Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, un triste constat s'impose : l'asservissement de l'homme par l'homme est une tentation qui se renouvelle de génération en génération. Comme l'a rappelé notre rapporteure, c'est un phénomène global.
Dans les siècles passés, la traite humaine était associée au négoce transatlantique. Force est de le reconnaître, l'esclavage fait partie des ombres de notre histoire. Chez certains esprits, et jusque chez Voltaire, la philosophie des Lumières a pu coexister avec une indifférence totale vis-à-vis de cette pratique. Cependant, une prise de conscience s'est opérée par la suite. On aurait pu espérer que les appels de l'abbé Grégoire, puis l'action déterminée de Victor Schoelcher, avaient solidement enraciné dans la mentalité collective la conviction que « tant qu'il restera un esclave sur la surface de la terre, l'asservissement de cet homme est une injure permanente faite à la race humaine tout entière ». Malheureusement, il n'en est rien. Le grand banditisme a pris la suite des négriers dans l'organisation du trafic des êtres humains. Chaque année, ce commerce honteux fait plus de 700 000 victimes dans le monde.
La pauvreté est la cause première de l'essor de la traite humaine sous sa forme contemporaine. Jetant les plus démunis, donc les plus vulnérables, dans le désespoir, elle les accule à saisir tous les moyens pour assurer leur subsistance. Elle fait de femmes et d'enfants les proies sans défense des prodigues de fausses promesses.
Fléau international, la traite humaine appelle une réponse internationale. À nouveau, je me réjouis de ce que, fidèle à sa mission de veilleur des droits de l'homme, le Conseil de l'Europe ait pris l'initiative d'organiser juridiquement la riposte autour de deux principes : la répression des trafiquants et l'accompagnement des victimes.
Pour contrer le développement de la traite, il faut sans nul doute s'attaquer à ses causes profondes. Ainsi, l'un des premiers objectifs du co-développement, dont les voies font débat aujourd'hui, doit être l'extinction des phénomènes qui contraignent les femmes à se prostituer et les parents à vendre leurs enfants. Parallèlement, la répression des proxénètes et des passeurs doit être poursuivie sans relâche. En Europe, plus particulièrement, l'organisation de la traite humaine à une large échelle est aussi contradictoire aujourd'hui avec nos valeurs communes que la traite transatlantique pouvait l'être avec l'esprit des Lumières. C'est pourquoi je ne saurais trop appuyer l'inclusion de la lutte contre la traite au nombre des thèmes de la coopération bilatérale et multilatérale en Europe, notamment dans les relations entre les pays de l'Est de l'Union européenne et la Russie. Les contrôles coordonnés aux frontières, en particulier, doivent être concrètement développés et suivis d'une répression effective.
Dans l'ordre interne, j'en suis convaincu, le Gouvernement a une préoccupation analogue. Aussi, monsieur le ministre, je souhaiterais que vous nous apportiez des précisions sur un point qui relève directement des prérogatives de souveraineté de la France, comme de tout État indépendant, à savoir les dispositions prises pour prévenir et déjouer l'utilisation de la procédure de délivrance des visas de séjour en vue de la constitution illicite de filières d'immigration. Par ailleurs, le soutien aux victimes de la traite implique des mesures d'accompagnement par les services français compétents : délivrance de documents de séjour temporaire, organisation du retour dans le pays d'origine dans des conditions propres à empêcher un nouvel enrôlement dans une filière de prostitution. L'efficacité de cette action dépend de la qualité de la coopération avec les autorités des pays d'origine.
Je terminerai mon propos par une remarque plus générale. L'organisation des filières de la traite humaine se confond souvent avec les réseaux d'immigration clandestine. Ce constat s'est imposé au Conseil européen de Séville, qui s'est tenu il y a cinq ans, en juin 2002, et a débouché sur l'élaboration d'un plan global de lutte contre l'immigration clandestine et la traite des êtres humains. Qu'en est-il aujourd'hui, monsieur le ministre, de la mise en oeuvre de ce plan ?
Sous le bénéfice de ces quelques interrogations, et parce qu'il partage les objectifs de la Convention, le groupe du Nouveau Centre votera le projet de loi qui en autorise la ratification.