Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le texte qui est soumis aujourd'hui à notre examen est globalement positif.
Son but est de permettre la mise à la disposition du public des livres épuisés qu'il n'est pas possible de rééditer, faute d'autorisation des ayants droit, dont on a perdu la trace.
L'élargissement de l'offre culturelle ne peut être qu'une bonne chose, et cette loi permet de lever l'un des problèmes lié à une durée des droits, excessive à mon avis, jusqu'à soixante-dix ans après la mort de l'auteur. Cela laisse largement le temps de perdre la trace des héritiers, surtout quand ce sont des collatéraux qui, parfois, ignorent qu'ils sont titulaires des droits.
Le Sénat a introduit une disposition que j'apprécie particulièrement, accordant un droit d'exploitation libre et gratuit pour les livres dont les ayants droit n'auraient pas été retrouvés au bout de dix ans.
Dans beaucoup de textes traitant de la culture, on fait la part belle aux intérêts des industries culturelles, en oubliant, trop souvent à mon goût, les intérêts du public. Je suis donc heureux qu'on ait enfin pensé au public, et je milite pour le maintien de la disposition votée par le Sénat à ce sujet.
Je souhaite également que nous apportions quelques modifications à ce texte, que l'on sent écrit par les éditeurs, pour les éditeurs. Leurs demandes ne sont pas forcément illégitimes, mais c'est nous qui écrivons la loi, en tenant compte des différentes positions, celle des éditeurs bien entendu, mais aussi celle des auteurs, dans leur diversité, dans une optique d'accès le plus large possible du public au savoir et à la culture.
Le premier point qui m'interpelle est l'atteinte que l'on porte au principe du droit exclusif de l'auteur d'autoriser l'exploitation et la diffusion de son oeuvre. Même si c'est pour des raisons solides et justifiées, ce texte organise un contournement de l'autorisation des ayants droit, et donc, de fait, du droit exclusif.
On semble oublier au passage que le titulaire du droit d'auteur, c'est l'auteur, et pas l'éditeur. Ce dernier peut avoir des droits, mais distincts de ceux de l'auteur, et l'éditeur ne peut en aucun cas déposséder l'auteur de ses droits, notamment du droit moral. Il est nécessaire d'être prudent, car nous ouvrons ici une brèche qui pourrait être transposée dans d'autres domaines culturels.
Le deuxième point qui me dérange est la conception beaucoup trop étroite du livre. Pourquoi se limiter aux livres publiés par les éditeurs dans un but commercial ? Je propose que ce système puisse s'étendre à tous les livres publiés. Cela n'empêchera pas les éditeurs de reprendre les livres susceptibles de les intéresser, et cela permettra de ressortir de l'oubli des livres qui ont été auto-édités.
Le troisième point qui me pose problème est le parti pris, quasiment explicite dans ce texte, qui veut que l'auteur publie pour gagner de l'argent. Je ne suis pas d'accord avec cette vision des choses, et bien des auteurs me l'ont dit : ils publient avant tout pour être lus. C'est leur éditeur qui édite pour gagner de l'argent.
Il y a donc deux intérêts bien distincts, que l'on a trop tendance à confondre, parce que cela arrange bien les éditeurs. Beaucoup d'ayants droit, enfants et petits-enfants d'auteurs, sont disposés à renoncer à toute rémunération, qui ne sera pas bien élevée dans la plupart des cas, pour permettre aux livres de leur père ou grand-père d'être tirés de l'oubli et lus à nouveau.
Dans un certain nombre de domaines, et notamment celui du savoir universitaire, mais également de l'érudition, c'est dès la publication que l'auteur renonce à toute rémunération, car son but est la diffusion du savoir.
Pourquoi, alors qu'un auteur a explicitement renoncé à toute rémunération autre qu'un éventuel forfait payé au moment de la publication, présumer après son décès qu'il souhaitait forcément exploiter financièrement ses droits ?
Mes chers collègues, quand un livre est susceptible de rapporter de l'argent, les droits sont rarement orphelins, et s'ils le sont, les recherches sont faites avec diligence. Ce texte peut effectivement répondre à quelques cas où un best-seller est réellement orphelin, mais de grâce, n'en restons pas à cette vision étriquée.
Nous avons une occasion unique de remettre entre les mains du public, par la publication numérique, des textes qui ne demandent qu'à revivre, grâce à des auteurs et des ayants droit qui souvent, presque toujours même, sont prêts à renoncer aux revenus pour que l'oeuvre soit à nouveau lue. Ne ratons pas cette occasion.
Quelques modifications mineures suffisent pour concilier les intérêts de tous.
Le rapporteur l'a souligné en commission, l'équilibre à trouver entre l'intérêt des créateurs, celui des ayants droit – qui ne sont pas forcément des créateurs – et celui du public est toujours délicat à trouver. Même si je trouve qu'il ne va pas assez loin en faveur du public, voilà un texte venant de la commission des affaires culturelles que je peux voter. Cela ne m'est pas arrivé depuis bien longtemps, il serait dommage, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, de manquer ce rendez-vous !