La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à neuf heures trente.)
L'ordre du jour appelle le vote, selon la procédure d'examen simplifiée, sur neuf projets de loi adoptés par le Sénat, autorisant l'approbation d'accords internationaux.
Conformément à l'article 107 du règlement, je vais mettre aux voix chacun de ces textes.
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'adhésion à la convention de La Haye du 19 octobre 1996 concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l'exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants (nos 9, 82).
(L'article unique du projet de loi est adopté.)
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord de coopération entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des États-Unis du Mexique en vue de lutter contre l'usage et le trafic illicites de stupéfiants et de substances psychotropes (nos 16, 104).
(L'article unique du projet de loi est adopté.)
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'accord de coopération mutuelle entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des États-Unis du Mexique pour l'échange d'informations relatives à des opérations financières effectuées par l'entremise d'institutions financières pour prévenir et combattre les opérations provenant d'activités illicites ou de blanchiment d'argent (nos 19, 104).
(L'article unique du projet de loi est adopté.)
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'accord d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République populaire de Chine (nos 21, 98).
(L'article unique du projet de loi est adopté.)
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de l'accord de dialogue politique et de coopération entre la Communauté européenne et ses États membres, d'une part, et la Communauté andine et ses pays membres (Bolivie, Colombie, Équateur, Pérou et Venezuela, d'autre part) (nos 14, 99).
(L'article unique du projet de loi est adopté.)
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de l'accord de dialogue politique et de coopération entre la Communauté européenne et ses États membres, d'une part, et les Républiques du Costa Rica, d'El Salvador, du Guatemala, du Honduras, du Nicaragua et du Panama, d'autre part (nos 17, 99).
(L'article unique du projet de loi est adopté.)
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation du protocole visant à modifier la convention relative à l'Organisation hydrographique internationale (nos 18 rectifié, 78).
(L'article unique du projet de loi est adopté.)
Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, je viens solliciter l'autorisation de ratifier la convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, adoptée le 16 mai 2005 et signée par la France le 22 mai 2006.
En dépit de l'abolition de l'esclavage par les États européens au milieu du XIXe siècle, il en subsiste encore malheureusement des manifestations clandestines. Ce phénomène est certes déjà pris en compte par la communauté internationale. Ainsi, la convention contre la criminalité transnationale organisée, dite convention de Palerme, assortie d'un protocole spécifiquement consacré à la traite des humains, en a donné une définition au plan international. La France est partie à cet instrument universel qu'elle a ratifié en 2003.
Ces efforts de la communauté internationale ont été prolongés au sein de l'Europe, tant au niveau de l'Union européenne que du Conseil de l'Europe, lequel a souhaité l'élaboration d'un instrument spécifique sur la traite des êtres humains, couvrant toutes les formes de traites, qu'elles soient nationales ou transnationales, renforçant la protection des victimes et mettant en place un mécanisme de suivi fort pour assurer le respect, par les États parties, de leurs engagements conventionnels.
Permettez-moi d'évoquer rapidement les éléments essentiels de la convention soumise à votre approbation. La définition de la traite demeure inchangée par rapport à celle retenue dans le protocole de Palerme ; tel était le souhait des États membres du Conseil de l'Europe, qui n'ont pas entendu remettre en cause les standards de l'Organisation des Nations unies. Ils ont néanmoins souhaité construire à partir de ce précédent pour aller plus loin.
En revanche, la convention définit la notion de victime, ce qui n'est pas le cas du protocole à la convention de Palerme. Le chapitre III, consacré au droit des victimes, constitue le coeur de cette convention. Contrairement au texte de l'Organisation des Nations unies, cette convention est contraignante, ce qui renforce singulièrement le droit des victimes. Ainsi, l'article 13 me semble particulièrement important puisqu'il institue un délai de réflexion d'au moins trente jours au bénéfice d'une victime, délai pendant lequel aucune mesure d'éloignement du territoire ne peut être exécutée à son encontre.
La convention consacre par ailleurs le principe de la non-sanction de la victime qui a agi sous l'effet de la contrainte. Cette mesure, particulièrement attendue par les associations de lutte contre la traite des êtres humains, permettra aux victimes d'être soustraites aux trafiquants sans risquer l'éloignement du territoire et de prendre librement et hors de toute pression la décision de porter plainte ou non pour les infractions commises à leur encontre. Pendant ce délai, les victimes bénéficieront de différents droits comme l'accès aux soins médicaux d'urgence.
Le chapitre VII crée un mécanisme ambitieux de suivi de la mise en oeuvre de la convention par un groupe d'experts. Pour ce qui concerne la France, notre droit interne est conforme aux exigences de la convention. Ainsi, en matière de prévention, les actions menées le sont essentiellement par des associations, subventionnées et encouragées par les pouvoir publics.
En outre, le code de l'entrée et du séjour et du droit d'asile, modifié par la loi du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration, dispose qu'une carte de séjour temporaire peut être délivrée à tout étranger portant plainte pour des faits de traite des êtres humains.
Je souhaite également insister sur la diffusion prochaine, avec l'appui du ministère de la santé, d'un document d'aide à l'identification pratique des victimes. S'agissant des enquêtes, des poursuites et du droit procédural, les dispositions du droit interne correspondent parfaitement aux exigences conventionnelles. Ainsi la France dispose d'un office central pour la répression de la traite des êtres humains, placé sous la responsabilité de la direction centrale de la police judiciaire du ministère de l'intérieur.
L'entrée en vigueur de cette convention est attendue avec intérêt par de nombreuses organisations non gouvernementales ou associations d'aide aux victimes de la traite, qui en espèrent une amélioration dans la lutte contre ce phénomène et dans l'aide apportée aux victimes. Elle contribuera à renforcer les efforts de la communauté internationale dans la lutte contre un phénomène qui doit nous mobiliser et associer étroitement États d'origine et États de destination.
À ce stade, vingt-neuf États ont signé cette convention et sept l'ont déjà ratifiée. Sa ratification par la France, dont les autorités sont pleinement engagées dans la lutte contre cette forme particulièrement odieuse de criminalité et qui ont soutenu, dès l'origine, les efforts du Conseil de l'Europe en faveur d'un texte ambitieux, y contribuera et sera un signe supplémentaire de notre détermination à lutter contre ce fléau et à accompagner au mieux les victimes. Telles sont les principales stipulations de la convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, aujourd'hui soumise à votre autorisation de ratification. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
La parole est à Mme la rapporteure de la commission des affaires étrangères.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le Sénat a adopté, le 26 juin dernier, le projet de loi autorisant la ratification de la convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains du 16 mai 2005, que la France a signée le 22 mai 2006.
Il est rare qu'un délai aussi court sépare les étapes successives, de la procédure préalable à la ratification d'un accord international. Cette rapidité a été rendue possible par le fait que le droit et la pratique de notre pays dans ce domaine ont déjà, tout au moins en partie, anticipé les exigences de la convention, notamment sous l'influence du protocole de Palerme du 15 novembre 2000, dont la France était aussi l'un des premiers États parties.
La convention du Conseil de l'Europe vise à préciser, développer et compléter les stipulations de ce protocole des Nations unies à l'échelle de notre continent dont le niveau de vie moyen ne préserve nullement de la traite des êtres humains qui se nourrit, en effet, des inégalités de richesses entre continents, entre États, voire entre régions d'un même État.
La traite des êtres humains est un phénomène global qui constitue l'esclavage des temps modernes et qui implique le recrutement, le transport d'hommes ou de femmes ou d'enfants en vue de les exploiter, particulièrement dans deux domaines : le travail forcé et la prostitution.
Le Bureau international du travail estime que ce sont environ 2,5 millions de personnes qui, chaque année, sont victimes de ce trafic, qu'il soit transfrontalier ou interne. Selon le Département d'État américain, 800 000 à 900 000 personnes franchiraient chaque année une frontière internationale de manière frauduleuse dans le cadre de la traite.
Chaque année, ce sont entre 8 et 10 milliards de dollars que la traite des êtres humains rapporte à ceux qui l'organisent, ces bénéfices étant ensuite réinvestis dans d'autres activités criminelles. Ce trafic constituerait la troisième source de revenus illicites dans le monde après le trafic d'armes et celui de stupéfiants, et il serait même sur le point de dépasser ces derniers, dans la mesure où il serait, pour le moment, moins « dangereux ».
Selon Europol, les principaux pays européens d'où proviennent les victimes de la traite sont les pays de l'ancien bloc soviétique – la Moldavie, l'Ukraine, la Bulgarie, la Roumanie, la Fédération de Russie et l'Albanie. Les trafiquants sont, le plus souvent, eux-mêmes originaires des pays dont ils exploitent les ressortissants. L'Europe de l'Ouest accueille également des victimes de la traite arrivant de pays d'Afrique du Nord et d'Afrique noire. Les destinations les plus courantes sont l'Allemagne, l'Autriche, la Belgique, l'Espagne, la France, la Grèce, l'Italie, les Pays-Bas et le Royaume-Uni.
Notre pays ne se distingue guère de ses voisins puisqu'il est également destinataire de victimes de la traite d'êtres humains, principalement à des fins d'exploitation sexuelle et, dans une moindre mesure, d'esclavage domestique. Selon la police, 90 % des 15 000 à 18 000 prostituées sont victimes d'un trafic et entre 3 000 et 8 000 enfants travaillent, mendient ou se prostituent de force.
Le rapport sur les diverses formes de l'esclavage moderne, publié en décembre 2001, à l'issue d'une mission d'information, a contribué à la prise de conscience de l'ampleur du phénomène et du caractère insupportable du sort fait aux victimes du trafic d'êtres humains.
La convention du Conseil de l'Europe tend à renforcer la protection assurée par le protocole de Palerme et à développer les normes qu'il énonce tout en précisant ses stipulations et en renforçant ses exigences. L'accent est davantage mis sur la protection des droits des victimes de la traite.
La convention, adoptée le 16 mai 2005 à Varsovie, a été signée par trente-six États, tous membres du Conseil de l'Europe. En application de son article 42, son entrée en vigueur est conditionnée à dix ratifications – dont huit d'États membres du Conseil. Seuls sept d'entre eux ont à ce jour achevé la procédure, et l'on comprend tout l'intérêt de la voir ratifier à son tour par la France
Bien qu'elle ne soit pas encore en vigueur, le droit français est déjà largement conforme aux stipulations de cet accord international, sauf dans le domaine de la prévention et dans celui de la mise en oeuvre de mesures visant à décourager la demande.
La convention reproduit la définition que le protocole de Palerme donne de la traite, mais son champ d'application est plus large dans la mesure où il s'applique « à toutes les formes de traite des êtres humains, qu'elles soient nationales ou transnationales et liées ou non à la criminalité organisée ». Elle repose, en outre, sur une stratégie en trois volets.
Le premier, qui tend à prévenir la traite, comporte essentiellement des actions de prévention proprement dite et de sensibilisation, ainsi que des mesures destinées à décourager la demande : les acheteurs de services sexuels, par exemple, se rendent en fait complices de proxénètes et de réseaux criminels, favorisant par là même l'exploitation des personnes par les réseaux de traite qui n'hésitent pas à utiliser des méthodes coercitives de toutes sortes – enlèvement, séquestration, torture, viol systématique, chantage, menace de mort, etc.
Je tiens à insister sur le caractère fondamental des actions d'information et de prévention, dans la mesure où tout reste à faire en France en matière de découragement de la demande. Une réflexion doit être lancée sur les moyens à mettre en oeuvre en la matière, car c'est en s'attaquant à la demande, c'est-à-dire à la source de profit de ce sinistre marché, que les pouvoirs publics pourront mener l'action la plus efficace.
Le deuxième volet s'attache à la protection des victimes, c'est-à-dire à leur identification comme victime, ce qui leur donne droit aux dispositions de protection et d'assistance. Une personne qui réussit à quitter le milieu de la traite des êtres humains se trouve généralement dans une situation de grande précarité et d'extrême vulnérabilité : c'est pourquoi les États doivent fournir une assistance aux victimes.
La France se conforme, depuis 2003, aux stipulations de la convention relatives au permis de séjour qui doit être délivré aux victimes, si cela est jugé nécessaire, en raison « de leur situation personnelle » ou « de leur coopération avec les autorités compétentes aux fins d'une enquête ou d'une procédure pénale ».
Le troisième volet de la convention, enfin, porte sur la punition des responsables. C'est ainsi que toute une série d'infractions se voient conférer un caractère pénal, qu'il s'agisse de la traite des êtres humains elle-même, des actes relatifs aux documents de voyage ou d'identité, telle la fabrication de faux, ou encore de la complicité. Sur tous ces points, le droit français est conforme aux stipulations de la convention. Seules certaines exigences relatives aux règles de compétence nécessiteront une modification de la loi afin de permettre aux juridictions françaises d'exercer leur compétence, s'agissant de faits commis à l'étranger par un Français ou par une personne résidant habituellement sur le territoire français, sans que la double incrimination des faits, la plainte préalable de la victime ou la dénonciation officielle des faits par les autorités de l'État sur le territoire duquel ces derniers ont eu lieu soient nécessaires. Dans l'attente de cette modification législative, le Gouvernement a l'intention de faire une déclaration sur le sujet lors du dépôt de l'instrument de ratification.
Pour que la lutte contre la traite des êtres humains soit la plus efficace possible, la convention, enfin, pose les principes d'une coopération internationale et met en place un mécanisme de suivi qui repose à la fois sur une instance technique et sur une instance plus politique, tout en impliquant la société civile.
Par rapport au protocole de Palerme, la convention du Conseil de l'Europe constitue un progrès sur trois points principaux. Elle affirme, d'abord, que la traite constitue une violation des droits de la personne humaine et une atteinte à la dignité et à l'intégrité de l'être humain. Elle vise, ensuite, tous les types de traite. Elle met, enfin, en place un mécanisme de contrôle.
Même si elle respecte d'ores et déjà la plupart des exigences de la convention, sauf, je le répète, en matière de prévention, la France a tout intérêt à ratifier ce nouvel instrument international puisqu'elle contribuera ainsi à en accélérer l'entrée en vigueur, laquelle ne dépendra plus que de deux autres ratifications.
Je forme le voeu que cette entrée en application conduise le Gouvernement à renforcer le nombre et les moyens des centres d'accueil sécurisés, mettant les victimes à l'abri des trafiquants, et permette, enfin, de lutter vraiment contre la traite et non contre les victimes.
Notre pays doit se doter d'armes supplémentaires dans la lutte nécessaire contre le trafic d'être humains : c'est pourquoi la commission des affaires étrangères a adopté à l'unanimité le présent projet de loi. (Applaudissements sur tous les bancs.)
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la France a fait partie des premiers États qui ont signé puis ratifié le protocole additionnel à la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée, visant à prévenir, à réprimer et à punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, communément appelé le protocole de Palerme. Le Gouvernement nous propose aujourd'hui de l'autoriser à ratifier la convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, que notre pays a signée le 22 mai 2006, il n'y a guère plus d'un an.
La brièveté de ce délai, ainsi que l'a rappelé M. le secrétaire d'État, témoigne incontestablement de l'attachement de la France à la lutte contre la traite des êtres humains et d'une volonté politique forte. N'est-il pas naturel d'ailleurs que le pays des droits de l'Homme soit particulièrement sensible à l'éradication de pratiques criminelles qui nient les droits les plus élémentaires de leurs victimes, ces dernières étant des hommes, mais aussi et surtout des femmes et des enfants par millions ? Je ne peux, à cet égard, que saluer l'action de nos gouvernements successifs qui, depuis plusieurs années, ont su traduire cette émotion légitime en mesures adaptées.
Certes, tout n'est pas encore parfait dans notre pays, mais beaucoup a été fait, notamment en matière de protection des victimes et de poursuites pénales contre les responsables de ce trafic inhumain, si bien que la ratification de la convention du Conseil de l'Europe n'entraînera que quelques modifications minimes de notre droit interne.
Ainsi que la rapporteure de la commission des affaires étrangères l'a souligné, cette convention constitue un progrès par rapport au protocole de Palerme sur trois points : son champ d'application couvre toutes les formes de traite des êtres humains, nationales comme internationales, impliquant ou non des organisations criminelles ; elle met l'accent sur les droits des victimes ; elle comporte un mécanisme de contrôle.
Ce dernier point me semble essentiel. L'existence d'un tel mécanisme est indispensable, car trop nombreux sont les traités qui énoncent droits et obligations tout en comptant exclusivement sur la bonne volonté des États parties pour assurer leur respect. Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, certes, une autorité supérieure aux lois dans de nombreux pays, dont la France, mais cela n'implique pas nécessairement que tout justiciable puisse s'en prévaloir, ni que le droit interne soit systématiquement modifié pour être mis en conformité avec les nouvelles normes internationales en vigueur. C'est pourquoi il est essentiel que chaque convention se dote d'un instrument destiné à assurer que ses stipulations seront respectées.
Au cours de l'année qui suivra l'entrée en vigueur de la présente convention du Conseil de l'Europe, devra être mis en place un mécanisme de suivi reposant sur un groupe d'experts et sur un comité des parties.
Le groupe d'experts sera composé de dix à quinze membres élus par le comité des parties pour une période de quatre ans renouvelable une fois. Ils seront choisis parmi des personnalités de haute moralité, connues pour leurs compétences en matière de droits de l'Homme, de protection des victimes et de lutte contre la traite des êtres humains, et exerceront leur mandat de manière indépendante et impartiale. Ils devront tous être de nationalité différente et représenter les principaux systèmes juridiques.
Organe politique, le comité des parties réunira, pour sa part, les représentants de tous les États parties à la convention.
Le groupe d'experts sera chargé d'évaluer la manière dont les États parties la mettent en oeuvre. Cette procédure d'évaluation portera successivement sur les différentes stipulations. Les États parties devront répondre à toute demande formulée dans ce cadre par le groupe d'experts, qui pourra aussi solliciter des informations auprès de la société civile ou l'assistance d'experts internationaux, et qui aura la possibilité d'effectuer des visites dans les pays concernés. Le groupe établira alors un projet de rapport, soumis à l'État étudié avant son adoption, et procédera à la présentation de conclusions. L'ensemble, accompagné des commentaires éventuels de la partie concernée, sera ensuite rendu public.
Sur cette base, le comité des parties pourra adopter des recommandations adressées à cet État concernant notamment les mesures à prendre pour mettre en oeuvre les conclusions du groupe d'experts, si nécessaire en fixant une date pour la soumission d'informations sur leur application.
Si j'ai présenté en détail la procédure de suivi prévue par la convention, c'est parce que, chacun le sait, le diable est souvent dans les détails. Dans ce cas, l'indépendance des experts, le fait qu'ils rédigent eux-mêmes leur rapport après avoir pris les informations les plus larges possibles, et la publication de leurs rapports et conclusions, sont des éléments essentiels de l'efficacité du dispositif.
L'importance quantitative du phénomène de la traite des êtres humains, qui touche entre 2 et 3 millions de personnes supplémentaires chaque année, dont plusieurs centaines de milliers en Europe, et son caractère absolument inacceptable, dans la mesure où il détruit peu à peu ses victimes, à la fois moralement et physiquement, imposent que ce mécanisme de contrôle soit encore renforcé. Il ne suffit pas que les États prennent conscience de la gravité de trafics, qui génèrent des profits de l'ordre d'une dizaine de milliards de dollars par an, lesquels financent ensuite d'autres activités criminelles, ni qu'ils approuvent des accords internationaux destinés à les combattre. De telles démarches ne peuvent constituer qu'un premier pas. Il faut qu'ils mettent en oeuvre ces instruments et se dotent, au niveau national, des moyens juridiques et humains nécessaires à la conduite de ce combat, qui requiert l'attention et la rigueur de tous.
La vigilance de la communauté internationale dans ce domaine doit être sans faille. Elle doit pouvoir aller jusqu'à l'exercice d'une forme efficace de pression sur les États négligents. Aussi serait-il éminemment souhaitable que les recommandations adoptées par le comité des parties soient également publiées, de même que les informations prouvant que l'État concerné les a suivies dans le délai prescrit. Cette publicité me semble susceptible d'être mise en oeuvre sans amendement à la convention puisque celle-ci stipule que le comité des partis adopte ses propres règles de procédure.
Le groupe d'experts pourrait aussi tirer les conséquences du résultat de ses travaux d'évaluation, et le comité des parties du respect de ses recommandations, par la publication d'une liste répertoriant les États les moins soucieux de la mise en oeuvre des stipulations de la convention, sur le modèle de la liste des pays dont la législation est particulièrement propice au blanchiment, dressée par le Groupe d'action financière contre le blanchiment des capitaux, ou des listes élaborées par Transparency International. Ces deux organisations listent les pays dont les fonctionnaires et les responsables politiques sont les plus corrompus et les pays exportateurs les plus corrupteurs.
Pour essentielle qu'elle soit, l'amélioration de l'efficacité de la convention du Conseil de l'Europe, dont les signataires sont tous européens, ne doit pas faire oublier, par contraste, les limites du protocole de Palerme en vigueur dans 112 États répartis sur tous les continents. Il m'apparaît indispensable que le protocole de Palerme soit, lui aussi, doté d'un mécanisme de contrôle de sa mise en oeuvre : compte tenu de son engagement sans faille dans la lutte contre la traite des êtres humains, la France devrait envisager de proposer un amendement en ce sens. Le protocole le permet à chaque État partie, à l'expiration d'un délai de cinq ans à compter de son entrée en vigueur. Celle-ci étant intervenue le 25 décembre 2003, notre pays dispose encore d'un an et demi pour élaborer une proposition d'amendement qui renforcerait l'effectivité d'un instrument incontournable de la lutte contre la traite des êtres humains à l'échelle planétaire.
Dans l'attente de cette initiative, j'appelle naturellement notre assemblée à adopter, à la suite de la commission que je préside, le projet de loi autorisant le Gouvernement à ratifier la convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains. (Applaudissements sur tous les bancs.)
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, voilà plus d'un siècle que la traite négrière a été abolie, plus de deux siècles que ce commerce avait été pensé et la mort de millions d'êtres humains dans des conditions atroces doit nous rappeler nos responsabilités, puisque les pays européens ont pratiqué ce commerce à grande échelle et de manière quasi-industrielle, et se sont enrichis grâce à lui. Aujourd'hui, nous sommes de nouveau confrontés à la traite des êtres humains. Mais cette activité criminelle ne concerne plus seulement les populations africaines : enfants, travailleurs, femmes, jeunes, toutes les populations fragiles vivant dans une extrême pauvreté, que ce soit en Afrique, en Asie, en Amérique latine ou dans certains pays européens, en sont victimes. C'est un fait quasi-mondial, hélas !
La traite des êtres humains, c'est le déni de la totalité des droits humains : droit à la liberté, à l'intégrité et à la sûreté des personnes, droit de ne pas être soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, droit de circuler librement, droit de vivre en famille, droit à la santé et à l'éducation. C'est une nouvelle modalité de l'esclavage qui exige une approche et une analyse dépassant largement toute vision politique réductrice.
Lorsque l'on évoque la traite des êtres humains, on la réduit presque systématiquement à la prostitution et au proxénétisme. Or on trouve des enfants, des femmes, des hommes, des jeunes forcés de se vendre pour atténuer leur misère dans des secteurs aussi variés que l'industrie minière et agroalimentaire, celle de la chaussure et du textile ou les travaux saisonniers agricoles. Il faut donc élargir à ces secteurs le problème de la traite des êtres humains ; or celle-ci ne recouvre pas seulement la prostitution ou la migration illégale.
Dans sa résolution 59166 de mars 2005, l'assemblée générale de l'ONU a souligné à juste titre que la traite des êtres humains doit être abordée dans le contexte de la mondialisation et rappelé que les victimes sont particulièrement exposées au racisme, à la discrimination raciale, à la xénophobie et à l'intolérance. La traite des êtres humains n'est pas un phénomène isolé. Elle est avant tout un sous-produit de l'organisation sociale internationale d'une société darwinienne où règne la loi du plus fort. J'en prendrai pour exemple, parmi des centaines, le cas de l'Afrique de l'Ouest où 15 à 20 millions de personnes vivent, directement ou indirectement, du coton. En raison de sa bonne qualité, le coton est l'un des rares secteurs relativement compétitifs d'Afrique. Dès 2001, quatre pays du Sahel parmi les plus pauvres de la planète – Tchad, Burkina Faso, Mali, Bénin – ont demandé à l'OMC la suppression des subventions massives que les États-Unis et l'Union européenne accordent à leurs producteurs, ces aides alimentant une surproduction mondiale qui provoque la chute des cours. De fait, en 2005, le prix mondial des 500 grammes de coton est tombé au-dessous de 40 centimes d'euros, ruinant la plupart des producteurs de coton africains et leur famille et aggravant la situation de misère sociale déjà généralisée. Il faut dire aussi que les bailleurs de fonds internationaux – FMI et Banque mondiale – avaient imposé à ces pays la plus stricte orthodoxie économique, ce qui s'est traduit par l'ouverture forcée des marchés et la privatisation massive des services publics, y compris celle des compagnies cotonnières. Ces critères dits d'ajustement structurel ont jeté un nombre important d'Africains dans une extrême pauvreté. Pour y échapper, certains d'entre eux n'ont pas eu d'autre choix que de tomber dans le trafic des êtres humains, certains se retrouvant en Europe.
Si la lutte contre la traite des êtres humains est du devoir du citoyen qui revendique l'égalité pour tous, cette question ne peut être abordée indépendamment de celle du développement des pays dont sont issues les victimes de la traite. L'Afrique n'est plus la seule victime de cette nouvelle forme d'esclavage ; dans un contexte de mondialisation sauvage et généralisée, la traite des êtres humains s'est développée sur l'ensemble des continents, touchant également de plein fouet les pays de l'ancien bloc soviétique.
La traite des êtres humains est pratiquée à des fins très diverses : de l'exploitation au travail des mineurs, du personnel de maison – y compris dans les ambassades –, du personnel de restauration, des employés de sous-traitance, au trafic d'organes, l'exploitation des êtres humains en est à la fois l'objectif principal et le modus operandi.
Je veux souligner l'intérêt de la définition proposée à l'article 4 de la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée du 15 décembre 2000. La traite des êtres humains est une combinaison de tous les éléments repris ci-dessus et non d'éléments pris isolément. Cette définition large, également adoptée par la convention du Conseil de l'Europe dans son article 4, constitue une base juridique qui exigera un changement tant de notre politique que de notre cadre normatif.
En France, la politique mise en oeuvre pour combattre la traite des êtres humains s'appuie sur une conception restrictive et exclusivement répressive, contrairement à la définition adoptée par le texte du traité, et fort peu adaptée à la réalité. L'action de l'Office central de répression de la traite des êtres humains se limite à constater et à réprimer toute infraction ayant trait au proxénétisme, à centraliser tous les renseignements pouvant faciliter la recherche du trafic des êtres humains pour l'exploitation de la prostitution et à coordonner toutes les opérations tendant à la répression de ce trafic sur l'ensemble du territoire national. Alors que certains pays européens ont mis en place des mécanismes de protection des victimes de la traite, la France continue à considérer ces femmes et ces hommes comme des étrangers en situation irrégulière. Dès lors, aucune protection réelle des victimes ni aucun programme de réhabilitation ne sont envisagés. L'OCRTEH ne dispose d'aucun outil juridique spécifique pour lutter contre la traite des êtres humains. En l'absence de volonté politique, les forces de police ne disposent pas de structure où adresser les victimes pour les protéger.
La politique conduite en France est donc loin de la définition adoptée par la convention du Conseil de l'Europe. C'est la conséquence logique d'une approche très restrictive et réductrice : la lutte contre la traite des êtres humains est associée et pratiquement réduite à la lutte contre la migration illégale et contre le proxénétisme. La France doit donc adapter sa législation pénale et sa politique de lutte contre la traite des êtres humains en tenant compte de la nécessité d'élargir ce cadre. Une incrimination spécifique à la traite des êtres humains, telle que définie par la convention du Conseil de l'Europe, doit être introduite dans notre code pénal. Mais, dans le même temps, pour mener un vrai combat contre la traite, il est indispensable d'abroger les lois qui font l'amalgame entre criminalité internationale, immigration étrangère et traite des êtres humains.
Une politique de prévention, portant sur la protection des enfants et des victimes, l'accueil et un traitement décents dans le respect des droits humains fondamentaux, est la seule orientation qui peut se révéler efficace dans la lutte contre la traite des êtres humains. Elle doit faire l'objet d'une campagne de sensibilisation efficace dans les écoles et les divers établissements publics d'éducation. Mais je n'en trouve la trace nulle part dans les projets du Gouvernement, qui adopte plutôt une approche répressive. Quelles sont donc ses intentions s'agissant du lancement, dans les prochains mois, d'une telle campagne de sensibilisation en direction de l'enfance et de la jeunesse ?
Il est temps de mettre fin aux amalgames entre migration, criminalité organisée, sécurité, étrangers et traite des êtres humains. Tant qu'on ne prendra pas en compte les causes profondes, qui résident dans les disparités de développement entre pays riches et pays pauvres, y compris à l'intérieur de l'Europe, la lutte contre la traite des êtres humains, inscrite uniquement dans une politique visant à défendre la sécurité de la forteresse Europe sur des bases nettement répressives, sera insuffisante et n'agira que comme un cautère sur une jambe de bois.
Malgré toutes ces observations et les questions que j'ai pu poser en commission, le groupe de la Gauche démocrate et républicaine votera ce traité, qui constitue une première étape, en attendant les autres. (Applaudissements.)
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, un triste constat s'impose : l'asservissement de l'homme par l'homme est une tentation qui se renouvelle de génération en génération. Comme l'a rappelé notre rapporteure, c'est un phénomène global.
Dans les siècles passés, la traite humaine était associée au négoce transatlantique. Force est de le reconnaître, l'esclavage fait partie des ombres de notre histoire. Chez certains esprits, et jusque chez Voltaire, la philosophie des Lumières a pu coexister avec une indifférence totale vis-à-vis de cette pratique. Cependant, une prise de conscience s'est opérée par la suite. On aurait pu espérer que les appels de l'abbé Grégoire, puis l'action déterminée de Victor Schoelcher, avaient solidement enraciné dans la mentalité collective la conviction que « tant qu'il restera un esclave sur la surface de la terre, l'asservissement de cet homme est une injure permanente faite à la race humaine tout entière ». Malheureusement, il n'en est rien. Le grand banditisme a pris la suite des négriers dans l'organisation du trafic des êtres humains. Chaque année, ce commerce honteux fait plus de 700 000 victimes dans le monde.
La pauvreté est la cause première de l'essor de la traite humaine sous sa forme contemporaine. Jetant les plus démunis, donc les plus vulnérables, dans le désespoir, elle les accule à saisir tous les moyens pour assurer leur subsistance. Elle fait de femmes et d'enfants les proies sans défense des prodigues de fausses promesses.
Fléau international, la traite humaine appelle une réponse internationale. À nouveau, je me réjouis de ce que, fidèle à sa mission de veilleur des droits de l'homme, le Conseil de l'Europe ait pris l'initiative d'organiser juridiquement la riposte autour de deux principes : la répression des trafiquants et l'accompagnement des victimes.
Pour contrer le développement de la traite, il faut sans nul doute s'attaquer à ses causes profondes. Ainsi, l'un des premiers objectifs du co-développement, dont les voies font débat aujourd'hui, doit être l'extinction des phénomènes qui contraignent les femmes à se prostituer et les parents à vendre leurs enfants. Parallèlement, la répression des proxénètes et des passeurs doit être poursuivie sans relâche. En Europe, plus particulièrement, l'organisation de la traite humaine à une large échelle est aussi contradictoire aujourd'hui avec nos valeurs communes que la traite transatlantique pouvait l'être avec l'esprit des Lumières. C'est pourquoi je ne saurais trop appuyer l'inclusion de la lutte contre la traite au nombre des thèmes de la coopération bilatérale et multilatérale en Europe, notamment dans les relations entre les pays de l'Est de l'Union européenne et la Russie. Les contrôles coordonnés aux frontières, en particulier, doivent être concrètement développés et suivis d'une répression effective.
Dans l'ordre interne, j'en suis convaincu, le Gouvernement a une préoccupation analogue. Aussi, monsieur le ministre, je souhaiterais que vous nous apportiez des précisions sur un point qui relève directement des prérogatives de souveraineté de la France, comme de tout État indépendant, à savoir les dispositions prises pour prévenir et déjouer l'utilisation de la procédure de délivrance des visas de séjour en vue de la constitution illicite de filières d'immigration. Par ailleurs, le soutien aux victimes de la traite implique des mesures d'accompagnement par les services français compétents : délivrance de documents de séjour temporaire, organisation du retour dans le pays d'origine dans des conditions propres à empêcher un nouvel enrôlement dans une filière de prostitution. L'efficacité de cette action dépend de la qualité de la coopération avec les autorités des pays d'origine.
Je terminerai mon propos par une remarque plus générale. L'organisation des filières de la traite humaine se confond souvent avec les réseaux d'immigration clandestine. Ce constat s'est imposé au Conseil européen de Séville, qui s'est tenu il y a cinq ans, en juin 2002, et a débouché sur l'élaboration d'un plan global de lutte contre l'immigration clandestine et la traite des êtres humains. Qu'en est-il aujourd'hui, monsieur le ministre, de la mise en oeuvre de ce plan ?
Sous le bénéfice de ces quelques interrogations, et parce qu'il partage les objectifs de la Convention, le groupe du Nouveau Centre votera le projet de loi qui en autorise la ratification.
La discussion générale est close
La parole est à M. le secrétaire d'État.
Je me réjouis du soutien exprimé à la ratification de cette convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains. Il y a, je crois, un consensus pour rappeler l'importance de ce texte tout à fait fondamental, qui représente une avancée par rapport aux textes multilatéraux acceptés jusqu'à présent. Je souscris bien évidemment à l'analyse présentée par Mme Bousquet.
J'ai bien noté la recommandation présentée par M. le président Axel Poniatowski au nom de la commission des affaires étrangères. Nous avons, en effet, la possibilité juridique de proposer un amendement au protocole à la convention de Palerme. Un meilleur suivi est certes souhaitable. Le Gouvernement examinera avec la plus grande attention les propositions présentées à cette fin, dans ce domaine comme dans d'autres.
Nous devrons assumer également la promotion de l'adhésion des États membres du Conseil de l'Europe à la convention que nous examinons aujourd'hui, dont les dispositions sont plus ambitieuses.
Monsieur Lecocq, il est en effet extrêmement important de développer une action de sensibilisation. Nous engagerons les actions adéquates.
Monsieur Rochebloine, les agents des consulats et les services recevront des instructions, afin que le meilleur suivi possible soit mis en place. Pour ce qui concerne enfin les conclusions du Conseil de Séville, nous irons dans le sens que vous avez indiqué.
Je ne suis saisi d'aucune explication de vote.
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
(L'article unique du projet de loi est adopté.)
L'ordre du jour appelle la discussion :
- du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification du protocole n° 13 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales relatif à l'abolition de la peine de mort en toutes circonstances (nos 5, 97).
- du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'adhésion au deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques visant à abolir la peine de mort (nos 10, 97).
La conférence des présidents a décidé que ces deux textes feraient l'objet d'une discussion générale commune.
La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des affaires européennes.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, j'ai l'honneur de vous présenter le protocole n° 13 à la Convention européenne des droits de l'homme signé par la France le 3 mai 2002, ainsi que le second protocole facultatif se rapportant au pacte international relatif aux droits civils et politiques visant à abolir la peine de mort adopté dans le cadre des Nations unies le 15 décembre 1989.
Le processus de ratification de ces protocoles avait été, comme vous le savez, engagé fin 2002. Mais un doute subsistait à la suite de l'interprétation donnée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 22 mai 1985.
En effet, en raison de l'abolition de la peine de mort en toutes circonstances, à laquelle ces deux protocoles conduisent, il était nécessaire de savoir si la ratification de ces deux protocoles pouvait être de nature à faire obstacle à un éventuel rétablissement de la peine de mort par le Président de la République, au titre des pouvoirs exceptionnels qu'il tire de la Constitution, et notamment de l'article 16.
Saisi par le Président de la République le 22 septembre 2005, le Conseil constitutionnel a opéré un raisonnement distinct pour les deux protocoles.
S'agissant du protocole n° 13, le Conseil constitutionnel a estimé qu'il ne contenait aucune clause contraire à la Constitution. Il s'est fondé sur la possibilité de dénonciation de ce protocole découlant de l'article 58 de la Convention européenne des droits de l'homme pour juger qu'il ne portait pas atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.
En revanche, le Conseil constitutionnel a conclu différemment s'agissant du second protocole facultatif. Ce dernier, en effet, exclut toute dérogation et n'autorise qu'une seule réserve pour les législations applicables en temps de guerre aux crimes de caractère militaire d'une gravité extrême et commis en temps de guerre. Cette réserve n'est possible qu'au moment de la ratification et le protocole ne peut être dénoncé par la suite. C'est pourquoi, estimant que l'adhésion à ce protocole qui touche à un domaine inhérent à la souveraineté nationale lierait irrévocablement la France, même dans le cas où un danger exceptionnel menacerait l'existence de la nation, le Conseil constitutionnel en a conclu que le second protocole portait atteinte aux conditions essentielles de la souveraineté et que sa ratification ne pouvait intervenir qu'après révision de la Constitution.
Compte tenu de l'objet des deux protocoles, il a été jugé préférable de lier les deux processus de ratification. Comme vous le savez, le Congrès a procédé, le 19 février dernier, à cette révision constitutionnelle et a donné un caractère irréversible à l'abolition de la peine de mort en inscrivant à l'article 66-1 de la Constitution : « Nul de peut être condamné à mort ». Cette révision constitutionnelle est la consécration de l'action engagée par la France pour l'abolition de la peine de mort depuis la loi du 9 octobre 1981. Désormais, la ratification de ces deux protocoles est juridiquement possible. Politiquement, elle marque un engagement fort de la France en faveur des droits de l'homme.
Le protocole n° 13 ratifié par trente-neuf États membres du Conseil de l'Europe, dont vingt-deux États membres de l'Union européenne est entré en vigueur le 1er juillet 2003.
Quant au second protocole facultatif, se rapportant au pacte international relatif aux droits civils et politiques visant à abolir la peine de mort, soixante États membres de l'Organisation des Nations unies l'ont ratifié à ce jour, dont vingt-quatre États membres de l'Union européenne. Il est entré en vigueur le 11 juillet 1991.
Avec la ratification du protocole n° 13 et l'adhésion au second protocole facultatif, la France parachèvera le processus d'exclusion de la peine de mort. Elle s'honorera et renforcera sa réputation de patrie des droits de l'homme.
Je vous remercie, mesdames, messieurs les députés, de l'autorisation que vous voudrez bien donner, pour que la France devienne partie à ces deux protocoles. (Applaudissements sur de nombreux bancs.)
La parole est à M. le rapporteur de la commission des affaires étrangères.
rapporteur de la commission des affaires étrangères. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nombreuses sont, vous le savez, les voix qui se sont élevées et s'élèvent, aujourd'hui encore dans le monde pour obtenir l'interdiction absolue, définitive et irrévocable de la peine de mort. Comme Victor Hugo le rappelait à la tribune de l'Assemblée nationale constituante en 1848, …
…il s'agit ainsi « de consacrer une inviolabilité plus haute et plus sainte encore : l'inviolabilité de la vie humaine». Son appel solennel a été relayé par de nombreux défenseurs de l'abolition de la peine capitale, dont le combat, souvent difficile, n'est jamais terminé.
Dans l'actualité récente, la libération des cinq infirmières bulgares et du médecin palestinien, fruit des efforts et de la détermination de nos partenaires européens, de la Commission européenne et de l'action décisive du Président de la République vient le rappeler : le renoncement à la peine de mort relève d'un combat permanent qui requiert une mobilisation sans faille et notre plus haute vigilance.
À cet égard, je tiens à souligner que la cause abolitionniste gagne du terrain dans le monde. Plus de la moitié des États ont déjà aboli la peine capitale dans leur législation ou dans les faits. D'après l'organisation de défense des droits de l'homme Amnesty International, quatre-vingt-neuf pays et territoires ont aujourd'hui proscrit la peine de mort pour tous les crimes ; dix pays l'ont abolie, sauf pour les crimes exceptionnels tels que ceux commis en temps de guerre ; trente pays peuvent être considérés comme abolitionnistes de facto dans la mesure où, si la peine de mort est toujours prévue par leur législation, ils n'ont procédé à aucune exécution depuis au moins dix ans.
Au total, ce sont donc 129 pays et territoires qui ont renoncé à recourir à la peine capitale de jure ou de facto.
II reste toutefois soixante-huit pays dans le monde qui maintiennent la peine de mort et appliquent ce châtiment. Au cours de l'année 2006, au moins 1 591 prisonniers furent exécutés et 3 861 personnes condamnées à mort – toujours selon Amnesty International – qui considère ces chiffres comme très certainement en deçà de la réalité. Rappelons que 91 % des exécutions recensées ont eu lieu en Chine, en Iran, au Pakistan, en Irak, au Soudan et aux États-Unis.
Dans ce dernier pays, la Constitution fédérale laisse, en effet, aux États fédérés la maîtrise de leur législation pénale ; l'application de la peine de mort relève donc de leur seule compétence. À l'heure actuelle, douze États ne prévoient pas la peine capitale dans leur législation, tandis que trente-huit autres l'ont rétablie, avec, toutefois, dans certains cas, l'application d'un moratoire sur les exécutions.
Pour en terminer avec ce panorama international, nécessaire à la compréhension du dossier, rappelons que les tribunaux pénaux internationaux pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda, ainsi que la Cour pénale internationale, excluent le recours à la peine capitale et ne prévoient comme peine ultime que la détention à perpétuité.
En France, la peine de mort a été abolie par la loi du 9 octobre 1981. Depuis le 24 février 2007 – et après le Congrès du 19 février où chacun a en tête le magnifique discours de l'ancien garde des sceaux, Robert Badinter – cette interdiction est inscrite dans notre Constitution dont le nouvel article 66-1 proclame : « Nul ne peut être condamné à la peine de mort ». L'adoption des deux protocoles qui nous sont soumis aujourd'hui – l'un européen, l'autre onusien – permettra à la France de parachever cet édifice juridique, protecteur des droits et des libertés fondamentales des individus, tout en réaffirmant sa détermination à défendre la cause abolitionniste dans le monde.
Le premier protocole est le treizième protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme de 1950. À la suite de plusieurs initiatives de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, un premier texte, le protocole additionnel n° 6, a été adopté en 1983, qui abolit la peine de mort en temps de paix. Avec ce protocole n° 6, l'Europe est passée d'une situation de tolérance de la mort légale à sa prohibition. Il convient, en effet, de garder à l'esprit que, si la Convention européenne des droits de l'homme proclame le droit à la vie, elle n'exclut cependant pas la possibilité d'atteintes à ce droit « en exécution d'une sentence capitale prononcée par un tribunal, au cas où le délit est puni de cette peine par la loi ». Ce premier protocole n° 6 a donc constitué une étape décisive en instituant une obligation, pour les États qui y adhèrent, de supprimer de leur législation, le recours à la peine capitale en temps de paix.
Dans le but de conférer une autorité particulière à ce texte, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a adopté, en 1994, une résolution aux termes de laquelle l'une des conditions à satisfaire par les nouveaux États désireux d'adhérer à l'organisation étaient d'instituer un moratoire immédiat sur les exécutions, accompagnée d'un engagement de signer et de ratifier le protocole additionnel n° 6 dans un délai de un à trois ans. L'abolition de la peine de mort est ainsi devenue une condition d'adhésion au Conseil de l'Europe.
Toutefois, si l'adoption du protocole additionnel n° 6 a constitué un progrès incontestable, la possibilité qu'il laisse ouverte de recourir à la peine de mort en temps de guerre est apparue incompatible avec l'affirmation de valeurs démocratiques communes et l'instauration d'un « espace européen sans peine de mort ». Une étape essentielle allait cependant être franchie, à l'occasion du cinquantième anniversaire de la Convention européenne des droits de l'homme. Au cours de la célébration de cet anniversaire, les États-membres sont, en effet, convenus d'élaborer un nouveau protocole interdisant le recours à la peine capitale en temps de guerre, c'est-à-dire en toutes circonstances. Cette décision a conduit à l'adoption du protocole additionnel n° 13 à la Convention européenne des droits de l'homme, dont la ratification nous est aujourd'hui proposée.
Comme son intitulé l'explicite, le protocole n° 13 a pour objet de proscrire la peine de mort en temps de paix comme en temps de guerre. Il se différencie ainsi du protocole n° 6 qui admet le recours à la peine de mort pour « des actes commis en temps de guerre ou de danger imminent de guerre ». Le protocole n° 13 constitue donc une avancée décisive pour la réalisation de l'objectif, poursuivi par le Conseil de l'Europe, d'exclusion totale de la peine capitale comme sanction qu'un État peut infliger. De par son objet, ce protocole vient renforcer la reconnaissance du droit à la vie, proclamé par l'article 2 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui devient ainsi un véritable droit. Ratifier le protocole additionnel n° 13 à la Convention européenne des droits de l'homme revient donc à renoncer définitivement à la peine de mort et à faire du droit à la vie un attribut inaliénable de la personne humaine.
Je souhaiterais apporter une dernière précision au sujet de ce protocole. Dans sa décision du 13 octobre 2005, le Conseil constitutionnel a considéré que, dans la mesure où la Convention européenne des droits de l'homme prévoit une possibilité de dénonciation, le protocole additionnel n° 13 pouvait être ratifié sans révision de la Constitution. En réalité, une difficulté est apparue pour l'adhésion au protocole onusien que je vais maintenant évoquer.
Le second texte, que l'on nous demande d'approuver, est le deuxième protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, visant à abolir la peine de mort.
Là encore, je souhaiterais brièvement rappeler les conditions dans lesquelles ce protocole onusien a été élaboré. Ce deuxième protocole facultatif vient compléter le dispositif institué par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté en 1966 par l'Assemblée générale des Nations unies. Avec le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, il établit un régime juridique contraignant de protection des droits de l'homme que la Déclaration universelle de 1948, dépourvue de force obligatoire, n'avait pas permis d'instaurer véritablement.
Le pacte de 1966 relatif aux droits civils et politiques proclame, dans son article 6, le droit à la vie. Il autorise toutefois dans certains cas le recours à la peine capitale, tout en l'encadrant. Ainsi, le pacte précise que la peine capitale ne peut être appliquée qu'en vertu d'un jugement définitif rendu par un tribunal compétent. En outre, le acte interdit qu'une sentence de mort puise être imposée pour des crimes commis par des personnes de moins de dix-huit ans ou puisse être exécutée contre des femmes enceintes.
Il n'en est pas moins apparu souhaitable, pour un grand nombre d'États, de se doter d'un instrument international, juridiquement contraignant, prohibant la peine de mort. C'est ainsi que le deuxième protocole facultatif au Pacte de 1966, visant à abolir la peine de mort, a été élaboré et adopté, le 15 décembre 1989, par l'Assemblée générale des Nations unies.
Ce protocole facultatif de 1989, celui-là même qui nous est aujourd'hui soumis, vise à abolir la peine capitale en temps de paix comme en temps de guerre. Il s'applique donc en toutes circonstances. À cet égard, il convient de relever que ce protocole interdit expressément toute suspension à l'application de ses dispositions, y compris dans le cas « où un danger public exceptionnel menace l'existence de la nation », selon les termes de son article 6.
Enfin, le deuxième protocole facultatif de 1989 ne peut être dénoncé. C'est d'ailleurs précisément sur cet aspect que le Conseil constitutionnel a estimé, dans sa décision d'octobre 2005 que j'ai évoquée précédemment, que la France ne pouvait adhérer à ce protocole sans modifier préalablement sa Constitution. Le Conseil a considéré, en effet, que le deuxième protocole facultatif ne pouvant être dénoncé, il lierait irrévocablement notre pays et porterait, dès lors, atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale. C'est la raison pour laquelle nous avons modifié, en février dernier, notre Charte fondamentale. Désormais, la loi constitutionnelle du 24 février 2007 relative à l'interdiction de la peine de mort rend possible l'adhésion sans réserve de la France au deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Dans ces conditions, en adhérant à ces deux protocoles rattachés, l'un à la Convention européenne des droits de l'homme, l'autre au Pacte onusien de 1966 sur les droits civils et politiques, notre pays réaffirmera son engagement en faveur de l'abolition définitive de la peine capitale dans le monde.
C'est pourquoi je vous invite, au nom de la commission des affaires étrangères, à voter les projets de loi n°s 5 et 10 visant à approuver ces deux protocoles relatifs à l'abolition de la peine de mort. (Applaudissements sur tous les bancs.)
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, « partout où la peine de mort est prodiguée, la barbarie domine, partout où la peine de mort est rare, la civilisation règne », écrivait Victor Hugo. La ratification du protocole n° 13 à la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales relatif à l'abolition de la peine de mort en toutes circonstances, d'une part, et l'adhésion au deuxième protocole facultatif se rapportant au pacte international relatif aux droits civils et politiques visant à abolir la peine de mort, d'autre part, traduisent non seulement la volonté de la nation de confirmer symboliquement l'abolition de la peine de mort en France en toutes circonstances, mais encore d'adhérer au mouvement universel des abolitionnistes dans le monde. C'est un acte de civilisation.
C'est d'abord l'aboutissement juridique d'un processus que je vais rappeler brièvement, c'est aussi une décision solennelle, irréversible en toutes circonstances, même en temps de guerre. C'est enfin une avancée vers l'abolition totale et universelle de la peine de mort.
L'aboutissement juridique d'un long processus : faut-il souligner ici la barbarie que constitue la peine de mort ? Celle qui se pare des habits de la justice et qui n'est que la loi du talion ? La peine capitale, au sens étymologique, consistait à séparer la tête – caput, capitis – du corps du condamné ; ce qui, symboliquement, se voulait une atteinte à la pensée, à l'intelligence, à l'esprit qui constituent la marque de l'humain et réduisait le condamné à un corps désarticulé : mort spirituelle et châtiment corporel... De très nombreuses consciences éminentes comme Voltaire, Victor Hugo, Jaurès, Camus et bien d'autres ont souligné cette barbarie ; je ne développerai donc pas davantage.
Le 30 septembre 1981, le Sénat adoptait définitivement l'abolition de la peine de mort en France, proposée par Robert Badinter sous la présidence de François Mitterrand. Ce fut une décision courageuse et responsable face à une opinion publique à l'époque défavorable.
La ratification du protocole n° 6 à la convention européenne votée le 31 décembre 1985, par le fait que celui-ci interdisait, à tous les États l'ayant adopté, de rétablir la peine de mort, a incontestablement constitué une avancée juridique importante – même si le Président de la République gardait une possibilité de dénonciation – et un acte politique majeur.
Enfin, la révision constitutionnelle du 19 février 2007, dans la brièveté de son article – « Nul ne peut être condamné à la peine de mort » – consacrait le caractère irréversible de cette décision en France, coupant court à toute possibilité de contentieux juridique. Ainsi, il n'y avait plus d'obstacle à la ratification du protocole n° 13, ni à l'adhésion au protocole facultatif au pacte international dont nous débattons.
Sans revenir sur les explications juridiques de M. le ministre et l'exposé documenté et précis de notre rapporteur, le caractère irréversible de cette décision est essentiel. C'est bien l'abolition de la peine de mort en toutes circonstances, y compris en temps de guerre que nous allons voter. C'est en tout cas ce que signifie la ratification du protocole n° 13 à la convention des droits de l'homme et des libertés fondamentales, même si l'adhésion au protocole de l'ONU n'a pas, quant à elle, tout à fait les mêmes implications.
La France, tant en Europe qu'au sein de l'ONU, est fidèle à la défense du droit à la vie, à la défense des droits de l'homme, acquis de la Révolution française, devenus des droits universels. Mais il reste encore du chemin à parcourir. Il nous faut militer pour un mouvement universel d'abolition de la peine de mort.
L'émotion suscitée par la condamnation à mort des cinq infirmières bulgares et du médecin palestinien et leur long enfermement souligne l'actualité du combat inlassable que nous devons mener contre la peine de mort dans le monde.
Même si aujourd'hui chacun se réjouit de leur libération, le temps de la transparence sur les négociations et prérogatives est venu.
Ce combat contre la peine de mort doit se poursuivre au-delà des frontières. C'est une exigence politique, morale, humaine alors que cette peine est encore appliquée dans de nombreux pays : soixante-huit selon notre rapporteur, parmi lesquels la Russie et la Biélorussie, l'Iran, l'Irak, l'Inde, la Chine, le Japon et les États-Unis.
Comment ne pas évoquer les Jeux Olympiques de 2008 à Pékin ? Quelle belle perspective que de dialoguer avec la Chine mais aussi avec tous les pays du monde participant à cette grande fête pour aller, au-delà de la traditionnelle trêve olympique, vers un moratoire puis une décision juridique abolissant la peine de mort, « l'abolition pure, simple et définitive », comme le voulait Victor Hugo.
Tout comme, je n'en doute pas, les autres groupes présents dans cet hémicycle, le groupe socialiste, radical et citoyen votera les projets de loi complémentaires de ratification du protocole n° 13 à la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales relatif à l'abolition de la peine de mort en toutes circonstances et l'adhésion au deuxième protocole facultatif se rapportant au pacte international relatif aux droits civils et politiques visant à abolir la peine de mort.
Le Sénat avait voté l'abolition définitive de la peine de mort le 30 septembre 1981 ; le Congrès l'a inscrite dans la Constitution française le 19 février 2007 ; dans un instant, l'Assemblée va ratifier définitivement les conventions et protocoles internationaux l'abolissant en toutes circonstances. Il y a dans l'histoire de la République de grandes étapes – on a évoqué l'abolition de l'esclavage : nous vivons aujourd'hui un moment solennel dans la marche du progrès de l'humanité, l'« humaine condition » de Montaigne ou, comme le dit le professeur Albert Jacquard, l'« humanitude ». (Applaudissements sur tous les bancs.)
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je ne crois pas qu'il soit pertinent de revenir sur l'histoire des débats passionnés suscités par l'abolition de la peine de mort, mais il est certain que l'âme de Victor Hugo plane sur notre assemblée ce matin.
La peine de mort a toujours été et est la pire forme de châtiment qui soit : cruel, inhumain, dégradant et irréversible. Combien d'exemples avons-nous de condamnés exécutés alors que leur innocence a été prouvée par la suite ? De plus, tout le monde s'accorde à dire que son effet dissuasif n'a jamais été démontré.
C'est pour moi un honneur, pour mon premier mandat, d'intervenir dans ce débat si important pour la France et pour la protection des droits humains, en particulier celui de ne pas être privé de la vie.
Il y a vingt-six ans, notre pays prenait la décision d'abolir la peine de mort, convaincu de la nécessité de respecter le droit inaliénable à la vie et à la dignité humaine. Cette année, un pas de plus a été franchi avec l'introduction dans notre Constitution d'un nouvel article proclamant : « Nul ne peut être condamné à la peine de mort ». Et nous continuons aujourd'hui avec la ratification du protocole n° 13 et l'adhésion au deuxième protocole facultatif, qui contribueront à renforcer, d'une part, la protection du droit à la vie et, d'autre part, le droit de ne pas en être privé de manière arbitraire. Sur le plan national, cette avancée complémentaire de notre système pénal constitue une garantie ; sur le plan international, elle marque un pas important vers l'abolition universell. L'adoption de ces deux instruments juridiques donnera un poids moral et politique aux campagnes que la France lancera en vue d'une abolition universelle.
Si l'abolition de la peine de mort est une réalité chez nous, la « barbarie », selon le terme de Victor Hugo, consistant à priver de la vie un être humain, est encore présente dans de nombreux pays. Soixante-huit pays maintiennent toujours la peine de mort et appliquent ce châtiment comme méthode de lutte contre certains crimes, alors que quatre-vingt-neuf l'ont aboli de manière absolue. En 2006, près de 1 590 prisonniers ont été exécutés dans vingt-cinq pays ; 3 861 personnes ont été condamnées à mort dans cinquante-cinq autres. Aux États-Unis, au cours de l'année 2007, trente personnes ont été exécutées par injection létale. De nombreuses exécutions ont eu lieu également dans d'autres pays. Pire encore, on exécute des mineurs. Dans certains États des États-Unis, l'âge minimal pour l'application de la peine de mort est de seize ans, dans d'autres de dix-sept ans. Pourtant, la Convention internationale des droits de l'enfant, en son article 6, garantit à tous les enfants le droit inhérent à la vie tandis que son article 37 énonce sans ambiguïté que la peine capitale ne peut s'appliquer aux moins de dix-huit ans. Ces dispositions ne font que confirmer celle de l'article 6.5 du pacte relatif aux droits civils et politiques qui interdit également la peine capitale contre les mineurs.
Certes, les exécutions de mineurs sont peu nombreuses, mais là n'est pas le point essentiel. L'important est de savoir si les États qui appliquent la peine de mort ont la volonté de respecter les normes internationales. Le 18 juillet dernier, l'État de Floride a repris les exécutions, mettant fin au moratoire édicté en décembre 2006 après l'agonie d'un condamné à mort qui avait duré plus d'une demi-heure, preuve s'il en est de la cruauté de cette peine extrême.
Les méthodes d'exécution, on le sait, ne sont pas moins cruelles que la peine elle-même. Elles débordent d'imagination : décapitation, électrocution, pendaison, injection létale, exécution par arme à feu, lapidation. Ajoutons à cela que les condamnés doivent parfois attendre plus de vingt ans leur exécution dans les couloirs de la mort. La peine de mort est cruelle en elle-même, mais la procédure judiciaire, qui entraîne l'incertitude de l'exécution, peut être qualifiée de torture. Je pense à Mumia Abu Jamal qui attend la révision de son procès depuis vingt-cinq ans. Mais combien d'autres sont dans le même cas ?
Revenons aux textes qui nous sont soumis et aux différences essentielles qu'ils présentent.
Le protocole n° 13 vise l'abolition totale de la peine de mort en toutes circonstances, y compris en temps de guerre – je rappelle à ce propos que la loi de 1981 sur l'abolition de la peine de mort n'excluait pas ces circonstances exceptionnelles. Ce texte complète le protocole n° 6 à la convention de 1982, premier instrument juridiquement contraignant en Europe prévoyant l'abolition de la peine capitale en temps de paix mais laissant la possibilité d'appliquer la peine de mort pour des actes commis en temps de guerre ou de danger imminent de guerre. Comme il est explicitement précisé à l'article 1er du protocole n° 13, les États parties assument l'obligation d'abolir cette peine en toutes circonstances : l'interdiction des dérogations est explicite. La portée du protocole englobe ainsi l'abolition en temps de paix et en temps de guerre. De plus, la ratification de ce protocole exclut l'application de l'article 15 de la convention qui prévoit également des dérogations. L'Europe devient ainsi un espace sans peine de mort, y compris en temps de guerre. Toute incompatibilité légale doit être l'objet d'une dérogation.
Quant au protocole au pacte de 1966, s'il vise bien à abolir la peine de mort à l'échelle mondiale, son article 2 autorise, lors de la ratification ou de l'adhésion, que des réserves soient formulées pour l'application de la peine de mort en temps de guerre à la suite d'une condamnation pour un crime à caractère militaire, d'une gravité extrême, commis en temps de guerre. Certes, les réserves au protocole ne sont pas nombreuses : seuls la Grèce, la République d'Azerbaïdjan et Chypre en ont émis. Reste que la peine de mort peut être appliquée pour des crimes commis en temps de guerre. Mais il est d'une importance exemplaire, pour éviter des engagements internationaux contradictoires, que l'adhésion au protocole soit faite sans réserve et sans interprétation déclarative qui, parfois, vaut pour réserve. La peine de mort doit être abolie pleinement et définitivement. Nous ne pouvons pas laisser les portes entrouvertes : elle ne doit pas revenir.
Nous sommes, que nous le voulions ou non, face à de nouveaux dangers, ne serait-ce que dans le contexte de lutte contre le terrorisme. Ces dangers constituent de nouvelles menaces et contribuent à une dégradation générale du respect des droits de l'homme. Une forte tendance se manifeste à revenir à un ordre antérieur, particulièrement depuis le 11 septembre, où nous assistons à une remise en cause du cadre international de protection des droits et des libertés fondamentales. Sous prétexte de lutter contre le terrorisme, la torture est légitimée comme méthode pour obtenir des aveux, les enlèvements et le transfert de personnes deviennent possibles vers des pays où la peine de mort est en vigueur.
À la suite des attentats de Madrid du 11 mars 2004, 49 députés ont déposé une proposition de loi tendant à rétablir la peine de mort en France pour punir les auteurs des actes de terrorisme les plus graves. Bien que la proposition n'ait été l'objet d'aucune discussion, cela nous rappelle qu'il faut rester vigilants. D'autres pays comme le Pérou sont en train de faire marche arrière au nom de la lutte contre le terrorisme. Or, comme l'a pertinemment remarqué M. Badinter, s'il y a un domaine dans lequel l'inefficacité de la peine de mort est établie, c'est bien le terrorisme. En effet, son rétablissement pour des actes terroristes est loin de constituer un remède.
Faisons les choses complètement et demandons l'abolition sans réserve. Je citerai ici le cas de l'Espagne qui avait émis une réserve lors de la ratification du protocole, laissant le droit au gouvernement espagnol d'appliquer la peine de mort dans des cas exceptionnels et particulièrement graves, entre autres pour des crimes commis en temps de guerre avant de décider, en janvier 1998, de retirer cette réserve. L'abolition de la peine de mort y est aujourd'hui pleine et définitive. Et comme le rapporteur, je souhaite que nous n'émettions aucune réserve.
Nous ne devons laisser aucune occasion d'un jour replonger, ne serait-ce qu'un instant, dans l'insupportable paradoxe qui permet d'associer dans certains pays, démocratie et peine de mort, justice et ignominie, bien-être et violence de la part de la société. En adhérant à ce protocole sans réserve, nous nous éloignons du mépris des droits de l'homme. La ratification du protocole n° 13 ne sera que la réaffirmation de notre tradition du respect des droits humains. Demandant l'abolition pleine et définitive, nous pourrons appeler tous les États membres des Nations unies qui ne l'ont pas encore fait à envisager légalement d'adhérer aux instruments juridiques internationaux pertinents en la matière.
Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine votera évidemment la ratification de la convention et l'adhésion au pacte. Je m'associe aux remarquables conclusions de mon collègue Dufau. (Applaudissements sur tous les bancs.)
Autorisée par la révision constitutionnelle du 19 février dernier, la ratification des deux protocoles qui nous est demandée aujourd'hui consacrera l'irréversibilité de l'abolition de la peine de mort.
Faut-il répéter ici ce que nous disions déjà le 30 janvier ? Ce serait sans doute passer à côté de l'essentiel que de poser la question de la peine de mort sous ses seuls aspects juridiques.
Certes, il n'est pas inutile de rappeler le long processus historique scandé par les voix de Beccaria, Le Peletier de Saint-Fargeau, Hugo, Jaurès, marqué par l'engagement de tant d'autres comme Claudius-Petit, et qui a abouti enfin en 1981 avec M. Badinter. Mais l'essentiel n'est-il pas de redire encore et toujours ce qui fonde notre rejet total de la peine de mort ?
Oui, je suis de ceux que l'expression onusienne de « droit à la vie » laisse perplexe. Droit à la vie ou droit de la vie ? La vie n'est-elle pas non seulement matière, mais source même du droit, en deçà du droit qui en traite ? Tant il est vrai que c'est l'homme qui se pense quand il parle de crime et de châtiment – l'homme qui parle de tout l'homme, y compris de la part dont son histoire témoigne, l'homme qui parle de l'inhumain dans l'humain, mais aussi l'homme qui parle de cette autre part qui, parce qu'elle aspire précisément à la justice, refuse la loi du talion et n'accepte pas de faire disparaître l'humain avec l'inhumain.
Parce qu'avec Camus nous rejetons « une mesure définitive, irréparable qui fait injustice à l'homme tout entier puisqu'elle ne fait pas sa part à la misère de la condition commune », en ratifiant les deux textes qui nous sont soumis nous maintiendrons sa question du 5 décembre 1946 : « Où serait aussi bien la supériorité de ce que nous défendons si nous n'étions pas capables de surmonter notre plus légitime ressentiment ? » (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me réjouis tout particulièrement de prendre la parole pour exprimer l'appui du groupe Nouveau Centre aux deux projets de loi qui nous sont présentés aujourd'hui.
Vingt-six ans après le vote de la loi du 9 octobre 1981 supprimant la peine de mort dans notre droit interne, la ratification de ces deux protocoles manifeste avec un nouvel éclat l'engagement de notre pays pour son abolition.
Au terme d'une longue démarche entamée à la fin du xxe siècle, les démocraties européennes se sont rejointes pour traduire en droit la conviction si fortement affirmée par Victor Hugo dans Actes et paroles : « Partout où la peine de mort est prodiguée, la barbarie domine ; partout où la peine de mort est rare, la civilisation règne. »
La peine de mort est longtemps restée dans nos lois comme un ultime vestige de la loi du talion, comme une ultime trace d'une conception où répression et vengeance privée se confondaient. Son abandon progressif par de nombreux États représente à mes yeux un progrès de la justice humaine. Selon Amnesty International, plus de la moitié des États membres des Nations unies ont aboli la peine de mort en droit ou de fait. Malheureusement, aux États-Unis, trente-huit États sur cinquante et un la conservent. Petit à petit cependant, même dans ce pays, les arguments en faveur de l'abolition progressent dans l'opinion publique. Je les rappellerai brièvement.
Pour commencer, la peine de mort est irréversible ; or la justice est faillible. Après une exécution, l'erreur judiciaire, la mauvaise application de la justice sont irréparables. Il ne s'agit pourtant pas d'hypothèses d'école ; l'actualité le prouve, y compris aux États-Unis. Il n'est pas admissible de prendre un tel risque.
Ensuite, une justice qui applique la peine de mort se situe dans une logique de punition et non d'accompagnement et de réinsertion. Pourtant, il est avéré que la peine de mort n'a aucun effet dissuasif sur la criminalité.
Enfin, par sa brutalité, par la barbarie des procédés utilisés pour tuer, la peine de mort est incompatible avec la conception des droits fondamentaux de l'être humain qui prévaut dans les sociétés civilisées.
À bon droit, les auteurs de la Charte européenne des droits fondamentaux ont inclus l'abolition de la peine de mort parmi les acquis éthiques de l'Union européenne et les valeurs fondamentales qui forment notre identité.
En tant que membre de la délégation française à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, je salue le rôle éminent de cette institution pour le développement des instruments juridiques qui confortent l'abolition de la peine de mort dans l'ordre international.
L'adoption par le Conseil, le 28 avril 1983, du protocole n° 6 à la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales concernant l'abolition de la peine de mort, fait de la prohibition de la mort légale un principe désormais assorti d'exceptions.
Selon ce texte, la peine de mort ne peut être rétablie, sauf en cas de guerre ou de danger imminent de guerre. La prohibition de la peine de mort devient un élément fondamental de la doctrine européenne des droits de l'homme, dont le Conseil de l'Europe est le patient et inlassable artisan.
Une évolution parallèle a eu lieu dans le cadre des Nations unies. L'article 6 du pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté le 16 décembre 1966, disposait que le droit à la vie, inhérent à la personne humaine, doit être protégé par la loi et que nul ne peut être arbitrairement privé de la vie. Le 15 décembre 1989, l'adoption du deuxième protocole facultatif se rapportant à ce pacte fait de l'abolition de la peine de mort un corollaire de ce principe général.
Le 20 décembre 1985, la France avait ratifié le protocole additionnel n° 6 à la convention européenne des droits de l'homme. Le 3 mai 2002, elle a signé avec trente autres États le protocole n° 13 à cette convention européenne des droits de l'homme qui exclut désormais toute dérogation à l'interdiction de la peine de mort. Le protocole est entré en vigueur le 1er juillet 2003 après sa ratification par dix États. L'adoption de la loi constitutionnelle du 23 février dernier, qui ajoute au titre VIII de la Constitution un article 66-1 ainsi rédigé : « Nul ne peut être condamné à la peine de mort », a ouvert la voie à sa ratification par la France. Cette ratification rend, en pratique, irréversible l'engagement de notre pays pour l'abolition.
Je ne peux cependant dissimuler les interrogations que suscite l'admission par le protocole de réserves sur son application territoriale qui sont, de fait, autant d'exceptions au caractère absolu de la prohibition et qui pourraient dénaturer la portée effective du texte dans la pratique de certains États.
Toute exception, toute dérogation, même marginale, affaiblit le message que l'adoption de ces deux protocoles permet de lancer aux pays qui hésitent encore à abolir la peine de mort, aux pays qui réaffirment, par leurs actes et leurs pratiques, leur attachement à ce châtiment si éloigné des exigences de la raison. Je pense ici naturellement aux États-Unis, mais aussi à la Chine et aux États qui pratiquent la lapidation.
Le groupe Nouveau Centre votera sans hésitation les projets de loi qui autorisent la ratification des deux protocoles. (Applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau Centre et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi autorisant la ratification du protocole n° 13 à la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
(L'article unique est adopté.)
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi autorisant l'adhésion au deuxième protocole facultatif se rapportant au pacte international relatif aux droits civils et politiques visant à abolir la peine de mort.
(L'article unique est adopté.)
Adhésion au pacte international visant à abolir la peine de mort
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures dix, est reprise à onze heures vingt.)
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification du traité relatif à l'approfondissement de la coopération transfrontalière.
La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des affaires européennes.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, j'ai l'honneur de vous soumettre à présent, pour autorisation, la ratification du traité signé à Prüm, le 27 mai 2005, entre le Royaume de Belgique, la République fédérale d'Allemagne, le Royaume d'Espagne, la République française, le Grand-duché du Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas et la République d'Autriche, relatif à l'approfondissement de la coopération transfrontalière. Il permettra de créer un outil novateur visant à lutter contre le terrorisme, la criminalité transfrontalière et la migration illégale.
Avec la libre circulation des personnes et des biens dans un espace élargi, une dimension internationale toujours plus prononcée, nos frontières offrent de moins en moins d'obstacles aux entreprises des délinquants qui tirent parti des facilités de communication plus rapidement que les États. Il s'avère donc de plus en plus nécessaire d'intensifier la collaboration entre États au sein de l'Union européenne, en particulier en matière d'échange de données. Sur la base de ce constat, et pour tenir compte de la difficulté d'agir à vingt-sept, un groupe pionnier de sept pays européens a souhaité, à partir d'une initiative franco-allemande lancée début 2003, mettre en place un outil plus efficient contenant des dispositions novatrices dans plusieurs domaines, en particulier en matière d'échange de données.
Il ne s'agit pas toutefois d'une première en matière de police et de sécurité : notre pays a en son temps joué un rôle décisif dans l'élaboration de l'accord de Schengen relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières intérieures communes. La France a également conclu au cours des dernières années des traités bilatéraux de coopération policière avec les États limitrophes. Le traité de Prüm constitue donc une nouvelle étape dans l'intensification de la coopération en matière de police et de sécurité.
Les parties contractantes s'engagent à jouer un rôle précurseur dans les différents domaines concernés par le traité et, dans un premier temps, en matière d'échange de données, pour développer la coopération dans l'ensemble de l'Union européenne. Elles ont aussi pris l'engagement de créer les conditions juridiques et techniques nécessaires pour pouvoir, à terme, inclure dans le cadre juridique de l'Union européenne les dispositions du traité de Prüm. Cet objectif a d'ailleurs été entériné par une décision du conseil « justice et affaires intérieures » des 12 et 13 juin dernier. Ainsi, au plus tard trois ans après l'entrée en vigueur du traité, une initiative législative sera mise en oeuvre en vue d'inclure les dispositions de ce traité dans le cadre juridique de l'Union européenne, sur la base d'une évaluation de la coopération et de l'expérience acquise.
Naturellement, cette coopération doit s'opérer dans l'esprit des traditions constitutionnelles communes des pays concernés et dans le respect des droits fondamentaux qui découlent de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Ces principes rappelés, je vais évoquer maintenant les dispositions du traité.
S'agissant des échanges de données, le traité prévoit la consultation mutuelle automatisée des banques nationales de données comportant des profils ADN et des données dactyloscopiques. Il permet en outre l'accès automatisé direct et mutuel aux registres d'immatriculation de véhicules, tel qu'il existe déjà entre les pays du Benelux. Un tel échange de données constitue à la fois une avancée opérationnelle incontestable et le symbole d'une confiance réciproque grandissante entre les pays de l'Union.
Les parties contractantes s'engagent également, en vue de prévenir des infractions pénales et de maintenir l'ordre et la sécurité publics lors de manifestations de grande envergure à dimension transfrontalière, à se transmettre mutuellement des données pertinentes à caractère non personnel. Seraient par exemple concernés les grands événements sportifs, les grands rassemblements populaires dans le domaine culturel, ou encore les sommets européens et internationaux. Dans ce cadre, l'échange s'opère soit après une demande expresse émanant d'un autre pays, soit spontanément ou sur initiative propre, dans l'hypothèse où l'information est disponible et peut s'avérer utile. Il s'agit par exemple d'itinéraires, du nombre de personnes, des moyens de transport utilisés, des caractéristiques des groupes.
Les parties contractantes peuvent, enfin, en vue de prévenir des infractions terroristes, échanger des données à caractère personnel pour autant que certains faits justifient la présomption que les personnes concernées s'apprêtent à commettre des infractions pénales. L'autorité transmettant les données peut, en vertu de son propre droit national, fixer des conditions relatives à leur utilisation par l'autorité destinataire, laquelle sera liée par ces conditions.
Outre les échanges de données, le traité de Prüm développe la coopération entre forces de police, et c'est là son autre aspect novateur par rapport aux dispositions existantes. Concernant la lutte contre les migrations illégales, les parties contractantes conviennent, sur la base d'évaluations communes, de l'envoi dans certains pays d'origine ou de transit des conseillers spécialistes dans la détection de faux documents. Les autorités compétentes des parties au traité peuvent aussi, en vue de maintenir l'ordre et la sécurité publics ainsi que pour prévenir des infractions pénales, constituer des patrouilles communes ou prévoir d'autres formes d'intervention commune en matière policière, comme des actions de contrôle communes ou l'accompagnement de groupes de supporters de football lors de matches à haut risque. Contrairement aux dispositions de Schengen, ces formes de coopération ne doivent plus se limiter aux régions frontalières, et les États peuvent, dans ce cadre, confier à leurs fonctionnaires respectifs des compétences opérationnelles, conformes au droit de l'État d'accueil et avec l'approbation de l'État d'envoi.
Il incombe à chaque partie contractante de déterminer les compétences qui peuvent être exercées par des fonctionnaires étrangers sur son territoire. Celles-ci sont adaptées aux missions fixées par les autorités compétentes et répondent aux principes de proportionnalité et, pour autant que le droit national l'autorise, de réciprocité. Elles sont toujours exercées sous le commandement de fonctionnaires de l'État d'accueil et, en règle générale, en leur présence.
Dans une situation d'urgence, les fonctionnaires d'une partie contractante peuvent franchir sans autorisation préalable la frontière commune en vue de prendre, dans le respect du droit national de l'autre partie contractante, les mesures provisoires nécessaires afin d'écarter tout danger présent menaçant la vie ou l'intégrité physique des personnes. Les fonctionnaires sont naturellement liés par les instructions données par la partie contractante sur le territoire de laquelle ils agissent et les mesures qu'ils prennent sont également imputées à la responsabilité de cette dernière.
De plus, les parties contractantes s'engagent à se soutenir mutuellement dans le respect de leur droit national lors d'événements de grande envergure, de catastrophes ainsi que d'accidents graves présentant un caractère transfrontalier.
S'agissant d'un instrument qui organise une coopération transfrontalière exemplaire en matière d'échange de données et qui servira vraisemblablement de référence pour de futures normes européennes, il est essentiel, mesdames et messieurs les députés, que la France soit rapidement en mesure de coopérer pleinement avec ses partenaires. Un accord d'exécution a d'ailleurs déjà été signé le 5 décembre 2006.
C'est la raison pour laquelle, après l'avis favorable du Conseil d'État et, suite à l'avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, je vous demande de bien vouloir autoriser à votre tour la ratification du traité de Prüm.
La parole est à M. le rapporteur de la commission des affaires étrangères.
rapporteur de la commission des affaires étrangères. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, vingt ans après l'accord de Schengen, la signature, le 27 mai 2005, entre sept États membres de l'Union européenne, du traité de Prüm – petite ville située en Allemagne, dans le land de Rhénanie-Palatinat, et haut lieu de l'Europe carolingienne puisque Lothaire, un des petits-fils de Charlemagne, y est né et enterré –, vise à approfondir la coopération policière transfrontalière dans les domaines de la lutte contre le terrorisme, de la criminalité et de la migration illégale.
Ce traité, également nommé « Schengen Plus » ou « Schengen iii », trouve son origine, comme M. le ministre vient de le rappeler, dans une initiative lancée en 2003 par l'Allemagne, la Belgique et le Luxembourg, rapidement rejoints par l'Autriche, les Pays-Bas, la France et l'Espagne. D'autres pays membres de l'Union européenne ont depuis lors marqué leur intérêt pour cette « coopération avancée », le traité étant ouvert à l'adhésion de tout autre État membre.
Ce traité est déjà entré en vigueur en Allemagne, en Autriche, en Belgique, en Espagne, en Finlande et au Luxembourg. En France, le présent projet de loi autorisant sa ratification a été adopté en première lecture par le Sénat le 21 février dernier.
Conclu entre des États désireux de jouer un rôle pionnier, le traité de Prüm marque une nouvelle étape dans l'approfondissement de la coopération policière en Europe. Il comporte en effet des avancées substantielles en matière de partage d'informations transfrontalières, c'est-à-dire d'échange de données. Les États contractants s'autorisent un accès réciproque automatique à des bases de données nationales spécifiques, qu'il s'agisse de profils ADN, d'empreintes digitales ou de registres d'immatriculation de véhicules.
Concrètement, comme M. le ministre vient de le rappeler, cela signifie que les services de police pourront consulter, dans le cadre d'un système automatisé, les registres de données d'un autre pays pour vérifier s'il contient ou non des informations concernant le profil qu'ils recherchent. À ce stade, les données échangées resteront anonymes, et c'est seulement s'il y a concordance que pourront être révélées les informations nominatives personnelles auxquelles le profil ADN est rattaché.
L'échange d'informations devrait notamment contribuer à prévenir d'éventuels actes terroristes. Le traité prévoit en outre de rendre possible l'intervention de gardes armés à bord des avions. Cette mesure a d'ailleurs été mise en place aux États-Unis après les attentats du 11 septembre 2001.
L'échange automatique d'informations a d'ores et déjà permis des succès notables dans les pays où le traité est entré en vigueur. Ainsi, selon des données communiquées en février 2007, les autorités allemandes, après avoir comparé des profils ADN avec des données détenues par les autorités autrichiennes, ont trouvé des concordances dans plus de 1 500 cas. En France, l'entrée en vigueur du traité devrait permettre de faciliter l'identification d'auteurs d'infractions jusqu'à présent impunies : actuellement, 150 000 empreintes digitales sur 2 millions et 5 000 empreintes génétiques sur 68 000 n'ont pas encore pu être identifiées.
L'intensification des échanges d'informations soulève bien entendu la question de la protection des données personnelles des individus. C'est la raison pour laquelle le présent traité impose aux États signataires de garantir un niveau minimal de protection avant de mettre en oeuvre les échanges de données. L'article 34 du traité renvoie à la convention du Conseil de l'Europe du 28 janvier 1981 et à son protocole additionnel du 8 novembre 2001, ratifié par notre assemblée en février dernier.
Le second volet du traité de Prüm concerne plus spécifiquement le renforcement de la coopération policière opérationnelle, c'est-à-dire sur le terrain.
S'agissant par exemple de la lutte contre les migrations illégales, il prévoit l'envoi de conseillers en faux documents dans des pays considérés comme pays d'origine ou de transit pour la migration illégale. L'article 23 prévoit également le soutien mutuel des parties contractantes lors de rapatriements d'étrangers en situation illégale, conformément aux dispositions en vigueur du droit de l'Union européenne.
Le traité rend par ailleurs possible la création de patrouilles communes composées de policiers issus de différents États membres, qui pourront exercer des opérations communes sur l'ensemble du territoire des États contractants. Jusqu'à présent, l'existence de patrouilles communes était circonscrite à la zone frontalière.
Le traité innove aussi en autorisant, en cas de situation d'urgence, le franchissement de la frontière par des policiers étrangers, sans autorisation préalable de l'État d'accueil. Il s'agit d'être en mesure de porter secours le plus rapidement possible à des personnes dont la vie ou l'intégrité sont en danger.
Tant la création de patrouilles communes que l'utilisation par des policiers étrangers de leur arme de service a conduit à s'interroger sur la conformité du traité de Prüm à la Constitution française. Il résulte en effet de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et de plusieurs avis du Conseil d'État que la possibilité de conférer à des fonctionnaires étrangers des prérogatives de puissance publique sur le territoire national doit être strictement encadrée. Le Conseil d'État a toutefois estimé que ce traité ne soulevait pas de difficulté d'ordre constitutionnel. L'article 24 du traité indique que les agents étrangers ne pourront exercer des compétences de puissance publique que « sous le commandement et en règle générale en présence de fonctionnaires de l'État d'accueil ». Ces conditions sont conformes aux règles de souveraineté relatives aux pouvoirs susceptibles d'être dévolus aux agents étrangers en vertu de nos principes constitutionnels.
Le traité de Prüm a été conçu dans la perspective de sa transposition dans le droit de l'Union européenne. Cela sera très bientôt chose faite, au moins en partie et bien plus rapidement que prévu.
rapporteur. L'article 1er du traité précise en effet : « Au plus tard trois ans après l'entrée en vigueur du présent Traité, une initiative sera présentée en vue de la transcription des dispositions du présent Traité dans le cadre juridictionnel de l'Union européenne... ».
En prenant la présidence tournante de l'Union le 1er janvier dernier, l'Allemagne avait indiqué qu'elle entendait faire de la reprise de l'acquis de Prüm dans le droit de l'Union européenne l'une des priorités de sa présidence. L'accueil favorable des États membres a permis une accélération du calendrier, puisque les Vingt-sept sont parvenus à un accord politique lors du conseil Justice et affaires intérieures des 12 et 13 juin 2007. Il en résulte que le traité de Prüm fera bientôt partie du droit de l'Union européenne, à l'instar de ce qui s'est produit pour l'accord de Schengen.
rapporteur. La reprise de ce que l'on peut désormais qualifier « d'acquis de Prüm » sera toutefois limitée aux dispositions du traité qui entrent dans le champ du troisième pilier de l'Union européenne, à l'exception de la disposition autorisant le franchissement des frontières par des policiers étrangers en cas d'urgence. Cela ne sera autorisé que pour les seuls États ayant ratifié le traité de Prüm.
rapporteur. L'accord unanime des Vingt-sept sur l'intégration – obtenu dans un temps très court, quatre mois à peine après la présentation d'une initiative législative par plusieurs pays membres – démontre la capacité d'entraînement d'une avant-garde sur l'ensemble des États membres.
rapporteur. Pourrait-on y voir une préfiguration du fonctionnement futur de l'Europe élargie ? En effet, pourquoi sept États membres de l'Union européenne ont-ils préféré recourir au droit international classique plutôt qu'au système juridique de l'Union européenne pour approfondir leur coopération policière ? De fait, ces pays ont écarté deux options, mettant ainsi en évidence les difficultés inhérentes au cadre institutionnel actuel de l'Union.
La première option aurait consisté, pour les pays souhaitant aller de l'avant, à présenter une initiative législative dans le cadre des institutions de l'Union. Or le processus décisionnel au sein du Conseil se révèle de plus en plus lent ; plusieurs années sont généralement nécessaires pour parvenir à un accord, le plus souvent réduit au plus petit dénominateur commun. Ainsi les pays les plus ambitieux auraient-ils été freinés, voire empêchés, par les plus réticents.
La seconde option aurait consisté à proposer le déclenchement d'une coopération renforcée. La procédure prévue à cet effet par le traité de Nice, actuellement en vigueur, fixe à huit le nombre minimum d'États pour le faire ; or le traité de Prüm n'a rassemblé, à l'origine, que sept pays signataires. En outre, le respect d'autres conditions rendait l'issue de cette procédure incertaine.
La lenteur inhérente au fonctionnement institutionnel de l'Union européenne élargie a ainsi conduit certains États membres à se détourner provisoirement des instruments de l'Union. On ne peut donc que rendre hommage à la présidence allemande, qui, en quelques semaines, a rendu possible l'intégration dans le droit de l'Union de l'essentiel de la substance du traité. La preuve est ainsi faite que ce que les Européens ont réussi avec Schengen et, suivant des modalités différentes, avec l'euro, peut être transposé à de nouveaux domaines. Le droit international et le droit communautaire révèlent ainsi la force de leur complémentarité.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je vous recommande donc l'adoption du projet de loi de ratification du traité de Prüm, car il est essentiel que notre pays soit rapidement en mesure de coopérer pleinement avec ses partenaires. Cette ratification est d'autant plus urgente que des groupes de travail ont déjà été constitués afin d'établir les modalités de la mise en oeuvre dudit traité, et que la France doit présider au premier semestre 2008 le groupe de travail chargé de préparer les décisions du comité des ministres des parties contractantes. Un défaut de ratification dans les délais requis serait donc très préjudiciable pour notre pays, à quelques mois de l'ouverture de la présidence française de l'Union européenne. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, ce texte vise à approfondir la coopération transfrontalière en vue de lutter contre le terrorisme, la criminalité transfrontalière et la migration illégale.
Nous ne verrions aucun obstacle à une telle coopération s'il ne s'agissait d'un traité multilatéral entièrement basé sur une logique sécuritaire et répressive, et sur la logique de la peur et du rejet de l'autre. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Oui, ce sera pire, il est donc inutile de vous agiter dès maintenant !
Terrorisme, criminalité, migration illégale : voici un relevé lexical qui ne manque pas – et c'est bien dans l'air du temps – d'accentuer la politique visant intentionnellement à semer la confusion entre migration, terrorisme et criminalité.
Que ce soit bien clair : il ne s'agit pas pour nous de nous opposer, par principe ou esprit chagrin, à la coopération interétatique et intra-européenne.
Il s'agit de prendre position, et de critiquer les politiques européennes et celles des États contractants – qui sont tout autant liberticides que certaines de nos lois internes.
Bien sûr, les pays européens doivent coopérer. Toutefois, avec l'amalgame et la confusion dénotés par son intitulé, ce traité suit la ligne et l'idéologie de ce que Jérôme Valuy, professeur de sociologie politique à l'université Paris-i, appelle « un phénomène d'institutionnalisation de la xénophobie ».
Nous voilà en train de débattre d'un texte où les étrangers servent de boucs émissaires en matière de criminalité et au terrorisme ! Contrairement à ce que vient de dire M. le rapporteur, ce traité ne répond pas aux règles fondamentales du droit international des droits humains. Parce qu'il s'agit bien de cela : le traité se place exactement dans la logique de la « démonstration constante » et « évidente » de la dangerosité des étrangers. Qu'un étranger, cet « autre », désire traverser la frontière pour assister à une réunion sportive ou faire usage de son droit à manifester lors de grandes réunions européennes, et le voilà ipso facto suspecté d'être terroriste, porteur de chaos, de désordre, d'insécurité, de troubles à l'ordre public ou à la sécurité !
Avec ce traité, le droit, qu'il soit interne ou international, n'a plus pour vocation de changer les régimes juridiques ou de les améliorer, mais d'être utilisé de plus en plus comme un instrument politico-idéologique afin d'envoyer des messages toujours plus répressifs.
Ainsi se trouve justifiée la mise en place de mécanismes sécuritaires. Nous connaissons très bien ici ce phénomène d'institutionnalisation de la xénophobie, puisque, sous l'impulsion de l'ancien ministre de l'intérieur, le Gouvernement n'a eu de cesse d'asséner des projets de lois sécuritaires, en jouant, sans vergogne, sur la confusion entre terrorisme, migration et immigré. Nous ne pouvons, pour notre part, accepter un tel amalgame qui est, je le rappelle, contraire aux règles fondamentales de protection des droits humains.
L'Europe, avec la ratification de ce traité, se trouve renforcer dans son idéologie fondée sur la libre circulation, sans restriction, des biens et des capitaux, les investissements et le libéralisme à outrance quand il s'agit du capital financier et de l'exploitation des ressources naturelles des pays du Sud.
Toutefois, ce petit village mondialisé devient forteresse parce que la personne humaine compte moins que le capital. Pire encore, la seule réponse au problème des rapports inégaux et au sous-développement des peuples du sud consiste dans l'amalgame entre terrorisme, criminalité et migration. Cela n'est pas acceptable !
Il convient tout d'abord de renforcer la coopération internationale, le respect des règles du droit international et celui du droit au développement des pays du Sud, en commençant pas mener combat au sein des institutions internationales comme le FMI – où un nouveau directeur fera peut-être changer les choses –,…
…l'OMC et la Banque mondiale, pour que ces institutions cessent d'imposer des politiques destructrices des droits humains fondamentaux dans les pays du Sud. Les milliers de personnes fuyant la pauvreté, l'exploitation et la mise à sac de leur pays pourront alors rester chez elles.
Nous savons tous ici que face aux rapports inégaux, à la libéralisation imposée aux pays du Sud et à l'exploitation de leurs ressources par les sociétés privées, il ne reste souvent aux populations que la voie de la migration pour tenter d'échapper à la misère, voire à la mort.
Ce projet de loi ne manque pas d'imagination : après avoir fustigé les sportifs et les militants pour un autre monde, l'étranger est, une fois encore, présenté et assimilé à une menace, en raison de l'équation simpliste qui veut que les migrants soient des porteurs naturels du virus du terrorisme, de la criminalité, voire de l'agression. Voilà un traité dont, probablement, le seul titre réjouira ce parangon de la lutte antiterroriste qu'est George Bush.
Je m'attarderai sur quelques idées clés du traité. Cohérent avec la logique sécuritaire et répressive qu'il vise à imposer, celui-ci prévoit tout d'abord que le terrorisme, la criminalité transfrontalière et la migration illégale seront poursuivis et sanctionnés, et cela sans aucune distinction de fond ni aucune nuance de traitement.
En effet, s'agissant notamment de la criminalité transfrontalière, il n'en donne aucune définition. Qui est criminel ou qui sont les criminels ? Qu'est-ce que la criminalité transfrontalière ? Il n'est question que d'infractions pénales, de faits pénalement punissables, de maintien de l'ordre et de sécurité publics. Pour ce qui est de ces deux derniers éléments, il convient de le noter, les seuls contextes évoqués sont ceux de manifestations sportives à dimensions transfrontalières ou en rapport avec des réunions du Conseil européen.
Alors que la police, lors des réunions du G8, notamment de la dernière, en Allemagne, traite les manifestants avec une brutalité qui devient de plus en plus banale – je rappelle que ce sont des citoyens européens –, je m'interroge sur le véritable enjeu du traité. Le droit de manifester sera-t-il bientôt considéré comme une des manifestations de « la criminalité transfrontalière » et doit-on craindre de voir remis en cause l'exercice légitime et légal du droit à manifester son opinion ? Est-ce à cela que servira l'échange d'informations sur l'ADN et la coopération en général ? Il ne faut pas écarter, dans ce contexte, que la lutte contre la criminalité vise également à obstruer, limiter, empêcher, voire supprimer l'exercice des droits fondamentaux, dont celui de manifester, en l'assimilant à de la criminalité. Le traité ne garantit aucunement que la notion de criminalité ne porte pas sur ces droits fondamentaux et ne s'interdit pas explicitement de légitimer et de légaliser ce type de pratiques liberticides contraires à toutes les normes européennes et internationales de protection des droits humains.
Les articles 13 et 14 du traité vont exactement dans ce sens puisqu'ils criminalisent les mouvements sociaux en donnant à ceux qui y participent le statut des migrants : les voilà d'ores et déjà assimilés à des délinquants. Et c'est dans un tel contexte que se fera l'échange d'informations sur des données personnelles et non personnelles, notamment en ce qui concerne l'ADN, sans aucune garantie, ou presque, pour les citoyens. Et vous voudriez que ceux qui participent aux mouvements sociaux ne se mobilisent pas contre de telles attaques aux libertés publiques ? Monsieur le secrétaire d'État, ils sont là, heureusement, pour rappeler au Gouvernement et aux parlementaires qui en douteraient qu'il existe à la fois des droits civils et politiques et des droits sociaux, économiques et culturels obtenus de haute lutte. La France en a signé de nombreux et ratifié certains : elle a donc obligation de les respecter.
Une coopération fondée sur le respect des droits fondamentaux et des libertés fondamentales, voilà ce qu'il faudrait instaurer, mais ce n'est pas de cette coopération qu'il s'agit dans le préambule ! La criminalisation portée par ce traité est substantiellement incompatible avec les droits humains, voire avec un État se réclamant de la démocratie.
Le traité n'apporte en effet aux citoyens aucune garantie que les services policiers des États parties effaceront immédiatement les données transmises. De plus, comment un citoyen français agira-t-il, par exemple, dans le cadre de la loi nationale espagnole ? En outre, le traité ne prévoit aucun mécanisme de sanction pénale pour les services de police qui n'effaceraient pas les données : ces données pourront ainsi être stockées, utilisées et réutilisées pour servir à la criminalisation individuelle et collective. En effet, quels mécanismes concrets, réels et matériels permettront-ils à la France de contrôler l'effacement des données transmises aux policiers des autres États ? Et quels recours, effectifs et immédiats, auront les citoyens ? Aucun.
Si les données ne sont pas détruites, il faudra des procédures longues et coûteuses. Du reste, quel sera l'État responsable en cas de non-destruction de données transmises portant, par exemple, sur des citoyens français ? Le traité n'apporte aucune réponse à ces questions – et à beaucoup d'autres – qui concernent pourtant des millions de personnes !
Je serai clair : le groupe de la Gauche démocrate et républicaine ne s'oppose pas à la coopération, mais il n'est pas prêt à la soutenir à n'importe quel prix, et surtout pas au prix de la limitation substantielle de nos libertés, faisant peser des risques réels sur le respect de nos libertés et l'exercice des droits démocratiques des citoyens. C'est pourquoi nous ne saurions, en l'approuvant, apporter notre caution à un tel projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le débat de ce matin autour du traité conclu le 27 mai 2005 à Prüm permet de mesurer l'ampleur de l'évolution de la coopération entre États européens dans un domaine qui touche de près à ces attributs de la souveraineté nationale que sont le maintien de l'ordre public et la justice pénale.
Aujourd'hui, le public retient surtout de l'accord de Schengen qu'il permet de passer insensiblement d'un pays européen à l'autre sans prendre garde aux panneaux frontaliers. Il n'en fut pas de même en 1985 et au cours des années qui suivirent : dans cet hémicycle en particulier a retenti la dénonciation passionnée des atteintes prétendument portées par l'accord de Schengen à notre indépendance. Aujourd'hui cette critique, heureusement, est très minoritaire. Que s'est-il passé en vingt ans ?
La coopération judiciaire et policière est devenue une réalité de l'Union européenne à travers le troisième pilier du traité de Maastricht : la justice et les affaires intérieures. Elle s'est développée sur la base d'instruments conventionnels de coopération renforcée, intégrés pragmatiquement dans l'acquis communautaire à mesure que les circonstances politiques le permettaient.
L'application de l'accord de Schengen a suscité la création d'un vaste espace unique de libre circulation des personnes – et donc des criminels –, alors même que la répression de la grande criminalité demeure largement enfermée dans des cadres nationaux, entre lesquels il est facile de jouer. La contradiction était connue de tous, mais il a fallu le choc créé par les attentats du 11 septembre 2001 pour stimuler les initiatives de coopération et faire tomber, dans une certaine mesure, les préventions contre la création du mandat d'arrêt européen.
La conclusion du traité de Prüm permet de mesurer les progrès accomplis. Les États parties au traité sont en effet parvenus à définir des procédures de coopération spécifique – présence de gardes armés à l'intérieur des avions, envoi dans les pays d'origine d'experts en faux documents d'identité, création de patrouilles transfrontalières – qu'ils ont assorties de garanties assurant le respect de la souveraineté de chaque État.
Le contenu de l'accord donne également l'occasion d'apprécier l'avancée des techniques d'identification individuelle. En effet, il se traduit par la création de la plus grande base de données dactyloscopiques du monde, avec 70 millions d'empreintes digitales. Il prévoit l'échange d'informations entre les fichiers de profils ADN que les États parties s'engagent à constituer. Plus classiquement, il organise l'information sur les fichiers d'immatriculation des véhicules.
Enfin, les ministres de l'intérieur des États parties au traité de Prüm ont approuvé, le 12 juin 2007, la création d'un système d'information des visas, qui sera opérationnel au printemps 2009.
J'ai parlé de progrès. Il me faut maintenant évoquer les garanties nécessaires pour que la mise en oeuvre des systèmes d'échange d'informations prévus par le traité de Prüm se fasse dans des conditions satisfaisantes au regard de la protection des libertés publiques.
La difficulté n'a pas échappé aux auteurs du traité, qui ont soumis l'utilisation des données collectées et échangées à trois principes : un principe d'affectation, puisque les données doivent être exploitées à des fins précises ; un principe de temporalité, puisque la durée d'utilisation de ces données est limitée en tout état de cause à un an ; un principe de confidentialité, puisque ces données devront être effacées dès lors que les fins visées auront été atteintes.
De plus, l'article 37 du traité met à la charge des États membres l'obligation de veiller à l'exactitude et à l'actualité des données à caractère personnel incluses dans les fichiers et organise diverses procédures de rectification des données dont le caractère incomplet ou inexact serait constaté. L'article 40 du traité ouvre à toute personne intéressée un droit d'accès aux données individuelles la concernant et de rectification des données inexactes. Il reconnaît également un droit à indemnisation pour tout préjudice imputable à l'emploi de telles données, en renvoyant aux autorités compétentes dans chaque pays le soin de mettre en oeuvre, sauf recours aux tribunaux, les procédures correspondantes. Pour la France, il s'agit évidemment de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, la CNIL.
Toutefois, pour faire usage de telles procédures de garantie, encore faudrait-il que les personnes intéressées aient connaissance de l'existence de données les concernant dans les fichiers prévus par le traité de Prüm ! Je doute que ce soit souvent le cas. Dans ces conditions, la garantie offerte par le traité ne risque-t-elle pas d'être formelle, alors que l'atteinte objective aux libertés individuelles que constitue l'utilisation erronée du fichier est bien réelle ?
Il me semble qu'il faudrait prévoir une information a priori de toute personne sur laquelle l'un ou l'autre des fichiers créés sur la base du traité de Prüm conserve des données.
La CNIL a réagi à l'adoption de ce traité en souhaitant que l'accès aux données biométriques soit effectivement encadré « afin de ne pas excéder les mesures nécessaires aux finalités de prévention et de lutte contre les infractions ». Elle estime en outre qu'aucune définition ne permet de vérifier le caractère personnel ou non des données transmises. Enfin, elle s'inquiète de la faiblesse des sanctions prévues en cas de violation grave des normes de sécurité et de confidentialité des traitements informatisés. Monsieur le ministre, quelle appréciation le Gouvernement porte-t-il sur ces critiques ?
Je l'ai dit : le groupe Nouveau Centre reconnaît pleinement la nécessité de renforcer la coopération internationale, singulièrement la coopération entre États membres de l'Union européenne, en vue de prévenir et de réprimer les activités de la grande criminalité et du terrorisme international. Toutefois, fidèle à sa tradition humaniste, il a le souci de voir cette action se développer dans le respect des libertés publiques et souhaite que l'atteinte objectivement portée à la liberté de chacun soit exactement proportionnée à ces buts.
En particulier, le recours aux échanges de profils ADN, dont nous ne pouvons encore, dans l'état actuel de nos connaissances, mesurer avec précision toutes les implications, doit être envisagé avec une grande prudence.
Le groupe Nouveau Centre votera le projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, notre assemblée doit aujourd'hui autoriser la ratification du traité signé le 27 mai 2005 entre le Royaume de Belgique, la République fédérale d'Allemagne, le Royaume d'Espagne, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas et la République d'Autriche, traité que nous appellerons, pour faire simple, le traité de Prüm.
Je tiens d'ailleurs à remercier notre excellent rapporteur, grâce à qui j'ai appris, je dois l'avouer, que c'est dans la petite ville de Prüm qu'est né et enterré Lothaire, le petit-fils de Charlemagne.
Ces considérations de culture générale étant faites, je souhaite en quelques mots souligner l'importance de ce traité relatif à l'approfondissement de la coopération transfrontalière, outil novateur pour lutter contre le terrorisme, la criminalité transfrontalière et la migration illégale.
Je ne reviendrai pas sur le détail des mesures contenues dans ce traité, qui s'articule, pour faire simple, autour de deux axes : il instaure une coopération policière renforcée contre la criminalité transfrontalière, le terrorisme et l'immigration clandestine par le biais d'échanges d'informations en matière d'empreintes, d'ADN et d'immatriculation de véhicules ; il organise également la coopération policière transfrontalière, en autorisant, dans des cas bien précis, les forces de police d'un État à agir dans un autre État.
Je souhaiterais plutôt souligner à quel point il me paraît indispensable de soutenir et d'encourager cette forme de coopération intergouvernementale, négociée en dehors même du cadre strict de l'Union européenne mais ouverte à la participation de tous les États membres et ayant vocation à être intégrée dans l'acquis de l'Union européenne. Je prendrai comme exemple, vous pouvez vous en douter, la politique d'immigration.
Le traité de Prüm consacre son chapitre 4 à la lutte contre la migration illégale. L'article 20 du traité prévoit ainsi de développer la coopération entre les États signataires, par l'envoi de conseillers en faux documents dans certains pays considérés comme des pays d'origine ou de transit pour la migration illégale. Quant à l'article 23 du traité, il prévoit le soutien mutuel des parties contractantes lors de rapatriements d'étrangers en situation illégale.
Ces deux initiatives vont à l'évidence dans le bon sens. Je me souviens avoir vu, en tant que rapporteur de la loi de 2003, une note confidentielle du Quai d'Orsay montrant que, pour certains pays que je n'aurai la cruauté de citer à cette tribune, la fraude documentaire concernant les actes de naissance pouvait atteindre 80 %. Il est évident que la coopération entre les différents pays européens est une manière concrète de lutter contre cette fraude documentaire et, surtout, de mieux maîtriser notre immigration.
Cela dit, et je le dis très sereinement, il faut aller beaucoup plus loin dans la coopération transfrontalière en matière d'immigration.
C'est sous l'impulsion de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'intérieur, que nous avons marqué, depuis 2002, une véritable rupture avec la manière dont l'immigration était gérée, ou, plus exactement, n'était absolument pas gérée. Il n'est pas besoin ici de développer les enjeux ou les résultats de cette politique. Je souhaite seulement souligner que, pour réussir la transformation de notre politique d'immigration, nous devons mieux utiliser les leviers européens.
L'effort que nous accomplissons au plan national n'a de sens que s'il est poursuivi à l'échelle de l'Europe, pour une raison évidente : dans un espace de libre circulation, toute décision prise par un État membre a des répercussions chez ses voisins.
C'est pourquoi Nicolas Sarkozy avait proposé l'adoption d'un pacte européen sur l'immigration. Il l'avait alors soumis à ses collègues ministres de l'intérieur des six grands pays de l'Union européenne, qui accueillent à eux seuls 80 % des migrants dans l'espace européen. Une première esquisse de ce pacte a d'ailleurs été adoptée par le G6 regroupant la France, l'Allemagne, le Royaume-Uni, l'Espagne, l'Italie et la Pologne.
Il est essentiel de fonder la politique européenne de l'immigration sur une démarche volontaire des États et sur quelques grands principes communs : le refus des régularisations massives ; la mise en place d'une frontière extérieure efficace et fiable ; une règle commune d'asile et de regroupement familial ; le principe de l'éloignement systématique des migrants clandestins et de l'expulsion des étrangers délinquants sauf protections particulières.
Voilà la perspective, voilà les objectifs.
Nous devons désormais nous employer à faire partager à nos partenaires ces principes qui sont guidés par le bon sens et le souci de l'efficacité.
Le renforcement des coopérations renforcées participe naturellement de cette entreprise. L'idée n'est pas nouvelle et a déjà fait ses preuves. Le scénario originel, si je puis dire, des accords de Schengen était d'ailleurs fondé sur la même logique : une coopération d'abord restreinte avait ensuite été étendue aux autres États membres et intégrée à l'acquis communautaire.
Alors, certes, les domaines visés par Schengen ne relevaient pas du même pilier que ceux qui nous intéressent aujourd'hui, mais la méthode est éprouvée et fait place au pragmatisme que nous avons longtemps, et à tort, laissé de côté.
Il est aujourd'hui évident que seul le recours à des coopérations renforcées peut permettre, dans les circonstances actuelles, de réaliser de véritables avancées dans l'espace de liberté, de sécurité et de justice que doit être demain l'Europe.
Telle est d'ailleurs toujours la démarche proposée par le Président de la République, qui, avec le traité simplifié, a permis de sortir l'Europe du blocage institutionnel.
En donnant aux États membres qui le souhaitent les moyens d'aller plus vite et plus loin dans la voie de l'intégration, le recours à cette formule permet, en effet, de surmonter l'obstacle de majorité et de développer des formes de coopération souples. Nous devons donc, pour autant que ce soit temporaire, accepter le recours à la différenciation.
L'échec du référendum de 2005 nous a montré de manière ô combien douloureuse que les Français attendaient de l'Europe qu'elle se rapproche davantage de ses citoyens, non seulement dans ses ambitions mais aussi dans ses méthodes. Le texte que nous discutons aujourd'hui participe efficacement à mon sens de cette volonté en proposant des solutions pragmatiques propres à dépasser les blocages actuels et à réaliser des avancées concrètes.
Voilà notamment pourquoi le groupe de l'UMP, sans réserve, votera ce projet de loi ratifiant le traité de Prüm. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, beaucoup d'entre vous, comme moi d'ailleurs, n'avaient pas forcément entendu parler avant cette séance du traité dont la ratification est soumise à notre approbation.
Ce traité paraît issu de ce magma un peu vague de textes de seconde zone qui émanent régulièrement d'instances juridiques supranationales, qui ne reçoivent en général qu'une attention réduite, qu'on identifie d'ailleurs assez mal, abrités derrière un nom à rallonge relativement obscur – cinq lignes sur la feuille présentant l'ordre du jour : il faut prendre sa respiration avant de se lancer. Bref, le traité de Prüm – je vais à mon tour l'appeler par son petit nom – a l'air comme ça d'être un texte parfaitement technique et relativement secondaire.
Pourtant, les choses sont plus compliquées. L'ordre du jour de cette assemblée nous réserve parfois de curieuses surprises : le texte dont la ratification nous est proposée n'est pas un texte purement technique. C'est aussi un texte politique, un texte dont j'aimerais à mon tour discuter les enjeux – j'en distingue trois – parce que nous les retrouverons sur notre chemin dans les mois à venir.
Je ne reviens pas sur les principales dispositions contenues dans le traité, le secrétaire d'État les a présentées, je ne les résume pas. En la matière, les États ont joué ici une partition connue : l'approfondissement de la coopération transfrontalière en matière de sécurité.
Les enjeux, à mon sens, ne sont pas tant à l'intérieur du traité qu'autour, ils sont moins dans la lettre que dans l'esprit, moins dans le texte que dans le contexte.
Tout d'abord, il s'agit d'un traité international et non d'un texte communautaire. Pourtant, la liste des États recoupe celle des premiers pays signataires de Schengen – Allemagne, France, Pays-Bas, Belgique et Luxembourg –, rejoints par l'Espagne et l'Autriche, et c'est dans cette filiation que se situe le traité de Prüm. C'est un accord qui s'appliquera aux pays européens. Dès lors, pourquoi les États ont-ils choisi d'avoir recours à un traité international et non pas à un texte communautaire ?
C'est d'autant plus étrange que la législation européenne a évolué à grands pas ces dernières années dans le domaine couvert par ce traité. Il y a eu, tout d'abord, le traité d'Amsterdam, qui a permis d'insérer les mesures de l'acquis Schengen dans les traités européens. Il y a eu aussi un assouplissement des procédures de coopération renforcée, ces accords, ouverts, entre un petit groupe d'États membres désireux d'aller plus loin ensemble sur un sujet : leur champ d'application a été étendu.
Je repose donc ma question : pourquoi avoir abandonné les possibilités ouvertes soit dans le cadre de l'Union européenne, soit dans le cadre d'une coopération renforcée, pour recourir à des mécanismes classiques du droit international ?
Je risque une explication. Nous sommes en mai 2005, la ratification du traité constitutionnel européen s'enlise. Subitement les procédures communautaires paraissent trop lourdes, les mécanismes de décision trop complexes pour arracher un accord. Le traité de Prüm constitue à cet égard une mise en garde et rappelle à lui seul l'urgence des réformes institutionnelles.
Cela doit aussi nous alerter sur une tentation, celle, toujours présente pour les gouvernements, d'opter pour la facilité. Ce texte aurait pu contribuer à l'européanisation des politiques nationales de sécurité intérieure, on a choisi de faire repartir la négociation de nouveaux instruments vers un cadre strictement intergouvernemental. Cette évolution est préoccupante, nous devons la surveiller, signaler aussi qu'elle ne nous a pas échappé, et c'est le premier enjeu de ce traité.
Deuxième enjeu, le champ d'intervention de l'Europe, ou, pour être plus exact, de sa non-intervention.
Le traité de Prüm n'est pas destiné à rester un traité international, il est voué à être réintégré dans le droit de l'Union. Son article 1er précise en effet qu'il est temporaire et, de fait, le conseil JAI – conseil justice et affaires intérieures – a décidé le 12 juin 2007 l'intégration des principales dispositions du texte dans la législation communautaire. Prüm est désormais destiné pour une large part à faire partie intégrante du cadre législatif de l'Union européenne et sera appliqué dans tous les États membres, sauf dérogations.
Que penser de ce dernier développement ? Il est révélateur, je pense, d'un mouvement plus profond, d'une forme de réorientation des priorités communautaires, depuis la mi-2005, vers la facilité, vers le consensuel, loin des grands projets et des grands défis.
Au lendemain du rejet du traité constitutionnel, la Commission a suivi le sillage tracé par les États, sans faire preuve du volontarisme et de l'initiative qu'on serait en droit d'attendre d'elle. Elle a concentré son action sur les quelques secteurs pour lesquels elle estimait pouvoir continuer à faire avancer l'Union, dont le secteur JAI. De fait, depuis 2005, elle multiplie les initiatives dans le domaine : système d'information Schengen de deuxième génération ; proposition de décision du Conseil concernant l'amélioration de la coopération policière entre les États membres de l'Union européenne, en particulier aux frontières intérieures ; proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil fixant des règles relatives aux petits trafics frontaliers aux frontières terrestres extérieures des États membres.
Cette évolution a sa légitimité, et même sa nécessité, mais elle comporte deux risques.
D'une part, elle conduit à transformer l'Europe en un grand espace policier, avec ce que cela implique comme pression sur les libertés individuelles, j'y reviendrai dans un instant lorsque j'évoquerai le dernier enjeu. On prête par exemple au gouvernement britannique l'intention d'établir une garde à vue de cinquante-six jours, ce qui me paraît en toute hypothèse attentatoire aux libertés.
D'autre part, on en vient à monopoliser l'agenda européen avec ces questions JAI, au détriment d'autres aspects de l'intégration politique, plus difficiles mais tout aussi essentiels. Il y a des choses à faire dans le domaine de l'énergie ou des services publics, par exemple. Un agenda dominé par des questions JAI ne permet pas de traiter ces sujets, qui sont pourtant capitaux. Il sera très important, monsieur le secrétaire d'État, que la présidence française de l'Union européenne ait bien dans l'esprit qu'une réorientation est nécessaire.
Enfin, dernier enjeu, de fond celui-là, qui a trait au texte lui-même : la protection des libertés individuelles, notamment des données personnelles. Je fais miennes sur ce point les questions qui ont été posées par M. Braouezec et par M. Rochebloine. Le traité impose aux États signataires de garantir un niveau minimal de protection avant de mettre en oeuvre les échanges de données. Sur le plan des principes, la solution paraît bonne. En pratique, on aperçoit mal comment et par qui ces principes seront mis en application.
Afin de répondre à ces inquiétudes, la Commission a présenté en 2005 une proposition de décision-cadre sur la protection des données dans le domaine de la coopération policière et judiciaire. Ce texte, lorsqu'il aura fait l'objet d'un accord au Conseil, se verra appliqué de manière automatique dans le système de Prüm, mais celui-ci est né boiteux, puisqu'il dépend d'un nouveau texte pour assurer les libertés individuelles.
Le conseil JAI du 12 juin 2007 a indiqué que les États membres parviendraient à un accord politique sur la proposition de la Commission au plus tard avant la fin 2007. C'est bien, et on attend donc, notamment le résultat de la prochaine CIG, qui a prévu un certain nombre d'avancées en la matière, comme une base juridique pour la protection des données, mais on ne peut s'empêcher de penser que, pour le dire un peu sommairement, les États ont joué le tiercé dans le désordre. Je ne peux pas non plus m'empêcher de remarquer la faiblesse de la Commission sur ce dossier, cantonnée à une attitude de stricte réaction face aux propositions des États, soumise à leur calendrier, en clair, suiveuse là où elle devrait mener.
Le traité de Prüm n'est pas un traité central, il n'est pas essentiel. Si les dispositions qu'il propose sont imparfaites, aucune n'est violemment dangereuse, et les réserves de fond que j'ai évoquées devraient trouver une réponse rapidement, avant le second semestre de 2007, soit dans le cadre de la CIG, soit lors d'un conseil JAI, peut-être les deux.
Non, sa signification est ailleurs, sa portée est différente. Il incarne, en filigrane, la tentation d'un autre mode de coopération entre les États, un mode dans lequel les accords se font sur une base a minima, sous l'impulsion des États membres, marginalisant peu à peu la Commission, réduite au simple rôle d'organe palliatif, se soustrayant à l'observation du Parlement européen, dans un glissement progressif vers l'intergouvernementalisme.
Il est des textes qui incarnent une forme de stagnation de l'Europe, non pas dans les dispositions qu'ils proposent, qui sont utiles, mais dans la manière dont ils sont élaborés et, à mes yeux, le Traité de Prüm pourrait bien appartenir à cette catégorie.
Au-delà de ce texte, qui a besoin de compléments mais qui peut être accepté et que nous voterons, il faut, monsieur le secrétaire d'État, rester vigilant sur cette tentation des États membres d'enfoncer discrètement des coins dans le projet d'intégration politique de l'Union. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
La discussion générale est close.
La parole est à M. le secrétaire d'État.
Je voudrais, monsieur le président, répondre aux questions des orateurs, conformément à ce qui est de tradition dans votre hémicycle.
Sur le plan des principes d'abord, je veux souligner après vous, monsieur Moscovici, que la levée des contrôles aux frontières internes à l'Union européenne implique un échange accru entre États membres d'informations sur les flux transfrontaliers, qui étaient auparavant contrôlés aux frontières nationales. Nul n'a jugé qu'il était illégitime, pour faciliter la libre circulation des personnes dans l'Union européenne, de centraliser au niveau européen les informations nécessaires et proportionnées au maintien de la sécurité publique. Voilà pour les principes.
Ce texte, monsieur Braouezec, apporte quand même quelques garanties supplémentaires, telles que l'habilitation des agents qui ont accès aux données, le verrouillage de cet accès, ou encore sa traçabilité quotidienne. J'aime autant que vous les manifestations sportives, monsieur le député, et même si je m'y rends peut-être moins souvent, il m'arrive assez fréquemment d'aller au stade de France : il ne me paraît pas choquant qu'on puisse échanger des informations pour assurer la meilleure protection des personnes qui s'y rendent et garantir ainsi que ces manifestations se déroulent dans le meilleur esprit. Je pense notamment aux matchs de football, qui sont depuis quelques années, et encore cette année sur notre territoire, l'occasion d'actes inadmissibles, voire criminels.
Monsieur Rochebloine, l'essentiel des remarques de la CNIL sur l'accord d'exécution, à la rédaction duquel elle a été associée, s'est concentré sur la nécessité de désigner dans chaque État membre un « point de contact », qui aura un droit de regard sur la légitimité des demandes d'accès aux données formulées par les États parties. Les policiers concernés n'ont pas accès aux données nominatives, et c'est une garantie importante. Pour les opérations de terrain sera publié un manuel européen à la rédaction duquel les autorités de contrôle seront de nouveau associées, en particulier la Commission nationale de l'informatique et des libertés : elles pourront ainsi en vérifier le contenu et la compatibilité par rapport à nos traditions.
Je veux enfin préciser que les personnes ont naturellement le droit d'accéder aux fichiers les concernant, et l'accord d'exécution précise l'obligation d'effacer les données incorrectes.
Vous vous êtes interrogé, monsieur Moscovici, sur la pertinence de passer par la voie du traité international entre États. On peut effectivement regretter qu'une autre méthode n'ait pas été choisie. Mais les échanges qui ont eu lieu sous présidence allemande, dont je veux saluer ici l'efficacité avec laquelle elle a rempli son rôle, ont malheureusement fait apparaître qu'en matière de protection de données, où il est nécessaire d'aller très vite, il était préférable qu'un petit groupe pionnier d'États se mette d'accord sur un dispositif de façon : on évite ainsi un blocage du processus qui était le risque dans le cadre du conseil justice et affaires intérieures. Une telle méthode a déjà fait ses preuves par le passé.
Mais, comme vous l'avez souligné vous-même, nous conservons l'ambition européenne en la matière, et c'est pourquoi nous avons soutenu la proposition de la présidence allemande, concrétisée par la décision du Conseil du mois de juin dernier de faire en sorte que tous les États membres soient associés à cet accord. C'est une avancée importante.
Je veux souligner enfin que ce n'est pas la seule priorité de la présidence française : il y en aura d'autres, notamment, bien évidemment, en matière de politique énergétique et de lutte contre le réchauffement climatique, sans parler des services publics, auxquels, comme vous l'avez vu, nous avons consacré toute notre attention dans le cadre du dernier conseil européen.
Personne ne demande la parole pour une explication de vote.
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi, dans le texte du Sénat.
(L'article unique du projet de loi est adopté.)
Monsieur le président, monsieur le rapporteur de la commission des affaires étrangères, mesdames et messieurs les députés, la corruption est un fléau contre lequel il convient de lutter sans relâche. Il y a en effet des évidences qu'il est bon de rappeler : la corruption mine la confiance publique, elle décourage l'initiative individuelle ; elle met en péril le processus démocratique et elle freine aussi le progrès économique.
Depuis les années 90, la communauté internationale a progressivement pris conscience de la gravité du phénomène et de la nécessité d'y apporter, compte tenu de sa dimension transnationale, une réponse concertée. Le Conseil de l'Europe en particulier en a fait l'une de ses priorités. C'est ainsi qu'en 1999, deux conventions ont été adoptées dans le cadre de cette organisation, l'une portant sur les aspects civils de la lutte contre la corruption, l'autre sur les aspects de droit pénal.
L'un des apports de la convention pénale sur la corruption, signée à Strasbourg le 27 janvier 1999, réside dans son large champ d'application et dans son approche globale du phénomène, ce qui la différencie des instruments internationaux précédemment adoptés dans ce domaine.
Sur le plan des incriminations, cette convention, dont la ratification a été autorisée par le Parlement par une loi du 11 février 2005, représente une avancée importante dans la voie du rapprochement des législations pénales en ce qu'elle étend les infractions de corruption active et passive à de nombreuses catégories professionnelles, ainsi qu'au secteur privé. Elle couvre également l'incrimination du trafic d'influence, du blanchiment du produit de la corruption et les infractions comptables.
Le protocole additionnel adopté à Strasbourg le 15 mai 2003, dont j'ai l'honneur de présenter devant vous le projet de loi d'approbation, a pour objet de compléter cette convention en ce qui concerne la corruption des jurés et des arbitres, tant nationaux qu'étrangers. Les décisions prises par les jurés et les arbitres présentent en effet, de par leur nature et les conséquences qui s'y attachent, de très grandes similitudes avec celles prises par les autorités judiciaires. Le risque de corruption n'est donc pas moins important à leur égard qu'en ce qui concerne les juges. Ce protocole vise à combler cette lacune qui subsistait dans le dispositif résultant de la convention-mère.
Au même titre que la convention, la ratification de ce protocole additionnel entraînera, pour la France, une adaptation du droit interne, et le Gouvernement prépare actuellement un projet de loi visant à introduire les modifications législatives liées à la ratification de ces deux instruments. S'agissant du protocole additionnel, il fait obligation d'incriminer des comportements non prévus ou couverts partiellement par notre législation, tels que la corruption active et passive des jurés et arbitres étrangers et le trafic d'influence commis en direction de jurés et d'arbitres nationaux et étrangers.
Afin d'assurer la cohérence de notre dispositif pénal en matière de corruption, le Gouvernement a choisi d'intégrer l'ensemble des adaptations législatives nécessaires dans un seul projet de loi, en intégrant également celles liées à la ratification de la convention des Nations unies contre la corruption.
L'approbation de ce protocole permettra de réaffirmer sur la scène internationale l'engagement de notre pays dans la lutte contre la corruption.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, les principales observations qu'appelle le protocole additionnel à la convention pénale sur la corruption, qui fait l'objet du projet de loi aujourd'hui soumis à votre approbation. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)
La parole est à M. le rapporteur de la commission des affaires étrangères.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, à l'heure où la circulation des capitaux ne rencontre que peu d'entraves, la lutte internationale contre la corruption s'affirme comme une impérieuse nécessité.
Seule une initiative de la communauté internationale convient à l'ampleur du défi que constitue, à terme, l'éradication de ce phénomène.
De nombreux accords et conventions ont déjà été signés. Diverses instances internationales, telles que l'ONU, l'OCDE, l'Union européenne, ont créé de nouvelles obligations juridiques pour les États. Leurs approches restent pourtant limitées, soit parce qu'elles ne concernent qu'un petit nombre d'États, soit parce qu'elles ne s'appliquent pas à certains actes pourtant assimilables à de la corruption. Le Conseil de l'Europe souhaite s'affranchir de ces limites afin de traiter le problème de la corruption de la manière la plus large possible.
Les initiatives en ce domaine ont été le fait d'un groupe d'États, dont l'existence a été officialisée en 1998 sous le nom du Groupe d'États contre la corruption, le GRECO, dont la France est un membre fondateur.
À l'heure actuelle, deux conventions relatives à la corruption ont été élaborées dans le cadre du Conseil de l'Europe : la convention civile et la convention pénale sur la corruption. Ces textes se distinguent par leur conception très large de ce qu'est un acte de corruption. La lutte contre la corruption s'affirme comme une politique globale : le blanchiment des produits de la corruption et les fraudes comptables nécessaires à la commission d'un acte de corruption sont visés.
Le suivi de l'application de ces textes est confié au GRECO.
À la date de la signature par la France de la convention civile, le droit français était déjà en conformité avec les obligations fixées par cette dernière. La convention pénale impose en revanche quelques modifications du droit pénal. C'est pourquoi sa ratification, bien qu'autorisée par notre assemblée le 11 mai 2004, n'est pas encore intervenue, mais elle ne devrait pas tarder, d'après le ministère de la justice. Si vous l'autorisez, la ratification du protocole additionnel pourrait avoir lieu au même moment.
Pour la clarté du propos, je présenterai successivement les dispositions de la convention pénale et celles du protocole, ce dernier ne s'entendant que comme un complément à la convention.
La convention du Conseil de l'Europe couvre des faits variés puisqu'elle inclut le trafic d'influence, le blanchiment des produits de la corruption et les infractions comptables nécessaires à la commission d'actes de corruption. De plus, elle ne concerne pas que les cas de corruption d'agent publics nationaux. Elle oblige à harmoniser les législations nationales relatives à la corruption ou à la tentative de corruption d'agents publics étrangers.
Malgré son caractère très ambitieux, des possibilités d'amélioration de la convention avaient été identifiées dès l'origine. Le protocole additionnel vise l'une d'entre elles, s'agissant de la corruption d'arbitres.
Ce texte a été ouvert à la signature le 15 mai 2003. Dix-sept signatures d'États membres du Conseil manquaient à la date du 23 juillet, et vingt-neuf États n'avaient pas procédé à sa ratification, dont la France.
Les stipulations de la convention pénale sont applicables au protocole ; son application est contrôlée par le GRECO, comme la convention.
Le protocole additionnel à la convention pénale sur la corruption vise les actes de corruption d'arbitres et de jurés. Il permet de combler un manque. En effet, la convention ne concernait que les agents publics et n'incluait pas les personnes qui disposent de la capacité d'édicter des décisions juridiques sans que ce pouvoir ne leur soit conféré par leurs fonctions professionnelles.
Les obligations de la convention s'appliquent aux catégories visées par le protocole. Dès lors, tout acte de corruption impliquant un arbitre ou un juré, national ou étranger, doit être érigé en infraction pénale par tous les États parties.
Pour la France, la ratification d'un tel accord impliquerait deux modifications de faible ampleur. Les articles 434-9 et 435-4 du code pénal permettant déjà de sanctionner la corruption d'arbitres et de jurés nationaux, une seule extension aux arbitres et jurés étrangers suffirait.
Deux réserves pourraient être apportées lors de la ratification de la convention pénale et du protocole.
En premier lieu, la France se réserve le droit de ne pas ériger en infraction pénale les faits de corruption passive impliquant un arbitre ou un juré étranger. Une telle infraction permettrait d'engager des poursuites contre une personne désignée arbitre sous l'empire d'un droit étranger, afin de régler un litige entre deux personnes étrangères. La collecte de preuves matérielles pourrait se révéler difficile et le risque existe que ces initiatives soient présentées comme des actes d'ingérence.
En deuxième lieu, la France souhaite poser une réserve quant à l'obligation d'ériger en infraction pénale le trafic d'influence, qui n'est pas reconnu en tant que tel par les systèmes juridiques de tous les États membres du Conseil de l'Europe. Il s'agit là, monsieur le président, pour être bref, de l'application du principe de réciprocité.
Je tiens à souligner, pour conclure, que la lutte internationale contre la corruption pourrait connaître des avancées importantes dans les prochaines années. Celles-ci ne pourront être réellement partagées que si la souveraineté juridique des États est respectée et l'atteinte portée à leurs intérêts économiques est proportionnée.
Le protocole additionnel à la convention pénale sur la corruption représente donc une avancée considérable en la matière, tout en étant assorti des conditions nécessaires à sa bonne application par toutes les parties.
Mes chers collègues, la commission des affaires étrangères vous demande d'approuver ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, y aurait-il un « bon usage » de la corruption ? À en croire l'évolution récente de l'opinion internationale, on peut répondre globalement « non ». L'idée se répand peu à peu que la corruption agit dans les affaires publiques comme une drogue sur les individus. Elle procure un avantage immédiat, mais, dans la mesure même où elle est une perversion du droit et la pire ennemie de la bonne foi, clé de relations contractuelles durables, elle ne favorise pas le développement à long terme d'échanges fructueux. Elle est antiéconomique et antidémocratique.
Les organisations non gouvernementales qui, comme Transparency International, s'assignent pour tâche l'évaluation et la dénonciation des pratiques de corruption partout dans le monde ne cessent de rappeler le danger de ces pratiques et leurs appels reçoivent une audience croissante.
L'expérience de ces organisations montre que la corruption ne se limite pas, dans les États qui en souffrent, à des comportements d'enrichissement sans cause concernant quelques individus. Elle implique une perversion de la décision publique et privée, un parasitage des choix politiques et économiques qui se révèle à terme menaçant pour la cohésion de la société. On peut aussi constater que la corruption est un frein au développement, dans la mesure où elle détourne dans les mains d'un petit nombre d'oligarques politiques ou économiques les moyens financiers qui pourraient permettre de stimuler l'activité de pays qui se débattent collectivement avec la pauvreté.
Au-delà de ses aspects anecdotiques, le scandale qui a récemment conduit le président de la Banque mondiale à quitter ses fonctions pour cause de favoritisme personnel montre à quel point la découverte de pratiques de corruption est, pour celui qui s'en rend coupable, une source irrémédiable de discrédit international. Les réactions hostiles à de telles pratiques ont certes un ressort moral, mais elles sont aussi et surtout inspirées par le désir de préserver l'exemplarité d'institutions qui prétendent exercer un rôle dans le gouvernement des affaires du monde. L'Organisation des Nations unies a été animée d'une préoccupation semblable quand elle a mis au point ses standards internationaux de lutte contre la corruption.
Le protocole dont nous débattons en cet instant, qui suit la même perspective, répond également à la vocation propre du Conseil de l'Europe.
Il existe en effet une continuité entre les débats généraux d'orientation portant sur la conception de la démocratie et des droits de l'homme commune aux États membres du Conseil et les projets de convention qui, parfois dans le détail, appellent ces États à mettre en oeuvre concrètement cette conception dans leurs lois et leurs pratiques.
Le protocole est un bon exemple de cette pédagogie active par le droit. À partir de la définition commune de la corruption codifiée par le groupe spécialisé du Conseil de l'Europe, la convention de 2002 a défini les règles d'harmonisation des législations et de coordination des procédures anticorruption dans les différents États membres. Le protocole en précise l'application pour les procédures d'arbitrage civil et commercial et les jurys pénaux. L'excellent rapport de notre collègue Claude Birraux détaille les incidences de son entrée en vigueur sur le droit interne : je n'y reviendrai donc pas. En revanche, je me féliciterai, au nom du groupe Nouveau Centre, de ce nouvel exemple d'avancée de la coopération entre États qui partagent une même conception de la démocratie contre des comportements de corruption qui en sont le flagrant déni.
Vous l'aurez compris, le groupe Nouveau Centre votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Je souhaite m'exprimer brièvement sur le projet de loi qui nous est soumis ce matin et qui vise à l'approbation du protocole additionnel à la convention pénale du Conseil de l'Europe sur la corruption, protocole qui a été ouvert à la signature à Strasbourg, le 15 mai 2003, à l'occasion de la 112ème session du comité des ministres du Conseil de l'Europe.
Rappelons rapidement que la convention pénale, entrée en vigueur le 1er juillet 2002, vise à l'harmonisation des législations nationales en matière d'incrimination des actes de corruption et à améliorer la coopération internationale dans le domaine de l'instruction et de la poursuite des infractions.
Particulièrement ambitieuse et importante, la convention pénale vise ainsi à incriminer de façon coordonnée, à l'échelle internationale, un large éventail de conduites de corruption et à améliorer la coopération entre les États, ce qui est de plus en plus indispensable pour les raisons que j'exposais tout à l'heure à propos d'un autre texte.
Le protocole additionnel qui nous est soumis ce matin vise à étendre le champ d'application de la convention à la corruption des arbitres, notamment en matière commerciale ou civile, et à celle des jurés, complétant ainsi les dispositions de cette convention visant à protéger les juridictions contre la corruption.
Les décisions prises par ces personnes présentent, par leur nature et par les conséquences qui s'y attachent, de très grandes similitudes avec celles qui sont prises par les autorités judiciaires. La tentation d'obtenir une décision favorable de la part de jurés ou d'arbitres contre le versement d'une rémunération n'est donc pas moins grande que quand il s'agit de juges.
La corruption est donc un phénomène susceptible d'affecter toutes les sphères d'activités.
Les modifications contenues dans ce protocole additionnel constituent donc une étape supplémentaire et indispensable de la lutte contre la corruption.
Il convient de rappeler que les années 90 ont vu se renforcer la prise de conscience par les opinions publiques et les dirigeants de l'impérieuse nécessité de lutter contre le fléau de la corruption, qui met en danger la stabilité des institutions démocratiques, les fondations morales de la société et l'économie de marché.
Dès 1999, en effet, le Conseil de l'Europe a fait de la lutte contre la corruption l'une de ses priorités, en adoptant deux conventions relatives, l'une aux aspects civils de la lutte contre la corruption, et l'autre à ses aspects pénaux.
D'un point de vue technique, je note, sans entrer dans les détails de ces dispositions, qu'il a été répondu aux interrogations relatives au calendrier de ratification de cet ensemble d'instruments internationaux de lutte contre la corruption et à celles qui portaient sur les conséquences d'une ratification tardive de ce texte par la France pour le processus d'évaluation que réalise le Conseil de l'Europe. Ont également été précisées les relations et la coopération entre les deux espaces de droit que sont le Conseil de l'Europe et l'Union européenne.
Je reconnais par ailleurs l'opportunité des deux réserves que la France pourrait émettre lors de son adhésion au protocole, portant, d'une part, sur l'incrimination de la corruption passive d'agents publics étrangers et, d'autre part, sur l'incrimination du trafic d'influence commis en direction d'un arbitre étranger ou d'un juré étranger.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les principales observations qu'appelle le protocole additionnel à la convention pénale sur la corruption, dont l'approbation fait l'objet du projet de loi qui nous est aujourd'hui soumis et sur lequel le groupe de l'UMP émettra un vote favorable.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le projet de loi qui est soumis à notre approbation aujourd'hui est un protocole, signé le 15 mai 2003, dont l'objectif est de compléter la convention pénale sur la corruption.
On se rappelle le contexte dans lequel a vu le jour cette convention pénale, qui a été adoptée en 1999 sous l'égide du Conseil de l'Europe dans le cadre de son « Programme d'action contre la corruption » défini en 1996. Il s'agit là encore d'un texte relevant du droit international, et non pas du droit communautaire. Cette convention a été élaborée parallèlement à une convention civile sur la corruption. Toutes deux s'inscrivent dans un mouvement global, amorcé dans les années 90 dans le contexte des « affaires » qui ont ébranlé plusieurs pays d'Europe occidentale et mis en lumière tant l'ampleur d'un phénomène qu'une baisse de la tolérance des opinions publiques vis-à-vis de pratiques contraires à l'éthique.
Nous examinons aujourd'hui les dispositions d'un protocole additionnel à cette convention initiale – un texte de complément, donc, au texte existant. Ce protocole, cela a déjà été dit, a pour objectif d'élargir le champ d'application de la convention. Il propose pour cela de définir un certain nombre de termes, comme ceux d'« arbitre » ou d'« accord d'arbitrage », et d'inclure de nouvelles catégories dans le champ des personnes concernées par la convention.
Je me contenterai de souligner deux points. Tout d'abord, la convention et le protocole additionnel s'inscrivent dans le cadre d'un arsenal juridique déjà impressionnant dans le domaine de la lutte contre la corruption. Toutes les organisations internationales, ou peu s'en faut, ont ajouté leur proposition, ce qui n'a évidemment pas été sans provoquer une certaine cacophonie. On peut penser par exemple à la convention de l'OCDE sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions internationales, à la convention des Nation unies contre la corruption, à la décision-cadre du Conseil du 22 juillet 2003 relative à la corruption dans le secteur privé, aux deux conventions de l'Union européenne relatives à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes et à la lutte contre la corruption impliquant des fonctionnaires des Communautés européennes ou des États membres, ou à l'Office européen de lutte anti-fraude – l'OLAF –, créé en 1999 et doté de pouvoirs d'enquête interinstitutionnels. En matière de lutte contre la corruption, le droit, loin d'être déficitaire, prolifère plutôt – à l'excès, pourraient dire certains.
Dès lors, on pourrait regretter que l'effort des États ait porté sur la rédaction de textes additionnels, et non sur une meilleure coordination des instruments existants. Il y aurait déjà là, me semble-t-il, un travail à entreprendre pour éviter les chevauchements législatifs et promouvoir un degré de coercition équivalent dans les organismes internationaux et pour les mesures existant déjà au sein de l'Union européenne. De même, l'effort aurait pu porter sur une meilleure application des instruments déjà à notre disposition. Ainsi, la Commission européenne a adopté en juin 2007 un rapport sur la transposition de la décision-cadre relative à la lutte contre la corruption dans le secteur privé, que j'évoquais à l'instant. Ce rapport constate que, dans la plupart des États membres, la transposition de cette décision-cadre n'en est qu'au « stade initial ». Il existe donc une marge de manoeuvre pour améliorer l'application des instruments existants, et cet objectif, qui ne doit pas nous détourner du texte que nous examinons aujourd'hui, ne devrait pas être perdu de vue.
Deuxième point : on peut regretter que le protocole ne corrige pas les faiblesses de la convention pénale sur la corruption.
La première de ces faiblesses réside dans les réserves que peuvent formuler les États signataires – qui ne s'en privent pas. Même si elles sont limitées à cinq, ces réserves viennent en quelque sorte trouer le bouclier anticorruption que devrait constituer la convention, et cela d'autant plus qu'elles peuvent être reconduites sans limite de temps. La France, d'ailleurs, fait pleinement usage des possibilités qui lui sont offertes en ce sens.
La deuxième faiblesse réside dans l'efficacité de la convention : celle-ci, comme la convention civile sur la corruption, qui est son pendant dans un autre domaine judiciaire, peut être dénoncée à tout moment par les États signataires. Cette disposition hypothèque bien évidemment l'efficacité du texte en le soumettant à la seule bonne volonté des États signataires.
Au-delà de ces faiblesses du texte initial, que le protocole ne corrige malheureusement pas, nous pouvons nous réjouir de voir renforcer la convention pénale sur la corruption. Le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche a souligné, à maintes reprises, que la corruption constituait une menace grave dans une société respectueuse du droit. Il ne peut être que satisfait de voir progresser la lutte contre ce fléau. Nous voterons donc ce texte.
La discussion générale est close.
La parole est à M. le secrétaire d'État.
Je tiens à indiquer, en réponse aux interrogations soulevées quant à la coordination des différents textes existants, que nous nous efforcerons, dans un prochain projet de loi, de rassembler les dispositions existantes en la matière afin d'assurer la cohérence entre notre droit national et ces différentes conventions.
Personne ne demande la parole pour une explication de vote.
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi, dans le texte du Sénat.
(L'article unique du projet de loi est adopté.)
Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique :
Discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, du projet de loi renforçantla lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs :
Rapport, n° 103, de M. Guy Geoffroy ;
Discussion du projet de loi, n° 13, adopté par le Sénat, portantcréation d'une délégation parlementaire au renseignement :
Rapport, n° 83, de M. Bernard Carayon, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République,
Avis, n° 79, de M. Yves Fromion, au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées ;
Éventuellement, à vingt et une heures trente, troisième séance publique :
Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.
La séance est levée.
(La séance est levée à douze heures quarante-cinq.)
Le Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,
Jean-Pierre Carton