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Intervention de Gilbert Le Bris

Réunion du 25 novembre 2010 à 9h30
Lutte contre la piraterie et exercice des pouvoirs de police de l'État en mer — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGilbert Le Bris :

La piraterie n'est pas un phénomène nouveau. Une tête de mort et des os croisés sur fond noir, le pavillon des pirates visait jadis à effrayer les futures proies. Boucaniers, flibustiers, forbans, Barbe Noire, Frères de la côte, on ne sait plus trop qui faisait quoi et mes souvenirs cinématographiques d'adolescent m'amenaient à mélanger tout cela et à retenir de façon très binaire, manichéenne, que les pirates étaient les méchants, d'ailleurs plutôt habillés en noir sur l'écran du cinémascope, et les corsaires plutôt les gentils. Mais les pirates ce n'était pas seulement dans les Caraïbes et nés uniquement à cette époque.

Dès l'antiquité, pour ne prendre qu'un exemple, Jules César lui-même en fut une victime lors d'un voyage entre 75 et 74 Avant Jésus-Christ, où il fut capturé près de l'île de Pharmacuse et libéré après rançon. Comme il n'avait pas apprécié, il leva une flottille, captura et fit exécuter ses agresseurs, tandis que Pompée nettoya la Méditerranée de tous ces pirates. Il est vrai qu'ils ne s'encombraient pas alors de normes juridiques.

De façon contemporaine, le phénomène des pirates s'est d'abord développé contre les boat people, qui fuyaient le Vietnam, puis contre les marchandises dans le détroit de Malacca et le mal s'est étendu : golfe d'Aden, océan Indien, large du Nigéria ; la forme le plus endémique se trouve à l'heure actuelle dans l'océan Indien. Les cibles sont diverses, mais indépendantes de l'origine géographique, politique, nationale ou autres des navires.

Les moyens mis en action par les assaillants deviennent de plus en plus lourds et puissants. Les anciens AK 147 ou RPG russes ou chinois sont remplacés par des fusils M 16 de fabrication américaine et des lance-roquettes. Les téléphones satellitaires GMS et GPS, les moteurs permettant des attaques rapides se développent. Le versement de rançons élevées permet d'acquérir armes, munitions et matériels de plus en plus sophistiqués. Même les tactiques changent et par rapport aux précédentes saisons, car la mousson joue un rôle essentiel d'empêchement dans ce secteur, un nouveau cap semble avoir été franchi.

En effet, au début de ce mois, au large de la Somalie, les pirates ont utilisé un cargo japonais battant pavillon panaméen et capturé, le 10 octobre 2010, le MV Izumi pour partir à l'attaque du navire MV Petra 1, alors même que celui-ci était escorté par une frégate espagnole d'Atalanta ! C'est la première fois qu'un navire escorté est ainsi attaqué avec, de plus, utilisation de cargos ou même de pétroliers comme plateforme d'attaque. C'est une nouvelle dimension, ô combien ! lourde de menaces, qui émerge, car ce n'est pas la même chose d'utiliser des petits bateaux-mères ou des dhows de pêcheurs que de mettre en avant des navires captifs, a fortiori quand il s'agit de pétroliers, de chimiquiers ou de bâtiments à cargaison dangereuse.

Bien sûr, les États ne sont pas restés inertes. La résolution 1814 du Conseil de sécurité de l'ONU demandait, le 15 mai 2008, aux États membres d'assurer le convoyage des navires du programme alimentaire mondial : le PAM. Le 10 novembre, le Conseil de l'Union européenne approuvait l'action commune pour le lancement de l'opération « EUVNAFOR Atalanta », lancée le 8 décembre 2008 et renouvelée régulièrement depuis.

À une époque où l'on cherche souvent les voies et moyens, voire la volonté pour aller vers une réelle Europe de la défense, il faut saluer la capacité de réaction de l'Europe – et je n'hésite pas à souligner le rôle moteur de la France dans cette initiative –, la pertinence et l'utilité à la fois quantitative et qualitative des moyens maritimes et aériens mis en oeuvre. C'est une grande première européenne dans ce domaine naval et, alors que l'on cherche parfois des raisons d'espérer dans la capacité de notre vieux continent à prendre en main ses destinées en matière de défense, Atalanta représente désormais une référence.

Permettez-moi aussi de rendre hommage ici à notre marine nationale et à ses femmes et hommes qui, dans le domaine de la surveillance maritime, de l'escorte ou même de l'assaut pour délivrer les otages remplissent leur mission avec professionnalisme, courage et conviction. Sans doute étions-nous plus à même de réagir vite et bien dans cet océan Indien où nos intérêts sont forts et défendus par Alindien, l'amiral commandant les forces maritimes de l'océan Indien, depuis des décennies déjà.

La France est riveraine de l'océan Indien, car présente par un département d'outre-mer – la Réunion – et bientôt deux avec Mayotte, présente par un territoire d'outre-mer – les terres australes et antarctiques françaises, les TAAF – et cinq îles éparses – Tromelin, Les Glorieuses, Juan de Nova, Europa et Bassas-da-India. Tout cela nous confère une zone maritime exclusive de 2,8 millions de kilomètres carrés, soit environ le quart de notre domaine maritime.

Lorsque la piraterie est apparue dans notre paysage médiatique avec la capture du Ponant le 4 avril 2008, la France était prête. Elle a su montrer tout de suite sa détermination à lutter, y compris de vive force, contre de tels actes.

Désormais, Alindien est basé, depuis le 21 octobre, sur notre base d'Abou Dhabi. Il dispose de moyens dont nous avons pu vérifier, lors de missions sur place avec le président de la commission de la défense, qu'ils étaient de qualité et d'une grande efficacité. Mais la clef du succès est, comme toujours, dans la qualité des personnels, dans l'imagination et la subtilité tactique des équipages, dans la préparation optimale aux missions dévolues.

Que ce soit avec la frégate Floréal ou le Nivôse, ou plus récemment avec la frégate De Grasse, les interceptions et arrestations de pirates se sont multipliées. Nous apportons aussi notre appui et nos moyens à d'autres. C'est ainsi que, le 18 novembre 2010, deux thoniers concarnois ont été victimes d'attaques avortées, mais les moyens aériens, dont notre Awacs de l'armée de l'air stationné à Djibouti depuis le 8 novembre, ont permis l'arrestation, par une vedette des garde-côtes seychellois, d'un pirate action group – PAG.

Je veux aussi souligner l'action de nos amis seychellois qui, le 20 novembre dernier, ont réussi à libérer, par l'action de leurs garde-côtes et de leur unité d'intervention du Tazar, sept de leurs marins pêcheurs aux mains des pirates somaliens et à capturer seize pirates en deux fois.

On peut dire que tout le monde s'y met dans cette lutte contre ce fléau et les succès sont au rendez-vous. Une attaque sur trois était couronnée de succès en 2010, plus qu'une sur six ou sept l'est aujourd'hui. Nos thoniers concarnois disposent à bord, depuis juillet 2009, d'équipes de protection embarquées – les EPE –, à la suite d'un protocole d'accord avec la marine nationale et les armements thoniers. Ils ont déjà déjoué plusieurs attaques. Leur présence à bord, même si elle entraîne des contraintes, reconnaissons-le – rythmes des marées plus courts, travail des thoniers par deux, etc –, est devenue vitale pour la pérennité d'une économie déjà largement touchée puisque, pour prendre l'exemple de l'année 2009, il y a eu 30 % de chiffre d'affaires en moins par thonier senneur dans l'océan Indien.

La lutte se développe contre une piraterie qui, elle aussi, s'adapte et comme l'a dit je crois l'amiral Forissier, chef d'état-major de notre marine : « L'incendie que l'on nous demande de maîtriser ne sera pas éteint en mer, mais à terre ». Il faut s'attaquer à la pauvreté somalienne, mais pour s'y attaquer il faut que la Somalie redevienne un État, avec une sécurité intérieure, un pouvoir central ». Le moins que l'on puisse dire c'est que le chemin est difficile.

Je sais bien que ce projet de loi n'a pas pour objet les causes de la piraterie, mais ne perdons pas de vue que s'attaquer aux effets de celle-ci ne sera jamais suffisant. Cela dit, il faut combler des lacunes normatives afin que l'action du militaire ne soit pas réduite à néant. Il est vrai que la course de vitesse entre le juriste et le criminel est – comme dans la lutte contre tous les trafics illicites – un éternel recommencement.

En droit international, la définition de la piraterie – à distinguer de la mutinerie où le fait se constitue à partir du bateau lui-même – se fonde sur des actes matériels et des éléments de motivation. C'est l'article 101 de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, signé à Montego Bay en Jamaïque en 1982, qui en constitue la base. La piraterie y est définie ainsi : « Tout acte illicite de violence ou de détention ou toute déprédation commis par l'équipage ou des passagers d'un navire ou d'un aéronef privé… et dirigé contre un autre navire ou aéronef, ou contre des personnes ou des biens à leur bord ». La motivation doit être à des fins privées, « pour des buts personnels » – autrefois on disait « pour le lucre » –, ce qui distingue la piraterie du terrorisme.

Les infractions d'incitation ou de complicité sont également visées par ce texte. Pour qu'il y ait infraction, le lieu des actes est une condition essentielle : « en haute mer ou dans un lieu ne relevant de la juridiction d'aucun État. »

Quant à l'article 105 de la même convention, il prévoit que tout acte de piraterie étant commis en haute mer, donc dans l'espace international, peut faire l'objet d'une répression émanant de n'importe quel État, même si ses navires n'ont pas été touchés par les actes de piraterie.

C'est cela qui fonde la compétence universelle des États dans la lutte contre la piraterie. Il existe même ce que l'on pourrait dénommer un droit de poursuite inverse, à savoir de la haute mer vers les eaux territoriales d'un pays où les pirates, faute de capacité des États de les intercepter, rechercheraient une impunité de fait. C'est la résolution 1816 du Conseil de sécurité adoptée le 2 juin 2008, sous chapitre 7, qui, avec la résolution complémentaire 1846 de décembre 2008, permet ce droit dont on se rend compte qu'il est fort utile en Somalie.

Les moyens juridiques existent donc pour « capter » les pirates mais, ensuite, le traitement pénal dépend des législations nationales et c'est là que cela se complique.

En France, la loi contenant les incriminations permettant de juger les auteurs de piraterie datait de 1825. Mais, mauvaise concordance des temps ou coïncidence malheureuse, elle a été retirée du code pénal en 2007 car complètement désuète. Faute de texte, on ne pouvait poursuivre que pour détournement de navires ou pour prises d'otages, incriminations connexes à la piraterie, mais qui ne définissaient pas l'acte de piraterie en tant que tel ; il y avait une véritable faille juridique que cherche à combler le texte que vous nous présentez. Le choix fait – d'autres options auraient pu être prises comme une révision de notre code pénal – n'emporte pas critiques de ma part. Il consiste en l'ajout d'un titre IV dans la loi du 15 juillet 1994 qui définit le cadre juridique de l'exercice par l'État de ses pouvoirs de police en mer.

Je souhaite cependant faire deux types de remarques. D'abord, la diversité des systèmes juridiques et le manque de cohérence entre les différents pays européens ou autres peuvent poser problème en termes d'efficacité répressive. La solution peut et doit être internationale. On évolue du reste dans ce domaine et j'ai constaté avec plaisir qu'en accord avec la résolution du Conseil de sécurité 1918 du 27 avril 2010, Ban Ki-moon, le secrétaire général de l'ONU, a rendu public, le 26 juillet dernier, son rapport sur les options envisageables pour améliorer la poursuite et l'emprisonnement des pirates. Sept options ont ainsi été proposées, toutes préconisant un traitement régional de la question que ce soit par la création d'une chambre somalienne dans un État tiers de la région ou par la création d'un tribunal régional sur la base d'un accord multilatéral entre États de la région ou même d'un tribunal pénal international en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations unies. On peut d'ailleurs considérer comme un signe fort de détermination de l'ONU la nomination de notre collègue Jack Lang, le 26 août 2010, comme conseiller spécial du secrétaire général de l'ONU.

Je pense aussi qu'il ne faudra pas se contenter de punir les auteurs directs, les lampistes comme l'on dit, et de ne pas toucher les commanditaires qui sont derrière ces opérations et qui s'engraissent largement avec les rançons versées.

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