Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la France a fait partie des premiers États qui ont signé puis ratifié le protocole additionnel à la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée, visant à prévenir, à réprimer et à punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, communément appelé le protocole de Palerme. Le Gouvernement nous propose aujourd'hui de l'autoriser à ratifier la convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, que notre pays a signée le 22 mai 2006, il n'y a guère plus d'un an.
La brièveté de ce délai, ainsi que l'a rappelé M. le secrétaire d'État, témoigne incontestablement de l'attachement de la France à la lutte contre la traite des êtres humains et d'une volonté politique forte. N'est-il pas naturel d'ailleurs que le pays des droits de l'Homme soit particulièrement sensible à l'éradication de pratiques criminelles qui nient les droits les plus élémentaires de leurs victimes, ces dernières étant des hommes, mais aussi et surtout des femmes et des enfants par millions ? Je ne peux, à cet égard, que saluer l'action de nos gouvernements successifs qui, depuis plusieurs années, ont su traduire cette émotion légitime en mesures adaptées.
Certes, tout n'est pas encore parfait dans notre pays, mais beaucoup a été fait, notamment en matière de protection des victimes et de poursuites pénales contre les responsables de ce trafic inhumain, si bien que la ratification de la convention du Conseil de l'Europe n'entraînera que quelques modifications minimes de notre droit interne.
Ainsi que la rapporteure de la commission des affaires étrangères l'a souligné, cette convention constitue un progrès par rapport au protocole de Palerme sur trois points : son champ d'application couvre toutes les formes de traite des êtres humains, nationales comme internationales, impliquant ou non des organisations criminelles ; elle met l'accent sur les droits des victimes ; elle comporte un mécanisme de contrôle.
Ce dernier point me semble essentiel. L'existence d'un tel mécanisme est indispensable, car trop nombreux sont les traités qui énoncent droits et obligations tout en comptant exclusivement sur la bonne volonté des États parties pour assurer leur respect. Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, certes, une autorité supérieure aux lois dans de nombreux pays, dont la France, mais cela n'implique pas nécessairement que tout justiciable puisse s'en prévaloir, ni que le droit interne soit systématiquement modifié pour être mis en conformité avec les nouvelles normes internationales en vigueur. C'est pourquoi il est essentiel que chaque convention se dote d'un instrument destiné à assurer que ses stipulations seront respectées.
Au cours de l'année qui suivra l'entrée en vigueur de la présente convention du Conseil de l'Europe, devra être mis en place un mécanisme de suivi reposant sur un groupe d'experts et sur un comité des parties.
Le groupe d'experts sera composé de dix à quinze membres élus par le comité des parties pour une période de quatre ans renouvelable une fois. Ils seront choisis parmi des personnalités de haute moralité, connues pour leurs compétences en matière de droits de l'Homme, de protection des victimes et de lutte contre la traite des êtres humains, et exerceront leur mandat de manière indépendante et impartiale. Ils devront tous être de nationalité différente et représenter les principaux systèmes juridiques.
Organe politique, le comité des parties réunira, pour sa part, les représentants de tous les États parties à la convention.
Le groupe d'experts sera chargé d'évaluer la manière dont les États parties la mettent en oeuvre. Cette procédure d'évaluation portera successivement sur les différentes stipulations. Les États parties devront répondre à toute demande formulée dans ce cadre par le groupe d'experts, qui pourra aussi solliciter des informations auprès de la société civile ou l'assistance d'experts internationaux, et qui aura la possibilité d'effectuer des visites dans les pays concernés. Le groupe établira alors un projet de rapport, soumis à l'État étudié avant son adoption, et procédera à la présentation de conclusions. L'ensemble, accompagné des commentaires éventuels de la partie concernée, sera ensuite rendu public.
Sur cette base, le comité des parties pourra adopter des recommandations adressées à cet État concernant notamment les mesures à prendre pour mettre en oeuvre les conclusions du groupe d'experts, si nécessaire en fixant une date pour la soumission d'informations sur leur application.
Si j'ai présenté en détail la procédure de suivi prévue par la convention, c'est parce que, chacun le sait, le diable est souvent dans les détails. Dans ce cas, l'indépendance des experts, le fait qu'ils rédigent eux-mêmes leur rapport après avoir pris les informations les plus larges possibles, et la publication de leurs rapports et conclusions, sont des éléments essentiels de l'efficacité du dispositif.
L'importance quantitative du phénomène de la traite des êtres humains, qui touche entre 2 et 3 millions de personnes supplémentaires chaque année, dont plusieurs centaines de milliers en Europe, et son caractère absolument inacceptable, dans la mesure où il détruit peu à peu ses victimes, à la fois moralement et physiquement, imposent que ce mécanisme de contrôle soit encore renforcé. Il ne suffit pas que les États prennent conscience de la gravité de trafics, qui génèrent des profits de l'ordre d'une dizaine de milliards de dollars par an, lesquels financent ensuite d'autres activités criminelles, ni qu'ils approuvent des accords internationaux destinés à les combattre. De telles démarches ne peuvent constituer qu'un premier pas. Il faut qu'ils mettent en oeuvre ces instruments et se dotent, au niveau national, des moyens juridiques et humains nécessaires à la conduite de ce combat, qui requiert l'attention et la rigueur de tous.
La vigilance de la communauté internationale dans ce domaine doit être sans faille. Elle doit pouvoir aller jusqu'à l'exercice d'une forme efficace de pression sur les États négligents. Aussi serait-il éminemment souhaitable que les recommandations adoptées par le comité des parties soient également publiées, de même que les informations prouvant que l'État concerné les a suivies dans le délai prescrit. Cette publicité me semble susceptible d'être mise en oeuvre sans amendement à la convention puisque celle-ci stipule que le comité des partis adopte ses propres règles de procédure.
Le groupe d'experts pourrait aussi tirer les conséquences du résultat de ses travaux d'évaluation, et le comité des parties du respect de ses recommandations, par la publication d'une liste répertoriant les États les moins soucieux de la mise en oeuvre des stipulations de la convention, sur le modèle de la liste des pays dont la législation est particulièrement propice au blanchiment, dressée par le Groupe d'action financière contre le blanchiment des capitaux, ou des listes élaborées par Transparency International. Ces deux organisations listent les pays dont les fonctionnaires et les responsables politiques sont les plus corrompus et les pays exportateurs les plus corrupteurs.
Pour essentielle qu'elle soit, l'amélioration de l'efficacité de la convention du Conseil de l'Europe, dont les signataires sont tous européens, ne doit pas faire oublier, par contraste, les limites du protocole de Palerme en vigueur dans 112 États répartis sur tous les continents. Il m'apparaît indispensable que le protocole de Palerme soit, lui aussi, doté d'un mécanisme de contrôle de sa mise en oeuvre : compte tenu de son engagement sans faille dans la lutte contre la traite des êtres humains, la France devrait envisager de proposer un amendement en ce sens. Le protocole le permet à chaque État partie, à l'expiration d'un délai de cinq ans à compter de son entrée en vigueur. Celle-ci étant intervenue le 25 décembre 2003, notre pays dispose encore d'un an et demi pour élaborer une proposition d'amendement qui renforcerait l'effectivité d'un instrument incontournable de la lutte contre la traite des êtres humains à l'échelle planétaire.
Dans l'attente de cette initiative, j'appelle naturellement notre assemblée à adopter, à la suite de la commission que je préside, le projet de loi autorisant le Gouvernement à ratifier la convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains. (Applaudissements sur tous les bancs.)