Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, c'est tout à la fois une noble ambition, une impérieuse nécessité et une situation d'urgence qui nous conduisent à engager devant la représentation nationale un débat sur la généralisation du revenu de solidarité active et la réforme des politiques d'insertion. Il doit, avant tout, nous offrir l'occasion d'une réflexion de fond sur la lutte contre la pauvreté et pour la réduction de la précarité, qui ne saurait être menée avec ce seul outil, nécessaire mais insuffisant.
Ce débat est d'autant plus souhaitable que la situation est préoccupante. Notre pays compte plus de 7 millions de personnes en situation de pauvreté, qui vivent donc avec moins de 650 euros par mois : cela représente plus de 10 % de la population. Si les chiffres du chômage ont baissé, l'explosion concomitante du nombre de petits boulots et d'emplois précaires est flagrante. Le nombre de CDD a ainsi progressé de 5 % entre 2006 et 2007, tout comme le recours au travail à temps partiel, qui concerne aujourd'hui 4,2 millions de salariés, pour lesquels ce n'est pas forcément toujours un choix. Dans le même temps, le nombre de personnes en situation de sous-emploi et prêtes à travailler davantage a progressé de 7 %.
Dans ce contexte, les députés du groupe socialiste, radical et citoyen ont à coeur de permettre la mise en place de politiques contribuant à redonner espoir aux plus fragiles de nos concitoyens et à leur assurer une prise en charge effective. C'est donc avec la volonté d'oeuvrer en ce sens que nous nous inscrivons dans le débat que vous nous proposez et que nous soutiendrons divers amendements.
Toutefois, je ne vous cache pas que nos interrogations sont nombreuses. Elles portent notamment sur les conditions de mise en oeuvre de votre réforme, sur notre souhait que soient évalués les effets négatifs, inhérents à chaque bouleversement législatif, que pourraient subir les publics qui nous semblent exclus de votre réflexion, sur les domaines qui, en dehors de l'emploi, contribuent à l'exclusion.
Le débat devra également porter sur le mode de financement que vous nous proposez. Par le truchement de votre bouclier fiscal, vous dispensez une partie des contribuables de l'effort national. Par son caractère inéquitable, cette rupture du principe de solidarité justifie, à elle seule, la motion d'irrecevabilité.
Mais il faut au préalable dire un mot du contexte. Pourquoi n'avoir pas attendu que nous disposions d'un bilan approfondi de l'expérimentation de trois ans lancée dans trente-quatre départements, conformément aux engagements que vous aviez pris, en juillet 2007, lors de l'examen du projet de loi en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat ? Sans doute invoquerez-vous l'urgence de la situation. Je ne la méconnais pas, mais, lorsqu'il s'agit de supprimer le revenu minimum d'insertion ou l'allocation de parent isolé, qui permettent aujourd'hui de faire vivre ou survivre quelque 1,5 million de personnes, le bilan détaillé d'une expérimentation prolongée du RSA aurait été un élément décisif.
Certes, j'ai lu le rapport d'étape présenté par M. Bourguignon et je me réjouis qu'il fasse état d'un accroissement moyen de 30 % du taux de retour à l'emploi des personnes ayant bénéficié du dispositif. Mais il précise que ces enseignements peuvent difficilement être généralisés à tous les départements, car, vous le savez, chaque département a élaboré son propre dispositif.
Mais je lis aussi, dans un ouvrage que j'ai reçu il y a quelques jours, le témoignage de mon ancien collègue Jean Louis Destans, président du conseil général de l'Eure, premier département de France à avoir expérimenté le RSA. Je le cite : « Lorsque nous avons lancé l'expérimentation, nous nous sommes donné trois ans […], à l'issue desquels nous voulions regarder comment modifier le dispositif, l'amender ou même l'abandonner si les résultats n'étaient pas là. » Il dit aussi quant au bilan : « Je dirais que le démarrage a été excellent Les bénéficiaires que j'ai rencontrés ne veulent pas se contenter de leur temps partiel, et nous avons déjà 15 % à 20 % de personnes sur des postes en CDI. La limite, c'est que nous avons très vite intégré dans le RSA des personnes qui étaient relativement proches de l'emploi. Au bout de quelques mois, nous sommes confrontés au groupe de personnes qui ont davantage de difficultés, et c'est plus compliqué. »