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Intervention de Philippe Folliot

Réunion du 25 novembre 2010 à 9h30
Lutte contre la piraterie et exercice des pouvoirs de police de l'État en mer — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Folliot :

Notre assemblée est aujourd'hui saisie d'un projet de loi fort attendu puisqu'il vise à juguler le phénomène de la piraterie maritime en adaptant notre droit à ce phénomène que l'actualité a rendu fort prégnant ces derniers mois, par son développement au large des côtes somaliennes.

La nécessité de légiférer sur cette question est d'ailleurs d'autant plus grande pour notre pays que des ressortissants français ont été pris en otage à plusieurs reprises par des pirates somaliens, amenant le Gouvernement à organiser leur libération par l'intervention de nos forces marines de fusiliers commandos, ainsi que du GIGN lors de l'attaque du Ponant.

La France et la communauté internationale ont déjà pris la mesure de ce phénomène, que l'on croyait en voie de disparition, en déployant des moyens navals de grande importance dans le golfe d'Aden ainsi qu'au large des côtes somaliennes.

Je tiens d'ailleurs à me féliciter, au nom du groupe Nouveau Centre et apparentés, que notre pays ait été à l'origine de cette forte mobilisation internationale. Je salue particulièrement l'action de la marine nationale française dans une opération particulièrement difficile et délicate, qu'elle a menée avec brio, qualité et efficacité.

Comme vous le savez, ces opérations, en particulier celle conduite dans le cadre européen nommée Atalante, ont fait leurs preuves, démontrant une efficacité opérationnelle certaine en essayant d'améliorer la sécurité de la zone. Néanmoins, le droit existant ne permet pas aujourd'hui de juger les pirates arrêtés par nos forces lorsque les victimes n'ont aucun lien de rattachement avec la France.

En effet, alors que dans les affaires du Ponant, du Carré d'As et du Tanit, l'intervention de nos forces a permis leur arrestation en attente de leur jugement, les pirates ne pourront pas être condamnés pour des actes de piraterie en tant que tels, cette notion ayant disparu de notre droit en 2007, une loi de simplification du droit ayant abrogé la loi du 10 avril 1825 relative à la sûreté de la navigation et du commerce maritime.

Ainsi, en donnant une définition de la piraterie en droit français, ce projet de loi ouvre à nos tribunaux la faculté d'en juger et de régler la question du traitement judiciaire des pirates. Il s'agit là d'une avancée majeure que nous tenons, nous centristes, à saluer à sa juste mesure.

Mes chers collègues, comme vous le savez, le Sénat a adopté ce texte en première lecture le 6 mai dernier. Les sénateurs ont procédé à certaines modifications permettant d'aboutir à un texte équilibré et indispensable à la préservation de nos intérêts : assouplissement du régime de saisine du procureur de la République avant la saisie d'objets ou de documents, possibilité de destruction des embarcations de pirates, prise en compte du transfert par voie aérienne des personnes appréhendées et inscription de leur remise à l'autorité judiciaire dès leur arrivée sur le territoire français.

Néanmoins, cette discussion pose un problème plus large : celui de la mondialisation. La mondialisation, c'est la « maritimisation » du monde. Aujourd'hui, à un instant T, 90 % des produits manufacturés ne sont ni dans les usines ni dans les magasins ; ils transitent par bateaux. Lorsque ces richesses passent au large de pays en proie à l'insécurité, à la misère et au sous-développement, qui de surcroît ne sont plus des États, cela engendre des actes de piraterie.

Notre approche consiste à traiter les conséquences du problème, mais nous devrons bien un jour nous attaquer aux causes. Si les pêcheurs de ces pays se reconvertissent dans la piraterie, pour beaucoup d'entre eux, c'est afin de survivre. Toutefois, soyons conscients que des mafias organisées s'intéressent de plus en plus à la piraterie et profitent, voire provoquent, cette activité afin d'engranger de substantiels bénéfices. Par conséquent, il faut certainement renforcer notre arsenal juridique pour donner à nos forces les moyens d'agir, mais nous devrons également engager une réflexion plus large.

En attendant, nous sommes convaincus que ce projet de loi permet de combler le vide juridique laissé par la loi du 15 juillet 1994 relative aux modalités de l'exercice par l'État de ses pouvoirs de police en mer, afin que la France puisse faire face à la recrudescence des actes de piraterie depuis quelques années.

Au nom des centristes, j'aimerais insister sur deux points en saluant le fait que ce texte tienne compte de la définition de la piraterie en droit international donnée par la convention de Montego Bay, et de la jurisprudence récente de la Cour européenne des droits de l'homme.

Comme vous le savez, la convention de Montego Bay attribue aux États la compétence la plus large pour juger des actes de piraterie, définis comme des actes de vol et de violence, commis en haute mer, à des fins privées, à l'encontre de navires ou d'aéronefs et de leurs équipages.

Sur ce modèle, le texte que nous examinons aujourd'hui vise à conférer aux tribunaux français une compétence « quasi universelle ». Nous nous en réjouissons. Concrètement, cela signifie qu'ils pourront juger d'infractions relevant de la piraterie si elles impliquent des ressortissants français, et des ressortissants étrangers, à condition que des forces militaires françaises soient intervenues.

Cette question soulève une importante problématique juridique liée au fait que des accords entre L'Union européenne, le Kenya et les Seychelles ont été passés dans ce cadre. La culture juridique de ces deux pays est fondée sur la common law plutôt que sur le droit continental, et cela mérite réflexion, car nous devons être conscients des conséquences que cela pourrait avoir à terme sur les relations juridiques avec ces deux États.

En outre, les forces françaises disposeront désormais d'une habilitation claire pour intervenir face à ce type d'infraction. La loi du 15 juillet 1994 qui régit l'exercice des pouvoirs de police de l'État en mer ne comporte aujourd'hui que deux piliers : l'un traite de la lutte contre le trafic de stupéfiants et de substances psychotropes, l'autre de la lutte contre l'immigration illégale par mer. Le projet de loi en ajoute un troisième, relatif à la lutte contre la piraterie maritime. Il s'agit là d'une avancée majeure.

Enfin, comme vous le savez, le projet de loi décrit les conditions dans lesquelles les pirates présumés peuvent être consignés à bord, pour le temps strictement nécessaire à leur remise aux autorités judiciaires, françaises ou étrangères.

Nous nous réjouissons du fait qu'il tienne compte des critiques formulées par la Cour européenne des droits de l'homme qui, dans son arrêt Medvedyev de 2008, avait condamné la France au motif que la consignation d'une personne arrêtée dans le cadre de la lutte contre le trafic de stupéfiants contrevenait à la Convention. La Cour a en effet estimé que la privation de liberté n'avait pas été décidée par une autorité judiciaire suffisamment indépendante. En conséquence, ce texte fait intervenir dans les 48 heures le juge des libertés et de la détention, qui autorisera ou non la consignation à bord, et devra renouveler cette autorisation tous les cinq jours.

Le rapporteur a insisté à raison sur l'impérieuse obligation, à terme, d'examiner ce problème de manière plus large, et de poser la question des évolutions juridiques ultérieures. Je pense notamment à la spécificité de certaines de nos eaux territoriales, ou zones économiques exclusives, notamment les îles éparses au large de la côte de Madagascar, qui posent un problème réel auquel notre droit n'apporte pas de réponse satisfaisante.

En conclusion, je souhaite saluer le travail de grande qualité et unanimement apprécié du rapporteur, et me féliciter du consensus qui a régné au sein de la commission de la défense et qui a permis que ce texte soit adopté à l'unanimité. Vous l'aurez compris, le groupe Nouveau Centre et apparentés votera sans réserve ce texte équilibré qui fera de la France un pays pionnier dans la lutte contre la piraterie maritime après avoir été à l'initiative de la mobilisation internationale en la matière. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)

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