La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à vingt-deux heures.)
L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi relatif à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité (nos 2400, 2814, 2782).
Le temps de parole restant pour la discussion de ce texte est de deux heures pour le groupe UMP, dont 125 amendements restent en discussion ; deux heures vingt-cinq minutes pour le groupe SRC, dont 127 amendements restent en discussion ; une heure trente-cinq minutes pour le groupe GDR, dont 81 amendements restent en discussion ; quatre heures deux minutes pour le groupe Nouveau Centre, dont 18 amendements restent en discussion, et vingt-trois minutes pour les députés non inscrits.
Cet après-midi, l'Assemblée a poursuivi l'examen des articles, s'arrêtant à l'article 21.
La parole est à Mme Sandrine Mazetier, pour soutenir l'amendement, n° 544 , tendant à la suppression de l'article 21.
La parole est à M. Thierry Mariani, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
Madame la présidente, je vous demande une suspension de séance de quelques minutes. (Rires et exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Article 21
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt-deux heures cinq, est reprise à vingt-deux heures quinze.)
Je souhaite m'exprimer sur l'article 21 pour expliciter ses différentes dispositions.
Plusieurs députés du groupe SRC. Ce n'est pas un rappel au règlement !
La carte portant la mention « compétences et talents » est délivrée à des personnes susceptibles de participer, du fait de leurs compétences et de leurs talents, de façon significative et durable au développement économique, voire au rayonnement, intellectuel, culturel ou sportif de la France. La carte est valable trois ans. Elle est entrée en vigueur au deuxième trimestre de l'année 2008, date à laquelle les critères sur la base desquels elle peut être délivrée ainsi que les mesures d'application nécessaires sont parus au Journal officiel.
En 2008 et 2009, 1 077 exemplaires ont été délivrés, avec une augmentation de 25 % sur les douze derniers mois. L'étude d'impact accompagnant le projet de loi indique que les principales nationalités d'origine des bénéficiaires sont restées les mêmes : 268 ressortissants japonais, soit près du quart du total ; 126 tunisiens et 104 ressortissants chinois. Les titulaires sont majoritairement jeunes, ils sont le plus souvent – au risque de déplaire – très qualifiés.
Les modifications apportées par l'article 21 au dispositif de la carte « compétence et talents » visent principalement à en simplifier le cadre juridique.
D'abord, la délégalisation des dispositions de nature réglementaire relatives à la commission nationale des compétences et talents.
Ensuite, la suppression de certaines contraintes exigées des ressortissants de la zone de solidarité prioritaire, laquelle est composée de pays où le Gouvernement considère que l'aide publique au développement peut produire un effet particulièrement utile au développement des institutions, de la société et de l'économie. La version en vigueur a été établie le 14 février 2002. Le comité interministériel de la coopération internationale et du développement est chargé d'en faire évoluer les contours selon la situation des pays qui la composent.
Les ressortissants des pays de cette zone peuvent bénéficier de l'octroi de la carte « compétences et talents », sous réserve de certaines conditions spécifiques.
En premier lieu, la France doit avoir conclu avec le pays d'origine du bénéficiaire un accord de partenariat pour le codéveloppement ou bien l'intéressé doit s'engager à retourner dans son pays d'origine au terme d'une période maximale de six ans.
En second lieu, le titulaire de la carte est tenu d'apporter son concours, pendant la durée de validité de son titre de séjour, à une action de coopération ou d'investissement économique définie par la France avec le pays dont il a la nationalité. Avec le recul, cette dernière exigence présente un double inconvénient.
Elle crée tout d'abord des contraintes supplémentaires pour le public concerné, alors même que d'autres garanties sont prévues pour éviter un départ sans contrepartie des cerveaux des pays en voie de développement.
Ces inconvénients expliquent en partie la relative désaffection des ressortissants des pays de la zone de solidarité prioritaire pour la carte « compétences et talents ». En 2008, 150 cartes avaient été délivrées à des étrangers qui étaient issus de cette zone ; en 2009 leur nombre a atteint 183.
Soucieux de redynamiser l'attractivité du dispositif à l'égard des ressortissants des pays de la zone de solidarité prioritaire, le Gouvernement souhaite, par l'article 21, alléger les contraintes qui leur sont imposées, notamment au titre de l'article L. 315-6 du CESEDA.
Monsieur Diard, vous ne serez pas surpris si je vous dis que vous n'étiez pas dans le cadre d'un rappel au règlement au sens de l'article 58. C'est la raison pour laquelle le temps de votre intervention sera décompté du temps de parole de votre groupe.
Nous en revenons à l'examen de l'amendement n° 544 . Quel est l'avis de la commission sur cet amendement ?
Défavorable.
L'article 21 procède en premier lieu à la délégalisation de dispositions de nature plus réglementaires que législatives. Le législateur, singulièrement la commission des lois ne peut qu'être sensibles au respect des domaines respectifs de la loi et du règlement.
J'ai personnellement participé à la délivrance de cartes « compétences et talents ». Je pense que le dispositif était généreux et intelligent, mais, comme c'est le cas trop souvent dans cet hémicycle, on le complexifie.
Depuis 2002, j'ai participé à toutes les discussions législatives concernant l'immigration. Je me souviens très bien pourquoi il a été ajouté à un moment : « Les personnes qui apportent leur concours à une action de coopération et d'investissement en faveur de leur pays d'origine. » Cependant cela est la plupart du temps inapplicable. Certaines personnes qui peuvent venir en France choisissent, compte tenu de leurs qualités d'aller dans d'autres pays. La suppression de la disposition prévue par l'article 21 va dans le bon sens, car cela simplifie le dispositif en enlevant une clause certes louable, mais inapplicable sur le terrain.
La parole est à M. le ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire, pour donner l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 544
La parole est à Mme Sandrine Mazetier, pour soutenir l'amendement, n° 545 , portant article additionnel après l'article 21.
Il est défendu.
(L'amendement n° 545 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Avis défavorable. Nous avons déjà eu ce débat lors d'un article précédent sur la kafala.
(L'amendement n° 546 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.)
La parole est à M. Étienne Pinte, premier orateur inscrit sur l'article 21 ter.
Madame la présidente, j'ai déposé, avec Mme Françoise Hostalier, un amendement de suppression de l'article.
La notion d'absence d'intention matrimoniale nous semble extrêmement subjective. Comment décidera-t-on qu'un étranger a volontairement trompé son conjoint sur ses sentiments ? Comment faire la distinction entre une personne qui n'a jamais éprouvé de sentiments pour son conjoint et une autre dont les sentiments se sont peut-être peu à peu émoussés ?
Les enquêtes menées dans le cadre de la vérification de la validité des mariages sont déjà parfois extrêmement intrusives et portent atteinte au droit à l'intimité.
Rappelons que certains couples mixtes sont confrontés à un véritable parcours du combattant.
L'absence d'intention matrimoniale me semble absurde et pose le problème de la preuve. La peine d'emprisonnement prévue, de sept ans, est totalement hors de proportion.
Je vais rappeler des choses évidentes et je crois que nous serons tous d'accord.
Le mariage repose sur l'échange de consentements et sur la volonté commune d'entretenir une communauté de vie. Je réponds en cela à notre collègue Étienne Pinte. Le dispositif actuel ne fait pas la différence entre les mariages gris et les mariages blancs, qui entrent tous les deux dans la famille des mariages simulés.
Le mariage gris – pardon, le mariage mixte – …
Parlez de ce que vous connaissez, madame Mazetier.
Les mariages mixtes sont formidables – ils sont très nombreux en France – parce qu'à mes yeux l'amour n'a pas de frontières. Nous devons absolument défendre ces mariages.
Les mariages blancs sont des mariages de complaisance et ils sont punis par la loi. Les deux personnes qui s'unissent sont d'accord.
Le concept de mariage gris est entendu comme un mariage conclu par des époux, dont l'un vise exclusivement, au moyen de cette union, l'obtention d'un titre de séjour ou la nationalité française ou à faire échec à une mesure d'éloignement, au détriment du consentement et de la bonne foi de l'autre époux engagé dans une intention matrimoniale réelle. C'est donc bien un détournement de l'institution du mariage.
Les séparations malheureuses et les réactions du conjoint qui ont pu faire l'objet de tromperies au sentiment interviennent fréquemment dès l'obtention d'un titre de séjour, renouvelable tous les ans.
Les manifestations sont faciles à déceler. Le conjoint quitte le domicile conjugal. L'autre conjoint est blessé, les enfants sont pris en otages. Il y a une véritable trahison. Parfois, les victimes sont délestées de leur argent. De manière générale, le phénomène concerne les personnes les plus fragiles, bien souvent dans des milieux défavorisés ou auprès des femmes seules ou ayant un enfant.
Les futures victimes sont fréquemment sans emploi ou ont connu des déboires amoureux ou sont des célibataires en mal d'amour. Pour la plupart les victimes sont des Français issus de l'immigration. Elles sont donc victimes et c'est à elles que je pense. C'est la raison pour laquelle je suis ravie que l'amendement que j'ai déposé ait été retenu par la commission pour devenir l'article 21 ter.
L'insuffisance des connaissances de ce phénomène, comme l'absence d'une définition claire, ne permet pas de prévenir et de lutter efficacement contre ce phénomène, ni même de protéger de façon pertinente celles et ceux qui en sont victimes. La présidence d'un groupe de travail qui m'a été confiée me permet d'apporter des solutions multiples. Les mesures de prévention, d'information sont fondamentales. En effet, beaucoup de personnes ignorent aujourd'hui l'existence même des mariages gris.
Cependant le plus effrayant, c'est sans doute le développement de très nombreux réseaux sur Internet, allant jusqu'à livrer le mode d'emploi pour piéger les victimes, afin d'obtenir le titre de séjour. Ces réseaux, croyez-moi, sont très bien organisés. Je vous propose d'agir sur deux plans : la prévention et l'information en en parlant davantage. Il faut expliquer aux hommes et aux femmes, car les deux peuvent être victimes de ces mariages gris. Bien que vous soyez nombreux à être des élus, beaucoup ne connaissaient pas les mariages gris. Cela passe donc aussi par la formation des élus.
L'information et la prévention sont donc absolument indispensables.
La formation des élus est également nécessaire, car vous êtes nombreux à n'avoir pas eu connaissance de l'existence des mariages gris. Les personnels administratifs, la police et la gendarmerie doivent aussi être concernés par une formation en ce domaine.
Dans le cadre de la prévention, je propose un guide. Mon amendement, retenu par la commission, propose de renforcer les articles L. 623-1 et L. 623-3 du CESEDA selon lesquels le fait de contracter un mariage ou de reconnaître un enfant aux seules fins d'obtenir ou de faire obtenir un titre de séjour ou le bénéfice d'une protection contre l'éloignement ou aux seules fins d'acquérir ou de faire acquérir la nationalité française est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. Je peux vous assurer que ces sanctions ne sont pas dissuasives pour les escrocs. Ces mêmes peines sont applicables en cas d'organisation ou de tentative d'organisation d'un mariage ou d'une reconnaissance d'enfant aux mêmes fins.
Voilà pourquoi je propose cet amendement et que je vous demande de me suivre. N'oublions pas qu'il y a des victimes de ces mariages. Nous nous situons au plan des sentiments, domaine qui touche même aux droits de l'homme. Je défendrai donc mon amendement avec la plus grande détermination et je demande à ceux qui s'y opposent de retirer leurs amendements.
Claude Greff est assurément animée par des intentions sincères, prométhéennes.
Notre collègue souhaite en effet protéger chacun de nos concitoyens, quelle que soit sa nationalité ou son âge, des vertiges…
…de toute relation humaine. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Personne ! Qui peut sonder le coeur d'un couple ? Personne !
Votre lapsus, chère collègue, était révélateur lorsque vous avez parlé de mariage mixte à la place de mariage gris. Ce n'est pas l'insincérité des intentions matrimoniales qui vous préoccupent, mais le fait qu'un étranger contracte un mariage. Votre proposition est donc tout à fait inapplicable.
Vous donnez un signal. Vous contribuez à cette vaste entreprise visant à jeter la suspicion sur les étrangers qui sont, par définition, forcément fraudeurs, clandestins et animés de mauvaises intentions. Vous ne condamnez pas l'insincérité des intentions matrimoniales en général, mais vous ciblez celles, en particulier, des étrangers, que vous punissez. (Bruits sur les bancs du groupe UMP.)
Madame la présidente, j'ai du mal à me faire entendre, ma voix est fatiguée…
Vous seule, madame Mazetier, avez la parole. Merci de demander à vos collègues de vous entendre.
Mes collègues sont inspirés par l'amour et le désamour, et je les comprends. C'est un beau sujet littéraire, mais je ne suis pas sûre que ce soit un sujet législatif. Cela est si vrai que l'expression « intention matrimoniale » n'existe pas dans le code civil. D'où la tirez-vous, madame Greff ? D'une circulaire de la Chancellerie, datée du 2 mai 2005 relative aux mariages de complaisance C'est à ce moment précis qu'est apparue cette expression : « La notion de mariage simulée peut s'entendre de tout mariage qui ne repose pas sur une volonté libre et éclairée de vouloir se prendre pour mari et femme, qu'il ait été conclu exclusivement à des fins migratoires ou pour obtenir un avantage professionnel, social, fiscal ou successoral. » Autant dire que c'est le cas de très nombreux mariages contractés – des années après qu'un couple se soit uni et ait eu des enfants – pour régler des successions ou protéger les enfants. N'importe quel notaire vous le dira.
Vous nous entraînez sur des terrains glissants et aucun tribunal ne pourra établir l'insincérité d'un mariage, mais tel n'est pas votre propos, votre lapsus étant révélateur à cet égard.
Vous avez bien voulu admettre que les hommes aussi pouvaient connaître des déceptions et des chagrins d'amour.
J'ai participé, avec le rapporteur, à une mission d'évaluation en Russie. Nous avons pu constater que beaucoup d'hommes de nationalité française avaient connu des déconvenues. Les femmes ne sont pas les seules à souffrir dans ce domaine. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) En toute sororité, je vous propose, chère Claude Greff, d'abandonner cette posture victimaire ; les femmes valent mieux !
Permettez-moi de vous lire quelques pages très intéressantes extraites d'un ouvrage rédigé à l'usage des femmes. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Un chapitre intitulé « Un mariage sans importance » débute ainsi : 15 octobre 1983, mairie de Saint-Didier-au-Mont-d'Or, Rhône. Le maire énonce les principes bien connus du code civil. Les époux se doivent mutuellement fidélité, secours, assistance. Éric l'interrompt alors d'une voix claire : secours, assistance, oui ; fidélité, non ! Stupeur dans l'assistance. Quelques rires dont celui de ma mère, jaune. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe UMP)
Le maire m'interroge du regard. Doit-il suspendre la cérémonie comme, j'imagine, la loi l'exige ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Je ne sais pas comment réagir. Depuis que je suis toute petite, mes parents m'ont inculqué l'idée qu'il ne faut pas se faire remarquer.
À la perspective de mettre fin immédiatement à ce mariage, de blesser et d'humilier ma mère qui a passé du temps à tout préparer pour le repas qui va suivre, de voir chacun se lever, peiné, et se séparer sur cette déclaration intempestive, tout mon courage m'abandonne, mes principes aussi. Je prends sur moi. « Il plaisante, monsieur le maire, il plaisante, vous pouvez continuer. » L'édile obtempère. Au fond de moi, je suis humiliée, mais j'ai horreur du scandale surtout sur des questions aussi intimes. »
Je n'irai pas plus loin dans ma lecture et je ne citerai ni l'auteur ni l'acteur de cet épisode. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
J'imagine que certains l'auront reconnu.
Je veux souligner par là que le mariage, l'union, les relations humaines relèvent du domaine de l'intime et nul tribunal ne pourra sonder les intentions. Aucune intention n'est suspecte a priori. (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Relisez les articles du code civil !Vous savez fort bien, pour avoir célébré des mariages, que nous ne demandons jamais rien sur la sincérité des intentions matrimoniales, tant nous serions en peine de les établir. Il y a de l'ubris à vouloir normer ou protéger nos concitoyennes et nos concitoyens des vertiges de l'amour ou du désamour. Or tel n'est évidemment pas votre but, chère collègue.
Vous participez seulement à cette vaste opération qui tend à assimiler tout mariage mixte à un mariage suspect, un mariage blanc. Comme cela ne vous suffisait pas, vous l'avez élargie aux mariages gris. Cela ne veut rien dire et tout, dans vos propositions, prouve que cela ne tiendra pas devant un tribunal.
Monsieur le rapporteur, je connais votre détermination à lutter contre les mariages gris. J'ai moi-même rencontré des personnes qui se sont senties trahies, voire escroquées dans leurs sentiments en constatant que la motivation première de leur mariage était l'obtention de papiers. (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP.)
Je ne nie bien sûr pas l'existence de telles situations, mais je m'inquiète d'une mesure qui prétendrait entrer dans le conscient ou le subconscient d'un individu pour déterminer à coup sûr quelles étaient ses motivations pour se marier. J'y vois plusieurs dangers.
Nous savons aujourd'hui qu'en cas de rupture de la vie commune pendant la période probatoire, l'étranger est bien souvent dénoncé aux autorités par son conjoint. Cela peut être dans le couple un objet de chantage, qui permet de nombreuses dérives. C'est la raison pour laquelle la loi sur les violences faites aux femmes, votée dans cet hémicycle à l'unanimité, a voulu offrir un certain nombre de garanties pour que celles et ceux qui subissent des violences – y compris psychologiques – dans leur couple puissent mettre fin à la vie commune sans risquer de perdre leur titre de séjour.
En effet ce chantage pourra perdurer au-delà des premières années de mariage : « Si tu me quittes, je dirai que tu ne m'as épousé que pour les papiers et je te ferai expulser. »
Ne sous-estimons pas les risques de cette reconstruction a posteriori decelui qui est quitté à sous-estimer sa propre responsabilité et à ne vouloir y voir que de la malhonnêteté de la part de celui ou de celle qu'il a aimé.
Je n'ai pas dit le contraire, j'essaie de développer un autre raisonnement.
Il faut absolument se garder de cette caricature qui voudrait que l'étranger soit essentiellement motivé par les papiers alors que le Français ou le résident ne le serait que par amour sincère. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)
Samedi dernier, j'ai rencontré un homme d'une cinquantaine d'années qui avait fait la connaissance de son épouse africaine, de trente ans plus jeune que lui, sur internet. Il se scandalisait qu'elle ait pu demander le divorce maintenant qu'elle disposait de la nationalité française. Or quelles étaient ses motivations pour épouser une femme qu'il ne connaissait pas ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.- Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) N'est-ce pas abuser de son statut de Français et de la promesse d'accès au territoire français que constituait ce mariage (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC ), exploiter ce désir de papiers français pour « acheter une femme » qu'il n'aurait pu séduire si elle n'avait pas été étrangère ?
Je refuse donc de soupçonner le seul ressortissant étranger lorsque les motivations du Français ne sont parfois pas plus avouables ni moins désintéressées. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Le sentiment amoureux est complexe, de multiforme dans lequel, c'est vrai, l'aspiration à élever son statut social joue souvent un rôle y compris entre les Français, mais je ne crois pas que l'on doive ni même que l'on puisse prendre prétexte de cette aspiration pour réduire le mariage à cette seule dimension et nier l'existence de sentiments. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Je m'étonne que la majorité, qui prône le libéralisme à tous crins, adopte une posture qui déresponsabilise les individus. Démonstration vient d'être faite que les victimes ne sont simplement que les victimes de ce qu'ils ont fomenté et qui les rend également coupables.
Nos responsabilités nous ont parfois conduits à saisir le procureur de la République lorsque nous considérions qu'un mariage pouvait être suspect, en tout cas tout lorsque nous nous interrogions.
Néanmoins, je ne me suis posé aucune question sur la quasi-totalité des mariages que j'ai célébrés, parce que nous disposions au préalable des moyens de nous interroger sur leur bien-fondé…
…et parce que, dès lors que les gens sont en face de moi, je considère qu'ils sont responsables de leurs actes. À mes yeux, en effet, le mariage n'est pas un acte mineur de la vie.
Celui ou celle qui se marie – celui et celle qui se marient, puisqu'il faut être deux pour cela (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et NC),…
…le font en connaissance de cause. A priori, la plupart du temps, ils savent ce qu'ils font, dans tous les domaines ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Deuxièmement, si j'ai bien compris, dans cet article et dans l'amendement dont il est issu, à partir du moment où il y a séparation, il y a suspicion.
Non : cela s'appelle le divorce ! Cela n'a rien à voir ! Ne mélangez pas tout !
Si ! A moins que vous ne nous disiez à partir de combien d'années de mariage on peut dire si les intentions des conjoints étaient sincères ou non ! Deux ans ? Trois mois ? Deux jours ? Quinze jours ?
Cela n'a donc aucun sens : la sincérité ne pourra jamais être prouvée.
Je rejoins ce qui vient d'être dit. Il m'est arrivé comme maire, et il m'arrive encore comme député, de recevoir des personnes qui disent avoir été abusées.
Cela ne va pas toujours dans le même sens : il y a autant d'hommes que de femmes parmi les victimes.
Cependant, bien souvent, lorsque l'on étudie plus précisément la situation, on s'aperçoit que la personne trompée n'est pas nécessairement celle qui vient me voir : ce peut être l'autre !
En effet, le chantage sur le thème « si tu continues comme ça, j'irai te dénoncer et je dirai qu'on s'est mariés parce que tu cherchais à avoir des papiers » existe aussi. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Ne cherchez donc pas toujours les victimes dans un seul camp : elles peuvent aussi être dans l'autre.
Je suis tout à fait d'accord avec Patrick Braouezec. En effet, alors que l'acte du mariage…
… engage ceux qui le concluent, il est un peu curieux de voir la majorité les déresponsabiliser totalement.
Dans ce cas, vous n'auriez pas dû autoriser les jeux en ligne (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP),…
…puisque vous voulez protéger les gens de tout ce qui peut leur arriver. C'est exactement la même chose : vous les avez autorisés alors que vous savez pertinemment qu'il y aura des victimes, qu'elles développeront des addictions, etc. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Il faudrait aussi interdire les chevaux ? C'est scandaleux, ce que vous dites !
Il existe une responsabilité personnelle, qui s'exerce notamment face au mariage. Je le répète, Patrick Braouezec a eu parfaitement raison de le rappeler.
Surtout, cette disposition est dangereuse et inapplicable. Dangereuse, d'abord, parce que vous allez créer des situations inextricables : dans des couples qui se déchirent – cela arrive, qu'ils soient mixtes ou non –,…
…le conjoint sera tenté d'utiliser cette disposition pour casser le mariage. Ces situations inadmissibles entraîneront un préjudice manifeste pour l'étranger, qu'il s'agisse d'un homme ou d'une femme.
Ensuite, les juges auront beaucoup de mal à appliquer cette disposition. On verra le sort qui lui sera réservé ; quoi qu'il en soit, il sera évidemment difficile aux juges de prouver que l'intention matrimoniale était absente.
Je suis bien consciente du fait que Claude Greff souhaite lutter contre la violence faite aux femmes, notamment ; mais cet article recouvre un tout autre domaine.
Lors du mariage d'un Français ou d'une Française avec un étranger ou une étrangère, il faut d'abord vérifier, au moment où l'on établit les documents administratifs, que toutes les garanties sont réunies pour que chacun soit bien informé des intentions de l'autre.
Or je peux vous dire, pour en connaître, que la constitution de ces dossiers est suffisamment complexe pour permettre toutes les vérifications nécessaires.
Madame Greff, s'il vous plaît ! Madame Hostalier, poursuivez, je vous prie.
C'est ensuite à l'élu qui célébrera le mariage de vérifier que, connaissant les personnes en cause, le mariage ne posera pas de problème par la suite.
Quant à l'évolution des relations au sein du couple, comment savoir si leur dégradation vient du fait que l'un des deux conjoints était mal intentionné d'emblée ou s'ils ont simplement des problèmes ?
Ce motif servirait alors à appuyer un divorce qui ne serait pas ordinaire, mais entraînerait des sanctions terribles pour l'un des deux conjoints.
Il faut donc recourir à des mesures visant à lutter contre les mariages forcés…
…et contre les violences faites aux femmes, et à bien les appliquer. Néanmoins, eu égard à l'objectif poursuivi, cet article est tout à fait malvenu. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
J'abonderai dans le sens de Mme Hostalier et, avant elle, de mes collègues de gauche et de M. Pinte.
En effet, ce que nous propose Mme Greff, c'est tout simplement d'instaurer une sorte de police des sentiments, qui n'a d'autre objectif que de fragiliser un peu plus les mariages mixtes. Or je rappelle à notre collègue, qui voudrait nous faire croire que ces mariages entraînent un désordre social terrible et qu'ils sont un véritable fléau, que les mariages de complaisance annulés représentent 0,45 % des mariages mixtes.
Cette statistique date de 2004 et n'a pas évolué depuis. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Vous insistez donc sur une question qui n'est pas un problème. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
Arrêtez, s'il vous plaît, madame ! Essayez d'abord de vous calmer. On ne vous a pas beaucoup vue depuis le début de cette discussion (Protestations sur les bancs du groupe UMP)…
Je comprends très bien que vous soyez attachée à cet amendement, dont vous avez obtenu qu'il soit accepté par la commission des lois. C'est formidable : vous allez pouvoir retourner dans votre circonscription en disant : « Regardez, j'ai gagné ! ».
Toutefois ce n'est pas là l'essentiel ; l'essentiel, c'est que vous êtes en train de participer à une opération délibérée, calculée, du Gouvernement. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois : à plusieurs reprises, vous avez pris prétexte d'un projet de loi pour fragiliser un peu plus les mariages mixtes.
Je le répète ici avec solennité : quand M. Besson nous parle de « mariage gris », je replace cet usage des mots dans son contexte et j'insiste sur le sens que l'on peut lui donner, car chacun sait que, dans le Sud-Est, le « gris », c'est l'Arabe. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.) C'est comme le « melon » : c'est exactement la même chose !
Cette invention verbale a donc des connotations extrêmement dangereuses, qui montrent bien l'esprit qui est le vôtre.
Oui, on peut aller à Marseille, et ailleurs ; vous savez très bien en quel sens et par qui ce mot de « gris » y est utilisé. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
Vous pouvez bien faire étalage de vos bons sentiments : sur le dos des victimes et sous prétexte de les défendre, vous aggravez les soupçons qui pèsent sur les mariages mixtes. En réalité, vous ne cherchez pas du tout à défendre les victimes, mais bien à mettre un peu plus en péril les étrangers qui épousent des Français.
Nombre d'entre nous exercent la responsabilité non seulement de député, mais aussi de maire. Or, en tant que maires,…
…nous n'avons pas à nous immiscer dans la démarche individuelle et responsable de ceux qui ont choisi de se marier. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
Il se peut que des mariages soient organisés pour faciliter une régularisation.
Dans d'autres cas, certains profitent de la position difficile dans laquelle se trouvent des ressortissants de pays pauvres. C'est une forme de néocolonialisme, qu'a illustrée l'exemple de cette malheureuse Africaine et du monsieur qui avait trente ans de plus qu'elle.
Arrêtez donc de nous faire croire que vous êtes là pour défendre les victimes !
Vous en rajoutez même un peu en ajoutant qu'il n'y a pas que les femmes, qu'il y a aussi les hommes. Nous ne marchons pas dans votre combine…
Nous, nous ne marchons pas dans les vôtres, monsieur Mamère ! Et nous ne le ferons jamais !
…et nous ne nous laisserons pas piéger.
Pour ces raisons, nous demandons la suppression de l'article 21 ter.
La parole est à Mme George Pau-Langevin, pour soutenir l'amendement n° 547 .
Nous en revenons à la notion de « mariage gris ».
Je comprends ce que dit Mme Greff : nous avons tous reçu des femmes et des hommes qui ont eu l'impression, lorsque le couple s'est délité, d'avoir été trompés…
…et qui, sous l'effet du chagrin, nous disent beaucoup de choses très négatives sur leur conjoint.
Je rappelle toutefois que, à Paris, près d'un mariage sur deux se termine par un divorce et chaque fois, de la même façon : l'un des époux vient nous dire que c'est épouvantable, qu'il a été trompé, et accuse l'autre de tous les maux. Si on devait toujours appliquer à l'objet de son courroux des sanctions pénales, des peines de sept ans d'emprisonnement, on n'en sortirait pas !
Vous ne vous rendez pas compte de ce qu'est l'état psychologique d'une personne dont le mariage, pour des raisons diverses, est un échec. Dans cette situation, on est prêt à accuser l'autre de tout ! Si vous ne faites pas preuve d'un minimum de prudence, vous réinterprétez a posteriori l'intention de la personne au moment où elle s'est mariée, et on en arrive à des situations inacceptables.
Je le répète, je comprends l'objet de votre amendement, madame Greff, car nous avons tous reçu des gens déçus, mais vous prenez un risque extrêmement élevé. Les magistrats eux-mêmes, qui sont pourtant très vigilants, ont bien du mal, dans les divorces, à démêler la vérité de l'effet de la passion ou de la déception. Dans ce domaine, le risque pour les libertés individuelles est grand.
Je vous conjure donc de renoncer à ce type de démarche, qui consiste à sonder la volonté qui était celle des gens au moment où ils se sont mariés, quelques années auparavant.
On peut vous reconnaître, monsieur Mamère, le mérite d'avoir de la suite dans les idées.
Vous nous aviez déjà dit que l'expression de « mariage gris » renvoyait à certaines insultes, et j'étais sûr que vous nous le répéteriez. Il faudra vraiment que vous nous dressiez la liste des mots à bannir de tout débat ! Contrairement à ce que vous croyez, il y a des mots qui n'ont pas de double sens ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Deuxièmement, monsieur Mamère, je savais que vous étiez un grand romantique ; je vous laisse la paternité de l'idée selon laquelle le mariage ne serait qu'un contrat comme un autre. J'ose penser pour ma part que le mariage est un peu plus qu'un contrat.
En droit civil, vous avez raison, mais le mariage est plus qu'un contrat.
Manifestement, je ne le partage pas avec notre collègue Mamère !
Pour parler sérieusement, nous avons tous reçu dans nos permanences des personnes qui ont été abusées par des Français ou par des non-Français. Le problème est évident.
Simplement, comme l'a souligné notre collègue Claude Greff, qui a beaucoup travaillé sur ce sujet, qui a animé un groupe chargé d'étudier cette question et s'y est investie depuis plusieurs mois, l'abus de la bonne foi du conjoint trompé par un étranger qui avait pour seul dessein l'obtention frauduleuse de documents l'autorisant à séjourner et à travailler en France doit être sanctionné.
L'amendement dont cet article est issu apporte des solutions justes au problème qui se pose. L'avis de la commission est donc défavorable aux amendements de suppression.
En premier lieu, je tiens à rendre hommage à Claude Greff qui a effectué un travail remarquable.
Elle ne s'est pas contentée de théorie ; elle est allée dans le monde réel.
Elle a rencontré beaucoup de victimes, pour l'essentiel des femmes, des représentants des associations qui les aident, des avocats, des magistrats et elle a essayé de réfléchir à la solution législative à apporter à ce problème bien réel.
Il est bien question d'escroquerie sentimentale et non de mariage mixte. Je suis extrêmement surpris que certains d'entre vous, sur les bancs de gauche essentiellement, même si j'ai entendu une ou deux voix en ce sens du côté de la majorité, puissent mettre en cause le fait que la loi essaie de protéger les femmes qui en sont victimes.
Vous n'avez pas bien entendu ce que vous a dit Claude Greff, me semble-t-il. Les victimes sont essentiellement des Françaises d'origine étrangère, abusées par des ressortissants des pays dont elles sont elles-mêmes originaires. Bien évidemment, nous ne disposons pas d'informations chiffrées à ce sujet parce que la Constitution et nos lois interdisent les statistiques ethniques mais nous savons que le mythe de la 100 % pure Française abusée qui serait censé hanter la majorité n'a rien à voir avec la réalité telle qu'elle apparaît concrètement dans les tribunaux qui ont à juger de ces affaires.
Je crois donc que certains auraient dû être plus nuancés.
Pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté, je répète que le Gouvernement n'a pas son mot à dire sur les mariages mixtes : en France, on aime qui on veut. Un tiers de nos concitoyens épouse un étranger ou une étrangère, nous n'avons ni à nous en réjouir ni à nous en attrister ; c'est un constat, un point c'est tout.
Mais ici, nous ne parlons que des mariages de complaisance. Et je suis surpris qu'une partie de votre assemblée donne le sentiment de découvrir que le concept de mariage de complaisance existe dans le droit français. Dois-je vous rappeler l'article L. 623-1 ?
Selon ses termes, « Le fait de contracter un mariage ou de reconnaître un enfant aux seules fins d'obtenir, ou de faire obtenir, un titre de séjour ou le bénéfice d'une protection contre l'éloignement, ou aux seules fins d'acquérir, ou de faire acquérir, la nationalité française est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. »
Que propose l'amendement de Claude Greff par rapport aux dispositions déjà existantes ?
Dans le mariage blanc, les deux conjoints sont complices : ils fraudent sciemment pour obtenir un titre de séjour. Dans un mariage gris, l'un des deux conjoints est sincère alors que l'autre le trompe sur ses intentions. Il s'agit de faire en sorte que celui qui abuse des sentiments sincères de son conjoint soit sanctionné plus sévèrement que les conjoints d'un mariage blanc. Je ne vois pas ce qui vous choque dans cette volonté.
Je voudrais rassurer Étienne Pinte sur un point : c'est au juge répressif qu'il appartient de déterminer si les éléments de fait permettent de caractériser l'infraction et d'établir l'intention fautive. Une telle procédure n'est pas propre aux mariages de complaisance. Il n'y a pas plus matière à subjectivité que dans d'autres infractions touchant à la vie privée ou intime. La difficulté de comprendre les raisons d'un divorce n'interdit pas en droit français la possibilité de divorcer. Les enquêtes doivent rassembler divers éléments susceptibles de permettre au juge de trancher et d'établir si l'infraction est ou non caractérisée.
Il n'y a donc pas d'originalité particulière dans cette disposition si ce n'est que le mariage gris, si votre assemblée et le Sénat adoptent l'article 21 ter, va désormais être davantage sanctionné que le mariage blanc.
Enfin, je veux dire à Noël Mamère que je suis extrêmement surpris par ses dérives. Cet après-midi, il nous expliquait que le Gouvernement créait un climat qui se prêtait aux profanations de cimetière.
Il a osé parler de « rafles » à propos de la reconduite, dans leur pays d'origine, de Roumains en situation irrégulière.
J'ai déjà répondu à cela tout à l'heure.
À présent, il nous redit, avec le mauvais goût dont il a fait montre la semaine dernière, que le mariage gris, c'est le mariage arabe.
Monsieur Mamère, sachez qu'il y a pire que le mariage blanc, pire que le mariage gris, c'est le mariage vert : le mariage du sectarisme et de l'incompétence ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Ce qu'a dit M. le ministre est parfait. J'y ajouterai trois choses, monsieur Mamère.
Premièrement, le mariage n'est pas seulement un contrat civil, c'est aussi une institution publique qui a des conséquences publiques.
Deuxièmement, les mariages font déjà l'objet de sanctions pénales.
Troisièmement, il faut savoir que sur les huit cents demandes d'annulation chaque année, 83 % concernent des mariages mixtes. Par conséquent, le mariage gris ou « vert-de-gris », si vous aimez ce genre d'humour coloré (Rires sur quelques bancs du groupe UMP), constitue bien un problème, et ce n'est pas en disant n'importe quoi que vous parviendrez à l'étouffer. Il faut mettre en place des sanctions.
Je dois dire que j'ai été choquée par les propos de mon collègue visant à comparer le mariage aux jeux en ligne. Se marier, c'est s'engager, et je peux vous certifier que ces mariages gris, qui reposent sur une véritable organisation, font des dégâts considérables sur le plan humain. C'est l'aspect humain, cher collègue, qui m'intéresse dans ces affaires : la personne abusée est traumatisée à vie, les enfants sont pris en otage dans des situations qui leur échappent.
Le concept de mariage gris, monsieur Mamère, a été inventé par les victimes de telles unions. Elles ne savaient pas à quelle catégorie se rattacher et partant du mariage blanc, où les deux conjoints s'accordent pour frauder, elles ont introduit l'idée de mariage gris où seul l'un des conjoints serait insincère.
, Ne mélangez donc pas tout, monsieur Mamère !
Aujourd'hui, il me semble important de parler de la notion de mariage gris à des fins préventives. Chacun de nos enfants peut en être victime. Plus nous en parlerons, plus les futurs mariés auront conscience que leur engagement ne saurait être pris à la légère et qu'ils doivent s'informer des procédures en vigueur dans le lieu d'origine de leur conjoint et avoir connaissance de leurs intentions. Il faut aussi que les élus comme vous, monsieur Mamère, s'interrogent et puissent, le moment venu, mettre tout en oeuvre pour protéger les victimes, de plus en plus nombreuses.
La passion qui m'anime m'a fait réagir. À vous entendre, on vivrait dans un monde merveilleux. Mais le monde des Bisounours, c'est fini !
J'aimerais rassurer Claude Greff et lui dire que nous sommes bien conscients des risques de violence conjugale liés à certains mariages contractés dans les conditions insatisfaisantes que vous indiquez. Personne ne conteste ici qu'il faille prendre des dispositions permettant de lutter contre ces dérives et les souffrances qu'elles occasionnent.
Dans ce climat de passion qui préside à nos débats, la question que nous devons nous poser est de savoir si la mesure que vous préconisez est efficace législativement…
…ou si elle remplit seulement une fonction tribunicienne permettant d'affirmer des choses qui font plaisir aux personnes qui ont envie de les entendre ?
À vrai dire, votre amendement pose plusieurs problèmes.
Premièrement, cette disposition n'est pas recevable d'un point de vue juridique car elle pose un problème de constitutionnalité au regard du principe d'égalité, principe général du droit auquel le juge constitutionnel doit se conformer. Vous visez en effet une catégorie particulière, celle des mariages mixtes, autrement dit les mariages où l'un des conjoints est un étranger. Si cette disposition s'appliquait à l'ensemble des ressortissants de notre territoire, qu'ils soient français ou étrangers, elle pourrait être recevable en droit. Or ce n'est pas le cas ; elle est donc inconstitutionnelle.
Deuxièmement – et je rejoins Étienne Pinte – se pose un problème de disproportion de la sanction pénale par rapport à la faute constatée, ce qui risque de déséquilibrer le droit pénal dans son ensemble. Car si nous appliquons des sanctions pénales disproportionnées à toutes les infractions, nous risquerions d'aller vers tous les excès.
Troisièmement, vous devriez avoir à l'esprit les déclarations du Président de la République selon lesquelles il faudrait délégiférer car nous ferions la loi dans cet hémicycle à la manière d'un palimpseste en ajoutant des dispositions législatives nouvelles à des dispositions législatives anciennes. Lorsque le droit de la famille est en jeu, il peut aujourd'hui être fait appel à un ensemble de dispositions extrêmement efficaces du code civil afin de sanctionner les dérives que vous dénoncez. Non seulement le droit pénal et le droit civil apportent des solutions juridiques aux problèmes que vous évoquez mais la proposition que vous faites risque d'engendrer des comportements sociaux extrêmement préjudiciables à la bonne résolution des problèmes familiaux lorsqu'ils seront jugés par les tribunaux.
Je ne nie pas les bonnes intentions qui animent votre amendement mais il est à craindre qu'à l'avenir, n'importe quelle personne, pour régler un divorce à son avantage, saisisse le prétexte du défaut que vous indiquez pour plomber son conjoint en faisant peser sur ses épaules toutes sortes de fautes n'ayant rien à voir avec la réalité du mariage telle qu'a été vécue par le couple. C'est une dérive extrêmement dangereuse car ce détournement irait à l'encontre des objectifs poursuivis.
Vous êtes un homme politique de droite, plutôt bien à droite. En ce qui me concerne, je suis un homme de gauche, plutôt bien à gauche. Chacun a le droit d'avoir les opinions qu'il veut, mais si nous ne partageons pas les mêmes valeurs, si nous ne nous accordons pas sur une même conception de la politique, je vous sais tout de même assez intelligent.
Vous avez demandé, sur un ton faussement courroucé, à M. Mamère de fournir la longue liste des mots et expressions qu'on ne pourrait pas utiliser parce que connotés. Cette liste, s'il fallait l'établir, serait en fait assez courte. Seuls quelques mots sont devenus, du fait de l'histoire, malheureux et d'un emploi à éviter pour ne pas faire de confusion. C'est le cas de l'adjectif « gris », et je partage le sentiment offusqué de notre collègue. De la même manière, depuis la Deuxième guerre mondiale, l'expression « bon Français » est éminemment connotée,…
…et M. le ministre, qui est un homme intelligent à défaut d'être un homme de conviction (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), le sait bien. D'ailleurs, de la part de quelqu'un qui a un parcours aussi hétéroclite – pour être gentil –, donner des leçons de moralité, de bonne tenue et de conviction comme il vient de le faire en se tournant vers les bancs de la gauche, me paraît un comportement déplacé. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
Vous avez quitté les bancs de la gauche pour aller au fond extrême des bancs de la droite. Vous feriez mieux de ne pas nous le rappeler.
J'aurais aimé que le collègue qui a parlé du cirque Pinder nous accompagne hier soir au cirque Romanès (« Très bien ! » sur les bancs du groupe SRC), qui est l'objet aujourd'hui des poursuites du procureur de la République et du ministère du travail : ayant le défaut d'être un cirque tzigane, il tombe sous le coup de la politique de stigmatisation des Roms menée par le Gouvernement.
M. le ministre Besson a réagi d'une manière outrancière, comme il l'a fait ce soir, et j'ai d'ailleurs le sentiment d'entendre des mots sortis de la bouche du représentant de l'extrême droite. Je me suis fait traiter de « vert-de-gris » par M. Goasguen, de « vert et incompétent » par le ministre, à court d'arguments.
Savez-vous que c'est M. Le Pen qui disait des verts : « verts dehors et rouges dedans ». Vous n'êtes pas loin de ces amalgames et de ces images. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Cette fois, la caricature et l'excès ne sont pas forcément du côté où on les dénonce toujours.
Je me retrouve pleinement dans les arguments développés par notre collègue Bernard Cazeneuve. C'est lui qui a raison : les dispositions que vous proposez sont absolument inapplicables et elles seront condamnées devant les tribunaux.
Comme le soulignera dans quelques instants mon collègue Patrick Braouezec, faire tant de bruit, tant de mise en scène et susciter tant d'agitation pour quelque chose d'aussi marginal démontre bien quelle est votre intention.
En 2006, vous avez voté une loi très complète pour lutter contre les mariages de complaisance. Quiconque célèbre des mariages sait qu'ils sont précédés d'enquêtes très approfondies pour connaître les intentions des époux.
Pourtant, vous dites aujourd'hui, et cela m'étonne, que vous n'arrivez toujours pas à cerner réellement, au moment du mariage, l'intention des gens.
Après deux ans, une personne peut s'apercevoir qu'elle s'est trompée. Il y a une présomption étonnante à vouloir rétablir la vérité sur ce qu'aurait dû être l'intention des époux, alors que notre propre vie courante foisonne d'exemples où, doutant des choix amoureux de jeunes personnes que nous connaissons, nous finissons par avoir raison. Est-ce pour autant une raison pour mettre en prison, deux ans après, celui qui ne s'est pas trouvé à la hauteur des attentes ?
Vouloir réglementer de la sorte la vie sentimentale et affective des gens au motif qu'ils sont étrangers est tout bonnement incroyable ! Nous voyons tous les jours des gens qui ont des difficultés sentimentales.
Personne n'aurait l'idée de venir s'en mêler et de mettre en prison tel ou tel conjoint. On s'autorise là des choses qui sembleraient tout à fait contraires aux droits élémentaires de la personne s'il ne s'agissait pas d'étrangers.
Vous faites peu de cas du désert affectif dans lequel vivent beaucoup de Français. S'ils ont affaire à ce type de mariage de complaisance, c'est qu'ils ont les plus grandes peines à trouver l'âme soeur. Les échos de la vie affective dans nos campagnes et nos provinces témoignent de ces difficultés et expliquent le recours à Internet ou à d'autres méthodes pour trouver quelqu'un. Il y a quelques années, ce n'était pas des étrangers qu'on allait chercher. Souvenez-vous du temps où les gens de nos provinces écrivaient pour avoir des épouses originaires de La Réunion où elles survivaient avec difficulté. Mais lorsqu'elles arrivaient dans les fermes, c'était épouvantable ! Il a fallu des articles de presse, de nombreuses interventions de la part des associations et des services sociaux pour tirer de situations invraisemblables des jeunes femmes réunionnaises qui avaient été abusées.
En voulant régenter la vie affective des gens, vous allez découvrir nombre de situations où la misère sévit de part et d'autre.
Je trouve lamentable de vouloir trier et de pénaliser quelqu'un qui ne s'est peut-être pas bien comporté, mais qui en est arrivé là parce qu'il a trouvé une autre personne qui ne parvenait pas à bâtir une vie affective dans des conditions normales. Alors que, de part et d'autre, il n'y a que misère et souffrances, ce débat est particulièrement honteux. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Je souscris complètement aux propos fort justes de Mme Pau-Langevin, et je voudrais montrer combien ce que nous sommes en train de faire est dérisoire. Nous légiférons sur 0,6 % des mariages.
Sur 270 000 mariages par an, un tiers, d'après le ministre, sont des mariages mixtes, soit environ 100 000. Nous sommes en train de légiférer et de jeter la suspicion – parce que c'est votre objectif – sur les 99,4 % de mariages qui durent et sont exemplaires !
Pour notre part, nous entrons dans le débat sans aucun a priori. L'intention de Claude Greff est éminemment respectable, car il y a une réalité et une souffrance de femmes qui ont été abusées.
Toutefois, l'amendement introduit deux notions qui nous semblent contestables.
La première, c'est que seul l'étranger est pointé pour détournement de mariage. C'est une discrimination dont je pense que le Conseil constitutionnel la censurera.
La seconde, c'est l'intention de mariage sans intention matrimoniale. Que voilà un vaste concept !
Pensez à tous les mariages d'intérêt, à tous les mariages d'argent. Molière doit se retourner dans sa tombe !
Madame Greff, si je reconnais le problème, je ne peux franchement pas vous suivre.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 113
Nombre de suffrages exprimés 103
Majorité absolue 52
Pour l'adoption 47
Contre 56
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
La parole est à M. Patrick Braouezec, pour défendre l'amendement n° 521 .
Il est défendu.
(L'amendement n° 521 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Oui, madame la présidente.
(L'amendement n° 531 rectifié , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Dans beaucoup de dossiers, les annulations de procédure viennent d'irrégularités commises par l'administration lors des contrôles de titres. Par cet amendement, je propose d'inscrire dans la loi les conditions de validité de ces contrôles, telles que les a posées le Conseil constitutionnel en 1993 et que la Cour de cassation les a précisées.
Pour être clair, c'est un rappel que les contrôles au faciès ne sont pas acceptés dans une démocratie. Pour que la police puisse légitimement contrôler le titre d'identité et éventuellement le titre de séjour d'une personne, il faut des circonstances extérieures à la personne concernée.
La disposition critiquée par cet amendement a été validée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 93-325 du 13 août 1993, qui en a, par ailleurs, encadré la mise en oeuvre en précisant qu'elle devait « s'opérer en se fondant exclusivement sur des critères objectifs et en excluant, dans le strict respect des principes et règles de valeur constitutionnelle, toute discrimination de quelque nature qu'elle soit entre les personnes ».
Dans ces conditions, l'amendement de notre collègue n'apporte rien, si ce n'est un risque non négligeable de confusion juridique et de multiplication des contentieux. Avis défavorable.
(L'amendement n° 93 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Cet amendement propose d'interdire clairement les contrôles de titres de séjour visant les personnes qui sont en contact avec la police comme plaignants ou comme témoins. Ces contrôles de titres de séjour sont aujourd'hui systématiques et dissuadent les étrangers en situation irrégulière de porter plainte, de témoigner, voire de porter assistance à la police.
Le contrôle de titres étant différent du contrôle d'identité, on peut très bien, pour répondre à l'objection qui m'a été faite en commission, s'assurer de l'identité d'une personne sans avoir à se pencher sur la régularité de sa présence sur le territoire. Outre que ce type de contrôle n'est pas très respectueux de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, il est contreproductif pour la police. On y perd sans doute plus qu'on y gagne, la police n'ayant que très peu d'informations sur les activités illicites des communautés comprenant beaucoup de sans-papiers.
Défavorable. Cet amendement se heurte à des considérations pratiques et juridiques rédhibitoires puisque les procédures pénales exigent le plus souvent que la réalité de l'identité de la personne qui dépose soit connue. Il en va des droits de la défense de la personne concernée par la procédure.
De fait, loin d'apporter des garanties aux plaignants d'origine étrangère, cet amendement, au contraire, fragiliserait considérablement les suites de leurs instances.
(L'amendement n° 94 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Pour dissiper une confusion faite à plusieurs reprises en commission, je précise que, dans cet amendement, il s'agit non pas du contrôle d'identité, opération de police judiciaire, mais du contrôle de titre de séjour, acte de police administrative. Bien que réalisées simultanément par les policiers, ces deux opérations sont distinctes : la première relève du juge judiciaire, la seconde du juge administratif.
Par cet amendement, je propose que le juge administratif examine la régularité du contrôle du titre de séjour et puisse annuler une procédure engagée suite à un contrôle irrégulier. Ce n'est là que l'application d'une jurisprudence qui existe dans d'autres domaines comme le droit fiscal : l'irrégularité de la perquisition et de la saisie de documents annule le redressement fiscal.
Avis défavorable. Cet amendement procède d'un mélange des genres pour le moins contestable. En effet, c'est au juge judiciaire d'apprécier les conditions du contrôle d'identité. En revanche, la décision d'éloignement est une décision administrative qui repose sur des éléments objectifs.
(L'amendement n° 95 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.)
La parole est à Mme Pascale Crozon, pour défendre l'amendement n° 549 .
Il est défendu.
(L'amendement n° 549 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
La parole est à M. Patrick Braouezec, pour défendre l'amendement n° 507 à l'article 22.
Il est défendu.
(L'amendement n° 507 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
(L'article 22 est adopté.)
L'interdiction du territoire français, dont traite cet article, est à mes yeux une sorte de bannissement. Je ne cite qu'un seul exemple : les déboutés du droit d'asile pourront ainsi être bannis de notre territoire. Or le fait que ne leur soit pas reconnu le statut de réfugié ne signifie pas pour autant qu'ils n'ont pas été exposés à des persécutions dans leur pays d'origine.
Parfois, ces personnes n'ont pu bénéficier des conditions matérielles et psychologiques indispensables à la constitution d'un dossier solide, notamment lorsqu'elles n'ont pu être accueillies dans les structures d'accueil telles que les CADA, les centres d'accueil des demandeurs d'asile, où le nombre de places est insuffisant : il y en a environ 21 000, alors qu'il en faudrait 30 000 ou 40 000. Ceux qui n'ont pu y accéder ont vu leur demande de protection rejetée. Faut-il pour autant les bannir de notre territoire et les renvoyer à leurs bourreaux ?
Par les conséquences qu'il entraîne, l'article 23 est l'un des plus graves de ce projet. Il instaure une obligation de quitter le territoire français, décidée et mise à exécution par l'autorité administrative, sans accorder de délai pour procéder à un départ volontaire, et cela dans huit cas qui recouvrent à peu près toutes les situations d'entrée ou de maintien irrégulier sur le territoire.
Il institue, ce faisant, une peine de bannissement qui fera des ravages parmi les demandeurs d'asile. Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés a d'ailleurs formulé de fortes réserves à l'égard de ce projet de loi, et de son article 23 en particulier.
Ainsi, un ressortissant étranger pourra être victime d'une mesure d'éloignement au seul motif qu'il a fait établir sous un autre nom que le sien un titre de séjour ou un document d'identité. Or beaucoup d'associations qui travaillent avec les demandeurs d'asile, les personnes persécutées et victimes de tortures, témoignent du fait que, souvent, après le drame qu'elles ont vécu, ces personnes cachent leur identité et ont du mal à la révéler immédiatement, de même que leur nationalité, tant elles se sentent en danger.
Cet article, dont les trente-deux alinéas sont tous plus contestables l'un que l'autre, a été encore durci par le rapporteur. En effet, la directive « retour » privilégie dans son esprit comme dans sa lettre le départ volontaire. Or, l'article 23 rend systématique le départ forcé. De même, alors que la directive ne fait que prévoir la possibilité de l'interdiction de retour sur le territoire, le texte qui nous est proposé rend cette interdiction systématique. Ainsi, un étranger, même conjoint ou parent de Français, qui fera l'objet d'une mesure d'éloignement, ne pourra obtenir de visa pendant trois ans au moins, probablement davantage.
En raison de ses conséquences, nous demandons la suppression de l'article 23.
Cet article introduit deux dispositifs, l'ordre de quitter le territoire sans délai et l'interdiction de retour. Il montre, monsieur le ministre, que vous ne savez pas lire les directives européennes que vous prétendez transposer (Protestations sur quelques bancs du groupe UMP) ou, plutôt, que vous vous en saisissez pour justifier l'extension du pouvoir de l'autorité administrative, avec le risque d'arbitraire que cela comporte.
La capacité ouverte aux États de proposer des délais de retour inférieurs au droit commun dans un certain nombre de cas limitatifs et motivés devient, dans votre texte, la possibilité d'appliquer ce traitement à toutes les personnes présentes sur le territoire de façon irrégulière, sans exception, puisque, selon vous, ne pas ou ne plus disposer de titre de séjour constitue en soi un risque de fuite. Il s'agit là d'un renversement de la charge de la preuve : l'administration pourra se contenter de motiver la procédure qu'elle engage par le seul constat de la présence irrégulière, tandis que c'est à l'étranger qu'il appartiendra de démontrer l'existence de circonstances particulières pour prouver qu'il n'était pas sur le point de fuir.
Monsieur le ministre, avec cette disposition, vous généralisez la suspicion. À vos yeux, tout étranger qui se retrouverait sans titre de séjour serait quelqu'un qui aspire à la clandestinité pour échapper chaque jour aux forces de police. Mais des circonstances particulières, je peux vous en citer des dizaines, et mes collègues le pourraient aussi. Il s'agit de gens que j'ai reçus dans ma permanence : c'est la jeune femme qui a épousé un Français qui la trompe et la jette à la rue ; c'est le jeune diplômé dont l'autorisation de séjour pour trouver un emploi arrive à expiration alors que le contrat n'est pas définitivement signé ; c'est cet étranger atteint de poliomyélite auquel on signifie, après neuf ans de présence en France pour des raisons médicales, qu'il peut désormais être soigné dans son pays – sans parler des nombreux déboutés du droit d'asile qui, d'évidence, n'accepteront jamais d'être renvoyés dans leur pays.
Monsieur le ministre, aucun d'entre eux ne vient me voir pour me demander de l'aider à se cacher ; tous, parce qu'ils estiment que leur vie familiale ou professionnelle se construit en France, depuis souvent de longues années, viennent me voir pour les aider à faire valoir leur droit au séjour.
L'interdiction de retour relève d'une même logique ; j'y reviendrai lors de l'examen des amendements.
Vous cédez à la tentation de transformer tout irrégulier en clandestin, à seule fin de réduire ses droits. Nous nous y refusons. Ayons plutôt confiance dans le discernement de la justice administrative pour statuer dans un délai approprié et sur la base des éléments qu'on aura pris le temps de rassembler.
Cet article est en effet important puisqu'il donne, en quelque sorte, un fondement nouveau au régime juridique de l'éloignement.
Il s'agit, certes, de transposer la directive « retour », mais aussi, et même surtout, de répondre à un problème auquel on avait demandé à la commission Mazeaud de trouver des solutions.
En fixant aux services des objectifs chiffrés d'expulsions, vous avez considérablement accru le nombre de mesures d'éloignement ainsi que le volume du contentieux qui y est lié. En additionnant les obligations de quitter le territoire français et les arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière – les OQTF et les APRF –, ce sont plus de 80 000 mesures d'éloignement qui sont prononcées par voie administrative chaque année. Ce chiffre considérable engendre un contentieux énorme. De ce fait les juridictions administratives sont complètement engorgées, de même que les juridictions judiciaires.
De même, selon l'étude d'impact, le nombre d'interpellations a augmenté de manière considérable. Il atteint 70 000 à 75 000, soit plus qu'un doublement au cours des dernières années. Vous avez en quelque sorte fait exploser la machine. Toutes choses égales par ailleurs, c'est un peu la même situation que pour les gardes à vue. Le gouvernement a fixé des objectifs chiffrés très volontaristes, que les services se sont efforcés de remplir. La machine administrative, les services des préfectures – l'étude d'impact le reconnaît – sont complètement embouteillés, comme le sont les services judiciaires.
Tout cela, en outre, a un coût extrêmement important. Pour la première fois, un document officiel répond à la question que nous posons régulièrement au ministre sur le coût d'une expulsion : l'étude d'impact annonce un coût minimum de 12 000 euros, sans même tenir compte de certains éléments comme les dépenses occasionnées par le contentieux. Vous vous trouvez donc dans une situation compliquée et difficile à cause de la politique du chiffre que vous avez mise en place.
En 2006, M. Mariani s'en souvient sans doute très bien, vous aviez essayé de simplifier le droit de l'éloignement en créant l'obligation de quitter le territoire français. Cela devait permettre de réduire le nombre de contentieux mais, dans les faits, on a constaté que ces derniers n'étaient pas moins nombreux, bien au contraire. Aujourd'hui, l'OQTF et l'APRF génèrent un nombre de contentieux considérable.
Avec l'article 23, vous nous proposez la suppression de l'APRF et son remplacement par l'OQTF. Cela permettra sans doute de limiter partiellement le contentieux, mais seulement celui lié à la superposition de ces mesures. En fait, nous le savons – du moins, je pense que vous le savez –, l'OQTF continuera d'engendrer un contentieux très abondant, et la situation que nous connaissons aujourd'hui perdurera. En somme, ce que vous nous proposez ne changera pas fondamentalement les choses.
Je pense qu'il aurait fallu suivre les recommandations de la commission Mazeaud. Elles me paraissent extrêmement pertinentes, et je voudrais savoir pourquoi vous n'avez pas fait ce choix.
La commission Mazeaud recommandait de réserver les mesures d'éloignement aux étrangers en situation d'être vraiment éloignés. Aujourd'hui, on jette une sorte de grand filet pour interpeller des étrangers dans des conditions souvent extrêmement contestables. On essaie ensuite de les éloigner en utilisant les OQTF. On voit bien l'archaïsme de cette méthode…
Et il faudrait faire comment ? On fait un jeu ? On fait un quiz ? (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
Il ne s'agit malheureusement pas d'un jeu ! Je décris exactement ce que vous faites.
Monsieur Goasguen, je suis précisément en train de faire une proposition, comme vous vous en seriez rendu compte si vous m'aviez écouté.
Je décris les procédures actuelles : une sorte de filet est lancé…
…et je sais très bien le nombre de fois où je suis saisi de cas de personnes interpellées à la sortie du métro. On essayait ensuite de les éloigner tant bien que mal, ce qui n'est d'ailleurs pas si simple, nous y reviendrons en traitant la question de l'éloignement.
Je l'ai dit, ce système est totalement archaïque, il a un coût faramineux pour les services et il est humainement tout à fait détestable. Il faut donc le changer.
Or vous aviez la possibilité d'opérer ce changement en mettant en oeuvre la proposition de la commission Mazeaud consistant à réserver les mesures d'éloignements aux étrangers en situation d'être éloignés, c'est-à-dire à ceux qui sont sous main de police.
Je constate que M. Goasguen n'a pas lu le rapport Mazeaud ; c'est dommage. C'est d'ailleurs, plus généralement, le problème de ce gouvernement, qui crée des commissions dont, finalement, il ne retient en rien les recommandations.
Pour le reste, la commission Mazeaud propose de développer les retours volontaires. La directive « retour » est très incitative en la matière. Mais, avec la solution de l'OQTF que vous avez choisie, les délais ne seront pas respectés, et l'on sait que vous privilégiez les retours forcés, dont le coût est nettement supérieur à celui des retours volontaires.
La directive « retour » dit également qu'il faut éviter, autant que possible, la rétention des étrangers. Las, le système que vous nous proposez fait au contraire de l'interpellation et de la rétention le moyen privilégié d'organiser le retour et l'éloignement.
L'article 23 ne va pas dans le bon sens. Il ne réglera pas les problèmes que vous prétendez résoudre, comme l'engorgement des juridictions ou le coût global des procédures d'éloignement. Les autres dispositions ne vont pas non plus dans le sens de la directive « retour », qui privilégie d'autres modes d'éloignement nettement plus appropriés.
Il est absolument incroyable que nous soyons obligés de nous référer à la directive « retour », que nous sommes un certain nombre à avoir qualifiée de « directive de la honte », mais qui, finalement, protège mieux les migrants que ne le fait cet article 23.
Le Gouvernement prétend mettre en oeuvre trois directives européennes, dont la directive « retour », mais, en fait, il a choisi de durcir plusieurs des mesures de ce dernier texte.
Comme l'ont dit Étienne Pinte et Christophe Caresche, l'OQTF n'est rien d'autre qu'une forme de bannissement. Dois-je vous rappeler que, jusqu'à maintenant, la victime d'une OQTF disposait de trente jours pour s'opposer à la mesure d'éloignement grâce au délai de départ volontaire ? Avec la suppression de ce délai, elle n'aura plus que quarante-huit heures. Or nous savons que les choses sont extrêmement compliquées pour un étranger qui se retrouve dans cette situation.
Par ailleurs, en obligeant des familles à se séparer et en renvoyant certains demandeurs d'asile qui risquent le pire dans leur pays, vous portez atteinte au regroupement familial et, plus précisément, au droit à la vie familiale, droit fondamental reconnu par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.
De telles décisions ne sont pas prises par un juge : elles sont laissées à l'arbitraire de l'administration et du préfet qui peuvent décider de la durée du bannissement du territoire européen et de l'inscription au système d'informations Schengen, fichier européen qui empêche l'accès au territoire de l'espace Schengen pour une durée allant de deux à cinq ans.
L'article 23, en particulier ses alinéas 14 à 20, renforce encore les règles relatives à l'éloignement. Il marque la volonté d'appliquer une politique du chiffre.
Nous ne pouvons pas accepter le tri que vous faites entre ceux que vous appelez les migrants « subis » et les migrants « choisis ». Humainement, au regard des droits de l'homme, comment pouvez-vous renvoyer quelqu'un dans un pays lorsque vous savez qu'il peut risquer sa liberté, peut-être même sa vie, et lui interdire de revenir sur le territoire européen pour deux à cinq ans ? Comment pouvez-vous séparer des familles qui sont, pour nombre d'entre elles, installées depuis longtemps sur le territoire français ? Ces mesures ne sont pas dignes de notre pays et de ses principes républicains ; elles doivent être dénoncées.
Le faire, ce n'est pas croire au monde des Bisounours ni défendre une conception angélique de notre société (Exclamations sur quelques bancs du groupe UMP) ; c'est tout simplement en revenir aux principes fondateurs de notre République, et ne pas jeter dans la gueule des tortionnaires ceux qui ont choisi notre pays et qui, pour des motifs qui n'ont rien à voir avec le moindre délit ou le moindre crime, en sont bannis.
Je profite de mon intervention sur l'article pour faire écho aux propos que tenait Étienne Pinte sur les étrangers vivant en France et relevant du droit d'asile.
Monsieur le ministre, vous avez indiqué, à plusieurs reprises, que votre politique en la matière était équilibrée. Selon vous, elle repose sur la volonté de ne pas montrer la moindre indulgence à l'égard de ceux qui sont en situation irrégulière sur le territoire français, ce qui, dans le même temps, ne signifie pas que la France renoncerait à cette grande tradition du droit d'asile qui, dites-vous souvent, doit conduire le Gouvernement auquel vous appartenez à traiter de façon humaine ceux qui ont été jetés sur les routes de l'exode en raison d'une situation particulièrement difficile dans leur pays. Ils doivent trouver dans notre pays, où le droit d'asile est consubstantiel à la tradition républicaine, l'accueil qui caractérise la France.
Seulement, dans la « jungle » que vous avez visitée à Calais, comme dans le camp de Sangatte démantelé par le Président de la République lorsqu'il était ministre de l'intérieur, il y avait beaucoup d'hommes et de femmes venus du Kurdistan, d'Afghanistan ou du Pakistan, qui avaient été jetés sur les chemins de l'exode en raison, justement, de la situation particulièrement difficile qui prévalait de leur pays. Ces personnes qui se trouvaient dispersées dans les ports français assurant la liaison transmanche relevaient du droit d'asile.
Leur situation juridique était toutefois assez incertaine car ceux qui n'avaient pas encore demandé le bénéfice du droit d'asile étaient considérés par l'État français comme étant en situation irrégulière – ils pouvaient donc faire l'objet d'une reconduite à la frontière dans des délais qui n'étaient même pas portés à leur connaissance. D'autres, constatant que, du fait du durcissement de votre politique – et de ce point de vue, vous avez eu raison –, il n'était plus possible de passer en Angleterre, se résignaient à demander l'asile et entraient alors dans le dispositif relatif à l'asile en France. Cependant, ces ressortissants étrangers relevant du droit d'asile auraient dû, conformément au droit, être pris en charge par l'État français grâce au dispositif des CADA, les centres d'accueil de demandeurs d'asile.
Monsieur le ministre, je voudrais profiter de l'examen de l'article 23 pour vous poser une question très précise. Dès lors que vous répétez souvent – et il n'y a aucune raison de croire que vous ne pensez pas ce que vous dites – que la France reste fidèle au droit d'asile et qu'elle entend traiter correctement ceux qui relèvent de ce droit sur le territoire national et qui, à ce titre, doivent, conformément au droit français, être pris en charge par l'État en centres d'accueil des demandeurs d'asile, pouvez-vous nous indiquer précisément le nombre des personnes relevant en France du droit d'asile, et combien de places de CADA le gouvernement français a ouvert au cours des dernières années ? Nous pourrons ainsi juger de votre politique, non pas dans la passion, le procès et l'approximation, mais à partir d'éléments concrets, chiffrés et intangibles.
Il y a trois semaines, des délinquants – car c'est ainsi qu'il faut les qualifier – ont brûlé la quasi-totalité des maisons de fortune qu'avaient construites à Cherbourg des réfugiés relevant du droit d'asile qui n'avaient pu trouver de place en CADA, en dépit des alertes adressées à l'État, notamment par mes soins. La préfecture de la Manche s'est tournée vers vous et vous avez fait diligence – je vous en remercie – pour qu'en quarante-huit heures dix-sept places de CADA soient ouvertes afin que ces étrangers relevant du droit d'asile puissent être traités humainement. Mais il a fallu quatre ans d'alertes réitérées des autorités préfectorales pour que cette question soit réglée.
Il est donc important que vous puissiez nous indiquer précisément combien d'étrangers relèvent du droit d'asile dans notre pays, combien de places de CADA ont été ouvertes et combien restent à ouvrir.
L'article 23 est l'une des mesures les plus répressives du projet de loi, puisqu'il vise à accorder à l'administration un pouvoir démesuré alors qu'il institue un véritable bannissement des étrangers. La directive « retour » n'impose nullement qu'une telle interdiction relève de la seule compétence des autorités administratives.
Tout étranger qui a fait l'objet d'une mesure d'éloignement pourra être frappé, sur décision discrétionnaire de l'administration, d'une interdiction de retour sur le territoire français allant de deux à cinq ans. Cette interdiction, qui n'est pas fondée sur une condamnation pénale prononcée par un juge judiciaire, se doublera d'une inscription au fichier européen, rendant de fait quasi impossible l'entrée dans n'importe quel autre pays européen.
Malgré la gravité de cette disposition, le projet de loi ne protège explicitement aucune catégorie de personnes contre ce bannissement. Il se borne à mentionner quelques critères, tels que la durée de présence sur le territoire, la nature et l'ancienneté des liens avec la France. Bien que certaines catégories de personnes – victimes de la traite des êtres humains ou qui ont fait l'objet d'une aide à l'immigration clandestine et coopèrent avec les autorités compétentes – soient protégées, sous certaines conditions, par la directive « retour », le projet de loi ne transpose pas cette disposition.
Même si l'étranger quitte le territoire, il doit justifier de ce départ auprès de la préfecture dans un délai de deux mois pour que l'interdiction de retour soit abrogée. Qui plus est, l'administration peut, par décision motivée, refuser cette abrogation au regard de « circonstances particulières tenant à la situation et au comportement de l'intéressé », sans autre précision. J'ajoute qu'en cas d'abrogation de l'interdiction de retour le projet de loi ne prévoit pas l'annulation simultanée de l'inscription au fichier européen. Bien que l'interdiction de retour ne tienne quasiment pas compte des réalités humaines ni des droits fondamentaux, on peut craindre que les préfectures n'y recourent très fréquemment, trop fréquemment.
Par ailleurs, cette sanction est de nature à porter gravement atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale, notamment pour l'étranger conjoint d'un ressortissant français, et au droit d'asile si les étrangers renvoyés dans leur pays ont ensuite besoin de le quitter en raison de menaces de persécution.
C'est la raison pour laquelle je vous propose, mes chers collègues, d'adopter cet amendement tendant à supprimer l'article 23.
La parole est à M. Patrick Braouezec, pour soutenir l'amendement n° 189 .
Après les interventions de M. Mamère et de Mme Pinel, je veux insister sur le fait que l'article 23 transpose dans le droit français l'une des dispositions les plus graves de la directive « retour », puisqu'il institue une double peine administrative qui correspond à un véritable bannissement des étrangers de l'ensemble du territoire européen. En outre, cette mesure est laissée à la discrétion des préfectures. Il y a donc fort à craindre qu'elle ne devienne systématique, alors même que ses conséquences sont très graves pour les étrangers concernés. Enfin, il n'y a pas de cadre législatif suffisant permettant de protéger effectivement les étrangers ayant vocation à recevoir de plein droit un titre de séjour. En pratique, il sera donc très difficile de contester une telle interdiction de retour sur le territoire. C'est pourquoi je vous propose de supprimer cet article.
Ces amendements visent à supprimer l'article 23, qui constitue le coeur de la transposition des directives « retour ». Supprimer cet article reviendrait donc à violer nos obligations européennes et même constitutionnelles, car je rappelle que le Conseil constitutionnel estime désormais que la transposition des directives européennes est une obligation constitutionnelle.
Je me permets de relire à l'attention de nos collègues – car certains me semblent l'avoir lu un peu rapidement – l'article 11 de la directive : « Les décisions de retour sont assorties » – il n'est pas écrit « peuvent être assorties » – « d'une interdiction d'entrée : a) si aucun délai n'a été accordé pour le départ volontaire ; b) si l'obligation de retour n'a pas été respectée. » L'article 23 transpose mot pour mot, ni plus ni moins, la directive européenne.
À la fin de la séance de cet après-midi, nous avons tout de même eu une révélation, car si j'ai bien compris ce qui est, désormais, le programme du parti socialiste (Vives exclamations sur les bancs du groupe SRC)…
Vous avez tous cosigné cet amendement ; cela vous gêne qu'on vous le rappelle ? Pour une fois que vous faites une proposition !
Je disais donc que les députés socialistes ont signé un amendement proposant de régulariser tous les étrangers présents sur notre sol depuis cinq ans. En demandant maintenant la suppression de l'article 23, ils nous annoncent en outre que leur programme de gouvernement est de ne pas appliquer les directives européennes en matière d'immigration. Reconnaissez que c'est problématique.
Je voudrais tout d'abord répondre au député Cazeneuve, qui m'a interrogé sur le nombre de places en CADA. Celui-ci est passé, en dix ans, de 5 000 à 22 000, soit une croissance de près de 400 %, qui confirme l'effort très important que l'État consent dans ce domaine. J'ajoute que les demandeurs d'asile qui ne sont pas hébergés en CADA bénéficient de l'allocation temporaire d'attente, l'ATA, et que certains sont hébergés dans des centres d'hébergement d'urgence. Pour vous donner une indication de l'effort financier que représente cette politique, je rappelle que nous y consacrons plus de la moitié des crédits du ministère dont j'ai la responsabilité, soit 320 millions d'euros sur un budget de 615 millions. C'est pourquoi j'affirme, même si cela peut provoquer des réactions sur certains bancs, que la France est généreuse et qu'elle respecte sa tradition d'asile.
La France, oui, vous, non ! (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
Très bien, la France et Mme Pau-Langevin sont généreuses.
Nous assistons à un curieux renversement de valeurs. Au fond, M. Caresche, M. Mamère et d'autres reprochent tout simplement au Gouvernement, lorsqu'ils l'accusent de mener « une politique du chiffre », d'appliquer la loi.
Si. En effet, que dit la loi ? Que, pour entrer en France, il faut avoir un titre de séjour et que, lorsqu'on est en situation irrégulière – sauf en cas de régularisation pour motif de travail, prévue à l'article 40 de la loi de novembre 2007, ou pour motif humanitaire –, on a vocation à être reconduit dans son pays d'origine. C'est la loi ! Si vous voulez la changer, dites-le explicitement, mais ne reprochez pas au Gouvernement de l'appliquer.
Au reste, monsieur Mamère, connaissez-vous un seul pays où l'on puisse entrer sans titre de séjour ? Il n'y en a pas.
En revanche, beaucoup de pays punissent l'entrée illégale, sans titre de séjour, de façon beaucoup plus drastique que la France.
Dans notre pays, l'entrée illégale est un délit. Il se trouve que, des circulaires ayant été publiées à ce sujet, la politique pénale est inappliquée sur ce point et que le délit n'est pas puni en tant que tel, mais cela reste un délit. Pour entrer en France, il faut posséder un titre de séjour.
Par ailleurs, vous savez combien notre pays joue un rôle de fer de lance dans l'élaboration d'une politique européenne d'immigration. Dans le pacte que les vingt-sept pays de l'Union européenne ont signé, nous essayons de promouvoir l'immigration légale, de lutter contre l'immigration irrégulière, de mener une politique d'asile progressivement harmonisée et d'aller vers une politique dite de développement solidaire ou de codéveloppement, destinée à contribuer au développement des pays sources de migration. Dès lors que nous tentons de mener une telle politique, il ne faut pas s'étonner que nous soyons conduits à adopter des règles communes, traduites dans des directives, parmi lesquelles la directive dite « retour », qui a été adoptée par les vingt-sept pays de l'Union européenne et dont je signale qu'elle a été votée par beaucoup de députés européens socialistes ou sociaux-démocrates.
Il y a tout de même quelque paradoxe à ce que Christophe Caresche, qui, tout à l'heure, nous demandait, dans un accès de juridisme pointilleux, de transposer mot à mot la directive « libre circulation », s'étonne maintenant que le Gouvernement transpose de cette même façon la directive du 18 juin 2008 dans laquelle, comme l'a dit votre rapporteur, l'interdiction de retour est expressément prévue. Cette interdiction est une obligation, et non une option. Les États se sont engagés à transposer cette partie de l'obligation de la directive.
Néanmoins, je veux rassurer un certain nombre de députés siégeant des deux côtés de l'hémicycle : cette interdiction de retour est entourée de plusieurs garanties. Premièrement, elle n'est pas automatique. Même dans les cas où elle est de principe, le projet de loi prévoit que le préfet doit faire une exception pour les cas humanitaires. Chaque situation sera donc examinée individuellement. Deuxièmement, l'interdiction de retour est une mesure modulable et proportionnée. Troisièmement, elle est abrogée automatiquement si l'étranger respecte le délai qui lui est accordé pour quitter volontairement le territoire.
Il n'y a donc pas lieu de fabriquer d'épouvantails : nous allons, comme tous nos partenaires européens, traduire cette disposition de la directive en interdisant de retour ceux qui seraient entrés illégalement sur le territoire français et qui n'auraient pas respecté l'obligation de quitter le territoire, notamment au moyen de la possibilité de retour volontaire durant un mois qui leur sera donnée.
Je veux d'abord répondre au rapporteur sur les régularisations, en citant les chiffres qui figurent dans le rapport annuel sur la politique d'immigration – un rapport évidemment officiel. Le nombre d'étrangers ayant déclaré être entrés irrégulièrement et admis au séjour – autrement dit, le nombre d'étrangers régularisés – était de 16 538 en 2001, de 20 837 en 2002, de 25 989 en 2003, de 28 390 en 2004, de 31 650 en 2005, de 32 000 en 2006. Cela signifie qu'entre 2001 et 2006 le nombre d'étrangers régularisés en France a été quasiment doublé. Ce nombre était de 27 827 en 2007 et de 29 979 en 2008. Comme je l'ai dit tout à l'heure, les gouvernements qui se sont succédé depuis 2001 ont largement régularisé. Le problème, c'est qu'ils l'ont fait sans le dire, et de manière arbitraire.
Pour ce qui est de la politique du chiffre mise en oeuvre en matière d'éloignement, je veux vous citer un passage du rapport Mazeaud – que je suis peut-être le seul à avoir lu ici, mais quand le Gouvernement commande un rapport, j'essaie de le lire. « La politique du chiffre, qui concerne à la fois le nombre d'interpellations mises en oeuvre par les services de police et les décisions relatives au refus de titre ou à l'éloignement prises par les services administratifs, induit des pratiques censurées par le juge administratif ou judiciaire. L'effet pervers possible de cette logique du chiffre est d'encourager à multiplier les actes […] pour les agents sans qu'ils se soucient du taux d'annulation desdites mesures. » La politique du chiffre, ce n'est pas simplement nous qui la critiquons, mais aussi des experts, tels ceux qui ont travaillé avec M. Mazeaud.
Pour ce qui est de l'éloignement, il y a, certes, la directive « retour ». Si l'on met à part les questions du bannissement et de la durée de rétention, qui ont motivé le vote « contre » des députés européens socialistes sur cette question, la directive « retour » dit essentiellement deux choses. Elle préconise, premièrement, l'éloignement volontaire plutôt que l'éloignement forcé ; deuxièmement, la liberté plutôt que la détention – ces deux points sont très clairs.
Il me semble que, sur cette base, vous auriez pu reprendre un certain nombre de propositions figurant dans le rapport Mazeaud, afin de tenter de répondre au problème que vous posez de manière tout à fait convaincante dans l'étude d'impact, à savoir le fait que la mise en oeuvre de l'OQTF provoque une embolie : le système judiciaire et administratif est totalement engorgé, les préfectures sont débordées et les policiers et les gendarmes passent maintenant une grande partie de leur temps à s'occuper d'immigration irrégulière.
Les représentants des forces de l'ordre s'en rendent compte : le rendement de ce type de mesures est très faible. Le nombre d'OQTF ou d'APRF se traduisant par un départ volontaire est de l'ordre de 2 %. Quant aux départs forcés, il doit y en avoir, sur 80 000 mesures administratives d'éloignement, environ 20 000. Faites le calcul : vous avez un système absurde, archaïque, inefficace, qui désespère les magistrats, les policiers et toutes les personnes travaillant dans ce secteur, et si vous ne réformez pas ce système, les choses ne changeront pas.
Selon un communiqué de l'Association des magistrats des tribunaux administratifs, « la future loi sur l'immigration, faute de renforts dans les tribunaux administratifs, risque de les asphyxier et d'aliéner la justice à l'objectif de reconduire toujours plus d'étrangers aux frontières ». Ce n'est pas le Syndicat de la magistrature, mais un syndicat de magistrats des tribunaux administratifs, qui vous dit que la situation ne peut plus continuer ainsi, le point de rupture ayant été atteint.
Ce que vous nous proposez avec ce projet de loi ne changeant rien, la situation va rester la même.
Ce que je propose, c'est que les mesures d'éloignement soient beaucoup plus ciblées,…
…conformément à ce que préconise le rapport Mazeaud, monsieur le ministre. La mesure d'éloignement doit être réservée à l'étranger susceptible d'être éloigné. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
C'est logique : au lieu de prendre à l'aveugle des dizaines de milliers de mesures d'éloignement, mieux les cibler permettrait de réduire le contentieux de manière très importante, les mesures prononcées ayant alors davantage de chances d'être justifiées.
Par ailleurs, je crois que vous faites une confusion, monsieur le ministre : la mesure d'éloignement n'est pas forcément la sanction du séjour irrégulier ou de l'entrée irrégulière sur le territoire français ! Des procédures auraient pu être imaginées sur la base des pistes fournies par le rapport Mazeaud, et je regrette que le Gouvernement ne se soit pas inspiré de ce rapport.
L'un des contre-arguments préférés de M. le ministre consiste à nous dire d'aller voir ce qui se passe dans les autres pays – il l'a encore utilisé tout à l'heure au sujet des demandeurs d'asile. Eh bien, je vais donc vous dire ce qui se passe ailleurs, monsieur le ministre. En chiffres bruts, la France est en effet le pays d'Europe qui accueille le plus de demandeurs d'asile : en 2009, environ 27 000 personnes ont déposé une première demande. Mais vous n'avez accordé une protection qu'à 20 % d'entre eux, ce qui place notre pays dans la « fourchette » basse par rapport aux autres pays.
…ce chiffre étant effectivement à évaluer au regard de sa population, et elle dépasse les 40 % d'accords de protection, monsieur le ministre.
La parole est à Mme Catherine Coutelle, pour soutenir l'amendement n° 551 .
Nous proposons de supprimer la dernière phrase de l'alinéa 8 de l'article 23, aux termes de laquelle la décision énonçant l'obligation de quitter le territoire est motivée, mais n'a pas à faire l'objet d'une motivation distincte de celle de la décision relative au séjour. Or, comme l'a rappelé Noël Mamère en se référant à la directive « retour » – que nous avions beaucoup critiquée –, il est dit au paragraphe 1 de l'article 12 du chapitre III de cette directive que « les décisions de retour et, le cas échéant, les décisions d'interdiction d'entrée ainsi que les décisions d'éloignement sont rendues par écrit, indiquent leur motif de fait et de droit et comportent des informations relatives aux voies de recours disponibles ».
Par ailleurs, monsieur le ministre, j'appelle votre attention sur le fait qu'à l'alinéa 4 de l'article 23 figure le cas suivant d'obligation de quitter le territoire français : « Si l'étranger s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ». Or, étant donné l'engorgement des services des préfectures, les délais sont si longs actuellement que nous fabriquons nous-mêmes des sans-papiers : des étrangers ayant des papiers réguliers, titulaires de CDI ou de CDD, finissent par se retrouver en situation irrégulière du fait de rendez-vous tardifs, voire reportés. Comme vous le savez sans doute, monsieur le ministre, on ne peut plus prendre de rendez-vous directement en préfecture : il faut prendre rendez-vous par téléphone, ce qui peut prendre une matinée entière. Du fait des retards qui s'accumulent, certaines personnes se retrouvent sans visa, ce qui les expose à faire l'objet d'une OQTF en cas de contrôle.
Ce sont les sans-papiers qui fabriquent les sans-papiers, pas les préfectures !
L'article 23 prévoit un cas très spécifique de non-motivation de la décision d'éloignement lorsqu'elle accompagne une décision de refus ou de retrait du titre de séjour. Dans ces conditions, la mesure d'éloignement est le complément inévitable de la décision de refus de titre : la personne n'ayant pas le droit au séjour, elle doit nécessairement être éloignée.
L'adoption de l'amendement n° 551 aurait pour conséquence de créer une nouvelle catégorie de « ni ni », à savoir des personnes qui ne pourraient être ni régularisées – ne disposant pas de titre de séjour – ni éloignées. L'avis de la commission est donc défavorable.
Le Gouvernement est également défavorable à cet amendement.
Je profite d'avoir la parole pour corriger des inexactitudes que j'ai relevées dans certains propos. Si M. Caresche lit les rapports, il lui arrive de se tromper, car le tableau dont il a cité les chiffres ne correspond pas au nombre de régularisations,…
…qui est de l'ordre de 2 500 par an au titre des décisions humanitaires et de 2 500 par an au titre professionnel. S'il le souhaite, je lui expliquerai de façon plus détaillée les raisons de son erreur.
Quant au taux d'octroi, il est de 31 %, comme l'ont dit certains de vos collègues la semaine dernière, et non de 20 %, comme vous l'avez affirmé, madame Crozon : il faudrait accorder vos violons !
Enfin, quand vous dites : « vous accordez une protection », vous vous trompez, car c'est l'OFPRA, un organisme indépendant, qui prend ces décisions, susceptibles d'appel auprès de la Cour nationale du droit d'asile. Le ministre en charge de l'asile ne fait que constater les décisions prises par un organisme indépendant et une cour indépendante : je n'ai pas mon mot à dire sur qui devient réfugié, qui obtient la protection internationale en France.
L'obligation de quitter le territoire français est une décision administrative, monsieur le ministre. Il n'y a pas si longtemps, avant la loi de 2003, le renvoi de l'étranger, éventuellement dans son pays d'origine, relevait d'une peine complémentaire appelée « double peine » et relevant du juge judiciaire. Dès lors, pourquoi une procédure administrative ne peut-elle pas être soumise au juge judiciaire dans le cadre d'un recours suspensif ?
Par ailleurs, même si la décision est prise sur un plan administratif, est-il possible de former un recours suspensif auprès d'une juridiction administrative ? Dans le cadre du conseil d'administration de l'OFPRA, nous sommes amenés, une ou deux fois par an, à fixer la liste des pays dits « sûrs ». Or, entre le moment où l'on fixe cette liste et le moment où le Conseil d'État est amené à se prononcer sur des recours, plusieurs mois plus tard, il retire un certain nombre de pays de cette liste, pourtant acceptée par le conseil d'administration.
Cela nous est arrivé récemment : le conseil d'administration de l'OFPRA avait pris une décision au mois de novembre 2009 ; celle-ci a été remise en cause quelques mois plus tard par le Conseil d'État pour l'Arménie, la Turquie et Madagascar, ainsi que, en ce qui concerne les femmes, pour la République du Mali.
Sans la possibilité de déposer un recours suspensif contre une décision d'éloignement du territoire, on risque de renvoyer des gens vers des pays qui étaient jugés sûrs à un moment donné, mais dont le Conseil d'État estimerait qu'ils ne le sont pas. Or il faudrait alors faire revenir ces personnes pour les protéger – à supposer qu'ils n'aient pas eu à subir entre-temps des exactions.
Un recours suspensif, judiciaire ou administratif, me paraît donc très important pour protéger les individus.
(L'amendement n° 551 n'est pas adopté.)
La parole est à Mme Pascale Crozon, pour soutenir l'amendement n° 552 .
Par cet amendement, monsieur le ministre, nous vous demandons la transposition de la directive « retour ». Le législateur européen a prévu la faculté pour les États de régulariser des étrangers en situation irrégulière pour des motifs humanitaires.
Ce sont des cas que l'on rencontre fréquemment. Je pense notamment à des déboutés du droit d'asile qui n'ont pas pu – bien souvent pour des raisons purement matérielles – faire la preuve qu'ils subissaient une menace personnelle, mais pour lesquels un doute raisonnable subsiste sur le sort qu'ils subiraient s'ils venaient à être renvoyés. Il arrive souvent que la préfecture ne prenne pas de décision d'éloignement et laisse ces étrangers sans statut ; on aboutit, après plusieurs mois voire après plusieurs années, à des régularisations pour d'autres motifs.
Nous gagnerions, je le crois, en clarté et en efficacité si nous transposions cette possibilité de régularisation. Nous ferions ainsi la démonstration que la France, au-delà des motifs de droit, sait prendre en considération, lorsque la situation l'exige, les motifs d'humanité.
Cette précision est inutile. En effet, notre droit ouvre déjà cette possibilité, comme le montrent les nombreuses régularisations de situations individuelles qui interviennent chaque année pour ce motif.
Même avis. Comme vient de le rappeler à juste titre le rapporteur, l'autorité administrative peut toujours délivrer un titre de séjour quand elle l'estime utile. La jurisprudence consacre explicitement le pouvoir d'admission exceptionnelle au séjour de l'autorité administrative.
Monsieur Pinte, je vous redis qu'aucun étranger ne peut être éloigné sans avoir été en mesure d'exercer un recours contre la décision d'éloignement ; ce recours est suspensif. C'est déjà le cas dans la législation, et ce projet de loi n'apporte aucune modification à cet état de fait.
(L'amendement n° 552 n'est pas adopté.)
La parole est à M. Jean-Pierre Decool, pour défendre l'amendement n° 269 .
L'intention est louable, mais cela créerait une charge de travail supplémentaire pour l'administration. Surtout, je ne pense pas qu'il y ait lieu de motiver une décision dans ce cas, où elle est favorable à l'étranger.
(L'amendement n° 269 est retiré.)
Nous proposons la suppression des alinéas 11 à 21 de cet article.
En effet, dans le cas d'une obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, l'étranger dispose de quarante-huit heures pour contester la mesure d'éloignement, alors que ce délai est de trente jours dans le cas d'une obligation de quitter le territoire français avec délai de départ volontaire. Or, au cours de ce délai de quarante-huit heures, l'intéressé peut être amené à contester dans un même recours non seulement l'obligation de quitter le territoire mais aussi la décision relative au séjour, la décision refusant un délai de départ volontaire, celle mentionnant le pays de destination et, le cas échéant, celle concernant l'interdiction de retour sur le territoire français et le placement en rétention – soit six décisions administratives.
Il est clair que, du fait de la complexité de la procédure et de la brièveté des délais de recours, la plupart des étrangers n'auront pas la possibilité de déposer leur recours dans les délais. Ce dispositif n'offrant pas aux étrangers un droit au recours effectif doit être, par conséquent, selon nous, supprimé.
La parole est à M. Patrick Braouezec, pour soutenir l'amendement n° 190 .
La parole est à M. Jean Dionis du Séjour, pour soutenir l'amendement n° 410 .
Cet amendement nous a été suggéré par un ensemble d'associations qui travaillent, sur le terrain, à la défense des étrangers. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Il s'agit notamment d'associations d'inspiration chrétienne.
Il y a là une réalité du contentieux des étrangers : quand on n'a que quarante-huit heures, sur des sujets aussi complexes, un vrai problème se pose.
Défavorable. Supprimer la possibilité d'éloigner sans accorder un délai de retour volontaire reviendrait quasiment à supprimer les reconduites à la frontière. Il ne serait plus possible de placer en rétention des étrangers interpellés en situation irrégulière alors qu'ils n'ont jamais demandé de titre de séjour.
Je comprends que certaines associations le demandent, mais si ces amendements étaient votés, il ne serait pas possible de renvoyer sans délai les étrangers qui représentent une menace pour l'ordre public, ceux qui ont fraudé ou qui présentent un risque de fuite avéré. Je ne pense pas que tel soit votre souhait : est-il vraiment raisonnable d'espérer que ces personnes quitteront d'elles-mêmes, naturellement, le territoire français ? À mon avis, non.
Pour ces raisons, il faut maintenir le texte actuel.
Dans le cadre de l'harmonisation européenne, le projet de loi prévoit que l'obligation de quitter le territoire français est assortie d'un délai de départ volontaire, normal, de trente jours. La règle de base est bien celle-là : le départ volontaire dans un délai de trente jours.
Par exception, conformément à la directive « retour », ce délai peut être refusé en cas de menace à l'ordre public, en cas de demande de titre de séjour manifestement infondée ou frauduleuse, ou encore en cas de risque de fuite. Ce dernier est apprécié en fonction d'un certain nombre de critères objectifs, définis par la loi : sauf circonstances particulières, ce risque est considéré comme établi si l'étranger a contrefait un titre de séjour ou un document d'identité, s'il ne présente pas de garanties suffisantes de représentations – notamment parce qu'il a dissimulé son identité – ou s'il est resté sur le territoire après l'expiration de son visa sans demander de titre de séjour.
Nous sommes là dans le cadre de la directive. La règle de base est de favoriser le retour volontaire dans un délai harmonisé de trente jours ; toutefois, dans un certain nombre de cas, limités mais nécessaires, on doit pouvoir imposer un départ immédiat, dans un souci de bonne administration.
En réalité, les choses ne se passe pas du tout comme vient de le dire le ministre. Le taux d'exécution d'une OQTF de trente jours est de 2 % : autrement dit, dans les 98 % de cas restants, on est dans une situation de reconduite forcée, donc immédiate.
J'ai essayé de le dire tout à l'heure, peut-être maladroitement : vous mélangez retours volontaires et départs forcés. Vous prétendez faire des retours volontaires, et vous faites en réalité des départs forcés. Il aurait fallu, je crois, distinguer les deux. Cette ambiguïté rend votre texte contraire à l'objectif de la directive, qui est de favoriser les retours volontaires. Or vous ne nous proposez rien pour cela.
Le mieux n'est-il pas parfois l'ennemi du bien ? À force de vouloir tout anticiper, ne complique-t-on pas inutilement notre droit, au risque de le rendre de plus en plus difficile à appliquer ?
En l'occurrence, je suis profondément gêné par le fait que l'on mette sur un même pied les alinéas 11 et 12 d'un côté, et les alinéas 13 et suivants de l'autre. Si le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public, soit. Mais pour ce qui est des autres cas, on n'est plus du tout dans le même schéma !
J'avais déposé un sous-amendement qui n'a pas été jugé recevable, qui visait à ne supprimer que les alinéas 13 à 21. Cela aurait permis de conserver la possibilité d'éloignement sans délai de trente jours en cas de menace contre l'ordre public, ce qui paraît légitime, tout en écartant les autres cas, qui paraissent nettement plus contestables.
En tout état de cause, il faut laisser à chacun la possibilité d'exercer de façon réelle un droit de recours contre les décisions administratives. C'est vraiment le minimum que l'on puisse demander.
Les intentions de notre collègue sont louables ; je suis bien d'accord pour dire que tous les sans-papiers ne sont pas des délinquants, loin de là – en tout cas, ce ne sont pas tous des voyous : être sans-papiers est un délit, mais ce n'est pas un crime, nous sommes bien d'accord.
Cependant, si l'on acceptait votre argumentation, faudrait-il dire à une personne qui n'a pas troublé l'ordre public mais qui est en situation irrégulière sur notre territoire : « Soyez gentil, partez de vous-même » ? Quelles sont les chances réelles que la personne s'en aille, quelles sont les chances réelles qu'on la retrouve si elle n'est pas partie d'elle-même au bout du délai ? Soyons sérieux, nous savons bien qu'elles sont quasiment nulles !
M. Caresche l'a dit, d'ailleurs : ce sont 2 % des personnes concernées qui partent volontairement.
Oui, 2 % partent volontairement ; mais dans le cas des départs forcés, le taux est également très faible !
Vous le savez bien, monsieur le rapporteur ! Vous êtes allé à la préfecture de police, et vous savez comment cela se passe ; vous avez vu des étrangers rentrer par une porte et sortir par l'autre. Finissons-en avec l'hypocrisie du système tel qu'il est aujourd'hui.
Il y a 80 000 arrêtés d'éloignement, mais la proportion de ceux qui sont exécutés est dérisoire. Le système ne marche pas !
Tant que vous maintiendrez un système aussi absurde, qui produit tant de gâchis, ça ne marchera pas ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
C'est tout de même paradoxal : on nous reproche de trop reconduire, et j'entends maintenant qu'il n'y a quasiment pas de reconduites à la frontière en France !
Il y a tout de même 20 000 retours forcés par an : le taux d'exécution des OQTF est de 11,7 %, et celui des arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière est de 25,1 %. Vous pouvez dire que c'est insuffisant…
Je n'ai pas dit que c'était insuffisant, j'ai dit que le système ne fonctionnait pas !
Vous dites toujours que le système n'est pas bon. J'ai écouté avec intérêt la seule solution de remplacement que vous avez évoquée : vous nous avez dit qu'il fallait éloigner ceux qui étaient susceptibles de l'être. Voilà qui est fort bien.
Il faut cacher son identité, maquiller ses papiers d'identité et tricher pendant suffisamment longtemps – avant, vous disiez dix ans, aujourd'hui vous dites cinq ans.
La doctrine que vous proposez est celle-ci : si on triche bien, on a vocation à rester sur le territoire français. En termes de morale républicaine, je trouve cette règle du jeu douteuse. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Je n'ai pas souhaité intervenir sur l'amendement de suppression, mais les propos que je viens d'entendre me révoltent.
Vous faites un amalgame total – et j'apprécie, a contrario, que le rapporteur ait fait la distinction entre les sans-papiers et les voyous…
Un certain nombre de personnes seront frappées par les alinéas dont a parlé notre collègue tout à l'heure. À l'exception du onzième, qui fait référence à des questions d'ordre public et avec lequel nous pourrions être d'accord, vous nous parlez, pour justifier les autres alinéas, de gens qui falsifient leurs papiers, de fraudeurs, etc. Mais vous savez très bien qu'un certain nombre de sans-papiers sont aujourd'hui dans cette situation du fait de lois successives qui ont transformé leur statut, les amenant à être sans papiers.
Certains sont arrivés sur notre territoire d'une manière tout à fait régulière, mais ils ont vu leur situation se transformer au fil du temps et n'ont pas été régularisés.
Depuis le début, vous nous faites croire qu'on légifère pour tous ceux qui sont arrivés sur notre territoire il y a quinze jours, trois semaines ou un mois.
Mais la quasi-totalité des gens dont nous parlons sont là depuis cinq ans, dix ans, voire plus. Ces gens, qui n'ont jamais pu être régularisés, ne sont pas des fraudeurs, ils sont inscrits dans la vie de la cité et participent, peut-être encore plus que certains, à l'économie française. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Ce qu'a dit Christophe Caresche relève du simple bon sens.
Nous avons vu beaucoup de personnes dans les centres de rétention. Les raisons pour lesquelles elles ne peuvent pas être éloignées sont récurrentes. Ce sont des personnes dont on ne peut pas établir l'identité ou le pays d'origine. Ce sont des personnes qui ont des attaches certaines avec la France, de sorte qu'aucun tribunal ni aucune juridiction européenne n'acceptera qu'on les renvoie. Ce sont des personnes dont le pays d'origine est dans une situation de chaos telle qu'aucune juridiction n'acceptera de les y renvoyer.
Au bout de quelques jours seulement, on sait à peu près qui pourra être reconduit et qui ne pourra pas l'être. Il n'est pas utile de retenir en rétention, durant dix ou quinze jours, des gens dont on sait qu'il n'est pas possible de les renvoyer. Quand on sait, à cause du profil de la personne ou de l'absence de papiers, qu'on ne pourra pas la renvoyer, ce n'est pas la peine de la garder en rétention.
Votre système brasse un nombre incalculable de gens pour un résultat très faible. Plus vous arrêtez de gens dont vous savez que vous ne pourrez pas les renvoyer, plus vous rendez le taux d'exécution dérisoire. On n'arrête pas de vous le dire : plus vous continuez d'arrêter et de mettre en rétention des gens qui ne sont pas susceptibles de partir, plus vous plombez vos résultats.
Ce n'est pas raisonnable. Des chefs de centre de rétention n'acceptent pas de garder en rétention des gens qui n'ont aucune chance d'être reconduits. Nous avons été visiter le centre de Coquelles. Le sentiment d'absurdité qu'éprouvent les personnels est extraordinaire : ils arrêtent des milliers et des milliers de gens grâce aux contrôles d'identité, ils en mettent en rétention trois mille, avec toute la procédure que cela suppose, et, au bout du compte, ils arrivent à en reconduire quatre cents, dont deux cents en Belgique, qui reviennent dès le lendemain ! On peut comprendre le sentiment d'inutilité des personnels à qui vous faites subir cela à longueur d'année.
À un moment donné, si cela ne marche pas, reconnaissez-le et donnez des titres, au moins provisoires, à des gens qui ne peuvent pas partir. C'est très simple.
Je voudrais que nous allions au bout du débat.
Le ministre nous reproche parfois de prendre des postures idéologiques. Je crois que, dans cette affaire, c'est vous qui adoptez une posture idéologique. Vous niez une réalité qui s'impose à tous les gouvernements, qu'ils soient de droite ou de gauche : l'éloignement n'est possible que dans des conditions très particulières, il n'est possible que si le pays dans lequel vous voulez renvoyer la personne l'accepte.
Or vous savez que, souvent, ce n'est pas le cas. On obtient des laissez-passer consulaires de certains pays mais pas de certains autres, ou alors très difficilement.
Par ailleurs, l'État de droit qui existe dans notre pays, et qui est consolidé par le droit européen, fait qu'un tiers des mesures d'éloignement sont cassées par les juridictions. Vous essayez, par ce texte, de rogner les libertés mais, en même temps, vous êtes tenus par le Conseil constitutionnel, la Constitution, l'État de droit, et vous êtes bien obligés d'appliquer un certain nombre de mesures.
Là non plus, vous n'arriverez pas à balayer complètement ce qui fonde les libertés individuelles dans notre pays.
L'objectif chiffré que vous affichez en matière d'expulsions est purement politique, idéologique : c'est un objectif d'affichage, visant à démontrer que le Gouvernement est ferme. Ce faisant, vous engendrez une mécanique invraisemblable, un processus qui désespère tous les acteurs. Allez voir les policiers, les magistrats, tous ceux qui sont responsables de ces questions, et vous comprendrez que ce système n'est pas viable.
L'inventaire à la Prévert, dressé à cet article, de toutes les situations dans lesquelles un départ volontaire sera refusé, couvre à peu près toutes les situations : les personnes dont le visa est expiré, les personnes dont le titre de séjour est arrivé à échéance depuis un mois, etc.
Vous nous reprochez de ne rien proposer, mais nous vous avions bel et bien proposé – vous l'avez refusé, c'est votre droit – de favoriser, au contraire, la stabilité et de rendre possible la mobilité.
Votre politique est coûteuse, en termes de coûts de rétention, d'éloignement, mais aussi de temps passé par les forces de police à contrôler les papiers de nombreuses personnes, dont beaucoup de Français qui se font contrôler au faciès en permanence, pour satisfaire un objectif chiffré de garde à vue et d'élucidation immédiate d'infraction à la législation des étrangers, mais pour ne finalement placer que quelques personnes en rétention.
En effet, comme le disait à l'instant Christophe Caresche, il y a des nationalités qu'on ne place pas en rétention parce qu'on sait qu'on ne pourra jamais les éloigner, il y a des nationalités qu'on ne place pas en rétention parce qu'on est fâché avec le pays d'origine ou parce qu'on sait que le pays d'origine, la Chine par exemple, ne reconnaîtra pas ses ressortissants.
Toute cette mécanique coûte extrêmement cher, elle est de surcroît désespérante et inefficace. Surtout, elle bloque en France des personnes qui seraient probablement amenées à circuler, à repartir parce que leur projet, leur rêve ne se réalise pas, parce que leur vie en France n'est pas celle qu'elles avaient imaginée.
C'est pour cela que nous vous proposions tout à l'heure un système que l'on pourrait appeler : « un, trois, dix ». Un premier titre de séjour d'un an, puis un autre de trois ans si, au terme de ces douze mois, le projet se concrétise, puis un de dix ans – sachant que la personne peut très bien se rendre compte, au bout de deux ou trois ans, que ce n'est pas ce qu'elle imaginait, et vouloir repartir tout en gardant la possibilité de revenir.
Voilà l'alternative que nous vous avons proposée. Si vous étiez attentifs, si vous n'étiez pas dans une posture purement idéologique et d'affichage, vous auriez entendu tout cela. Personne ici ne prétend détenir la solution miracle. D'ailleurs, aucun pays de la planète n'a trouvé de solution miracle pour réguler intégralement les migrations. Nous, nous vous proposons un système moins coûteux, moins désespérant, probablement plus efficace et plus fructueux pour la France et pour les migrants qui nous rejoignent.
Bien entendu, il ne faut pas, sur ces questions, sombrer dans l'angélisme. Il faut avoir conscience de la réalité et de la diversité des situations de celles et ceux qui viennent dans notre pays, certains avec des intentions louables, d'autres avec des intentions qui le peut-être un peu moins. Pour autant, nous avons déjà un arsenal législatif relativement bien structuré, et il faut commencer par veiller à la bonne application des textes qui existent.
On nous propose des évolutions. Soit. Vous avez parlé de 20 000 reconduites à la frontière, monsieur le ministre. Mais je crois que, derrière cette réalité chiffrée, se cachent des éléments très particuliers.
Je prendrai l'exemple de la Guyane, où je me suis rendu il y a quelques années dans le cadre d'une mission parlementaire, notamment pour observer l'action des forces de gendarmerie. À Saint-Laurent-du-Maroni, on peut gonfler de manière exponentielle les statistiques de reconduites à la frontière en comptabilisant toutes les personnes qui sont effectivement et très régulièrement reconduites, mais qui reviennent deux heures après !
Quand on annonce des chiffres, il faut être conscient de ces réalités, de ces spécificités.
De plus, il faut savoir que, si ce que nous votons est de portée nationale, les conséquences peuvent varier selon les parties du territoire français. Dans la commune de Saint-Georges, toujours en Guyane, l'État ouvre des classes pour scolariser des enfants dont on sait très bien que leurs parents sont, dans 90 % des cas, en situation irrégulière.
Il faudrait faire preuve de plus de sérénité pour aborder ces questions de manière plus consensuelle et plus républicaine, dans un souci d'efficacité. Au fond, nous ne sommes pas si éloignés que cela les uns des autres, et ce n'est pas forcément par une logorrhée législative que nous réglerons toutes ces questions.
(Les amendements identiques nos 61 , 190 et 410 ne sont pas adoptés.)
Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :
Questions au Gouvernement ;
Discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, du projet de loi complétant les dispositions relatives à la démocratie sociale ;
Suite de la discussion du projet de loi relatif à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité.
La séance est levée.
(La séance est levée, le mercredi 6 octobre 2010, à une heure.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,