La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à neuf heures trente.)
Monsieur le président, monsieur le vice-président de la commission de la défense nationale et des forces armées, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, je vous prie de bien vouloir excuser M. le ministre d'État, ministre de la défense, qui ne peut être présent ce matin en raison d'engagements pris depuis plusieurs jours déjà. Je vous demande aussi de bien vouloir excuser l'absence du président Teissier, en déplacement à Kourou. Je remercie le vice-président Vitel d'être là pour le remplacer. Je remercie également Christian Ménard, rapporteur ô combien compétent de ce texte, et je lui demande de l'indulgence eu égard à mon inexpérience sur le sujet. Je sais qu'il s'investit depuis longtemps dans ce domaine. Tous ces changements sont liés au remaniement ministériel, qui a bousculé l'ordre du jour. J'espère que vous nous en excuserez.
Mesdames, messieurs les députés, vous savez que la France s'est engagée activement, depuis décembre 2008, dans une opération maritime militaire européenne d'envergure contre la piraterie au large des côtes de Somalie.
En effet, après avoir longtemps été un phénomène marginal cantonné dans le détroit de Malacca, la mer de Chine et le golfe de Guinée ou encore la mer des Caraïbes, la piraterie connaît, depuis 2007, un développement sans précédent dans le golfe d'Aden et dans l'océan Indien. Elle ne cesse d'ailleurs de s'intensifier.
Devant ce fléau, qui constitue une menace constante pour la sécurité des personnes, les aides humanitaires et les intérêts du commerce mondial, la communauté internationale devait se mobiliser. Elle est en train de s'organiser à cet effet.
Actuellement, trois forces militaires agissent activement dans la zone du golfe d'Aden, de l'océan Indien et du sud de la mer Rouge, et ce parallèlement aux contributions de nombreuses nations comme la Russie, le Japon, la Chine, l'Inde ou encore la Corée du Sud.
Le Conseil de sécurité de l'ONU a également adopté plusieurs résolutions facilitant l'action de la communauté internationale dans les eaux territoriales somaliennes et préconisant un traitement judiciaire des présumés pirates appréhendés.
L'efficacité de la France, qui s'exprime au niveau diplomatique et militaire, doit donc être renforcée par une adaptation nécessaire de notre droit interne. C'est l'objet du projet de loi qui vous est soumis aujourd'hui et sur lequel la commission a travaillé, semble-t-il, d'une manière tout à fait consensuelle.
En effet, aujourd'hui 90 % des pirates interceptés sont relâchés. Selon un rapport du secrétariat général des Nations unies, 700 présumés pirates auraient ainsi été libérés au cours du premier semestre 2010.
Le texte qui vous est soumis inscrit la lutte contre la piraterie au sein du dispositif général de l'action de l'État en mer, en l'intégrant à la loi du 15 juillet 1994 relative aux modalités de l'exercice par l'État de ses pouvoirs de police en mer. Le projet de loi introduit donc la piraterie dans le code pénal et la définit conformément à la convention de Montego Bay et par référence à des infractions déjà existantes en droit positif, comme cela a déjà été pratiqué en matière de terrorisme. Il y a donc à cet égard une sorte de parallélisme des formes.
L'architecture du projet comprend deux grandes parties : d'une part, la constatation et la répression des infractions susceptibles de constituer des actes de piraterie et les pouvoirs donnés à cette fin aux commandants des navires de l'État ; d'autre part, le régime de rétention des personnes appréhendées, qui seront sous le contrôle du procureur de la République, puis du juge des libertés et de la détention, dans des délais précisés par le texte. Celui-ci vise ainsi à conforter la validité de nos procédures juridiques, conformément à l'arrêt Medvedyev de la Cour européenne des droits de l'homme.
Je crois savoir, mesdames, messieurs les députés – M. le rapporteur et M. le vice-président me le confirmeront si nécessaire –, qu'au sein de la commission de la défense, le travail s'est fait dans un quasi-consensus.
En effet, les groupes UMP, Nouveau Centre et SRC ont voté ce texte en commission, tandis que le groupe GDR s'est abstenu. Je rends donc hommage à la commission pour cet excellent travail, accompli sous l'égide du président Teissier et du rapporteur M. Ménard, et pour ce consensus presque total. Je remercie encore Christian Ménard pour son investissement personnel.
Il s'agit là de l'intérêt supérieur de la France, dans des conditions internationales difficiles. Le Gouvernement est donc reconnaissant à la commission de cette orientation très positive et je souhaite, mesdames, messieurs les députés, que la séance publique confirme ce courant qui unit notre assemblée pour lutter contre la piraterie. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
La parole est à M. Christian Ménard, rapporteur de la commission de la défense nationale et des forces armées.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous devons examiner aujourd'hui le projet de loi relatif à la lutte contre la piraterie et à l'exercice des pouvoirs de police de l'État en mer, adopté par le sénat le 6 mai dernier à la suite des travaux du sénateur Dulait, auxquels je rends ici hommage.
Il s'agit d'un texte attendu car notre pays est aux avant-postes dans la lutte contre ce phénomène. En 2008 et 2009, quelques-uns de nos compatriotes ont été retenus en otage par des pirates somaliens à bord des voiliers Ponant, Carré d'As et Tanit. Compte tenu de la dangerosité croissante des côtes de la Somalie, la France a mobilisé la communauté internationale pour y sécuriser le transit des personnes et des marchandises. Cela a notamment conduit à l'opération Atalante, dont le succès militaire et politique est reconnu de tous.
Alors que l'on voyait dans la piraterie une menace d'un autre âge, tous ces événements ont montré que le danger était bien présent, et pour longtemps. Il faut donc adapter notre droit, celui-ci ne comportant plus d'incrimination de piraterie depuis qu'en 2007 une loi de simplification du droit a abrogé la loi de 1825 sur la sûreté de la navigation et du commerce maritime, qui était devenue obsolète.
L'objet du projet de loi est de combler cette carence. Il offrira un cadre pour l'action de nos forces comme de nos magistrats, en tenant compte des possibilités offertes par le droit international, ainsi que des exigences de la Cour européenne des droits de l'homme.
Je vais donc vous présenter en quelques mots les grandes orientations de ce texte, en vous indiquant ensuite quelles sont les améliorations que nous y avons apportées en commission.
Tout d'abord, ce texte définit la piraterie en droit français et permet donc à nos tribunaux d'en juger. Je rappelle qu'à l'heure actuelle les pirates arrêtés par nos forces ne peuvent être jugés en France que pour des crimes classiques du droit pénal, notamment des actes de détournement de navire, de vol à main armé, d'enlèvement et de séquestration.
L'idée du projet de loi est de retenir différentes incriminations existantes pour les qualifier de piraterie dès lors qu'elles sont commises dans les conditions décrites par le droit international. Ces incriminations sont limitativement énumérées, le projet de loi se référant aux articles 224-6 à 224-7 et 224-8-1 du code pénal.
Quant à la définition en droit international, elle nous est donnée par la convention de Montego Bay. Il s'agit des actes de vol et de violence commis à l'encontre de navires ou d'aéronefs, ainsi que de leurs équipages, à des fins privées en haute mer.
Le projet de loi ajoute également les eaux territoriales de certains États, sous réserve que le droit international le permette, afin de tenir compte de la situation particulière des eaux somaliennes, régies par des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies.
En outre, la convention de Montego Bay permet aux États d'exercer la compétence la plus large pour juger des actes de piraterie. Ainsi, le projet de loi nous propose de conférer aux tribunaux français une compétence quasi universelle. Concrètement, ils pourront juger d'infractions relevant de la piraterie non seulement si elles impliquent des ressortissants français – c'est le lien de rattachement classique du droit pénal –, mais aussi si elles impliquent des ressortissants étrangers, à la condition que des forces militaires françaises soient intervenues.
Par ailleurs, nos forces disposeront désormais d'une habilitation claire pour intervenir face à ce type d'infractions. C'est la deuxième grande avancée permise par ce texte.
La loi du 15 juillet 1994 régit l'exercice des pouvoirs de police de l'État en mer. Elle comporte deux piliers : l'un traite de la lutte contre le trafic de stupéfiants et l'autre de la lutte contre l'immigration illégale par mer. Le projet de loi permettra d'ajouter un nouveau pilier, relatif à la lutte contre la piraterie maritime. Outre la définition de l'infraction, il comporte des dispositions habilitant les commandants de navires à prendre ou à faire prendre les mesures de contrôle et de coercition permises par le droit international. Ce sera possible face à un acte en cours, après qu'un acte aura été commis, mais aussi si un acte est en préparation, ce qui est fondamental face à un risque de prise d'otages.
Ensuite, le projet de loi décrit les conditions dans lesquelles les pirates présumés peuvent être consignés à bord, le temps strictement nécessaire à leur remise aux autorités judiciaires françaises ou étrangères.
En l'occurrence, le texte tient compte des critiques formulées par la Cour européenne des droits de l'homme qui, dans son arrêt Medvedyev de 2008, avait condamné la France au motif que la consignation d'une personne arraisonnée dans le cadre de la lutte contre le trafic de stupéfiants contrevenait à la convention.
La Cour a en effet estimé que la privation de liberté n'était pas décidée par une autorité judiciaire indépendante, en l'occurrence le procureur de la République. Le projet de loi en tient compte pour l'ensemble des trois piliers de la loi de 1994. Il fait intervenir le juge des libertés et de la détention dans les quarante-huit heures. Ce dernier autorise ou non la consignation à bord, renouvelant cette autorisation tous les cinq jours.
Le projet de loi précise les droits des pirates présumés : examen de santé, examen médical, information dans une langue qu'ils comprennent.
Enfin, lors de l'examen au Sénat, le Gouvernement a ajouté au texte une disposition étendant aux enfants des victimes d'actes de piraterie la qualité de pupille de la nation.
La commission a souhaité apporter quelques améliorations à ce texte, à la suite de celles adoptées par le Sénat.
D'abord, nous avons rapproché la définition des actes de piraterie de celle qu'en donne la convention de Montego Bay, en indiquant que ces actes peuvent être commis par l'équipage d'un navire ou d'un aéronef à l'encontre de l'équipage d'un autre navire ou d'un autre aéronef.
Ensuite, nous avons harmonisé les conditions dans lesquelles les commandants de navire peuvent intervenir. Ils le feront s'il existe des « motifs raisonnables », ainsi que la loi de 1994 le prévoit pour la lutte contre l'immigration illégale ou le narcotrafic.
Enfin, la commission a confirmé la possibilité de détruire les embarcations de pirates lorsqu'il n'existe aucune autre mesure techniquement envisageable pour empêcher le renouvellement des infractions. Mais nous avons jugé nécessaire de prévoir la saisine préalable du procureur de la République.
Le projet de loi a été adopté à l'unanimité de notre commission, moins une abstention.
Si, ce texte semble bon en l'état, je crois nécessaire de vous faire part de certaines réflexions pour la suite.
Premièrement, il nous faut réfléchir aux moyens d'améliorer sur le plan juridique les possibilités d'intervention de nos forces de marine dans les eaux territoriales. Certains territoires de la République sont particulièrement isolés, mais potentiellement concernés par la piraterie maritime. Dans certaines hypothèses, seule la marine pourrait intervenir pour rétablir l'ordre. En l'état du droit, une telle intervention est possible, mais le cadre en régissant les différentes séquences mériterait d'être clarifié, notamment en explicitant les pouvoirs d'intervention préventifs.
Deuxièmement, le Gouvernement doit engager une réflexion sur la possibilité de conserver les biens saisis aux pirates condamnés, qui seraient liés à la commission de faits de piraterie. Cela permettrait aux forces de s'entraîner.
Troisièmement, nous devons renforcer les moyens de contrôle des flux financiers liés à la piraterie afin de lutter plus efficacement contre les commanditaires. Le projet de loi nous permettra de mieux les poursuivre, il faut donc se donner les moyens de les confondre et de les faire condamner.
Quatrièmement, au cours de mes travaux, j'ai constaté à quel point l'activité des sociétés de sécurité privée se développait au large de la Somalie ou dans le golfe de Guinée. Leurs actions ne sont pas toujours bien encadrées, pourtant elles deviennent des acteurs majeurs de la lutte contre la piraterie. Sans remettre en cause nos principes, le Parlement doit mener une réflexion afin de déterminer plus précisément notre doctrine en la matière.
Cinquièmement, il est plus que temps que nous apportions une réponse globale à ce phénomène qui ne cesse de croître. Si la phase Atalanta a permis de le juguler, il n'en demeure pas moins que la solution est à terre, et passe par une réappropriation progressive, par les pays régionaux, de leurs capacités, notamment dans le domaine économique, de la pêche, de l'environnement, des capacités judiciaires et des infrastructures. La France a ici un rôle et un devoir, qu'elle ne l'oublie pas.
J'arrête là mes développements sur ce sujet passionnant. Vous l'avez compris, ce texte me paraît équilibré et il me semble nécessaire de le voir rapidement adopté. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Notre assemblée est aujourd'hui saisie d'un projet de loi fort attendu puisqu'il vise à juguler le phénomène de la piraterie maritime en adaptant notre droit à ce phénomène que l'actualité a rendu fort prégnant ces derniers mois, par son développement au large des côtes somaliennes.
La nécessité de légiférer sur cette question est d'ailleurs d'autant plus grande pour notre pays que des ressortissants français ont été pris en otage à plusieurs reprises par des pirates somaliens, amenant le Gouvernement à organiser leur libération par l'intervention de nos forces marines de fusiliers commandos, ainsi que du GIGN lors de l'attaque du Ponant.
La France et la communauté internationale ont déjà pris la mesure de ce phénomène, que l'on croyait en voie de disparition, en déployant des moyens navals de grande importance dans le golfe d'Aden ainsi qu'au large des côtes somaliennes.
Je tiens d'ailleurs à me féliciter, au nom du groupe Nouveau Centre et apparentés, que notre pays ait été à l'origine de cette forte mobilisation internationale. Je salue particulièrement l'action de la marine nationale française dans une opération particulièrement difficile et délicate, qu'elle a menée avec brio, qualité et efficacité.
Comme vous le savez, ces opérations, en particulier celle conduite dans le cadre européen nommée Atalante, ont fait leurs preuves, démontrant une efficacité opérationnelle certaine en essayant d'améliorer la sécurité de la zone. Néanmoins, le droit existant ne permet pas aujourd'hui de juger les pirates arrêtés par nos forces lorsque les victimes n'ont aucun lien de rattachement avec la France.
En effet, alors que dans les affaires du Ponant, du Carré d'As et du Tanit, l'intervention de nos forces a permis leur arrestation en attente de leur jugement, les pirates ne pourront pas être condamnés pour des actes de piraterie en tant que tels, cette notion ayant disparu de notre droit en 2007, une loi de simplification du droit ayant abrogé la loi du 10 avril 1825 relative à la sûreté de la navigation et du commerce maritime.
Ainsi, en donnant une définition de la piraterie en droit français, ce projet de loi ouvre à nos tribunaux la faculté d'en juger et de régler la question du traitement judiciaire des pirates. Il s'agit là d'une avancée majeure que nous tenons, nous centristes, à saluer à sa juste mesure.
Mes chers collègues, comme vous le savez, le Sénat a adopté ce texte en première lecture le 6 mai dernier. Les sénateurs ont procédé à certaines modifications permettant d'aboutir à un texte équilibré et indispensable à la préservation de nos intérêts : assouplissement du régime de saisine du procureur de la République avant la saisie d'objets ou de documents, possibilité de destruction des embarcations de pirates, prise en compte du transfert par voie aérienne des personnes appréhendées et inscription de leur remise à l'autorité judiciaire dès leur arrivée sur le territoire français.
Néanmoins, cette discussion pose un problème plus large : celui de la mondialisation. La mondialisation, c'est la « maritimisation » du monde. Aujourd'hui, à un instant T, 90 % des produits manufacturés ne sont ni dans les usines ni dans les magasins ; ils transitent par bateaux. Lorsque ces richesses passent au large de pays en proie à l'insécurité, à la misère et au sous-développement, qui de surcroît ne sont plus des États, cela engendre des actes de piraterie.
Notre approche consiste à traiter les conséquences du problème, mais nous devrons bien un jour nous attaquer aux causes. Si les pêcheurs de ces pays se reconvertissent dans la piraterie, pour beaucoup d'entre eux, c'est afin de survivre. Toutefois, soyons conscients que des mafias organisées s'intéressent de plus en plus à la piraterie et profitent, voire provoquent, cette activité afin d'engranger de substantiels bénéfices. Par conséquent, il faut certainement renforcer notre arsenal juridique pour donner à nos forces les moyens d'agir, mais nous devrons également engager une réflexion plus large.
En attendant, nous sommes convaincus que ce projet de loi permet de combler le vide juridique laissé par la loi du 15 juillet 1994 relative aux modalités de l'exercice par l'État de ses pouvoirs de police en mer, afin que la France puisse faire face à la recrudescence des actes de piraterie depuis quelques années.
Au nom des centristes, j'aimerais insister sur deux points en saluant le fait que ce texte tienne compte de la définition de la piraterie en droit international donnée par la convention de Montego Bay, et de la jurisprudence récente de la Cour européenne des droits de l'homme.
Comme vous le savez, la convention de Montego Bay attribue aux États la compétence la plus large pour juger des actes de piraterie, définis comme des actes de vol et de violence, commis en haute mer, à des fins privées, à l'encontre de navires ou d'aéronefs et de leurs équipages.
Sur ce modèle, le texte que nous examinons aujourd'hui vise à conférer aux tribunaux français une compétence « quasi universelle ». Nous nous en réjouissons. Concrètement, cela signifie qu'ils pourront juger d'infractions relevant de la piraterie si elles impliquent des ressortissants français, et des ressortissants étrangers, à condition que des forces militaires françaises soient intervenues.
Cette question soulève une importante problématique juridique liée au fait que des accords entre L'Union européenne, le Kenya et les Seychelles ont été passés dans ce cadre. La culture juridique de ces deux pays est fondée sur la common law plutôt que sur le droit continental, et cela mérite réflexion, car nous devons être conscients des conséquences que cela pourrait avoir à terme sur les relations juridiques avec ces deux États.
En outre, les forces françaises disposeront désormais d'une habilitation claire pour intervenir face à ce type d'infraction. La loi du 15 juillet 1994 qui régit l'exercice des pouvoirs de police de l'État en mer ne comporte aujourd'hui que deux piliers : l'un traite de la lutte contre le trafic de stupéfiants et de substances psychotropes, l'autre de la lutte contre l'immigration illégale par mer. Le projet de loi en ajoute un troisième, relatif à la lutte contre la piraterie maritime. Il s'agit là d'une avancée majeure.
Enfin, comme vous le savez, le projet de loi décrit les conditions dans lesquelles les pirates présumés peuvent être consignés à bord, pour le temps strictement nécessaire à leur remise aux autorités judiciaires, françaises ou étrangères.
Nous nous réjouissons du fait qu'il tienne compte des critiques formulées par la Cour européenne des droits de l'homme qui, dans son arrêt Medvedyev de 2008, avait condamné la France au motif que la consignation d'une personne arrêtée dans le cadre de la lutte contre le trafic de stupéfiants contrevenait à la Convention. La Cour a en effet estimé que la privation de liberté n'avait pas été décidée par une autorité judiciaire suffisamment indépendante. En conséquence, ce texte fait intervenir dans les 48 heures le juge des libertés et de la détention, qui autorisera ou non la consignation à bord, et devra renouveler cette autorisation tous les cinq jours.
Le rapporteur a insisté à raison sur l'impérieuse obligation, à terme, d'examiner ce problème de manière plus large, et de poser la question des évolutions juridiques ultérieures. Je pense notamment à la spécificité de certaines de nos eaux territoriales, ou zones économiques exclusives, notamment les îles éparses au large de la côte de Madagascar, qui posent un problème réel auquel notre droit n'apporte pas de réponse satisfaisante.
En conclusion, je souhaite saluer le travail de grande qualité et unanimement apprécié du rapporteur, et me féliciter du consensus qui a régné au sein de la commission de la défense et qui a permis que ce texte soit adopté à l'unanimité. Vous l'aurez compris, le groupe Nouveau Centre et apparentés votera sans réserve ce texte équilibré qui fera de la France un pays pionnier dans la lutte contre la piraterie maritime après avoir été à l'initiative de la mobilisation internationale en la matière. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)
Depuis une dizaine d'années, la piraterie maritime, que l'on croyait appartenir au passé ou reléguée aux écrans d'Hollywood, a fait son retour dans l'actualité : les noms du Ponant, du Carré d'As et du Tanit ont montré qu'elle demeurait une menace bien réelle. La prise d'assaut de tankers, de gros cargos ou de bateaux de pêche par des commandos armés témoigne du retour de la grande piraterie et de l'existence de réseaux criminels économiques organisés qui s'intéressent moins aux marchandises transportées qu'aux marins, dont ils font des otages. Cette piraterie concerne particulièrement trois zones : le détroit de Malacca ; le Golfe de Guinée ; le Golfe d'Aden et l'océan Indien, au large des côtes africaines, en particulier celle de la Somalie.
Cette dernière zone est particulièrement sensible pour la France. D'abord, parce qu'avec Mayotte et la Réunion, notre pays est riverain de l'océan Indien. Ensuite, parce que l'océan Indien revêt une importance économique particulière, en matière tant de transport de marchandises que de pêche. Cette forte présence française explique que nos ressortissants — pêcheurs, marins, touristes — soient particulièrement exposés aux exactions des pirates.
Face à la résurgence de cette menace, la France a joué un rôle majeur sur le plan international. En 2008, elle a été à l'origine, avec les États-Unis, de l'adoption de la résolution 1816 du Conseil de sécurité de l'ONU, autorisant les États à agir contre la piraterie dans les eaux territoriales somaliennes. Elle a aussi grandement contribué à la mise en place de la mission de l'Union européenne Atalante, qui a pour but de lutter contre l'insécurité dans le golfe d'Aden et l'océan Indien. C'est, d'ailleurs, un Français qui en assure actuellement le commandement. J'en profite, au nom de mon groupe, pour rendre hommage à nos soldats marins engagés dans Atalante.
Au-delà de l'aspect militaire se posent des problèmes juridiques qui découlent, pour partie, de la nature de l'État somalien, celui pour lequel a été créé le concept d'« État failli ». Le présent projet de loi entend donc renforcer l'efficacité de notre action, aussi bien militaire que judiciaire.
Avant toute chose, il convenait de réintroduire la notion de piraterie dans notre droit. Tombée en désuétude, elle avait disparu de notre droit positif à la faveur de la loi de simplification du droit de 2007. Le projet de loi réinsère donc une incrimination de piraterie en droit français.
Le projet de loi renforce aussi les capacités d'intervention des forces armées françaises. « Lorsque le droit international l'autorise », elles pourront agir dans les eaux territoriales d'un État, ce qui leur permettra, en particulier, d'intervenir dans les eaux territoriales somaliennes. Leurs interventions pourront viser non seulement les navires ne battant aucun pavillon, mais aussi ceux battant pavillon d'un État étranger, sans qu'il soit besoin d'obtenir l'accord préalable de l'État du pavillon. Ces interventions pourront avoir lieu lorsqu'il existera des « motifs raisonnables » de soupçonner qu'un acte de piraterie a eu lieu, est en cours, ou se prépare.
L'autre apport du texte est d'ordre juridictionnel. Aujourd'hui, huit pirates sur dix capturés sont remis en liberté, ce qui favorise un sentiment d'impunité et n'est certainement pas étranger à la multiplication des actes de piraterie et à leur audace croissante. Parce que les tribunaux des États riverains ne peuvent pas forcément accroître leurs capacités de jugement dans des proportions suffisantes, il est nécessaire que les juridictions d'États tiers apportent leur contribution, comme le font, en ce moment, les Allemands à Hambourg.
Le projet de loi instaure donc une compétence « quasi universelle » de nos tribunaux pour traiter des actes de piraterie maritime. Il s'agit d'ajouter aux liens de rattachement traditionnels du droit pénal celui d'une arrestation opérée par des forces militaires françaises. Cela n'exclut naturellement en rien la réflexion sur la mise en place de tribunaux internationaux chargés de juger les actes de piraterie.
Ce texte opère donc une clarification juridique bienvenue. Il constitue un témoignage de l'engagement de notre pays à lutter contre ce fléau qu'est la piraterie, qui reposera sur trois piliers.
D'abord, un engagement militaire avec le déploiement permanent d'au moins une frégate, la participation ponctuelle d'un avion de patrouille maritime, et un soutien logistique avec son dispositif pré-positionné à Djibouti.
Ensuite, une action judiciaire, que ce projet de loi va conforter.
Enfin, un traitement global à la source du problème, c'est-à-dire à terre, avec la contribution de notre pays à la formation des forces de sécurité somaliennes ou à l'aide au développement. Le projet Seaphora, porté par notre rapporteur Christian Ménard, auquel je rends hommage, va dans le même sens, et je tenais à saluer cette initiative.
Au-delà d'une harmonisation européenne nécessaire, que nous souhaitons tous, ce projet de loi vient parachever un dispositif très complet, et c'est avec confiance que le groupe UMP le votera. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comment rester indifférent à ce texte, que je qualifierai d'indispensable et opportun, bien qu'insuffisant ?
Comment y rester indifférent, lorsque l'on est citoyen, a fortiori lorsque l'on est député d'un pays doté du deuxième territoire maritime mondial sous souveraineté avec 11 millions de kilomètres carrés, soit presque vingt fois plus que notre territoire terrestre ?
Comment ne pas voir le danger de la piraterie pour toute l'économie de notre planète lorsque l'on sait que quasiment 90 % du transport mondial de marchandises se fait par voie maritime ?
Comment pourrais-je y rester indifférent, alors que les thoniers senneurs français sont à plus de 90 % de Concarneau, ce port breton dont je suis le député, et que leur activité, en particulier dans l'océan Indien, se trouve hypothéquée, bridée, gênée par la piraterie qui y sévit. Ils ont d'ailleurs été victimes, à maintes reprises, d'attaques vaines, mais dangereuses, et les conditions d'exploitation de la pêche de thon à la senne sont rendues difficiles de ce fait ?
Comment pourrais-je ignorer ce qui se passe là-bas, alors que le président du groupe d'amitié France-Seychelles que je suis sait que ce pays souffre, mais réagit à la pression mise par la piraterie dans toutes ses eaux et autour des nombreuses îles sous souveraineté seychelloise ?
Comment pourrais-je ne pas regarder, suivre, connaître, avec inquiétude ce qui se passe dans cette zone du monde, alors que j'ai été, il y a fort longtemps certes, commissaire de la marine pour l'océan Indien, c'est-à-dire aussi conseiller juridique de la marine nationale dans ce secteur ?
La piraterie n'est pas un phénomène nouveau. Une tête de mort et des os croisés sur fond noir, le pavillon des pirates visait jadis à effrayer les futures proies. Boucaniers, flibustiers, forbans, Barbe Noire, Frères de la côte, on ne sait plus trop qui faisait quoi et mes souvenirs cinématographiques d'adolescent m'amenaient à mélanger tout cela et à retenir de façon très binaire, manichéenne, que les pirates étaient les méchants, d'ailleurs plutôt habillés en noir sur l'écran du cinémascope, et les corsaires plutôt les gentils. Mais les pirates ce n'était pas seulement dans les Caraïbes et nés uniquement à cette époque.
Dès l'antiquité, pour ne prendre qu'un exemple, Jules César lui-même en fut une victime lors d'un voyage entre 75 et 74 Avant Jésus-Christ, où il fut capturé près de l'île de Pharmacuse et libéré après rançon. Comme il n'avait pas apprécié, il leva une flottille, captura et fit exécuter ses agresseurs, tandis que Pompée nettoya la Méditerranée de tous ces pirates. Il est vrai qu'ils ne s'encombraient pas alors de normes juridiques.
De façon contemporaine, le phénomène des pirates s'est d'abord développé contre les boat people, qui fuyaient le Vietnam, puis contre les marchandises dans le détroit de Malacca et le mal s'est étendu : golfe d'Aden, océan Indien, large du Nigéria ; la forme le plus endémique se trouve à l'heure actuelle dans l'océan Indien. Les cibles sont diverses, mais indépendantes de l'origine géographique, politique, nationale ou autres des navires.
Les moyens mis en action par les assaillants deviennent de plus en plus lourds et puissants. Les anciens AK 147 ou RPG russes ou chinois sont remplacés par des fusils M 16 de fabrication américaine et des lance-roquettes. Les téléphones satellitaires GMS et GPS, les moteurs permettant des attaques rapides se développent. Le versement de rançons élevées permet d'acquérir armes, munitions et matériels de plus en plus sophistiqués. Même les tactiques changent et par rapport aux précédentes saisons, car la mousson joue un rôle essentiel d'empêchement dans ce secteur, un nouveau cap semble avoir été franchi.
En effet, au début de ce mois, au large de la Somalie, les pirates ont utilisé un cargo japonais battant pavillon panaméen et capturé, le 10 octobre 2010, le MV Izumi pour partir à l'attaque du navire MV Petra 1, alors même que celui-ci était escorté par une frégate espagnole d'Atalanta ! C'est la première fois qu'un navire escorté est ainsi attaqué avec, de plus, utilisation de cargos ou même de pétroliers comme plateforme d'attaque. C'est une nouvelle dimension, ô combien ! lourde de menaces, qui émerge, car ce n'est pas la même chose d'utiliser des petits bateaux-mères ou des dhows de pêcheurs que de mettre en avant des navires captifs, a fortiori quand il s'agit de pétroliers, de chimiquiers ou de bâtiments à cargaison dangereuse.
Bien sûr, les États ne sont pas restés inertes. La résolution 1814 du Conseil de sécurité de l'ONU demandait, le 15 mai 2008, aux États membres d'assurer le convoyage des navires du programme alimentaire mondial : le PAM. Le 10 novembre, le Conseil de l'Union européenne approuvait l'action commune pour le lancement de l'opération « EUVNAFOR Atalanta », lancée le 8 décembre 2008 et renouvelée régulièrement depuis.
À une époque où l'on cherche souvent les voies et moyens, voire la volonté pour aller vers une réelle Europe de la défense, il faut saluer la capacité de réaction de l'Europe – et je n'hésite pas à souligner le rôle moteur de la France dans cette initiative –, la pertinence et l'utilité à la fois quantitative et qualitative des moyens maritimes et aériens mis en oeuvre. C'est une grande première européenne dans ce domaine naval et, alors que l'on cherche parfois des raisons d'espérer dans la capacité de notre vieux continent à prendre en main ses destinées en matière de défense, Atalanta représente désormais une référence.
Permettez-moi aussi de rendre hommage ici à notre marine nationale et à ses femmes et hommes qui, dans le domaine de la surveillance maritime, de l'escorte ou même de l'assaut pour délivrer les otages remplissent leur mission avec professionnalisme, courage et conviction. Sans doute étions-nous plus à même de réagir vite et bien dans cet océan Indien où nos intérêts sont forts et défendus par Alindien, l'amiral commandant les forces maritimes de l'océan Indien, depuis des décennies déjà.
La France est riveraine de l'océan Indien, car présente par un département d'outre-mer – la Réunion – et bientôt deux avec Mayotte, présente par un territoire d'outre-mer – les terres australes et antarctiques françaises, les TAAF – et cinq îles éparses – Tromelin, Les Glorieuses, Juan de Nova, Europa et Bassas-da-India. Tout cela nous confère une zone maritime exclusive de 2,8 millions de kilomètres carrés, soit environ le quart de notre domaine maritime.
Lorsque la piraterie est apparue dans notre paysage médiatique avec la capture du Ponant le 4 avril 2008, la France était prête. Elle a su montrer tout de suite sa détermination à lutter, y compris de vive force, contre de tels actes.
Désormais, Alindien est basé, depuis le 21 octobre, sur notre base d'Abou Dhabi. Il dispose de moyens dont nous avons pu vérifier, lors de missions sur place avec le président de la commission de la défense, qu'ils étaient de qualité et d'une grande efficacité. Mais la clef du succès est, comme toujours, dans la qualité des personnels, dans l'imagination et la subtilité tactique des équipages, dans la préparation optimale aux missions dévolues.
Que ce soit avec la frégate Floréal ou le Nivôse, ou plus récemment avec la frégate De Grasse, les interceptions et arrestations de pirates se sont multipliées. Nous apportons aussi notre appui et nos moyens à d'autres. C'est ainsi que, le 18 novembre 2010, deux thoniers concarnois ont été victimes d'attaques avortées, mais les moyens aériens, dont notre Awacs de l'armée de l'air stationné à Djibouti depuis le 8 novembre, ont permis l'arrestation, par une vedette des garde-côtes seychellois, d'un pirate action group – PAG.
Je veux aussi souligner l'action de nos amis seychellois qui, le 20 novembre dernier, ont réussi à libérer, par l'action de leurs garde-côtes et de leur unité d'intervention du Tazar, sept de leurs marins pêcheurs aux mains des pirates somaliens et à capturer seize pirates en deux fois.
On peut dire que tout le monde s'y met dans cette lutte contre ce fléau et les succès sont au rendez-vous. Une attaque sur trois était couronnée de succès en 2010, plus qu'une sur six ou sept l'est aujourd'hui. Nos thoniers concarnois disposent à bord, depuis juillet 2009, d'équipes de protection embarquées – les EPE –, à la suite d'un protocole d'accord avec la marine nationale et les armements thoniers. Ils ont déjà déjoué plusieurs attaques. Leur présence à bord, même si elle entraîne des contraintes, reconnaissons-le – rythmes des marées plus courts, travail des thoniers par deux, etc –, est devenue vitale pour la pérennité d'une économie déjà largement touchée puisque, pour prendre l'exemple de l'année 2009, il y a eu 30 % de chiffre d'affaires en moins par thonier senneur dans l'océan Indien.
La lutte se développe contre une piraterie qui, elle aussi, s'adapte et comme l'a dit je crois l'amiral Forissier, chef d'état-major de notre marine : « L'incendie que l'on nous demande de maîtriser ne sera pas éteint en mer, mais à terre ». Il faut s'attaquer à la pauvreté somalienne, mais pour s'y attaquer il faut que la Somalie redevienne un État, avec une sécurité intérieure, un pouvoir central ». Le moins que l'on puisse dire c'est que le chemin est difficile.
Je sais bien que ce projet de loi n'a pas pour objet les causes de la piraterie, mais ne perdons pas de vue que s'attaquer aux effets de celle-ci ne sera jamais suffisant. Cela dit, il faut combler des lacunes normatives afin que l'action du militaire ne soit pas réduite à néant. Il est vrai que la course de vitesse entre le juriste et le criminel est – comme dans la lutte contre tous les trafics illicites – un éternel recommencement.
En droit international, la définition de la piraterie – à distinguer de la mutinerie où le fait se constitue à partir du bateau lui-même – se fonde sur des actes matériels et des éléments de motivation. C'est l'article 101 de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, signé à Montego Bay en Jamaïque en 1982, qui en constitue la base. La piraterie y est définie ainsi : « Tout acte illicite de violence ou de détention ou toute déprédation commis par l'équipage ou des passagers d'un navire ou d'un aéronef privé… et dirigé contre un autre navire ou aéronef, ou contre des personnes ou des biens à leur bord ». La motivation doit être à des fins privées, « pour des buts personnels » – autrefois on disait « pour le lucre » –, ce qui distingue la piraterie du terrorisme.
Les infractions d'incitation ou de complicité sont également visées par ce texte. Pour qu'il y ait infraction, le lieu des actes est une condition essentielle : « en haute mer ou dans un lieu ne relevant de la juridiction d'aucun État. »
Quant à l'article 105 de la même convention, il prévoit que tout acte de piraterie étant commis en haute mer, donc dans l'espace international, peut faire l'objet d'une répression émanant de n'importe quel État, même si ses navires n'ont pas été touchés par les actes de piraterie.
C'est cela qui fonde la compétence universelle des États dans la lutte contre la piraterie. Il existe même ce que l'on pourrait dénommer un droit de poursuite inverse, à savoir de la haute mer vers les eaux territoriales d'un pays où les pirates, faute de capacité des États de les intercepter, rechercheraient une impunité de fait. C'est la résolution 1816 du Conseil de sécurité adoptée le 2 juin 2008, sous chapitre 7, qui, avec la résolution complémentaire 1846 de décembre 2008, permet ce droit dont on se rend compte qu'il est fort utile en Somalie.
Les moyens juridiques existent donc pour « capter » les pirates mais, ensuite, le traitement pénal dépend des législations nationales et c'est là que cela se complique.
En France, la loi contenant les incriminations permettant de juger les auteurs de piraterie datait de 1825. Mais, mauvaise concordance des temps ou coïncidence malheureuse, elle a été retirée du code pénal en 2007 car complètement désuète. Faute de texte, on ne pouvait poursuivre que pour détournement de navires ou pour prises d'otages, incriminations connexes à la piraterie, mais qui ne définissaient pas l'acte de piraterie en tant que tel ; il y avait une véritable faille juridique que cherche à combler le texte que vous nous présentez. Le choix fait – d'autres options auraient pu être prises comme une révision de notre code pénal – n'emporte pas critiques de ma part. Il consiste en l'ajout d'un titre IV dans la loi du 15 juillet 1994 qui définit le cadre juridique de l'exercice par l'État de ses pouvoirs de police en mer.
Je souhaite cependant faire deux types de remarques. D'abord, la diversité des systèmes juridiques et le manque de cohérence entre les différents pays européens ou autres peuvent poser problème en termes d'efficacité répressive. La solution peut et doit être internationale. On évolue du reste dans ce domaine et j'ai constaté avec plaisir qu'en accord avec la résolution du Conseil de sécurité 1918 du 27 avril 2010, Ban Ki-moon, le secrétaire général de l'ONU, a rendu public, le 26 juillet dernier, son rapport sur les options envisageables pour améliorer la poursuite et l'emprisonnement des pirates. Sept options ont ainsi été proposées, toutes préconisant un traitement régional de la question que ce soit par la création d'une chambre somalienne dans un État tiers de la région ou par la création d'un tribunal régional sur la base d'un accord multilatéral entre États de la région ou même d'un tribunal pénal international en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations unies. On peut d'ailleurs considérer comme un signe fort de détermination de l'ONU la nomination de notre collègue Jack Lang, le 26 août 2010, comme conseiller spécial du secrétaire général de l'ONU.
Je pense aussi qu'il ne faudra pas se contenter de punir les auteurs directs, les lampistes comme l'on dit, et de ne pas toucher les commanditaires qui sont derrière ces opérations et qui s'engraissent largement avec les rançons versées.
J'en viens à une question qui ne manque pas de me préoccuper et que nous aurons à traiter au fond un jour ou l'autre. Je veux parler de la solidité de la loi que nous voterons.
La seule raison d'être du présent projet de loi est de fixer juridiquement la procédure d'appréhension et de rétention des pirates, jusqu'à leur remise à une autorité judiciaire française ou une autorité en droit ou de fait étrangère. La norme, en l'occurrence la procédure, n'est pas une contrainte. Elle est au contraire une sécurité. Mais pour qui ? Évidemment pour ceux qui, au nom de l'État, opèrent en mer. Je parle des commandants des bâtiments et aéronefs de l'État. Ceux-ci ne doivent pas pouvoir faire l'objet, demain, de procédures intentées par tel ou tel visant à leur nuire afin de fragiliser l'engagement de notre pays contre la piraterie.
Lors de l'examen du projet de loi au Sénat, le 16 mai, dans des conditions plus satisfaisantes qu'aujourd'hui car moins précipitées, Didier Boulaud, sénateur socialiste de la Nièvre, avait fait part de ses doutes profonds sur la procédure adoptée, notamment en raison des incertitudes pesant sur l'avenir des procédures pénales internationales. Je me suis abstenu de développer cet argument en commission, considérant que notre collègue de la Haute assemblée l'avait fait et bien fait, mais un événement récent m'oblige à y revenir.
Le 23 novembre, il y a deux jours, la Cour européenne des droits de l'homme a fait droit à une requête introduite par une ressortissante française qui contestait, entre autre chose, la qualité d'autorité judiciaire du représentant du parquet. Malgré quelques précautions oratoires, la Cour affirme très fermement que « du fait de leur statut, les membres du ministère public, en France, ne remplissent pas l'exigence d'indépendance à l'égard de l'exécutif ; l'indépendance compte, au même titre que l'impartialité, parmi les garanties inhérentes à la notion autonome de magistrat, au titre de l'article 5 alinéa 3 ».
Je rappelle à tous ici que le troisième alinéa de l'article 5 de la Convention européenne des droits de l'homme dispose que « Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l'intéressé à l'audience. ».
Alors, que retirer de cela ? Peu de choses pour l'instant puisque la France a fait appel. Mais je forme ici le voeu que le présent projet de loi ne soit pas entaché demain d'un biais considérable au cas où, de façon définitive, le parquetier se verrait refuser la qualité de magistrat par la justice européenne. Après l'arrêt Medvedyev de mars 2010, ce serait une nouvelle course qui s'engagerait pour l'État, afin de mettre sa législation nationale en conformité avec la norme supérieure. Et pourtant, ce serait bien la seule façon d'assurer aux agents de l'État le cadre juridique d'action irréprochable dont ils ont besoin. Je souhaite donc que le ministère de la défense se souvienne que la procédure pénale est non pas une contrainte, mais bien une sécurité. Je réitère mes regrets quant au désintérêt manifesté par la commission des lois sur ce texte, comme sur celui traitant de la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive, que nous examinerons tout à l'heure.
Quoi qu'il en soit, monsieur le ministre, mes chers collègues, je crains que nous n'ayons l'occasion de nous revoir sur ce problème juridique. C'est ce qui explique pourquoi j'ai qualifié ce texte d'insuffisant, bien qu'indispensable et opportun. Mais, comme nous retenons d'abord son aspect positif, les députés du groupe SRC le voteront. (Applaudissements sur tous les bancs.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, il y a deux ans, l'activité de pirates au large de la Somalie avait fait irruption dans notre paysage médiatique et avait suscité l'émotion de l'opinion publique.
La capture du Ponant, navire de croisière avec à son bord une vingtaine de nos compatriotes, avait révélé l'importance de l'enjeu de la lutte contre la piraterie dans cette région. Ensuite, les attaques d'autres navires de plaisance ou de commerce ont alimenté l'actualité au fil des mois. Ce phénomène n'est pas récent. Au début des années 2000, les pirates sévissaient en mer de Chine et dans le détroit de Malacca, sans pour autant attirer l'attention de l'Occident.
Aujourd'hui même, alors que tous les projecteurs sont braqués sur le golfe d'Aden, une piraterie bien plus dangereuse et violente touche les installations pétrolières du golfe de Guinée et les eaux nigérianes. La croissance des actes de piraterie est extrêmement rapide depuis 2007, alors que cette activité n'était encore que marginale en 2006.
Cela a conduit le Programme alimentaire mondial à lancer un appel international pour la protection de ses navires convoyant l'aide humanitaire indispensable à la survie de près de deux millions de Somaliens.
D'où aussi la participation française à l'opération navale militaire de l'Union européenne « Atalante », lancée en 2008 dans le cadre de la politique européenne de sécurité et de défense. Menée avec plus d'une vingtaine de bâtiments, des avions et 1 800 militaires de neuf pays, cette opération d'envergure vise à dissuader les pirates, à protéger les navires et, le cas échéant, à réprimer.
Entre 2008 et 2009, 315 pirates ont été retenus ou appréhendés et plus de la moitié des actes de piraterie ont eu pour théâtre le golfe d'Aden et le large des côtes somaliennes, avec 47 navires détournés et 867 membres d'équipages pris en otage.
Dans cette zone géographique où transitent près de 25 000 navires par an et 20 % du commerce mondial, outre les atteintes à la sécurité des personnes difficilement tolérables, ces actes font peser une très sérieuse menace sur la liberté de navigation.
Tous ces éléments légitiment l'existence de ce projet de loi. Celui-ci définit un cadre juridique spécifique pour lutter contre la piraterie et adapte notre législation pénale aux conventions internationales. Cependant, il faut bien avoir conscience que ce texte ne règle pas tous les problèmes. Je pense, en particulier, qu'il faut agir sur les effets, mais aussi plus fortement sur les causes. La répression ne suffit pas. En effet, les problèmes de fond que pose la piraterie ne se régleront ni seulement en mer, ni uniquement par la répression. C'est principalement à terre qu'il faut chercher des solutions, par le biais du développement des pays.
Nous le savons, le phénomène de piraterie au large de la Somalie a pour cause principale la situation de ce pays. Ses habitants vivent dans une misère noire et les structures de l'État sont très fragiles. Ce pays est ravagé depuis dix-huit ans par une guerre civile. La moitié de ses habitants dépendent de l'aide humanitaire.
En Somalie, un pêcheur gagne un dollar par jour pour nourrir sa famille. La population somalienne souffre d'une telle pauvreté que tout lui est bon pour obtenir de l'argent. Alors, oui, je le pense, on ne devient sûrement pas pirate par plaisir.
Face à cette réalité incontestable, une autre réalité implacable : l'aide publique au développement apportée par la France va baisser de 5 % par rapport à l'année dernière. Les ONG alertent en permanence sur les conséquences du risque de réduction de l'aide publique aux pays pauvres. Il faudrait un développement partagé, une répartition équitable des richesses mondiales. Ce n'est pas ce qui est prévu dans le projet de loi de finances pour 2011.
Alors, je le dis, il faudrait que les pays riches prennent réellement leurs responsabilités, sans se contenter d'envoyer leur armada militaire ! Qu'on me comprenne bien : la violence s'explique, mais elle ne se justifie pas.
Mercredi dernier, encore, la frégate De Grasse a intercepté une embarcation pirate dans le golfe d'Aden. Les marins français ont saisi des lance-roquettes, un fusil-mitrailleur et des munitions, autant d'armes de guerre. Malgré tout, les sept hommes interceptés sont repartis libres, sur leur embarcation, après confiscation des armes. Comme il n'y avait pas assez de preuve pour lancer des poursuites judiciaires, le matériel de piraterie a été confisqué et les pirates présumés ont été renvoyés en Somalie.
C'est un problème. Si cette interception a évité de très probables attaques sur des navires, selon l'état-major de l'opération Atalante, laisser libres ces individus n'est pas satisfaisant. D'ailleurs, comme le souligne le rapport du groupe de contrôle sur la Somalie, remis le 10 mars dernier au Conseil de sécurité de l'ONU, ces pirates ne sont que le dernier maillon d'une chaîne bien organisée sur laquelle prospèrent des groupes aux mains de véritables hommes d'affaires qui, eux, ne prennent pas de risques et ne sont nullement inquiétés.
À ce propos, je comprends, comme le prévoit le texte amendé, la démarche qui consiste à adopter un régime de compétence quasi universelle afin de privilégier le traitement judiciaire des actes de piraterie par deux pays de la région, le Kenya et les Seychelles. Son efficacité est néanmoins très limitée.
Du reste, les pays de l'Union européenne, qui assurent le fonctionnement de ce système par le biais du programme anti-piraterie de l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime, risquent d'être bientôt de nouveau seuls face à ce problème : le Kenya a récusé les accords qu'il avait signés dans ce domaine, parce que ses prisons sont surpeuplées et ses tribunaux débordés. Pour éviter une telle situation, l'Union européenne a même proposé d'accroître son soutien au Kenya et aux Seychelles afin que ces États puissent continuer de juger et d'emprisonner les pirates somaliens.
Également conscient de cette difficulté, le Conseil de sécurité de l'ONU a, pour sa part, adopté à l'unanimité une résolution appelant tous les États à durcir leurs législations nationales et les pays riverains à s'impliquer davantage dans cette lutte.
Le projet de loi que nous examinons aujourd'hui a le mérite de clarifier la situation et de combler un vide juridique. Il détermine les infractions pénales constitutives d'actes de piraterie, les modalités de leur recherche et les agents habilités à poursuivre leurs auteurs. Je ne m'attarderai pas sur ce volet, qui répond à la nécessité de rendre plus efficace la lutte contre les actes de piraterie commis en mer en renforçant les mesures de prévention et de répression dont dispose l'État.
Par ailleurs, afin de tenir compte de plusieurs condamnations par la Cour européenne des droits de l'homme, ce texte vise à assurer la sécurité juridique des mesures de coercition prises à l'encontre de personnes appréhendées lors d'une opération de police de l'État en mer. Sur ce point, je ne suis pas persuadé que le dispositif retenu nous mette entièrement à l'abri d'autres contentieux, à l'initiative d'associations ou de particuliers, qui entraîneraient de nouvelles condamnations par la Cour.
En effet, dans le dispositif proposé, c'est le juge des libertés et de la détention qui est saisi par le procureur de la République, quarante-huit heures après que celui-ci a été informé que des mesures de restriction ou de privation de liberté ont été prises. Il faudrait donc que le statut du procureur de la République satisfasse les critères de la Cour européenne des droits de l'homme, ce qui ferait de lui une autorité judiciaire. En d'autres termes, il faut mettre un terme à la tutelle hiérarchique de l'exécutif sur les procureurs.
Surtout, je déplore qu'un texte portant sur la piraterie maritime propose de rendre applicables à l'immigration illégale les dispositions de rétention à bord. Car, à mes yeux, l'immigration illégale n'est en rien comparable aux actes de piraterie ou au trafic de stupéfiants. Il s'agit donc d'un mélange des genres.
De fait, l'ancien ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire avait annoncé la création d'un dispositif de lutte contre le trafic des migrants par mer qui prévoyait notamment la surveillance en Méditerranée et l'interception des navires dans ses eaux.
Or, si je comprends la nécessité de développer la coopération internationale pour faire face à cette forme de délinquance, on peut craindre qu'ajouté au nouveau dispositif prévu, ce texte sur la répression de la piraterie maritime ne donne un fondement légal à la possibilité de retenir sur des bâtiments de la marine nationale des immigrants dont les embarcations auraient été interceptées par la police en mer. Autrement dit, je redoute que ce texte ne légalise indirectement la création, sur des bâtiments de la marine nationale, de centres de rétention administrative qui seraient soumis à un régime moins protecteur que le régime actuel.
Pour toutes ces raisons, si nous voulons éradiquer véritablement ce fléau, il est impératif de ne pas s'en tenir à une solution uniquement juridique. L'engagement militaire de notre pays et l'amélioration de nos moyens juridiques ne sont qu'un élément de réponse.
Il faut trouver une solution politique à la crise dramatique que connaît la Somalie, et qui exerce un effet déstabilisateur sur toute la région. Nous devrions donc, avec nos partenaires européens, faire davantage pour soutenir l'Union africaine et le gouvernement fédéral somalien de transition.
Certes, ces questions excèdent la portée du projet de loi qui nous est présenté mais, compte tenu des réserves que m'inspire la possibilité d'en appliquer certaines dispositions à la lutte contre l'immigration illégale, notre groupe s'abstiendra.
Je me dois de répondre aux orateurs des différents groupes. Je retiens d'abord la convergence des discours émanant de tous les bancs de cet hémicycle, à laquelle le Gouvernement est naturellement très sensible.
Vous avez tous reconnu le rôle important que jouent nos forces armées. Je souligne l'hommage solennel que vous leur avez ainsi rendu, sur tous les bancs. Au nom du Gouvernement, je tiens moi aussi à dire la reconnaissance que nous devons à nos marins et à nos soldats qui, dans ces mers lointaines, prennent chaque jour de grands risques et assurent au péril de leur vie, avec beaucoup de sang-froid et de courage, la sécurité des personnes, le parcours de l'aide humanitaire ou le commerce international. Nous pouvons leur rendre un hommage unanime. (Applaudissements sur tous les bancs.)
Vous avez tous jugé ce texte pertinent ; vous avez tous considéré qu'il permettait une réaction appropriée aux effets de la piraterie. Selon certains d'entre vous, il faudra travailler davantage sur les causes de ce phénomène ; le Gouvernement ne peut que partager cette analyse.
Monsieur le rapporteur, je n'ai pas votre compétence dans ce domaine. Je rends hommage au travail que vous avez accompli. Je sais que vous vous intéressez à la question depuis bien longtemps – je me souviens vous avoir entendu, dans votre circonscription, exposer vos préoccupations à ce sujet. Vous avez eu tout à fait raison de souligner l'importance de ce projet de loi dans le contexte des opérations en cours dans le golfe d'Aden. Vous avez également eu raison de souligner les améliorations apportées au texte par la commission, dont le Gouvernement salue l'excellent travail, que vous avez réussi à rendre consensuel par l'atmosphère que vous avez fait régner en commission. Vous avez abordé plusieurs points sur lesquels je vais revenir.
Tout d'abord, vous souhaitez que l'on développe à l'avenir les capacités de la marine dans les eaux territoriales, mais le droit ne permet pas d'étendre à ces dernières le champ du présent projet de loi. Vous le savez, puisque cette question a fait l'objet de discussions poussées avec le Gouvernement. Les eaux territoriales, c'est la France ; or, sur tout notre territoire, eaux territoriales comprises, c'est le code pénal qui s'applique de plein droit. Il est toutefois exact que des problèmes peuvent se poser au large de Mayotte. Le Gouvernement y réfléchit et étudiera avec vous, monsieur le rapporteur, et avec la commission de la défense, les solutions que l'on peut leur apporter.
Quant à l'attribution à la marine des go fast saisis, le Gouvernement y réfléchit également. Il est envisagé de modifier à cette fin le code général des propriétés. Vous aurez donc à nouveau l'occasion de travailler en partenariat constructif avec le Gouvernement afin de trouver des solutions satisfaisantes.
La marine nationale doit naturellement développer encore ses actions, mais elle installe déjà des équipages de protection militaire sur les navires français, ce qui est très positif. Cela suppose des moyens financiers que l'État s'honore de dégager afin de soutenir ces actions, ô combien utiles.
Leur statut donne à ces militaires le droit d'accomplir des actes de contrainte, voire de supprimer les individus qui menacent la vie des personnes. Il serait très délicat de les remplacer par des sociétés militaires privées, car leur action relève du pouvoir régalien. Vous comprendrez donc que le Gouvernement s'interroge sur ce point. Le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale mène des études à ce sujet ; laissons-les suivre leur cours, si vous le voulez bien.
Enfin, monsieur le rapporteur, je suis d'accord pour dire qu'il faut prévenir la piraterie par le développement des pays concernés. Vous avez presque tous évoqué cette question de l'aide au développement. Ce texte ne prétend évidemment pas résoudre ce problème, si réel soit-il : il s'agit d'un autre débat.
Monsieur Folliot, vous vous êtes félicité que la France ait été à l'origine de la mobilisation dont la question qui nous occupe fait l'objet et vous avez, vous aussi, rendu hommage à nos forces armées. Je vous en suis reconnaissant.
Vous avez parlé de s'attaquer aux causes et insisté sur l'aide au développement. Reconnaissez que ce n'est pas par ce texte que l'on résoudra le problème : ici, nous nous intéressons aux seuls effets du phénomène. Toutefois, je ne doute pas que vous reprendrez le débat sur ses causes, car je connais votre pugnacité.
Au nom du groupe Nouveau Centre, vous avez également indiqué qu'il n'existait pas de vide juridique, sauf en ce qui concerne l'incrimination spécifique de piraterie. Le projet permet surtout de conforter juridiquement la procédure de rétention à bord et précise les conditions de jugement par les tribunaux français.
Quant aux accords, vous avez évoqué la common law, en particulier à propos des Seychelles et du Kenya. Vous le savez, les accords tiennent compte de la spécificité de notre droit national. Même si la common law s'applique, les garanties fondamentales reconnues par le droit français s'appliquent également et sont incluses dans les accords conclus avec le Kenya et les Seychelles. Je tenais à vous rassurer sur ce point.
Monsieur Beaudouin, au nom du groupe UMP, vous avez-vous aussi rendu hommage à nos soldats et à nos marins. Je vous suis reconnaissant du soutien que vous apportez à ce projet, comme le Nouveau Centre, autre composante de la majorité.
Vous avez raison de souligner que la France, du fait de la proximité de Mayotte et de la Réunion, est particulièrement menacée par les actes de piraterie. C'est justement à cela que le Gouvernement réfléchit.
Vous l'avez également dit, la France a décidé de juger les pirates présumés capturés par ses navires, mais en privilégiant le jugement par les tribunaux locaux.
Vous avez enfin souligné, à juste titre, que nous participions à la formation des forces terrestres somaliennes, essentielles à l'équilibre régional. Ce qui nous reconduit à la question de l'aide au développement– dont il ne s'agit pas ici, je le répète – et du soutien que la communauté internationale doit apporter à la région, afin que nul ne soit plus tenté de trouver dans la piraterie un moyen de survie que le développement de son pays ne lui assure pas. Nous aurons certainement l'occasion d'aborder plus tard cet autre débat.
Monsieur Le Bris, vous avez jugé ce texte indispensable et opportun ; j'y vois un soutien à l'action du Gouvernement. Vous connaissez bien ces sujets, dont vous avez une grande expérience. Certes, vous avez dit que le texte était insuffisant mais, dans votre position d'opposant,…
Opposant constructif, mais opposant tout de même ! Dans votre position, disais-je, vous ne pouviez guère en dire moins. (Sourires.) Vous vous êtes donc montré très constructif, et je vous en remercie. L'essentiel est que vous soyez unanimes à juger le texte indispensable et opportun, c'est-à-dire à le juger positivement.
Merci de souligner le rôle essentiel de la France dans la création de l'Europe de la défense et dans l'opération Atalante. Nous pouvons être reconnaissants à ceux qui ont eu l'initiative de cette opération.
Vous avez raison de replacer la piraterie dans l'histoire. Je ne donnerai pas dans le romantisme que vous avez évoqué, car, même si j'ai moi aussi des souvenirs de jeunesse de drapeaux à tête de mort, je les crois hélas dépassés depuis longtemps : les dangers contre lesquels nous devons lutter avec pugnacité sont aujourd'hui bien réels.
Je vous remercie également d'avoir souligné le caractère emblématique de l'opération Atalante. Je l'ai dit, la France y joue un rôle majeur, grâce aux forces présentes dans l'océan Indien, et toutes les marines agissent avec une remarquable efficacité, essentielle à la sauvegarde du commerce international.
Je souscris à vos propos sur la difficulté à adapter le droit pénal aux comportements criminels. Nous en sommes tous conscients, mais nous devons encore réfléchir à la manière de faire évoluer les textes et les procédures. Le présent texte répond à l'urgence de la situation.
Il faut faire attention : notre droit nous permet déjà de poursuivre les pirates, et je vous rappelle que quinze d'entre eux sont actuellement incarcérés en France sur le fondement du code pénal – vous avez vous-même cité les opérations Carré d'as, Tanit et Ponant. Je ne peux laisser dire que notre droit est lacunaire ; simplement, ce projet l'améliore et le conforte. Nous avons les moyens d'agir ; nous agissons. Je viens de le rappeler à propos de ces quinze personnes incarcérées. Le Gouvernement a toutefois estimé, comme vous, qu'il y avait encore à faire. Ce projet de loi met en oeuvre les efforts nécessaires pour améliorer la situation.
S'agissant de l'arrêt Moulin, il faut bien voir que la décision de la Cour européenne des droits de l'homme du 23 novembre 2010 n'est pas définitive. Elle sera soumise à la grande chambre de la Cour, laquelle, le 29 mars 2010, n'a pas repris la formule relative au statut du procureur et a validé le rôle de celui-ci dans la procédure. Il nous faut donc attendre la décision qui est en appel, à la demande de la France. C'est pourquoi, vous le comprendrez, monsieur Le Bris, je me garderai bien d'en dire plus.
Monsieur Candelier, vous avez reconnu les mérites de notre projet de loi, ce qui me fait dire que votre abstention en commission était positive.
Il vous reste encore un effort à faire pour la transformer en vote positif dans l'hémicycle.
J'espère que la perspective d'un vote unanime vous incitera à lever le bras avec l'ensemble de vos collègues.
Vous avez insisté, à juste titre, sur la difficile situation de la Somalie et la nécessité de développer de nouveaux lieux de jugement pour les pirates. Jack Lang exerce auprès de l'ONU une mission importante à ce sujet. Laissons le travailler. Quand son rapport sera publié, nous verrons comment nous pourrons opérer des avancées sur ce point.
L'action de l'État en mer est unique. Il est normal que le texte soit cohérent pour ce qui est de la pêche illégale. Le dispositif retenu n'a pas été invalidé par la grande chambre de la CEDH. Celle-ci n'a en effet pas condamné le rôle du procureur dans la phase de rétention en mer.
J'espère que les éléments que je viens de vous exposer vous permettront de faire un effort afin que votre assemblée s'honore d'une unanimité de nature à faire progresser la lutte que le gouvernement français mène avec détermination contre ce fléau mondial qui touche l'ensemble de la communauté internationale. Je vous remercie par avance du soutien que vous voudrez bien nous apporter dans ce combat. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP, NC et SRC.)
J'appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi.
Je suis saisi d'un amendement n° 1 .
La parole est à M. Gilbert Le Bris.
leM. Gilbert Le Bris. Traditionnellement, le droit relatif à l'extradition des personnes incriminées prévoit que celle-ci soit assortie de conditions. Pour nous, Français, ces conditions passent par la non-application de la peine de mort et le respect des droits fondamentaux, y compris des droits de la défense. L'accord que nous avons passé avec l'Union européenne pour nous assurer que ces conditions sont respectées prévoit ainsi expressément que lorsque nous remettons des pirates au Kenya, cet État ne recourra pas à la peine de mort. Il n'y a pas de problème non plus avec les Seychelles. En revanche, si nous devions être amenés à traiter avec l'île Maurice, nous serions exposés à des difficultés. Dans le Puntland, région autonome de Somalie à laquelle est remis le plus grand nombre de pirates, la situation est encore moins claire. Nous sommes loin des standards internationaux en matière de justice.
Cet amendement n° 1 vise donc à mettre ce projet de loi en conformité avec les dispositions de l'article 696-4 du code de procédure pénale, notamment pour éviter que des pirates, quand ils sont remis à des autorités étatiques étrangères, puissent être condamnés à la peine de mort.
Cet amendement a déjà été présenté par Maître Robert Badinter au Sénat où il a été rejeté. Il a également été repoussé par notre commission.
Je comprends fort bien les interrogations exprimées par Gilbert Le Bris et nos collègues du groupe SRC, mais je dois leur rappeler, pour les tranquilliser, que la France est signataire de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par ailleurs, toute remise de pirates au Puntland s'accompagne d'un échange de notes verbales avec le gouvernement fédéral de transition de Somalie afin de s'assurer qu'aucune peine de mort ne sera prononcée ou demandée et que les droits de l'homme seront respectés, notamment pour ce qui touche à la torture. Vous pouvez être pleinement rassuré, monsieur Le Bris.
En outre, parmi les propositions étudiées à l'heure actuelle figurent celles que Jack Lang a élaborées dans le cadre du travail remarquable qu'il mène auprès de l'ONU pour trouver une solution à la question de l'instauration de nouveaux tribunaux, et je tiens à saluer son action. Jack Lang envisage ainsi la possibilité de créer des tribunaux somaliens en Somalie. Cela me paraît être de nature à dissiper vos inquiétudes même si, je le note de façon humoristique, Jack Lang est co-signataire de votre amendement par un étonnant paradoxe.
Enfin, pour m'être rendu en Somalie, je peux vous dire que parmi tous les pirates que j'ai eu l'occasion de rencontrer un seul préférait être jugé en France plutôt qu'en Somalie.
Les pirates se trouvent en effet dans de meilleures conditions dans leur pays et les peines, de cinq à quinze ans, ne sont pas toujours excessives. Dans le Puntland, même si on ne dispose pas de statistiques exactes, on peut dire que pratiquement deux tiers des pirates sont relâchés.
Pour toutes ces raisons, monsieur Le Bris, la commission n'a pas retenu votre amendement tout en comprenant vos interrogations.
Monsieur Le Bris, même s'il comprend vos préoccupations, le Gouvernement ne peut qu'être d'accord avec la commission.
Je ne vais pas revenir sur le travail que mène Jack Lang dans le cadre de l'ONU et sur les arguments fort bien exposés par M. Ménard, mais je peux vous confirmer, au nom du Gouvernement, qu'avant toute remise, la France s'assure, lors de l'élaboration d'accords régionaux ou de l'échange de notes verbales, que la peine de mort ne sera ni prononcée ni exécutée à l'égard des pirates et qu'aucun traitement contraire à la Convention européenne des droits de l'homme ne leur sera infligé. Le Gouvernement y veille et s'engage à exercer sa vigilance en ce domaine. J'ajoute que le fait que la France soit signataire des deux conventions citées par M. Ménard constitue une garantie supplémentaire. Dans ces conditions, monsieur Le Bris, peut-être pourriez-vous retirer votre amendement ?
Cet amendement me paraît être une fausse bonne idée. On peut en effet s'émouvoir du traitement réservé à certains pirates, mais je ne suis pas certain que tous les pirates veuillent venir en France. Pour m'être rendu moi aussi sur place, je peux vous dire que dans les pays de cette région où l'appareil étatique est absent, la justice est relativement perméable. La plupart des pirates préfèrent négocier localement leur sortie de prison.
En effet !
J'aimerais enfin revenir sur la marine. Il lui a été beaucoup rendu hommage, mais il ne faut pas oublier l'armée de l'air, l'armée de terre…
Je le maintiens, monsieur le président.
(L'amendement n° 1 n'est pas adopté.)
(L'article 2 est adopté.)
En commission, j'avais fait part des craintes que m'inspirait cet article, qui reconnaît la qualité de pupille de la nation aux orphelins de victimes de la piraterie. Cette mesure part d'un bon sentiment, cela ne fait aucun doute. Mais elle pose problème, car il est arrivé que les victimes se soient mises en danger sciemment, mettant en danger d'autres personnes. Je pense à l'affaire du Tanit. Les occupants de ce bateau avaient décidé de naviguer dans une zone infestée de pirates alors même qu'ils avaient été mis en garde. Les commandos de marine ont dû intervenir et s'il y avait eu des victimes parmi eux, les indemnisations n'auraient sans doute pas été les mêmes que celle à laquelle a droit l'orphelin du skipper du Tanit.
Mme Olivier-Coupeau a réagi très violemment lorsque les commandos de marine ont été mis en cause à la faveur de la promotion d'un livre sur cette affaire alors même qu'ils ont agi au péril de leur vie pour venir au secours de personnes qui s'étaient elles-mêmes mises en danger en ignorant les alertes qui leur avaient été adressées afin qu'elles ne se rendent pas dans cette zone.
Mes chers collègues, je voterai l'article 6 bis, mais je tiens à vous mettre en garde contre les dérives que cette reconnaissance pourrait entraîner. Il faudra bien qu'un jour ou l'autre on accole au terme de liberté celui de responsabilité.
Nous risquons sinon d'ouvrir une boîte de Pandore d'où sortiront toutes sortes d'excès.
Le groupe NC votera également cet article parce qu'il faut aller vite en ce domaine, mais je partage, mot pour mot, les propos de mon collègue Gilbert Le Bris. Il est particulièrement important de rappeler ces éléments alors que certaines personnes s'affranchissent à bon compte de leurs propres responsabilités. Dès lors qu'elles ont été informées au préalable de dangers clairement identifiés et qu'elles prennent tout de même des risques, elles ne devraient pas avoir à faire supporter à la collectivité nationale leur irresponsabilité. Il est essentiel d'être conscient que ce dispositif nouveau risque d'ouvrir une faille où certaines personnes pourraient s'engouffrer. Il s'agit d'une question sensible.
Je souscris volontiers aux propos de mes collègues. L'article 6 bis résulte d'un amendement gouvernemental adopté au Sénat et fait suite à la malheureuse histoire du Tanit, dont le skipper est décédé. Si je m'incline devant la douleur de la famille, je tiens à rappeler le courage et l'abnégation des fusiliers des commandos de marine qui ont risqué leur vie dans ce sauvetage. Je tiens à leur rendre hommage ainsi qu'aux membres du GIGN qui sont intervenus dans l'affaire du Ponant.
Ce statut de pupille de la nation a été instauré le 27 juillet 1917 pour les enfants de victimes de guerre. Aujourd'hui, les catégories de personnes concernées sont de plus en plus nombreuses : les enfants de déportés juifs, depuis 2000 ; les bénéficiaires du décret Raffarin de 2004 ; les enfants de victimes d'un acte terroriste. Ces catégories sont dynamiques et ne paraissent pas devoir exclure radicalement un élargissement à la piraterie maritime.
Même si les enfants redevables d'un tel bénéfice ne représenteront – c'est notre souhait le plus cher – qu'une extrême minorité de cas, cela ne peut cependant nous faire oublier les demandes qui sont formulées par des associations d'orphelins de parents victimes de méfaits de guerre, qu'il faudra bien accompagner un jour sérieusement.
Il faut à la fois entendre ce qui a été dit et clarifier la position du Gouvernement.
Merci, monsieur Guilloteau, d'avoir rappelé que dans les forces armées, il y a aussi l'aviation et la gendarmerie. Bien entendu, elles doivent être associées à l'hommage que j'ai rendu à nos forces armées au nom du Gouvernement.
S'agissant de l'article 6 bis, je comprends vos réactions, mais il faut bien voir que le Gouvernement a introduit cette disposition sur les pupilles de la nation dans le seul intérêt de l'enfant, peu importent les fautes des parents. En outre, il y a une garantie, car cet état est décidé par le juge des affaires familiales du tribunal de grande instance. Cela ne se fait pas par hasard : ce juge, qui exerce les fonctions de juge de tutelle des mineurs, reconnaît ou connaît à ce titre la tutelle des pupilles de la nation. Il peut renvoyer à la formation collégiale du tribunal qui statue comme juge aux affaires familiales. Par ailleurs, la loi sur l'action extérieure de l'État, que vous avez votée il y a quelques mois, a traité ce problème et prévoit, en son article 22, la récupération des frais engagés dans certains cas par la marine.
Les éléments d'apaisement que je viens d'essayer de vous apporter…
…me semblent de nature à vous rassurer sur les intentions du Gouvernement. C'est pourquoi je souhaite que vous votiez en l'état le texte de l'article 6 bis.
Monsieur Martin, vous n'avez pas à contrarier le ministre, d'autant que vous venez d'arriver. (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) Il faut toujours se méfier de ses amis !
(L'article 6 bis est adopté.)
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.
(L'ensemble du projet de loi est adopté.)
(M. Jean-Christophe Lagarde remplace M. Jean-Pierre Balligand au fauteuil de la présidence.)
Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, une fois encore, je présente à l'Assemblée nationale les excuses du Gouvernement. M. le ministre d'État, ministre de la défense, appelé par des obligations qui le retiennent en dehors de Paris, ne peut pas être présent ce matin et je me dois de le remplacer.
Du côté de la commission de la défense, le président Guy Teissier, en voyage officiel en Guyane, a demandé au vice-président Philippe Vitel de le remplacer. Merci donc, cher vice-président, d'être présent. Merci aussi à M. Guilloteau qui remplace, quant à lui, le rapporteur Michel Voisin qui, en mission au Vietnam, ne peut pas être à nos côtés aujourd'hui. Le remaniement ministériel intervenu à une date non prévue a bousculé les agendas. L'examen de ces textes était prévu un peu plus tard et chacun s'était organisé. Il est difficile de remettre en cause ses obligations en quarante-huit heures. Je vous remercie donc sincèrement, mesdames, messieurs les députés, d'accepter ces changements de dernière minute. Nous allons, les uns et les autres, faire face à nos obligations par délégation. Seul compte l'intérêt de la France que nous défendons à travers notamment ce texte de loi qui traite des actions extérieures de l'État.
La prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs est une menace pour la paix et la sécurité internationale, et cette menace est multiforme.
Le Livre blanc français sur la défense et la sécurité nationale de 2008 et l'expérience des réseaux Khan et nord-coréen ont mis en lumière l'impact de la mondialisation qui favorise la prolifération des armes prohibées ou régulées. Ce mouvement n'est plus seulement le fait d'États connus pour leurs activités proliférantes – Iran ou Corée du Nord –; il résulte aussi d'initiatives prises par des réseaux privés ou clandestins. C'est bien là un danger nouveau.
Il s'est créé une économie de la prolifération, en grande partie souterraine, structurée autour de réseaux d'acquisition et de vente, qui profite de la plus grande accessibilité des technologies inhérentes à la mondialisation du marché et des outils financiers. La possibilité que des acteurs non étatiques cherchent à acquérir des armes de destruction massive est aujourd'hui mise en exergue. Il nous fallait réagir.
La résolution 1540, adoptée par le Conseil de sécurité des Nations unies en 2004, qualifie la prolifération d'armes de destruction massive et de leurs vecteurs de « menaces à la paix et à la sécurité internationale ». Depuis l'adoption de cette résolution, renforcée par la résolution 1810 en 2008, il est fait obligation aux États d'améliorer leurs outils juridiques afin de prendre en compte toutes les dimensions de la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive, de leurs vecteurs et de leurs matériels connexes. La résolution 1887 de 2009, elle, reconnaît qu'il est nécessaire que tous les États adoptent des mesures efficaces pour empêcher que des terroristes aient accès à des matières nucléaires ou à une assistance technique.
Dans ce contexte, le Premier ministre a demandé, en novembre 2006, qu'un diagnostic interministériel soit porté sur l'arsenal juridique national de lutte contre la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs. Plusieurs améliorations sont apparues nécessaires sur quatre axes : la mise en cohérence des dispositions visant à lutter contre la prolifération des différentes armes de destruction massive, notamment en matière de sanctions pénales ; le comblement de certaines lacunes, en particulier en matière de lutte contre le financement de la prolifération ; la mise en place d'une répression accrue en cas d'activités prohibées conduites en bande organisée ou dans un but spécifiquement proliférant ; la création d'une procédure pénale particulière, sur le modèle de ce que prévoit le code de procédure pénale dans le domaine du terrorisme.
Le projet de loi que j'ai l'honneur de vous présenter a été élaboré en coordination avec d'autres ministères pour répondre à la complexité, aux lacunes et au peu de visibilité du dispositif actuel éclaté dans le code pénal, le code des douanes et le code de la défense. Il fallait plus de lisibilité et une meilleure coordination.
Avant d'entrer plus avant dans le détail du texte, j'en rappelle les points forts : harmoniser les dispositions relatives aux infractions et aux peines encourues au titre d'actes de prolifération nucléaire, biologique et chimique ; introduire celles relatives à la prolifération des vecteurs, notamment les missiles ; accroître les peines encourues en matière de contrebande, d'importation et d'exportation de biens et technologies à double usage, élément essentiel de la lutte contre la prolifération, comme l'a illustré l'épisode du réseau pakistanais, mis au jour en 2004, du docteur Abdul Qadeer Khan, scientifique ayant concouru à la mise au point de l'arme nucléaire pakistanaise ; combler une lacune importante du dispositif juridique existant en matière de financement de la prolifération.
Une enquête conduite par le SGDSN a montré que la plupart des États ne disposaient pas d'un régime unifié de répression de la prolifération. Le projet de loi vient ainsi, pour ce qui est de la définition des infractions réprimables, renforcer la cohérence du code de la défense français. La grande nouveauté affichable auprès des États partenaires est l'ajout d'un titre au livre IV du code de procédure pénale « De quelques procédures particulières », consacré à la procédure applicable aux infractions contribuant à la prolifération des armes de destruction massive.
Le titre Ier de ce projet de loi modifie le code de la défense afin de mettre en cohérence les comportements pénalement réprimés et les peines encourues dans les trois domaines de la prolifération nucléaire, biologique et chimique. Ce titre prévoit notamment l'aggravation des peines encourues lors des infractions commises en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de permettre à quiconque de se doter d'une arme nucléaire.
Le titre II porte sur la lutte contre la prolifération des vecteurs d'armes de destruction massive. Il insère une nouvelle section dans le code de la défense afin d'aggraver les sanctions encourues pour les infractions relatives à la fabrication, au commerce, à l'acquisition et à la détention, ainsi qu'au port, au transport, à la cession et à l'importation des matériels de guerre, lorsque de telles infractions concernent des vecteurs d'armes de destruction massive.
Le titre III est relatif aux biens à double usage pouvant avoir à la fois une application civile et militaire. Il modifie le code des douanes afin d'aggraver les peines encourues pour contrebande ou exportation sans déclaration de bien à double usage.
Le titre IV modifie le code de procédure pénale afin de renforcer les moyens procéduraux de lutte contre la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs en s'inspirant fortement des règles procédurales applicables pour lutter contre le terrorisme et la criminalité organisés.
Le titre V modifie le code pénal et le code de la défense afin de compléter la liste des infractions pouvant être considérées comme actes de terrorisme. Ainsi, de nouvelles infractions sont instituées, telles que la provocation à commettre des infractions relatives aux matières nucléaires et lorsque ces dernières ont pour but de permettre à quiconque de se doter d'une arme nucléaire, ou la provocation à commettre l'une des infractions prévues en matière biologique.
Enfin, le titre VI prévoit des dispositions diverses d'harmonisation ainsi que les dispositions relatives à l'outre-mer.
Tel est l'objet de ce projet de loi sur la criminalisation des activités de prolifération en France, porté par le ministère de la défense, que j'ai l'honneur aujourd'hui de vous présenter. Il constitue une approche innovante que la France, toujours pilote en la matière, pourra promouvoir sans modération auprès de ses partenaires des traités multilatéraux de lutte contre la prolifération, et en premier lieu auprès de ses partenaires européens. C'est encore là une marche que nous franchissons pour renforcer les moyens de l'Europe de la défense que nous voulons constituer.
Je rappelle que c'est sous l'impulsion de la présidence française de l'Union européenne, notamment du Président Sarkozy, que le plan d'action contre la prolifération des armes de destruction massive nucléaires, biologiques et chimiques a été adopté.
Il comprend des axes d'actions opératoires et couvre tous les volets de la lutte contre la prolifération. C'est ainsi que l'a souhaité le Président de la République.
Cette approche innovante est particulièrement opportune à l'heure où la crise iranienne met en péril l'architecture internationale de lutte contre la prolifération. Je crois me souvenir, messieurs les députés, que les débats en commission ont été plutôt consensuels. Je vous en remercie, sur tous les bancs de cette assemblée. Ce texte mérite en effet un consensus, dans l'hémicycle aussi. Il a été élaboré dans un esprit constructif, et je remercie l'ensemble des députés, de la majorité comme de l'opposition, du sens de l'État qui les a animés tout au long de ces débats et qui a conduit à un vote positif.
Au vu des explications qui seront données après la discussion générale, je souhaite que cette unanimité puisse se retrouver dans le vote de ce projet de loi, car ce genre de débat, essentiel pour l'intérêt national mais aussi pour la paix dans le monde, mérite que nous soyons à même de passer au-dessus des clivages qui nous séparent dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Christophe Guilloteau, suppléant M. Michel Voisin, rapporteur de la commission de la défense nationale et des forces armées.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens d'emblée à présenter les excuses de M. Michel Voisin, qui se trouve actuellement en mission à l'extérieur du territoire national, et qui a été surpris par l'inscription soudaine de ce projet de loi à l'ordre du jour de notre assemblée. Il aurait voulu être présent aujourd'hui, d'autant qu'il a beaucoup travaillé sur ce sujet passionnant, en étroite collaboration avec le ministère de la défense, le ministère de la justice et la direction générale des douanes.
Comme M. Patrick Ollier vient d'exposer les grandes lignes du projet de loi, mon intervention sera brève.
Je suis heureux que ce texte, dont l'examen en commission de la défense avait connu plusieurs reports, vienne en séance publique. La prolifération dans les domaines nucléaire, balistique, biologique et chimique constitue un sujet complexe sur lequel on lit souvent n'importe quoi. Il importe de garder un équilibre entre les menaces réelles et celles qui constituent un fantasme. Le rapport de Michel Voisin procède à des rappels utiles sur ce point.
Les différentes formes de prolifération sont un phénomène connu, sur lequel je ne m'étendrai pas. Nos commissions de la défense et des affaires étrangères y réfléchissent régulièrement.
Le présent projet de loi est essentiellement de nature pénale. Il n'a pas pour objectif de modifier notre dispositif de défense face aux menaces nucléaires, balistiques, bactériologiques ou chimiques. mais à renforcer les peines applicables aux personnes qui se livreraient à des activités favorisant la prolifération, afin que tout trafiquant ou complice de trafiquant sache qu'il encourt des peines très lourdes.
Sous son apparente complexité – vingt articles créent ou modifient plus d'une cinquantaine d'articles du code de la défense, du code de procédure pénale et du code pénal –, ce projet de loi obéit à trois lignes directrices.
Premièrement, il répond à l'obligation pour notre pays de mettre en oeuvre la résolution 1540 du Conseil de sécurité de l'ONU, adoptée le 28 avril 2004. Cette résolution enjoint aux États de renforcer leur arsenal juridique pour lutter contre les différentes formes de prolifération.
Deuxièmement, il harmonise la définition des infractions et des peines applicables aux activités de prolifération dans les domaines nucléaire, biologique et chimique. S'il existe depuis longtemps, dans notre pays, un arsenal législatif réprimant les actes et comportements proliférants, il nécessite d'être révisé car il comporte des lacunes sur de nombreux points : absence de toute incrimination s'agissant des vecteurs et des financements, disparité des peines dans les domaines biologique et chimique. L'objectif du texte n'est pas de bouleverser un dispositif qui a fait ses preuves, mais de le compléter en définissant l'ensemble des incriminations et en harmonisant les sanctions pénales.
Troisièmement, il étend aux activités proliférantes les règles de procédure applicables à la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée. Les enquêtes sur ces activités seront centralisées au tribunal de grande instance de Paris et les infractions seront celles définies en matière de terrorisme.
Il n'est nul besoin de rappeler à quel point la prolifération des armes de destruction massive constitue une menace à la paix et à la sécurité internationale. L'étude d'impact transmise par le Gouvernement, lors du dépôt du présent texte, relève à juste titre que cette menace est multiforme, puisqu'elle peut surtout émaner du comportement proliférant de certains États, notamment la Corée du Nord, mais que des réseaux clandestins privés, de type mafias, voire des particuliers, se placent sur un marché qui met en relations vendeurs et acheteurs de matières, notamment l'uranium, et de technologies.
Le projet de loi a donc pour origine une obligation et un constat. L'obligation résulte de la résolution 1540 précitée, qui enjoint aux États d'améliorer leurs outils juridiques pour prendre en compte les formes multiples des modes de prolifération. Le constat, pour sa part, a été opéré par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, élaboré en 2008 et qui, au-delà des inquiétudes classiques sur les conséquences géopolitiques de ce phénomène, a mis en lumière l'existence d'une économie de la prolifération, le plus souvent clandestine, s'appuyant sur des États comme sur des réseaux privés, ces derniers étant en mesure d'acheter des matériels issus de technologies duales et de bénéficier de financements par des banques commerciales.
Face aux évolutions des méthodes des États proliférants ou des trafiquants, qui visent par exemple des petites et moyennes entreprises rarement au fait de l'usage militaire qui peut être fait des technologies qu'elles mettent au point, il convenait de renforcer et d'adapter notre législation. Tel est l'objectif de ce texte.
S'agissant des différentes formes de prolifération, l'inquiétude majeure porte sur les matières nucléaires plutôt que sur les substances biologiques ou chimiques, d'un usage plus difficile. L'Agence internationale de l'énergie atomique fait état de 1 500 incidents environ entre 1993 et 2008, dont 336 correspondent à des possessions non autorisées de matières. Sur ce total, on relève dix-huit cas de trafic sur de l'uranium hautement enrichi et sur du plutonium, le plus souvent en Europe centrale, mais un cas a concerné la France en 2001.
Il faut garder à l'esprit que si des individus en contact avec des matières nucléaires peuvent être tentés de se livrer à des trafics, le phénomène de prolifération est essentiellement dû à des États qui veulent se doter d'ADM. Le phénomène a été parfaitement analysé par nos collègues Jacques Myard et Jean-Michel Boucheron dans un rapport publié l'an dernier, ainsi que par Jean-Pierre Chevènement, au Sénat.
La méthode est désormais bien connue : les États recourent à des intermédiaires qui profitent de la libéralisation du commerce international pour acheter de petites quantités de matériels ou de substances dans plusieurs pays, sans éveiller les soupçons. Le financement des acquisitions se fait en recourant au système bancaire. Le rapport de M. Michel Voisin décrit ainsi la typologie d'un réseau et illustre comment l'Irak a mis au point sa stratégie d'acquisition d'ADM dans les années 90, puis comment la Libye, l'Iran et la Corée du Nord ont utilisé les services du réseau Khan, basé au Pakistan, donc vous avez parlé, monsieur le ministre, pour accélérer leurs différents programmes.
Face à ce phénomène, il existe de nombreux textes et mécanismes internationaux. Notre pays est signataire de la totalité de ces textes, qu'il s'agisse du TNP, du protocole additionnel au TNP, du comité Zangger, du groupe des fournisseurs nucléaires, des conventions sur l'interdiction des armes biologiques comme chimiques ou encore du code de conduite de La Haye sur les missiles balistiques. Notre législation nationale est en quelque sorte le reflet de nos engagements internationaux. Les dispositions qui interdisent les actes de prolifération sont prévues par le code de la défense. La législation française est complétée par plusieurs règlements européens, notamment le règlement 4282009 sur les biens à double usage.
Comme je vous l'ai indiqué au début de mon intervention, le texte harmonise les infractions et les peines applicables, adapte notre dispositif à la totalité des pratiques en usage au sein des réseaux de prolifération et aligne les procédures d'enquête portant sur les activités proliférantes sur celles applicables au terrorisme et à la criminalité organisée, leur conférant ainsi un degré de gravité équivalent.
S'agissant de la procédure pénale applicable aux personnes soupçonnées d'activités proliférantes, je souhaite revenir sur l'intervention de notre collègue Jean-Jacques Candelier, député du groupe GDR, qui s'est étonné, lors de l'examen du texte en commission, qu'on eût recours à une procédure pénale dérogatoire du droit commun alors que les actes de prolifération sont assez rares.
L'argument de notre collègue revêt une valeur certaine et je partage sa vigilance dès lors que des libertés publiques et individuelles sont en jeu. Il s'agit, de la part du Gouvernement, d'un choix politique que la majorité soutient.
Les activités proliférantes peuvent avoir des conséquences dramatiques si les destinataires des armes ou des matières dangereuses arrivent à leurs fins. Nous ne pouvons baisser notre garde. Il nous faut organiser un dispositif de surveillance, de renseignement, de filature, de perquisition, de garde à vue et de jugement, l'essentiel étant que les droits de la défense, auxquels toute personne a droit, soient bien respectés. Or le texte n'y porte pas atteinte. Cela devrait, je l'espère, rassurer nos collègues qui s'inquiètent de ce volet du projet de loi.
Avant de terminer mon intervention, je souhaite interroger le Gouvernement sur un point qui n'est pas couvert par le projet de loi, à savoir les engins radiologiques.
Vous savez, monsieur le ministre, que ces engins, qu'on appelle parfois « bombes sales », peuvent être fabriqués à partir de matières radioactives telles que le cobalt, le césium 137 ou le strontium, largement utilisées par la médecine comme par l'industrie. Elles sont entreposées dans des endroits plus ou moins surveillés. En les combinant à des charges explosives, des terroristes pourraient dégager de la radioactivité sur plusieurs centaines de mètres.
Notre commission de la défense avait interrogé le Gouvernement sur ce point, qui nous a indiqué qu'un décret, relatif à la protection et au contrôle des matières nucléaires, de leurs installations et de leur transport, énumère les matières sous surveillance particulière : plutonium, uranium, thorium, deutérium, tritium et lithium 6. Le cobalt et autres matières radioactives non citées devraient faire l'objet d'un prochain projet de loi sur la protection des sources radioactives. Il convient, à mon sens, que la rédaction de ce projet soit rapidement finalisée car, autant l'explosion d'une bombe nucléaire par des terroristes relève de la propagande en raison de la complexité de la détonique, autant le recours à des bombes au cobalt est une hypothèse réaliste.
Mes chers collègues, en nous présentant le présent projet de loi, le Gouvernement répond de manière pragmatique à une menace potentielle. La commission de la défense a adopté ce projet et vous demande d'en faire de même. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le présent projet de loi s'inscrit dans le prolongement de la résolution 1540 du Conseil de sécurité des Nations unies, renforcée par la résolution 1810, qui fait obligation aux États d'améliorer leurs outils juridiques pour prendre en compte toutes les dimensions de la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs. Il répond aussi à la nécessité d'adapter notre droit aux nouvelles modalités de la prolifération, telles quelles ont été mises en évidence notamment par le Livre blanc sur la défense ou le rapport présenté l'an dernier par nos collègues Jacques Myard et Jean-Michel Boucheron.
Alors que le développement des armes de destruction massive était traditionnellement le fait des États les plus développés, nous avons vu apparaître des réseaux de prolifération associant acteurs étatiques et acteurs privés, au profit d'États situés en marge de la communauté internationale, ainsi que la dissémination des technologies en matière atomique, bactériologique et chimique.
Le projet de loi que nous examinons aujourd'hui a donc pour objet de compléter notre arsenal juridique afin d'en renforcer la cohérence et le caractère dissuasif, donc l'efficacité.
La loi comble d'abord un certain nombre de lacunes. Ainsi le financement des actes contribuant à la prolifération sera désormais sanctionné et certains comportements considérés comme proliférants seront ajoutés à la liste des infractions. Tel sera le cas, par exemple, de l'exportation sans autorisation de biens connexes aux matières nucléaires.
Les dispositions proposées permettront également une harmonisation des infractions et des peines encourues dans les trois domaines de la prolifération : le nucléaire, le biologique et le chimique. Notre droit sera ainsi plus complet.
Je relève toutefois, comme le rapporteur, que certaines matières radioactives, telles que le cobalt 60 ou le césium 137, beaucoup utilisées par l'industrie ou la médecine, donc très répandues, ne figurent pas dans le projet de loi alors qu'elles pourraient être utilisées pour la réalisation de « bombes sales ».
Pourriez-vous nous confirmer, monsieur le ministre, qu'un projet de loi sur la protection des sources radioactives est bien en cours de rédaction, et qu'il sera bientôt déposé sur le bureau de l'Assemblée ?
Le texte entend également aggraver les peines encourues lorsque les infractions sont commises « en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de permettre à quiconque de se doter d'une arme nucléaire ». Seront de mêmes alourdies les peines encourues pour les infractions relatives à la fabrication, à l'acquisition ou au commerce des vecteurs d'armes de destruction massive. Est en outre prévue une aggravation des peines en cas de commerce illicite de biens à double usage. Notre droit sera ainsi plus dissuasif.
Par ailleurs, la loi renforcera les moyens procéduraux de lutte contre la prolifération en s'inspirant des règles actuellement applicables pour lutter contre le terrorisme et la criminalité organisée. Elle permettra ainsi la centralisation des enquêtes et des jugements au tribunal de grande instance de Paris, le jugement par une cour d'assises composée exclusivement de magistrats professionnels, un allongement des délais de prescription, l'extension des pouvoirs des officiers de police judiciaire et le recours aux techniques spéciales d'enquête. Ces adaptations sont nécessaires car la prolifération demeure une préoccupation majeure, comme l'a excellemment démontré M. Voisin dans son rapport.
Le président du groupe d'amitié France-Corée du Sud que je suis y est particulièrement sensible et j'aimerais, si vous le permettez, monsieur le président, monsieur le ministre, dire deux mots de la situation coréenne.
En cette année de commémoration du soixantième anniversaire de la guerre de Corée, les tensions demeurent très vives, comme vient de le montrer, une nouvelle fois, le bombardement par les forces armées nord coréennes de l'île de Yeonpyeong, premier acte de guerre – direct et démontré – depuis soixante ans. Par ailleurs, sur le plan nucléaire, la Corée du Nord a montré, la semaine dernière, qu'elle poursuivait ses provocations en révélant l'existence de l'accroissement de son programme d'enrichissement d'uranium qui pourrait lui permettre de produire de l'uranium hautement enrichi, non seulement pour son propre armement nucléaire, mais également, et surtout, pour continuer d'alimenter les circuits clandestins à destination des pays qui souhaitent s'armer d'armes nucléaires – je pense en particulier à l'Iran, à la Birmanie – et, naturellement pour alimenter les réseaux terroristes.
Dans le contexte incertain provoqué par cette dictature, marqué par la préparation de la succession de Kim Jong-il par le « fiston » Kim Jong-eun, il apparaît plus que jamais nécessaire, sans céder au chantage nord-coréen, de parvenir, enfin, au règlement du conflit alors que, cinquante-sept ans après l'armistice, aucun traité de paix n'a encore été signé.
Monsieur le ministre, la France, qui participe au commandement des Nations unies sur la péninsule coréenne pour y avoir envoyé ses soldats, doit donner de la voix sur le sujet.
Je referme cette parenthèse, qui tenait à coeur à l'ami de la Corée que je suis, pour en revenir au texte.
La prolifération est un problème global. Il est du devoir de chaque État de mettre en oeuvre tous les moyens nécessaires pour lutter contre les réseaux de la prolifération qui agissent tant au profit des États que d'organisation-réseaux terroristes.
Avec ce projet de loi, la France contribue non seulement à cet effort commun, mais se montre exemplaire en tant que pilote. Le Groupe UMP le votera donc naturellement. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à n'en pas douter, le projet de loi que nous examinons est essentiel. Il a d'ailleurs été jugé tellement important que le Gouvernement l'a inscrit à l'ordre du jour prioritaire de nos travaux dans un délai historiquement court. J'ai donc disposé de quarante-huit heures pour réfléchir à cette question complexe de la prolifération même si je ne partais pas de rien puisque je suis ce dossier de près, notamment pour ce qui concerne le nucléaire et les missiles balistiques et autres. Reconnaissez tout de même que vous avez contribué à écourter nos nuits et qu'il n'est pas évident d'étudier ce dossier en si peu de temps, surtout au moment du congrès des maires.
J'espère seulement que cette précipitation n'est due qu'à la nécessité pour le Gouvernement d'assurer un peu d'occupation aux députés désoeuvrés. (Murmures.) Je préférerais toutefois cette hypothèse plutôt que celle d'une nouvelle alerte de sécurité grave, mais secrète, comme celles qu'on découvre à la une des journaux régulièrement ces derniers temps.
Cela étant, monsieur le ministre, j'aurais pu dire l'inverse : il n'est que temps que ce projet vienne en discussion. La résolution n° 1540 des Nations unies sur la prolifération date de 2004 ; le projet de loi a été déposé en 2009, alors que la France est l'un des pays à l'origine de ladite résolution. Bref, nous y sommes.
Quel est l'objet du texte ? Je me garderai bien de paraphraser les propos du rapporteur qui a effectué un bon travail sur ce sujet complexe. Je rappellerai néanmoins quelques points.
Le projet de loi a donc pour objet de transposer en droit national les décisions contenues dans la résolution n° 1540 du conseil de sécurité de l'ONU, adoptée le 28 avril 2004. Cette résolution vise essentiellement à interdire aux États d'aider des acteurs non étatiques à se procurer les moyens et techniques permettant de se doter d'armes nucléaires, biologiques et chimiques.
Dans son préambule, la résolution affirme, ou rappelle, que la prolifération des armes nucléaires, chimiques ou biologiques, les NBC, et de leurs vecteurs constitue une menace pour la paix et la sécurité internationales, et que les États se sont engagés à lutter contre la prolifération. La menace terroriste est fort préoccupante et, parmi les préoccupations principales, figure le risque de voir des acteurs non étatiques se procurer des armes NBC.
Parmi les points de la résolution qui me semblent les plus importants, je relève le deuxième qui intéresse plus directement les parlementaires français. Il dispose que tous les États doivent « adopter et appliquer […] des législations appropriées et efficaces interdisant à tout acteur non étatique de fabriquer, se procurer […] des armes nucléaires, chimiques ou biologiques et leurs vecteurs, en particulier à des fins terroristes [...] ». Le projet de loi n° 1652 traduit donc en droit national la décision contenue au point 2 de la résolution.
Le point 3 précise que tous les États doivent mettre en oeuvre des dispositifs intérieurs de contrôle destinés à prévenir la prolifération des armes NBC et de leurs vecteurs.
Le point 4 crée un comité de suivi du Conseil de sécurité destiné à faire le bilan des mesures prises par les États dans les deux ans qui suivent l'adoption de la résolution.
Le point 8 demande le renforcement des traités multilatéraux de non-prolifération, l'adoption en droit national des dispositions en découlant et le renforcement des moyens des organisations internationales chargés des contrôles.
Le point 10, enfin, demande aux États de coopérer entre eux dans la lutte contre la prolifération des armes NBC.
Deux rapports sur le suivi de l'application de la résolution n° 1540 ont été publiés en 2006 et 2008. Un troisième rapport devrait sortir en 2011. Il est probable que l'approche de cette échéance ait poussé le Gouvernement à déposer le projet de loi que nous examinons ce matin.
Allons au plus simple : le texte inscrit dans le droit national que tout ce qui concourt, d'une façon ou d'une autre, de près ou de loin, à la prolifération d'armes nucléaires, biologiques ou à base de toxines au profit d'acteurs non-gouvernementaux – c'est-à-dire de groupes terroristes – est interdit et réprimé par la loi. Il en va de même pour toute activité visant à permettre à un groupe terroriste de se doter des vecteurs – à savoir des missiles – pouvant emporter les armes nucléaires, biologiques ou à base de toxines.
Dans la droite ligne de la politique pénale du Gouvernement depuis huit ans, la définition des infractions est très large. Les peines prévues sont lourdes. La procédure pénale applicable est celle prévue en matière de terrorisme, c'est-à-dire qu'elle est particulièrement favorable aux intérêts de l'enquête.
Je ne surprendrai personne ici en annonçant officiellement que les députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche soutiennent toute entreprise visant à lutter contre la prolifération de matières dangereuses.
Merci de votre approbation, monsieur Boisserie.
Ce qui est vrai dans le cadre des coopérations interétatiques l'est encore plus lorsqu'on parle de lutter contre le terrorisme. Le groupe SRC affirme donc une convergence totale avec les principes de la résolution n° 1540 et les dispositions de ce projet de loi.
On peut d'ailleurs s'interroger sur le sens de notre discussion de ce matin. Je ne préjuge pas de l'avis de chacun de nos collègues parlementaires des deux assemblées, mais qui peut être en faveur de la prolifération de matière dangereuses, au profit de groupes terroristes ?
Personne évidemment. Alors à quoi sert ce texte ? À caractériser et à réprimer des infractions commises en la matière sur le territoire national, me répondra-t-on. C'est parfait. Cependant, mécaniquement, quiconque nourrit de noirs desseins n'aura qu'à sauter les frontières pour échapper à la rigueur des législations nationales.
Force est donc de constater que, comme c'est le cas pour tout dispositif d'adaptation de recommandations supranationales, les lois nationales n'engageront que les ressortissants des États vertueux et les aspirants terroristes les moins habiles qui se feraient prendre sur le territoire de ces États ; et c'est à peu près tout.
Comme cela a déjà été souligné ici à l'occasion de débats sur l'interdiction des mines antipersonnel ou des armes à sous-munitions, comme sur l'application des dispositions du traité de non-prolifération, les problèmes demeurent. Les États qui refusent notre logique de non-prolifération sont autant de portes ouvertes aux dangers contre lesquels nous nous armons juridiquement. Le rapport de notre collègue Michel Voisin est tout à fait explicite sur ce point.
Faut-il pour autant nous abstenir d'agir ? Certainement pas. Si la vertu est la chose du monde la moins bien partagée, nous avons un devoir d'exemplarité. Reste que, en tant qu'élus de la nation, nous devons aussi convenir que le principal mérite du texte est de tendre à l'exemplarité, d'être une manifestation de volonté politique.
En revanche, nous devons reconnaître le caractère aléatoire des effets de la loi et nous ne pouvons ignorer que, loin d'être une solution, le projet est plutôt l'énonciation d'un problème.
Le texte évoque des cas possibles, hypothétiques. Interrogé en commission, le rapporteur nous a confirmé que notre pays n'a eu à connaître qu'un seul cas de procès pour des faits relevant à peu près du champ créé par le projet de loi. Je précise que les peines prononcées ont été légères, sans commune mesure avec celles prévues par le texte.
Nous légiférons donc sur des risques potentiels plutôt que pour faire face à des situations avérées, en tout cas sur notre territoire. Pour parler clairement, admettons que nous légiférons « au cas où » et que, sans doute parce que notre pays est sans faiblesse et que nos services de sécurité et de renseignement travaillent bien, nous répondons moins à une menace qu'à des dangers possibles, c'est-à-dire hypothétiques.
Laissez-moi rappeler en partie le début de mon intervention : la résolution des Nations unies était largement le produit d'un contexte, d'une période donnée. Le fait que le projet de loi soit examiné six ans plus tard me conforte dans l'idée que le danger, en France, est heureusement faible.
Le régime de Saddam Hussein produisait des armes chimiques. Il les a même utilisées au Kurdistan aussitôt après la première guerre du Golfe. En revanche, il ne détenait aucune arme nucléaire.
Je connais un pays proliférant en matière nucléaire. Paradoxalement, il est arrimé, depuis sa création, à ce camp auquel appartenait malgré tout la France pendant la guerre froide. Paradoxalement, il s'agit d'un pays dont les capacités militaires sont largement financées par les États-Unis. Paradoxalement, il semblerait que la prolifération dont il est l'origine géographique ne soit pas le fait de l'État, mais d'une partie du complexe militaro-industriel. Encore faut-il remarquer que cette prolifération nucléaire n'aurait bénéficié qu'à deux autres États et non à des groupes terroristes. Cela ne rend pas les faits moins inquiétants mais permet d'en avoir la juste mesure.
Par ailleurs, je ne connais qu'un seul pays qui dispose potentiellement de souches virales militarisées : la Russie. Il n'est pas proliférant. J'appelle votre attention sur le fait que ce type de menace, souvent source de scénarios cinématographiques, est sans doute la plus difficile à mettre en oeuvre techniquement.
Enfin, je n'ai pas d'exemple probant de prolifération de toxines.
À la réflexion, je me demande si ce projet de loi n'est pas un vestige qui nous oblige à rechausser, en cette fin 2010, les lunettes avec lesquelles nous regardions le monde treize mois après l'intervention en Irak décidée par le président George Bush.
Encore une fois, il ne faut pas se méprendre. On nous invite à légiférer contre une hypothétique prolifération. Je ne dis pas non,…
…mais reconnaissons qu'il faudrait avoir le goût de la difficulté pour s'engager dans une entreprise terroriste mettant en oeuvre des armes de destruction massive.
Quelle est l'arme qui a le plus tué dans le monde, ces trente dernières années ? La machette ! Le détail est horrible, mais il est parlant. Combien de civils ont été tués en Irak de 2003 à 2010 ? Environ 100 000. En comparaison, les 2 170 décès de soldats coalisés en Afghanistan apparaissent comme un chiffre presque faible, ce qui n'est pourtant pas la cas. Aucun des morts d'Irak ou des militaires envoyés en Afghanistan n'a été tué par des armes de destruction massive, et pour cause : les armes légères et les engins explosifs improvisés sont malheureusement très efficaces et bien plus aisés d'emploi.
La caractéristique principale de l'acte de terrorisme est de chercher à frapper une cible emblématique, afin de donner une résonance importante. Il faut donc se pencher sur les précédents. L'attentat au gaz sarin dans le métro de New York, en 1995, a tué dix personnes. Aux États-Unis, l'envoi par courrier de bactéries de maladie du charbon, en 2001, aurait coûté la vie à cinq personnes. En revanche, l'attentat à l'explosif commis contre un immeuble fédéral à Oklahoma City, aux États-Unis, le 19 avril 1995, a tué 168 personnes, en a blessé près de 700 et a endommagé plus de 300 bâtiments.
Je ne sais de quelle manière évoquer les attentats du 11 septembre 2001. Le mode opératoire retenu était des plus étonnants et n'avait rien de simple, mais il ne s'agissait assurément pas d'un attentat commis avec des armes dites de destruction massive, même si le nombre de morts fut considérable, les dégâts gigantesques et l'écho historique.
Je récuse donc la notion d'armes de destruction massive qui ne correspond à rien d'objectif et j'ai déposé un amendement qui propose d'y remédier.
En conclusion, je veux répéter qu'il peut être utile de légiférer afin de faire face à des dangers hypothétiques, mais nous ne devons pas surestimer la portée de nos décisions d'aujourd'hui, ni sous-estimer les dangers des armes traditionnelles du terrorisme.
A contrario, le principal danger en matière de prolifération me semble bien être la prolifération d'État à État. En la matière, aucune législation nationale ne peut rien. Il n'existe qu'une seule garantie à laquelle nous tenons : la dissuasion.
Mes chers collègues, même si ce texte prône des mesures contre d'hypothétiques actions, il nous faut l'adopter parce qu'il reste utile et conforme aux résolutions internationales signées il y a quelques années.
En tout cas, j'espère qu'il n'aura aucune raison de s'appliquer dans notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, conformément aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies de 2004, 2008 et 2009, le Gouvernement propose d'améliorer les outils juridiques pour prendre en compte, soi-disant, « toutes les dimensions de la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive, de leurs vecteurs et des matériels connexes. » J'ai bien dit soi-disant « toutes les dimensions », et j'y reviendrai.
Au travers de vingt articles et d'une refonte du code de la défense et de procédure pénale, le projet de loi vise à améliorer « l'arsenal juridique national pour en renforcer l'efficacité, la cohérence et le caractère dissuasif ».
Le texte prévoit ainsi de nouvelles incriminations qui permettront une mise en cohérence des comportements réprimés et des peines encourues dans les trois domaines de la prolifération : nucléaire, biologique et chimique. Il accroît la répression des infractions liées à la prolifération des vecteurs de ces armes ; renforce le contrôle des biens à double usage, c'est-à-dire des biens pouvant avoir à la fois une application civile et une application militaire.
Il est prévu des aménagements spécifiques de la procédure pénale : centralisation de l'enquête, de la poursuite, de l'instruction et du jugement des crimes et des délits au TGI de Paris ; allongement substantiel des délais de prescription pour s'aligner sur ceux du terrorisme. Très bien.
Cela étant, il faut s'interroger : à quelle réalité concrète nous faut-il faire face ?
Le Gouvernement nous dit qu'il se créé une économie de la prolifération illégale, structurée autour de réseaux d'acquisition et de vente, qui profite de la mondialisation, des nouvelles technologies de la communication, de l'ouverture des marchés financiers.
Le Gouvernement nous indique que des acteurs non étatiques cherchent à acquérir des armes de destruction massive.
Certes, selon les services de renseignement, le risque existe. Dans ce cadre, ce projet de loi peut avoir une actualité dans le sens de la dissuasion, de la prévention du terrorisme nucléaire. C'est pratiquement tout, la représentation nationale ne doit pas s'y tromper. Alors que la menace terroriste islamiste est systématiquement mise en exergue, les experts sont très réservés sur le fait qu'Al-Qaïda puisse se procurer la bombe et mener une attaque avec des armes de destruction massive.
Pour commencer, interrogeons-nous sur l'efficacité des dispositions légales déjà en place.
Combien de faits ont-ils été révélés et jugés concernant l'exportation, la fabrication ou l'utilisation illégales d'armes de destruction massive en France ? Combien de peines ont-elles été prononcées ? D'après le Gouvernement et son étude d'impact : zéro !
Heureusement pour la majorité, notre éminent collègue Michel Voisin est mieux renseigné. Le rapporteur a découvert qu'en mars 2003, le tribunal correctionnel de Paris a prononcé des peines allant de dix mois à trois ans d'emprisonnement à l'encontre de trois personnes arrêtées en France en 2001 en possession d'uranium 235 hautement enrichi. Cet antécédent justifie à lui seul cette riche discussion de ce matin.
En réalité, les faits incriminés n'existent pratiquement pas en France.
La France pourra toujours afficher un code de défense et une procédure pénale sans faille en matière de lutte contre la prolifération, le bénéfice stratégique et politique en restera quasiment nul, alors que le problème de la prolifération illégale est principalement externe à la France. Surtout, au-delà de ce manque d'application concret, dont on peut d'ailleurs se réjouir, j'ai l'impression que ce texte entend apporter une réponse répressive à un problème global et international.
Le titre de ce projet de loi est abusif. Ce n'est pas la prolifération qui est combattue par ce texte, mais la prolifération illégale, en dehors des règles étatiques. La nuance est d'importance et je la souligne. Par conséquent, je vais exposer en quoi ce projet procédurier ne peut pas, à mon sens, atteindre des objectifs ambitieux en matière de sécurité civile et militaire.
Le phénomène de prolifération est essentiellement de nature étatique. La quasi-totalité de la prolifération provient des États. La France doit faire son autocritique, car la prolifération constitue la plus grande menace contre la paix.
Le développement de nouvelles forces nucléaires élève le niveau de la menace intentionnelle et augmente la probabilité de risques accidentels comme celle de détournement des armes. Aussi, l'État français aurait-il plutôt intérêt à limiter ses arsenaux et à être moins proliférant, quand bien même il s'agirait d'une prolifération légale. Cela limiterait les risques. De ce point de vue, le sommet sur la sécurité et la non-prolifération nucléaire, qui a eu lieu à Washington les 12 et 13 avril, a été une occasion ratée.
À la tribune des Nations unies, pour la conférence de suivi du traité de non-prolifération, la France, à l'inverse de nombreux autres États, a réitéré son discours habituel sur la non-prolifération. Ce discours met en avant les devoirs des États non dotés de l'arme nucléaire, mais il masque les obligations en matière de désarmement de ceux qui en sont dotés.
Ne parlons même pas du dernier sommet de l'OTAN qui a entériné le principe d'une défense antimissile dont nous ne voulons pas, et qui, outre sa gabegie financière, donne un signal négatif au reste du monde, loin de la nécessaire détente.
Au lieu d'une course à l'armement et à la défense, éloignée de l'objectif de paix, il faudrait réduire encore le stock de nos arsenaux, et déployer davantage d'efforts diplomatiques afin d'arriver à la réduction multilatérale mondiale, progressive et contrôlée des arsenaux nucléaires.
Tout l'enjeu est en effet de mettre un terme à la prolifération des armes légales.
La France a ratifié le traité de non-prolifération nucléaire, mais elle le viole régulièrement. Pas plus tard que le 14 octobre dernier, le Président de la République a inauguré, en Gironde, les armes nucléaires miniatures de demain, à savoir le laser mégajoule. Il s'agit d'un acte de prolifération verticale. Cet équipement, qui ne sera pas fonctionnel avant 2014, est destiné à miniaturiser les armes nucléaires en réduisant la première étape de mise à feu des armes atomiques. Comment la France peut-elle ainsi impunément continuer de violer la loi internationale ?
Alors qu'une réelle dynamique de désarmement est en route sur la planète et qu'une convention d'élimination des armes nucléaires est désormais soutenue par 75 % des États, quel est l'intérêt de la France à persister dans cette posture du « seul contre tous » ?
L'attitude ambivalente de la France la prive d'une réelle crédibilité internationale, et ce n'est pas un durcissement de sa législation contre la prolifération terroriste qui y remédiera.
Un autre exemple apporte une nuance à la notion de « seul contre tous » : Nicolas Sarkozy et David Cameron ont annoncé, le mardi 2 novembre à Londres, la signature de deux traités de coopération militaire. La France et la Grande-Bretagne rament à contresens de l'histoire, au mépris de la sécurité de la planète, avec la construction d'un centre de simulation des armes nucléaires.
Alors que les puissances nucléaires se sont engagées, lors de la conférence d'examen du traité de non-prolifération nucléaire, en mai dernier à l'ONU, à présenter en 2014 un rapport sur leurs engagements en matière de désarmement, voilà que ces deux pays annoncent une nouvelle mesure de prolifération verticale par la création d'un centre d'expérimentation commune en Côte-d'Or et en Grande-Bretagne.
À l'inverse, la France et la Grande-Bretagne auraient tout intérêt à agir ensemble pour mettre en oeuvre les engagements du traité de non-prolifération, à accepter les contrôles de l'AIEA imposés à tous les pays non dotés d'armes nucléaires, et à oeuvrer, en particulier, en faveur d'une zone exempte d'armes de destruction massive au Moyen-Orient.
Au lieu de moderniser nos arsenaux nucléaires, complètement obsolètes du fait de la nouvelle réalité des conflits, il faudrait créer une dynamique planétaire en faveur de l'abolition de ces armes. En poursuivant dans la voie d'armes toujours plus sophistiquées, la France et la Grande-Bretagne tournent le dos à cette aspiration majoritaire des peuples à résoudre autrement que par la guerre et par la force les problèmes du monde.
La Corée du Sud et les États-Unis !
En ce qui concerne la France, il faudrait geler le programme M51, le programme de modernisation de la force océanique stratégique, qui constitue une violation caractérisée du traité de non-prolifération nucléaire.
Bien entendu, ces aspects dépassent le cadre de cette discussion, mais il était impossible de ne pas les aborder.
Évidemment, sinon j'en aurais eu pour trente secondes !
Quant au texte en lui-même, il ne s'attaque qu'à la prolifération illégale, et c'est tout son problème : son enjeu est assez mineur.
Toutefois, nous ne pouvons pas transiger avec le risque de terrorisme nucléaire et nous approuverons ce projet.
Merci, monsieur le ministre, je crois que vous avez bien fait de venir ! (Applaudissements sur tous les bancs.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre assemblée est aujourd'hui chargée d'examiner un projet de loi qui vise à renforcer l'efficacité et la cohérence de la législation française, afin qu'elle ait un caractère dissuasif pour toute personne qui souhaiterait accomplir un acte favorisant la prolifération d'armes de destruction massive.
La prolifération des armes de destruction massive, qu'elles soient nucléaires, radiologiques, biologiques ou chimiques, constitue une grave menace pour la paix et à la sécurité internationale. C'est un constat que nous partageons tous.
L'un de nos collègues a cité la machette comme arme de destruction massive – on pourrait peut-être ajouter la Kalachnikov –, mais il ne faut pas tout mélanger. Sinon, en s'en tenant au nombre de morts causées, on pourrait dire que l'arme de destruction massive la plus répandue sur notre territoire national est la voiture.
Restons donc dans le cadre du débat.
Plus il y aura de possesseurs de l'arme atomique, plus le risque d'un conflit généralisé aux conséquences irréparables sera grand. Surtout, et je veux insister sur ce point, la diminution du risque se joue parallèlement sur deux tableaux : la lutte contre la prolifération et le combat en faveur du désarmement.
Sur ces deux plans, la France est dans une position irréprochable. Elle le sera encore plus lorsque nous aurons adopté ce texte. Néanmoins, nous ne devons en aucun cas baisser la garde en matière de dissuasion nucléaire, car il y a un seuil en dessous duquel la capacité de dissuasion perd toute crédibilité.
Cela est d'autant plus vrai que la France possède seulement 350 ogives nucléaires alors que les États-Unis et la Russie en détiennent près de 5 000. Certains estiment que notre pays devrait aller plus loin en la matière, alors que nous sommes dans les clous en ce qui concerne nos engagements internationaux. Aller plus loin serait irresponsable. Avant de demander à la France de s'engager plus encore, il faut que les pays qui possèdent plusieurs milliers d'ogives fassent un effort significatif.
Si notre pays est membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU, cela lui impose non seulement des devoirs mais cela lui donne aussi des droits, au premier rang desquels la dissuasion nucléaire.
Mes chers collègues, je tiens, au nom du groupe Nouveau Centre et apparentés, à souligner à quel point il s'agit d'un texte majeur, ne serait-ce que parce qu'il permet à notre pays de respecter ses engagements internationaux.
Je pense, bien entendu, à la résolution n° 1540 adoptée par le Conseil de sécurité des Nations unies en 2004, renforcée par la résolution n° 1810 de 2008, qui fait obligation aux États d'améliorer leurs outils juridiques afin de prendre en compte toutes les dimensions de la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive, de leurs vecteurs et des matériels connexes.
Je pense également à la résolution n° 1887 de 2009 qui reconnaît la nécessité pour tous les États d'adopter des mesures efficaces afin d'empêcher que des terroristes ou des États voyous aient accès à des matières nucléaires ou à une assistance technique.
Le texte qui nous est proposé revêt également une grande importance du fait du caractère multiforme de la menace, comme en témoigne l'étude d'impact fournie par le Gouvernement : celle-ci peut émaner du comportement non seulement d'États, comme la Corée du Nord et l'Iran, mais aussi de réseaux clandestins privés – voire de particuliers – ou encore de mafias s'approvisionnant auprès de vendeurs de matières et de technologies nucléaires.
Au nom des centristes, je veux apporter tout mon soutien à plusieurs dispositions fondamentales de ce texte.
Premièrement, comme vous le savez, notre arsenal législatif réprimant les actes et comportements proliférants nécessite d'être révisé car il comporte des lacunes sur de nombreux points : je pense à l'absence de toute incrimination des vecteurs et des financements et à la disparité des peines dans les domaines biologique et chimique. En harmonisant la définition des infractions et des peines applicables aux activités de prolifération dans les domaines nucléaire, biologique et chimique, le texte constitue donc une avancée majeure.
Dans notre droit actuel, les peines sont, en effet, différentes en cas d'actes de prolifération en matière nucléaire, chimique et biologique. En l'état actuel des textes, la répression la plus sévère s'exerce dans le domaine de la prolifération chimique – les actes qui la constituent, considérés comme des crimes, sont passibles de vingt ans de réclusion criminelle et d'une amende de 3 millions d'euros – tandis qu'elle est la plus légère dans le domaine des armes de destruction massive biologiques, avec des peines de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende, portées à dix ans et 500 000 euros si l'infraction est commise en bande organisée.
L'article 6 du projet de loi aligne le dispositif répressif en matière biologique sur celui existant en matière chimique. Ce renforcement est d'autant plus indispensable que les menaces chimique et bactériologique sont au moins aussi importantes que celles constituées par les bombes à cobalt.
Il a été rappelé un certain nombre d'attentats commis par des personnes ou des groupes qui ont essayé de manipuler des armes chimiques et bactériologiques. Souvent qualifiées d'« armes de dissuasion massive du pauvre », celles-ci constituent un enjeu important et font peser un risque très lourd.
En matière nucléaire, le projet de loi aggrave les peines existantes, l'ajout de circonstances aggravantes permettant d'accroître la répression. Les peines s'échelonneront de dix à trente ans de réclusion pour les infractions les plus graves, avec une amende maximale de 7,5 millions d'euros.
De nombreux textes et mécanismes internationaux permettent de combattre la prolifération nucléaire. Comme vous le savez, la France est signataire de la totalité des textes, qu'il s'agisse du traité de non-prolifération – TNP –, du protocole additionnel au TNP, des conventions sur l'interdiction des armes biologiques comme chimiques ou encore du code de conduite de La Haye sur les missiles balistiques. Elle fait également partie du comité Zangger et du groupe des fournisseurs nucléaires. Je souligne encore son engagement sur la problématique des armes à sous-munitions. C'est dire si la position de notre pays est exemplaire. Cela méritait d'être souligné.
La législation française est donc, à travers le texte qui nous est soumis, complétée par plusieurs règlements européens, notamment par celui sur les biens à double usage.
En outre, en adaptant notre dispositif à la totalité des pratiques en usage par les individus, réseaux ou États faisant acte de prolifération, ce texte accorde une place importante à la répression du financement de la prolifération.
Enfin, il étend aux activités proliférantes les règles de procédure applicables à la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée, leur conférant ainsi un degré de gravité équivalent.
Il s'agit, comme vous le savez, de dispositions dérogatoires au droit commun, comme la possibilité de centraliser les enquêtes et jugements au tribunal de grande instance de Paris, le recours pour le jugement aux seuls magistrats professionnels et l'utilisation de techniques spéciales d'enquête.
Après avoir souligné à nouveau toute l'importance de ce texte, Je vais, au nom du groupe Nouveau Centre et apparentés, faire deux remarques.
Premièrement, j'appelle votre attention, monsieur le ministre, sur la nécessité de ne pas interpréter l'objectif de contrôle des biens et technologies à double usage de façon trop restrictive afin de ne pas pénaliser nos entreprises à l'exportation, d'autres pays que le nôtre, notamment européens, ayant moins de scrupules. Je cite, pour illustrer ce point, l'exemple d'une entreprise de ma circonscription qui s'est vue interdire l'exportation de pompes à pétrole spécifiques, tandis que la filiale néerlandaise de son groupe obtenait très rapidement l'autorisation. Il n'est pas logique qu'il y ait deux poids, deux mesures en la matière et qu'existent deux interprétations différentes à l'échelle européenne. Cela a des conséquences sur l'emploi et le développement de ces entreprises.
Deuxièmement, je tiens à m'associer au regret formulé par le rapporteur de ce texte que certains champs ne soient pas couverts par celui-ci. Je pense, bien entendu, aux engins radiologiques, parfois appelés « bombes sales », et aux attaques cybernétiques qui, si elles ne sont pas des armes de destruction massive au sens classique du terme, contiennent néanmoins un important potentiel de désorganisation de nos sociétés modernes. Les attaques cybernétiques contre l'Estonie suffisent pour s'en convaincre.
Comme vous l'aurez compris, mes chers collègues, le groupe Nouveau Centre et apparentés votera en faveur de ce texte, que notre assemblée s'honorerait d'adopter à l'unanimité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
D'abord, je tiens comme vous, monsieur Guilloteau, à saluer le travail remarquable accompli par le rapporteur du texte, M. Michel Voisin, retenu aujourd'hui mais que vous remplacez avec beaucoup de qualités et de talent.
Pour avoir participé activement aux débats, vous en connaissez tous les arcanes.
Je remercie aussi, une fois de plus, M. Guy Teissier, le président de la commission de la défense nationale, pour son investissement sur ce texte.
Je remercie enfin la commission d'avoir accepté de reprendre ce travail et de l'avoir complété.
Vous avez souligné avec justesse, monsieur Guilloteau, l'importance du présent projet de loi tendant à renforcer notre arsenal législatif de lutte contre ces faits gravissimes que sont la prolifération des armes de destruction massive et leur trafic illégal. La France est consciente des enjeux en ce domaine.
Nous avons également à nous préoccuper – vous avez eu raison de le souligner et vous n'avez pas été le seul puisque M. Beaudoin a également évoqué ce sujet – des engins radiologiques, appelés « bombes sales », qui peuvent être fabriqués à partir de cobalt ou de substances radioactives. Ils représentent une menace grave. La France a d'ailleurs été à l'initiative de deux résolutions de l'ONU, en 2005 et en 2007, visant à appeler l'attention des États sur ce sujet. Notre pays n'est donc pas resté inactif.
Le code de conduite sur la sûreté et la sécurité des sources radioactives constitue le cadre dans lequel la France va modifier sa législation et remédier ainsi à l'absence de dispositions spécifiques pour contrer de tels actes. Un projet de loi est en cours d'élaboration, qui devrait répondre à vos préoccupations. Je pense que vous pouvez par avance vous en féliciter.
Monsieur Beaudoin, vous vous réjouissez que la France donne de la voix en ce qui concerne la Corée du Nord. Vous avez raison, et le Gouvernement de la France a bien l'intention de continuer. Comme vous le savez, les autorités nord-coréennes multiplient les provocations, lesquelles se traduisent par des actes graves, comme la destruction, récemment, d'une frégate sud-coréenne, qui a causé la mort de cinquante personnes, et le bombardement d'installations sud-coréennes.
Outre la découverte de la construction d'un réacteur expérimental à eau légère, l'installation semi-industrielle d'enrichissement d'uranium destiné à enrichir le combustible de ce futur réacteur suscite notre inquiétude.
La situation est grave et le Gouvernement de la France en est parfaitement conscient. Le Premier ministre et les ministres d'État des affaires étrangères et de la défense suivent ce problème avec une attention et une vigilance observées avec beaucoup de pugnacité par le Président de la République. Le Gouvernement de la France est en action, vous pouvez en être certain, en action de vigilance. Je sais que je n'ai pas à vous rassurer – vous le saviez déjà – mais je vous remercie d'avoir évoqué ce problème.
Comme le rapporteur, vous vous inquiétez des bombes sales. J'ai répondu à ce sujet. Le projet de loi qui est en cours d'élaboration devrait apporter une solution à ce problème. Je suis certain que, dans sa vigilance, le ministre d'État vous associera, dans le cadre de la coproduction entre le Gouvernement et sa majorité, à la recherche des réponses nécessaires en ce domaine.
Monsieur Le Bris, vous avez tellement envie de soutenir les bonnes initiatives législatives du Gouvernement que vous avez du mal à trouver des raisons de vous y opposer.
Vous dénoncez le fait que le texte ait été inscrit rapidement à l'ordre du jour et que n'ayez eu que quarante-huit heures pour l'étudier. Je ne doute pas que votre expérience dans cette maison vous ait permis de vous adapter. Votre démonstration en a d'ailleurs fait la preuve. Je ne pense pas que ce délai de quarante-huit heures ait pu vous troubler.
L'important, monsieur Le Bris, est que ce texte soit voté. Le ministre des relations avec le Parlement et le ministre d'État chargé de la défense s'étaient mis d'accord, compte tenu de l'urgence de légiférer dans ce domaine, pour saisir le premier créneau qui se présenterait : c'était ce matin. Nous avons donc décidé d'inscrire le texte à cet endroit de l'ordre du jour.
Sur la prolifération, vos inquiétudes sont les nôtres, et celles de la France. Je suis heureux qu'elles se manifestent de manière consensuelle sur l'ensemble de ces bancs.
Vous vous interrogez sur l'utilité de ce texte. Est-il inutile qu'un gouvernement prenne la responsabilité de se prémunir contre un risque ? Je ne le crois pas. Dès lors qu'un risque existe – et les trafics illégaux de matières dangereuses font courir un risque car ils peuvent permettre la construction d'armes de destruction massive – il est, au contraire, utile de permettre à la République de se prémunir contre ce risque et à l'État de protéger les populations.
Vous avez reconnu que les risques existaient. Je pense donc que vous êtes d'accord avec nous. Vous avez, d'ailleurs, manifesté la volonté de voter le texte.
Vous avez qualifié ce projet d'aléatoire. Non, il ne l'est pas. Comme je viens de le souligner, il est important qu'un gouvernement prenne des dispositions pour éviter que des risques ne deviennent des réalités. Les gouvernements de la République se sont souvent félicité que des mesures aient été prises par anticipation contre des risques potentiels. Les initiatives sont nombreuses en ce domaine. Je n'ai pas le temps de les décliner, mais je pourrais le faire si vous le souhaitez. Nous sommes dans un cas de ce type.
Je dois cependant avouer que votre parallèle avec les machettes m'a un peu surpris. Certes 10 000 machettes manipulées par 10 000 personnes peuvent être extrêmement dangereuses. Nous avons eu des exemples en Afrique qui le prouvent. Je rappelle cependant que l'objectif de ce texte est de lutter contre la prolifération des armes de destruction massive, c'est-à-dire, selon les définitions qu'en ont données l'OTAN et l'ONU, des armes pouvant, en une seule fois, provoquer des dégâts considérables et la mort de milliers, de dizaines de milliers, voire de centaines de milliers de personnes. Dans ce contexte, sans méconnaître les risques que peuvent faire courir les machettes, je trouve votre parallèle quelque peu surprenant.
Monsieur Candelier, je ne souhaite pas polémiquer avec vous, car vous avez, à la fin de votre intervention, manifesté une intention positive. Je sens donc que, au fond, nous sommes d'accord, et je comprends que, en raison même de votre rôle d'opposant, vous recherchiez des raisons de vous opposer.
Vous avez ainsi laissé entendre que ce texte pourrait être inutile. Or il découle d'un engagement international que la France a pris et qu'elle entend respecter. La réponse répressive est d'autant plus nécessaire qu'elle est aussi préventive. Ce texte est donc absolument indispensable.
Cependant – et, sur ce point, je serai un peu plus dur avec vous –, vous insinuez que la France violerait ses obligations en matière de non-prolifération des armes nucléaires, et je ne peux l'accepter.
Il me semble que, là, vous vous êtes laissé entraîner.
Dans la mesure où vous avez manifesté votre intention de voter le texte, je vous pardonne volontiers, mais je tiens néanmoins à rétablir la vérité. La France a été l'un des premiers pays au monde à adopter le traité d'interdiction des essais nucléaires. À cet égard, votre assemblée doit saluer l'heureuse initiative du président Chirac qui, en 1995, a eu le courage d'engager cette action, laquelle est tout à l'honneur du gouvernement et de la majorité de l'époque ; et je crois savoir qu'il y eut alors beaucoup d'approbations sur les bancs de l'opposition.
Je vous remercie cependant d'avoir reconnu le bien-fondé de ce texte et d'avoir souhaité le voter.
Je terminerai en répondant à M. Folliot, qui ne manque pas d'intervenir lorsqu'il est question de la défense nationale ; j'ai souvenir des rapports sur la gendarmerie dont il est l'auteur.
Je vous remercie, monsieur Folliot, d'avoir souligné que la France respecte ses engagements internationaux en matière nucléaire. Vous avez mis l'accent sur les avancées que comporte ce texte, et je remercie la majorité de les reconnaître. Vous avez également demandé au Gouvernement d'interpréter avec intelligence la pénalisation du trafic de biens à double usage. Il a d'ailleurs engagé une réflexion pour harmoniser les listes des biens à double usage en France et dans l'Union. Vous aurez à coeur d'interroger à ce sujet le ministre d'État lorsqu'il se présentera devant votre commission.
J'en suis certain, comme je suis certain que le ministre d'État vous apportera des réponses apaisantes à propos de l'intérêt que le Gouvernement de la France porte à ce dossier.
Enfin, même si la menace est réelle, on ne saurait assimiler la lutte informatique aux armes de destruction massive. Ne mélangeons pas tout : il est aujourd'hui question de la lutte contre les armes de destruction massive. Cependant je ne doute pas que la majorité se préoccupe également du sujet de l'informatique dans le cadre d'une commission que j'ai bien connue, puisque je l'ai présidée.
Je vous remercie, monsieur Folliot.
Je crois même savoir que l'ancien président de la commission avait commencé d'explorer des pistes que le nouveau président, M. Poignant, poursuivra certainement. Nous devons réfléchir ensemble aux solutions à apporter à ce problème.
Merci à toutes et à tous d'avoir dégagé un consensus dont j'espère qu'il régnera jusqu'au bout et vaudra pour les amendements, afin que la nature du texte ne soit en rien modifiée et que, comme en commission, il soit adopté à l'unanimité. Par avance, le Gouvernement vous en remercie. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
J'appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi.
Les articles 1er à 14 bis ne font l'objet d'aucun amendement.
(Les articles 1er à 14 bis sont adoptés.)
L'amendement n° 2 rectifié du Gouvernement est rédactionnel.
(L'amendement n° 2 rectifié , accepté par la commission, est adopté.)
(L'article 15, amendé, est adopté.)
Nous avons introduit un article 866-1 dans le code de procédure pénale, ce qui entraîne, comme pour tous les amendements du Gouvernement, quelques modifications de codification.
(L'amendement n° 3 , accepté par la commission, est adopté.)
Le titre du projet de loi, repris deux fois au sein du dispositif, ne paraît pas complètement adéquat. En effet, la notion de « destruction massive » n'est pas définie par le texte, qui ne fait pas non plus référence à une définition communément admise. À ce jour, il n'existe d'ailleurs aucun exemple de « destruction massive » consécutif à l'utilisation d'une bombe sale terroriste, de souches biologiques militarisées ou de toxines.
L'expression « armes de destruction massive » a d'autre part des connotations qui renvoient à la précédente administration américaine, qui l'utilisa pour justifier certains errements. Il ne semble donc pas très opportun d'utiliser cette expression techniquement floue et contre-productive en matière de crédibilité.
Les députés du groupe SRC proposent donc le titre suivant : « Projet de loi relatif à la lutte contre les armes nucléaires, biologiques ou à bases de toxines ». On peut d'ailleurs ajouter « chimiques », si vous le voulez : nous sommes ouverts à toute amélioration, afin que la rédaction cerne au mieux la préoccupation qui est la nôtre et qui ne se retrouve pas dans le titre choisi.
, rapporteur suppléant. Avis défavorable.
Malgré tout le plaisir que nous aurions eu à satisfaire notre ami Gilbert Le Bris, je note que sa rédaction a oublié les armes chimiques. Le fait que la notion d'« armes de destruction massive » ait été abondamment utilisée par l'administration Bush pour justifier la guerre d'Irak ne constitue pas un argument décisif. On trouve en effet cette notion dans les textes de doctrine militaire depuis 1946 et elle est couramment utilisée pour désigner les armes à effets humains et matériels dévastateurs.
Il convient que le titre de la loi corresponde bien à l'intention du législateur. Or ce titre envoie un signal politique clair à toute personne ou organisation qui se livrerait à des activités illicites liées à ce type d'armes.
Quant à la précision juridique que souhaite le groupe SRC, je rappelle que les dispositions proposées par le projet de loi s'insèrent dans les chapitres du code de la défense définissant précisément les notions d'armes nucléaires, chimiques, bactériologiques. Ainsi, le titre du projet de loi constitue un signal politique.
Au bénéfice de ces explications, je demande au groupe SRC de retirer cet amendement.
Cet amendement est un peu le symbole du politiquement correct, avec son socle permanent : le déni de réalité. Nous travaillons sur des hypothèses et nous ne souhaitons évidemment pas qu'elles se vérifient. Néanmoins, comme l'a dit le ministre, nous nous devons d'anticiper et d'être prêts. Il faut savoir dire non ; aujourd'hui, cela signifie se préparer juridiquement.
Cet amendement me fait penser à l'angélisme des démocraties lorsque, en 1936, l'Allemagne a envahi la Ruhr, la Rhénanie et la Sarre. « Ce n'est pas grave », disaient-elles. On connaît la suite.
Monsieur Le Bris, vous devriez retirer ce qui s'apparente à un amendement de posture.
Il se trouve que j'étais commissaire du Gouvernement à l'époque où fut votée la loi de ratification du traité d'interdiction des armes chimiques, et je suis un peu stupéfait de constater qu'elles sont omises dans l'amendement. Cela est d'autant plus paradoxal que, si une arme de destruction massive a été utilisée dans le passé, et encore en Irak sous Saddam Hussein, c'est bien l'arme chimique. Nous ne pouvons donc vraiment pas voter cet amendement.
Je regrette, monsieur Le Bris, que nous ayons un débat sur le titre. Le consensus était avéré sur le fond et, pour plusieurs raisons – signalées par M. Beaudouin, M. Vandewalle et M. le rapporteur suppléant –, ce débat ne me paraît pas utile.
L'intitulé que vous proposez fait disparaître, dans le projet de loi, la référence à la notion d'« armes de destruction massive », ce qui n'est pas acceptable. Comme vient de le souligner M. Beaudouin, il faut que nous puissions anticiper en toutes circonstances, et non pas limiter ces circonstances aux risques nucléaires et biologiques.
L'omission des armes chimiques est tout à fait regrettable, mais c'est bien la preuve qu'il vaut mieux garder une expression générique – « armes de destruction massive » – plutôt que de se lancer dans la segmentation : la liste qu'on dressera ne sera jamais complète. Ce seul argument devrait vous inciter à retirer votre amendement.
Les armes visées par le projet de loi sont indiscutablement des « armes de destruction massive », expression qui apparaît dans la terminologie dès 1946. Le Gouvernement l'adopte pour manifester clairement son intention.
Enfin, l'intitulé du projet de loi n'a pas de caractère normatif. Ce texte fait partie de la codification. Le titre disparaîtra donc dès que les articles auront été insérés dans le code. En fait, peu importe le titre qui aura été retenu. Quelles que soient vos bonnes intentions – que je ne mets pas en doute –, le Gouvernement préfère un titre qui corresponde à la véritable intention du dispositif, plutôt qu'un titre qui dresse une liste d'armes en en omettant certaines.
C'est pourquoi, monsieur Le Bris, au nom du consensus qui s'est établi, je vous demande de faire un effort supplémentaire et de retirer cet amendement. Le Gouvernement vous en remercie par avance.
Je veux répondre sur deux points.
D'abord, il nous a semblé que le titre confondait la nature des armes visées et leur pouvoir de destruction supposé. Il y avait donc une certaine ambiguïté.
À la fin de mon intervention, j'ai précisé que le plus efficace, en réaction à des armes de destruction massive, c'est encore la dissuasion. On ne peut donc pas, cher monsieur Beaudouin, nous accuser d'être naïfs.
Pour préserver le consensus dont ce texte doit faire l'objet, je veux bien, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, retirer mon amendement. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) Cependant, soyez-en certains, il ne péchait pas par naïveté.
(L'amendement n° 1 est retiré.)
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.
(L'ensemble du projet de loi est adopté à l'unanimité.)
Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :
Questions au Gouvernement ;
Discussion de quatre propositions de loi :
Lutte contre les marchands de sommeil ;
Dépistage précoce des troubles de l'audition ;
Alimentation en eau et assainissement des particuliers ;
Activité immobilière des établissements d'enseignement supérieur.
La séance est levée.
(La séance est levée à douze heures trente.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,
Claude Azéma