Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le débat de ce matin autour du traité conclu le 27 mai 2005 à Prüm permet de mesurer l'ampleur de l'évolution de la coopération entre États européens dans un domaine qui touche de près à ces attributs de la souveraineté nationale que sont le maintien de l'ordre public et la justice pénale.
Aujourd'hui, le public retient surtout de l'accord de Schengen qu'il permet de passer insensiblement d'un pays européen à l'autre sans prendre garde aux panneaux frontaliers. Il n'en fut pas de même en 1985 et au cours des années qui suivirent : dans cet hémicycle en particulier a retenti la dénonciation passionnée des atteintes prétendument portées par l'accord de Schengen à notre indépendance. Aujourd'hui cette critique, heureusement, est très minoritaire. Que s'est-il passé en vingt ans ?
La coopération judiciaire et policière est devenue une réalité de l'Union européenne à travers le troisième pilier du traité de Maastricht : la justice et les affaires intérieures. Elle s'est développée sur la base d'instruments conventionnels de coopération renforcée, intégrés pragmatiquement dans l'acquis communautaire à mesure que les circonstances politiques le permettaient.
L'application de l'accord de Schengen a suscité la création d'un vaste espace unique de libre circulation des personnes – et donc des criminels –, alors même que la répression de la grande criminalité demeure largement enfermée dans des cadres nationaux, entre lesquels il est facile de jouer. La contradiction était connue de tous, mais il a fallu le choc créé par les attentats du 11 septembre 2001 pour stimuler les initiatives de coopération et faire tomber, dans une certaine mesure, les préventions contre la création du mandat d'arrêt européen.
La conclusion du traité de Prüm permet de mesurer les progrès accomplis. Les États parties au traité sont en effet parvenus à définir des procédures de coopération spécifique – présence de gardes armés à l'intérieur des avions, envoi dans les pays d'origine d'experts en faux documents d'identité, création de patrouilles transfrontalières – qu'ils ont assorties de garanties assurant le respect de la souveraineté de chaque État.
Le contenu de l'accord donne également l'occasion d'apprécier l'avancée des techniques d'identification individuelle. En effet, il se traduit par la création de la plus grande base de données dactyloscopiques du monde, avec 70 millions d'empreintes digitales. Il prévoit l'échange d'informations entre les fichiers de profils ADN que les États parties s'engagent à constituer. Plus classiquement, il organise l'information sur les fichiers d'immatriculation des véhicules.
Enfin, les ministres de l'intérieur des États parties au traité de Prüm ont approuvé, le 12 juin 2007, la création d'un système d'information des visas, qui sera opérationnel au printemps 2009.
J'ai parlé de progrès. Il me faut maintenant évoquer les garanties nécessaires pour que la mise en oeuvre des systèmes d'échange d'informations prévus par le traité de Prüm se fasse dans des conditions satisfaisantes au regard de la protection des libertés publiques.
La difficulté n'a pas échappé aux auteurs du traité, qui ont soumis l'utilisation des données collectées et échangées à trois principes : un principe d'affectation, puisque les données doivent être exploitées à des fins précises ; un principe de temporalité, puisque la durée d'utilisation de ces données est limitée en tout état de cause à un an ; un principe de confidentialité, puisque ces données devront être effacées dès lors que les fins visées auront été atteintes.
De plus, l'article 37 du traité met à la charge des États membres l'obligation de veiller à l'exactitude et à l'actualité des données à caractère personnel incluses dans les fichiers et organise diverses procédures de rectification des données dont le caractère incomplet ou inexact serait constaté. L'article 40 du traité ouvre à toute personne intéressée un droit d'accès aux données individuelles la concernant et de rectification des données inexactes. Il reconnaît également un droit à indemnisation pour tout préjudice imputable à l'emploi de telles données, en renvoyant aux autorités compétentes dans chaque pays le soin de mettre en oeuvre, sauf recours aux tribunaux, les procédures correspondantes. Pour la France, il s'agit évidemment de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, la CNIL.
Toutefois, pour faire usage de telles procédures de garantie, encore faudrait-il que les personnes intéressées aient connaissance de l'existence de données les concernant dans les fichiers prévus par le traité de Prüm ! Je doute que ce soit souvent le cas. Dans ces conditions, la garantie offerte par le traité ne risque-t-elle pas d'être formelle, alors que l'atteinte objective aux libertés individuelles que constitue l'utilisation erronée du fichier est bien réelle ?