Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je ne crois pas qu'il soit pertinent de revenir sur l'histoire des débats passionnés suscités par l'abolition de la peine de mort, mais il est certain que l'âme de Victor Hugo plane sur notre assemblée ce matin.
La peine de mort a toujours été et est la pire forme de châtiment qui soit : cruel, inhumain, dégradant et irréversible. Combien d'exemples avons-nous de condamnés exécutés alors que leur innocence a été prouvée par la suite ? De plus, tout le monde s'accorde à dire que son effet dissuasif n'a jamais été démontré.
C'est pour moi un honneur, pour mon premier mandat, d'intervenir dans ce débat si important pour la France et pour la protection des droits humains, en particulier celui de ne pas être privé de la vie.
Il y a vingt-six ans, notre pays prenait la décision d'abolir la peine de mort, convaincu de la nécessité de respecter le droit inaliénable à la vie et à la dignité humaine. Cette année, un pas de plus a été franchi avec l'introduction dans notre Constitution d'un nouvel article proclamant : « Nul ne peut être condamné à la peine de mort ». Et nous continuons aujourd'hui avec la ratification du protocole n° 13 et l'adhésion au deuxième protocole facultatif, qui contribueront à renforcer, d'une part, la protection du droit à la vie et, d'autre part, le droit de ne pas en être privé de manière arbitraire. Sur le plan national, cette avancée complémentaire de notre système pénal constitue une garantie ; sur le plan international, elle marque un pas important vers l'abolition universell. L'adoption de ces deux instruments juridiques donnera un poids moral et politique aux campagnes que la France lancera en vue d'une abolition universelle.
Si l'abolition de la peine de mort est une réalité chez nous, la « barbarie », selon le terme de Victor Hugo, consistant à priver de la vie un être humain, est encore présente dans de nombreux pays. Soixante-huit pays maintiennent toujours la peine de mort et appliquent ce châtiment comme méthode de lutte contre certains crimes, alors que quatre-vingt-neuf l'ont aboli de manière absolue. En 2006, près de 1 590 prisonniers ont été exécutés dans vingt-cinq pays ; 3 861 personnes ont été condamnées à mort dans cinquante-cinq autres. Aux États-Unis, au cours de l'année 2007, trente personnes ont été exécutées par injection létale. De nombreuses exécutions ont eu lieu également dans d'autres pays. Pire encore, on exécute des mineurs. Dans certains États des États-Unis, l'âge minimal pour l'application de la peine de mort est de seize ans, dans d'autres de dix-sept ans. Pourtant, la Convention internationale des droits de l'enfant, en son article 6, garantit à tous les enfants le droit inhérent à la vie tandis que son article 37 énonce sans ambiguïté que la peine capitale ne peut s'appliquer aux moins de dix-huit ans. Ces dispositions ne font que confirmer celle de l'article 6.5 du pacte relatif aux droits civils et politiques qui interdit également la peine capitale contre les mineurs.
Certes, les exécutions de mineurs sont peu nombreuses, mais là n'est pas le point essentiel. L'important est de savoir si les États qui appliquent la peine de mort ont la volonté de respecter les normes internationales. Le 18 juillet dernier, l'État de Floride a repris les exécutions, mettant fin au moratoire édicté en décembre 2006 après l'agonie d'un condamné à mort qui avait duré plus d'une demi-heure, preuve s'il en est de la cruauté de cette peine extrême.
Les méthodes d'exécution, on le sait, ne sont pas moins cruelles que la peine elle-même. Elles débordent d'imagination : décapitation, électrocution, pendaison, injection létale, exécution par arme à feu, lapidation. Ajoutons à cela que les condamnés doivent parfois attendre plus de vingt ans leur exécution dans les couloirs de la mort. La peine de mort est cruelle en elle-même, mais la procédure judiciaire, qui entraîne l'incertitude de l'exécution, peut être qualifiée de torture. Je pense à Mumia Abu Jamal qui attend la révision de son procès depuis vingt-cinq ans. Mais combien d'autres sont dans le même cas ?
Revenons aux textes qui nous sont soumis et aux différences essentielles qu'ils présentent.
Le protocole n° 13 vise l'abolition totale de la peine de mort en toutes circonstances, y compris en temps de guerre – je rappelle à ce propos que la loi de 1981 sur l'abolition de la peine de mort n'excluait pas ces circonstances exceptionnelles. Ce texte complète le protocole n° 6 à la convention de 1982, premier instrument juridiquement contraignant en Europe prévoyant l'abolition de la peine capitale en temps de paix mais laissant la possibilité d'appliquer la peine de mort pour des actes commis en temps de guerre ou de danger imminent de guerre. Comme il est explicitement précisé à l'article 1er du protocole n° 13, les États parties assument l'obligation d'abolir cette peine en toutes circonstances : l'interdiction des dérogations est explicite. La portée du protocole englobe ainsi l'abolition en temps de paix et en temps de guerre. De plus, la ratification de ce protocole exclut l'application de l'article 15 de la convention qui prévoit également des dérogations. L'Europe devient ainsi un espace sans peine de mort, y compris en temps de guerre. Toute incompatibilité légale doit être l'objet d'une dérogation.
Quant au protocole au pacte de 1966, s'il vise bien à abolir la peine de mort à l'échelle mondiale, son article 2 autorise, lors de la ratification ou de l'adhésion, que des réserves soient formulées pour l'application de la peine de mort en temps de guerre à la suite d'une condamnation pour un crime à caractère militaire, d'une gravité extrême, commis en temps de guerre. Certes, les réserves au protocole ne sont pas nombreuses : seuls la Grèce, la République d'Azerbaïdjan et Chypre en ont émis. Reste que la peine de mort peut être appliquée pour des crimes commis en temps de guerre. Mais il est d'une importance exemplaire, pour éviter des engagements internationaux contradictoires, que l'adhésion au protocole soit faite sans réserve et sans interprétation déclarative qui, parfois, vaut pour réserve. La peine de mort doit être abolie pleinement et définitivement. Nous ne pouvons pas laisser les portes entrouvertes : elle ne doit pas revenir.
Nous sommes, que nous le voulions ou non, face à de nouveaux dangers, ne serait-ce que dans le contexte de lutte contre le terrorisme. Ces dangers constituent de nouvelles menaces et contribuent à une dégradation générale du respect des droits de l'homme. Une forte tendance se manifeste à revenir à un ordre antérieur, particulièrement depuis le 11 septembre, où nous assistons à une remise en cause du cadre international de protection des droits et des libertés fondamentales. Sous prétexte de lutter contre le terrorisme, la torture est légitimée comme méthode pour obtenir des aveux, les enlèvements et le transfert de personnes deviennent possibles vers des pays où la peine de mort est en vigueur.
À la suite des attentats de Madrid du 11 mars 2004, 49 députés ont déposé une proposition de loi tendant à rétablir la peine de mort en France pour punir les auteurs des actes de terrorisme les plus graves. Bien que la proposition n'ait été l'objet d'aucune discussion, cela nous rappelle qu'il faut rester vigilants. D'autres pays comme le Pérou sont en train de faire marche arrière au nom de la lutte contre le terrorisme. Or, comme l'a pertinemment remarqué M. Badinter, s'il y a un domaine dans lequel l'inefficacité de la peine de mort est établie, c'est bien le terrorisme. En effet, son rétablissement pour des actes terroristes est loin de constituer un remède.
Faisons les choses complètement et demandons l'abolition sans réserve. Je citerai ici le cas de l'Espagne qui avait émis une réserve lors de la ratification du protocole, laissant le droit au gouvernement espagnol d'appliquer la peine de mort dans des cas exceptionnels et particulièrement graves, entre autres pour des crimes commis en temps de guerre avant de décider, en janvier 1998, de retirer cette réserve. L'abolition de la peine de mort y est aujourd'hui pleine et définitive. Et comme le rapporteur, je souhaite que nous n'émettions aucune réserve.
Nous ne devons laisser aucune occasion d'un jour replonger, ne serait-ce qu'un instant, dans l'insupportable paradoxe qui permet d'associer dans certains pays, démocratie et peine de mort, justice et ignominie, bien-être et violence de la part de la société. En adhérant à ce protocole sans réserve, nous nous éloignons du mépris des droits de l'homme. La ratification du protocole n° 13 ne sera que la réaffirmation de notre tradition du respect des droits humains. Demandant l'abolition pleine et définitive, nous pourrons appeler tous les États membres des Nations unies qui ne l'ont pas encore fait à envisager légalement d'adhérer aux instruments juridiques internationaux pertinents en la matière.
Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine votera évidemment la ratification de la convention et l'adhésion au pacte. Je m'associe aux remarquables conclusions de mon collègue Dufau. (Applaudissements sur tous les bancs.)