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Intervention de Christian Ménard

Réunion du 25 novembre 2010 à 9h30
Lutte contre la piraterie et exercice des pouvoirs de police de l'État en mer — Discussion d'un projet de loi adopté par le sénat

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristian Ménard, rapporteur de la commission de la défense nationale et des forces armées :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous devons examiner aujourd'hui le projet de loi relatif à la lutte contre la piraterie et à l'exercice des pouvoirs de police de l'État en mer, adopté par le sénat le 6 mai dernier à la suite des travaux du sénateur Dulait, auxquels je rends ici hommage.

Il s'agit d'un texte attendu car notre pays est aux avant-postes dans la lutte contre ce phénomène. En 2008 et 2009, quelques-uns de nos compatriotes ont été retenus en otage par des pirates somaliens à bord des voiliers Ponant, Carré d'As et Tanit. Compte tenu de la dangerosité croissante des côtes de la Somalie, la France a mobilisé la communauté internationale pour y sécuriser le transit des personnes et des marchandises. Cela a notamment conduit à l'opération Atalante, dont le succès militaire et politique est reconnu de tous.

Alors que l'on voyait dans la piraterie une menace d'un autre âge, tous ces événements ont montré que le danger était bien présent, et pour longtemps. Il faut donc adapter notre droit, celui-ci ne comportant plus d'incrimination de piraterie depuis qu'en 2007 une loi de simplification du droit a abrogé la loi de 1825 sur la sûreté de la navigation et du commerce maritime, qui était devenue obsolète.

L'objet du projet de loi est de combler cette carence. Il offrira un cadre pour l'action de nos forces comme de nos magistrats, en tenant compte des possibilités offertes par le droit international, ainsi que des exigences de la Cour européenne des droits de l'homme.

Je vais donc vous présenter en quelques mots les grandes orientations de ce texte, en vous indiquant ensuite quelles sont les améliorations que nous y avons apportées en commission.

Tout d'abord, ce texte définit la piraterie en droit français et permet donc à nos tribunaux d'en juger. Je rappelle qu'à l'heure actuelle les pirates arrêtés par nos forces ne peuvent être jugés en France que pour des crimes classiques du droit pénal, notamment des actes de détournement de navire, de vol à main armé, d'enlèvement et de séquestration.

L'idée du projet de loi est de retenir différentes incriminations existantes pour les qualifier de piraterie dès lors qu'elles sont commises dans les conditions décrites par le droit international. Ces incriminations sont limitativement énumérées, le projet de loi se référant aux articles 224-6 à 224-7 et 224-8-1 du code pénal.

Quant à la définition en droit international, elle nous est donnée par la convention de Montego Bay. Il s'agit des actes de vol et de violence commis à l'encontre de navires ou d'aéronefs, ainsi que de leurs équipages, à des fins privées en haute mer.

Le projet de loi ajoute également les eaux territoriales de certains États, sous réserve que le droit international le permette, afin de tenir compte de la situation particulière des eaux somaliennes, régies par des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies.

En outre, la convention de Montego Bay permet aux États d'exercer la compétence la plus large pour juger des actes de piraterie. Ainsi, le projet de loi nous propose de conférer aux tribunaux français une compétence quasi universelle. Concrètement, ils pourront juger d'infractions relevant de la piraterie non seulement si elles impliquent des ressortissants français – c'est le lien de rattachement classique du droit pénal –, mais aussi si elles impliquent des ressortissants étrangers, à la condition que des forces militaires françaises soient intervenues.

Par ailleurs, nos forces disposeront désormais d'une habilitation claire pour intervenir face à ce type d'infractions. C'est la deuxième grande avancée permise par ce texte.

La loi du 15 juillet 1994 régit l'exercice des pouvoirs de police de l'État en mer. Elle comporte deux piliers : l'un traite de la lutte contre le trafic de stupéfiants et l'autre de la lutte contre l'immigration illégale par mer. Le projet de loi permettra d'ajouter un nouveau pilier, relatif à la lutte contre la piraterie maritime. Outre la définition de l'infraction, il comporte des dispositions habilitant les commandants de navires à prendre ou à faire prendre les mesures de contrôle et de coercition permises par le droit international. Ce sera possible face à un acte en cours, après qu'un acte aura été commis, mais aussi si un acte est en préparation, ce qui est fondamental face à un risque de prise d'otages.

Ensuite, le projet de loi décrit les conditions dans lesquelles les pirates présumés peuvent être consignés à bord, le temps strictement nécessaire à leur remise aux autorités judiciaires françaises ou étrangères.

En l'occurrence, le texte tient compte des critiques formulées par la Cour européenne des droits de l'homme qui, dans son arrêt Medvedyev de 2008, avait condamné la France au motif que la consignation d'une personne arraisonnée dans le cadre de la lutte contre le trafic de stupéfiants contrevenait à la convention.

La Cour a en effet estimé que la privation de liberté n'était pas décidée par une autorité judiciaire indépendante, en l'occurrence le procureur de la République. Le projet de loi en tient compte pour l'ensemble des trois piliers de la loi de 1994. Il fait intervenir le juge des libertés et de la détention dans les quarante-huit heures. Ce dernier autorise ou non la consignation à bord, renouvelant cette autorisation tous les cinq jours.

Le projet de loi précise les droits des pirates présumés : examen de santé, examen médical, information dans une langue qu'ils comprennent.

Enfin, lors de l'examen au Sénat, le Gouvernement a ajouté au texte une disposition étendant aux enfants des victimes d'actes de piraterie la qualité de pupille de la nation.

La commission a souhaité apporter quelques améliorations à ce texte, à la suite de celles adoptées par le Sénat.

D'abord, nous avons rapproché la définition des actes de piraterie de celle qu'en donne la convention de Montego Bay, en indiquant que ces actes peuvent être commis par l'équipage d'un navire ou d'un aéronef à l'encontre de l'équipage d'un autre navire ou d'un autre aéronef.

Ensuite, nous avons harmonisé les conditions dans lesquelles les commandants de navire peuvent intervenir. Ils le feront s'il existe des « motifs raisonnables », ainsi que la loi de 1994 le prévoit pour la lutte contre l'immigration illégale ou le narcotrafic.

Enfin, la commission a confirmé la possibilité de détruire les embarcations de pirates lorsqu'il n'existe aucune autre mesure techniquement envisageable pour empêcher le renouvellement des infractions. Mais nous avons jugé nécessaire de prévoir la saisine préalable du procureur de la République.

Le projet de loi a été adopté à l'unanimité de notre commission, moins une abstention.

Si, ce texte semble bon en l'état, je crois nécessaire de vous faire part de certaines réflexions pour la suite.

Premièrement, il nous faut réfléchir aux moyens d'améliorer sur le plan juridique les possibilités d'intervention de nos forces de marine dans les eaux territoriales. Certains territoires de la République sont particulièrement isolés, mais potentiellement concernés par la piraterie maritime. Dans certaines hypothèses, seule la marine pourrait intervenir pour rétablir l'ordre. En l'état du droit, une telle intervention est possible, mais le cadre en régissant les différentes séquences mériterait d'être clarifié, notamment en explicitant les pouvoirs d'intervention préventifs.

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