La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à neuf heures quarante-cinq.)
Monsieur le président, monsieur le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, mesdames et messieurs les députés, le projet de loi organique relatif au remboursement des dépenses de campagne de l'élection présidentielle que vous avez adopté le 19 décembre dernier est à nouveau soumis à votre examen. Ce projet de loi a en effet été adopté par le Sénat le 12 janvier dernier, mais avec de nombreuses modifications auxquelles le Gouvernement a donné un avis défavorable. L'échec de la commission mixte paritaire qui s'est tenue hier impose donc une nouvelle lecture de ce projet de loi organique sur lequel le Gouvernement a engagé la procédure accélérée. C'est l'objet du débat d'aujourd'hui.
En premier lieu, je voudrais rappeler rapidement le dispositif du projet de loi organique qui vous est soumis.
L'objet du texte que vous allez discuter aujourd'hui est tout simplement d'étendre à l'élection présidentielle, dont l'organisation relève de la loi organique, une mesure déjà votée en loi simple. Il ne prétend pas, à moins de cent jours désormais de l'élection présidentielle, bouleverser le mode de remboursement des dépenses de campagne. Par cohérence avec les dispositions adoptées par la loi de finances pour 2012, le présent projet de loi organique modifie la loi du 6 novembre 1962 afin de modifier les taux de remboursement. Pour les candidats obtenant plus de 5 % des voix, ce taux est fixé jusqu'à présent à 50 % du plafond des dépenses, le taux de remboursement sera porté à 47,5 %. Pour les candidats obtenant moins de 5 % des voix, le taux de remboursement est de 5 % du plafond. Ce taux sera ramené à 4,75 %.
Par ailleurs, afin que cette économie ne soit pas remise en cause par la prise en compte de l'inflation, le Gouvernement a proposé de geler la revalorisation des plafonds applicables à l'élection présidentielle jusqu'à ce que le déficit public des administrations soit nul. Il s'agit d'un effort important et durable puisque le gel de la revalorisation des dépenses de campagne perdurera jusqu'au retour de nos finances publiques à l'équilibre. Au total, la mise en place de ce gel et la baisse de 5 % des dépenses auront pour effet de diminuer les plafonds de remboursement de 8 % par rapport à ce qu'ils auraient été en l'absence de réforme, soit environ 3,7 millions d'euros.
En second lieu, je reviendrai brièvement sur les amendements adoptés lors de la première lecture à l'Assemblée et au Sénat.
À l'occasion de la première lecture de ce projet de loi organique, vous avez adopté un amendement permettant pour la seule élection présidentielle de prolonger la date limite de dépôt des comptes de campagne d'une semaine. Proposée par M. Régis Juanico, avec l'avis favorable de votre commission des lois, cette mesure consensuelle et de bon sens se justifiait compte tenu de la complexité des comptes des candidats à l'élection présidentielle.
Il n'en va pas de même des amendements adoptés par le Sénat. Lors de la séance du 12 janvier dernier, la chambre haute a voté une série de modifications qui ne conviennent pas au Gouvernement. Le texte tel qu'adopté par le Sénat prévoit en effet une série de dispositions qui dénaturent complètement la lettre et l'esprit de la loi du 6 novembre 1962 et posent de sérieuses difficultés juridiques. Non seulement elles reviennent sur des jurisprudences bien établies de la Commission nationale des comptes de campagne, mais elles bouleversent également les mécanismes de remboursement. Elles risquaient ainsi de plonger les candidats dans une grande insécurité juridique à quelques semaines de l'élection présidentielle.
Il convenait donc de revenir à la version adoptée ici même en première lecture. C'est chose faite à l'issue des travaux de votre commission des lois, dont je tiens à souligner la qualité du travail, qui permettent d'examiner ce matin un texte conforme à son objectif initial.
Mesdames et messieurs les députés, lors de l'examen de ce texte en première lecture, votre assemblée avait su dépasser les clivages partisans, ce qui avait permis l'adoption par l'Assemblée du présent projet de loi organique. Je ne peux que vous inviter à aller à nouveau dans le même sens, dans un esprit de responsabilité à quelques semaines d'échéances majeures. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Charles de la Verpillière, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, saisie hier du projet de loi organique relatif au remboursement des dépenses de campagne de l'élection présidentielle, la commission mixte paritaire n'est pas parvenue à élaborer un texte commun à nos deux assemblées. Les positions respectives de l'Assemblée et du Sénat sur ce texte étaient manifestement trop éloignées.
Je rappelle que, dans sa version initiale, le projet de loi organique se borne à étendre à l'élection présidentielle des mesures d'économie déjà prises pour les autres élections dans la loi de finances pour 2012. Plus précisément, il s'agit uniquement de modifier la partie organique de la loi du 6 novembre 1962 relative à l'élection présidentielle pour : d'une part, diminuer de 5 % le taux de remboursement par l'État des dépenses engagées par les candidats à l'élection présidentielle ; d'autre part, geler à son niveau actuel le plafond des dépenses autorisées durant la campagne.
En première lecture, le 19 décembre dernier, l'Assemblée nationale n'a ajouté qu'une seule disposition issue d'un amendement de notre collègue Régis Juanico – amendement dont on ne saluera jamais assez la pertinence – consistant à repousser d'une semaine le délai limite de dépôt des comptes de campagne des candidats à l'élection présidentielle. Puis l'Assemblée a adopté le projet de loi organique ainsi modifié à une très large majorité, le groupe socialiste, radical et citoyen s'étant abstenu.
En revanche, saisi de ce texte la semaine dernière, le Sénat l'a très profondément modifié, au point de n'en conserver que la seule disposition repoussant le délai de dépôt des comptes de campagne, que je viens d'évoquer.
Ainsi, le Sénat a totalement revu le mécanisme de remboursement des dépenses de campagne. Au lieu d'un mécanisme forfaitaire construit autour du seuil de 5 % des suffrages exprimés au premier tour, le Sénat a adopté un mécanisme proportionnel au nombre de voix obtenues, assorti d'une « prime » pour les deux candidats qualifiés pour le second tour. Quoi que l'on pense d'un tel dispositif – et il y aurait beaucoup à dire –, il n'est évidemment pas possible de le mettre en place aujourd'hui, à quelques semaines de l'élection présidentielle et alors que les candidats ont déjà élaboré leur plan de financement de la campagne, à moins de créer, Mme la ministre l'a dit, une grave insécurité juridique et politique. Par ailleurs, le Sénat a multiplié l'adoption d'amendements très éloignés de l'objet du projet de loi organique. On y trouve tout à la fois des dispositions redondantes avec le droit actuel, telle l'interdiction du financement d'une campagne électorale par une personne morale ; des dispositions peu opportunes, comme la possibilité de saisir la Commission nationale des comptes de campagne et le Conseil constitutionnel pendant la campagne électorale, donc avant l'élection, et l'on imagine la foire d'empoigne que cela produirait ; des dispositions assez extravagantes et à la limite de l'inconstitutionnalité, comme celle selon laquelle, en cas de rejet du compte de campagne d'un candidat élu Président de la République, « le Conseil constitutionnel en informe le Parlement, afin d'apprécier si les motifs du rejet renvoient à des actes constituant un manquement manifestement incompatible avec l'exercice du mandat de Président de la République » ! Cela revient à réécrire la Constitution dans la loi organique !
Dans ces conditions, les positions respectives de nos assemblées étaient évidemment inconciliables, ce que l'échec de la commission mixte paritaire réunie hier n'a fait que confirmer.
Après la réunion de la CMP, la commission des lois a fort logiquement, sur ma proposition, rétabli le texte adopté par l'Assemblée nationale en première lecture le 19 décembre dernier. C'est de ce texte que nous sommes saisis ce matin et je vous demande, mes chers collègues, de l'adopter en nouvelle lecture. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, dans sa version initiale, et tel qu'il nous est à nouveau soumis aujourd'hui en nouvelle lecture suite à l'échec de la commission mixte paritaire, ce projet de loi organique consiste simplement à limiter le remboursement des dépenses de la campagne présidentielle, en réduisant de 5 % le plafond des dépenses prises en charge, comme nous l'avons déjà voté pour les autres élections, en adoptant plusieurs mesures de ce type dans le cadre du projet de loi de finances pour 2012.
Seule l'hypothèse relative à l'élection présidentielle est subordonnée à l'adoption d'une loi organique. Mais le débat a déjà eu lieu, ce texte n'est qu'une transposition mécanique d'un dispositif dont le principe a déjà été acté dans le projet de loi de finances pour 2012.
En effet, lorsque le Premier ministre a annoncé un plan de retour à l'équilibre des finances publiques, prenant acte de la nouvelle révision à la baisse de la prévision de croissance pour 2012, qui passait de 1,75 % à 1 %, il a souligné la nécessité de limiter le remboursement des dépenses de campagnes électorales, en réduisant de 5 % le plafond des dépenses prises en charge.
Car, à l'heure où nos demandons aux Français des sacrifices supplémentaires afin de réduire le déficit des finances publiques, il est normal que nous aussi, hommes et partis politiques, participions à l'effort global.
C'est la raison pour laquelle le Gouvernement a légitimement décidé de limiter le remboursement des dépenses des campagnes électorales, en réduisant de 5 % le plafond des dépenses prises en charge. C'est également le cas pour les aides aux partis politiques, dont les montants étaient d'ailleurs restés stables en 2010 et 2011.
Sur la base de ces considérations, le projet de loi organique, dans son article unique, vise, d'une part, à diminuer de 5 % le taux de dépenses électorales susceptibles d'être remboursées aux candidats à l'élection présidentielle ; d'autre part, à geler le plafond des dépenses autorisées durant la campagne, jusqu'au retour à l'équilibre de nos finances publiques.
Compte tenu de la situation actuelle de l'économie française et du déroulement de la campagne présidentielle en 2012, le Gouvernement a décidé que les mesures devraient s'appliquer dès l'élection présidentielle de mai prochain et, par conséquent, il a engagé la procédure accélérée sur ce projet de loi.
À ce sujet, le rapporteur de la commission des lois du Sénat a pu dire qu'un des principaux défauts du texte était de changer les règles dès 2012, puisqu'il intervient moins d'un an avant l'élection présidentielle, et donc après le début de la période couverte par les comptes de campagne.
Pour autant, cela n'a pas empêché les sénateurs de voter un texte qui modifierait profondément les règles de remboursements des candidats, dès 2012.
Le texte issu de la première lecture au Sénat prévoyait notamment d'instaurer un système de remboursement proportionnel au nombre de voix obtenues par les candidats, et non plus à partir d'un seuil de 5 % des suffrages au premier tour, et cela à moins de six mois des élections proprement dites.
La multiplication des candidatures de complaisance que pourrait entraîner une telle mesure pourrait tout d'abord être préjudiciable au bon déroulement de l'élection présidentielle, mais surtout être une charge supplémentaire pour nos finances publiques.
Il était donc inenvisageable que nous nous entendions en commission mixte paritaire.
En outre, la discussion de ce texte a permis a nos collègues de l'opposition d'alimenter une polémique injustifiée sur les frais de campagne du Président de la République. Le débat qui consiste à affirmer que les déplacements du Président s'apparenteraient davantage à ceux d'un candidat est un faux débat.
La polémique est presque aussi vieille que l'élection présidentielle. Les mêmes arguments ont déjà été utilisés en 2007 contre le candidat Sarkozy. Cette attitude est démagogique : nous savons bien que les dépenses de campagne d'un candidat sont prises en compte sur l'ensemble de l'année qui précède l'échéance électorale et que la commission qui contrôle les comptes de campagne a la possibilité de réintégrer des frais engagés avant la déclaration de candidature si tel ou tel déplacement a été effectué « en vue de l'obtention des suffrages ».
De tout temps – y compris en 2007 et s'agissant, entre autres exemples, de Nicolas Sarkozy – il y a eu réintroduction dans les comptes de campagne de certaines dépenses qui n'avaient pas été considérées par les candidats comme devant y entrer.
Non seulement cette polémique n'a rien à voir avec le texte, mais c'est un non-sujet puisque le droit actuel apporte des réponses à toutes les préoccupations qui peuvent s'exprimer.
Ce texte a le mérite d'exister et nos concitoyens nous auraient reproché à bon droit de ne pas l'avoir mis à l'ordre du jour, ne serait-ce que pour sa portée symbolique. Alors, votons ce projet de loi organique et réservons, chers collègues, à la campagne présidentielle de 2012 ce qui relève effectivement de la campagne !
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, convenons qu'à en lire le titre, ce projet de loi dont nous débattons pour la deuxième fois semble important. Philippe Richert nous l'avait d'ailleurs présenté en décembre comme étant « ambitieux ». Le fait est qu'il concerne l'organisation de l'élection présidentielle, c'est-à-dire le scrutin autour duquel se structure la vie politique de notre pays.
On peut dès lors regretter que nous soyons contraints de l'aborder dans le cadre de la procédure accélérée, qui n'a jamais autant mérité son nom : la réunion de la commission paritaire n'a pas excédé cinq minutes. À vrai dire, ce n'est pas réellement une nouveauté, c'est même un rythme assez classique dans les législatures : durant les premiers mois, la majorité tout juste élue veut avancer à marche forcée pour concrétiser ses engagements de campagne ; dans les derniers mois, le Gouvernement veut boucler, voire bâcler, des chantiers ouverts ou les sujets qu'il a pu délaisser.
On peut aussi s'étonner de son contenu. Comme le notait le sénateur Hugues Portelli lors d'un projet comparable en mars-avril 2006, l'usage républicain veut que l'on ne modifie pas les règles d'un scrutin dans l'année qui le précède.
Il fallait donc que le motif soit impérieux pour que vous nous proposiez cette entorse. Or de quoi s'agit-il ? Simplement de faire économiser 3,7 millions d'euros sur un total de 220 millions d'euros de dépenses liées à l'organisation de l'élection présidentielle. Chacun pourra apprécier l'ampleur du gain espéré mais on me permettra de le considérer comme symbolique au regard d'un déficit public cumulé de 1 600 milliards d'euros. Je rappelle aussi que cette somme de 220 millions d'euros correspond à une dépense de moins de 6 euros par électeur.
Dès lors, on comprendra que la pertinence du texte ne me saute pas aux yeux, d'autant que son bénéfice potentiel ne pourra être mesuré qu'a posteriori.
Tout autre est l'intérêt du texte adopté par le Sénat qui, loin d'être extravagant, monsieur le rapporteur, contribuait à dissiper les zones de flou que j'avais évoquées dans mon intervention lors de la première lecture, le 19 décembre dernier.
Paradoxalement, le cadre législatif et réglementaire applicable aux élections présidentielles est aujourd'hui moins rigoureux que celui des élections cantonales, et c'est à bon droit que le Sénat a pu estimer que des précisions étaient nécessaires. Celles-ci visaient non seulement à mettre fin à des pratiques discutables auxquelles peuvent se livrer certains candidats mais aussi à inviter le Conseil constitutionnel à revenir sur sa jurisprudence et à appliquer des sanctions financières s'il constate l'existence de dons de personnes morales.
Il est en effet choquant que l'intervention a posteriori d'un remboursement par le biais de recettes autorisées puisse faire obstacle à la mise en oeuvre d'une sanction alors même que les dons de personnes morales font partie des atteintes les plus graves à la législation sur la transparence financière de la vie politique.
Certes, ce rappel peut être considéré comme redondant, voire symbolique, mais on peut aussi le juger pédagogique. Il incitera les candidats à la prudence. Si de telles précisions avaient existé en 2007, le compte de Nicolas Sarkozy n'aurait peut-être pas été réformé pour non-respect du code électoral en matière de dons de personnes physiques.
Le texte du Sénat comble également une lacune de notre appareil normatif. L'élection présidentielle est la seule élection pour laquelle le non-respect des règles relatives au financement n'est pas sanctionné autrement que par une réformation du montant du remboursement. Cette spécificité n'est plus acceptable depuis que nous avons eu connaissance avec un peu plus de précision de la curieuse séance du Conseil constitutionnel du 11 octobre 1995 au cours de laquelle fut validé le compte de Jacques Chirac.
Ainsi, que lisons-nous dans le récent livre de Jean-Jérôme Bertolus et Frédérique Bredin intitulé Tir à vue et sous-titré La folle histoire des présidentielles ? Roland Dumas, qui était alors président du Conseil constitutionnel, s'exprime ainsi : « La France avait besoin d'un Président de la République. La France venait d'élire Jacques Chirac. Même au prix de quelques anomalies, il était là. Les choses ont dont été négociées, c'est vrai, mais convenablement à mon avis. On est arrivé à un consensus sur la réintégration ou l'exonération de certaines sommes, et de fait le Conseil a statué “dans sa sagesse” pour que la France ait un Président de la République ». Le même Roland Dumas était encore plus explicite lors de l'émission de Guillaume Durand Face aux Français, le 4 mai 2011, quand il affirmait : « Jacques Cheminade – dont les comptes avaient été annulés, après un score de 0,28 % – était plutôt maladroit, les autres – il parlait de Jacques Chirac et d'Édouard Balladur – étaient adroits ».
Pouvons-nous nous satisfaire d'un système qui institutionnalise l'hypocrisie : un système qui, comme l'a dit l'un de mes collègues du Sénat, n'est rigoureux que pour les petits maladroits et qui s'avère compréhensif pour les gros malins, un système dans lequel le vainqueur a toujours raison, quelles que soient les libertés que celui-ci a pu prendre avec la loi ?
La commission mixte paritaire a échoué et vous nous proposez de revenir au texte adopté en première lecture par notre assemblée. Nous le regrettons et souhaitons un retour au texte adopté par le Sénat.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je serai bref : Jean-Jacques Urvoas a tout dit ou presque.
Je note que Jean-Pierre Schosteck a repris la formule que Guy Geoffroy avait employée en première lecture en soulignant que ce texte avait « le mérite d'exister ». Ce qui frappe, en effet, c'est la modestie des ambitions de ce projet de loi dont on a pu dire, à juste tire, qu'il était de l'ordre du symbole.
De ses deux principales mesures – le gel des revalorisations des plafonds de campagne et le coup de rabot de 5 % sur le remboursement des frais de campagne –, l'économie attendue est de 3,7 millions d'euros. C'est dire qu'il faudra attendre des décennies voire des siècles pour qu'elles contribuent à renflouer les caisses de l'État, et je ne parle même pas de diminuer la dette publique accumulée ces dernières années.
Les sénateurs ont fait leur travail lors de la navette parlementaire. Ils ont souhaité améliorer, renforcer, préciser certaines règles existantes. Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, notre pays dispose de règles strictes et transparentes en matière de financement, mais elles sont perfectibles. Les améliorations apportées par le Sénat posent de vraies questions. Nous constatons malheureusement que ce projet de loi organique ne pourra pas les intégrer.
Nous aurions souhaité que ce texte s'enrichisse de dispositions qui auraient permis de substantielles économies pour nos finances publiques, je pense plus spécifiquement au plafonnement intégral des dons de personnes physiques, qu'ils soient destinés aux partis politiques ou aux campagnes électorales.
Chaque année, ces dons représentent pour l'État une dépense fiscale de l'ordre de 30 à 40 millions, selon la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, puisqu'ils ouvrent droit à une réduction d'impôt. Compte tenu du nombre de formations politiques enregistrées par la commission – le nombre des micropartis a été multiplié par dix en vingt ans et atteint aujourd'hui 300 –, le plafonnement à 7 600 euros pour les partis politiques et à 4 600 euros pour une campagne électorale contribuerait à faire des économies sans doute plus importantes que celles issues du coup de rabot sur le taux de remboursement des dépenses électorales.
Jean-Pierre Schosteck a qualifié d'inutiles les polémiques portant sur les dépenses de campagne du Président de la République qui, pour l'heure, ne s'est pas encore déclaré candidat. Pour nous, il ne s'agit pas de polémiquer mais de montrer à l'opinion que des règles s'appliquent. Certes, il y a possibilité, après le dépôt des comptes de campagne des candidats aux présidentielles, de réintégrer certaines dépenses, y compris celles qui auraient été engagées avant la déclaration officielle de candidature. Ce sera le cas pour François Hollande s'agissant de certaines dépenses consacrées à l'organisation des primaires. Mais il apparaît aussi important de souligner que personne n'est dupe face à certains déplacements du Président de la République pris en charge par l'État.
Le Conseil supérieur de l'audiovisuel l'a bien démontré en procédant à un décompte précis du temps de parole du Président lors du discours de Toulon : il a établi que 60 % relevait du débat politique et 40 % seulement de sa fonction régalienne. Cela paraît être une clef de répartition assez juste.
Nous rappellerons que chaque fois que le Président de la République est amené à s'exprimer sur de nouvelles propositions ou sur la perspective d'un nouveau mandat, cela peut donner lieu à un décompte dans ses comptes de campagne à l'issue de l'élection présidentielle. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
(Mme Catherine Vautrin remplace M. Jean Mallot au fauteuil de la présidence.)
J'appelle maintenant, dans le texte de la commission, l'article unique du projet de loi organique.
Je suis saisie d'un amendement n° 2 .
La parole est à M. Jean-Jacques Urvoas.
Ces amendements, déjà déposés en première lecture, visent à combler des lacunes dans la législation actuelle. Ils portent sur la déclaration de patrimoine du Président de la République et sur le décompte de son temps de parole. Je n'argumenterai pas davantage, René Dosière l'a déjà fait à plusieurs reprises.
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi organique.
(L'article unique du projet de loi organique est adopté.)
Vote sur l'article unique
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix heures quinze, est reprise à dix heures quarante.)
L'ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, relative à l'exploitation numérique des livres indisponibles du xxe siècle (nos 4065, 4189).
La parole est à M. Hervé Gaymard, rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l'éducation.
Monsieur le ministre de la culture et de la communication, la législature qui s'achève aura été, à bien des égards, un tournant pour le livre et son avenir, qu'il s'agisse du livre papier ou de son avatar numérique, dont nul ne sait encore l'essor qu'il prendra ni les métamorphoses qu'il incarnera, et encore moins si l'outil, imperceptiblement, subjuguera cette parole intérieure qu'est l'écrit, au point de le faire muter, ou bien démultipliera seulement sa diffusion.
Dans ce domaine, le Parlement aura été particulièrement actif, dans un climat de consensus dont il faut se féliciter. Et il faut vous remercier pour votre implication sans faille en faveur du livre et de la lecture, ainsi que celle qui vous a précédé, Christine Albanel.
S'agissant du livre papier, avec l'évaluation dans le temps et dans l'espace que nous avons conduite en 2009 de la loi relative au prix unique du livre, votée à l'unanimité en juillet 1981, nous avons prouvé que cette loi était une loi de développement durable, culturelle, économique et territoriale. Elle continue de faire des émules, en Suisse, au Mexique. Et les remises en cause subreptices sont désormais écartées.
La proposition de loi que j'ai déposée, devenue la loi du 27 janvier 2010, adoptée également à l'unanimité, a permis au secteur du livre de déroger à la disposition de la loi de modernisation de l'économie sur la réduction des délais de paiement, qui, si elle avait été appliquée, aurait signifié la mort de près de la moitié des librairies françaises, alors même qu'elles avaient été sauvées par le prix unique.
Il nous reste à gagner le combat pour le maintien de la TVA à 5,5 %. Il s'en est fallu de peu à la fin de l'année dernière, à l'occasion de l'examen de la loi de finances rectificative. Avec Christian Kert, nous redéposerons notre amendement à la faveur de la prochaine loi de finances rectificative, en février prochain.
Pour ce qui concerne le livre numérique, j'avais recommandé la vigilance ainsi que le pragmatisme dans notre choix de légiférer ou non car, dans ce domaine davantage encore que dans beaucoup d'autres, il convient de légiférer en tremblant.
Notre avons en effet suivi au jour le jour le procès Google contre la Ligue des auteurs aux États-Unis. Le Gouvernement français ainsi que les instances européennes ont pu prendre part à la procédure par le truchement de la disposition des amis de la Cour, amicus Curiae, pour faire valoir notre conception du droit d'auteur, foulé aux pieds par la numérisation sauvage.
Nous avons noté avec satisfaction les positions de la justice américaine, notamment du juge Chin. Et nous nous félicitons de l'issue de cette procédure, puisque Google a finalement renoncé à son projet initial.
Sur tous les enjeux de la numérisation de l'écrit, je déposerai, dans les prochaines semaines, avec notre collègue Michel Lefait, un rapport de la commission des affaires européennes, ainsi qu'une proposition de résolution.
Mais il ne suffit pas de faire barrage aux initiatives, quand elles sont dangereuses pour la rémunération de la création, encore faut-il nous donner les moyens de favoriser le développement du livre numérique, en cohérence avec notre conception du droit d'auteur.
C'est ainsi que ma proposition de loi, devenue la loi du 26 mai 2011 votée elle aussi à l'unanimité, dispose que le prix du fichier numérique est fixé par l'éditeur, comme pour le livre papier.
C'est ainsi que notre proposition de loi, devenue amendement à la loi de finances pour 2011, a disposé que le prix du fichier numérique serait également assujetti au taux réduit de TVA, comme pour le livre papier. Et il faut remercier Jacques Toubon pour la formidable ambassade qu'il conduit auprès de nos partenaires européens ainsi que vous, monsieur le ministre, pour votre vigilance constante sur ce sujet comme sur les autres.
Mais il nous est apparu indispensable, avec le sénateur Jacques Legendre, de légiférer sur les oeuvres indisponibles du xxe siècle. Tel est l'objet de la présente proposition de loi.
La disponibilité du livre au format numérique est désormais une réalité.
Pour les nouveautés, les titres sont aujourd'hui édités dans des formats électroniques natifs, permettant une commercialisation numérique. Pour le patrimoine, les bibliothèques publiques, la numérisation de leurs collections est un impératif et, partout dans le monde, se créent de vastes bibliothèques numériques, telle que Gallica pour la Bibliothèque nationale de France.
Pourtant, entre l'offre de véritables livres numériques, ou e-books, postérieurs pour l'essentiel aux années 2000, et les ressources des bibliothèques numériques, limitées aux titres du domaine public, la production éditoriale du xxe siècle, toujours protégée par le droit d'auteur, reste difficilement accessible au public.
En effet, pour des raisons de faible rentabilité économique, une grande partie des titres publiés au xxe siècle n'a pas été rééditée. Les titres sont épuisés sous forme imprimée, indisponibles dans le commerce, et ne sont plus accessibles que dans les bibliothèques. Dans ce contexte, la numérisation est le seul horizon envisageable pour faire renaître cet important corpus, mais elle n'est juridiquement pas possible, car la titularité des droits numériques est incertaine.
La raison en est que les éditeurs n'ont fait figurer des dispositions relatives à l'exploitation numérique dans les contrats qu'à partir de la fin du xxe siècle. Les droits numériques sur les oeuvres relativement anciennes sont revendiqués tant par les auteurs que par les éditeurs. Une campagne systématique d'adaptation de centaines de milliers de contrats anciens à la réalité digitale constituerait pour eux un travail difficile, disproportionné et peu rationnel du point de vue économique.
Hormis quelques titres au potentiel commercial réel, les modèles d'affaires sous-jacents à la réexploitation numérique de ces oeuvres sont ceux de la longue traîne, peu compatibles avec les coûts de transaction qu'entraînerait la mise à jour des contrats. Par conséquent, à l'heure actuelle, les éditeurs, acteurs naturels de la valorisation des oeuvres, ne peuvent pas envisager d'exploitation numérique marchande dans un environnement juridique sécurisé.
Quant aux bibliothèques, elles ne sont pas davantage titulaires des droits numériques sur ces oeuvres indisponibles. Certes, l'absence d'exploitation par les éditeurs peut les amener à le penser au nom de l'élargissement de la société de la connaissance. Elles estiment en avoir la légitimité en raison des efforts qu'elles ont déployés pour conserver les livres. Néanmoins, en l'état du droit, la reproduction numérique par les bibliothèques d'oeuvres protégées, sans qu'elles y soient autorisées, sauf à fin de conservation, constitue une contrefaçon quand bien même les dites oeuvres ne seraient plus exploitées par les ayants droit.
Cet état de fait est d'autant plus regrettable que le XXe siècle a été une période d'intense production éditoriale et que les oeuvres indisponibles peuvent être évaluées, en première analyse, à 500 000 titres, soit un corpus comparable à celui des livres aujourd'hui disponibles aux catalogues des éditeurs.
La situation est incompréhensible pour le lecteur puisqu'elle crée une discontinuité d'un siècle dans le corpus des livres disponibles au format numérique. C'est pourquoi elle a facilité les attaques contre le droit d'auteur, perçu comme une entrave au développement de la société de l'information.
Il importe de trouver des solutions juridiques et économiques innovantes au problème des oeuvres indisponibles, qui réconcilient les objectifs de la société de l'information et le droit d'auteur et montrent que ce dernier est suffisamment flexible pour être adapté, sans pour autant que ses fondements soient remis en cause.
Le mécanisme fondamental permettant de régler de manière consensuelle, entre auteurs et éditeurs, la question de la titularité des droits, est l'instauration d'une gestion collective des droits numériques sur les oeuvres indisponibles par une société de perception et de répartition des droits, la SPRD.
Ce mécanisme nécessite une modification du code de la propriété littéraire et artistique, objet de la présente proposition de loi, qui poursuit deux objectifs principaux.
Il s'agit tout d'abord d'éviter le trou noir que représente le XXe siècle pour la diffusion numérique des livres français, en permettant à des oeuvres devenues indisponibles, dont certaines très récentes, de trouver une nouvelle vie au bénéfice des lecteurs. Par là, la proposition vise à offrir les conditions du développement d'une offre légale abondante de livres numériques pour faire démarrer ce marché naissant.
La proposition vise ensuite à replacer les ayants droit au premier plan de la valorisation et de l'exploitation des oeuvres, en évitant toute nouvelle exception au droit d'auteur. Il s'agit de permettre aux auteurs et aux éditeurs de se réapproprier leurs droits, afin de les exploiter selon des modèles différents du commerce des nouveautés mais qui, grâce à l'internet et aux effets de longue traîne, peuvent trouver leur pertinence et leur équilibre.
Au moment où Google renonce, aux États-Unis, à l'accord transactionnel qu'il espérait conclure avec les ayants droit du monde entier pour faire valider la copie sans autorisation des oeuvres protégées conservées par les bibliothèques, la mise en oeuvre du présent texte ferait de la France le premier pays au monde à disposer d'un mécanisme moderne et efficace pour régler la question des oeuvres indisponibles, qui constitue aujourd'hui un obstacle majeur à la numérisation de notre patrimoine éditorial.
Un sujet important pour l'avenir n'est pas examiné dans ce texte : c'est celui des conditions économiques et juridiques de l'impression à la demande, débouché majeur de la disponibilité des fichiers numériques, libres de droits ou sous droits. C'est pourquoi je suggère qu'éditeurs, auteurs, libraires et imprimeurs se mettent ensemble au travail sur ce sujet capital, pour nous faire des propositions, si une intervention législative semble judicieuse.
Mes chers collègues, cette proposition de loi, déposée dans les mêmes termes à l'Assemblée nationale et au Sénat, a pu être examinée d'abord par nos collègues sénateurs. Je vous proposerai de retenir un certain nombre d'utiles modifications introduites en première lecture. D'autres ne me semblent pas relever de la présente proposition de loi, et me semblent donc devoir être disjointes.
Je voudrais également saluer nos collègues membres de tous les groupes qui ont utilement amendé le texte en commission.
Je voudrais aussi remercier, même si cela n'est pas habituel, monsieur le ministre, les fonctionnaires de la direction du livre, qui ont réalisé un formidable travail au cours de cette législature : Benoît Yvert, Laurence Franceschini, Nicolas Georges et tous leurs collaborateurs, ainsi que les membres de votre cabinet.
Avant d'entrer dans le débat, je me félicite que ce texte ait été inscrit à l'ordre du jour de nos travaux, malgré un ordre du jour chargé, avant la fin de notre législature. J'ai la certitude que nous faisons ainsi oeuvre pionnière et utile.
Nous savons tous également qu'il reste un énorme travail à accomplir dans les prochains mois, concernant, d'abord, l'avenir de la librairie française, sujet qui doit être notre préoccupation majeure ; puis le droit d'auteur à l'ère numérique ; ensuite, l'environnement économique et juridique de l'impression à la demande ; enfin, l'avenir de la lecture publique à l'ère numérique.
Voilà une feuille de route bien fournie pour nos successeurs, ministres comme parlementaires.
La parole est à M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication.
Madame la présidente, monsieur le rapporteur, cher Hervé Gaymard, mesdames et messieurs les députés, sous une apparence technique, la proposition de loi examinée ce matin revêt une importance culturelle et patrimoniale considérable puisqu'elle permettra de redonner vie, par une nouvelle exploitation numérique, à une grande partie de la production éditoriale française du XXe siècle devenue difficilement accessible.
Ce texte répond ainsi parfaitement aux objectifs poursuivis par le Gouvernement en matière de politique culturelle à l'ère numérique : développer une offre légale abondante de contenus culturels accessibles en ligne dans des conditions respectueuses du droit d'auteur, en saisissant les opportunités inédites de diffusion de la connaissance et de la création offertes par les nouvelles technologies, et encourager le développement durable du marché du livre numérique afin de répondre à la forte demande du public pour un accès à la culture sur internet.
Je me réjouis donc d'être aujourd'hui devant vous pour exprimer le plein soutien du Gouvernement à une proposition de loi qui me paraît, dans son principe, faire l'objet d'opinions convergentes et positives de la part des différentes sensibilités politiques de l'Assemblée : déposée en effet dans les mêmes termes par M. Jacques Legendre au Sénat et M. Hervé Gaymard à l'Assemblée nationale – Hervé Gaymard dont je tiens à saluer le travail une nouvelle fois si approfondi et si efficace, comme son intervention vient de le montrer à nouveau –, elle a été adoptée par le Sénat en première lecture dans un esprit de conciliation et d'ouverture que je tiens à saluer.
Je retrouve dans vos débats et travaux le même esprit positif qui a présidé depuis deux ans, de manière remarquable, aux discussions entre auteurs et éditeurs et qui explique que ce texte est aujourd'hui consensuel entre ces parties et surtout très attendu.
Vous l'avez compris, le Gouvernement est en complet accord avec la philosophie générale de cette proposition de loi qui place les acteurs de la création au premier plan de la valorisation et de l'exploitation numérique de leurs oeuvres.
J'aimerais centrer mon propos aujourd'hui sur quelques points qui sont apparus récemment dans le débat et qui concernent le champ de cette proposition de loi ainsi que la place des bibliothèques dans la valorisation des livres indisponibles.
Tout d'abord, il convient de souligner que, grâce à la mise en place d'une gestion collective pour les droits numériques de ce corpus, qui comprend entre 500 000 et 700 000 titres, c'est une partie importante de notre passé récent et de notre patrimoine qui sera ravivée et mise à la disposition du public.
Cet ensemble de livres indisponibles du XXe siècle sera susceptible d'avoir une double valorisation : titre par titre, d'abord, pour satisfaire la curiosité des lecteurs qui seront à la recherche de livres bien précis ; mais il pourra être diffusé sous la forme de corpus plus larges, généraux ou thématiques.
C'est la raison pour laquelle je suis convaincu que les bibliothèques auront naturellement vocation à jouer un rôle très important dans la diffusion de ces oeuvres. Cette proposition de loi constitue de ce fait une immense chance pour ces institutions de voir leur offre numérique décuplée.
Certes, actuellement, les modèles économiques s'inventent encore et les bibliothèques, à raison, voudraient voir fleurir d'autres propositions sur le numérique de la part des éditeurs. Je suis persuadé que la nouvelle vie ainsi conférée aux livres indisponibles constituera une incitation forte à l'égard des éditeurs pour explorer des modèles techniques et économiques pertinents et novateurs, ainsi qu'à l'égard des bibliothèques pour proposer des offres attractives, permettant ainsi les usages collectifs qui sont au coeur de leur mission.
Par ailleurs, l'association de la Bibliothèque nationale de France au projet industriel, avec sa large expérience et son savoir faire unique en matière de constitution de bibliothèque numérique, constitue une garantie technique que l'offre sera adéquate pour une diffusion du corpus par les bibliothèques.
J'ajoute que ce texte est plus favorable à la problématique propre des bibliothèques que l'approche aujourd'hui adoptée dans le cadre des travaux sur les oeuvres dites « orphelines ». Cette approche suppose en effet une démarche de recherche avérée et sérieuse titre par titre avant toute numérisation, incompatible avec un projet de numérisation de masse. La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui favorisera un accès sans précédent à un corpus considérable de livres jusque-là introuvables.
L'intérêt bien compris des bibliothèques n'est donc pas de s'opposer au droit d'auteur, dont le présent texte illustre d'ailleurs la capacité d'adaptation, mais bien de soutenir toutes les initiatives qui leur permettront d'enrichir les ressources qu'elles mettent à la disposition de leurs lecteurs.
J'aimerais également revenir sur l'introduction par le Sénat d'une disposition spécifique pour les livres dont les auteurs ou leurs ayants droit n'auraient pu être identifiés ou localisés au terme d'une période de dix ans – il s'agit de l'article L. 134-8 nouveau.
Il convient de souligner que, d'une part, le texte prévoit déjà un certain nombre de délais qui ont pour objet d'apporter des garanties aux ayants droit, et ce à chaque étape du dispositif : lors de la mise en gestion collective des droits numériques des livres indisponibles et lors de la décision de procéder à leur exploitation commerciale sous format numérique avec la possibilité pour l'éditeur d'origine d'exercer, s'il le souhaite, un « droit de préférence ». Ces délais sont protecteurs des intérêts des ayants droit concernés.
D'autre part, au terme de ces délais, sauf avis contraire de l'auteur, il est toujours prévu qu'une nouvelle exploitation commerciale de l'oeuvre interviendra. De surcroît, dans tous les cas, cette exploitation donnera lieu à une rémunération des ayants droit.
À l'inverse, le compte à rebours de dix ans introduit par le Sénat à l'article L. 134-8 nouveau prévoit une confiscation des droits de l'auteur ainsi qu'une exploitation des livres indisponibles à titre gratuit. Ce nouvel article me semble aller à l'encontre de l'esprit de la proposition de loi qui, contrairement aux modèles fondés sur la gratuité de l'accès, opérant une rupture brutale avec le système d'autorisation prévu par la législation sur le droit d'auteur, entend en respecter les grands principes. Il importe que le texte que vous allez discuter aujourd'hui favorise l'exploitation normale de l'oeuvre dans le respect des intérêts légitimes des auteurs.
Certes, la gratuité est une idée généreuse. Elle me semble cependant avoir des effets pervers et redoutables, contraires qui plus est à l'objectif de ce texte, car ce compte à rebours ne serait pas de nature à encourager l'exploitation et la diffusion des oeuvres indisponibles par les acteurs économiques.
Je crois en revanche que le Sénat a posé les bases d'une réflexion intéressante sur le soutien à la lecture publique à travers une disposition relative au devenir des sommes dites « irrépartissables ». En effet, il est opportun, dans le cadre de cette gestion collective, de prévoir une utilisation de ces fonds qui bénéficie à la création tout en consacrant l'action indispensable des bibliothèques en faveur de la lecture publique. Reste que pour que cette logique porte ses fruits, il convient bien entendu de maintenir à tout moment le principe d'une exploitation commerciale des livres.
Enfin, je souhaite commenter les amendements déposés par certains d'entre vous visant à élargir le champ de la proposition de loi aux livres n'ayant pas fait l'objet d'un contrat d'édition. En effet, il me semble que cette extension du champ serait risquée à plusieurs égards.
Tout d'abord, la proposition de loi met en place une gestion collective pour les droits numériques des livres indisponibles du XXe siècle en vue de leur exploitation commerciale. À cette fin, la société de perception et de répartition des droits devra entretenir des relations commerciales avec les utilisateurs, percevoir des revenus en droits d'auteur, rechercher les bénéficiaires de ces droits et répartir les sommes. Tout ce travail, bien entendu, n'est pas gratuit. Pour le financer, la SPRD devra ponctionner une quote-part sur les droits d'auteur.
Ensuite, cette proposition de loi a été pensée et construite pour répondre à une situation particulière et circonscrite : celle des livres ayant donné lieu à un contrat d'édition et à une exploitation commerciale. L'ensemble des mécanismes prévus par la proposition de loi répond à cette situation particulière. Son champ, comme il a souvent été rappelé, est donc volontairement circonscrit.
En étendant ce mécanisme à d'autres publications, comme les ouvrages savants produits par les universités, on risque un double écueil. D'une part, le système prévu par la proposition de loi n'est pas adapté à la diffusion de ces ouvrages et leur intégration pourrait compromettre l'équilibre et les finalités de la proposition de loi. D'autre part, en intégrant ces ouvrages, on alourdirait considérablement les frais de gestion de la société de perception et de répartition des droits. Le financement de ces frais de gestion supplémentaires pèserait sur les droits des auteurs des livres ayant fait l'objet d'un contrat d'édition, puisqu'il est envisagé que les autres publications soient mises à la disposition du public gratuitement.
Ces publications gratuites, qui ont vocation à être diffusées librement sur Internet, bénéficieraient ainsi, au sein de la gestion collective, d'une logique de passager clandestin, au détriment de la rémunération des auteurs pour lesquels cette gestion collective était prévue. Il me semble que l'on ne peut pas envisager l'éventualité d'une réduction de la rémunération des ayants droit ni mettre en place un système de gestion collective structurellement déficitaire. Pour ces raisons, le Gouvernement est défavorable à l'extension du champ de la proposition de loi.
Mesdames, messieurs les députés, si l'Internet offre des perspectives inédites inouïes pour la diffusion des connaissances et de la création, le maintien et la promotion de la diversité culturelle sur les réseaux exigent, de la part des États, des efforts pour assurer la présence de corpus de textes variés dans des langues autres que l'anglais. La France a joué, en Europe, un rôle précurseur dans l'élaboration de politiques publiques de numérisation, fondées sur une intervention volontariste des États. Elle a alloué des fonds importants à des programmes de numérisation des imprimés du domaine public et des collections les plus contemporaines.
Grâce au dispositif examiné aujourd'hui – dispositif suivi de près par la Commission européenne –, nous accomplissons un nouveau pas décisif pour adapter le droit d'auteur, dans un contexte consensuel, au plein développement d'une économie numérique de la créativité et de l'innovation, pour ressusciter des pans entiers de notre savoir, de notre culture, de notre patrimoine.
Je souhaite donc que le dialogue constructif qui s'est engagé sur cette proposition entre les différentes sensibilités puisse aboutir à un texte d'équilibre, qui satisfasse aussi bien nos auteurs et éditeurs que nos concitoyens lecteurs.
Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, comme toutes les révolutions, la révolution numérique bouleverse les rapports de force et les équilibres. Si elle porte un immense espoir d'ouverture, d'accès universel à la culture et de résurrection des oeuvres, elle met aussi en danger le droit d'auteur. Cette jeune révolution pose déjà de vieilles questions. C'est notre devoir de législateur d'y apporter une réponse intelligente et équitable, qui prenne en compte à la fois l'intérêt général et les intérêts particuliers, la protection d'un patrimoine accessible à tous au même titre que la protection des auteurs et des ayants droit.
En lançant sa politique de numérisation globale des oeuvres, Google a fait une entrée fracassante dans ce débat. En cinq ans, Google Book Search a numérisé près de 10 millions de livres, dont une grande partie sans l'accord des ayants droit. Le Syndicat national de l'édition estime que 100 000 oeuvres sous droits sont actuellement visibles sur Google books. Le procès qui oppose Google et les auteurs français est toujours en cours. De manière générale, le divorce entre les droits des auteurs et l'accès du grand public aux oeuvres appelle une prise de position du législateur. L'aventure Google montre à quel point notre patrimoine public se trouve en réalité vulnérable face aux OPA de certains géants. Nous ne pouvons donc faire l'économie d'un cadre juridique solide : la numérisation de nos oeuvres ne doit pas entraîner la perte de la titularité des droits qui y sont rattachés.
Aujourd'hui, nous ne sommes pas seulement sur la défensive. Ce texte est aussi un texte de reconquête : il part en quelque sorte à la recherche des oeuvres perdues. Ces oeuvres perdues ou, plutôt, ces livres indisponibles sont des oeuvres du xxe siècle encore couvertes par des droits, mais qui ne sont plus éditées faute de rentabilité économique et que l'on ne trouve plus que dans quelques bibliothèques ou éventuellement sur le marché de l'occasion. Contrairement aux oeuvres du xxie siècle, les contrats d'éditeurs qui les couvrent ne comportent aucune mention relative à leur éventuelle numérisation et, contrairement aux oeuvres anciennes qui font l'objet d'une campagne de numérisation sous l'égide de la Bibliothèque nationale de France, elles ne sont pas tombées dans le domaine public et ne peuvent donc être exploitées numériquement sans autorisation.
Nous savons que la numérisation des oeuvres permet de les conserver, de les retrouver, d'en généraliser et d'en faciliter l'accès. Dans cette optique, la France fait figure d'éclaireur. En effet, la bibliothèque numérique Gallica, qui ne cesse de grandir, depuis 1997, sous l'impulsion de la Bibliothèque nationale de France, est certainement aujourd'hui la seule entreprise qui puisse faire de l'ombre à Google Book Search. Cette politique est massivement soutenue par les pouvoirs publics. Alors que nous jouons un rôle moteur en Europe dans ce domaine, nous ne pouvons priver nos bibliothèques virtuelles de la production éditoriale du xxe siècle. Rappelons simplement que près de 800 000 oeuvres seraient indisponibles ou orphelines, soit plus de la moitié des oeuvres publiées depuis 1900.
Parce qu'il serait impossible aujourd'hui de renégocier individuellement l'ensemble des contrats d'édition des oeuvres indisponibles et parce qu'il faut néanmoins remédier à l'insécurité juridique qui menace leur exploitation, le texte que nous examinons aujourd'hui a pour objet de confier à une société de gestion collective et de répartition des droits la responsabilité de gérer leurs droits numériques. Les sociétés de gestion collective et de répartition des droits créées à cette occasion disposeront donc du droit d'autoriser la reproduction et la représentation d'une oeuvre dans un format numérique.
Pour encadrer ce droit, le texte définit précisément la notion d'oeuvre indisponible et prévoit l'établissement d'une liste publique de ces oeuvres. À défaut d'opposition des ayants droit dans les six mois suivant l'inscription d'une oeuvre indisponible sur la liste, la société de gestion pourra en autoriser l'exploitation numérique, soit par l'éditeur qui dispose déjà du droit de reproduction sous forme imprimée à titre exclusif pour une durée de dix ans, soit par un tiers à titre non exclusif pour une durée de 5 ans.
La discussion qui a eu lieu au Sénat a ouvert de nouveaux débats. Je pense notamment à la question des oeuvres orphelines et à la possibilité de leur exploitation à titre gratuit et non exclusif au-delà de dix ans de recherche infructueuse de la trace des ayants droit. Si ces questions méritaient d'être posées, la commission des affaires culturelles de notre assemblée a choisi d'y répondre autrement : d'une part, parce qu'une directive européenne sur la notion d'oeuvre orpheline est actuellement en cours de rédaction et, d'autre part, parce que l'exploitation à titre gratuit risque de créer une nouvelle exception au droit d'auteur et de compromettre ainsi l'exploitation numérique des oeuvres indisponibles.
Globalement, la commission a permis de sécuriser le dispositif proposé par le Sénat et nous pouvons saluer le souci de notre rapporteur d'obtenir le consensus le plus large possible sur ce texte qui dépasse largement les clivages politiques.
Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le livre numérique est une réalité dont nous devons tenir compte. Ainsi, après avoir débattu, il y a peu, dans cet hémicycle, du prix du livre numérique, nous examinons une proposition de loi relative à l'exploitation numérique de ce que nous appelons « les livres indisponibles du xxe siècle ».
Ce nouveau texte tend à combler un vide juridique en prévoyant les modalités d'exploitation numérique des livres du xxe siècle qui ne sont plus disponibles dans le commerce sous forme papier, tout en restant protégés par le code de la propriété intellectuelle. Ce vide est d'autant plus regrettable que la réédition de ces ouvrages, souvent épuisés en format papier, n'est plus envisagée compte tenu du coût qu'elle représenterait. Je précise que l'auteur de la proposition de loi estime à environ 500 000 le nombre d'oeuvres concernées.
Rappelons pour mémoire que seules sont disponibles aujourd'hui en format numérique les oeuvres littéraires récemment publiées et qui font l'objet d'un double contrat d'édition, papier et numérique, ainsi que les oeuvres qui ne sont plus protégées par le droit d'auteur car publiées entre le xve et le début du xxe siècle. En France, sous l'égide de la Bibliothèque nationale de France, les bibliothèques se sont résolument engagées dans la numérisation, avec le programme Gallica, basé sur les collections déposées au titre du dépôt légal. Mais ne sont actuellement concernés, je le répète, que les livres publiés entre le xve et le début du xxe siècle.
La présente proposition de loi vise à créer une base de données publique en ligne, qui répertorie les livres indisponibles. Cette initiative vise à confier à la BNF la responsabilité de ce corpus. Nous l'approuvons, monsieur le rapporteur, dans la mesure où, de surcroît, ce registre sera publiquement accessible sur Internet.
Par ailleurs, la proposition de loi prévoit que l'exploitation numérique de ces oeuvres sera assurée – et nous avons insisté sur ce point en commission – par une gestion collective et confiée à une société de perception et de répartition des droits agréée à cet effet par le ministère de la culture en vertu de l'article L. 134-3 du code de la propriété intellectuelle. Ce dispositif assurera donc la rémunération équitable des auteurs, de leurs ayants droit et des éditeurs.
En outre, il est de notre devoir de législateur de nous assurer que cette proposition de loi reste bien conforme à l'acquis communautaire. En effet, cette numérisation se heurte notamment à la question des droits. Il s'agit donc d'un texte technique, aux problèmes juridiques complexes, mais qui dotera la France d'un outil unique, à condition que le respect du droit d'auteur ne soit pas destructeur de la culture et du patrimoine quand il ne sert pas des intérêts commerciaux.
Cette proposition de loi soulève également la question des oeuvres orphelines, dont les ayants droit ne peuvent être reconnus « introuvables » qu'au terme d'une recherche dite « diligente ». Or l'article 1er bis relatif à cette question a été supprimé en commission dans l'attente du vote de la directive européenne relative à ces oeuvres orphelines. Je souhaiterais donc insister tout particulièrement sur la nécessité de permettre d'exploiter gratuitement au bout de dix ans des titres pour lesquels aucun titulaire de droits autre que l'éditeur de l'ouvrage papier n'aura été retrouvé par la société de gestion collective créée à cet effet.
Cette disposition avait été initialement adoptée par le Sénat et je ne peux que regretter sa suppression en commission par le rapporteur, au prétexte qu'elle constituait une « exception aux droits d'auteurs ». Nous proposerons donc sa réintroduction par le biais d'amendements. En effet, nous le répétons, cette mesure ne crée pas une nouvelle exception aux droits d'auteurs. C'est bien la société de gestion collective qui exercera les droits patrimoniaux sur les ouvrages et délivrera une autorisation d'exploitation à titre gratuit et non exclusif, dans un cadre contractuel classique. Il ne s'agit donc en aucune façon de suspendre le principe de l'autorisation préalable.
Par ailleurs, l'article L. 122-7 du code de la propriété intellectuelle consacre déjà la possibilité de mise à disposition gratuite des oeuvres.
Enfin, cette disposition laisse à l'auteur ou à l'éditeur la liberté de se manifester au-delà même de ce délai de dix ans, afin de retrouver leurs droits d'exploitation exclusifs sur l'ouvrage. En amont de ce délai de dix ans, les titulaires ont également plusieurs autres occasions de faire valoir leurs droits.
Il ne s'agit donc que de prévoir une possibilité d'exploitation gratuite, non exclusive et réversible pour les ouvrages réellement constatés orphelins.
Le mécanisme d'exploitation gratuite des oeuvres orphelines de droits prévu par le Sénat ménageait donc un équilibre entre la nécessaire protection des droits des titulaires et l'intérêt d'une diffusion publique et gratuite des oeuvres orphelines. Ce principe d'exploitation gratuite figure d'ailleurs également dans la proposition de directive européenne sur les oeuvres orphelines, dont nous attendons le vote avec impatience.
Grâce à cet outil législatif, les bibliothèques pourraient jouer pleinement leur rôle pour remettre en circulation des ouvrages orphelins en les numérisant, tout cela au bénéfice du public, c'est-à-dire du plus grand nombre de lecteurs. Car par cette disposition, c'est bien le développement de la lecture publique que nous défendons.
Face à l'emprise des acteurs privés que nous avons évoquée en commission, et que le rapporteur nous a rappelée, le législateur devait réagir en permettant l'accès de tous aux oeuvres littéraires. C'est pourquoi nous avons approuvé l'accord-cadre signé le 1er février 2011 par le ministre de la culture, le commissaire général à l'investissement, le président de la Bibliothèque nationale de France, le président du syndicat national de l'édition et le président de la Société des gens de lettres, afin que puissent être exploités sous forme numérique les quelque 500 000 ouvrages du XXe siècle dont j'ai parlé au début de mon propos.
Toutefois, je ne peux que regretter le choix de la procédure accélérée pour ce texte, qui est certes important, nous l'avons démontré, mais qui ne comportait aucun caractère d'urgence. Tel est donc le sens des amendements déposés par le groupe socialiste que nous examinerons au cours de la discussion.
Cependant, cette proposition de loi nous semble être une avancée car elle a le mérite d'attirer l'attention sur les bibliothèques, et j'espère que nous reviendrons plus largement sur cette question lors de la prochaine législature. Voilà pourquoi le groupe SRC votera ce texte.
Car pour nous, socialistes, il s'agit bien de défendre la lecture publique et de soutenir l'action des bibliothèques, tout en restant vigilant sur le sort réservé aux auteurs, aux ayants droit et aux éditeurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le texte qui est soumis aujourd'hui à notre examen est globalement positif.
Son but est de permettre la mise à la disposition du public des livres épuisés qu'il n'est pas possible de rééditer, faute d'autorisation des ayants droit, dont on a perdu la trace.
L'élargissement de l'offre culturelle ne peut être qu'une bonne chose, et cette loi permet de lever l'un des problèmes lié à une durée des droits, excessive à mon avis, jusqu'à soixante-dix ans après la mort de l'auteur. Cela laisse largement le temps de perdre la trace des héritiers, surtout quand ce sont des collatéraux qui, parfois, ignorent qu'ils sont titulaires des droits.
Le Sénat a introduit une disposition que j'apprécie particulièrement, accordant un droit d'exploitation libre et gratuit pour les livres dont les ayants droit n'auraient pas été retrouvés au bout de dix ans.
Dans beaucoup de textes traitant de la culture, on fait la part belle aux intérêts des industries culturelles, en oubliant, trop souvent à mon goût, les intérêts du public. Je suis donc heureux qu'on ait enfin pensé au public, et je milite pour le maintien de la disposition votée par le Sénat à ce sujet.
Je souhaite également que nous apportions quelques modifications à ce texte, que l'on sent écrit par les éditeurs, pour les éditeurs. Leurs demandes ne sont pas forcément illégitimes, mais c'est nous qui écrivons la loi, en tenant compte des différentes positions, celle des éditeurs bien entendu, mais aussi celle des auteurs, dans leur diversité, dans une optique d'accès le plus large possible du public au savoir et à la culture.
Le premier point qui m'interpelle est l'atteinte que l'on porte au principe du droit exclusif de l'auteur d'autoriser l'exploitation et la diffusion de son oeuvre. Même si c'est pour des raisons solides et justifiées, ce texte organise un contournement de l'autorisation des ayants droit, et donc, de fait, du droit exclusif.
On semble oublier au passage que le titulaire du droit d'auteur, c'est l'auteur, et pas l'éditeur. Ce dernier peut avoir des droits, mais distincts de ceux de l'auteur, et l'éditeur ne peut en aucun cas déposséder l'auteur de ses droits, notamment du droit moral. Il est nécessaire d'être prudent, car nous ouvrons ici une brèche qui pourrait être transposée dans d'autres domaines culturels.
Le deuxième point qui me dérange est la conception beaucoup trop étroite du livre. Pourquoi se limiter aux livres publiés par les éditeurs dans un but commercial ? Je propose que ce système puisse s'étendre à tous les livres publiés. Cela n'empêchera pas les éditeurs de reprendre les livres susceptibles de les intéresser, et cela permettra de ressortir de l'oubli des livres qui ont été auto-édités.
Le troisième point qui me pose problème est le parti pris, quasiment explicite dans ce texte, qui veut que l'auteur publie pour gagner de l'argent. Je ne suis pas d'accord avec cette vision des choses, et bien des auteurs me l'ont dit : ils publient avant tout pour être lus. C'est leur éditeur qui édite pour gagner de l'argent.
Il y a donc deux intérêts bien distincts, que l'on a trop tendance à confondre, parce que cela arrange bien les éditeurs. Beaucoup d'ayants droit, enfants et petits-enfants d'auteurs, sont disposés à renoncer à toute rémunération, qui ne sera pas bien élevée dans la plupart des cas, pour permettre aux livres de leur père ou grand-père d'être tirés de l'oubli et lus à nouveau.
Dans un certain nombre de domaines, et notamment celui du savoir universitaire, mais également de l'érudition, c'est dès la publication que l'auteur renonce à toute rémunération, car son but est la diffusion du savoir.
Pourquoi, alors qu'un auteur a explicitement renoncé à toute rémunération autre qu'un éventuel forfait payé au moment de la publication, présumer après son décès qu'il souhaitait forcément exploiter financièrement ses droits ?
Mes chers collègues, quand un livre est susceptible de rapporter de l'argent, les droits sont rarement orphelins, et s'ils le sont, les recherches sont faites avec diligence. Ce texte peut effectivement répondre à quelques cas où un best-seller est réellement orphelin, mais de grâce, n'en restons pas à cette vision étriquée.
Nous avons une occasion unique de remettre entre les mains du public, par la publication numérique, des textes qui ne demandent qu'à revivre, grâce à des auteurs et des ayants droit qui souvent, presque toujours même, sont prêts à renoncer aux revenus pour que l'oeuvre soit à nouveau lue. Ne ratons pas cette occasion.
Quelques modifications mineures suffisent pour concilier les intérêts de tous.
Le rapporteur l'a souligné en commission, l'équilibre à trouver entre l'intérêt des créateurs, celui des ayants droit – qui ne sont pas forcément des créateurs – et celui du public est toujours délicat à trouver. Même si je trouve qu'il ne va pas assez loin en faveur du public, voilà un texte venant de la commission des affaires culturelles que je peux voter. Cela ne m'est pas arrivé depuis bien longtemps, il serait dommage, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, de manquer ce rendez-vous !
Madame la présidente, monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, mes chers collègues, le siècle des Lumières professait une confiance totale dans le monde des idées, ce territoire sans police ni frontières, sans autres inégalités que celles des talents, c'était la République des lettres, l'âge d'or de l'écrit.
Les débats épistolaires qui reliaient l'Europe à l'Amérique, Voltaire à Thomas Jefferson, avaient déjà toutes les caractéristiques d'un réseau d'informations transatlantique.
Depuis, peu à peu, cette République des lettres s'est professionnalisée pour devenir une République du savoir, savoir plus émietté, plus fermé, moins accessible car confronté au grand nombre.
Avec l'ère numérique, émancipatrice du temps et de l'espace, la démocratisation du savoir est désormais à portée de main – enfin, de clic –, du moins son accès est possible. C'est dans cette visée que prend place notre travail parlementaire de ce jour.
Mais que recouvre la proposition de loi qui nous est présentée, quel est son contexte ?
Nous le savons, elle s'inscrit dans l'accord-cadre du 1er février 2011 relatif à la numérisation et à l'exploitation des livres indisponibles du XXe siècle. Il s'agit donc d'un étage de cet accord. Quels sont les termes précis de cet accord ? Nous vous le demandons, car il nous a fallu attendre une décision de la CADA rendue après les travaux en commission pour avoir connaissance de cet accord. Est-il normal que des partenaires de la discussion n'aient pas eu accès à ce document ? C'est dommage.
Cet accord est important parce que nous aurions voulu examiner la viabilité économique du dispositif, qui fait une large part à un partenariat public-privé, que la proposition de loi cherche à mettre en oeuvre. Cet accord, dans son paragraphe F, prévoit : « les parties au présent accord conviennent de réaliser ensemble une étude de faisabilité qui serait réalisée au cours du premier trimestre 2011 et qui permettra de préciser les contours du projet. »
Bien naturellement, monsieur le ministre, nous souhaitons obtenir ces informations. Comment envisagez-vous cette étude ? A-t-elle été réalisée ? Avec qui ? Comment allons-nous pouvoir nous assurer effectivement de la viabilité de cet accord ?
Nous risquons, à défaut de nous assurer de la viabilité de cet accord, de n'avoir d'autre alternative que de traiter avec Google en rase campagne, car nous aurons borné notre réflexion.
Aujourd'hui dans un contexte de crise économique, de triple A perdu, le grand emprunt risque de n'être qu'une grande dette, et quel avenir ont les dettes de nos jours ?
C'est pourquoi, monsieur le ministre, j'insiste sur le besoin d'informations plus précises concernant l'étude de faisabilité.
Passés ces questionnements, qui ne sont pas anodins, l'objet de la proposition de loi s'inscrit bien dans l'accord du 1er février 2011. Elle vise à organiser une gestion collective obligatoire des livres indisponibles du XXe siècle, afin d'en promouvoir la conservation et l'accès numérique. C'est un objectif louable, que nous devons favoriser et mettre en place.
Ainsi, la question de l'accessibilité est mise sur le devant de la scène. Nous nous en félicitons, elle doit être traitée. Mais comment ? Sur quels fondements ? Il s'agit de veiller à la protection de l'ensemble des acteurs de la chaîne du livre. Parmi ces préoccupations, la question des droits des auteurs doit être au centre de nos discussions. Le droit des auteurs ne doit pas se transformer en un droit des seuls éditeurs.
Nous nous félicitons à cet égard des avancées permises par nos collègues sénateurs, comme des avancées que nous avons proposées en commission et qui ont été adoptées, notamment pour ce qui concerne les garanties apportées aux auteurs pour sortir du mécanisme d'opt-out, que nous appellerons ici droit de sortir.
Nous proposerons, de nouvelles garanties indispensables pour les auteurs dans la récupération de leurs droits.
Et compte tenu de ces réflexions sur la protection des droits des auteurs, je ne peux que m'interroger sur le dispositif proposé pour le mécanisme de droit de sortir.
Le Sénat a fort heureusement encadré ce mécanisme et nous en sommes heureux, mais cela n'empêche pas une question, soulevée par le rapporteur : pourquoi, aux Etats-Unis, ce mécanisme a-t-il été jugé attentatoire aux droits d'auteur ?
Cela aurait mérité un approfondissement de nos réflexions sur un modèle économique différent, sans que mes propos aient pour objet de remettre en cause le travail très fructueux qui a été réalisé sur le droit de sortir, même s'il est encadré. Sans compter que, dans la dernière version de son règlement, Google a introduit un mécanisme d'opt in, c'est-à-dire de droit d'entrer.
La proposition de loi constitue, on le voit bien, une alternative à la tentative de Google de constituer une bibliothèque numérique universelle selon un régime qui peut s'écarter des principes de ce texte imposés par la juridiction.
Mais alors que le Gouvernement dénonçait hier les mécanismes mis en place par le géant, doit-il aujourd'hui s'épargner et nous épargner une réflexion approfondie sur la protection du droit des auteurs comme la justice américaine le suggère ? Nous aurions aimé avoir plus de temps pour prendre la mesure des implications du débat qui se tient aux États-Unis dans les décisions que nous sommes amenés à prendre. Protéger les acteurs de la chaîne du livre, disais-je, c'est là notre objectif.
J'aimerais aborder à présent la question des bibliothèques, dans leur rôle de mise à disposition des oeuvres, que vous avez souligné dans votre intervention, monsieur le ministre.
Le Sénat, une fois encore, a réalisé une avancée importante et équilibrée pour permettre l'accès des bibliothèques et donc des lecteurs des oeuvres orphelines, en autorisant l'exploitation gratuite des oeuvres orphelines par lesdites bibliothèques au bout de dix ans.
Un amendement présenté par le rapporteur a supprimé cette disposition.
S'agit-il d'une nouvelle exception au droit d'auteur ? Non. Il n'y a là aucune suspension du dispositif d'autorisation préalable, puisque celle-là même sera demandée à la SPRD. Il s'agit donc d'un régime d'autorisation.
Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, comment entendez-vous la notion d'« exception au droit d'auteur » que vous avez mise sur le devant de la scène ? Personnellement, j'y vois un mécanisme instauré par la loi pour traiter d'un cas spécifique relevant de l'intérêt général. Il suspend le principe de l'autorisation préalable des titulaires de droits.
Or qu'en est-il dans le cas de cet alinéa ? La société de gestion collective délivrera bien une autorisation d'exploitation à titre gratuit et non exclusif. À mon sens, le fil contractuel n'est donc pas rompu, mais j'attends vos observations à ce sujet.
Par ailleurs, ainsi que le mentionnait la rapporteure du Sénat, ce dispositif vise à favoriser les recherches avérées des ayants droit par la SPRD, afin que le nombre des oeuvres orphelines diminue substantiellement.
Ce dispositif asséchera-t-il les recettes de la SPRD ? Mettra-t-il à mal le modèle économique des irrépartissables ? Absolument pas.
Puisque la SPRD effectuera les recherches diligentes, le corpus des oeuvres orphelines diminuera. Et combien en restera-t-il après dix années écoulées ? Fort peu.
En quoi le bénéfice qu'elles représenteront alors, passés dix ans de commercialisation au bénéfice de la SPRD, bouleversera-t-il le modèle économique ?
Pourquoi alors souhaiter supprimer un tel dispositif ? S'agirait-il de mettre à mal le projet de directive européenne actuellement en discussion ? Cette directive entend donner aux bibliothèques et autres institutions culturelles la possibilité de numériser et de diffuser des oeuvres orphelines dans des conditions ouvertes.
Par ailleurs, pourquoi supprimer la définition de l'oeuvre orpheline adoptée par le Sénat, qui avait pris le soin de reprendre les termes même du projet de directive ? Il nous a été rapporté que cette directive serait adoptée au printemps 2012. Avez-vous des informations plus précises, monsieur le ministre ?
Gardons-nous de légiférer sans tenir compte de la directive européenne à venir. Cela n'empêchera pas de garder à l'esprit le sens de cette proposition de loi qui, je le rappelle, est louable, car il s'agit de favoriser l'accessibilité des oeuvres.
Un seul objectif doit nous guider, celui de l'équilibre des droits : ceux des auteurs, des éditeurs, des bibliothèques et des lecteurs. C'est dans ce sens que nous défendrons nos amendements, dans le sens d'un juste équilibre entre tous les acteurs de la création et de la diffusion.
Jean Guéhenno déclarait : « Un livre est un outil de liberté. » Oui, un outil de liberté pour l'auteur mais aussi pour le lecteur. Gardons-nous bien de rompre le lien qui existe entre ces deux maillons essentiels sans lesquels la culture n'existerait pas. C'est notre responsabilité et notre travail de l'instant. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.– M. le rapporteur applaudit également.)
Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, la proposition de loi présentée par notre collègue sénateur Jacques Legendre vient combler un vide juridique. Pourquoi ?
Comme le rappelle l'exposé des motifs, grâce à la numérisation des oeuvres littéraires, nous disposons désormais d'un catalogue de titres tombés dans le domaine public qui peuvent faire l'objet d'une mise en ligne. Je salue à cet égard le travail pionnier de Jean-Noël Jeanneney qui, alors qu'il était à la tête de la BNF, a initié le projet de bibliothèque numérique Gallica.
Quant aux nouveautés littéraires, elles sont désormais présentées sous la forme de deux supports : un support papier et un support numérique.
En revanche, les oeuvres du XXe siècle, qui s'est révélé particulièrement fécond en matière éditoriale, se trouvent dans une zone intermédiaire. Certaines oeuvres de l'esprit désormais indisponibles chez l'éditeur ne sont pas tombées dans le domaine public ; elles méritent pourtant d'être accessibles à un public qui a à coeur de connaître le patrimoine littéraire français du siècle dernier. Pour cela, il convient que les pouvoirs publics contribuent à faciliter l'accès à ces oeuvres en veillant à garantir les droits des deux principales parties que sont l'auteur et l'éditeur.
Pour ma part, à l'heure où nous venons de fêter le centenaire de la maison Gallimard, je ne crois pas opportun d'opposer les uns aux autres. On sait, même si cela est sans doute moins vrai qu'auparavant, que les catalogues des maisons d'édition forment, eux aussi, une manière d'oeuvre cohérente. En témoigne le métier d'éditeur tel que l'ont exercé ou l'exercent encore dans des styles très différents : José Corti, Éric Losfeld, Jean-Jacques Pauvert, Maurice Nadeau, Jérôme Lindon, Raphaël Sorin, Jean-Marc Roberts, Viviane Hamy ou Dominique Gaultier. La liste n'est pas exhaustive.
Ces éditeurs avaient ou ont, de manière évidente, une vision du livre bien différente de celle du site Google. Cette proposition de loi prévient tout risque de monopole qu'exercerait ce type d'acteur de l'économie numérique qui, uniquement animé par des intentions mercantiles, limiterait l'accès à certaines oeuvres. Car, ne nous y trompons pas, il s'agit de défendre une conception du livre et de la culture bien opposée à la conception anglo-saxonne et de protéger, selon une tradition datant de Beaumarchais, les oeuvres de l'esprit.
L'enjeu principal de la loi est donc de réguler les pratiques qui seraient en infraction à notre droit et qu'il faut encadrer pour éviter des dérives. Il est aujourd'hui nécessaire que le législateur intervienne pour éviter que ne se perpétuent les atteintes au droit d'auteur, qui doit être respecté sans être accusé de constituer une entrave au développement de la société de l'information et de la connaissance.
Vous avez précisé hier en commission, monsieur le rapporteur, que vous souhaitiez ne présenter cette proposition de loi qu'après avoir dégagé un consensus de l'ensemble des professionnels de la chaîne du livre. Je ne peux que louer cette sagesse qui permet d'aboutir à un texte équilibré susceptible de satisfaire l'ensemble des parties.
Les enjeux liés à la proposition de loi sont nombreux. Il y a d'abord l'enjeu de la démocratisation culturelle. La numérisation et l'exploitation des livres indisponibles, la mise à disposition de ces oeuvres sur les réseaux numériques élargissent au grand public un accès qui n'était jusqu'alors ouvert qu'aux chercheurs, pour des raisons légitimes de rareté et de fragilité des livres en question.
Il convient ensuite de préserver notre patrimoine et de protéger et valoriser les droits des auteurs et des éditeurs, car l'essor du numérique remet en cause leurs intérêts, comme c'est le cas pour la musique et le cinéma. De fortes menaces pèsent sur le livre ; la loi doit y apporter des solutions attendues.
Avec ce texte, les auteurs pourront être lus à nouveau. Leur droit moral n'est pas remis en cause, puisqu'ils auront la liberté de refuser la numérisation de leur livre. Avec leurs éditeurs, ils disposeront du droit de s'opposer à la gestion collective d'une oeuvre indisponible dont ils restent titulaires des droits.
Ce droit est protecteur des auteurs à un double titre : contre les pratiques des éditeurs qui ont coutume de ne pas procéder à réédition, une fois l'oeuvre épuisée, ou qui ne tiennent pas compte du refus des auteurs ne souhaitant pas voir exploiter leur oeuvre en mode numérique.
Cette proposition de loi est utile car elle garantit la sécurité juridique nécessaire à l'exploitation numérique des oeuvres indisponibles du XXe siècle, en lui donnant un cadre légal qui faisait défaut. Les auteurs pourront être à nouveau lus. Les éditeurs pourront, en assurant l'exploitation numérique d'oeuvres indisponibles, bénéficier de nouvelles opportunités commerciales. Les lecteurs, quant à eux, pourront redécouvrir des textes dont ils sont privés actuellement.
Je voudrais pour ma part que nous considérions la situation des bibliothèques publiques. Je rappelle que leur fonctionnement dépend des collectivités territoriales. Même si elles disposent toujours de l'exception de conservation, qu'en sera-t-il de leur capacité à proposer des livres indisponibles numérisés dès lors qu'ils retrouveront une valeur commerciale ? (M. le rapporteur applaudit.)
Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, aujourd'hui, les technologies numériques, leurs évolutions rapides ouvrent des possibilités extraordinaires dans le domaine culturel.
En ce qui concerne les livres, l'enjeu de la numérisation est majeur ; elle permet en effet d'envisager leur conservation et - pourquoi pas ? - de faciliter l'accès de tous, en n'importe quel lieu, à toutes les oeuvres littéraires.
Cependant, l'exploitation numérique des livres indisponibles pose le problème du respect du droit d'auteur dans les bibliothèques numériques.
Les livres dits indisponibles sont nombreux : près de 500 000 titres seraient concernés selon le ministère, en particulier les ouvrages du XXe siècle toujours protégés par le droit d'auteur.
Dans le texte que nous examinons, l'expression « livres indisponibles » recouvre les oeuvres qui ne sont pas tombées dans le domaine public mais qui sont difficiles à trouver sous forme imprimée dans le commerce. Ces oeuvres ne peuvent pas être rééditées, compte tenu du coût que cela représenterait. Elles sont souvent récentes, protégées par le droit d'auteur et leur exploitation n'est pas gratuite. Pour beaucoup d'entre elles, les auteurs sont connus, mais il n'y a aucune disposition relative aux droits numériques dans le contrat d'édition.
Ne faut-il pas envisager d'élargir la notion de « livre indisponible », et considérer tous les modes de publication, y compris ceux qui n'ont pas fait l'objet d'une diffusion commerciale ? Je pense particulièrement aux actes de conférences et de séminaires universitaires, qui sont des témoins importants de la culture du XXe siècle, si utiles au travail des chercheurs, même si les chercheurs sont les seuls actuellement à avoir accès à une grande partie de la production littéraire française, sous format papier, à la Bibliothèque nationale de France, ce qui, à mon sens, restreint quelque peu l'accès de tous à la culture.
L'an passé, nous avons déjà longuement discuté en commission du problème posé par la numérisation des oeuvres culturelles, à l'occasion de la proposition d'une entreprise commerciale, l'opérateur privé Google, de constituer une bibliothèque numérique universelle. Google ne possédait alors aucun droit sur ces oeuvres, pas plus que les bibliothèques. Pour faire face à ces situations, il est nécessaire de légiférer, et c'est ainsi que les obstacles juridiques qui s'opposent à la numérisation des oeuvres littéraires sont traités dans la présente proposition de loi.
Même si ce texte comporte peu d'articles, il s'efforce d'apporter des réponses. Mais il ne faut pas se cacher que sa mise en oeuvre pose des problèmes techniques qu'il faudra s'attacher à aplanir, et qu'il n'apporte pas toutes les réponses nécessaires dans une matière aussi complexe.
La solution proposée à l'article 1er consiste à confier à une société de gestion collective, la SPRD, le soin de prélever et de répartir les droits numériques des livres indisponibles, dans le cas où l'auteur ne manifeste pas son désaccord et autorise ainsi la numérisation et l'exploitation rapide de ces oeuvres récentes.
La SRPD devient l'interlocuteur unique des éditeurs. Elle est chargée d'exercer le droit d'exploitation des oeuvres littéraires indisponibles. Elle assure une fonction de vigilance quant à la protection des intérêts des auteurs et de leurs ayants droit, dont le droit moral n'est pas remis en cause puisqu'ils auront la possibilité de refuser la numérisation de l'oeuvre.
Le dispositif inclut une grande partie des oeuvres orphelines, qu'il serait cependant nécessaire de bien définir elles aussi.
L'un des enjeux de la proposition de loi est de faire un pas vers plus de démocratisation culturelle. En ce sens, il est utile de s'interroger sur les modalités de répartition des rémunérations des auteurs et des éditeurs, et sur la bonne utilisation des sommes non répartissables.
Quel coût d'exploitation aura l'oeuvre ainsi numérisée ? Sera-t-elle gratuite ? Quel avenir pour les bibliothèques gérées par les collectivités territoriales ? Qu'en sera-t-il de leur capacité à proposer des livres indisponibles numérisés, alors même qu'elles disposent d'un exemplaire papier ?
Les revenus non répartissables seront-ils dédiés à la promotion de la lecture publique, au soutien de l'action des bibliothèques, qui ont besoin de développer leurs fichiers numériques, leur utilisation et leur fréquentation ?
Les bibliothèques et autres réseaux de lecture auraient bien besoin d'un soutien ciblé par le biais de l'attribution de ces sommes que l'on dit considérables si l'on se réfère à d'autres sociétés de répartition.
Pour les bibliothèques, lieux de lien social, ce serait l'occasion de promouvoir la lecture publique et les ateliers d'écriture, de lancer des actions de sensibilisation vers les publics les plus éloignés de la lecture et de renforcement du lien entre les auteurs et les lecteurs.
À toutes ces questions, nous nous devons de répondre. Aussi est-il dommage que cette proposition de loi fasse l'objet d'un examen en procédure accélérée ; elle aurait mérité d'être traitée de façon plus approfondie.
Parce que l'accessibilité de tous à la culture est un enjeu à la fois culturel et démocratique, ce texte doit enfin ouvrir l'accès aux oeuvres du XXe siècle qui ne sont plus exploitées sous la forme papier. Voilà pourquoi, monsieur le ministre, nous voterons cette proposition de loi.
J'appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles de la proposition de loi.
Par cet amendement déjà déposé en commission, je propose d'étendre le champ de la loi à tous les livres qui ont cessé d'être publiés.
La parole est à Mme Monique Boulestin, pour défendre l'amendement n° 2 .
Comme M. Tardy, nous proposons d'étendre le champ d'application de la loi à tous les livres publiés au XXe siècle et qui ont cessé de l'être.
Cette proposition de loi est rédigée comme si le seul mode de diffusion était la diffusion commerciale par un éditeur, ce qui est bien plus restrictif que la notion de publication au sens de la Convention de Berne.
Les livres indisponibles du XXe siècle, même si l'on se restreint à ceux ayant fait l'objet d'un dépôt légal, n'ont pas tous fait l'objet d'une diffusion commerciale ou d'une diffusion par un éditeur.
Nous pensons par exemple – c'est à nos yeux essentiel – aux rapports publiés par des institutions publique ou aux actes de conférences et séminaires universitaires, qui sont autant de témoins importants de notre culture et qui sont particulièrement utiles au travail des chercheurs.
, rapporteur. La commission a rejeté ces deux amendements qui sont rédigés en des termes voisins et visent le même objectif. Comme l'a dit M. le ministre dans son propos initial, nous ne devons pas élargir le champ de cette loi.
Je rappelle que la société que nous créons n'est pas une société de numérisation mais de gestion et de répartition des droits, ce qui n'est pas la même chose. Toutes les oeuvres dont vous parlez et qui ne sont pas des livres au sens commercial du terme seront numérisées – quand elles ne le sont pas déjà – dans les institutions qui les hébergent.
Ce livre récent à la belle couverture crème de Pierre Assouline, La Condition du traducteur, en offre un bon exemple. C'est un ouvrage publié par le Centre national du livre, sans indication de prix à l'arrière, et il est précisé : « Édition hors commerce. Ne peut être vendu ni reproduit. » Il y a là, très clairement, une volonté exprès de l'auteur et de l'institution ayant publié cet ouvrage qui est un livre au sens physique mais pas au sens juridique.
Je propose donc que nous en restions à la définition initiale du livre indisponible.
La démonstration de M. le rapporteur est éloquente. Sans aller plus loin dans l'argumentation, le Gouvernement émet un avis défavorable.
J'ai bien conscience que le ministre et probablement le rapporteur souhaitent répondre aux questions que nous avons posées lors de la discussion générale au fil de l'examen des amendements. J'en suis tout à fait d'accord.
Il n'en reste pas moins que j'ai interrogé le ministre sur l'étude de faisabilité économique du dispositif prévu par la proposition de loi et j'aimerais qu'il nous éclaire sur ce point à un moment ou à un autre.
Il est difficile de légiférer sur les modalités de mise en oeuvre d'un accord sans connaître les conclusions de l'étude sur sa faisabilité, laquelle devait être effectuée au cours de l'année 2011 et nous être présentée.
(Les amendements nos 16 et 2 , successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)
Le texte prévoit que les éditeurs pourront bénéficier d'une autorisation d'exploiter de dix ans, renouvelable tacitement, alors que le délai est fixé à cinq ans non renouvelable pour les autres opérateurs.
L'écart est trop important. Il faut prévoir au minimum que la période de cinq ans soit renouvelable. Le risque est de réserver de fait les autorisations aux éditeurs, une autorisation de cinq ans non renouvelable étant insuffisante pour permettre l'exploitation économique d'une oeuvre. On porterait ainsi atteinte au principe d'égalité et on fragiliserait le texte.
Cet amendement n'a pas été examiné par la commission mais j'y suis favorable à titre personnel.
Avis favorable.
(L'amendement n° 17 est adopté.)
L'objectif de la proposition de loi est de sécuriser juridiquement l'exploitation des livres pour en permettre la disponibilité. La qualité pour agir contre une exploitation n'est nullement nécessaire et peut donc rester sous le contrôle direct des ayants droit ou de leurs mandataires.
L'information est publique sur la base de données. De plus, les ayants droit peuvent en être prévenus automatiquement dans la mesure où leur adresse pour le courrier numérique a été enregistrée dans la base de données. L'inaction des ayants droit peut être simplement l'expression de leur volonté de ne pas intervenir et de ne pas gêner l'accès à leur oeuvre par le public.
Nous souhaitons donc compléter l'alinéa 10 par les mots « sur mandat exprès de l'auteur. »
Il s'agit d'un sujet important. Il paraît normal que la SPRD puisse ester en justice pour la défense des droits qu'elle gère, mais il est gênant que l'auteur soit complètement exclu de tout alors qu'il est le titulaire du droit d'auteur.
On pourrait se retrouver dans une situation où un ayant droit est d'accord pour l'exploitation numérique, voire s'en occupe lui-même, et se retrouve attaqué en justice par la SPRD. Cela soulève la question de la quasi-dépossession des auteurs qui font gérer leurs droits par une SPRD : à partir du moment où ils adhèrent, c'est pour l'ensemble de leurs droits, avec une délégation totale, et ils ne peuvent plus rien autoriser eux-mêmes.
Nombre d'auteurs ne le savent pas et tombent de haut quand ils le découvrent. Il va falloir trouver des solutions pour que les auteurs puissent être associés et qu'ils conservent au minimum un droit de veto sur les poursuites en justice, afin de respecter le principe du droit exclusif, qui est la base du droit d'auteur.
Ces amendements ont été rejetés par la commission.
Monsieur Tardy, je vous précise que les auteurs peuvent se retirer du système que nous créons à tout moment et que leurs droits ne sont donc pas bafoués.
Dans la mesure où les droits sont transférés à une SPRD, il me paraît logique de prévoir qu'on lui permette de les défendre contre les atteintes qui pourraient leur être portées.
En outre, la propriété des droits étant parfois incertaine, il paraît curieux que la SPRD ne puisse ester en justice que sur mandat des auteurs.
Enfin, la SPRD devra gérer des droits attachés à des oeuvres orphelines, ce que votre amendement interdirait.
Dans la mesure où la loi n'aménage pas un transfert du droit à la société de gestion collective mais un transfert du seul exercice de ce droit, la société doit être habilitée par la loi à défendre en justice les intérêts des titulaires de droits qu'elle représente.
Cette habilitation légale est fortement souhaitée par les auteurs et les éditeurs qui pourront toujours mener leurs propres actions judiciaires pour défendre leurs droits, la qualité pour ester en justice reconnue aux SPRD ne présentant aucun caractère exclusif.
Enfin la présence supposée, parmi les oeuvres qui seront mises en gestion collective, d'oeuvres orphelines nécessite de confier aux SPRD le soin de défendre les intérêts des ayants droit qui ne se seraient pas manifestés.
Pour ces différentes raisons, le Gouvernement émet un avis défavorable à ces amendements.
En réponse à M. Rogemont, j'indique que les études de faisabilité sont en cours, qu'elles ne sont pas achevées. Il est évident que la Bibliothèque nationale de France est le navire amiral chargé de réfléchir à la faisabilité et à la mise en oeuvre du dispositif.
(Les amendements identiques nos 4 et 18 ne sont pas adoptés.)
La parole est à Mme Monique Boulestin, pour défendre l'amendement n° 5 .
Cet amendement vise à compléter l'alinéa 10 par les mots « en cas d'exploitation commerciale non autorisée du livre ».
L'objectif est de sécuriser juridiquement l'exploitation des livres pour en permettre la disponibilité. La qualité pour agir contre une exploitation n'est nullement nécessaire et peut donc rester sous le contrôle direct des ayants droit ou de leurs mandataires.
En outre, l'information est publique sur la base de données et les ayants droit peuvent en être prévenus automatiquement dans la mesure où leur adresse numérique y a déjà été enregistrée.
Leur inaction peut être simplement l'expression de leur volonté de ne pas intervenir et de ne pas gêner l'accès à leur oeuvre par le public.
Cependant, si une exploitation commerciale produit un profit, il peut être légitime qu'une partie de ce profit bénéficie aux ayants droit, au financement de la numérisation ou à la gestion de la base de données. Cela ne change rien au modèle économique utilisé.
Cet amendement ne prévoit donc que la qualité pour ester en justice en cas d'exploitation commerciale non autorisée.
La commission a rejeté cet amendement pour les raisons précédemment invoquées.
Le Gouvernement y est défavorable.
La faculté d'ester en justice qui est reconnue aux sociétés de gestion collective ne doit pas être limitée aux seuls cas d'exploitation commerciale non autorisée des livres. Tous les types d'exploitation, à partir du moment où ils contreviennent au droit de reproduction et de représentation numérique des ayants droit entrés en gestion collective, sont éventuellement concernés.
Monsieur le ministre, je vous remercie d'avoir répondu à ma question sur l'étude de faisabilité. Il n'en demeure pas moins que, selon l'accord, l'étude de faisabilité devait être effectuée au cours du premier semestre 2011, ce qui explique mon insistance car, à ma connaissance, nous sommes en 2012.
(L'amendement n° 5 n'est pas adopté.)
Le sujet a déjà été évoqué en commission mais il est important de bien préciser les choses. Les livres ayant fait l'objet d'une diffusion commerciale sont de types très différents. Un roman n'a pas grand-chose à voir avec un ouvrage technique ou avec des actes de colloque universitaire.
L'alinéa 12 de l'article 1er a pour objet de prévoir que l'agrément prévu au I est délivré en considération « de la diversité des associés ».
J'aimerais que l'on précise un peu ce que l'on entend par « diversité ». Je propose que cette diversité soit entendue, entre autres, comme celle des types de livres, afin que les différents types d'auteurs soient représentés. En somme, il serait bon que le collège des auteurs ne soit pas constitué uniquement de représentants de la Société des gens de lettres.
Cet alinéa 12 laisse une grande souplesse. Si vous me garantissez, monsieur le ministre, qu'il y aura une réelle diversité au sein du collège des auteurs, je suis prêt à retirer mon amendement.
La parole est à Mme Monique Boulestin, pour défendre l'amendement n° 6 .
Cet amendement va dans le même sens que celui que vient de défendre M. Tardy. Il s'agit d'insérer, après l'alinéa 13, l'alinéa suivant : « 2° bis De la représentation diversifiée des différents types de livres et de modes de publication ».
Nous l'avons vu, il existe une grande variété de types de livres. On peut les distinguer selon leur thématique : romans, encyclopédies, livres techniques, publications universitaires, actes de conférences. Les types de livres se distinguent aussi par des modes de publication variés : oeuvres collectives, oeuvres de collaboration, avec ou sans rémunération des auteurs, publiés commercialement ou non.
L'amendement n° 19 n'a pas été examiné par la commission ; à titre personnel, j'y suis défavorable.
L'amendement n° 6 a été rejeté par la commission.
Le texte de la proposition de loi prévoit en effet que l'agrément est accordé « en considération de la diversité des associés ». Cette disposition vise précisément à ce que de petites et de grandes maisons d'édition soient représentées, ainsi que des auteurs de tous types d'ouvrages, quel que soit leur mode de publication.
Il ne me paraît donc pas utile d'introduire les précisions qui font l'objet de ces deux amendements. Le texte de la commission répond complètement aux légitimes préoccupations de leurs auteurs.
Les explications données par M. le rapporteur me paraissent suffisantes. La diversité sera parfaitement respectée. Le Gouvernement est donc défavorable à ces deux amendements.
Il s'agit encore une fois d'ajouter un nouvel alinéa. Il serait bon que des usagers, des lecteurs, bref le public, soient également représentés au sein des SPRD. Ce rôle peut très bien être joué par les bibliothécaires et leurs associations, qui ont un intérêt très marqué pour la communication du savoir. La problématique des livres indisponibles ne les laisse pas indifférents, loin de là, et ils ont une tout autre vision du sujet que les auteurs et les éditeurs : une vision non commerciale, entièrement centrée sur l'intérêt du public. Leur présence enrichirait beaucoup les travaux et les réflexions de ces SPRD.
La commission a rejeté cet amendement.
D'abord, les SPRD sont des sociétés patrimoniales. Par conséquent, seuls les auteurs et les éditeurs peuvent y être représentés. Le public et les bibliothèques ne détiennent pas de droits patrimoniaux sur les oeuvres.
Ensuite, je ne sais comment on pourrait désigner un usager. Faudrait-il le tirer au sort parmi les passants ? Expliquez-moi comment faire !
Enfin, votre légitime souci d'assurer un contrôle effectif de ces sociétés est satisfait par un dispositif, prévu plus loin dans le texte, qui renforce les prérogatives de la commission permanente de contrôle des SPRD.
Les explications données par M. le rapporteur me semblent claires et suffisantes. Le Gouvernement est donc défavorable à cet amendement.
(L'amendement n° 20 n'est pas adopté.)
Je suis saisie d'un amendement n° 7 .
La parole est à Mme Monique Boulestin.
Il s'agit de retirer la référence au contrat d'édition, qui risque d'être trop restrictive, les livres n'étant pas tous publiés dans le cadre d'un contrat d'édition.
De plus, un livre peut avoir été publié à plusieurs reprises, sans illustration ou avec des illustrateurs différents.
Ne peuvent être concernés que les ayants droit dont la contribution est prise en compte dans l'édition numérique concernée. Il s'agit donc d'un amendement de coordination avec les amendements nos 46 AC, 48 AC et 49 AC, examinés en commission.
Par ailleurs, la répartition proposée par le Sénat est reprise, en tenant compte de la multiplicité possible des auteurs concernés.
Le législateur a déjà procédé de la sorte en fixant la répartition des sommes perçues à deux reprises : d'une part, avec l'article L. 311-7 du code de la propriété intellectuelle, qui concerne la copie privée ; d'autre part, avec l'article L. 133-4 du même code, qui concerne le droit de prêt.
La commission a repoussé cet amendement. Elle a estimé que c'est à la SPRD et non au législateur qu'il appartient de fixer les modalités de répartition des sommes perçues. En outre, le caractère paritaire de la composition de la SPRD constitue, pour chacune des parties, une garantie du caractère équitable de la répartition des sommes perçues, car telle est bien – je le précise solennellement – l'intention du législateur.
L'amendement que vous défendez a pour objet de réintroduire la clé de répartition retenue par le Sénat.
Il vise en outre à substituer la notion d'ayant droit non partie au contrat d'édition à celle d'ayant droit de toutes les contributions publiées sous forme numérique. Je ne vois pas ce que cela apporte : à partir du moment où vous êtes ayant droit, vous touchez une rémunération.
Par ailleurs, cet amendement est peut-être inspiré par l'idée que toute une littérature « grise », comme on dit, aurait vocation à entrer dans le système de gestion collective. Or j'ai dit que ce n'était pas, de mon point de vue, l'objet du dispositif que nous sommes en train d'élaborer.
Pour toutes ces raisons, j'émets un avis défavorable.
Le Gouvernement comprend bien les motivations des signataires cet amendement. Il s'agit de préserver le niveau de rémunération des auteurs.
Cependant, la représentation paritaire des auteurs et des éditeurs parmi les associés au sein des organes dirigeants des SPRD ainsi que le caractère équitable des règles de répartition des sommes perçues figurent parmi les critères d'agrément des sociétés. Le Gouvernement veillera tout particulièrement à ce que ces règles de répartition ne soient pas établies au détriment des auteurs ; c'est une évidence.
Pour toutes ces raisons, avis défavorable.
(L'amendement n° 7 n'est pas adopté.)
Je suis saisie d'un amendement n° 8 .
La parole est à Mme Françoise Imbert.
Dans le même esprit, nous proposons de rédiger ainsi la fin de l'alinéa 19 après le mot « ayants droit » : « de toutes les contributions au livre publié sous forme numérique ».
La référence aux seuls ayants droit non parties au contrat d'édition risque d'être trop restrictive, les livres n'étant pas tous publiés dans le cadre d'un contrat d'édition.
De plus, un livre peut avoir été publié à plusieurs reprises, sans illustration ou avec des illustrateurs différents. Ne peuvent être concernés que les ayants droit dont la contribution est prise en compte dans l'édition numérique concernée.
La commission a rejeté cet amendement pour les mêmes raisons que les précédents.
Défavorable.
(L'amendement n° 8 n'est pas adopté.)
Je suis saisie d'un amendement n° 9 .
La parole est à Mme Françoise Imbert.
Après le mot « recherche », nous proposons de rédiger ainsi la fin de l'alinéa 20 : « des ayants droit de toutes les contributions au livre publié sous forme numérique ».
Là encore, la référence au contrat d'édition risque d'être trop restrictive, les livres n'étant pas tous publiés dans le cadre d'un contrat d'édition.
De plus, un livre peut avoir été publié à plusieurs reprises, sans illustration ou avec des illustrateurs différents. Ne peuvent donc être concernés que les ayants droit dont la contribution est prise en compte dans l'édition numérique concernée.
(L'amendement n° 9 n'est pas adopté.)
Je suis saisie d'un amendement n° 10 .
La parole est à Mme Monique Boulestin.
Nous souhaitons que soit insérée, à la première phrase de l'alinéa 24, après les mots « éditeur disposant », les mots « contre rémunération de l'auteur ».
Cela nous paraît indispensable. La condition de rémunération de l'auteur permettra de lever toute ambiguïté en ce qui concerne les formes d'édition ; nous pensons notamment à toutes les publications à compte d'auteur, qui ne justifient pas de prérogative de l'éditeur.
Par ailleurs, dans la mesure où il n'est pas prévu de rémunération de l'auteur et où l'exploitation imprimée a cessé, il semble peu légitime que l'éditeur bénéficie d'un droit de regard sur l'exploitation numérique à laquelle l'auteur peut se livrer par d'autres moyens. De fait, si l'auteur a accepté de céder ses droits sans être rémunéré, cela indique qu'il préfère probablement un lectorat élargi à une rémunération.
Cet argument a été écarté par la commission. Si certains auteurs renoncent à percevoir une rémunération, l'éditeur n'en a pas moins pris un risque pour l'exploitation de l'ouvrage. À ce titre, il ne paraîtrait pas juste qu'il soit privé de tout droit de regard sur la gestion collective des droits d'exploitation numérique.
En outre, s'agissant des éditions à compte d'auteur ou dans le cadre d'un compte à demi, les droits ne sont jamais cédés par l'auteur à l'éditeur. Comme la condition prévue à l'exercice, par l'éditeur, du droit de retrait est qu'il soit titulaire du droit de reproduction imprimée, il ne pourra de toute façon pas, dans ces deux cas de figure, exercer cette prérogative.
Les explications fournies par le rapporteur sont à la fois claires et précises. Le Gouvernement partage le point de vue ainsi exprimé et émet un avis défavorable.
(L'amendement n° 10 n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 11 .
La parole est à Mme Françoise Imbert.
Nous souhaitons, après le mot « peut », rédiger ainsi la fin de l'alinéa 26 : « exercer son droit de repentir ou de retrait sans indemnisation ».
Ce droit de l'auteur est en effet un droit moral inaliénable. Il ne saurait entraîner une indemnisation de la part de l'auteur dans la mesure où la cession légale lui est imposée.
La rédaction actuelle de l'alinéa 26 ne convient pas car elle apparaît comme restreignant le droit moral de l'auteur.
La rédaction actuelle de l'alinéa 26 n'introduit pas une restriction du droit moral de l'auteur. Bien au contraire, ce dernier conserve son droit de retrait dans les conditions de droit commun du code de la propriété intellectuelle et il se voit reconnaître, dans l'hypothèse précise où l'exploitation de l'ouvrage nuit à son honneur ou à sa réputation, une sorte de « super-droit de retrait », puisque ce droit s'exerce alors sans indemnisation.
En revanche, votre amendement semble consacrer une notion du droit de retrait différente de celle actuellement prévue par le code de la propriété intellectuelle : le droit de retrait pourrait s'exercer en toute hypothèse sans indemnisation. Cela ne me paraît pas légitime.
Bien que le droit de repentir ou de retrait sans indemnisation puisse éventuellement concerner la fonction ministérielle (Sourires), je pense que les explications données par M. le rapporteur sont suffisantes et justifient aussi l'avis défavorable du Gouvernement.
(L'amendement n° 11 n'est pas adopté.)
À l'alinéa 29, après les mots « éditeur disposant », nous souhaitons insérer les mots « contre rémunération de l'auteur ».
La condition « contre rémunération de l'auteur » permet de lever toute ambiguïté en ce qui concerne les autres formes d'édition – compte d'auteur et compte à demi –, qui ne justifient pas l'octroi de prérogatives à l'éditeur, même si ce dernier doit nécessairement disposer du droit de reproduction pour assurer l'exploitation.
Par ailleurs, même dans le cas d'un contrat d'édition, dans la mesure où il n'était pas prévu de rémunération de l'auteur et où l'exploitation imprimée a cessé, il semble peu légitime que l'éditeur bénéficie automatiquement d'un droit particulier d'exploitation numérique. Il est même plus vraisemblable que l'auteur qui a accepté de n'être pas payé souhaite maximiser son lectorat par une diffusion en accès libre comme le permet aujourd'hui l'exploitation numérique.
Je pense qu'il faut distinguer, parmi les livres publiés par les éditeurs, ceux dont l'auteur est rémunéré. C'est la question de la publication à compte d'auteur, où l'éditeur n'est qu'un prestataire technique qui n'a pas pris de risques financiers. Il n'est pas légitime, dans ce cas, qu'il bénéficie d'un droit particulier si le livre devient indisponible.
Il s'agit, là encore, d'un nouvel amendement.
L'alinéa 35 donne un statut d'éditeur aux autres opérateurs, qui sont avant tout des distributeurs de livres en ligne et ne réalisent aucun travail d'édition. Ils ne font que reprendre des fichiers, sans les modifier autrement que techniquement, afin de les diffuser. Leur donner un statut et des obligations d'éditeur n'a pas de sens, à moins qu'il ne s'agisse d'un obstacle de plus afin d'éliminer ces concurrents du marché de la diffusion numérique des livres épuisés, donc d'une entrave à la concurrence. C'est pourquoi je propose de supprimer cet alinéa.
La commission n'a pas examiné cet amendement.
Celui qui se verra conférer par la SPRD le droit d'exploiter un livre sous forme numérique devra se voir appliquer les dispositions de la loi du 26 mai 2011 sur le prix du livre numérique. C'est-à-dire qu'il lui appartiendra d'en fixer le prix, obligation qui constitue un élément déterminant de régulation du marché du livre numérique, comme il l'a été pour le livre papier.
Je suis donc défavorable à cet amendement.
Tout en saluant le travail de M. Tardy, qui peaufine constamment ses réflexions d'une manière tout à fait remarquable, j'estime que les arguments de M. le rapporteur sont déterminants, et l'avis du Gouvernement est donc défavorable.
(L'amendement n° 22 n'est pas adopté.)
Il s'agit d'un amendement de logique et de conformité aux principes du droit d'auteur.
Nous proposons que soient supprimés, à la première phrase de l'alinéa 38, les mots « apporte la preuve qu'il ». En effet, cette rédaction n'est recevable ni en droit, ni en logique. Selon le code de la propriété intellectuelle, l'auteur d'un livre est présumé être le seul titulaire des droits. On ne saurait faire reposer sur lui la charge impossible de prouver l'inexistence de la cession de certains droits.
Il appartient à toute partie qui s'opposerait à une telle décision de l'auteur d'apporter la preuve de l'existence d'autres titulaires des droits concernés.
J'ai été surpris que cet amendement que j'ai déposé en commission n'ait pas été adopté, alors qu'un autre portant sur la même question l'a été.
On demande à l'auteur de prouver qu'un fait n'existe pas. C'est ce qu'on appelle « la preuve impossible » : l'auteur peut prouver qu'il a les droits mais comment lui demander de prouver qu'il n'y a pas eu de cession de ces droits ?
De plus, on attaque directement le fondement du droit d'auteur puisque le premier article – L. 111-1 – du code de la propriété intellectuelle pose clairement le principe que l'auteur est présumé être le titulaire exclusif des droits. On ne peut pas lui demander d'en fournir la preuve sans heurter de front ce principe.
La commission a rejeté ces deux amendements.
Il n'est pas contesté que le droit de retrait du système de gestion collective ne peut être consenti qu'au seul titulaire du droit d'exploitation numérique de l'ouvrage. Dans ce cas, il faut bien que l'auteur apporte la preuve qu'il l'est, puisque, par définition, la titularité de ces droits est incertaine. Sinon nous n'aurions pas à légiférer.
Le Gouvernement est défavorable à ces amendements qui s'appuient en réalité sur une fausse présomption de titularité des droits numériques au profit de l'auteur.
Dans la mesure où l'interprétation des clauses de cession prévues au contrat d'édition ne permet nullement d'affirmer que l'éditeur ne peut aucunement être cessionnaire de ces droits, une telle présomption de titularité n'est pas recevable du point de vue du droit.
(Les amendements identiques nos 13 et 23 ne sont pas adoptés.)
Il s'agit encore d'un nouvel amendement qui n'a pas été soumis à la commission hier matin : nous avons eu peu de temps mais nous avons essayé de corriger certaines choses.
La proposition de loi restreint la notion d'indisponibilité d'un livre aux seuls livres ayant fait l'objet d'une diffusion commerciale. Nous avons eu un débat sur la nécessité d'étendre cette notion à tous les livres. La commission a souhaité conserver la rédaction initiale, ce qui m'amène à poser une question tant au rapporteur qu'au ministre.
Quel est le régime des livres qui n'ont jamais fait l'objet d'une diffusion commerciale ? À partir de quand sont-ils considérés comme indisponibles ? Ce n'est pas parce qu'ils n'ont pas été diffusés commercialement qu'ils ne sont pas sous droits.
En écartant toute la littérature scientifique que l'on appelle la littérature grise, on laisse un vide juridique qui peut être préjudiciable à la diffusion de ce savoir.
Je conçois que l'on puisse organiser tout cela en dehors de la loi, mais il faut organiser quelque chose. Monsieur le ministre, que proposez-vous pour gérer la disponibilité des livres n'ayant jamais fait l'objet d'une diffusion commerciale ?
Pour ma part, je vous propose ici une solution, afin que la loi ne soit pas complètement muette sur le sort des livres indisponibles n'ayant pas fait l'objet d'une diffusion commerciale. Je pose ainsi le principe de la gratuité d'exploitation, sauf opposition du titulaire des droits : on peut en effet présumer que si l'auteur a fait le choix, dès la première publication, de ne pas se fixer dans un cadre commercial, il confirmera ce choix pour une rediffusion après épuisement de la première diffusion.
Cet amendement n'a pas été examiné par la commission. J'y suis défavorable à titre personnel.
C'est un débat que nous avons déjà eu à l'occasion de l'examen des premiers amendements. Celui-ci créerait une nouvelle exception au droit d'auteur, alors que l'objet de la présente proposition de loi est précisément de garantir ce droit, ainsi que la perception d'une juste rémunération des ayants droit, tout en facilitant la diffusion de l'oeuvre.
En outre, la notion de gratuité est toujours un leurre : en l'absence de rémunération par l'exploitant, la SPRD ne pourrait couvrir ses frais de gestion : ils devraient l'être via une mutualisation avec les rémunérations perçues au titre de l'exploitation des autres livres indisponibles, donc au final grâce à d'autres auteurs ou éditeurs.
Le périmètre de cette loi est limité aux livres qui ont connu une diffusion commerciale. Le Gouvernement est donc défavorable à l'extension du champ de la gestion collective à toutes sortes de publications dont la vocation est la gratuité. Par conséquent, il est aussi défavorable à cet amendement.
(L'amendement n° 26 n'est pas adopté.)
Je pensais, madame la présidente, que nous n'étions ici que des citoyens et des citoyennes à égalité de droits. Il n'y a donc pas plus à donner aux femmes qu'aux hommes, ce serait une mesure discriminatoire.
Monsieur Rogemont, l'égalité de droits entre les hommes et les femmes n'empêche jamais la galanterie, et heureusement ! Cela étant, vous avez la parole.
C'est sans doute un effet de votre galanterie, je vous en remercie. (Sourires.)
Cet amendement n'est pas anodin ; il a déjà fait l'objet d'une discussion en commission, qui ne nous a toutefois pas convertis.
Il s'agit de traiter le cas des livres indisponibles pour lesquels aucun ayant droit n'a été trouvé après des recherches sérieuses effectuées pendant dix ans par la SPRD.
Pour justifier la suppression des alinéas qui avaient été adoptés par le Sénat, vous avez affirmé, monsieur le rapporteur, qu'il s'agissait d'une exception au droit d'auteur.
Or, sur le site de la Société des gens de lettres, le principe du droit d'auteur est ainsi défini : « … le principe du droit d'auteur est celui de l'autorisation préalable à toute utilisation d'une oeuvre, et le versement d'une rémunération à l'auteur. Comme tout principe qui se respecte, il donne lieu à des exceptions qui vont permettre à l'utilisateur de ne pas avoir à demander une autorisation – je dis bien à demander une autorisation – avant d'exploiter une oeuvre, voire de ne pas payer de droits d'auteur. La loi française a donc prévu une série de cas où l'utilisation de l'oeuvre protégée pourra être effectuée sans autorisation et cela ne concerne, naturellement, que les oeuvres qui ne sont pas tombées dans le domaine public. »
L'exception est donc un mécanisme légal qui, au nom de l'intérêt général et dans des cas spécifiques, suspend le principe de l'autorisation préalable du titulaire des droits.
Avec l'amendement que nous vous proposons, nous ne sommes pas dans le cas de l'exception au principe de l'autorisation préalable. La proposition de loi opère un transfert de l'exercice des droits patrimoniaux sur les livres indisponibles au profit de la société de gestion collective. Si, au bout de dix ans, aucun titulaire de droits de reproduction sur un ouvrage n'a été trouvé, alors la société délivrera une autorisation d'exploitation gratuite aux utilisateurs. Nous sommes bien sous un régime d'autorisation et non pas d'exception. Il n'y a donc pas de rupture et l'on ne sort pas du cadre de la manifestation de la volonté du titulaire des droits.
Ceci est d'autant plus vrai que la loi prévoit un mécanisme de sûreté afin que, même après le délai de dix ans, le processus reste réversible : c'est ce que vous avez dit, monsieur le rapporteur.
En outre, pourquoi affirmer que cette exploitation gratuite introduirait une distorsion aux principes du code ? L'auteur est libre de mettre ses oeuvres gratuitement à la disposition du public, sous réserve des droits éventuels des coauteurs.
Il s'agit d'un amendement particulièrement important, madame la présidente.
Mais le règlement est le même pour tous les amendements, vous le savez bien.
Vous avez également soulevé, monsieur le rapporteur, des arguments économiques. Mais, avant que la société de gestion n'accorde l'autorisation, dix années se seront écoulées. Après cette période, les revenus qui pourraient être dégagés ne sauraient mettre en cause l'équilibre économique que nous défendons les uns et les autres.
Par cet amendement, je propose de rétablir une disposition importante, celle qui permet une exploitation gratuite et ouverte à tous au bout de dix ans de recherches infructueuses des titulaires des droits d'un livre indisponible.
Je considère qu'il y a là une avancée majeure car on pense au public, on pense à la diffusion du savoir et de la culture. Dans mon esprit, il s'agit d'une rupture avec ces textes qui parlent de création mais qui servent surtout à défendre les intérêts des industries culturelles. Ici, on donne une part au public, en favorisant la diffusion du savoir, qui sera plus grande s'il n'y a pas d'obstacle financier.
Comme l'a dit notre rapporteur en commission, si l'on maintient cette suppression, on va alimenter la caisse des « irrépartissables », qui sert à financer des actions relèvant de l'État et des collectivités locales.
Il s'agit d'une question très politique : à partir du moment où l'argent des droits d'auteur ne peut pas aller aux auteurs, à qui doit-il aller ? Le système actuel oriente cet argent exclusivement vers des actions en faveur des auteurs et de la création. Il est proposé de l'orienter vers la promotion de la lecture publique, ce qui est très bien.
En revanche, on refuse de laisser la moindre place au public alors qu'il est tout à fait possible de ne pas percevoir tout ou partie de ces droits orphelins. En supprimant ou en abaissant l'obstacle financier à une plus grande diffusion de ces oeuvres, on favorise la diffusion du savoir et de la culture, ce qui est tout aussi légitime que de financer des actions de promotion de la lecture publique.
Les sénateurs avaient trouvé un point d'équilibre qui me donnait satisfaction ; je trouve dommage qu'on le supprime.
La commission n'a pas examiné l'amendement n° 24 , auquel je suis défavorable à titre personnel, et elle a repoussé l'amendement n° 14 .
Je ne vais pas reprendre ce que j'ai déjà dit à propos du droit d'auteur. J'ajoute toutefois que, si ces amendements étaient adoptés, cette nouvelle exception au droit d'auteur tarirait le flux des sommes « irrépartissables », dont on sait qu'elles pourraient être dirigées, conformément à notre souhait, vers des actions collectives pour promouvoir la lecture publique.
Ces amendements contraignent la société de gestion à autoriser quiconque à reproduire et à diffuser numériquement des livres dont aucun auteur n'aurait pu être retrouvé au bout de dix ans d'exploitation.
Mais le droit d'auteur, c'est à la fois le droit d'autoriser et le droit d'interdire l'utilisation de l'oeuvre. Or, où est ici le droit d'interdire cette utilisation ?
L'amendement dit que l'exploitation des ouvrages devra être autorisée par la société de gestion et il impose ainsi une obligation de dire oui, tout en interdisant de demander une contrepartie. L'obligation d'autoriser l'exploitation à titre gratuit, imposée ainsi à la SPRD, consacre bel et bien une exception au droit d'auteur. Une telle exception méconnaît gravement les engagements internationaux de la France. La Convention de Berne, ce texte qui a consacré à la fin du XIXe siècle certains grands principes de civilisation, pour lesquels nous nous sommes battus en précurseurs ; ce texte qui a nécessité un très long travail de conviction afin de susciter l'adhésion des autres nations ; ce texte que les États-Unis n'ont accepté de ratifier qu'à la fin du XXe siècle, nous devons le respecter scrupuleusement ; c'est une avancée et une victoire.
Or cette convention encadre clairement nos initiatives en termes d'exception et de dérogation au droit exclusif des auteurs. Nous ne devons en aucun cas porter atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre ni aux intérêts légitimes des auteurs. Les amendements considérés conduiraient à empêcher l'exploitation normale de l'oeuvre. Je l'ai expliqué en ouvrant cette séance : la loi porte sur des livres destinés à la commercialisation. Leur exploitation normale est commerciale. L'obligation de gratuité est une atteinte manifeste à ce principe.
Pour ces raisons, le Gouvernement est défavorable à ces amendements.
C'est un sujet politique dont nous débattons avec ces amendements.
Pour moi, la promotion de la lecture publique, mais aussi la promotion du spectacle vivant, l'aide à la création, ce sont des politiques publiques qui doivent être menées par des personnes publiques, à savoir l'État et les collectivités locales. Ce n'est pas le rôle des sociétés de gestion de droits d'auteur !
De plus, je trouve profondément malsain que ce soient les mêmes personnes qui répartissent les droits, et donc alimentent la caisse des irrépartissables, et qui décident de l'affectation de cet argent.
Il y a un risque évident de conflits d'intérêts, car ces actions des SPRD leur donnent un vrai pouvoir sur le milieu concerné. Qui prendrait le risque de fâcher un gros pourvoyeur de subventions ? Personne, bien entendu, vous le savez tous ! Alors, la tentation peut être grande de faire tomber un peu facilement dans les irrépartissables des sommes dont on pourrait trouver les bénéficiaires en cherchant un peu plus sérieusement.
Il faut couper le cordon et confier l'argent des irrépartissables à l'État ou aux collectivités publiques, en fléchant l'usage de ces sommes vers des politiques publiques bien précises.
Mes chers collègues, c'est un vrai choix politique que nous devons faire.
La reproduction et la représentation du livre sous forme numérique à titre gratuit doivent être autorisées par l'auteur. Nous sommes d'accord, il s'agit bien d'une autorisation.
En l'occurrence, c'est la société de perception et de répartition des droits qui prend la place de l'auteur. Je lis le texte de l'amendement : «…la reproduction et la représentation de ce livre sous une forme numérique sont autorisées par la société de perception et de répartition des droits…». Forcément, puisque c'est elle qui a les droits, c'est elle qui peut autoriser ! Mais que cela doive être autorisé par la société de perception et de répartition des droits ne veut pas dire que c'est obligatoire.
Notre amendement propose que les bibliothèques puissent utiliser ces livres à titre gratuit dès lors qu'aucun ayant droit n'a été retrouvé dans un délai de dix années après la délivrance de la première autorisation. Mais il ne s'agit pas d'une exception au droit d'auteur, puisque c'est la société qui prend la place de l'auteur pour délivrer l'autorisation de reproduire un livre à titre gratuit.
Dès lors, sur le plan économique, c'est peanuts ! Il s'agit seulement de quelques situations et, en aucun cas, cela ne remet en cause les irrépartissables ni le modèle économique – que nous saluons – mis en place par ce texte de loi.
(L'amendement n° 14 n'est pas adopté.)
(L'amendement n° 24 n'est pas adopté.)
(L'article 1er, amendé, est adopté.)
L'article 1er bis a été supprimé par la commission. Je suis saisie d'un amendement n° 15 rectifié tendant à le rétablir.
La parole est à M. Marcel Rogemont.
Cet amendement vise à rétablir la définition de l'oeuvre orpheline. Je l'ai rappelé dans la discussion générale, il est utile de légiférer dans cet esprit, en lien avec la directive européenne.
Il s'agit de combler un vide juridique en introduisant dans le code de la propriété intellectuelle la définition de l'oeuvre orpheline. Nous devons le faire dans le cadre de ce texte et en conformité avec le projet de directive qui précise ce qu'est une oeuvre orpheline. Le texte de notre amendement n'est autre que la reprise de ce document – j'ai d'ailleurs demandé au ministre où en était son élaboration. Cela étant, j'estime utile de préciser dès maintenant dans la loi ce qu'est une oeuvre orpheline.
La commission a rejeté cet amendement pour deux raisons.
La première, c'est qu'il introduit une confusion entre la notion d'oeuvre orpheline et celle d'oeuvre indisponible. Or aujourd'hui, nous légiférons sur les oeuvres indisponibles.
La deuxième raison, qui est sans doute la plus importante, c'est que, pour l'instant, la directive n'a pas été publiée. Nous aurons, en temps et en heure, à nous prononcer sur la loi qui transposera la directive, mais nous n'en sommes pas encore là. Donc, il ne faut pas préjuger de ce que pourrait être cette définition, même si nous connaissons déjà des projets de rédaction que la Commission a publiés. Mais pour l'instant, ce ne sont que des projets, pas encore une directive adoptée.
Comme vous, monsieur Rogemont, je suis sensible au charme de l'expression « oeuvre orpheline », qui veut vraiment dire quelque chose. Et j'aimerais avoir la définition de l'oeuvre orpheline telle que Bruxelles envisage de la donner.
Cela étant, nous n'avons toujours pas la directive. J'en saurai peut-être plus le 9 février lorsque je me rendrai à Bruxelles et que l'orphelin – ou l'orpheline – retrouvera ses parents ! (Sourires.)
Voilà pourquoi, pour l'instant, j'estime plus sage d'émettre un avis défavorable à cet amendement.
(L'amendement n° 15 rectifié n'est pas adopté.)
Sur l'article 4, je suis saisie d'un amendement n° 3 .
La parole est à M. le ministre.
Dans la mesure où le Gouvernement a décidé de lever le gage prévu à l'article 4, ce dernier n'a plus lieu d'être.
En conséquence, l'article 4 est supprimé.
Nous avons achevé l'examen des articles de la proposition de loi.
La parole est à Mme Monique Boulestin, pour une explication de vote au nom du groupe SRC.
Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, le texte proposé par le Sénat méritait d'être amélioré : c'est tout le sens des amendements que nous avons proposés, tant en commission – où certains ont été adoptés, et je vous en remercie – que dans cet hémicycle.
Cependant, nous regrettons que la procédure accélérée à laquelle ce texte est soumis ne nous ait pas permis d'aborder les problèmes de fond. Je pense naturellement aux questions soulevées au cours de la discussion générale, qu'elles soient relatives à l'accord-cadre signé le 1er février 2011 ou qu'elles renvoient aux articles du Sénat qui ont été rejetés, en particulier la fameuse définition des oeuvres orphelines.
Cependant, l'économie générale du texte nous paraît constituer une avancée. Nous ne voulons donc pas bloquer un processus que nous voulons voir engager en faveur de la lecture publique et des bibliothèques et qui, par ailleurs, se soucie du sort réservé aux auteurs, aux ayants droit et aux éditeurs.
Nous espérons que nos échanges permettront, dans un avenir proche, l'émergence d'une autre proposition de loi centrée davantage sur les actions des bibliothèques.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous voterons la proposition de loi qui nous est soumise.
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
(L'ensemble de la proposition de loi est adopté.)
Prochaine séance, lundi 23 janvier à vingt et une heures trente :
Proposition de loi visant à sanctionner la violation du secret des affaires.
La séance est levée.
(La séance est levée à douze heures quarante.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,
Nicolas Véron