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Intervention de Christophe Guilloteau

Réunion du 25 novembre 2010 à 9h30
Lutte contre la prolifération des armes de destruction massive — Discussion d'un projet de loi

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristophe Guilloteau, suppléant M :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens d'emblée à présenter les excuses de M. Michel Voisin, qui se trouve actuellement en mission à l'extérieur du territoire national, et qui a été surpris par l'inscription soudaine de ce projet de loi à l'ordre du jour de notre assemblée. Il aurait voulu être présent aujourd'hui, d'autant qu'il a beaucoup travaillé sur ce sujet passionnant, en étroite collaboration avec le ministère de la défense, le ministère de la justice et la direction générale des douanes.

Comme M. Patrick Ollier vient d'exposer les grandes lignes du projet de loi, mon intervention sera brève.

Je suis heureux que ce texte, dont l'examen en commission de la défense avait connu plusieurs reports, vienne en séance publique. La prolifération dans les domaines nucléaire, balistique, biologique et chimique constitue un sujet complexe sur lequel on lit souvent n'importe quoi. Il importe de garder un équilibre entre les menaces réelles et celles qui constituent un fantasme. Le rapport de Michel Voisin procède à des rappels utiles sur ce point.

Les différentes formes de prolifération sont un phénomène connu, sur lequel je ne m'étendrai pas. Nos commissions de la défense et des affaires étrangères y réfléchissent régulièrement.

Le présent projet de loi est essentiellement de nature pénale. Il n'a pas pour objectif de modifier notre dispositif de défense face aux menaces nucléaires, balistiques, bactériologiques ou chimiques. mais à renforcer les peines applicables aux personnes qui se livreraient à des activités favorisant la prolifération, afin que tout trafiquant ou complice de trafiquant sache qu'il encourt des peines très lourdes.

Sous son apparente complexité – vingt articles créent ou modifient plus d'une cinquantaine d'articles du code de la défense, du code de procédure pénale et du code pénal –, ce projet de loi obéit à trois lignes directrices.

Premièrement, il répond à l'obligation pour notre pays de mettre en oeuvre la résolution 1540 du Conseil de sécurité de l'ONU, adoptée le 28 avril 2004. Cette résolution enjoint aux États de renforcer leur arsenal juridique pour lutter contre les différentes formes de prolifération.

Deuxièmement, il harmonise la définition des infractions et des peines applicables aux activités de prolifération dans les domaines nucléaire, biologique et chimique. S'il existe depuis longtemps, dans notre pays, un arsenal législatif réprimant les actes et comportements proliférants, il nécessite d'être révisé car il comporte des lacunes sur de nombreux points : absence de toute incrimination s'agissant des vecteurs et des financements, disparité des peines dans les domaines biologique et chimique. L'objectif du texte n'est pas de bouleverser un dispositif qui a fait ses preuves, mais de le compléter en définissant l'ensemble des incriminations et en harmonisant les sanctions pénales.

Troisièmement, il étend aux activités proliférantes les règles de procédure applicables à la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée. Les enquêtes sur ces activités seront centralisées au tribunal de grande instance de Paris et les infractions seront celles définies en matière de terrorisme.

Il n'est nul besoin de rappeler à quel point la prolifération des armes de destruction massive constitue une menace à la paix et à la sécurité internationale. L'étude d'impact transmise par le Gouvernement, lors du dépôt du présent texte, relève à juste titre que cette menace est multiforme, puisqu'elle peut surtout émaner du comportement proliférant de certains États, notamment la Corée du Nord, mais que des réseaux clandestins privés, de type mafias, voire des particuliers, se placent sur un marché qui met en relations vendeurs et acheteurs de matières, notamment l'uranium, et de technologies.

Le projet de loi a donc pour origine une obligation et un constat. L'obligation résulte de la résolution 1540 précitée, qui enjoint aux États d'améliorer leurs outils juridiques pour prendre en compte les formes multiples des modes de prolifération. Le constat, pour sa part, a été opéré par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, élaboré en 2008 et qui, au-delà des inquiétudes classiques sur les conséquences géopolitiques de ce phénomène, a mis en lumière l'existence d'une économie de la prolifération, le plus souvent clandestine, s'appuyant sur des États comme sur des réseaux privés, ces derniers étant en mesure d'acheter des matériels issus de technologies duales et de bénéficier de financements par des banques commerciales.

Face aux évolutions des méthodes des États proliférants ou des trafiquants, qui visent par exemple des petites et moyennes entreprises rarement au fait de l'usage militaire qui peut être fait des technologies qu'elles mettent au point, il convenait de renforcer et d'adapter notre législation. Tel est l'objectif de ce texte.

S'agissant des différentes formes de prolifération, l'inquiétude majeure porte sur les matières nucléaires plutôt que sur les substances biologiques ou chimiques, d'un usage plus difficile. L'Agence internationale de l'énergie atomique fait état de 1 500 incidents environ entre 1993 et 2008, dont 336 correspondent à des possessions non autorisées de matières. Sur ce total, on relève dix-huit cas de trafic sur de l'uranium hautement enrichi et sur du plutonium, le plus souvent en Europe centrale, mais un cas a concerné la France en 2001.

Il faut garder à l'esprit que si des individus en contact avec des matières nucléaires peuvent être tentés de se livrer à des trafics, le phénomène de prolifération est essentiellement dû à des États qui veulent se doter d'ADM. Le phénomène a été parfaitement analysé par nos collègues Jacques Myard et Jean-Michel Boucheron dans un rapport publié l'an dernier, ainsi que par Jean-Pierre Chevènement, au Sénat.

La méthode est désormais bien connue : les États recourent à des intermédiaires qui profitent de la libéralisation du commerce international pour acheter de petites quantités de matériels ou de substances dans plusieurs pays, sans éveiller les soupçons. Le financement des acquisitions se fait en recourant au système bancaire. Le rapport de M. Michel Voisin décrit ainsi la typologie d'un réseau et illustre comment l'Irak a mis au point sa stratégie d'acquisition d'ADM dans les années 90, puis comment la Libye, l'Iran et la Corée du Nord ont utilisé les services du réseau Khan, basé au Pakistan, donc vous avez parlé, monsieur le ministre, pour accélérer leurs différents programmes.

Face à ce phénomène, il existe de nombreux textes et mécanismes internationaux. Notre pays est signataire de la totalité de ces textes, qu'il s'agisse du TNP, du protocole additionnel au TNP, du comité Zangger, du groupe des fournisseurs nucléaires, des conventions sur l'interdiction des armes biologiques comme chimiques ou encore du code de conduite de La Haye sur les missiles balistiques. Notre législation nationale est en quelque sorte le reflet de nos engagements internationaux. Les dispositions qui interdisent les actes de prolifération sont prévues par le code de la défense. La législation française est complétée par plusieurs règlements européens, notamment le règlement 4282009 sur les biens à double usage.

Comme je vous l'ai indiqué au début de mon intervention, le texte harmonise les infractions et les peines applicables, adapte notre dispositif à la totalité des pratiques en usage au sein des réseaux de prolifération et aligne les procédures d'enquête portant sur les activités proliférantes sur celles applicables au terrorisme et à la criminalité organisée, leur conférant ainsi un degré de gravité équivalent.

S'agissant de la procédure pénale applicable aux personnes soupçonnées d'activités proliférantes, je souhaite revenir sur l'intervention de notre collègue Jean-Jacques Candelier, député du groupe GDR, qui s'est étonné, lors de l'examen du texte en commission, qu'on eût recours à une procédure pénale dérogatoire du droit commun alors que les actes de prolifération sont assez rares.

L'argument de notre collègue revêt une valeur certaine et je partage sa vigilance dès lors que des libertés publiques et individuelles sont en jeu. Il s'agit, de la part du Gouvernement, d'un choix politique que la majorité soutient.

Les activités proliférantes peuvent avoir des conséquences dramatiques si les destinataires des armes ou des matières dangereuses arrivent à leurs fins. Nous ne pouvons baisser notre garde. Il nous faut organiser un dispositif de surveillance, de renseignement, de filature, de perquisition, de garde à vue et de jugement, l'essentiel étant que les droits de la défense, auxquels toute personne a droit, soient bien respectés. Or le texte n'y porte pas atteinte. Cela devrait, je l'espère, rassurer nos collègues qui s'inquiètent de ce volet du projet de loi.

Avant de terminer mon intervention, je souhaite interroger le Gouvernement sur un point qui n'est pas couvert par le projet de loi, à savoir les engins radiologiques.

Vous savez, monsieur le ministre, que ces engins, qu'on appelle parfois « bombes sales », peuvent être fabriqués à partir de matières radioactives telles que le cobalt, le césium 137 ou le strontium, largement utilisées par la médecine comme par l'industrie. Elles sont entreposées dans des endroits plus ou moins surveillés. En les combinant à des charges explosives, des terroristes pourraient dégager de la radioactivité sur plusieurs centaines de mètres.

Notre commission de la défense avait interrogé le Gouvernement sur ce point, qui nous a indiqué qu'un décret, relatif à la protection et au contrôle des matières nucléaires, de leurs installations et de leur transport, énumère les matières sous surveillance particulière : plutonium, uranium, thorium, deutérium, tritium et lithium 6. Le cobalt et autres matières radioactives non citées devraient faire l'objet d'un prochain projet de loi sur la protection des sources radioactives. Il convient, à mon sens, que la rédaction de ce projet soit rapidement finalisée car, autant l'explosion d'une bombe nucléaire par des terroristes relève de la propagande en raison de la complexité de la détonique, autant le recours à des bombes au cobalt est une hypothèse réaliste.

Mes chers collègues, en nous présentant le présent projet de loi, le Gouvernement répond de manière pragmatique à une menace potentielle. La commission de la défense a adopté ce projet et vous demande d'en faire de même. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

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