démunis, omission des jeunes, faiblesse de l'enveloppe financière, faible incitation, vous le voyez, les risques sont grands sans pourtant être inéluctables.
Nous pensons que le RSA a des vertus incontestables pour une frange de la population en situation d'exclusion. Pourtant, ce dispositif ne trouvera sa pertinence que dans une politique globale pensée pour que toutes les décisions convergent vers une réduction de la pauvreté dans notre pays. J'ai le regret de constater que ce n'est pas vraiment ce qui a été initié depuis juin 2007. Les textes de loi qui ont été adoptés ici même sur le logement, la santé et l'éducation ne font qu'apporter de l'eau à mon moulin. Alors, dans ce débat, vous nous trouverez à vos côtés pour chercher à éviter, par nos amendements, les écueils que je viens de lister. Mais nous savons qu'en dehors de cette mobilisation générale – tous les ministères vont devoir se préoccuper de la lutte contre la pauvreté – dont je regrette l'absence s'agissant des décisions prises jusqu'à présent, les résultats risquent d'être incertains et les désillusions terribles pour les personnes auxquelles s'adresse ce dispositif.
Puisque je parle d'effort, permettez-moi maintenant d'évoquer la question centrale du financement du dispositif. Fort heureusement, vous avez écarté cette idée profondément injuste, surgie avant l'été et énoncée par le Président de la République, de faire financer le RSA par une réduction de la PPE.
Enfin, tous les nuages ne sont pas évacués puisque nous avons entendu en commission des affaires sociales, M. le ministre du budget et des comptes publics annoncer la non-indexation de la prime pour l'emploi. Il est absolument scandaleux de pouvoir imaginer que les classes modestes puissent financer à elles seules la solidarité en direction des plus pauvres. Je le répète, le seul fait d'y avoir pensé est profondément scandaleux !
Vous avez entendu les critiques de l'opposition et vous avez compris qu'il était très compliqué de porter ce type de financement. Le Président de la République a ensuite proposé de créer une nouvelle taxe de 1,1 % sur les produits du capital.
Je ne reviens pas sur son discours concernant la nécessaire réduction de la pression fiscale pendant la campagne électorale…
Nous considérons qu'une telle taxe vaudrait mieux qu'un prélèvement sur la PPE. Mais la « recette » n'est guère équitable, puisque certains pourront encore se soustraire à cet effort de solidarité nationale en bénéficiant de la protection du bouclier fiscal – ce qu'a fort bien démontré Didier Migaud il y a quelques instants –, adopté par votre majorité au cours de l'été 2007. Les interrogations sont encore trop lourdes pour que vous puissiez nous dire, comme le fait le rapporteur avec tant d'assurance, que l'impact de cette taxe de 1,1 % n'aura pas pour conséquence d'épargner les plus fortunés de ce pays. Pour l'instant, vous n'en avez pas fait la démonstration, c'est le moins que l'on puisse dire !
Puis, empêtrés dans vos divergences sur le mode de financement – que traduira l'examen des amendements –, vous avez suggéré le débat sur le plafonnement général des niches fiscales, que nous vous demandions depuis longtemps déjà.
De ce point de vue, nous sommes satisfaits.
Le produit attendu – car il ne fait pas de doute qu'une recette supplémentaire sera produite par ce plafonnement – ne change rien à nos critiques sur le principe de financement du RSA. Ce que vous proposez revient à accepter que jamais les bénéficiaires du bouclier fiscal ne puissent participer à un quelconque effort de solidarité.
Ce principe est profondément choquant. Vous dites qu'ils financent déjà à hauteur de 50 % de leur revenu. Mais que représentent les 50 % restants, comparativement à la situation des personnes dont nous parlons ?
Ce n'est pas la peine de faire de grands discours sur les « patrons voyous », comme nous l'entendons depuis quelques jours, si, dans le même temps, vous mettez en place des dispositifs profondément injustes, tels ceux que vous nous proposez dans le cadre de ce financement.
Mes chers collègues, nous vous le disons solennellement, il est inconcevable que quiconque puisse s'extraire de l'effort de financement de la solidarité nationale par le biais du bouclier fiscal.
C'est une question de principe, une exigence d'équité et un devoir de justice sociale puisque la lutte contre la pauvreté est une grande cause nationale.
Je connais l'issue de cette exception d'irrecevabilité, mais face à une telle inégalité devant l'impôt, au nom du principe d'équité, nous vous demandons de la voter. À chaque fois qu'il y aura, dans la réflexion politique, cette démarche consistant à faire cohabiter plusieurs types de Français, plusieurs types de contribuables, à chaque fois que vous nous proposerez un tel dispositif, vous travaillerez finalement à l'inverse de la cohésion sociale indispensable à la conduite des politiques de solidarité. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Mes chers collègues, croyez bien que notre interrogation est grande, car – et je l'ai entendu tout à l'heure –, le revenu de solidarité active a été, en effet, l'une des propositions de campagne de notre candidate lors de l'élection présidentielle. Nous en avons, pour quelques-uns, suivi l'évolution avec attention en participant aux différents travaux et avons vraiment le sentiment que ce qui nous est proposé aujourd'hui s'appelle toujours RSA, mais, à l'évidence, sous une forme bien différente de celle que nous avons initialement soutenue. Nous souhaitons vraiment donner les moyens au haut-commissaire de mettre en place le dispositif dont nous avons besoin pour régler la problématique de la pauvreté, même si, je le rappelle, le RSA est un outil, seulement un outil, ce n'est pas une politique globale dont nous avons pourtant besoin. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Monsieur le député Sirugue, vous avez défendu une exception d'irrecevabilité qui, si elle était effectivement adoptée, rendrait des millions de personnes irrecevables. C'est pourquoi je vous invite à ne pas l'adopter.
Sur le fond, vous dites qu'il est trop tôt et que nous manquons de recul par rapport aux expérimentations. Je vous rappelle que, lorsque je suis venu devant vous, il y a un peu plus d'un an, je vous ai précisé ce calendrier. Si nous avons autorisé les conseils généraux à mener une expérimentation de trois ans, c'était pour garantir aux personnes qui entraient dans l'expérimentation qu'il n'y aurait pas de période de « trou ». J'avais à l'époque précisé que nous agirions le plus rapidement possible parce qu'il y avait effectivement urgence. Il fallait, en effet, aussi que les travailleurs pauvres soient concernés. Un certain nombre de conseils généraux – la Saône-et-Loire, par exemple – nous avaient demandé de l'expérimenter immédiatement sur les travailleurs pauvres. Nous avions répondu que c'était impossible dans l'immédiat et qu'il fallait attendre l'adoption du projet de loi de généralisation du RSA. Nous disposons dès maintenant de preuves suffisantes pour répondre à celles et ceux qui ont, jusqu'à présent, travaillé gratuitement, aux 25 % d'allocataires du RMI, soit 300 000 foyers, qui aujourd'hui travaillent sans gagner un centime de plus parce que l'intégralité de leurs ressources et de leurs revenus du travail est déduite de leurs prestations, que le revenu de solidarité active les fera sortir de cette situation au mois de juin prochain. Telles sont les raisons pour lesquelles, conformément à ce que l'on vous a annoncé voici quinze mois, nous vous présentons le projet de loi généralisant le revenu de solidarité active.
Concernant les risques et leur conjuration, si on n'agit pas, le seul risque sera de rester dans la situation actuelle et d'assister à une augmentation du nombre de travailleurs pauvres et de ceux qui vivent sous le seuil de pauvreté. Cependant, comme je le disais tout à l'heure, le projet de loi n'aboutit à aucune dérégulation et ne représente aucun effet d'aubaine pour les employeurs. (Protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Ils jouent le jeu pour plusieurs raisons. Demandez-le aux départements qui ont expérimenté ce dispositif ! Ils jouent le jeu parce que nous leur permettons de moins stigmatiser les RMistes et parce que nous mettons en place, avec les conseils généraux, des politiques d'accompagnement !
Ils jouent le jeu parce qu'ils ont besoin de main-d'oeuvre et parce que nous les avons convaincus qu'ils ne pouvaient plus être aussi sélectifs, parce qu'ils savent que nous avons mis en place un dispositif répondant aux besoins des salariés et des employeurs !
Nous nous engageons, conformément à vos amendements, dont beaucoup nous ont paru tout à fait intéressants – nous aurons l'occasion de le confirmer au cours de la discussion –, à faire régulièrement le point pour savoir si le temps partiel, notamment subi, augmente et si les salaires connaissent une inflexion. Nous sommes prêts à prendre éventuellement des mesures correctrices. Ces conditions d'évaluation sont tout à fait prévues. Il n'y aura donc pas de dérégulation du marché du travail et les principes cardinaux du travail, du salaire et de l'emploi seront respectés.
Vous m'avez demandé pourquoi nous avions finalement opté pour un montant de remplacement de 62 %. Pendant les expérimentations, les départements avaient effectivement le choix. Certains ont ainsi opté pour 30 %, d'autres pour 35 %, d'autres encore, comme l'Hérault, les Bouches-du-Rhône, les Côtes-d'Armor, la Loire-Atlantique, et la Haute-Marne, pour 40 %. Nous nous situons au-dessus de ce dernier taux, puisque nous assurons que l'on ne retirera pas plus de 38 euros sur les 100 euros nouveaux gagnés.
Là aussi, nous voulons savoir si les espoirs que nous mettons dans cette réforme se réaliseront. Peut-être, serez-vous conduits, lorsqu'elle produira ses effets, à procéder à des ajustements.
J'ai bien entendu ce que vous disiez s'agissant des jeunes et sur le fait que vous n'étiez pas sûr qu'il soit satisfaisant d'attribuer le revenu de solidarité active à des jeunes de moins de vingt-cinq ans, mais que cela n'interdisait pas d'y réfléchir. Nous sommes exactement dans le même état d'esprit. Le projet de loi et les réflexions menées sur ces sujets ne sont donc pas irrecevables.
Vous l'avez reconnu, le financement choisi a écarté un certain nombre d'écueils. Il n'échappe à personne que les revenus du capital augmentent plus vite que les revenus du travail. Ils sont moins taxés que les revenus du travail. C'est pourquoi nous avons prévu un financement dont personne ne peut affirmer de bonne foi qu'il pèse sur les classes moyennes… (Exclamations sur les bancs du groupe SRC)
…ou qu'il épargne les plus hauts patrimoines ! En effet sur le milliard et demi, 500 millions seront payés par 1 % des ménages qui ont le patrimoine le plus élevé. La moitié de ce prélèvement sera payée par 10 % des ménages les plus riches. L'essentiel de ce financement sera donc supporté par une minorité de ménages. Ce mécanisme – et je n'oublie pas le plafonnement des niches fiscales – introduira beaucoup plus de justice sociale et fiscale dans ce pays, que ce soit au niveau de la prestation ou du financement. C'est ce que j'ai tenté de démontrer tout à l'heure quand j'ai évoqué les origines des clauses de sauvegarde mises en place dans notre système fiscal. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Dans les explications de vote, la parole est à M. René-Paul Victoria, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
J'ai bien écouté M. Sirugue. Alors que nous sommes en train d'améliorer le quotidien des plus pauvres de nos concitoyens,…
…vous auriez pu opter, monsieur Sirugue, pour une attitude plus constructive en nous évitant cette motion d'irrecevabilité. Les arguments que vous nous assénez sont dénués de tout fondement. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Ces mesures étaient inscrites au programme des deux candidats à la présidentielle, vous l'avez évoqué tout à l'heure. Notre Président, Nicolas Sarkozy, tient ses engagements.
Le RSA se veut un véritable outil d'insertion. Il complète les revenus du travail sans s'y substituer. Il s'agit là d'un volet capital qui permettra à des centaines de milliers de Français de voir leurs revenus augmenter et à la nation française de lutter contre la pauvreté. Il doit également nous permettre de nous interroger sur le devenir de la société française et le nouveau visage que nous souhaitons qu'elle offre au monde : celui d'un nouveau modèle français de lutte contre la « misertification » – j'insiste bien sur ce néologisme –, d'une partie de notre société.
Nous devons définitivement sortir de la logique de la pérennisation de la précarité. Notre ambition est de répondre simplement, dignement et intelligemment au désir légitime de chacun d'entrer ou de revenir dans le monde du travail et de trouver sa place dans notre société, c'est-à-dire de concilier espérance sociale et efficacité économique. Mais la lutte contre la pauvreté, mes chers collègues, n'est pas exclusivement une affaire d'État et de dispositif, elle est aussi avant tout une affaire d'hommes. C'est cela la solidarité et le RSA y participera !
Je vous demande, en conséquence, mes chers collègues, de repousser cette exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Avec ce texte, nous sommes tout de même au seuil d'une révolution sociale.
Je ne l'invente pas. J'en veux pour preuve ce livre intitulé : RSA, une révolution sociale – récit d'une expérimentation dans l'Eure, département de gauche, comme vous le savez ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Cette révolution sociale a été précédée d'une révolution des mentalités, d'une révolution culturelle : il a fallu repenser totalement les parcours d'insertion et passer d'une logique d'assistance à une logique de solidarité, une logique de parcours accompagné, construit, contractualisé et partagé par le bénéficiaire. C'est tout l'enjeu de ce texte qui a été bâti après beaucoup de concertation. Un travail exemplaire a été mené par différentes structures de tous horizons.
Quelque peu occulté par le Grenelle de l'environnement, le Grenelle de l'insertion s'est révélé tout aussi important. Un certain nombre de ses propositions se retrouvent dans le texte que nous examinons aujourd'hui.
Plusieurs réformes majeures figurent dans ce projet de loi, parmi lesquelles la simplification des minima sociaux avec la suppression des effets seuils, dont on parle depuis des années. Ces seuils mettent les gens dans des boîtes dont ils ne peuvent sortir ; ce sont des trappes à exclusion. Citons également l'incitation au retour à l'emploi : lorsqu'on retrouve un emploi, on gagne plus que lorsque l'on était inactif. C'est tout de même une révolution sociale.
Il y a là une politique d'insertion, assortie d'une politique de résultat, claire et lisible. J'ajouterai, enfin, la simplification des contrats aidés, très attendue, tant ils se juxtaposaient.
Bien sûr, des questions demeurent : celle relative aux jeunes dont on a parlé tout à l'heure ; la cohérence avec les autres projets de loi, notamment la formation professionnelle, essentielle dans ce dispositif ; les garanties contre les risques de maintien à temps partiel – souci que l'on évoquera durant le débat ; le contenu de l'accompagnement et les moyens consacrés – que se passera-t-il pour ceux qui échoueront dans ce parcours, auront-ils droit à une deuxième chance ? Qu'en sera-t-il du financement ? Le groupe Nouveau Centre – Maurice Leroy en parlera tout à l'heure dans la discussion générale – est, vous le savez, opposé au maintien dans le bouclier fiscal de la taxe de 1,1 %. Faut-il pour autant jeter le bébé avec l'eau du bain ? Non ! Ce texte de base est fondateur d'une nouvelle politique sociale. C'est une révolution sociale. Je tiens à retenir cette disposition essentielle dans le texte.
Nous avons proposé un certain nombre de modifications, qui ont été d'ailleurs adoptées en commission, comme le plafonnement des niches fiscales, pour lequel Charles-Amédée de Courson se bat depuis des années. On verra ce qu'il en adviendra au cours du débat, mais c'est une grande avancée. Et nous avons d'autres propositions pour trouver des financements.
Un homme important a expliqué que l'on était en train de construire des hommes ou des femmes debout. C'est une véritable aventure humaine que nous entreprenons. Nous allons essayer de faire en sorte que chacun retrouve une place dans notre société, que tous soient des acteurs de leur vie, avec fierté, dignité et conscience d'avoir réussi à reconquérir leur autonomie ou à se projeter dans l'avenir.
Une exception d'irrecevabilité me paraît donc tout de même malvenue lorsque l'on parle d'un texte pareil. C'est un peu mesquin de la part du groupe socialiste et j'aurais préféré que l'on s'en passe. Vous comprendrez que le Nouveau Centre ne la votera pas. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)
Monsieur le haut-commissaire, chers collègues, je suis tout de même très étonné par les interventions de certains de mes collègues de la majorité. À les entendre, on a l'impression que le RMI était de l'assistanat et que, tout d'un coup, avec le RSA, on change d'univers. (« C'est ça ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP.) Pas du tout ! Et vous connaissez sans doute mal les politiques d'insertion qui ont été mises en oeuvre depuis vingt ans.
Je vous rappelle, puisque M. Daubresse faisait état tout à l'heure de son expérience, qu'un certain nombre d'acteurs, dont j'étais, ont participé à la création de l'insertion par l'activité économique. J'ai souvent entendu à l'époque, sur les bancs de la droite, des oppositions au motif qu'elle faisait concurrence au travail ordinaire.
Qu'il faille réformer aujourd'hui le RMI, qu'on évolue vers un revenu de solidarité active, pourquoi pas ? Nous sommes favorables à cette évolution, nous l'avons dit. Pour autant, fallait-il sauter à pieds joints sur les trois ans d'expérimentation sans en tirer les conséquences ? Vous nous avez donné vos arguments tout à l'heure, monsieur Hirsch, mais ils ne nous convainquent pas. Il fallait aller au bout de l'expérimentation et en tirer toutes les conséquences, regarder tous les éléments, tous les pièges. Nous regrettons que vous ayez choisi la précipitation, je ne pense pas que ce sera la solution la plus efficace. Pierre Méhaignerie a d'ailleurs fait part de ses interrogations à ce sujet, ainsi que sur le risque de dérégulation.
Quoi que vous en disiez, des employeurs vont utiliser ce dispositif pour ne pas aller vers une logique de complément d'emploi et de salaire pour des salariés qui seront soutenus dans le cadre du RSA, vous le savez bien.
Il y a toujours eu de telles attitudes avec les emplois aidés. Mais débattons-en, nous verrons ce que vous proposerez de manière concrète pour éviter ces dérives.
Nous souhaiterions évidemment savoir quels moyens seront mis en oeuvre pour les personnes qui ne rentrent pas directement dans l'emploi. De quels moyens effectifs disposeront les structures d'insertion pour éviter qu'une partie de cette population reste dans le non-travail ?
C'est donc essentiellement sur les questions de financement que nous déposons cette motion. Vous avez opté pour une solution qui, quoi que vous en disiez, va exonérer une partie des contribuables du paiement de la solidarité. Vous aurez du mal à la défendre devant nos concitoyens. Comment parler d'égalité ou de fraternité si une partie des citoyens français n'y contribuent pas ? Rien que pour cette raison, nous souhaitons voter cette motion. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Monsieur le haut-commissaire, le propos de M. Sirugue ne vise pas, comme vous venez de l'indiquer, à retarder l'application de mesures d'aide (« Oh non ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP)…
Non !
Je rappelle que nos débats vont se dérouler en trois étapes. La deuxième aura lieu mardi à vingt et une heures trente et nous commencerons l'examen des articles du projet par le titre III, qui concerne les départements.
Ce sont les socialistes qui ne veulent pas siéger demain, ce n'est pas nous !
Il s'agirait d'un texte emblématique, révolutionnaire selon notre camarade Vercamer. (Sourires.) On nage dans le bonheur.
Très sincèrement, monsieur Hirsch, vous avez comme moi mangé des chapeaux dans votre vie, mais jamais, je crois, de la taille de celui que vous êtes en train d'avaler aujourd'hui !
Revenons au texte, qui est finalement la seule chose qui nous intéresse, mais qui, malheureusement, nous préoccupe.
Vous n'avez pas répondu aux critiques concernant le fait que certains publics, qui en ont pourtant besoin, étaient exclus de votre dispositif.
Les 18-25 ans, vous dites que vous y pensez…
…que vous y travaillez et qu'un jour, on ne sait pas quand, des mesures seront préconisées. Nous n'avons jamais été, à gauche, pour un SMIC-jeunes, vous le savez, mais nous sommes contre l'exclusion des publics de moins de vingt-cinq ans. Qu'il ait vingt-quatre ou vingt-six ans, la situation d'un salarié sera exactement la même sur le plan professionnel. Or certains « bénéficieront » d'un dispositif qui finira un jour par être adopté et d'autres en seront exclus. C'est tout à fait inacceptable, et je ne pense pas que vous trouviez ça formidable.
Les détenus étaient considérés dans un pré-projet de loi de Mme Dati comme des publics qu'il fallait aider à réussir leur réinsertion économique. Dans le projet qui nous sera soumis dans quelques semaines, cette disposition a disparu. Elle n'est pas non plus dans ce texte. J'espère que vous nous donnerez au moins votre sentiment sur ce point, si vous n'annoncez pas de mesures.
Quant aux travailleurs étrangers, ceux qui n'auront pas eu la chance d'avoir le bon titre de séjour dans les cinq années passées ne pourront pas avoir accès à ce type de dispositif.
Vous n'avez pas réussi non plus à nous convaincre sur les financements, dont la nature est pour nous profondément injuste. Ce que vous avez dit tout à l'heure, à deux reprises, est tout à fait faux.
Ceux qui bénéficiaient du bouclier fiscal continueront à en bénéficier. Comme l'a indiqué le président de la commission des finances, M. Migaud, qui, contrairement à moi, est un financier et a fait une belle démonstration, il y aura des effets pervers. Avec le changement des seuils d'imposabilité, ils seront finalement encore plus heureux qu'ils ne le sont aujourd'hui. Nous en discuterons lorsque nous examinerons la partie concernant le financement, vous nous donnerez de manière plus approfondie votre sentiment sur cette analyse.
Les bénéficiaires du bouclier fiscal et les plus riches de notre société seront donc tenus à l'écart d'une politique de solidarité nationale.
Vous avez bien de la peine à nous convaincre, ce qui n'est pas très important – encore que –, mais vous en avez plus encore à convaincre l'ensemble des associations qui ont travaillé très finement à vos côtés pendant ces mille jours dont vous avez parlé à plusieurs reprises. Elles relèvent certes des avancées, parce qu'elles sont très objectives, mais elles ont aussi de grandes déceptions. L'un des volets qui, d'après elles, ne devrait pas manquer au projet de loi sur le RSA, c'est l'accompagnement social en faveur des publics qui ont le plus de mal à retrouver un emploi.
De tels dispositifs ne peuvent se concevoir que dans la durée, cela ne peut pas être quelque chose de très partiel et il n'y a rien. Selon elles, ces publics représentent 75 % de l'ensemble des publics potentiellement concernés par le RSA, ce qui fait que les dispositions bénéfiques ne concerneront finalement que 25 % d'entre eux.
Nous devons toujours garder présents à l'esprit ces éléments extrêmement importants. Oui, il y aura bien de nouveaux effets d'aubaine, de nouvelles trappes à bas salaires, et la précarité sera renforcée, au bénéfice d'une partie du patronat.
Non, pas seulement. La grande distribution et autres grandes entreprises sont les champions du monde toutes catégories de l'utilisation des fonds publics.
Je crains donc fort que, pour les publics les moins qualifiés, tout ne s'aggrave. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
(L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.)
J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.
La parole est à Mme Marisol Touraine.
Jean Jaurès, dans un discours prononcé en septembre 1900 (Exclamations sur les bancs du groupe UMP),mettait en garde : « Quand les hommes ne peuvent changer les choses, ils changent les mots ». Je veux croire, monsieur le haut-commissaire, qu'en proposant de changer les mots, vous ne renoncez pas à changer les choses, car l'enracinement de la pauvreté en France mérite assurément qu'on se mobilise collectivement.
À entendre certaines déclarations, les vôtres ou celles du Gouvernement, on a le sentiment que c'est avec le RSA que tout commence. Permettez-nous de rappeler que la lutte contre la pauvreté ne commence pas aujourd'hui.
Déjà, l'abbé Sieyès, au moment de la Révolution française, proposait d'inscrire dans la Déclaration des droits de l'homme la nécessité d'assurer à chacun un revenu minimum.
Je passerai les étapes. Il faudra attendre 1988, il y a vingt ans presque jour pour jour, pour que le gouvernement de Michel Rocard donne corps à cette obligation collective d'un droit à l'insertion, répondant à l'exigence de fraternité qu'il avait lui-même évoquée, en créant le revenu minimum d'insertion.
À cette tribune, Claude Évin, alors ministre de la solidarité, appelait à l'adoption d'une loi qui devait nous conduire « à faire en sorte que toute personne dite pauvre puisse être reconnue non comme un objet d'assistance, mais comme un sujet de sa propre histoire ».
Le RMI inscrivait dans la réalité de la loi un droit à l'insertion, dont le gouvernement socialiste de l'époque affirmait qu'il ne pouvait se réduire au seul droit à l'allocation mais devait s'exprimer sous la forme d'un contrat, la collectivité devant garantir à chacun des ressources minimales, sans lesquelles il n'y a pas de retour possible à l'autonomie sociale. En retour, celui qui bénéficiait de ces ressources, devait s'engager dans un projet d'insertion.
Aussi est-il faux d'affirmer, comme l'a fait le Premier ministre et comme vous l'avez suggéré vous-même tout à l'heure dans votre discours de présentation, sans doute pour mieux convaincre votre majorité, que le revenu de solidarité active marquerait une rupture avec la politique de la gauche en faisant prévaloir le travail sur l'assistance.
Contrairement à ce que répètent en boucle les discours d'estrade des ténors de l'UMP, la gauche a toujours fait du travail l'objectif des politiques d'insertion et de lutte contre les exclusions. (« Tout à fait ! » sur plusieurs bancs du groupe SRC.) Elle a toujours affirmé avec force que le travail n'était pas seulement une affaire d'activité, mais une question de dignité personnelle et sociale.
Pour la gauche, il y a toujours eu une double exigence, morale et collective : garantir à chacun qu'il pourra trouver le soutien, y compris financier, de la collectivité dans les moments difficiles de son parcours, personnel ou professionnel ; assurer à tous ceux qui reprennent un travail que leur revenu s'en trouvera augmenté.
À ce titre, le RSA, malgré une communication spectaculaire, ne marque pas une rupture mais bien plutôt la poursuite et l'amplification des politiques engagées depuis vingt ans.
Je vais y venir.
Comme je l'ai rappelé, dès la création du RMI, le débat entre ceux qui en tenaient pour le simple versement d'une allocation et ceux qui défendaient la mise en place de politiques actives d'insertion fut tranché en faveur des seconds. Dix ans plus tard, Martine Aubry faisait adopter le principe de ce qui fut appelé du nom plutôt vilain d'« intéressement », toujours en vigueur aujourd'hui ; la reprise d'un emploi permet désormais le cumul partiel pendant un an de l'aide sociale et des revenus du travail, et ce de manière significative, puisque, d'après les chiffres fournis par vos services mêmes, monsieur le haut-commissaire, cette augmentation était supérieure à ce que sera le RSA pendant la première année.
Puis ce fut, toujours par la gauche, en 2001 – l'idée a d'ailleurs été reprise par la droite –, l'instauration de la prime pour l'emploi qui, déjà, allait bien au-delà des seuls allocataires de minima sociaux.
Dans le même temps, se sont engagées des réflexions, telles que la vôtre, monsieur le haut-commissaire, qui a abouti à l'idée du RSA, dont la candidate socialiste à l'élection présidentielle, Ségolène Royal, avait fait un de ses engagements de campagne, en 2007.
On comprend bien que la levée de boucliers antisociaux qu'a suscitée dans votre majorité l'annonce du RSA vous ait amené à caricaturer quelque peu les positions des uns et des autres, mais les faits sont têtus...
..et, d'ailleurs, l'expérimentation du RSA dans trente-quatre départements, dont vingt-neuf de gauche, vient encore le montrer : seule l'obsession idéologique de la droite lui laisse penser qu'eux seuls défendent le retour à l'emploi, alors que les socialistes seraient les avocats de l'inactivité.
Pour répondre à l'interpellation de la majorité, je dirai que les socialistes ne remettent pas en cause le principe du RSA.
D'abord, parce qu'il y a une forme de cohérence à reconnaître qu'il représente une nouvelle étape dans un parcours engagé depuis vingt ans et s'inscrit dans le prolongement de dispositifs cherchant à favoriser le retour à l'emploi. Ensuite, parce que cette nouvelle étape est aujourd'hui nécessaire, compte tenu de la banalisation des situations de pauvreté dans notre pays, qui exigent de nouveaux moyens.
Notre crainte cependant est à la hauteur des attentes qui s'expriment. La déception menace, tant les annonces que vous avez faites promettent des lendemains meilleurs qui risquent de se transformer en amertume si un certain nombre de difficultés ou de risques inhérents à votre projet ne sont pas dépassés.
Il est incontestable que la pauvreté reste une réalité dans notre pays, et que cette réalité est violente. Ce qui contredit d'ailleurs l'affirmation du Président de la République, le 30 juin dernier, sur France 3, qui déclarait que la France avait le meilleur système social en Europe et que dès lors on ne pouvait pas faire mieux. À l'évidence, si ! La France peut faire mieux dès lors qu'il y a sept millions de personnes qui vivent en dessous du seuil de pauvreté, dont la moitié dispose même de moins de 669 euros par mois pour vivre. Depuis de nombreuses années, le scandale est devenu visible, puisque pauvreté ne rime plus avec chômage, même si un chômeur sur trois est pauvre. Le travail, désormais, ne prémunit plus contre la pauvreté, ce qui représente une évolution notable de notre société.
Plus préoccupant encore, le travail à temps partiel, trop souvent subi, devient une prédisposition à la pauvreté, puisque 40 % de ceux qui travaillent à temps partiel disposent de revenus inférieurs au seuil de pauvreté. On comprend dans ces conditions pourquoi les femmes – dont il n'est pas souvent question – sont particulièrement vulnérables, « pauvres entre les pauvres », pour reprendre l'expression de Jeanine Mossuz-Lavau, dans un livre récent.
Face à cette réalité, je voudrais, monsieur le haut-commissaire, vous dire mon accord avec une démarche qui n'est pas toujours consensuelle parmi les associations de lutte contre la pauvreté ou les exclusions : la fixation d'un objectif chiffré pour l'évaluation de votre politique.
Vous avez indiqué votre ambition de faire diminuer la pauvreté de 30 % à l'horizon 2012. Fort bien ! Qui peut être en désaccord avec cet objectif ?
L'objectif est ambitieux, il suppose une politique volontariste, et je crains que le RSA n'y suffise pas. Cet objectif exige aussi que l'on en finisse avec le discours de stigmatisation des allocataires de minima sociaux aujourd'hui.
Car si chacun doit pouvoir retrouver un emploi, les handicaps sociaux, les handicaps de formation, de santé ou de logement, constituent aussi des freins extrêmement efficaces – entre guillemets – à la réinsertion professionnelle
Contrairement à ce que pense peut-être la totalité de la majorité à laquelle vous appartenez, la France est loin d'être généreuse en matière de minima sociaux, ce qui ne peut être éludé dans le cadre d'une politique de lutte contre la pauvreté.
Outre le fait que leur revalorisation est très inférieure au taux de l'inflation, ce qui devient particulièrement problématique dans une période où l'inflation galope – 1, 6 % de revalorisation en 2008 pour une inflation supérieure à 3 % –, le niveau relatif de ces minima sociaux par rapport à ceux versés dans d'autres pays de l'Union européenne place la France en queue de peloton : mis à part l'Allemagne, la France est le pays qui apporte les revenus les plus faibles aux allocataires de minima sociaux, quelle que soit leur situation familiale. Même en tenant compte – ce qui est normal – des aides complémentaires au logement, la France arrive bonne dernière, toutes situations familiales confondues, assurant des revenus d'assistance deux fois inférieurs au Danemark et de 50 % inférieurs au Royaume-Uni, pourtant réputé plus libéral !
Or l'exemple de ces pays montre que l'on peut conjuguer des montants plus élevés et dignes pour les minima sociaux sans décourager le retour à l'emploi, dès lors que sont mises en oeuvre des politiques actives.
Le RSA est sans doute une pierre utile et – je l'ai dit – nécessaire à l'édifice de la lutte contre la pauvreté ; nous y sommes à ce titre favorables. Mais s'il ne s'accompagne pas aussi d'une revalorisation significative des minima sociaux, évidemment étalée dans le temps, alors son effet sera limité. Ce sont les tableaux largement diffusés par vos services, monsieur le haut-commissaire, qui en apportent la preuve la plus éclatante : le versement du RSA aux actuels RMistes ne permettra pas de leur faire passer le seuil de pauvreté, alors même qu'il augmentera durablement et significativement leurs revenus.
La présentation parfois idyllique qui nous est faite du RSA aurait tendance à nous faire oublier cette réalité crue : alors même que vous voulez diminuer la pauvreté de 30 % en quatre ans, le RSA à lui seul ne permettra pas d'atteindre cet objectif, au moins pour les allocataires de minima sociaux.
Ce constat participe de la position des socialistes à l'égard de votre texte : je l'ai dit, nous soutenons le principe d'autant plus volontiers qu'il s'inscrit dans une histoire dans laquelle nous nous reconnaissons, que la réalité de la pauvreté est indéniable et qu'il faut lui opposer des mécanismes volontaristes.
Pour autant, le dispositif que vous nous proposez, indépendamment même du fait que d'autres politiques seraient nécessaires, présente des insuffisances et suscite des interrogations.
Je ne reviens pas sur la question de son financement, dont mon collègue Christophe Sirugue a dit qu'elle conditionnait notre vote. Je voudrais seulement ajouter ceci : comment peut-on refuser, dans les termes qui ont été utilisés par certains membres de la majorité, de faire jouer la solidarité nationale en faveur des hommes, des femmes, des familles qu'il s'agit de faire passer, par exemple, de 394 à 553 euros par mois, s'agissant d'un célibataire sans enfant travaillant à quart temps ? Est-il décent de se demander si les revenus du capital doivent être mis à contribution pour financer cet effort-là ? Est-il digne de se déclarer « furieux », de dénoncer une « annonce incongrue », « pas convenable », pour reprendre des déclarations de certains parlementaires de la majorité ?
Est-il sensé de déclarer, comme l'a fait le président de cette assemblée, que le prélèvement sur les revenus du capital pour financer le RSA ne pouvait être que transitoire ? Si tel est le cas, nous attendons alors des explications sur ce que sera le financement pérenne du RSA. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
S'il n'est pas possible de faire jouer la solidarité collective dans la durée, que l'on nous dise comment demain sera financé ce dispositif, dont vous nous dites qu'il est essentiel et dont nous pensons qu'il doit être financé !
Où sont la dignité, la décence, le sens commun lorsqu'il s'agit de s'arc-bouter sur le maintien du bouclier fiscal, qui a rapporté à certains de ses bénéficiaires jusqu'à plusieurs centaines de milliers d'euros alors que l'enjeu ici est de permettre aux plus pauvres de ce pays de bénéficier de quelques dizaines d'euros supplémentaires ?
Au-delà de cette question du financement, et sans m'attarder sur les inquiétudes que peut susciter la complexité du dispositif administratif prévu – pourquoi, entre parenthèses+, les textes sociaux sont-ils si souvent des usines à gaz ? –, plusieurs points restent en suspens. J'en évoquerai rapidement quelques-uns, pour lesquels nous attendons des avancées à la faveur de la discussion.
Le contexte, d'abord ; je veux parler du contexte des politiques d'insertion. Car, contrairement à ce que laisse augurer l'ambiguïté savamment entretenue par vos présentations, le RSA n'est pas un emploi ! Pour en bénéficier, il faut d'abord trouver un travail. Cela ne passe en rien par le dispositif que vous proposez, mais par les politiques actives de soutien à la recherche d'emploi ou d'insertion sociale mises en place, soit par l'ANPE, soit par les conseils généraux.
Pour celui ou celle qui a du mal à se déplacer, à faire garder ses enfants, ou qui habite dans un secteur faiblement pourvu en emplois, le RSA ne changera rien. Absolument rien ! Le RSA permet d'améliorer les conditions financières du retour à l'emploi, mais il ne favorise pas en lui-même ce retour.
Votre discours est d'ailleurs à certains égards terriblement pervers, puisque, d'un côté, vous affirmez haut et fort que tout le monde peut et doit espérer trouver un emploi et que, de l'autre, vous savez fort bien que, sans même parler de la nouvelle dégradation du marché du travail à laquelle nous assistons actuellement, ce n'est pas le cas. Non seulement ces hommes et ces femmes ne verront aucune différence après le vote du RSA, mais de surcroît, parce que vous aurez passé votre temps à expliquer que tout allait changer, ils se sentiront montrés du doigt, vraiment « bons à rien ». Il y aurait donc d'un côté les « bons pauvres », qui parviendraient à retravailler et à bénéficier du RSA, et, de l'autre, ceux qui décidément devraient être mis à l'index et que certains – je n'en doute pas – soupçonneront d'être des profiteurs du système social !
Concrètement, ces hommes et ces femmes ont besoin de politiques d'accompagnement. Or que constatons-nous depuis un an ? La politique sociale de votre gouvernement rend les conditions de vie des plus modestes de plus en plus difficiles, avec l'instauration des franchises médicales, par exemple – je n'y reviens pas. Le nombre des contrats aidés a été drastiquement diminué : 135 000 emplois en moins en 2007, ce qui représente de 30 % à 40 % d'emplois aidés en moins selon les types de contrats. Est-ce la meilleure manière de favoriser l'insertion et le retour à l'emploi ?
Des structures comme les chantiers d'insertion sont confrontées aujourd'hui à des charges nouvelles qui, sur le principe, peuvent d'ailleurs être parfaitement défendues – comme l'acquittement de la cotisation AT-MP – mais qui réduisent d'autant leurs capacités d'action, sauf à ce que les départements soient, une fois de plus, sommés de se substituer aux désengagements successifs de l'État en matière sociale. Le RSA, c'est bien, mais à condition qu'il s'inscrive dans une politique sociale cohérente et ne serve pas d'alibi social à une politique qui, elle, ne l'est pas.
La question des jeunes, ensuite. Votre texte les ignore superbement – votre discours, un peu moins.
Vous me permettrez de ne pas recevoir l'argument, parfois entendu, qui consiste à dire que le RMI ne s'appliquant pas aux jeunes, et la gauche ne l'ayant pas étendu aux moins de 26 ans, il était cohérent de ne pas leur appliquer le RSA. C'est irrecevable pour au moins deux raisons : la première, c'est que vous expliquez la nécessité du RSA par l'évolution des situations de pauvreté et que c'est donc à l'ensemble de ces situations qu'il faut répondre. La seconde raison, c'est que la question des jeunes ne se présente évidemment pas de la même manière aujourd'hui qu'il y a vingt ans. L'une des réalités les plus gênantes de ces dernières années est l'installation d'un nombre croissant de jeunes dans des situations d'extrême précarité.
C'est ce qu'a souligné un récent rapport du conseil d'analyse économique. Par ailleurs, il y a quelques jours à peine, un communiqué signé par plusieurs associations, dont l'Union nationale des missions locales indiquait que 70 % des jeunes inscrits dans les missions locales sont jugés sans ressources ; ses signataires s'inquiétaient que « le passage par la précarité soit devenu la norme, toutes les études montrant que le processus d'insertion des jeunes dure au-delà de dix ans, avec de nombreux allers-retours entre phase d'activité et phase d'inactivité ».
Dans ces conditions, parler du travail et de la précarité sans parler des jeunes tient de la gageure. Mettre en place un dispositif de lutte contre la pauvreté qui exclut volontairement les moins de vingt-six ans relève de l'absurde. Il ne s'agit pas de proposer la création d'un RMI jeunes ; je ne veux même pas entrer dans ce débat car ce n'est pas celui d'aujourd'hui. Il ne s'agit pas non plus de demander la création d'une allocation d'assistance pour les jeunes – que certains conseils généraux, toutes tendances politiques confondues ont instauré ; il s'agit surtout d'affirmer haut et fort qu'un jeune qui travaille doit bénéficier d'un accompagnement financier dans les mêmes termes que son collègue qui a plus de vingt-six ans. Qu'on l'appelle revenu de solidarité active ou autre chose, il n'y a aucune raison d'établir dans ce cadre une discrimination selon l'âge.
En me situant dans la double logique qui est la vôtre, celle de la valorisation du travail et de la lutte contre la pauvreté, je ne comprends pas pourquoi les jeunes sont exclus de la démarche que vous avez engagée.
Alors qu'ils sont nombreux à se demander quelle place notre société est prête à leur faire, alors qu'ils se demandent quel type d'emploi ils vont pouvoir trouver dans quelques années, vous leur envoyez un signal qui est, au mieux, affligeant, au pire, désespérant.
Les socialistes vous demandent donc des propositions précises et concrètes pour les jeunes de moins de vingt-six ans qui travaillent et perçoivent un revenu inférieur au revenu garanti.
Monsieur Cardo, vous avez raison de souligner qu'il s'agit de ceux qui n'ont pas de charges de famille puisque le RMI aujourd'hui, comme le RSA demain, permet de prendre en charge la situation des moins de vingt-six ans qui ont des enfants.
Une dernière question – je ne prétends pas à l'exhaustivité, d'autres auraient pu être évoquées – appelle une réponse concrète : celle de la précarité. Elle a déjà été abordée, mais j'y reviens parce qu'elle nous préoccupe beaucoup.
Dans le projet de loi, aucun garde-fou n'existe pour dissuader les entreprises de recourir à une main d'oeuvre de passage, ou sous-payée, puisqu'elles pourront compter sur la solidarité nationale pour pallier ces bas revenus.
La crainte n'est pas anecdotique car c'est ce qui s'est passé, cette année, pour les heures supplémentaires. Je n'entre même pas dans la discussion sur le dispositif des heures supplémentaires pour savoir s'il est bon ou mauvais, mais je constate qu'une fois le dispositif voté et mis en oeuvre, les entreprises, qui sont – heureusement – des acteurs économiques rationnels, ont préféré prévoir des heures supplémentaires pour leurs salariés qu'embaucher de nouvelles personnes ou qu'utiliser les services d'intérim.
Certes, il a été des cas dans lesquels les heures supplémentaires ont pu utilement répondre au besoin de petites périodes de travail en plus.
Il y a d'ailleurs un lien avec la question des jeunes que j'ai évoquée puisque nombre d'entre eux arrivent sur le marché de l'emploi par l'intermédiaire des entreprises d'intérim. On peut le regretter, mais c'est une réalité. Or la diminution absolument spectaculaire du nombre d'heures de travail proposées par les agences d'intérim a abouti à ce que de nombreuses personnes, jeunes ou moins jeunes, se sont retrouvées sans proposition d'emploi.
Je ne conteste pas le fait que d'autres salariés ont vu leurs revenus s'améliorer à la marge du fait des heures supplémentaires, mais je dis que l'effet d'éviction d'un dispositif par un autre est tout à fait réel. Nous n'avons donc aucune raison d'imaginer que, demain, il en ira différemment lors de la mise en oeuvre du RSA.
En effet, le texte que vous présentez ne permet pas de lutter contre les effets d'aubaine ni contre les risques d'installation d'une précarité durable, ce que l'on pourrait appeler « l'institutionnalisation de situations de fragilité au travail ». Là encore, ce seront les plus jeunes et les plus en difficulté qui souffriront le plus ; là encore, et je suis prête à en prendre le pari devant vous tous, les femmes sont celles qui, demain, souffriront le plus de cette précarisation renouvelée.
Le risque est réel que prenne racine une catégorie particulière de salariés : celle des travailleurs pauvres aidés. Je ne veux pas faire de mauvais procès : il vaut évidemment mieux vivre avec 800 euros qu'avec 600 euros, la question ne se discute même pas, mais je crains que la majorité de ces nouveaux travailleurs assistés…
Assistés ?
…ne parviennent pas à renouer avec un emploi stable, durable et à temps plein pour la raison simple qu'il n'y a pas suffisamment d'emplois dans notre pays.
Des hommes et des femmes s'engageront dans un travail à temps partiel – quart temps, mi-temps ou trois quarts temps –, mais n'arriveront qu'à survivre, ne dépassant même pas, selon vos propres chiffres, monsieur le haut-commissaire, le seuil de pauvreté. Ils ne s'engageront donc pas véritablement dans un processus de réintégration dans le monde du travail. Cette crainte n'est pas anecdotique. Des réponses devraient y être apportées dans le cadre de la discussion des articles que nous allons avoir.
Monsieur le haut-commissaire, je vais conclure en rappelant ce qu'écrivait Léon Blum : « Toute société qui prétend assurer aux hommes la liberté doit commencer par leur garantir l'existence ». À nous de faire en sorte que cette existence soit faite de dignité et de confiance retrouvée dans l'avenir plutôt que de misère et de désespérance.
C'est parce que les risques liés au RSA restent encore sans réponses – nous espérons les obtenir dans le cadre du débat – que je vous appelle, mes chers collègues, au nom des députés socialistes, républicains et citoyens, à voter cette question préalable. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
J'ai remarqué, dans la défense des deux motions de procédure, l'expression d'un doute constructif, ce qui me paraît tout à fait important. J'espère que, tout au long du débat, je pourrai apporter certaines des réponses demandées, et que nous pourrons, en commun, construire les autres.
Monsieur Sirugue, puis Mme Touraine, vous vous êtes, comme moi, gardé d'avoir un discours manichéen. Je vais revenir sur plusieurs points.
Premier point : s'agit-il de faire table rase du passé pour construire du nouveau ? La réponse est non. Je me suis attaché à rappeler comment différentes étapes avaient été franchies. La meilleure preuve que nous ne faisons pas table rase, c'est que nous avons construit le dispositif que je viens vous soumettre à partir de l'expérience des conseils généraux, qui ont des responsabilités en matière d'insertion et de RMI. Il n'est donc pas du tout question de dire qu'il n'y avait pas d'avant et qu'il y aura un après. Il s'agit de montrer qu'il y a un moment où les changements pratiqués sont plus profonds que les changements intermédiaires qui les ont précédés.
En 1998, on a franchi une demi-étape, avec un dispositif d'intéressement et des mécanismes de cumul qui s'arrêtaient au bout de trois mois à un an. Déjà, à l'époque, certains acteurs – je pense à Jean-Michel Belorgey, à Marie-Thérèse Joint-Lambert – disaient qu'il faudra aller à l'étape suivante. Nous y sommes : elle réconcilie la prime pour l'emploi, les mécanismes d'intéressement et les minima sociaux. C'est donc une étape plus importante que les autres.
En outre, vous avez tous deux insisté sur le cas de celles et ceux qui auraient plus de difficultés que les autres pour retourner dans l'emploi. Je ne fais de procès à personne, et je ne pense que c'est ce que vous avez voulu dire, mais vous ne pouvez me suspecter de distinguer entre bons pauvres et mauvais pauvres.
S'il y a une notion étrangère à ce projet, c'est bien celle-là. Je pense que chacun, dans l'hémicycle, partage ma conviction : il faut éviter de trier entre les bons et les mauvais pauvres,…
…entre les travailleurs pauvres et les autres. Il faut éviter tout tri et, au contraire, donner sa chance à tout le monde, en adaptant le dispositif pour aider à la fois celles et ceux qui ont le plus de difficultés, et celles et ceux qui sont les plus proches de l'emploi.
Ne nous faisons pas de procès d'intention sur ce point. Je rappelle un élément qui a frappé et surpris tout le monde ; c'est peut-être même l'enseignement le plus important de l'année : dans les territoires où le revenu de solidarité active a été expérimenté, on s'est aperçu, y compris là où il y avait de très grandes difficultés – par exemple, dans le bassin de Maubeuge –, que des personnes qui étaient au RMI depuis plus de quatre ans, voire plus de dix ans dans le territoire que je viens de citer, avaient repris un travail.
L'exemple de Maubeuge est malheureusement anecdotique ! Ce n'est pas une démonstration !
Monsieur Muzeau, c'est tout sauf anecdotique quand l'expérimentation donne plus de 25 % de retours à l'emploi.
C'est un fil d'espoir que l'on doit tisser, et qui met à bas tous les discours selon lesquels certaines personnes seraient condamnées à rester éloignées de l'emploi.
Néanmoins toutes les propositions qui permettront de renforcer notre dispositif seront les bienvenues. Au passage, je rappelle que si nous avons beaucoup discuté de la prestation financière elle-même, il y aura également des mécanismes d'accompagnement et de soutien que nous aurons l'occasion de décrire tout au long du débat.
Madame Touraine, vous avez raison : parmi les personnes les plus fragiles, figurent les femmes. Je le redis, et je le montrerai, chiffres à l'appui : la majorité des bénéficiaires du dispositif seront des femmes et des familles monoparentales. Cela est malheureusement assez logique, compte tenu des situations de précarité et de pauvreté. C'est pourquoi je ne crains pas l'argument en faveur de l'aide des personnes à temps partiel. Ce sont aujourd'hui celles qui cumulent le plus de difficultés : elles n'arrivent pas à passer au plein-temps, soit parce que l'employeur ne le veut pas, soit en raison de l'ampleur des charges familiales quand elles font partie d'une famille monoparentale ; de plus, elles sont pénalisées car leurs revenus sont iniques. Grâce au revenu de solidarité active, leur revenu augmentera de 25 % à 30 % ; plusieurs mécanismes seront mis en place, dont un fond de 150 millions d'euros pour aider à résoudre certains problèmes temporaires, tels que la garde d'enfant. Ces personnes seront bien évidemment encore plus aidées que les autres parce qu'elles ont davantage de problèmes.
Je veux également revenir sur la question du financement du dispositif.
Quand on discute avec les gens concernés par le RSA, je peux vous dire que le bouclier fiscal est peu évoqué. (Rires et exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Cela n'a rien de surprenant : l'effet du bouclier fiscal représente 40 millions sur 10 milliards, soit quelques pouillèmes ! Il me semble donc nécessaire de garder le sens des proportions pour que le débat se concentre sur ce qui touche la vie quotidienne des personnes concernées, même si je respecte tout à fait ceux qui font du bouclier fiscal un symbole, une question de principe. De toute façon, si nous parvenons à établir un bon plafonnement des niches, je crois que nous y aurons gagné en matière de justice fiscale.
Dernière chose : vous avez dit tous deux, notamment madame Touraine, en substance : « C'est bien, mais... ». De même qu'avec des « si » on mettrait Paris en bouteille, avec trop de « mais », on ne ferait rien avancer et on resterait dans le statu quo. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Tout l'enjeu n'est pas seulement de dire : « C'est bien, mais… », de souligner les limites du dispositif. Il faut aussi se demander pourquoi toutes ces réticences nous ont jusqu'ici empêché de passer aux actes. Aujourd'hui, nous le pouvons. Nous avons pris l'engagement vis-à-vis des départements de ne pas les alourdir de charges nouvelles. C'est un engagement qui a été précisé avec l'Assemblée des départements de France comme avec chacun des départements.
Dès lors, il me semble que le rapport bénéfices-risques, que l'on évalue avant tout traitement, est largement positif.
J'espère tous vous convaincre que les bénéfices sont bien supérieurs aux risques, que le « c'est bien » est nettement supérieur au « mais », et que nous arriverons à nous retrouver, comme lors des étapes précédentes, dans le cadre d'un compromis.
En 1988, il y a eu un compromis entre l'ensemble des forces pour essayer d'avancer alors que tout le monde n'était pas d'accord. En 1998, c'était la même chose. En 2008, j'espère que cette responsabilité sera la nôtre. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Mme Touraine nous a fait un beau raccourci historique. (« Très bonne intervention ! » sur les bancs du groupe SRC.) Belle intervention, bien sûr ! Comme disait un ancien député socialiste que j'ai bien connu : quand le bébé est beau, il ne manque pas de père pour le reconnaître.
Quand on ne peut pas changer les mots, il faut changer les choses, a-t-elle dit. Or, si l'on reprend l'histoire des vingt dernières années, à droite comme à gauche, on a beaucoup changé les mots : RMI, intéressement Aubry, prime pour l'emploi, etc. C'est bien parce qu'on a trop longtemps et trop souvent changé les mots, que Martin Hirsch vous propose de changer les choses en profondeur.
Les mots aussi, mais la vraie révolution c'est que, pour la première fois depuis vingt ans, on offre une solution grâce à laquelle il sera plus rémunérateur de reprendre une activité que de rester dans l'assistance, alors que cela n'a pas été le cas, au cours des vingt dernières années.
Dans votre raccourci historique, vous n'avez pas parlé du plan de cohésion sociale que nous avons lancé en 2005.
Parlons-en de la DSU, monsieur Muzeau ! Vous avez suivi le sujet comme moi. C'est moi qui l'ai fait voter !
Elle peut certes être quelque peu limitée à un moment. Cependant, quand on augmente de 300 % la DSU dans une ville comme Roubaix où beaucoup de personnes sont au RMI, il s'agit d'une vraie avancée sociale.
Votre deuxième argument est de dire que le RSA est une pierre nécessaire mais non suffisante à l'édifice de lutte contre la pauvreté. Nous l'avons tous répété à la tribune. Évidemment, ce n'est pas un aboutissement mais seulement une étape ! Sans cette étape, sans un accompagnement financier réel non seulement des allocataires du RMI mais aussi des travailleurs modestes de ce pays, ils ne s'en sortiront jamais !
Bien sûr il faut ensuite trouver des emplois…
…mais les travailleurs modestes de ce pays ne s'en sortiront jamais si nous ne mettons pas en place cet accompagnement financier.
Madame Touraine, pendant ce débat parlementaire, discutons des politiques d'accompagnement. Nous le ferons lors de l'examen des amendements, mais reconnaissons, les uns et les autres, que cette étape est la condition nécessaire, même si elle n'est pas suffisante, pour garantir à tout le monde un emploi.
On ne peut évidemment pas garantir un emploi à temps plein à tout le monde, comme le voudrait un amendement de M. Muzeau. Chacun le sait.
Troisièmement vous parlez de la non stigmatisation. Elle viendra du retour à l'activité. La meilleure réponse a été donnée par M. Vercamer. Le livre Le RSA, une révolution sociale raconte l'expérimentation conduite dans l'Eure et, à ma connaissance, sous l'impulsion essentiellement des élus de tendance socialiste.
Unanimement !
J'ai discuté avec Jean-Louis Destans, le président du conseil général de l'Eure. Il ne parle pas de principes ou d'idéologie, mais il décrit des cas concrets, humains que j'ai moi-même rencontrés lorsque j'étais au Gouvernement en visitant les cinquante quartiers les plus défavorisés de ce pays. (« Nous aussi ! » sur les bancs du groupe SRC.) Nous pouvons tous parler de ces sujets. Ce projet de loi ne fait pas de stigmatisation.
En tant que rapporteur de la commission des affaires sociales, je peux vous répondre avec précision sur le financement transitoire.
J'ai demandé que les amendements proposant que le financement soit transitoire, soient repoussés et je défendrai leur rejet en séance publique. Je l'ai fait pour une raison simple que j'ai déjà exposée : le RSA concerne non seulement les anciens RMIstes mais aussi les travailleurs modestes. Sauf à décider qu'on s'arrête au bout d'un an ou deux, après un petit coup de pouce, il faudra bien décider un financement pérenne pour que ces travailleurs modestes puissent sortir durablement la tête hors de l'eau.
À l'intention de mes collègues, je précise que, en fonction de l'équilibre entre recettes et dépenses, nous pourrons diminuer voire supprimer la taxe, le cas échéant. Cependant, on ne peut certainement pas accepter des amendements qui viseraient à rendre ce financement transitoire. Il doit rester pérenne ; je défendrai ce principe ici, devant la représentation nationale.
Dans votre façon d'aborder le temps partiel, je vous mets en garde. D'abord, il peut être choisi ou subi.
Toutefois je vous mets en garde sur certains effets pervers.
Nous discuterons de votre amendement, monsieur Sirugue. Sans reparler des 35 heures pour l'instant – nous y reviendrons le moment venu –, nous sommes quelques-uns ici à penser qu'il faudra rouvrir le débat sur l'allégement des charges sociales concernant les bas salaires ; je parle sous le contrôle du président de la commission des affaires sociales. Cependant, attention à ce que nous faisons ! Attention à ne pas tuer toutes les petites entreprises ! Attention à bien analyser les effets pervers du système si les mesures sont ciblées sur les grandes entreprises ! Tout dispositif a des effets pervers. Avec quelques-uns de vos collègues, monsieur Sirugue, vous proposez un amendement visant à taxer les entreprises de main-d'oeuvre.
Attention aux effets pervers ! Nous en parlerons le moment venu.
Même chose à propos des jeunes de moins de vingt-cinq ans. M. Cardo a déposé un amendement concernant les jeunes de moins de vingt-cinq ans qui travaillent. Je pense que nous sommes en phase pour dire qu'il n'est pas question de créer un RMI jeunes.
Vous l'avez déclaré vous-même à la tribune.
C'est la raison pour laquelle j'ai accepté l'amendement de M. Sirugue – et j'espère que la représentation nationale le votera – visant à ce qu'on fasse un rapport pour aller au bout de ce sujet. Cependant, nous voyons bien que la réponse se trouve moins dans le RSA, mais davantage dans une réforme en profondeur de la formation professionnelle.
Pour toutes ces raisons et bien d'autres encore, madame Touraine, je suis heureux du beau discours que vous avez prononcé à la tribune. Vous avez posé de vraies questions.
Nous allons essayer d'y répondre avec vous. C'est pourquoi il ne faut pas poser de question préalable et entamer vite le débat. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC.)
Tout à fait d'accord.
Nous en venons aux explications de vote sur la question préalable.
La parole est à M. Jacques Grosperrin.
Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, chers collègues, la méthode des socialistes est immuable : ils savent utiliser la caricature, les contrevérités et la démagogie pour donner force à leur argumentation. (Rires et exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Malheureusement, vous ne convainquez personne. Vous déployez systématiquement ces arguments, mais nous ne sommes pas dupes.
Le Gouvernement n'est pas dupe et poursuit son action audacieuse et indispensable pour réformer la France.
Les objectifs de ce texte sont très clairs : valorisation du travail, réduction de la pauvreté, justice sociale. Comment pourrons-nous dépasser les clivages habituels si vous vous arc-boutez sur de telles positions ? Comme vous l'avez très bien dit, madame Touraine, votre candidate aux élections présidentielles avait clairement inscrit la mise en place du RSA dans son programme.
Je ne m'attarderai donc pas à démontrer le bien fondé de cette mesure, qu'elle soit en faveur des personnes en situation d'insertion ou en faveur des travailleurs pauvres.
Je sais que vous fulminez en coulisse parce que, parfois, nous sommes plus proches que vous de nos concitoyens. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Il existe, bien sûr, une différence entre vous et nous. Nous nous apprêtons à mener une réforme sociale de grande ampleur qui a montré tout son intérêt tant les résultats obtenus dans les départements qui ont expérimenté le volet « retour à l'emploi » sont probants.
Dans le département du Doubs, présidé par un socialiste, cela fonctionne bien et même très bien. Pour sa mise en place, nous avons eu l'honnêteté et le courage de prévoir son financement.
Je ne reviendrai pas sur l'allocation personnalisée d'autonomie, très bonne mesure sociale instaurée par l'une de mes anciennes compatriotes Paulette Guinchard à laquelle j'ai succédé à l'Assemblée. Il est vrai que le financement de cette mesure a été un peu oublié.
Aujourd'hui, les conseils généraux qui mettront en oeuvre le RSA savent que toute nouvelle compétence s'accompagne de compensations financières adéquates.
Oui, nous prenons la mesure de notre responsabilité et nous prévoyons un financement pour le surcoût du RSA d'un montant de 1,5 milliard euros. Fallait-il le financer par le déficit public, en alourdissant la dette de la France ? Non. Fallait-il peser sur le coût du travail ? Non. Fallait-il le faire financer par les départements ? Non.
Ainsi que le haut-commissaire l'a souligné, il s'agit d'une réforme à la loyale. Que restait-il à faire ? La solution envisagée consiste à taxer non pas le capital mais ses revenus. Contrairement au message manichéen que vous véhiculez, les plus riches vont financer cette mesure. Les 5 % des Français les plus riches paieront 45 % du surcoût du RSA, soit près de 675 millions d'euros.
Les plus riches vont faire cet effort supplémentaire en faveur du RSA (Rires et exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Par ailleurs, le bouclier fiscal ne fait échapper personne à son financement.
Tous les contribuables acquitteront la taxe de 1,1 % sur les revenus de leur capital. Les sommes restituées ensuite via le plafonnement à 50 % des revenus – le bouclier fiscal dont vous parlez souvent – porte autant sur cette taxe que sur les autres impôts, en particulier sur les impôts locaux.
S'agissant du financement du surcoût, des aménagements ont été apportés, notamment avec le plafonnement des niches fiscales. Je ne doute pas que les discussions apporteront encore quelques améliorations. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que 50 % des Français ne participeront pas à ce financement ; que 35 % paieront moins de 20 euros ; et que 15 % paieront plus de 20 euros. Il ne faut pas perdre de vue non plus le fait qu'il s'agit d'une réforme majeure du système de solidarité de notre pays où nous avons, pendant de trop nombreuses années, empilé les strates et les dispositifs.
Nous remettons à plat, et nous continuons l'action engagée depuis un peu plus d'un an…
…en faveur de la revalorisation du travail et de la justice sociale. Ce texte est une nouvelle étape de la politique de réforme voulue par les Français et par le Président de la République.
Madame Touraine, vous avez dit tout à l'heure que nous n'arriverons pas à réduire la pauvreté. Althusser que vous connaissez bien disait : répondre dans l'idéologie, c'est répondre avant que la question se pose. Faites-nous confiance (« Non ! Non ! » sur les bancs des groupes SRC et GDR)…
…c'est véritablement un dispositif pérenne. Le groupe UMP votera donc contre cette motion. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, monsieur le secrétaire d'État, notre éminente collègue Marisol Touraine a parfaitement synthétisé la justification de cette question préalable.
Nous nageons en pleine schizophrénie : d'un côté, nous avons une déclaration d'urgence pour ce texte qui profite de la session extraordinaire ; de l'autre, dans le même temps, votre Gouvernement surcharge cette dite session extraordinaire avec un autre texte qui, lui aussi, méritait un débat approfondi.
Je ne reviendrai pas sur les revendications mises en avant par des collègues qui m'ont précédée mais, tout de même, couper un texte aussi important en trois parties distinctes…
Vous y êtes un peu pour quelque chose ! (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)
Non, cela résulte du fait d'avoir deux textes importants dans cette session ! Et l'opposition a tout de même le droit de débattre ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Couper le texte en trois ne me semble donc pas contribuer à la qualité du débat parlementaire.
Mes chers collègues, nous nous apprêtons à modifier le règlement de notre Assemblée après la révision constitutionnelle, dans l'optique, selon vous, d'améliorer la qualité des débats, les droits de l'opposition.
Nous avons donc de quoi nous interroger.
Vos arguments et ceux développés à l'instant par M. Grosperrin sur ce texte nous semblent un peu partiaux. La gauche ne rejette pas du tout l'importance du travail en misant sur l'assistance comme vous voulez le faire croire. C'est même un contresens de l'affirmer. M. le haut-commissaire vient d'évoquer les mécanismes d'intéressement de Mme Aubry qui prouvent bien que cette logique était à l'oeuvre depuis vingt ans.
Le Gouvernement a aussi tendance à vouloir oublier que la majorité des départements qui ont expérimenté le RSA sont des collectivités dirigées par la gauche. Là aussi, on le souhaite. Il est vrai qu'en ces temps où l'on pourrait presque envisager un changement de majorité au Sénat, vous n'aimez pas que l'on vous rappelle que les collectivités locales de ce pays sont majoritairement à gauche et qu'elles jouent le jeu sur des réformes importantes.
Donc, nous ne faisons pas d'opposition de principe au RSA comme vous voulez le faire croire. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Nous nous interrogeons sur les lacunes, sur les moyens de l'améliorer et sur les possibilités d'éviter qu'il ne suscite des effets d'aubaine. Monsieur le haut-commissaire vous affirmez le contraire ; pourtant des chefs d'entreprise et même des députés de la majorité ont exprimé ces craintes. De plus, nombre d'analystes s'inquiètent dans d'innombrables tribunes parues dans la presse.
Le fait que des rapports continuent de pleuvoir tous les jours sur les conséquences de l'expérimentation devrait conduire l'Assemblée à reporter l'examen du présent projet de loi.
Une étude présentée la semaine dernière, lors du congrès de l'association française de sciences économiques, n'a été rendue publique dans la presse que ce matin. Celle de l'observatoire français des conjonctures économiques nous a alertés hier sur les conséquences perverses du RSA – dans sa forme actuelle – sur les femmes, ce qui a été évoqué par Mme Marisol Touraine.
Toutes ces interrogations nous amènent donc à vous demander de voter cette question préalable pour nous permettre de mieux débattre sur ce texte, alors qu'aujourd'hui le contexte n'est pas toujours propice à une discussion absolument nécessaire.
J'ai apprécié le discours de Marisol Touraine, qui a su prendre de la hauteur. Même si je ne partage pas son argumentation, il est important que nous ayons ce genre de débats.
Je voudrais, sans le contester, compléter l'historique qu'elle a fait.
À l'époque où il était Premier ministre, Michel Rocard s'était, sans manichéisme, appuyé sur l'expérience faite dans le département d'Ille-et-Vilaine – alors présidé par Pierre Méhaignerie –, où avait été inventé le revenu minimum d'insertion. Dans ce département, le « I » désignant la notion d'insertion, que l'on a reprise par la suite, existait bien. On a vu ce que cela a donné, et l'on comprend aujourd'hui tout l'intérêt du RSA.
Je ne vois donc pas l'intérêt de polémiquer sur ce qu'a fait ou non la gauche. Cher Roland Muzeau, le problème n'est pas de dire que nous sommes tous frères ou camarades (Rires et exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR)...
Laissez-moi poursuivre : j'ai écouté tous les orateurs sans les interrompre.
S'agissant d'un tel dispositif, nous devrions être capables de dépasser nos clivages, et vous permettrez à un président de conseil général n'appartenant pas à la gauche et ayant expérimenté le RSA d'en dire un mot. En Loir-et-Cher,…
…comme dans les trente-deux autres départements qui ont expérimenté le dispositif, les bénéficiaires du RSA sont en moyenne 30 % de plus à retrouver un emploi par rapport aux allocataires du RMI, dans les zones témoins, y compris dans la majorité de ceux dirigés par les socialistes ayant participé à l'expérimentation, ce dont je me réjouis.
Non seulement les bénéficiaires du RSA sont plus nombreux à retrouver le chemin du travail, mais ils en étaient éloignés depuis plus longtemps. Un quart d'entre eux étaient au RMI depuis plus de quatre ans, contre un cinquième dans les zones témoins. Et 42 % des allocataires du RMI dans les zones témoins affirment qu'ils accepteraient, grâce au RSA, un emploi qu'ils auraient refusé auparavant. Sans doute, et je remercie Marisol Touraine de l'avoir reconnu, est-ce un effet très concret des 100 à 300 euros supplémentaires que le RSA procure en moyenne à ses bénéficiaires ; plus de 196 euros en moyenne par mois dans mon département du Loir-et-Cher.
Mes chers collègues, le RSA a un impact incontestable sur la réduction de la pauvreté. Je ne parle pas de la future loi, mais des résultats déjà observés de l'expérimentation dans les trente-deux départements français, quels que soient les exécutifs qui les dirigent. Pour l'avoir expérimenté en Loir-et-Cher, je puis vous assurer qu'un accompagnement sur mesure, notamment en matière d'aide à la mobilité ou de garde d'enfants, lève une grande partie des freins à l'emploi : je remercie Marisol Touraine de l'avoir dit. (Interruptions sur les bancs du groupe SRC.)
Je préfère pour ma part, disais-je, des dépenses sociales actives, qui favorisent le retour à l'emploi, à des dépenses passives. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)
Dans mon département, 50 % des emplois sont à temps plein et 34 % sont supérieurs à un emploi à mi-temps. Les deux tiers des premiers emplois occupés sont dans le secteur marchand et près du tiers des emplois sont des emplois durables : contrats à durée indéterminée ou à durée déterminée de plus de six mois. C'est dire si ça marche ! Voilà pourquoi je voterai contre la question préalable. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)
(La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.)
La parole est à M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement.
Il y a eu un léger trouble, cet après-midi, sur l'organisation de nos travaux.
Non, monsieur Muzeau, mais on ne peut pas demander tout et son contraire.
M. Accoyer, M. Ayrault et d'autres présidents de groupe m'ont demandé que l'Assemblée nationale ne siège pas demain, comme cela était initialement prévu par la conférence des présidents. Le Gouvernement a accepté, de sorte que l'Assemblée siégera ce soir pour achever la discussion générale et examiner la motion de renvoi en commission. Les travaux reprendront mardi à 21 heures 30. Suivront ensuite, mercredi matin, la nomination du bureau, puis, l'après-midi, les questions au Gouvernement.
Pour lever les inquiétudes quant à un saucissonnage des débats, M. le haut-commissaire a souhaité que l'Assemblée examine mardi soir le titre III du texte, relatif aux politiques d'insertion, soit les articles 8 à 13. La discussion sur le RSA reprendra ensuite le lundi 6 septembre à 16 heures, séance que la conférence des présidents avait déjà prévue pour l'examen du projet de loi relatif à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement. Nous terminerons l'examen du RSA avant d'entamer ce second texte. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Mes chers collègues, plusieurs d'entre vous manifestent l'intention de faire un rappel au règlement. Je vais vous donner la parole, mais j'appelle votre attention sur le fait que cela ne me permettra peut-être pas de donner la parole dans la discussion générale en cette fin d'après-midi à ceux qui ont d'autres obligations ce soir.
La parole est à M. Christophe Sirugue.
J'ai écouté attentivement M. le secrétaire d'État, et je suis profondément choqué par les conditions dans lesquelles le Gouvernement nous fait travailler.
Vous avez d'abord considéré qu'une session extraordinaire est nécessaire. En soi, cela mérite déjà examen, car les textes que vous y avez inscrits auraient fort bien pu être examinés pendant la session ordinaire.
Vous annoncez maintenant un saucissonnage de la discussion sur un texte aussi important que la généralisation du RSA. C'est inacceptable.
S'il l'était au sens où nous l'entendons nous-mêmes, le Gouvernement l'aurait inscrit en premier dans l'ordre du jour de la session extraordinaire !
Ne nous reprochez pas d'avoir travaillé sur les textes débattus dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Ce qui est inacceptable, monsieur le secrétaire d'État, c'est que, pendant une session extraordinaire que le Gouvernement a lui-même décidée, se tiennent des journées parlementaires de la majorité, qui entraînent le saucissonnage de notre discussion. Le Parlement n'appartient pas à la majorité. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
La proposition que vous venez de faire est inacceptable. Nous souhaitons débattre de l'ensemble des articles de façon continue, non par fragments ni, ce qui serait le comble, dans le désordre. Tout cela n'est pas à la hauteur d'un texte dont nous reconnaissons tous l'enjeu. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Je serai bref, ayant déjà abordé le sujet précédemment.
J'espère que les propos de M. le secrétaire d'État ne sont pas définitifs : sur des sujets de cette importance, la raison doit l'emporter. Il est déjà inadmissible, et de surcroît contre-productif, de séparer la discussion générale de l'examen des articles. Néanmoins je suis pragmatique et j'en prends acte.
Cependant ce que vous venez d'indiquer, monsieur le secrétaire d'État, est très différent. Je demande à l'ensemble des groupes de saisir le Gouvernement pour qu'il supprime cette ahurissante séance de mardi soir, de façon que nous entamions la discussion du texte lundi 6 octobre à 9 heures 30, dans l'ordre des articles. Pour en avoir parlé avec mes collègues socialistes, je peux vous indiquer, monsieur le secrétaire d'État, que personne n'a l'intention de faire durer les débats sur le RSA. (Murmures sur les bancs du groupe UMP.)
C'est un débat suffisamment grave pour que les amendements soient démocratiquement discutés, sans volonté d'obstruction.
Je propose donc que nous commencions l'examen des articles lundi 6 octobre à 9 heures : cette séance de mardi à 21 heures 30 serait ridicule et dénuée de sens. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
J'entends bien les arguments avancés, mais je le dis comme je le pense : si l'on veut travailler correctement dans cet hémicycle, lorsqu'un président de groupe, y compris de l'opposition, fait une demande au Gouvernement, la vérité du jour ne peut être différente de celle du lendemain. (« Eh oui ! » sur les bancs des groupes NC et UMP.)
Quant aux journées parlementaires, elles ont toujours été respectées, quel que soit le groupe concerné. Le groupe SRC m'a d'ailleurs d'ores et déjà demandé que l'Assemblée ne siège pas le vendredi où se tiendrait le congrès du parti socialiste : j'ai donné mon accord au président Ayrault sur ce point.
Par ailleurs, monsieur Sirugue, dois-je vous rappeler que vous avez voté contre la révision de la Constitution qui améliore l'équilibre des pouvoirs ? Comme le Président de la République et le Premier ministre, j'ai, au contraire, souhaité cet équilibre des pouvoirs.
Toutefois, jusqu'à l'application de la réforme constitutionnelle, notamment des mesures relatives au partage de l'ordre du jour, c'est encore au Gouvernement qu'il appartient de fixer celui-ci. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Cela n'interdit pas au Gouvernement de respecter la représentation nationale !
Monsieur Sirugue, puisque vous affirmez qu'il s'agit d'une proposition du Gouvernement, je tiens à vous rappeler que nous n'avons pas changé de République.
Mes chers collègues, je veux bien continuer à vous donner la parole, mais ne vous étonnez pas ensuite si tous ceux qui l'auraient souhaité ne peuvent pas intervenir cet après-midi. Je ne peux pas faire entrer 1,5 litre dans une bouteille d'un litre.
La parole est à M. le président de la commission des affaires culturelles.
Je suis présent depuis lundi et je souhaiterais que chacun fasse son examen de conscience. En effet on ne peut pas nous demander tout et le contraire de tout. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Ayant assisté à toutes les demandes de tous les groupes, je tiens à rappeler que le groupe socialiste nous a demandé de ne pas siéger vendredi,…
…sous peine de nous diriger vers une prolongation du débat précédent.
Monsieur Sirugue, il faut faire preuve d'une certaine modestie compte tenu des demandes contradictoires qui ont été faites au Gouvernement.
Je ne peux pas laisser passer sans réagir les propos qui viennent d'être tenus sur le président Ayrault, car, lorsque M. Accoyer, M. le rapporteur, M. le secrétaire d'État et l'ensemble de ceux qui étaient en situation de responsabilité ont évoqué le sujet cet après-midi, il n'y avait pas, à ma connaissance, que le groupe socialiste pour ne pas souhaiter siéger vendredi.
Je l'ai dit.
Je vous en remercie.
Un accord a donc été trouvé sur cette base.
Nous avons également indiqué que nous souhaitions que le débat ne soit pas saucissonné. C'est la raison pour laquelle je n'accepte pas que, en l'absence de Jean-Marc Ayrault, vous présentiez les choses de telle façon qu'on puisse considérer que le président de notre groupe s'exprimerait différemment en fonction du moment. La discussion a eu lieu devant le président de l'Assemblée nationale : nous avons exprimé nos demandes, le groupe communiste les siennes et un accord avait été trouvé sur cette base. Vous revenez sur cet accord, en vertu de la responsabilité qui est la vôtre et que vous m'avez à l'instant rappelée, monsieur le secrétaire d'État. Néanmoins cela ne vous interdit pas de respecter la représentation nationale.
C'est la première fois, me dit-on, que des journées parlementaires se dérouleront durant une session du Parlement. Assumez aussi ce choix ! Il n'est pas celui du respect de la représentation nationale.
Monsieur le secrétaire d'État, si vous avez politiquement et juridiquement raison, vous avez humainement tort parce qu'on ne peut pas nous demander de siéger mardi soir prochain sans travailler lundi, alors que nous ne travaillerons pratiquement pas la semaine prochaine. Cela oblige les députés élus en province et, surtout, dans les DOM à faire des allers-retours, soit, pour certains, jusqu'à 22 000 kilomètres ! C'est inadmissible.
Il est vrai que c'est votre droit d'en décider ainsi et que la majorité peut faire ce qu'elle veut, mais ce n'est pas acceptable sur le plan humain. Je tenais à le souligner ici avec force. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, dans la logique de mon intervention du 17 janvier dernier sur le Grenelle de l'insertion, j'aurais souhaité intervenir plus précisément aujourd'hui sur le revenu de solidarité active et dire à quel point je suis d'accord avec le principe et les objectifs de ce nouveau dispositif. Comment ne pas approuver cette tentative pour atténuer la précarité des titulaires du RMI qui retrouvent un travail et celle des salariés, de plus en plus nombreux, qui vivent avec des revenus trop faibles ?
Certes, j'aurais souhaité demander l'extension du RSA aux jeunes de moins de vingt-cinq ans qui, une fois de plus, malgré le chômage record dont ils sont victimes, se trouvent exclus.
Certes, j'aurais exprimé ma crainte que le texte actuel, en ne prévoyant aucune obligation pour les employeurs, ne favorise les emplois à temps partiel et faiblement rémunérés.
Certes, j'aurais dénoncé la reprise de ce décret de la honte que constitue l'évaluation du train de vie des futurs bénéficiaires du RSA.
En un mot, mon intention aurait été de vous aider à améliorer ce nouveau dispositif, mais il y a l'article 15 qui prévoit le report de l'application du RSA dans les départements d'outre-mer. Or personne, outre-mer, ni à droite ni à gauche, ne l'a demandé ni, d'ailleurs, ne l'approuve.
Vous prétendez qu'il se justifie par la nécessité de réaliser une expertise complémentaire, du fait de la spécificité de certains dispositifs d'insertion. Dès février 2008, cette nécessité était soulignée dans le livre vert du RSA. Nous en sommes apparemment au même point. En fait, la question de l'articulation se pose pour deux dispositifs créés en 2000 : le RSO, le revenu de solidarité et, surtout, l'ARA, l'allocation de retour à l'activité, à laquelle s'apparente le RSA.
Il est vrai que l'ARA est plus avantageuse que le RSA, mais elle ne concerne que quelque 2 000 personnes à La Réunion – 3 000 pour tout l'outre-mer –, alors que le nombre de RMIstes dépasse les 75 000 à La Réunion.
Cette disproportion devrait inciter à appliquer immédiatement le RSA outre-mer et à instaurer, là aussi, un mécanisme de droit d'option entre les deux dispositifs qui coexisteraient. C'est d'ailleurs cette solution que vous avez adoptée pour le Territoire de Belfort, où existe aussi un dispositif spécifique d'accès à l'emploi.
Monsieur le haut-commissaire, cette solution éviterait à des milliers de personnes d'être bénéficiaires d'un RMI qui n'aurait plus de base légale, puisque l'article 115-1 du code de l'action sociale et des familles se trouve abrogé.
À La Réunion, le RMI est le symbole de l'égalité sociale. Pour la première fois, un gouvernement, celui de Michel Rocard, a décidé la mise en oeuvre d'une allocation sur tout le territoire national. Il est assez paradoxal que ce même RMI soit désormais le signe d'une inutile différenciation sociale : les symboles, en politique, monsieur le haut-commissaire, ont aussi leur importance.
Il est également paradoxal qu'un dispositif destiné à lutter contre la précarité tarde à être appliqué dans les territoires où cette précarité atteint les proportions les plus considérables et fait les pires ravages.
Selon les derniers chiffres de l'INSEE, 52 % de la population réunionnaise vit en dessous du seuil de pauvreté, pourtant fixé à un niveau inférieur à celui de la France continentale. Ainsi, ce sont les plus précaires qui doivent se montrer les plus patients.
Le financement du RSA est l'occasion de multiples discussions. On s'inquiète beaucoup, outre-mer, de savoir si, en dépit de l'article 15, les contribuables de ces départements seront concernés, dès 2009, par la taxe de 1,1 % que le Gouvernement a décidé d'instaurer sur les revenus du capital et de l'épargne.
Le report de l'application de la présente loi dans l'outre-mer nous conduit aussi à nous interroger sur le contrat unique d'insertion. La Réunion fait partie des départements qui expérimentent ce nouveau contrat. Resterons-nous au stade expérimental ou, au contraire, le droit commun s'appliquera-t-il tout de suite ? On ne peut pas ajouter l'inquiétude que produit ce flou juridique à la grave difficulté que crée la diminution continue des contrats aidés, difficulté pour les personnes qui se retrouvent sans emploi, mais aussi menace pour la qualité du service public.
Pour assurer de façon satisfaisante la dernière rentrée scolaire, il a fallu se livrer à toutes sortes d'acrobaties afin de pallier la pénurie des contrats aidés. Toutes les mairies craignent d'être contraintes de supprimer, dans les mois à venir, l'accompagnement des enfants handicapés en milieu scolaire ainsi que l'accueil et le soutien périscolaires.
À vrai dire, quitte à invoquer, pour retarder l'application de la loi, l'article 73 de la Constitution qui prévoit la possibilité d'adaptations, il aurait été préférable d'invoquer ce même article pour envisager un dispositif de RSA qui prenne en compte, à la fois, la réalité du marché du travail à La Réunion et les besoins auxquels l'économie marchande n'apporte pas encore de réponse.
Tel est le cas, notamment, pour la protection et la valorisation de l'environnement ainsi que pour les services à la personne, qui constituent d'importantes réserves d'emploi. Il est maintenant grand temps de structurer ces secteurs, ce qui permettrait de mettre un terme au débat inutilement idéologique entre l'économie solidaire et l'économie marchande.
Monsieur le haut-commissaire, j'espère que vous apporterez des réponses à nos inquiétudes. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, vingt ans après la création du RMI, 7 millions de personnes vivent encore sous le seuil de pauvreté en France. Un ménage français sur huit vit dans notre pays avec un revenu insuffisant. Telle est la réalité ! Si le revenu minimum d'insertion avait résolu le problème, cela se saurait.
Depuis plusieurs années, la pauvreté connaît un nouveau visage, celui des travailleurs pauvres, des hommes et des femmes qui travaillent avec courage mais qui n'ont pas les revenus leur permettant de vivre décemment et de faire vivre leur famille.
Il y a désormais ceux qui sont condamnés au RMI et qui ne pourront jamais sans sortir et ceux qui travaillent et qui, malgré leur travail, ne peuvent pas s'en sortir parce qu'ils n'ont pas les revenus qui vont avec.
Notre système a abouti à une véritable aberration qui conduit à ce que si vous êtes au revenu minimum d'insertion, vous avez droit à un certain nombre d'allocations et que si vous reprenez un emploi vous n'y avez plus droit. C'est un comble !
Monsieur Néri, je m'adresse au haut-commissaire, pas au haut-commissaire politique de l'Assemblée ! (Sourires.)
Or, sans doute parce que, monsieur le haut-commissaire, vous n'êtes pas un spécialiste en col blanc de l'insertion mais que vous avez vécu celle-ci au quotidien avec ceux qui souffrent, reprenant l'oeuvre admirable initiée par l'abbé Pierre, vous avez pensé au bon sens pour mettre un terme à cette situation.
Peut-être est-ce surtout parce que vous avez le courage, ce courage qui bouscule les clivages politiques et qui permet de dépasser les frontières artificielles entre économique et social. Il n'y a pas, en effet, d'un côté un salarié et, d'un autre, un assisté ; il n'y a qu'un homme avec la diversité de son parcours, ses hauts et ses bas. Et personne ne peut affirmer qu'il est à l'abri des coups du sort ou des accidents de la vie.
Pour répondre à cette problématique, il fallait une loi de bon sens car le bon sens, c'est de transformer un système où l'assistanat paie plus que le travail, le bon sens, c'est de mettre en place une allocation qui valorise le travail et un accompagnement performant, capable d'accroître les perspectives d'insertion.
Le mécanisme du RSA que vous nous proposez permet à toute progression des ressources tirées de l'exercice d'une activité professionnelle de se traduire par une baisse du RSA inférieure au montant de cette progression.
Ainsi, les ressources globales de la famille progressent en raison des revenus d'activité perçus. Il y a donc bel et bien une incitation à la reprise du travail.
Ensuite, le revenu de solidarité active concerne une population beaucoup plus large que celle couverte par le revenu minimum d'insertion puisqu'il s'adresse aussi aux personnes insérées mais dont les ressources modestes sont inférieures à la garantie du revenu, et puisqu'il s'adresse encore aux actuels bénéficiaires de l'allocation de parent isolé. Le texte propose donc bien une vision large de la pauvreté correspondant à la réalité.
Enfin, le revenu de solidarité active permet de passer d'une logique de statut à une logique de revenu, notamment pour l'éligibilité aux avantages annexes. On évite ainsi les suppressions brutales de ces avantages. Il s'agit là d'un système intégratif.
Au total, le revenu de solidarité active est une allocation plus incitative à la reprise d'un emploi et un mécanisme plus intégratif. Voilà pourquoi les députés du Nouveau Centre le soutiennent activement.
Bien entendu, il ne suffit pas d'apporter une nouvelle allocation : il faut suivre, aider, accompagner. Ainsi, le projet conditionne la mise en oeuvre du droit à l'accompagnement vers les bons interlocuteurs dès l'ouverture des droits des bénéficiaires du RSA, à un système d'orientation performant. Sauf exception, tenant à l'état de santé du bénéficiaire ou à des problèmes sociaux difficiles à surmonter, l'orientation sera effectuée vers un opérateur du service public de l'emploi ou vers un opérateur spécialisé privé.
L'encadrement prévu par le texte est salutaire car il oblige à un suivi dynamique. Cependant, il m'apparaît très surprenant que les conseils généraux ne soient pas associés à cette élaboration.
Je crains que la tentation de la nouvelle institution issue de la fusion ANPE-ASSEDIC, qui sera l'opérateur d'accompagnement, ne soit de se concocter un public sur mesure. Nous devons l'éviter pour assurer la réussite du RSA. Quant à la CNAF ou la MSA, elles ont moins d'expérience de l'insertion que les conseils généraux.
Je pense donc, monsieur le haut commissaire, qu'il vous faut revenir sur ce point et mieux associer les principaux acteurs publics de l'insertion. Pour cela, il convient d'amender le troisième alinéa du texte proposé pour l'article L. 262-31, en introduisant les départements dans les travaux d'élaboration du référentiel.
Fort de l'expérimentation mise en service dès le 4 novembre 2007 dans le département du Loir-et-Cher dont je préside le conseil général – expérimentation que nous avons mise en oeuvre avec le concours de notre collègue Patrice Martin-Lalande –,…
…comme mon collègue François Sauvadet, président du conseil général de la Côte d'or, et comme mes trente autres collègues présidents de conseils généraux qui ont expérimenté le RSA, de toutes sensibilités politiques – et tant mieux s'ils sont majoritairement de gauche –, nous pouvons affirmer très clairement que le RSA, ça marche ! Oui, mes chers collègues, je puis témoigner, nous pouvons tous témoigner que le RSA incite bien au retour à l'emploi.
L'expérience en Loir-et-Cher, je n'y reviens pas, a été utile, intéressante et fructueuse. C'est pourquoi je suis quelque peu ébahi d'entendre qu'on invoque souvent Jaurès, par exemple,…
…sans jamais faire référence aux expérimentations. Cela est hallucinant ! C'est comme si le RSA était un OJNI – un objet juridique non identifié –, alors qu'il est, j'insiste, le fruit d'une expérimentation conduite dans trente-deux départements.
Fort de cette expérience, je vous propose cinq préconisations.
La première consiste à ménager la possibilité pour les personnes qui n'en ont pas besoin – je pense à celles qui travaillent sous contrat à durée indéterminée à temps plein ou sous contrat à durée déterminée longs – de refuser l'accompagnement qu'elles trouvent parfois stigmatisant ou inadapté.
Deuxièmement, l'entrée dans le dispositif doit être un acte volontaire qui peut être soit la transmission au conseil général du contrat de travail, soit la signature d'un contrat RSA sous trois mois, au lieu de deux, pour être maintenu dans le dispositif.
Troisièmement, il faut trouver un système de lissage de l'accompagnement RSA pour les personnes qui ont des emplois irréguliers en temps et en fréquence.
Quatrièmement, il convient d'adopter un mode de communication et de traitement adapté par l'organisme débiteur de la prestation, qu'il s'agisse de la CAF ou de la MSA. J'insiste sur la nécessité de rester prudent avec les logiciels. Néanmoins, fort du travail des deux commissions – et je salue au passage les deux rapporteurs qui ont accompli un travail vraiment remarquable –, je suis sûr que nous allons améliorer le dispositif de logiciels et d'applications afin d'éviter que l'on ne soit « plantés » comme on a pu le constater dans certaines CAF.
Cette indispensable vigilance ne figurera ni dans la loi ni dans les décrets d'application, mais elle résultera de la pratique et il me paraît nécessaire d'en parler ici. Nos collègues qui expérimentent ce système, comme Pierre Cardo, se retrouvent parfois, à cause de bêtes dysfonctionnements informatiques, dans l'incapacité de mettre en oeuvre de sages décisions.
Enfin, il importe de concevoir un dispositif innovant suscitant la mobilisation du monde économique.
Voilà pour les améliorations que nous pourrions apporter à cette réforme majeure de la présente législature.
Reste la question du financement.
À cet égard je vous félicite d'abord d'avoir tenu bon, monsieur le haut commissaire, dans votre volonté de proposer un système s'appuyant sur de réelles recettes, refusant de repousser à plus tard la question fondamentale de savoir qui va payer. En effet, sans système pérenne de financement, le dispositif si utile et si efficace du RSA ne serait, au mieux, qu'une coquille vide,…
…au pire, un transfert de charges et donc d'imposition vers les conseils généraux et donc les contribuables locaux.
…car, soyons clairs, sous tous les gouvernements, sous toutes les législatures, nombreux ont été les textes – je tiens la liste à votre disposition – qui se sont en général traduits par des transferts de charges vers les conseils généraux.
Or les députés du Nouveau Centre considèrent que l'on ne peut pas, à chaque nouveau dispositif, fût-il excellent, monsieur le haut commissaire, inventer un nouvel impôt.
On ne peut pas dire – et je sais que vous n'en êtes pas à vous seul responsable – que le Gouvernement ait fait preuve d'une grande créativité fiscale avec la mise en place d'une taxe additionnelle de 1,1 % sur tous les revenus du patrimoine et des placements. Franchement, on aurait vraiment pu faire mieux que demander à ceux qui ont peu de contribuer fiscalement pour ceux qui n'ont rien. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Très juste, mais si le dire, c'est bien, en tirer les conséquences, c'est mieux !
On peut faire nettement mieux que mécontenter les 12,5 millions de Français possédant un contrat d'assurance-vie, les 2,2 millions de Français percevant des revenus locatifs et les 11 millions de Français détenant des valeurs mobilières, le tout pour financer 1,5 milliard d'euros.
Comment penser que sur les quelque 1 000 milliards d'euros de dépenses publiques il soit impossible d'en économiser un peu plus d'un millième pour une réforme aussi fondamentale ?
Nous considérons, au Nouveau Centre, qu'il était possible de faire beaucoup mieux sans prélever plus, et nous le pensons toujours.
Pourquoi ne pas soumettre au droit commun les 8,6 milliards d'euros de stock-options distribués par an à environ 100 000 personnes ?
Tout comme soumettre au même régime les parachutes dorés distribués à 51 000 dirigeants rapporterait 700 millions d'euros.
Voilà des pistes d'innovations fiscales, monsieur le haut commissaire, qui éviteraient qu'on impose d'un point de plus une épargne uniquement de précaution que se constitue l'immense majorité des Français.
Le Nouveau Centre a toujours défendu le plafonnement global des niches fiscales – combat récurrent mené par Charles de Courson en commission des finances – et ce, dès le projet de loi TEPA et lors de la loi de finances pour 2008. Nous nous félicitons donc de l'adoption par les commissions des finances et des affaires sociales d'un amendement dont nous sommes cosignataires avec nos collègues de la majorité pour plafonner les niches fiscales. C'est une bonne proposition même si, sur le fond, j'aurais préféré, j'insiste, qu'on s'attaque aux stock-options ou aux parachutes dorés.
Le revenu de solidarité active – je conclus – est l'expression même de la solidarité. C'est aussi un investissement dans les êtres humains, dans l'avenir ; ce n'est pas une allocation de plus ; c'est même tout le contraire : c'est le travail enfin récompensé !
Aussi suis-je fier, sommes-nous fiers, d'avoir participé dans le Loir-et-Cher à sa gestation. Vous pouvez donc compter sur la confiance et sur la vigilance des députés du Nouveau Centre pour la mise en oeuvre du revenu de solidarité active que nous approuvons et soutenons activement. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)
C'était tout de même pas mal, mais nous attendons de voir quels seront vos votes au cours de l'examen des amendements !
D'évidence, on ne peut a priori que se féliciter, monsieur le haut commissaire, de votre volonté de donner un nouveau souffle aux politiques de lutte contre la pauvreté, objet du projet de loi généralisant le revenu de solidarité active, lequel RSA figurait, il faut le répéter car ce n'est pas anodin, dans le programme défendu par les deux candidats présents l'an dernier au second tour de l'élection présidentielle.
Néanmoins, le RSA mouture 2008 atteste à l'évidence que gauche et droite n'ont pas la même conception de la lutte contre la pauvreté.
En effet, là où une politique économique et salariale volontariste est nécessaire pour faire évoluer la situation des travailleurs pauvres et pour lutter contre la précarité, vous mettez en place une politique sociale financée par l'impôt, au risque d'institutionnaliser cette précarité, puisqu'aucune contrepartie, aucune obligation n'est demandée aux entreprises.
Là où nos citoyens les plus exclus ont besoin d'un accompagnement social, certes rénové – et vous avez raison de vouloir le rénover –, vous supprimez le RMI et n'envisagez pour eux comme unique réponse que les seuls revenus du travail comme rempart contre la pauvreté. Or nous savons tous que la difficile question de l'insertion ne se limite pas à l'insertion professionnelle. Ainsi, de récents travaux de l'INSEE montrent que la pauvreté est aussi très souvent liée à des carences antérieures – de santé, de lien social. La pauvreté des liens commandant celle des biens, selon la formule de l'article d'un grand quotidien du soir, au titre évocateur : Non au RSA et à ses effets pervers.
En effet, le dispositif du RSA, avec l'inscription obligatoire au service public de l'emploi, conjugué à la loi du 1er août 2008 relative aux droits et aux devoirs des demandeurs d'emploi, pourra conduire certains allocataires à être radiés du service de l'emploi et du RSA, les pénalisant doublement et les mettant dans une situation d'exclusion maximum, victimes collatérales de votre dispositif.
Nous souhaitons tous que nos concitoyens en situation d'exclusion retrouvent une place dans la société et nous avons tous la conviction que le travail est un élément de structuration personnelle fondamental.
Contrairement à l'idée que le Gouvernement essaie d'accréditer dans l'opinion publique, en montant encore une fois les Français les uns contre les autres, il n'y a pas d'un côté ceux qui voudraient maintenir nos concitoyens dans l'assistanat et de l'autre ceux qui voudraient qu'ils travaillent.
Reste que la réalité s'impose à nous et l'ignorer n'a jamais permis de la faire céder : oui, la question de l'employabilité se pose ; oui, certains allocataires des minima sociaux sont dans une telle situation de déstructuration physique, psychologique, sociale, humaine tout simplement, que se limiter à parler pour eux d'insertion par l'emploi en oubliant tout accompagnement social personnalisé est un non sens absolu.
Preuve de cette déstructuration profonde qui va croissant : les dépenses que les départements consacrent au RMI augmentent alors même que le nombre d'allocataires diminue. De fait, ceux qui restent dans le dispositif sont les plus fragilisés, les plus éloignés de l'emploi ; je dirais qu'ils constituent le noyau dur des allocataires. C'est pourquoi, le niveau des plans moyens de RMI que les départements sont amenés à verser augmente.
Qui plus est, et vous le savez, monsieur le haut-commissaire, le travail est rare. Nous le constatons malheureusement chaque jour dans nos circonscriptions et dans nos permanences. J'ai, quant à moi, et j'aurai toujours, philosophiquement, du mal à stigmatiser comme profiteurs du système tous ceux qui, pour une raison ou une autre, n'arrivent pas à trouver leur place dans notre société.
Dans ce contexte, qu'adviendra-t-il des millions d'allocataires actuels du RMI les plus éloignés de l'emploi, et pour lesquels le RSA n'apporte pas de vraie réponse ?
Le financement du RSA provoque la même divergence de vues entre nous. Certes, vous avez enfin, pour partie, renoncé, après que nous l'avons largement dénoncé, à faire financer le RSA par la PPE. En revanche la taxation du capital aurait été une excellente idée, à laquelle nous aurions souscrit puisque nous ne cessions de vous la suggérer. Malheureusement cette illusion a rapidement fait long feu, quand il est apparu, à l'analyse, qu'il s'agissait en fait d'imposer les classes moyennes et les épargnants modestes.
Je rencontre régulièrement dans ma permanence de petits agriculteurs, de petits artisans, de petits commerçants qui ont pris une assurance vie parce que, sans cela, ils auraient eu une retraite de misère. Or ce sont ceux-là qui vont être pénalisés, les plus aisés restant, quant à eux, protégés par le bouclier fiscal, semble-t-il inamovible.
Le plafonnement des niches, aussi nécessaire soit-il, ne modifie en rien le caractère profondément cynique de l'annonce faite sur une pseudo-taxation du capital.
Oui, effectivement, monsieur le haut-commissaire, après avoir offert près de 15 milliards de cadeaux fiscaux aux plus aisés – car telle est bien la réalité – vous pénalisez encore une fois les catégories moyennes pour prélever 1,5 milliard d'euros, soit moins de la moitié des besoins estimés par vous-même pour financer le RSA.
De surcroît, alors que vous-même appeliez de vos voeux un financement pérenne, tout comme M. Leroy à l'instant, alors que M. Daubresse disait qu'il ne permettrait jamais que l'on revienne sur le 1 % et qu'il s'engageait sur la pérennité du financement, nous venons d'apprendre par une dépêche de l'AFP que le Président de la République a indiqué aujourd'hui à Toulon que la future taxe servant à financer le revenu de solidarité active « sera diminuée au fur et à mesure » que cette aide sociale sera mise en oeuvre. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
C'est exactement ce que je vous ai dit tout à l'heure. Dire que cette taxe sera diminuée ne veut pas dire qu'elle sera supprimée !
Cela signifie que les conseils généraux vont payer à la place de l'État. Cela signifie qu'il n'y aura pas de pérennité s'agissant de ce financement. Qui financera les dépenses des conseils généraux ?
Enfin et surtout, monsieur le haut-commissaire, si l'on s'en réfère aux documents diffusés par vos propres services, que j'ai lus avec beaucoup d'attention – et nous avons cherché à faire des simulations –, le RSA ne permettra pas de crever le plafond de verre de la pauvreté puisque, en fonction de la composition du ménage, certaines familles demeureront, malgré le RSA, en deçà du seuil de pauvreté.
Aussi sommes-nous conduits à nous interroger sur l'ambition réelle de ce projet de loi, présenté à marche forcée, sans attendre la fin des expérimentations en cours dans les départements, alors même que certains publics sont exclus de son application – je pense par exemple aux titulaires de l'AAH – et que l'on sait déjà que l'objectif de lutte contre la pauvreté ne pourra pas être atteint.
Votre bonne foi initiale, monsieur le haut-commissaire, n'est pas sujette à caution. Personne ne vous fera ce procès. Toutefois force est de constater que le RSA 2008 n'a malheureusement plus grand-chose à voir avec votre réflexion première.
Nous ne pouvons que le regretter et espérer que le débat qui s'engage permettra de revenir à la philosophie de départ – nous vous proposerons d'ailleurs de nombreux amendements en ce sens –, faute de quoi nous serions au regret de ne pouvoir voter ce texte, au regard des risques majeurs dont, pour l'heure, il est porteur. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, il y a vingt ans, sur proposition de François Mitterrand et de Michel Rocard, le Parlement décidait à l'unanimité d'instaurer le RMI. Vingt ans plus tard, sur proposition de Nicolas Sarkozy et de François Fillon, nous allons mettre en place un nouveau dispositif qui permettra à chacun en France de vivre dignement des revenus de son travail. J'espère donc que l'opposition d'aujourd'hui aura le courage et l'ouverture d'esprit de l'opposition d'hier et qu'elle défendra et votera le RSA.
Martin Hirsch, à qui nous devons cette révolution sociale, n'a pas élaboré le RSA pour les gens de droite ou pour les gens de gauche, mais pour tous les bénéficiaires de minima sociaux qui hésitent à reprendre un emploi parce qu'ils perdraient de l'argent en retrouvant une activité. Il l'a fait pour tous les travailleurs pauvres pour qui un emploi ne veut pas nécessairement dire une vie décente. Il l'a fait pour tous les chômeurs de longue durée dont la volonté de retrouver une activité se heurte au manque de formation ou à la complexité administrative.
À titre personnel, je suis fier que le gouvernement Villepin ait été le premier à autoriser par décret une expérimentation du RSA dans l'Eure avant sa généralisation par la loi.
Trois points de fond sont au coeur de la nouvelle donne sociale, sur laquelle je vais m'arrêter un instant.
Le premier point, c'est la simplicité.
À force de vouloir combler les lacunes du RMI, nous avons empilé les dispositifs d'assistance en tous genres, sans nous préoccuper réellement ni de leur efficacité, ni de leur cohérence. En mettant en place le RSA, nous inversons les choses : la reprise du travail devient la priorité. Et un seul dispositif remplace au moins cinq prestations différentes.
Le deuxième point, c'est la souplesse.
Le RSA n'est pas un carcan. Il constitue au contraire un dispositif sur mesure, qui prend acte des changements profonds intervenus sur le marché du travail depuis plusieurs années. Il se veut réaliste. Il avance par étapes, pour permettre à chacun de définir ou de reconstruire une vraie trajectoire professionnelle. À cet égard – je rejoins ici de nombreux intervenants – notre débat devra répondre à des questions majeures : comment poursuivre cette progression une fois l'emploi retrouvé, pour éviter le creusement du phénomène de trappe à bas salaires ? Quelle réponse apporter aux jeunes de moins de 25 ans qui prennent un emploi avec une faible qualification ?
Le troisième point, c'est l'équité qui est le pilier du RSA.
En effet l'équité, ce n'est pas donner plus à ceux qui n'ont rien sans se préoccuper de leur insertion sociale. L'équité, c'est compenser les handicaps qui freinent le retour à l'emploi pour que chacun, quel que soit son niveau de qualification, quelle que soit sa formation, quel que soit son parcours personnel, puisse reprendre sa place dans la vie active. De ce point de vue, le RSA n'est pas une réforme idéologique ou partisane. C'est une réforme républicaine.
Bien entendu, ce dispositif a un coût. Il demande donc un financement adéquat.
Il y a quelques semaines, le Président de la République a annoncé que ce financement serait supporté par une taxe de 1,1 % sur les revenus du capital. Je ne crois pas trahir le sentiment général de notre groupe en affirmant que cette annonce n'a pas soulevé un élan d'enthousiasme. Cependant je ne crois pas non plus trahir notre majorité en affirmant que cette décision est à la fois nécessaire et responsable : nécessaire, parce que nous ne pouvons pas courir le risque d'un défaut de financement du RSA ; responsable, parce que l'état de nos finances publiques ne nous permet pas d'envisager une quelconque aggravation de la charge de la dette.
Pour que cette taxe de 1,1 % soit acceptable, elle doit répondre à trois conditions.
La première, c'est la solidarité. Le poids de la taxe ne doit pas être supporté par quelques-uns. Il doit l'être par tous. Pour répondre à cette condition, nous avions différentes options.
Nous aurions pu sortir la taxe de 1,1 % du bouclier fiscal. C'est d'ailleurs l'option que j'avais défendue, avec d'autres, devant la commission des finances. Tout simplement par cohérence, parce que j'ai toujours estimé, au moment de la création du bouclier fiscal à 60 % comme au moment de la discussion sur la loi TEPA, que les cotisations sociales devaient rester à part.
Une autre option est possible, qui a le double mérite de la cohérence et de l'efficacité : c'est le plafonnement des niches fiscales, dont le principe a été adopté par l'ensemble de la majorité. Je suis convaincu que c'est une option juste, qui permettra à la fois de mettre fin à la situation surréaliste des très hauts revenus qui ne paient pas l'impôt et de financer correctement la solidarité. Nous serons vigilants, avec la commission des finances, sur l'effectivité de ce plafonnement comme sur la réalité de l'attribution de son produit au seul financement du RSA.
La deuxième condition, c'est le contrôle. Avec l'ensemble des députés de la majorité, nous souhaitons que le produit de la taxe, son attribution comme l'équilibre financier du dispositif fasse l'objet d'une évaluation précise dès l'année prochaine.
La troisième condition, c'est la cohérence. À force de compléments successifs, notre système fiscal est devenu incompréhensible pour beaucoup de nos concitoyens. Un impôt légitime est un impôt équitable, mais un impôt efficace est un impôt clair. De ce point de vue, il nous reste du chemin à parcourir. La remise au goût du jour de la revue générale des prélèvements obligatoires pourrait nous permettre de relever le défi et de remettre de la cohérence dans notre système de prélèvements obligatoires.
Vous le voyez, le RSA a les vertus des grandes réformes : il apporte de vraies réponses, mais il soulève aussi de nouvelles questions. Ce sera l'honneur de notre assemblée, dont les pouvoirs ont été renforcés par la réforme constitutionnelle, d'y répondre. Vous savez, monsieur le haut-commissaire, que vous pouvez compter sur la mobilisation et la volonté de notre majorité, qui est fière d'examiner aujourd'hui un texte audacieux et fondateur. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d'insertion.
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures cinquante-cinq.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,
Claude Azéma