La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à neuf heures trente.)
L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de Mme Odile Saugues et plusieurs de leurs collègues, visant à sanctionner la commercialisation de titres de transport sur les compagnies aériennes figurant sur la liste noire de l'Union européenne (nos 2186, 2936).
La parole est à Mme Odile Saugues, rapporteure pour la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État chargé des transports, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons a pour ambition d'assurer un maillon de la chaîne de la sécurité aérienne qui échappait encore à la réglementation.
Elle vise très précisément ces compagnies « exotiques » dites « de bouts de ligne » que l'on emprunte en fin de voyage dans des pays situés hors de l'Union européenne, soit pour satisfaire des loisirs, soit à l'occasion des nécessités professionnelles. Ainsi, selon le rapport de la DGAC, la direction générale de l'aviation civile, consacré à la sécurité aérienne en 2009, qui cite l'AITA, l'association internationale du transport aérien, trois zones – l'Afrique, puis le Moyen Orient et l'Afrique du Nord – ont connu cette année là les taux de perte de coque – autrement dit, la destruction totale ou substantielle de l'aéronef – les plus élevés, marquant ainsi une nouvelle dégradation par rapport aux années précédentes. Ce taux, quasiment stable en Europe, est en léger recul aux Etats-Unis, ce qui démontre que rien n'est acquis dans la durée.
Par ailleurs, la DGAC précise que : « La tendance observée en 2009 reste en phase avec celle des années postérieures à 2000 : elle se caractérise par un ralentissement significatif de l'amélioration quasi-continue du niveau de sécurité aérienne mondial qui était observé depuis plusieurs décennies. ». En clair, les résultats sont moins bons qu'auparavant.
L'histoire de la liste noire a progressé lentement car elle est liée à celles des grandes catastrophes aériennes. Si, en 2004, lors des premiers débats sur les listes noires, le directeur général de l'énergie et des transports de la Commission européenne avait fait part à la mission parlementaire de sa préférence pour une référence à la liste noire plutôt qu'au label bleu proposé par le ministre d'alors, M. Gilles de Robien, c'est que la prise de conscience de la nécessité d'un outil efficace était générale.
En 1996, après l'accident de Puerto Plata, en République dominicaine, et la mort de 186 passagers de nationalité allemande, la Commission européenne a proposé une directive renforçant le contrôle des aéronefs des pays tiers. Celle-ci est malheureusement restée bloquée pendant huit ans à cause d'un différend opposant la Grande-Bretagne et l'Espagne à propos de Gibraltar. Il aura fallu que se produise la catastrophe de Charm el-Cheikh, qui fit 148 morts le 3 janvier 2004, pour que le Conseil et le Parlement européens adoptent enfin ce texte en avril 2004. Cela fit dire à Mme Loyola de Palacio, alors commissaire européenne en charge des transports, que « l'accident de Charm el-Sheikh n'aurait très probablement pas eu lieu si cette directive avait été mise en place. »
À la suite de l'accident de Charm el-Cheikh, lors d'un déplacement à Washington pour auditionner la FAA, la Federal aviation administration, l'autorité fédérale américaine équivalente de notre DGAC nationale, dans le cadre de la mission parlementaire sur la sécurité du transport aérien de voyageurs que je présidais et dont François-Michel Gonnot était le rapporteur, nous avons été particulièrement impressionnés par la pratique de la part 129 de l'Aviation Rulemaking Committee Charter.
Cette réglementation soumet les aéronefs des pays tiers à des audits : si leurs résultats ne sont pas conformes aux règles en vigueur, les compagnies concernées sont sanctionnées par une interdiction de survol du territoire des États-Unis et leurs appareils ne peuvent plus y atterrir. Les États-Unis pointaient ainsi l'insuffisance bien connue des audits de l'OACI, l'Organisation de l'aviation civile internationale, et son manque de transparence. Fort de cent quatre-vingts membres, cet organisme mondial a la responsabilité de la sécurité aérienne dans le monde depuis sa création par la convention relative à l'aviation civile internationale signée à Chicago, le 7 décembre 1944. Mais la diplomatie et les réalités économiques prennent souvent le pas sur l'application des règles qu'il édicte, et ses résultats s'avèrent bien piètres puisque seulement 57 % des normes OACI sont mises en oeuvre par les États parties à la convention.
L'année 2005 fut une année noire pour le transport aérien avec les accidents successifs, les 6, 14 et 16 août de la Tuninter, d'Helios Airways, confirmant les carences connues de certains pays de l'Union européenne en matière de sécurité aérienne, et celui de la West Caribbean Airways dans lequel cent cinquante-deux de nos compatriotes trouvèrent la mort avec les huit membres d'équipage. Ces catastrophes eurent pour effet de faire ressortir des archives où dorment de nombreux rapports parlementaires celui de notre mission d'information remis en 2004 et de mettre en avant, plus particulièrement, la recommandation n° 26 demandant à la DGAC d'établir des listes noires des compagnies faisant l'objet de restrictions ou d'interdictions à la suite des contrôles SAFA européens.
Sous la pression de l'opinion, après que des exemples de manquements délibérés aux règles de sécurité ont été mis en avant par les médias, la DGAC d'abord avec l'élaboration de sa propre liste, puis le Parlement européen et le Conseil par le règlement n° 20112 005 du 14 décembre 2004, actèrent le principe d'une liste noire européenne. Cette reconnaissance du travail de notre mission d'information fut saluée par le commissaire européen aux transports M. Antonio Tajani lors de son audition par la commission chargée des affaires européennes, le 1er décembre 2009.
Mais que pèsent les directives européennes sur les pays tiers, tout particulièrement ceux de la zone Afrique-Madagascar et du Moyen Orient ? Ces pays n'ont pas notre culture de sécurité et ils manquent cruellement de moyens. Ainsi, la DGAC fait état, dans le rapport que j'ai déjà cité, de la situation des exploitants d'aéronefs du Moyen Orient qui ont enregistré un nombre d'accidents mortels pour leurs passagers très supérieur à leur contribution à l'activité aérienne mondiale.
Dans cette politique des petits pas, quel peut être le rôle des parlementaires français s'agissant d'un problème qui relève maintenant de la compétence européenne ? La DGAC doit en effet mettre en oeuvre les directives de l'AESA, l'agence européenne de sécurité aérienne
Je veux souligner la complexité de l'organisation européenne en matière de sécurité aérienne.
L'AESA a seule en charge la certification des aéronefs, le programme de contrôle SAFA et ses audits. Créée en 2003 pour relayer l'OACI en établissant des normes communes de sécurité et de protection de l'environnement dans le domaine de l'aviation civile, cette agence compte trente et un pays membres, dont tous ceux de l'Union européenne.
La CEAC, la conférence européenne de l'aviation civile, créée en 1965, compte pour sa part quarante-quatre membres.
Quant à Eurocontrol, il s'agit d'une entité distincte de la Communauté européenne, créée en 1963, qui rassemble trente-huit pays dont ceux de l'Union européenne.
J'ai déjà eu l'occasion de m'exprimer sur les difficultés à faire fonctionner ces instances en harmonie lorsque j'ai traité de l'AESA dans mon rapport d'information sur la sécurité aérienne présenté en 2009 au nom de la commission chargée des affaires européennes. La mise en oeuvre des dispositifs d'alerte en cas de problèmes techniques et l'édiction des prescriptions en matière de sécurité ne sont pas pleinement satisfaisantes, comme l'a montré l'exemple des sondes montées sur les Airbus.
Un développement des politiques communautaires implique que soient écartés les enjeux de pouvoir et de prestige au profit d'une véritable mutualisation des moyens. Il reste du chemin à parcourir.
Si les parlementaires français ne veulent pas seulement être des spectateurs dans la politique de sécurité aérienne, ils doivent peser en amont sur les directives en préparation, en gardant bien à l'esprit que plus de 70 % des accidents aériens ont pour origine une défaillance humaine intervenue dans la chaîne qui va de la conception à l'exploitation de l'aéronef.
J'ai souvent déploré, lors de catastrophes, l'oubli rapide de ce grave sujet de la sécurité aérienne. Nous devons avoir une vigilance constante.
Mes rencontres avec les familles des victimes m'ont aussi appris que nous devons améliorer notre écoute et leur information. Une directive européenne est en préparation dans ce sens ; je souhaite qu'elle soit rapidement adoptée.
Pour notre part, nous avons la possibilité de réglementer la vente des billets d'avion concernant les compagnies « de bout de ligne », inscrites sur la liste noire de l'Union Européenne. C'était un souhait émis par un voyagiste auditionné par la mission parlementaire, qui déclarait alors : « Il faut un cadre législatif, en particulier pour la vente du package dynamique sur internet. » C'est l'objet de la proposition de loi qui vous est soumise.
Nos débats en commission du développement durable ont été riches et constructifs. Ils ont permis d'adopter la proposition de loi que nous examinons, texte que je crois efficace et réellement protecteur des droits des passagers.
Dans ma proposition de loi initiale, j'avais souhaité qu'il soit fait référence aux dispositions du code pénal pour sanctionner la commercialisation de titres de transport sur les compagnies inscrites sur la liste noire. J'avais envisagé que, dans ces cas, la vente de billets puisse être considérée comme un délit sur la base de l'incrimination de mise en danger de la vie d'autrui.
Finalement, le texte que nous avons adopté en commission à l'issue de nos débats s'appuie sur les dispositions du code des transports qui vient d'être publié et qui constitue une base appropriée de sanctions.
Nous avons prévu une obligation d'informer les passagers du fait qu'ils voyageront sur une compagnie aérienne inscrite sur la liste noire communautaire. Ils devront également être informés des solutions de transport de remplacement. Ces obligations sont assorties d'une peine d'amende significative de 7 500 euros par billet, doublée en cas de récidive et ce, sans préjudice des poursuites pouvant être éventuellement engagées pour mise en danger de la vie d'autrui.
La commission du développement durable a également adopté un amendement présenté par notre collègue M. Yanick Paternotte, qui prévoit que, si le passager confirme l'achat d'un tel billet, il lui est indiqué par écrit de manière claire et non ambiguë qu'il voyagera sur une compagnie figurant sur la liste des transporteurs aériens faisant l'objet dans l'Union européenne d'une interdiction d'exploitation.
J'insiste sur le fait que l'ensemble de ce dispositif a été adopté à l'unanimité des membres de la commission du développement durable. Sur un sujet qui doit tous nous rassembler, et par respect pour les droits des passagers et pour la mémoire des nombreuses victimes d'accidents aériens, je souhaite que l'Assemblée nationale parvienne aujourd'hui à une position unanime.
Pour conclure, monsieur le secrétaire d'État, je souhaite vous interroger sur le problème de compagnies aériennes comme la Yemenia airlines. Cette dernière n'est pas inscrite sur la liste noire européenne mais, le 30 juin 2009, elle a utilisé un aéronef interdit de vol en Europe sur un territoire étranger à l'Union européenne.
Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, il nous reste encore du travail pour sécuriser au maximum les passagers du transport aérien. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur de nombreux bancs.)
La parole est à M. Thierry Mariani, secrétaire d'État chargé des transports.
Madame la présidente, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les parlementaires, la sécurité des voyageurs est essentielle. Il s'agit de l'un des objectifs fondamentaux de la politique en matière de sécurité aérienne, et mes services veillent en permanence à ce que cet impératif de sécurité soit assuré. Dans le cadre de mes prérogatives ministérielles, sachez que je compte accorder une place particulière à la sécurité dans les transports, et notamment dans le transport aérien.
La France avait sa propre « liste noire » avant que l'Union européenne ne crée une liste commune en 2006, projet que bien entendu notre pays a fortement soutenu. Cependant, comme le soulignent très justement les signataires de la proposition de loi, les passagers peuvent être amenés à utiliser, pour les trajets dits « de bout de ligne », des compagnies qui figurent sur la liste de transporteurs interdits d'exploitation dans l'Union européenne.
Bien souvent, cette situation n'est pas évitable. Il n'existe pas toujours des transporteurs aériens concurrents qui ne figurent pas sur la liste noire, notamment dans le cadre des transports intérieurs, et les autres moyens de transports, terrestres ou maritimes, ne constituent pas toujours une alternative efficace ou tout simplement disponible.
S'il est légitime d'interdire à des transporteurs aériens susceptibles d'être dangereux de venir en Europe, cela ne peut pas conduire à empêcher nos concitoyens de voyager dans des pays dans lesquels ces transporteurs demeurent autorisés. En revanche, il est essentiel qu'un passager, lors de sa réservation, puisse disposer d'une information exacte sur la nature du transport qu'il s'apprête à utiliser. Il doit pouvoir choisir son transporteur aérien en toute connaissance de cause.
C'est pourquoi je me réjouis de l'examen de cette proposition de loi qui vient renforcer l'information des passagers sur les risques encourus lors de leurs voyages.
Le cadre juridique en vigueur – le règlement européen n° 21112 005 et le décret du 17 mars 2006 – établit des règles relatives à l'information. Le défaut d'information sur le nom du transporteur effectif est d'ores et déjà sanctionné d'une amende administrative. Mais votre proposition va plus loin : elle impose à tous vendeurs de billets, compagnies aériennes ou agents de voyages, de proposer, chaque fois qu'elle existe, une solution alternative au transport sur une compagnie figurant sur la liste noire.
La sanction pénale délictuelle réprimant le non-respect de cette obligation ouvre en outre au passager la possibilité de saisir directement la justice.
J'ai observé, monsieur le président de la commission, l'excellent travail qu'ont accompli les différents groupes sur cette proposition de loi. Ils ont déposé un certain nombre d'amendements qui ont été adoptés par la commission. Me réjouissant du résultat auquel vous avez abouti, madame la rapporteure, monsieur le président de la commission, je suis tout à fait favorable, au nom du Gouvernement, à cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP, NC et SRC.)
Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Claude Fruteau, premier orateur inscrit.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, madame la rapporteure, mes chers collègues, avant toute chose, je tiens à remercier et à féliciter ma collègue Odile Saugues pour le travail qu'elle a réalisé dans le cadre de cette proposition de loi ainsi que pour l'ensemble des actions qu'elle a entreprises ces dernières années pour contribuer à l'amélioration de la sécurité dans le secteur des transports aériens.
En effet, si tout le monde s'accorde à dire que le transport aérien est le mode de transport le plus sûr au monde, il n'en reste pas moins que les accidents suscitent toujours une émotion particulière et qu'ils appellent la mise en oeuvre d'outils de prévention et d'information toujours plus performants dans le but de renforcer le niveau de fiabilité et de sécurité.
Les accidents sont rares et leurs causes bien souvent nombreuses ; ils peuvent même arriver à une compagnie aérienne à haut niveau de sécurité. Je pense ici, bien évidemment, à l'accident survenu au mois de juin 2009 sur le vol Air France 447 Rio-Paris, qui a entraîné la mort de 228 personnes sans que nous disposions, pour l'heure, d'explications certaines quant à ses causes, explications qui pourraient permettre la mise en oeuvre de nouveaux outils de prévention.
La présente proposition de loi est donc plus que conforme à l'objectif d'amélioration continue de la sécurité des transports aériens. Elle complète les mesures qui existent actuellement, enrichissant ainsi la palette des outils dont nous disposons pour promouvoir la sécurité aérienne. Cette palette d'outils s'appuie essentiellement sur trois types de mesures : la prévention, le contrôle et la sanction.
La prévention est bien évidemment l'outil qui intervient le plus en amont dans la sécurité du transport aérien. Elle se traduit par l'établissement de règles strictes qui, depuis de nombreuses années désormais, s'organisent, d'une part, au niveau international dans le cadre de la convention de Chicago qui a créé l'Organisation de l'aviation civile internationale, l'OACI, et, d'autre part, au niveau européen avec la création, en 2002, de l'Agence européenne de sécurité aérienne, l'AESA. Cette internationalisation de la réglementation régissant le transport aérien garantit ainsi une homogénéisation profitable à tous.
La prévention se traduit également par une formation de haut niveau dispensée à l'ensemble des personnels, qu'ils soient navigants ou au sol, couplée à une haute qualité des aéronefs au niveau de la production, de l'exploitation et de l'entretien. La direction de la sécurité de l'aviation civile et la direction des services de la navigation aérienne sont deux piliers majeurs de cette sécurité active. La première organise la certification des aéronefs et le suivi du contrôle technique tout au long de la vie des avions. La seconde assure un suivi permanent de tous les événements qui surviennent en matière de navigation aérienne et effectue toute analyse de sécurité, a priori et a posteriori.
Enfin, la prévention passe également par la compréhension des incidents ou des accidents pour en tirer des enseignements afin de s'assurer qu'ils ne se reproduiront pas ultérieurement. À cet égard, le rôle du Bureau d'enquêtes et d'analyses est primordial puisqu'il effectue les enquêtes consécutives aux événements survenus sur le territoire français, et participe également aux enquêtes étrangères concernant les aéronefs immatriculés, exploités ou construits en France. Le retour d'expérience qui résulte de ces enquêtes est essentiel pour l'amélioration continue de la qualité de la sécurité dans les transports aériens.
Pour ce qui est du contrôle et de la sanction, ils s'expriment notamment par la liste noire des transporteurs aériens faisant l'objet d'une interdiction d'exploitation dans le ciel européen car ne répondant pas aux règles minimales en matière de sécurité. Le principe de cette liste a été posé dans le règlement n° 21112005 du Parlement européen et du Conseil du 14 décembre 2005. Cette liste constitue désormais une pièce maîtresse de la politique européenne de sécurité aérienne. Établie à partir d'audits et d'inspections menés sur les aéroports européens, et faisant l'objet de « mises à jour » régulières, elle constitue une protection utile et judicieuse puisqu'elle fait appel à la mutualisation des informations des différentes autorités de contrôle au niveau de l'Union européenne.
Néanmoins, cette liste noire laisse entière la question de la sécurisation de l'ensemble d'un voyage pour les vols au départ du territoire national ou communautaire et dont la destination finale se situe en dehors des frontières européennes. C'est là que la proposition de loi élaborée par notre collègue Odile Saugues trouve tout son sens. Elle marque une étape nouvelle et importante dans le renforcement de la sécurité aérienne.
En effet, cette proposition de loi entend répondre à la question des vols de « bout de ligne », ceux qui assurent un transport au départ de l'Union européenne avec une compagnie ayant une autorisation de vol sur le territoire de l'Union et qui terminent le parcours, via une escale située en dehors de l'Union européenne, avec une compagnie figurant sur la liste noire.
Il y a là un vide juridique qui pourrait être comblé grâce à la responsabilisation du vendeur entraînant une augmentation des garanties données aux passagers et un renforcement de leurs droits. Par ailleurs, bien que certaines mesures en matière d'information des passagers aient été prises à la suite du dramatique accident du vol de la compagnie Flash Airlines survenu au large de Charm el-Cheikh le 3 janvier 2004, cette problématique restait, hélas, toujours d'actualité. Les consommateurs qui achètent un voyage ne se soucient pas forcément de savoir sur quelle compagnie ils vont effectuer un vol.
De fait, bien que la liste noire soit un outil indispensable, elle ne protège pas entièrement le voyageur hors du territoire communautaire et les mesures de responsabilisation figurant dans la présente proposition de loi complètent l'arsenal juridique grâce à la création d'une amende dont le montant sera de 7 500 euros, montant qui pourra être doublé en cas de récidive.
En outre, les travaux réalisés par la commission du développement durable ont permis d'affiner les dispositions. Ainsi, pour des trajets qui ne peuvent se faire autrement que sur des compagnies interdites de ciel européen, le vendeur sera dans l'obligation d'informer – par écrit, cela a son importance – le consommateur, qui pourra ensuite, en son âme et conscience, prendre sa décision au vu des informations qui lui auront été apportées.
Mais au-delà de cette avancée notable, nous devrons, à l'avenir, aller encore plus loin dans le but de protéger les passagers européens sur l'ensemble de leur trajet en avion. Je pense notamment à un problème qui reste entier : que pouvons-nous faire pour que les citoyens européens ne soient pas amenés à voyager, de manière subie, à la suite d'une escale, sur des appareils interdits de circulation au sein de l'espace communautaire ?
Je fais bien évidemment référence ici au tragique accident survenu à l'Airbus A310 de la compagnie Yemenia le 30 juin 2009, qui a coûté la vie à 152 passagers dont soixante-deux Français. À cet égard, s'agissant de cette compagnie, je souhaite formuler deux remarques.
Tout d'abord, on peut s'étonner de la lenteur de la publication par les autorités comoriennes du rapport sur cet accident, alors même que notre BEA a déposé ses conclusions auprès desdites autorités. Je vous demande, monsieur le secrétaire d'État, de mettre tous les moyens en oeuvre pour que ce rapport finisse par être publié. Et le plus tôt sera le mieux. C'est une mesure plus que nécessaire eu égard au droit d'information des familles, mais également un élément important pour la sécurité aérienne et la compréhension totale de cet accident.
Par ailleurs, je suis plus que dubitatif sur le fait que cette compagnie, dont les manquements en matière de sécurité sont avérés, puisse encore opérer dans le ciel européen. En effet, outre le drame survenu pour le vol 639, nous avons évité une catastrophe supplémentaire le 24 août dernier lorsqu'un aéronef de la compagnie Yemenia, sans en avoir préalablement averti le centre de contrôle aérien de Tananarive à Madagascar, a entamé sa descente, pénétrant ainsi dangereusement dans le couloir aérien d'un avion d'Air Austral qui effectuait la liaison entre Paris et Saint-Denis de la Réunion. Heureusement, cet événement a démontré l'efficacité des systèmes d'alerte embarqués, qui ont permis d'éviter une éventuelle collision entre les deux appareils. Néanmoins, le déclenchement de ce filet de sécurité révèle que les règles élémentaires de navigation aérienne n'ont pas été respectées par l'équipage de Yemenia.
J'ose espérer que cet incident aura une suite quant à la nécessité d'un contrôle plus resserré sur cette compagnie en particulier, mais également sur l'ensemble des compagnies aériennes dont on sait de façon à peu près certaine qu'elles ne sont pas suffisamment vigilantes sur les règles de sécurité.
Parce cette proposition de loi s'inscrit pleinement dans les efforts continus qui sont faits pour améliorer la sécurité aérienne, le groupe SRC votera résolument en sa faveur, et j'espère que l'ensemble de notre assemblée fera de même. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur divers bancs.)
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous nous associons bien volontiers à cette proposition de loi qui vise à permettre l'information des voyageurs qui achètent un billet entraînant un vol sur une compagnie aérienne figurant sur la liste noire de l'Union européenne. Ceux-ci seront prévenus qu'ils s'apprêtent à voyager dans des appareils présentant une dangerosité certaine.
Comme l'examen du texte en commission l'a révélé, les moyens des États pour lutter contre ces compagnies aériennes peu scrupuleuses sont malheureusement très limités. En effet, interdire purement et simplement ces compagnies est une prérogative qui relève de la souveraineté des États.
D'autres obstacles existent. Ainsi, certains transporteurs ne figurent pas sur la liste noire européenne mais utilisent cependant des avions interdits de vol par nos autorités. C'était le cas de la compagnie Yemenia, et nous connaissons tous ici les conséquences désastreuses de ce choix.
Selon le secrétaire d'État aux transports de l'époque, Dominique Bussereau, « de très nombreux défauts [avaient été] constatés » sur l'appareil en 2007 par la direction générale de l'aviation civile française, auxquels viennent s'ajouter d'autres manquements constatés entre 2005 et 2008, en Allemagne et en Italie.
Sans être inscrite sur la liste noire, Yemenia faisait l'objet d'un contrôle renforcé et devait être auditionnée prochainement par Eurocontrol. En 2008, la Commission européenne avait mis cette compagnie sous surveillance. Elle lui reprochait de nombreux manquements aux règles internationales de sécurité. La compagnie avait été sommée de présenter un ensemble de « mesures correctives ». Le premier plan présenté en mai 2008 avait été jugé « insuffisant » par l'exécutif européen. Ce n'est qu'après des discussions et un nouveau rapport, à l'automne, que la Commission européenne avait marqué son « satisfecit ».
Les députés communistes, républicains, citoyens et du Parti de gauche veulent ici déplorer l'absence de fermeté de la part de l'Union européenne face à ces compagnies qui peuvent utiliser des aéronefs défaillants. C'est ainsi que la Yemenia n'est toujours pas mentionnée sur la liste noire, en dépit des événements tragiques du vol 626 du 30 juin 2009. Pire, cette compagnie propose toujours des vols au départ de Paris Charles-de-Gaulle en direction du Yemen, puis des Comores.
Avant le drame, en 2008, la création d'une association citoyenne, SOS Voyages aux Comores, visait déjà à dénoncer les conditions de voyage sur les compagnies aériennes qui exploitent la ligne entre la France et les Comores. Les autorités administratives françaises avaient effectué des contrôles qui relevaient des « écarts majeurs » entre les normes attendues pour un vol en toute sécurité et l'état de l'avion qui s'est abîmé en mer le 30 juin 2009. La conséquence de ces contrôles a été l'interdiction d'exploitation de cet avion sur le territoire français. Cependant, malgré son interdiction en France, cet avion a pu atterrir à Londres, moins d'une semaine avant le drame. Il semble qu'il n'existe donc pas d'harmonisation européenne par laquelle tout appareil signalé comme non conforme dans un pays membre serait interdit d'exploitation sur l'ensemble du territoire européen. Il est complètement anormal qu'un avion qui ne répond pas aux exigences de sécurité en France puisse transporter des passagers ailleurs en Europe.
À cet égard, la présente proposition de loi est une avancée certaine. Mais elle n'empêchera pas, hélas, les avions dangereux de voler et de transporter des centaines de personnes par jour. L'information aux voyageurs est certes indispensable. Mais dans bien des cas, les voyageurs sont « captifs » de ces compagnies aériennes dangereuses. Vous l'avez démontré, madame la rapporteure, tout comme M. le secrétaire d'État.
Ainsi, pour reprendre le cas de la Yemenia, celle-ci dispose d'un accord privilégié avec l'Union des Comores signé le 27 octobre 1999, qui en fait quasiment un transporteur national, puisque selon cet accord « tout nouveau transporteur souhaitant exercer à Moroni devra d'abord consulter Yemenia ».
L'accord de 1999 a été renforcé par un arrêté du ministère comorien des transports accordant à Yemenia l'exclusivité du transport des pèlerins vers La Mecque. On le voit, certains passagers ne peuvent éviter de voyager sur ces compagnies dangereuses, qui sont parfois les seules à desservir la destination choisie.
D'autre part, les autres moyens de transport mis à la disposition des voyageurs en certains lieux sont tout aussi dangereux que l'avion. Dans ces cas-là, l'information des voyageurs ne sert pas à grand-chose sauf, peut-être, à dédouaner les compagnies en question, qui pourront arguer que les utilisateurs étaient conscients du danger et qu'ils l'ont assumé à leurs risques et périls !
En définitive, la présente proposition de loi, si elle constitue une avancée, ne sera pas suffisante, car elle pourrait aboutir à faire peser la responsabilité d'un voyage dans des conditions dangereuses sur les seuls voyageurs – ce qui reviendrait à exonérer tacitement les compagnies aériennes figurant sur la liste noire. Celles-ci ne se voient sanctionnées ni directement – puisque c'est impossible – ni indirectement. Ce sont les revendeurs, les agences de voyage et les tour-opérateurs qui seront frappés d'une amende, mais pas les responsables directs des accidents et des incidents aériens.
Dans ce contexte, ne serait-il pas préférable d'interdire toute vente de billets d'avion comprenant un vol dit « de bout de ligne » avec une compagnie apparaissant sur la liste noire ? Il serait ainsi impossible, pour les Français, d'acheter le moindre vol ou « package dynamique » – séjour sur mesure – dont une partie au moins du vol serait réalisée par un transporteur aérien figurant sur la liste noire. Une telle interdiction, à l'échelon européen, obligerait sans doute l'ensemble des compagnies dangereuses à se plier aux règles de contrôle et aux normes de sécurité, puisque ce sont les transporteurs en question qui subiraient un préjudice économique, et non les intermédiaires ou les voyageurs eux-mêmes.
Il peut être utile de rappeler que les transporteurs aériens qui mettent la vie des passagers en danger le font, le plus souvent, pour économiser sur les dépenses de maintenance et de mise aux normes des appareils. Les vols de bout de ligne réalisés via des compagnies interdites dans l'Union européenne permettent de proposer des trajets longs à des tarifs très largement inférieurs : c'est une sorte de dumping, de concurrence déloyale, qui est pratiqué par ces compagnies.
De plus, ces transporteurs peu scrupuleux mettent délibérément en danger leurs salariés eux-mêmes. Ainsi, onze salariés de la Yemenia avaient trouvé la mort dans la catastrophe du 30 juin 2009. Il est donc important d'envisager une intervention plus ferme des États face à ces compagnies, souvent multinationales, qui font fi des normes de sécurité pour accroître leurs marges et leurs profits.
Quoi qu'il en soit, et sous réserve que les inquiétudes que j'ai exprimées soient levées par madame la rapporteure, le groupe GDR apporte tout son soutien à cette initiative.
Un grand voyageur ! (Sourires.)
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous avons tous en mémoire les graves accidents aériens survenus ces dernières années. Comment oublier le drame du vol Rio-Paris de juin 2009 ? Comment atténuer la douleur des familles ? Face à ces pertes douloureuses, avancer que le transport aérien est le moyen de transport le plus sûr au monde n'est d'aucun réconfort. Aussi, il nous faut redoubler d'efforts afin d'imposer une vigilance forte à l'égard de la sécurité des 4 milliards de passagers qui prennent l'avion chaque année.
La France et l'Union européenne ont développé diverses voies pour promouvoir la sécurité aérienne et sauver des vies humaines. À ce titre, le Nouveau Centre avait applaudi l'accord trouvé entre les ministres des transports de l'Union européenne, qui avaient décidé, en 2005, de mettre en place un processus commun d'interdiction et de restriction d'exploitation dans l'espace aérien européen de compagnies aériennes jugées peu sûres. Le ciel unique européen méritait bien cela !
Ainsi, dès le 22 mars 2006, avait été publiée la première liste noire communautaire des transporteurs aériens faisant l'objet d'une interdiction d'exploitation dans l'Union européenne pour des motifs de sécurité. Cette liste, mise à jour et actualisée au moins tous les trois mois, me semble fonctionner plutôt bien.
Depuis mars 2006, les compagnies qui avaient été repérées au moyen des diverses évaluations de sûreté réalisées dans le cadre du programme SAFA et d'audits réalisés par les organismes nationaux et internationaux, ont été regroupées sur cette liste noire et l'information aux passagers a été renforcée.
Bien sûr, il reste encore beaucoup à faire. Si le vendeur d'un billet d'avion a l'obligation d'informer le client de l'identité de la compagnie aérienne qui assurera le vol, et si les passagers peuvent exiger d'être remboursés quand la compagnie aérienne concernée est inscrite sur la liste noire après la réservation, il existe encore des failles. Aussi le Nouveau Centre a-t-il accueilli favorablement la proposition faite par notre collègue rapporteure, Odile Saugues, lors de son examen en commission du développement durable, et s'est naturellement joint à la réécriture de l'article unique de cette proposition, suite au consensus trouvé lors de son examen en commission.
En effet, pour nous, centristes, la pratique commerciale consistant à assurer un transport depuis un pays de l'Union européenne avec une compagnie aérienne autorisée, puis à achever le parcours avec une compagnie figurant sur la liste noire, doit être écartée et sanctionnée. Nous nous félicitons donc de l'obligation d'information plus claire et plus transparente faite aux passagers, telle que proposée au deuxième alinéa de la proposition de loi, et nous associons à la volonté de sanctionner le non-respect de ces mesures.
Vous l'aurez compris, les centristes s'associent à cette proposition. Néanmoins je voudrais conclure mon intervention en rappelant un fait : les facteurs humains sont responsables de plus de 75 % des accidents aériens. Ce chiffre doit nous donner à réfléchir, tout particulièrement alors que le développement du marché intérieur des transports aériens a débouché sur une concurrence positive, sur la formation des pilotes et de l'équipe de navigation et sur le respect des heures de repos entre les vols par les compagnies aériennes, et à porter une attention particulière à l'encombrement des lignes. Le Nouveau centre vous appelle, monsieur le secrétaire d'État, à redoubler de vigilance sur ces points.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui la proposition de loi de Mme Saugues visant à sanctionner la commercialisation de titres de transport sur les compagnies aériennes figurant sur la liste noire de l'Union européenne.
Le renforcement de la sécurité aérienne est un enjeu majeur, qui a déjà fait l'objet de plusieurs mesures concrètes. Permettez-moi tout d'abord de rappeler brièvement les principales avancées en matière de sécurité des transports aériens au niveau national et européen. Après plusieurs accidents aériens survenus en 2004 et 2005, la Direction générale de l'aviation civile a publié, en août 2005, une liste noire des compagnies aériennes. Par ailleurs, le règlement européen du 14 décembre 2005 a prévu l'établissement d'une liste communautaire des transporteurs aériens qui font l'objet d'une interdiction d'exploitation dans la Communauté européenne et l'information des passagers du transport aérien sur l'identité du transporteur aérien effectif.
Cette liste, établie par la Commission européenne et rendue publique pour la première fois en mars 2006, est actualisée en moyenne tous les quatre mois. Il revient en effet à la Commission européenne, en lien avec les autorités des États membres chargées de l'aviation civile et avec l'Agence européenne pour la sécurité aérienne, d'examiner le niveau de sécurité offert par les compagnies aériennes lors de comités de la sécurité aérienne. Au terme de cet examen, la Commission prononce éventuellement l'inscription des compagnies sur la liste ou leur retrait partiel ou total de cette liste.
Ainsi, de nombreuses inspections inopinées – environ 11 000 par an – sont effectuées sur les aéroports européens, ce qui participe d'un niveau de sécurité aérienne élevé. Il faut donc saluer l'établissement de cette liste noire et les contrôles qui sont menés. Néanmoins, demeure posée la question des vols qualifiés de « vols de bout de ligne » : un transport est assuré depuis un pays de l'Union européen avec une compagnie autorisée, tandis que la fin de ce parcours est effectuée par une compagnie figurant sur la liste noire.
La proposition de loi qui est soumise aujourd'hui à notre examen vise à répondre à ces pratiques qui mettent en cause la sécurité des passagers. Mes chers collègues, ce texte a en effet pour objectif d'améliorer la transparence et la clarté dans la vente des titres de transport aérien et à sanctionner les pratiques contraires à ces deux principes. Il faut en effet rappeler que le nombre croissant de billets électroniques vendus rend plus difficile encore l'accès à l'information sur les transporteurs aériens.
Deux options étaient envisageables. La première option, retenue dans la version initiale du texte, proposait de modifier le code pénal pour préciser que toute personne physique ou morale qui procéderait ou faciliterait la vente de billets comprenant un transport sur une compagnie figurant sur la liste noire de l'Union européenne, tomberait sous le coup du délit de mise en danger de la vie d'autrui.
La seconde option, que notre collègue Yanick Paternotte a défendue par le biais d'un amendement en commission du développement durable, consistait à inscrire dans le code des transports l'obligation pour le vendeur du titre d'informer le voyageur qu'il effectuera une partie de son trajet sur une compagnie figurant sur la liste noire. Mme la rapporteure a proposé de compléter cette disposition par un amendement prévoyant d'inscrire dans le code des transports des peines d'amendes et la possibilité de poursuites pénales.
Dans ce contexte, la commission du développement durable a adopté, à une belle unanimité, un amendement de compromis qui reprend les dispositions de ces deux amendements. Le texte de la commission propose désormais les mesures suivantes : toute personne physique ou morale commercialisant un titre de transport sur les vols d'un transporteur aérien effectif figurant sur la liste noire de l'Union européenne doit informer explicitement l'acquéreur et le passager de cette situation, ainsi que des solutions de transport de remplacement. De plus, si le passager confirme l'achat d'un tel billet, il lui est indiqué par écrit, de manière claire et non ambiguë, qu'il voyagera sur une compagnie figurant sur la liste noire de l'Union européenne. Enfin, le fait de commercialiser ou d'aider à la commercialisation d'un titre de transport sans respecter les mesures ordonnées en application des dispositions de cet article, est puni d'une peine de 7 500 euros d'amende par titre de transport. Cette amende est doublée en cas de récidive, sans préjudice des poursuites pénales pouvant être engagées.
Au terme de ses travaux, la commission du développement durable est parvenue, dans un élan de grâce (Sourires), à une rédaction équilibrée de ce texte qui renforcera l'information et la sécurité des passagers des transports aériens. Le groupe UMP votera donc cette proposition de loi.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui la proposition de loi visant à sanctionner la commercialisation de titres de transports sur les compagnies aériennes figurant sur la liste noire de l'Union européenne, déposée par notre collègue Odile Saugues.
Le règlement n° 21112005, adopté par le Parlement européen et le Conseil le 14 décembre 2005, instaure une liste communautaire de transporteurs aériens qui font l'objet d'une interdiction d'exploitation dans la Communauté. Le 22 mars 2006, l'Union européenne a publié cette liste noire. Celle-ci comportait initialement 96 compagnies aériennes ; mise à jour tous les quatre mois, elle en compte aujourd'hui un peu plus de 280. Les compagnies aériennes mentionnées dans cette liste sont frappées d'interdictions ou de restrictions d'exploitation sur le territoire de la Communauté européenne pour des raisons tenant à la préservation de la sécurité aérienne.
Ce dispositif n'est pas la première mesure mise en place par l'Union européenne. L'Union, compétente sur la question des transports aériens avec la politique dite de « ciel unique », a créé en 2002 une Agence européenne de sécurité aérienne, l'AESA, qui joue aujourd'hui un rôle de plus en plus important dans la politique de sécurité aérienne européenne.
Ce dispositif mis en place par l'Union européenne connaît cependant des limites. Les inspections menées sur les aéroports et les aéronefs qui les fréquentent sont nombreuses et inopinées. Elles ne sont pas systématiques toutefois et des aéronefs peuvent passer au travers des mailles du filet des contrôles. De même, des désaccords, au détriment de la sécurité, voient parfois le jour au sein des comités de sécurité aérienne composés des représentants de l'ensemble des États membres.
L'accident de l'airbus A310 de la compagnie Yemenia reste très présent dans nos mémoires. Toutes les mesures visant, d'une part, à réduire le risque d'incidents ou d'accidents et, d'autre part, à renforcer l'information des voyageurs doivent être adoptées. L'avion est considéré comme l'un des modes de transports les plus sûrs au monde. Afin de réduire toujours plus le nombre d'accidents et ainsi celui des familles endeuillées, il est de la responsabilité des parlementaires que nous sommes de tout mettre en oeuvre pour instaurer des législations efficaces en matière de sécurité et d'information.
La mesure contenue dans cette proposition de loi a donc pour objectif d'apporter une réponse efficace à la question des vols en bout de ligne. Une nouvelle pratique s'est en effet développée : elle consiste à effectuer un vol depuis l'Union Européenne avec une compagnie aérienne autorisée, puis à terminer le parcours vers la destination finale avec une compagnie figurant sur la liste noire. Il s'agit là d'un détournement sérieux de la législation européenne, qui continue d'exister en raison du vide juridique actuel.
Si, bien évidemment, il n'est pas interdit à un citoyen de l'Union européenne de voyager sur l'une de ces compagnies, il est nécessaire de sanctionner la commercialisation des titres de transport depuis notre territoire. En effet, dans bien des cas, les voyageurs font pleinement confiance aux opérateurs lors de la réservation de leurs voyages. Ainsi, des passagers peuvent, sans le savoir, effectuer un ou plusieurs vols sur des compagnies aériennes jugées dangereuses au regard des critères européens. L'interdiction à la source, c'est-à-dire au niveau du vendeur, est donc plus qu'une nécessité.
Afin de ne pas butter sur la souveraineté des États, notre collègue Odile Saugues nous propose de sanctionner les vendeurs qui commercialisent de tels billets. Cette initiative constitue un complément indispensable à la liste noire européenne dont nous connaissons parfaitement les limites pour les vols en dehors de l'espace communautaire. Nous nous devons en effet de compléter l'arsenal juridique en sécurisant au maximum les ventes de voyages au départ et à destination de l'Union européenne. Au cours des travaux de la commission du développement durable, nous nous sommes tous retrouvés sur un amendement voté à l'unanimité. Il modifie l'article unique du texte de la proposition de loi et tient compte des récentes modifications du code des transports et de certains cas particuliers.
Mes chers collègues, il existe en effet de très rares cas où le voyageur n'a pas d'autre solution que de voyager avec des compagnies aériennes inscrites sur la liste noire. C'est le cas quand aucun autre mode de transport efficace n'existe. Ainsi, dans certains États d'Asie, les voies carrossables sont parfois rares et le risque d'accident routier est bien plus important que le risque d'un accident aérien. Si un passager confirme l'achat d'un tel billet sur une compagnie inscrite sur la liste noire, le vendeur aura l'obligation de l'informer par écrit des risques qu'il encourt en prenant place dans un aéronef d'une des compagnies concernées.
Avec l'adoption de ce texte de loi, un vendeur qui n'aurait pas rempli cette mesure d'information écrite auprès de ses clients, sera puni d'une amende d'un montant de 7 500 euros par titre de transport aérien vendu – amende qui sera doublée en cas de récidive. Des poursuites pourront également être mises en oeuvre au titre de l'article L.121-3 du code pénal qui instaure le crime ou le délit sans intention de le commettre.
Avec cette proposition de loi, notre collègue Odile Saugues entend assurer une protection maximale du consommateur grâce à la responsabilisation des professionnels du secteur aérien. Pour toutes ces raisons, mon groupe, et je l'espère l'Assemblée tout entière, votera à l'unanimité en faveur de ce texte. Je sais que c'est aussi le souhait de M. le secrétaire d'État.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je tiens, comme les orateurs qui m'ont précédé, à saluer l'important travail accompli par Odile Saugues sur ce sujet depuis des années, notamment dans le cadre de ses fonctions de rapporteure de la commission des affaires européennes. Ces travaux ont débouché sur la présente proposition de loi, dont je suis cosignataire mais dont elle est l'ardente initiatrice.
Le sujet qui nous occupe ce matin concerne tous nos concitoyens, ceux qui ont la chance de voyager ou qui, ayant des attaches dans des pays étrangers, souhaitent aller visiter leurs proches, leur famille. Depuis le développement des ventes de billets d'avion par internet, il est plus nécessaire encore de réglementer ce secteur. La dématérialisation, la dépersonnalisation de la vente, les difficultés très concrètes pour obtenir des informations précises imposent cette réglementation.
D'une manière plus générale, la sécurité aérienne est encore plus prégnante depuis le développement du low cost, qui pose la question de la qualité du service acheté par le voyageur et, par ricochet, celle de la pression exercée sur l'ensemble des compagnies aériennes pour faire baisser les coûts et rester compétitives eu égard aux tarifs proposés. J'y reviendrai en évoquant l'accident de la Yemenia et l'Union des Comores.
L'Union européenne a établi une liste noire, dont la première publication date du 22 mars 2006. C'est un acquis important. Sur la base des informations transmises par les États membres, on peut, en principe, interdire le ciel européen à certaines compagnies ne respectant pas les règles de sécurité, et informer les citoyens sur les compagnies jugées peu sûres.
Avec cette proposition de loi, nous souhaitons aller plus loin en prévoyant un devoir d'information. Le secteur aérien est le seul, en effet, où celui qui achète une prestation ne sait pas précisément ce qu'il achète, surtout pour les vols de bout de ligne. En outre, les informations sont toujours très difficiles à obtenir. Ainsi, lorsqu'on achète un vol charter, on ne sait pas précisément à quelle heure on va partir du territoire français et, a fortiori, du territoire étranger, en cas d'escale.
La disposition proposée par ce texte prévoit que, si un passager achète un vol comportant en bout de ligne un trajet sur une compagnie aérienne figurant sur la liste noire européenne, l'opérateur doit lui communiquer une information la plus précise possible et le passager devra exprimer son accord pour voyager sur une telle compagnie.
Lorsque le texte sera voté – j'espère que tel sera très rapidement le cas au Sénat –, il appartiendra au Gouvernement de le mettre en pratique. Comment procédera-t-on, notamment sur internet ? Comment l'accord conscient du passager pourra-t-il se matérialiser ? Il ne faudrait pas que nos débats très consensuels de ce matin se perdent dans les méandres des procédures législatives. Qu'en sera-t-il également de la sanction si l'information n'est pas transmise ?
Nous accomplissons ce matin un pas important, certes, mais ce n'est qu'un pas. Et une fois la loi votée, ici puis au Sénat, et enfin promulguée – soit après-demain (Sourires) – il faudra aller plus loin. Il faudra tout d'abord essayer d'obtenir une liste noire internationale. La Commission européenne serait prête, je crois, à engager des discussions avec les autorités de l'aviation civile de différents pays pour parvenir peut-être à des accords « bilatéraux » entre l'Union européenne et les pays intéressés afin d'accroître la portée de la liste noire. Je souhaiterais bien sûr que la France soit totalement partie prenante dans cette démarche. En effet, sur ce sujet comme sur d'autres, la mondialisation ne peut être heureuse que si elle est contrôlée, régulée, sans laisser le seul marché faire ce que bon lui semble.
Il faut par ailleurs intervenir sur les vols en bout de ligne. Nous agissons au niveau des compagnies. Mais reste la question des modules, des avions utilisés. Or aucune compagnie, qu'elle soit low cost, opérateur historique ou figurant sur la liste noire européenne, ne peut, au moment où le voyageur achète son billet, prévoir quel avion sera utilisé. Sinon, il suffirait de faire figurer le module sur le billet d'avion. Cette solution serait très simple : la compagnie s'engagerait sur un type d'appareil, celui mentionné sur le billet ou un autre de qualité équivalente. Aujourd'hui, il n'y a aucun engagement de la compagnie. Je le souligne à nouveau, il est extrêmement difficile pour le consommateur d'avoir une information précise dans ce secteur. Or nous sommes tous concernés.
Troisièmement, il faudrait que l'obligation européenne soit totalement respectée. Au-delà de la liste noire et des normes de sécurité, peut-être le Gouvernement devrait-il engager avec les professionnels l'élaboration d'une sorte de charte de qualité. Nous avons évoqué le problème des modules. Mais il faut s'intéresser aussi aux escales. Le voyageur ne sait pas toujours quand il repartira vers sa destination finale et dans quelles conditions. On a cité l'exemple de la compagnie Yemenia. Mais bien avant le crash du 29 juin 2009, on m'avait rapporté des problèmes à l'escale de Sanaa : les voyageurs ignoraient souvent quand ils repartiraient de Sanaa et dans quelles conditions ils devraient passer de nombreuses heures sur place. Peut-être pourrait-on envisager une charte de qualité, au moins sur les conditions de transport et d'escale, sur laquelle l'ensemble des compagnies aériennes pourrait s'engager.
Permettez-moi de revenir très précisément sur l'accident de la Yemenia. Vous le savez sans doute, je suis président du groupe d'amitié entre la France et l'Union des Comores. J'étais avec Loïc Bouvard et Bernard Lesterlin en mission aux Comores, il y a tout juste un mois. Après Jean-Paul Lecoq et Jean-Claude Fruteau, j'insiste sur le fait que la publication de l'enquête est absolument nécessaire. J'ai eu l'occasion de le dire également alors que j'ai eu l'honneur de m'exprimer devant le Parlement comorien. J'ai demandé aux autorités comoriennes et à nos collègues parlementaires d'exercer la même pression auprès de leurs autorités. Un an et demi après le drame, le fait que beaucoup de choses se murmurent mais que rien ne soit publié officiellement est un problème, pour la sécurité aérienne et pour les familles, qui ne peuvent faire correctement leur deuil. Si l'enquête n'est pas publiée dans son ensemble, peut-être faut-il demander au BEA que ses conclusions au moins le soient.
À cet égard, et même si cela ne relève pas directement de votre département ministériel, je souhaite vous faire part d'une demande pressante, monsieur le secrétaire d'État, à propos d'une stèle en mémoire des victimes de ce crash. Elle devait être érigée à Mitsamiouli, au nord de Grande Comore. Le gouvernement français, et notamment François Fillon, à l'occasion de sa visite sur place pour commémorer l'accident, s'est engagé en ce sens. Or, pour l'heure, en guise de stèle, il n'y a qu'une dalle de béton. Ce n'est pas suffisant.
Dernier point, enfin, cet accident montre la nécessité d'une desserte sûre, de qualité et directe entre Paris, Marseille, Moroni et Mayotte.
Cela permettrait de symboliser très concrètement la nécessité d'un développement régional partagé dans les quatre îles de l'archipel des Comores, même si elles n'ont pas choisi le même destin du point de vue de la nationalité.
Ce serait également un signe important donné à nos concitoyens de la diaspora comorienne et franco-comorienne installés en métropole. Au moment où une compagnie, Air Austral, est intéressée par la desserte aérienne Paris-Marseille-Moroni-Mayotte, je souhaiterais évidemment que le Gouvernement en facilite la mise en place très rapide, afin que toutes les questions que l'on a posées sur cette destination n'aient plus lieu d'être à l'avenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Ce débat nous a montré qu'il y avait quelques avancées et que des propositions pouvaient être faites. C'est très intéressant, mais je rappellerai que le temps politique est beaucoup plus long que le temps médiatique. Voilà pourquoi les familles ont beaucoup de difficultés à comprendre notre cheminement.
Je voulais répondre à l'interpellation de mon collègue Jean-Claude Lecoq pour lever ses inquiétudes – pas toutes, car certaines choses dépendent de nous, mais il y en a d'autres dont, malheureusement, nous ne sommes pas maîtres.
Vous proposez d'interdire la vente de billets en France, mais il est possible d'en acheter dans les autres pays de l'Union européenne. Il faudrait donc, en tout état de cause, que l'on puisse interdire la vente dans tous les pays de l'Union européenne. Or vous savez bien, mon cher collègue, que nous touchons là à un problème qui relève du niveau national.
Il a été souligné par ailleurs que, dans les pays en question, les autres modes de transport sont, dans certains cas, largement aussi dangereux. Ce serait tomber, si je puis dire, de Charybde en Scylla. D'ailleurs, ce n'est pas nous qui pourrons codifier le choix que sont amenés à faire les professionnels qui doivent absolument se rendre dans ces pays.
Je voudrais dire, pour rassurer mon collègue Lecoq, si tant est qu'il puisse l'être, qu'un accident comme celui du Cap Skirring ne pourrait plus avoir lieu. Chacun se souvient que cet accident, survenu en 1992, avait mis en cause un tour operator bien connu, qui a d'ailleurs depuis été condamné. Trente de nos compatriotes étaient décédés et vingt-six avaient été grièvement blessés. Ce n'était un secret pour personne : la compagnie Gambcrest était pourrie. Eh bien, aujourd'hui cela n'arriverait plus, car ce tour operator ne pourrait plus mettre ainsi sa réputation en jeu.
Tous, ici, nous sommes bien conscients que nous ne pourrons pas aller comme nous le souhaiterions jusqu'au bout de la logique, mais je pense que cette avancée mérite tout de même que nous votions ce texte de façon unanime. Je vous remercie en tout cas d'avoir apporté dans la discussion un certain nombre de propositions. J'espère que nous pourrons les faire avancer plus tard.
Je voudrais apporter quelques éléments de réponse aux orateurs qui se sont exprimés. Plusieurs d'entre eux – Jean-Paul Fruteau, Jean-Paul Lecoq et Daniel Goldberg – ont évoqué l'accident dramatique de la compagnie Yemenia.
Je dois dire que cette compagnie est suivie étroitement par la Commission européenne. Son cas est régulièrement débattu. Effectivement, elle n'est pas aujourd'hui sur la liste noire, mais elle fait l'objet d'une surveillance particulière.
Quant au rapport de l'enquête technique, je voudrais simplement rappeler qu'il appartient à l'Union des Comores de le publier. Comme vous le savez, l'annexe 13 à la convention de l'OACI stipule que les États contributeurs à l'enquête technique ne peuvent en aucun cas se substituer à l'État responsable. L'indépendance du BEA interdit que nous lui imposions de communiquer les éléments du rapport qu'il a contribué à rédiger.
Cela dit, je rejoins vos préoccupations. L'un d'entre vous a d'ailleurs rappelé que le Président de la République était intervenu lui-même pour que les Comores publient le plus rapidement possible ces conclusions.
La desserte des Comores est effectivement l'une des priorités du Gouvernement. Celui-ci s'est attaché en août dernier à assurer le rapatriement de passagers d'un tour operator déficient. Je vous rappelle que plus de mille personnes étaient bloquées là-bas. Les négociations sur le droit de trafic entre la France et les Comores doivent se poursuivre d'ici à la fin de l'année ; nous en ferons le bilan.
M. Lecoq a évoqué la possibilité d'interdire la vente des billets en France. Tout en reprenant à mon compte les remarques de Mme la rapporteure, je dirai que c'est encore pire : quand bien même nous les interdirions en Europe, il est possible aujourd'hui de les acheter dans n'importe quel pays par internet. Sincèrement, ce genre de mesures n'aurait donc aucune efficacité, puisque de plus en plus, comme vous le savez, nos concitoyens se fournissent par internet pour les billets d'avion. De surcroît, je vous ferai remarquer que des pays entiers peuvent se trouver, par moments, sur la liste noire. C'était le cas de la République démocratique du Congo.
François Rochebloine a souligné le soutien du Nouveau Centre à cette proposition de loi, mais il a surtout rappelé que les facteurs humains étaient, pour plus de la moitié – 65 % – la cause des accidents. S'il est vrai que nous devons travailler ensemble sur la sécurité des aéronefs, il est tout aussi évident que la formation des pilotes doit faire partie des priorités en matière de sécurité.
Enfin, Marie-Line Renaud et Didier Gonzales ont souligné eux aussi tout l'intérêt de cette proposition de loi d'Odile Saugues. Comme l'a dit M. Gonzales, nous connaissons un état de grâce, parce que le texte, enrichi par la commission, est aujourd'hui en passe de faire l'unanimité. Je voudrais donc à mon tour féliciter la commission, la rapporteure et les autres initiateurs de ce texte pour cette disposition qui est loin de résoudre tous les problèmes, mais qui représente un petit pas dans la bonne direction et dont nous aurions donc tort de nous priver. (Applaudissements sur tous les bancs.)
La parole est à M. Christian Jacob, président de la commission du développement durable.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, madame la rapporteure, je voudrais me féliciter du bon travail que nous avons réalisé en commission. Je crois – encore que je le dise avec prudence – que c'est une première : cette proposition de loi a été votée à l'unanimité des groupes en commission.
C'est tout simplement parce qu'il s'agit d'un vrai sujet de fond, sur lequel le travail d'Odile Saugues est reconnu par tous. Nous avons apporté une contribution importante avec Yannick Paternotte et Didier Gonzales, qui est toujours très attaché à ces sujets dans notre commission. Cela nous a permis d'adopter un amendement de compromis auquel tous les groupes se sont ralliés. Nous pouvons vraiment nous en féliciter.
Comme l'ont dit la plupart des orateurs, il y a un sujet sur lequel il faudra aller plus loin : au-delà des compagnies autorisées, il y a le problème des avions. On sait que cela est compliqué, qu'il n'est pas facile de faire évoluer la législation sur ce point.
Toujours est-il que nous marquons là, comme vous l'avez dit, monsieur le secrétaire d'État, une première étape tout à fait significative dans ce domaine. Il faut vraiment nous féliciter de cette avancée qui, je l'espère, en permettra d'autres pour la sécurité de l'ensemble des voyageurs.
L'article unique de la proposition de loi ne faisant l'objet d'aucun amendement, je le mets directement aux voix.
(L'article unique de la proposition de loi est adopté.)
Je constate que la proposition de loi de loi a été adoptée à l'unanimité. Toutes mes félicitations ! (Applaudissements sur tous les bancs.)
L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Patrick Bloche et plusieurs de ses collègues relative à l'indépendance des rédactions.
La parole est à M. Patrick Bloche, rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l'éducation. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
de la commission des affaires culturelles et de l'éducation. Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, je vous remercie pour votre présence nombreuse en ce jeudi matin. (Sourires.)
Le groupe socialiste, radical et citoyen, qui a déposé cette proposition de loi en début d'année, a souhaité qu'elle soit examinée dans la niche qui lui est réservée ce jour.
Ce texte d'intérêt général devrait rallier tous les députés, puisqu'il vise à garantir ce fondement de notre démocratie et de notre République qu'est la liberté des médias, récemment inscrite dans l'article 34 de la Constitution.
La liberté de la presse, garantie dès le début de la Troisième République par la loi emblématique de 1881, souffre de certains déséquilibres causés non seulement par des raisons économiques et sociales, mais aussi par la remise en cause de l'indépendance des journalistes par les actionnaires qui dirigent, souvent de loin, les entreprises de presse.
À cet égard, la présente proposition de loi est cohérente avec celle que notre groupe avait défendue il y a un an et qui visait à lutter contre la concentration dans les médias. Nous avions alors souligné la particularité très française qui consiste, pour de grands groupes industriels et financiers, fort éloignés des enjeux de l'information et des médias, à acquérir des titres de presse écrite ou audiovisuelle, tout en vivant des marchés publics, c'est-à-dire des commandes de l'État.
Le rejet de cette première proposition de loi nous a amenés à déposer un nouveau texte visant cette fois-ci à rééquilibrer le rapport entre les rédactions, c'est-à-dire les journalistes, et ceux qui possèdent les médias, à savoir les actionnaires.
À l'appui de notre démarche, je rappellerai certaines affaires qui ont retenu l'attention de tous ceux qui sont attachés à la liberté de la presse. Au Journal du Dimanche,par exemple, propriété du groupe Lagardère, le 20 mai 2007, la société des journalistes a dénoncé l'intervention du propriétaire qui a conduit la direction du journal à censurer un article révélant que Cécilia Sarkozy n'avait pas voté au second tour de l'élection présidentielle, au motif, selon le directeur de la rédaction, que le vote relève – écoutez bien – de la « sphère privée », même pour le conjoint d'un candidat !
De même, un communiqué de la société des journalistes du Figaro contestait récemment la façon dont l'affaire Bettencourt avait été traitée par le directeur des rédactions – M. Étienne Mougeotte, pour ne pas le citer – dans son édition en ligne du 8 juillet dernier, reproduite dans l'édition papier du 9 juillet. L'article publié n'était pas signé et l'extrait choisi du procès-verbal de l'audition de Mme Claire Thibout, l'ex-comptable de Liliane Bettencourt, était tronqué. Ce traitement « participait à l'évidence de la stratégie de communication élaborée à l'Élysée », selon la société des journalistes.
Celle-ci a donc rappelé à M. Étienne Mougeotte certaines règles déontologiques de base : « les articles doivent être signés, c'est-à-dire assumés par leur auteur ». Par ailleurs, « l'expérience a démontré que les journalistes en charge d'un dossier sont généralement les mieux à même de jauger la pertinence d'une information nouvelle. »
Dans l'affaire présente, la SDJ déplorait « que ni Cyril Louis, ni Mathieu Delahousse, qui suivaient le dossier, n'aient été avertis du "scoop" sur lequel la direction venait de mettre la main ».
Enfin, « les informations doivent d'abord être vérifiées, puis exposées dans leur globalité et replacées dans leur contexte. C'est notamment le b.a.-ba pour tout journaliste du service "Informations générales" que de considérer les procès-verbaux dans leur intégralité. Sinon, le journaliste prendrait le risque d'orienter les débats et de faire dire au témoin autre chose que ce qu'il voulait dire. »
Autre exemple : dans un article publié le 7 octobre dernier, Le Monde rendait compte du témoignage d'un journaliste du Figaro concernant les pressions exercées indirectement par le groupe Dassault lorsque des articles critiques doivent être publiés sur des pays où l'industriel aurait des contrats en cours de négociation ou avec lesquels le groupe serait déjà en affaires – Brésil, Libye ou Suisse, par exemple.
Les pressions ne sont d'ailleurs plus seulement dirigées vers les décideurs des médias privés ; elles le sont également vers les présidents des sociétés de l'audiovisuel public, du fait de la mauvaise réforme de 2009,…
…avec notamment les modalités de nomination des présidents des sociétés concernées.
Ainsi, trois jours après sa nomination à la tête de Radio France, le 15 mai 2009, M. Jean-Luc Hees a cru devoir s'inviter dans une émission de France Inter diffusée en direct, dans laquelle Edwy Plenel, fondateur du site Mediapart, était venu défendre son dernier livre, Combat pour une presse libre.
M. Plenel expliquait sur l'antenne de France Inter qu'il dénonçait dans ce livre le risque de voir apparaître « un rapport clientéliste des médias à l'État ». M. Jean-Luc Hees est alors intervenu : « Je comprends votre vigilance et ce combat nécessaire. Nous sommes alliés, c'est ce que je suis venu vous dire [...] On vous entend sur cette antenne de service public [...] et on vous entendra encore, Edwy Plenel, vous êtes ici chez vous, comme tout le monde. Vous êtes la preuve que ce soupçon, en ce qui concerne la nomination des présidents de l'audiovisuel public, est infondé. » Immédiatement, les journalistes et les syndicats de Radio France ont dénoncé cette prise directe d'antenne, « de même nature que la nomination directe [...] Cette nouveauté n'est pas anecdotique. Elle crée un précédent. Ce précédent créera mécaniquement un climat d'inquiétude, qui poussera à l'autocensure ».
De même, aux Échos, depuis 2007, le groupe LVMH s'immisce dans les organes de direction du titre.
Ainsi, en 2008, déjà, la société des journalistes du titre dénonçait la nomination par l'actionnaire, M. Bernard Arnault, de son propre fils Antoine Arnault, alors directeur de la communication de Louis Vuitton, au comité d'indépendance éditoriale du groupe. Parallèlement, Delphine Arnault, fille de l'actionnaire, faisait son entrée au conseil de surveillance des Échos.
D'ailleurs, deux ans après le rachat des Échos par LVMH, près d'un quart des salariés, dont soixante-deux journalistes, ont fait jouer la clause de cession et ont quitté le groupe ou s'apprêtent à le faire, traduisant une atmosphère qui ne s'est pas améliorée au sein de la rédaction.
Les journalistes eux-mêmes ont dénoncé cette situation lors d'une réunion au Théâtre de la Colline à Paris, le 24 novembre 2008, et ont lancé un appel qui comporte notamment « le refus impératif du mélange des intérêts industriels et médiatiques, afin de garantir que les opérateurs économiques n'aient pas d'autre objectif que l'information ». La création des Assises internationales du journalisme par l'association Journalisme et citoyenneté, à l'initiative de M. Jérôme Bouvier, procède de la même volonté de refuser le mélange des genres et traduit l'impératif de réaffirmer clairement le cloisonnement entre l'éditorial et l'économique.
Notre proposition de loi se justifie d'autant plus que l'indépendance des rédactions est également menacée par la crise de la presse, qu'a analysée encore récemment Michel Françaix dans son rapport pour avis sur les crédits de ce secteur.
On connaît les effets de cette crise : précarisation et vieillissement des rédactions, baisse des rémunérations, recours croissant aux pigistes et aux contrats à durée déterminée.
Outre la convention collective nationale qui régit les relations entre les journalistes et leur direction, le rapport que je vous présente mentionne les différentes chartes déontologiques qui ont été publiées. La charte des devoirs professionnels des journalistes français remonte au mois de juillet 1918, mais on cite plus souvent celle de Munich, datant du 24 novembre 1971.
Ces documents, qui visent à garantir aux journalistes un droit à l'indépendance, tout en leur créant des devoirs dans la manière de chercher ou de rapporter l'information, offrent toutefois l'inconvénient de n'être pas opposables. Leur absence de portée juridique les condamne à rester purement incantatoires, puisqu'un journaliste en conflit avec un actionnaire ou avec sa direction ne peut s'y référer. C'est ce qui a amené les journalistes, par l'intermédiaire de leurs syndicats ou des sociétés de journalistes, à s'organiser et à alerter la représentation nationale sur l'impérieuse nécessité d'inscrire l'indépendance des rédactions dans le droit.
Le Forum des sociétés de journalistes, présidé par François Malye, regroupait treize sociétés de journalistes lors de sa création en 2005 et vingt-trois en 2007 ; il en compte trente-trois aujourd'hui.
Je voudrais pouvoir persuader nos collègues de la majorité qu'il ne s'agit pas de contester, dans le secteur de la presse écrite, audiovisuelle et numérique, le pouvoir des chefs d'entreprise ni celui des actionnaires en tant que tels. Mais une entreprise de presse n'est pas une entreprise comme les autres : y sont en jeu la liberté d'informer et celle de communiquer, garanties par la Constitution et qui doivent à ce titre être protégées.
Mais pourquoi traitez-vous les gens de la presse comme cela ? Ce sont eux qui garantissent la liberté de la presse !
L'article 1er de la proposition de loi vise, de fait, à ce que chaque entreprise de presse se dote, soit d'une équipe rédactionnelle autonome et permanente, soit d'une société de journalistes. Cette formule souple permet de prendre en compte l'histoire et la réalité de chaque entreprise. Ces deux structures seront dotées de pouvoirs, notamment en cas de changement d'actionnaires ; elles disposeront notamment du droit de s'opposer à la désignation du directeur de la rédaction. Si les actionnaires, qui conservent malgré tout le pouvoir, ne tenaient pas compte de ce veto et maintenaient la nomination, les journalistes pourraient faire jouer la clause de conscience, prévue dans le code du travail, qui leur permet de négocier leur départ en bénéficiant d'avantages sociaux.
Les articles 2 et 3, qui visent à améliorer la transparence des entreprises de presse, concernent non seulement les journalistes mais tous les citoyens.
Afin de faciliter l'application des dispositions proposées, l'article 4 prévoit des sanctions, via les aides publiques à la presse, au cas où elles ne seraient pas respectées.
L'article 5, plus général, rappelle notre intention de préserver les intérêts des journalistes.
J'aimerais que nos collègues de la majorité ne considèrent pas le texte comme une provocation à leur égard ou à l'adresse du pouvoir exécutif.
Certes, certes, soyons honnêtes : il est présenté dans un contexte que nous dénonçons souvent lors des séances de questions au Gouvernement, et au moment où notre groupe rédige une proposition de résolution visant à créer une commission d'enquête sur la manière dont le travail d'investigation des journalistes, sur lequel repose la liberté d'informer, est régulièrement entravé. (Sourires sur les bancs du groupe SRC.)
Mais cette proposition de loi, chers collègues de la majorité, traite d'un autre problème : elle vise avant tout à garantir l'indépendance des rédactions vis-à-vis de ceux qui possèdent les entreprises de presse.
Notre but n'est pas de retirer le pouvoir aux uns pour le donner aux autres, mais de rééquilibrer un rapport de force qui pâtit actuellement de la concentration des médias aux mains de grands groupes industriels et financiers qui vivent des commandes de l'État.
Compte tenu de notre attachement à l'histoire de notre pays, patrie des libertés, des droits de l'homme et du citoyen, nous regrettons tous – je l'imagine, je l'espère – que la France, qui occupait en 2002 la onzième place dans le classement de Reporters sans frontières sur la liberté d'informer dans le monde, occupe aujourd'hui la quarante-quatrième place.
M. Bloche veut nous faire croire que les droits de l'homme sont menacés !
Le vote de la proposition de loi lui permettrait sans doute de faire un grand bond en avant, et de remonter dans ce classement dès 2011. Voilà l'enjeu de la discussion de ce matin.
Je me dois, en tant que rapporteur de la proposition de loi, de vous dire que, malgré la pertinence, je l'espère, des arguments que j'ai développés, la commission des affaires culturelles a rejeté cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC ainsi que sur plusieurs bancs du groupe GDR.)
La parole est à M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication.
Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires culturelles et de l'éducation Michèle Tabarot, monsieur le rapporteur Patrick Bloche, mesdames et messieurs les députés, « Dire sans nuire, montrer sans choquer, témoigner sans agresser, dénoncer sans condamner », tels sont les principaux engagements inscrits en préambule des chartes éditoriales du plus grand quotidien français : le journal Ouest-France.
Je pourrais évidemment citer de nombreuses autres publications, car chaque média d'information dispose d'un ADN spécifique constitué d'une histoire, d'une culture, d'un rapport à ses lecteurs unique et inimitable qu'il a pour devoir de préserver. Dans le jargon journalistique, on appelle cela le « contrat de lecture ». Ce n'est pas simplement un mot ou une formule de circonstance, c'est au contraire ce qui fait l'identité et la spécificité de tous les médias. C'est ce que le public sanctionne lorsqu'il accorde ou retire sa confiance à ceux qui respectent ou au contraire négligent le contrat. Je suis persuadé que cette contrainte positive, ce rapport intime et permanent entre le journaliste et son public sont au coeur de la créativité de la presse et des médias en général. C'est en se référant à ces valeurs, qui fondent toute relation de confiance entre la rédaction et son public, que les médias peuvent évoluer et s'adapter sans perdre leur âme.
Le texte que vous nous proposez d'examiner aujourd'hui souhaite au contraire déposséder chaque média de sa spécificité, de son histoire, de ce contrat de lecture toujours actuel et souvent façonné avec le temps. Il propose de généraliser à toutes les entreprises des médias ce qui ressort du domaine de la responsabilité interne et individuelle de chaque directeur de publication : la conformité de la rédaction avec la charte éditoriale de son journal.
Le texte que vous proposez conduit à deux principales impasses, une impasse éthique et professionnelle et une impasse économique et juridique.
D'abord, vous vous engageriez dans une impasse éthique et professionnelle, dans la mesure où il ne s'agit de rien de moins que de confisquer de manière autoritaire la conversation avec le public.
Être journaliste, en effet, c'est avant tout entretenir une conversation avec son public. Cette conversation s'appuie sur une relation de confiance qui interdit toute forfaiture. On ne saurait imaginer que cette conversation, dont seul le public est l'arbitre et le juge, soit confisquée d'autorité au profit de la seule équipe rédactionnelle. Ce serait instaurer un pouvoir arbitraire qui pourrait au besoin changer le public au cas où il ne correspondrait pas à ses aspirations profondes, au mépris du contrat et du pacte passé entre les journalistes et leurs lecteurs.
Évidemment, il est de mon devoir et de ma responsabilité d'être vigilant afin de préserver l'indépendance et la liberté d'informer des journalistes, mais ce devoir s'accompagne parallèlement de l'attention toute particulière que l'on doit accorder à la liberté du public d'être informé. Paradoxalement, alors que le texte que vous nous proposez vise à défendre la liberté et l'indépendance de l'information, je suis certain qu'il manque sa cible, avec des effets que vous ne mesurez pas.
La confiscation de cette liberté au profit d'une équipe rédactionnelle instaurée d'autorité pourrait être dans notre pays à l'origine du déclin, ou à tout le moins de l'affaiblissement d'une certaine presse d'opinion fondée sur la conversation et l'écoute de son public.
Si l'exigence du débat s'impose, ce dernier doit s'inscrire dans le cadre des structures individuelles de chaque média, dans le respect de son histoire, de ses traditions, de sa culture.
Dans ce contexte, il ne me paraît pas justifié que le législateur s'immisce dans un débat qui relève de la seule éthique professionnelle, comme c'est d'ailleurs le cas ailleurs. Dans la très grande majorité des pays, les sociétés de journalistes, lorsqu'elles existent, jouent un rôle purement consultatif. S'agissant de l'organisation interne des médias d'information, la liberté la plus complète doit régner. Il est souhaitable et recommandé qu'ils n'en rendent pas compte aux pouvoirs publics.
Le rôle des sociétés de journalistes a largement évolué depuis la création de la première société des rédacteurs qui deviendra actionnaire du journal Le Monde en 1951. Aujourd'hui elles sont un lieu de dialogue et de concertation ; elles sont aussi un lieu de veille quant au respect de l'indépendance du média et au respect de la déontologie journalistique.
L'exemple du journal Le Parisien-Aujourd'hui en France et la crainte ressentie par les journalistes à l'annonce de sa mise en vente – hypothèse désormais écartée – illustrent parfaitement cette évolution. Cette crainte a incité la société des journalistes à rédiger une charte destinée au futur repreneur. Cette charte devait servir de base de dialogue entre les journalistes et les éventuels candidats au rachat du journal. Elle s'articulait autour de quatre principes : le journal est et doit rester un grand quotidien populaire et généraliste de qualité ; il doit conserver son caractère à la fois national et régional ; il doit préserver sa ligne éditoriale faite de neutralité politique et de proximité avec son lectorat ; enfin, il doit maintenir ses effectifs, garants de sa qualité éditoriale.
D'une manière générale, force est de constater que c'est en période de crise, du fait de divergences de conceptions, du fait du licenciement d'un collaborateur, du fait également d'un changement de direction effectif ou redouté, que ces sociétés sont créées. Aux côtés des organisations représentatives des personnels, elles jouent un rôle de vigie et de garant – ni plus, ni moins.
Il n'y a donc pas de modèle unique, et il est difficile de connaître précisément leur nombre. C'est cette souplesse et cette capacité d'adaptation aux circonstances individuelles qui font leur force. Organiser de manière uniforme ces réalités, c'est non seulement trahir leur esprit, mais c'est aussi affaiblir leur capacité d'adaptation.
Le Monde, Les Échos, Le Parisien, Paris-Match ont trouvé leur point d'équilibre autour de sociétés aux buts et aux prérogatives diverses, Ouest-France a trouvé le sien sans société de journalistes. Quel est donc l'objectif recherché par la proposition de loi, si ce n'est limiter la liberté individuelle de chaque entreprise et de ses salariés de s'organiser selon ses propres besoins ?
Il me semble évident que selon la nature du titre de presse, sa périodicité, son histoire, sa culture, les besoins sont différents. Le Quotidien du Médecin, Sciences et Avenir, ou le magazine Elle, disposent, chacun, de leur propre société de journalistes. Dans la presse spécialisée, les contraintes déontologiques, et la manière dont elles s'organisent, sont assurément de nature différente. Nier cette différence serait mal connaître les exigences qui s'imposent à chaque organe d'information.
Je voudrais citer un exemple afin de souligner la multiplicité des voies à explorer pour garantir l'honnêteté et l'indépendance de la presse. Pour les journalistes financiers, un dispositif particulier a été mis en place, en prenant appui sur la loi du 26 juillet 2005 pour la confiance et la modernisation de l'économie. Les organes de presse qui adhèrent à l'association dédiée s'engagent à respecter un code de bonne conduite et échappent, en conséquence, à la réglementation de droit commun de l'Autorité des marchés financiers.
D'une manière générale, la pratique a donc vu naître plusieurs types de mécanismes internes tendant à garantir l'indépendance rédactionnelle des journalistes.
Ces mécanismes s'inscrivent principalement dans quatre types de dispositifs : l'institution de sociétés de rédacteurs ; la participation des journalistes au capital social de l'entreprise de presse ; l'élaboration de chartes déontologiques ; des dispositions contractuelles dans les statuts de l'entreprise ou qui les accompagnent – pactes d'actionnaires, fondations...
Ces différents moyens ne sont pas exclusifs l'un de l'autre. Dans le domaine de l'éthique professionnelle, il s'agit de faire du sur-mesure et d'agir au cas pour cas, en d'autres termes de préférer l'esprit de finesse à l'esprit de géométrie.
Cette proposition de loi conduirait également à une impasse économique et juridique avec la confiscation de la responsabilité de l'éditeur.
Aux yeux de la loi et du public, c'est le directeur de la publication qui est responsable. Organiser au sein de l'entreprise un contre-pouvoir doté de responsabilité, ce serait rendre illégitime l'exercice de cette responsabilité qui implique des devoirs mais aussi des droits. Sans assumer la prise de risque caractérisée par la participation financière à l'économie de l'entreprise, l'équipe rédactionnelle ainsi légalisée bénéficierait d'un poids démesuré sur les orientations opérationnelles et stratégiques de l'entreprise.
L'indépendance et la liberté d'expression des journalistes sont au coeur de notre pacte républicain ; c'est une valeur cardinale, un principe à valeur constitutionnelle. Face à l'explosion des contenus et au bombardement visuel qui accompagne l'ère numérique, ces principes sont plus que jamais actuels : le public a besoin de repères clairs, d'une parole indépendante, crédible et professionnelle.
Mais cette proposition de loi semble méconnaître profondément le fonctionnement de la majeure partie des entreprises de presse. Elle sous-estime voire méprise le statut professionnel des journalistes, arraché de haute lutte dans les années 30, dont les organisations syndicales françaises s'enorgueillissent encore aujourd'hui, à juste titre. Elle sous-estime – cela est moins étonnant – le rôle de l'actionnaire à qui elle prête les pires intentions du monde. En convoquant les puissances occultes ou le pouvoir de l'argent, elle réduit l'actionnaire d'un groupe de presse ou d'un groupe média à n'être qu'un guichet de financement. Un actionnaire, ce n'est pas seulement cela, c'est aussi un acteur économique qui bénéficie de droits de propriété et qui est à même de défendre les principes de bonne gouvernance. Cela l'oblige vis-à-vis non seulement des salariés du groupe mais aussi des lecteurs et du public.
En d'autres termes, ce projet fragiliserait la cohésion interne de l'entreprise. En dotant la rédaction de pouvoirs exorbitants, il ajouterait la confusion à la défiance, il créerait les conditions d'un fossé d'incompréhension pour les entrepreneurs et les investisseurs. Or il y a plus que jamais besoin d'investissements solides et pérennes. La presse doit retrouver un nouvel élan, définir de nouveaux modèles permettant d'assurant son indépendance, sa diversité et son pluralisme dans un paysage médiatique en pleine mutation. Alors même que la presse doit renforcer ses fonds propres, le comble serait que la loi serve de repoussoir aux investisseurs.
Je me dois par ailleurs d'évoquer la loi de 1881, adoptée à l'époque de la République conquérante, celle de Gambetta, celle de Jules Ferry. Elle prévoit un régime de responsabilité en cascade en cas de délit de presse.
Mais à cette époque, les groupes d'armements ne possédaient pas les médias !
Le directeur de la publication étant considéré comme auteur principal, c'est sa responsabilité pénale, voire civile, qui sera la première engagée. À défaut, la responsabilité incombe à l'auteur de l'article et, en troisième lieu, à l'imprimeur. Ce régime de responsabilité est également applicable à l'audiovisuel.
Il relève de la responsabilité du directeur de la publication d'infléchir la ligne éditoriale du média qu'il dirige. Lui seul peut décider, en accord avec les journalistes de sa rédaction, de créer une société des journalistes. Sauf à faire évoluer ce régime de responsabilité, il n'appartient pas au législateur de lui imposer l'obligation de partager la définition de la ligne éditoriale. Alors même qu'il supportera seul les risques encourus, notamment au pénal, cela relèverait d'une logique inacceptable du « deux poids, deux mesures ».
La reconnaissance juridique de la rédaction conduit de facto à une mise à l'écart autoritaire de l'éditeur du projet éditorial, dont il assume pleinement le risque juridique et économique. Comme le Président de la République l'a rappelé le 23 janvier 2009 à l'issue des états généraux de la presse écrite, cela n'est ni souhaitable, ni acceptable.
Le projet de texte dissout la responsabilité personnelle, qui est un principe de droit public. En prétendant défendre une pseudo-liberté collective, en organisant une responsabilité collective, elle met en place, comme le remarque le président du syndicat de la presse magazine d'opinion, un « système de culpabilité collective ».
La proposition de loi susciterait, je n'en doute pas, de vives oppositions internes. Elle risquerait de priver définitivement la presse et son public de tout progrès en matière de chartes éditoriales et de code de déontologie dont le secteur a tant besoin. Depuis la publication, il y a un an, du projet de code déontologique, on voit les difficultés de la profession à s'accorder sur les termes mêmes de ce code. J'appelle de mes voeux sa mise en oeuvre, tant il est évident qu'il sera à l'origine du regain de confiance indispensable à la reconquête des lecteurs. L'adoption de votre proposition serait non seulement un coup d'arrêt mais même un danger.
Une presse de qualité doit avant tout compter sur des équipes rédactionnelles de qualité. Pour les attirer, il importe de bénéficier de médias intéressants, de conditions de travail attractives et de rédactions pourvues de ressources adéquates. C'est pourquoi il est fondamental que l'éditeur comme les rédacteurs accordent une large place à un débat régulier sur la qualité de leurs médias.
Le cadre actuel est à cet égard satisfaisant, si l'on en juge par le nombre mais aussi le dynamisme des sociétés de journalistes dans notre pays. Leur développement n'est pas un signe de régression, c'est au contraire le signe d'une prise de conscience. La profession s'organise afin de défendre ses valeurs éthiques et déontologiques, dans le respect des particularismes de chaque entreprise de médias. Ces valeurs ne sont pas incompatibles avec la sensibilité éditoriale des équipes dirigeantes : assumées conjointement, elles renforcent les organes de presse ; partagées, elles nourrissent le dynamisme des entreprises et du secteur.
J'entrevois par ailleurs dans cette proposition de loi plusieurs dommages collatéraux mettant en cause le statut professionnel des journalistes et l'équilibre du dialogue social dans l'entreprise.
L'honnêteté et l'indépendance de la presse ne résident pas uniquement dans celles de sa direction mais aussi dans la conscience du journaliste qui conserve sa liberté de jugement et de décision à l'égard du journal auquel il collabore.
Le statut du journaliste lui permet de ne plus collaborer avec un média d'information dont il ne partage plus les vues. Lors du rachat d'un titre de presse, il peut faire jouer sa clause de cession. S'il estime qu'il y a eu un changement notable dans le caractère ou l'orientation du journal, il peut faire jouer sa clause de conscience. Je mesure la difficulté de faire jouer cette dernière dans la pratique. Elle ne doit s'appliquer qu'à des changements politiques dans la ligne éditoriale du journal. En 1996, le Conseil d'État a pourtant reconnu que tout changement notable dans l'orientation du journal créait une situation de nature à porter atteinte aux intérêts moraux des journalistes.
C'est cette volonté de garantir l'indépendance du journaliste qui a conduit le législateur à instaurer en 1935 un statut très éloigné du droit commun. Lorsqu'un journaliste demande à bénéficier soit de la clause de cession, soit de la clause de conscience, il bénéficie d'un régime similaire à celui d'un licenciement, notamment pour le versement de l'indemnité de départ.
Il a sans doute échappé à ses auteurs qu'en associant l'équipe rédactionnelle à la responsabilité de l'orientation éditoriale de l'entreprise, la proposition de loi anéantissait donc du même coup l'un des fondements du statut des journalistes français.
Comment en effet imaginer dans ces conditions qu'un journaliste puisse avoir recours au régime protecteur et dérogatoire de la clause de conscience, tout en étant impliqué directement dans l'élaboration collective de la ligne éditoriale ?
Cette proposition est également périlleuse à un autre titre, en provoquant la déstabilisation des équilibres historiques du paritarisme. Il est plus que souhaitable d'éviter d'imposer par la loi des structures internes qui pourraient, à terme, entrer en concurrence directe avec les institutions représentatives du personnel – délégués du personnel, comité d'entreprise, comité de groupe –, sans pour autant disposer du même cadre de fonctionnement ni de la même légitimité.
Alors qu'elle prétend garantir l'indépendance de l'information et des médias, principe à valeur constitutionnelle, cette proposition de loi pourrait précisément la restreindre, en imposant un modèle unique au lieu de laisser chaque média choisir la gouvernance la plus adaptée à son histoire, son actionnariat, ou son positionnement éditorial.
Je me permets de rappeler que la loi prévoit des mécanismes à même de garantir le pluralisme et la diversité de la presse française.
Les dispositions de droit commun du contrôle des concentrations s'appliquent au secteur des médias. L'Autorité de la concurrence assure le contrôle des opérations de concentration, comme cela a été le cas lors du rachat du titre Les Echos par le groupe LVMH. Par ailleurs, la loi du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse limite à 20 % la prise de participation d'entreprises étrangères non communautaires, ou non ressortissantes d'un État ayant conclu un accord bilatéral spécifique avec la France, dans des entreprises de presse françaises. Des dispositions analogues existent pour les entreprises du secteur audiovisuel.
Pour toutes les raisons que j'ai évoquées, le Gouvernement ne peut pas être favorable à une proposition de loi qui entend créer de nouvelles obligations à la charge des éditeurs et contribuerait à diminuer plutôt qu'à renforcer l'indépendance des journalistes ainsi que leur statut.
Comme vous le voyez, mesdames et messieurs les députés, la déontologie reste la seule voie légitime de l'intervention pour les sociétés de rédacteurs.
L'unique espace légitime et crédible entre les organisations représentatives du personnel et les instances dirigeantes est celui de la déontologie. Ce n'est ni une incantation, ni un voeu pieux ; c'est un objectif et une exigence afin de reconquérir durablement la confiance des publics. C'est la raison pour laquelle j'appelle à nouveau toutes les organisations représentatives à étudier avec attention les conditions dans lesquelles elles pourraient adopter le projet de code de déontologie rédigé il y a un an par le comité des sages qu'animait M. Bruno Frappat. Je salue d'ailleurs à cet égard l'initiative de l'un des grands syndicats professionnels de presse, le syndicat professionnel de la presse magazine d'opinion, qui a pris la décision d'annexer ce projet de code à ses statuts, laissant la responsabilité de sa mise en oeuvre et de sa déclinaison individuelle au soin de chaque entreprise de presse. C'est une position d'équilibre et de sagesse. C'est une position dont je partage et la lettre et l'esprit.
Cette proposition de loi comporte également, mesdames et messieurs les députés, un volet visant à instaurer des obligations accrues de transparence, notamment de l'actionnariat, des entreprises de presse. Ce point avait d'ailleurs été proposé par le Président de la République dans son discours de clôture des états généraux de la presse écrite le 23 janvier 2009. Il envisageait que soit améliorée la transparence de l'actionnariat des entreprises de presse afin de renforcer la confiance du lecteur.
Le Gouvernement est donc tout à fait favorable à cette orientation.
Toutefois…
…dans la mesure où la proposition de loi de simplification et d'amélioration de la qualité du droit répondra à cette exigence, il n'est pas justifié aujourd'hui de légiférer sur ce point.
Je tiens à être clair, c'est la seule raison qui m'incite à me prononcer défavorablement sur ce volet de la proposition de loi. Nous ne pouvons pas nous permettre d'avoir des dispositions de portée similaire qui cheminent parallèlement dans deux textes en cours d'examen.
Je voudrais conclure devant vous, en soulignant que la politisation du débat sur l'indépendance et le pluralisme des médias peut parfois conduire à des écueils. Comme j'ai tenté de le démontrer, à trop vouloir légiférer, encadrer, réglementer, on conduit à l'effet opposé à l'objectif initialement fixé. L'indépendance des médias et des journalistes est un héritage historiquement conquis, une valeur constitutionnellement garantie, une éthique moralement définie.
Elle doit être protégée et garantie – c'est tout le sens de l'aide publique aux entreprises et groupes de presse. Elle ne doit pas être corsetée et disciplinée.
Telle est la conception du journalisme et des médias qu'entend défendre le Gouvernement. Elle repose sur trois principes : la liberté de l'éditeur, la responsabilité individuelle du journaliste, le respect du dialogue singulier entre ce dernier et son public. En d'autres termes, nous préférons l'exigence d'une éthique de la responsabilité à la rhétorique facile de l'irresponsabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC.)
À l'heure où une société extrêmement puissante menace de faire main basse sur la numérisation de tout le patrimoine culturel européen, donc de déstabiliser gravement l'ensemble des pratiques et de l'économie culturelles, et met en oeuvre des méthodes aussi efficaces que dangereuses pour y parvenir, je m'interroge sur la nécessité d'une telle proposition de loi agrémentée de potins, d'incantations et d'approximations diverses (Exclamations sur les bancs du groupe SRC) présentée par d'honorables parlementaires qui se trompent manifestement d'enjeux et d'époque. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC. – Protestations sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur le ministre, Je vous ai connu plus nuancé qu'aujourd'hui, mais la fougue est toujours une vertu. Je ne suis d'accord avec vous que sur un seul point, c'est lorsque vous parlez du coup d'arrêt du rapporteur. Mais si nous sommes contraints à ce coup d'arrêt, c'est parce que nous sommes en marche arrière ! (Sourires sur les bancs du groupe SRC.)
La presse est dépositaire d'un bien éminemment précieux : la liberté d'expression. Le pouvoir et le devoir de dire la vérité quand des intérêts particuliers cherchent à la taire, d'exercer 1'esprit critique lorsque l'opinion s'endort, sont consubstantiels à une société ouverte et démocratique.
La liberté de choisir son information est un autre aspect fondamental de la liberté d'expression : chaque catégorie de lecteurs, chaque communauté, qu'elle soit constituée autour d'une pensée, d'une terre ou d'une solidarité, a le même droit que toutes les autres à disposer du type d'information qui correspond à ses désirs et à ses besoins.
La liberté de la presse a sa charte : la loi du 29 juillet 1881, qui organisait son expression et garantissait son indépendance – pardonnez-moi pour l'imparfait. Mais, au-delà de ce cadre juridique auquel nous sommes tous viscéralement attachés, la liberté de la presse doit être vécue dans des conditions concrètes. Que serait en effet cette liberté si les entreprises de presse n'étaient pas capables de s'adapter aux changements ?
Si la bonne santé d'un journal est le meilleur moyen de garantir son indépendance, la bonne santé du secteur dans son ensemble est une assurance pour le pluralisme et la vitalité des titres. Or quelle appréciation porter sur la situation actuelle ? Un lectorat en diminution pour les quotidiens, une insuffisance de fonds propres, une part de marché publicitaire qui se réduit au profit de la télévision – pour la première fois en effet, la part de la publicité à la télévision est plus importante que dans la presse écrite, ce qui rend incompréhensible que l'on baisse le taux de retenue pour TF1 –, une rentabilité relativement faible et une modernisation inachevée restent les principales faiblesses structurelles de la presse française.
Ces faiblesses, la presse doit les surmonter. Elle doit trouver les moyens de croître et de se développer, dans un espace géographique élargi, tout en restant elle-même ; c'est l'enjeu des années qui viennent. Pour y parvenir, elle devra trouver un équilibre entre le nécessaire dynamisme économique de groupes à la dimension internationale et le maintien, au travers de plus petites unités, d'une diversité de titres indépendants, qui incarnent en France l'exigence du pluralisme et favorisent la création et le renouvellement.
Face à l'avalanche, au choc des images et des informations, la presse écrite doit servir de référence, permettre la mise en perspective – et non la mise en scène – des événements. Relater mais aussi expliquer, ordonner les points de vue, fournir les clés de compréhension des événements et des choses, telle est la force de l'écrit. Encore faut-il qu'elle assume ses spécificités plutôt que de tenter une surenchère perdue d'avance. Pour cela, elle doit s'assurer de l'indépendance de ses sources d'information. À ce propos, je suis très attaché à ce que la France conserve et développe à travers l'AFP une grande agence mondiale d'informations.
Mais, au-delà de l'AFP, permettez-moi d'aborder la violation de la protection des sources. Je pourrais polémiquer sur les événements actuels, que tout le monde a en tête, mais je me contenterai, monsieur le ministre, d'essayer de vous convaincre : c'est grâce aux sources, grâce au secret des sources, que l'on peut abattre les murailles érigées par le pouvoir, qu'il soit politique ou économique. Sans le secret des sources, toutes les informations seraient contrôlées, formatées.
L'espionnage des journalistes et l'identification des sources constituent des atteintes inacceptables à la liberté d'information. Ces violations répétées, ces entraves à l'exercice du métier d'informer menacent sans doute les journalistes, mais, beaucoup plus grave, elles menacent les lecteurs, soit une part de notre liberté.
La situation, nous la connaissons. Nous occupons le 44e rang mondial en matière de liberté de la presse, derrière la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Au programme : violation de la protection des sources, concentration des médias, atteinte à l'indépendance des rédactions, perquisitions, mises en examen abusives de journalistes.
Je pourrais également parler des groupes dont une part significative des revenus est générée par des contrats d'État… Après que la Président de la République a déclaré que le plus important, c'était l'éducation, n'a-t-il pas fait du ministre de la défense le second dans l'ordre protocolaire ?
Mais l'on vient nous expliquer qu'il n'est pas nécessaire de trouver des structures juridiques permettant aux entreprises d'information de se développer à l'abri des groupes capitalistiques, les protégeant des pressions économiques et politiques, les garantissant contre l'ingérence décomplexée du Président de la République. Ce dernier en personne voudrait nous convaincre que la reconnaissance juridique des rédactions ne peut être envisagée, car cela découragerait les investisseurs ! Faut-il définitivement légitimer le fait que les entreprises vivant des commandes publiques soient les seules à pouvoir maîtriser les médias ?
Est-il inévitable que certains patrons de presse n'aient plus comme objectif premier l'information ? Est-il acceptable que l'actionnaire intervienne sur le traitement de l'information pour défendre prioritairement l'intérêt de l'entreprise ? Peut-être y a-t-il là matière – mais ce gouvernement en a l'habitude – à de nouveaux conflits d'intérêts…
Pourquoi, me direz-vous, ne voulez-vous pas que la presse soit considérée comme une activité identique à toutes les autres ? Pourquoi des chartes rédactionnelles, des sociétés de journalistes, une reconnaissance juridique ? À bas la transparence, vive l'opacité ! Tout cela entrave les milieux d'affaires et nuit aux concentrations, donc à la rentabilité. Soyez réaliste, monsieur Françaix, le temps est venu de maîtriser l'information et de confier le sort de la démocratie à quelques géants de la communication !
Oublié, démodé, le pluralisme des quotidiens d'information politique et générale, dont on avait pourtant fait un objectif à valeur constitutionnelle ! J'assume pour ma part le fait d'être démodé, et banal de surcroît. On ne répétera jamais assez en effet que la presse n'est pas un produit comme les autres, qu'il faut tenir compte de ses caractères spécifiques et que chaque pays d'Europe doit conserver une presse vivante, avec sa personnalité et ses diversités.
La presse est un élément constitutif de l'identité culturelle et nationale, et il faut être attentif à ce que le grand marché européen ne se fasse pas au détriment des principes qui gouvernent et garantissent la liberté de la presse.
Je ne suis pas un doux rêveur. Je ne confonds pas l'indépendance des journaux avec la sanctuarisation des rédactions. Mais comment ne pas voir que la séparation des pouvoirs entre éditeurs et rédacteurs facilite l'indépendance des titres ?
Les journaux sont un bien matériel et immatériel à la fois. Que le bien matériel appartienne aux actionnaires, cela va de soi. Le bien immatériel, lui, justifie les aides d'un milliard, que les patrons de presse qualifient d'aide au lecteur. Et puisque c'est une aide au lecteur, ce dernier ne doit pas être victime d'un détournement de la vérité.
C'est en encourageant cette création et en confortant les éditeurs indépendants dans leurs moyens de développement que l'on favorisera une offre plurielle. Mais tout ce qui renforcera l'indépendance des rédactions constituera dès à présent une avancée significative.
Vous parliez des chartes qui fonctionnent, monsieur le ministre : elles ont toujours été le fait de sociétés de rédacteurs ou de journalistes qui constituaient un contre-pouvoir à l'entreprise. Aussi suis-je confiant : en y réfléchissant bien, vous comprendrez que ce texte va dans le sens de davantage de démocratie et de l'épanouissement de l'écrit. Après nous avoir tous écoutés, je ne doute pas que vous reviendrez sur votre position. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous étudions aujourd'hui fait référence au programme du Conseil national de la Résistance sans le citer. Or ce texte mettait en avant l'idée fondamentale d'une défense de « la liberté de la presse, de son honneur et son indépendance à l'égard de l'État, des puissances d'argent et des influences étrangères ». Force est de reconnaître que, soixante-cinq ans plus tard, ces valeurs sont bafouées, traînées dans la boue, foulées au pied. L'homme de l'Élysée organise méthodiquement des pressions sur la presse d'opinion pour la museler, nomme et révoque les patrons et les directeurs de chaînes publiques, encourage la concentration, place ses affidés à la tête des rédactions, tente de s'emparer des derniers bastions de la presse libre, comme Le Monde, favorise ses amis du Fouquet's, de Martin Bouygues à Vincent Bolloré, de Serge Dassault à Bernard Arnault.
Nicolas Sarkozy n'est que le mandataire d'un groupe d'industriels puissants, qui vit en partie des commandes publiques. Il considère en effet la presse comme un vecteur économique, politique et culturel lui permettant d'assurer son hégémonie. Ce phénomène n'est pas propre à la France. Berlusconi a précédé, et sans doute inspiré, ce groupe et son factotum, tout comme M. Murdoch et son conglomérat, en Angleterre. Pour ces industriels prédateurs, qui considèrent les journalistes comme des intermittents du spectacle de l'information à leur solde, la presse est devenue une marchandise comme une autre.
La question des médias est donc une question sociale et politique à part entière, car elle détermine l'agenda politique du pays, structure le débat public, influence les consciences et influe sur les choix et la vision du monde des citoyens.
Certes, depuis les ordonnances de 1944, l'eau a coulé sous les ponts. Le monde a changé. Après avoir été dominée par Hersant, la presse est aujourd'hui colonisée par de grands groupes. La télévision et Internet sont devenus des médias puissants et de plus en plus mondialisés. Mais devons-nous baisser les bras et justifier tous les renoncements devant cette domination par quelques-uns du principal outil d'accès à la citoyenneté et à la démocratie, avec l'école ? Je ne le crois pas. Il est plus que jamais nécessaire de proposer une séparation nette entre les pouvoirs politique, judiciaire et médiatique, de s'élever contre les tentatives de mainmise du pouvoir sur la presse – souvenons-nous des journalistes écoutés et du vol des ordinateurs de ceux qui enquêtent sur les turpitudes du pouvoir.
Il faut que des propositions de politiques publiques transforment en actes cette indignation et cette révolte qui gagne les rangs des professionnels. La proposition de loi qui nous est soumise est une bonne chose, mais elle ne fait qu'actualiser des demandes de transparence. Nous la voterons, bien sûr, mais elle ne suffit pas si nous ne l'accompagnons pas d'une série de mesures précises interdisant le contrôle des chaînes de télévision par des groupes vivant de commandes publiques ; elle ne suffit pas si nous ne remettons pas en cause le renouvellement systématique des concessions attribuées à TF1 ou à M6, si nous ne garantissons pas l'indépendance de l'audiovisuel public en abolissant la loi de janvier 2009, qui attribue au Président de la République le pouvoir de nommer et de révoquer les responsables des chaînes publiques ; elle ne suffit pas si nous ne garantissons pas un véritable accès, rapide et facile, à toutes les sources documentaires d'intérêt public.
Il nous faut un véritable Freedom Information Act, comme il en existe aux États-Unis depuis 1967. La transparence est la première exigence de la démocratie. De même, l'indépendance des journalistes suppose, comme nous le voyons avec les insultes contre Mediapart et les pressions contre les journalistes qui s'occupent de l'affaire Woerth-Bettencourt – devrais-je dire l'affaire Sarkozy ? –, une protection des sources des journalistes, assurant le droit des citoyens d'être alertés et informés.
Cette loi sur la protection des sources des journalistes, que nous avons échoué à faire appliquer dans ce pays avec Aurélie Filippetti, pourrait s'inspirer de celle en vigueur en Belgique depuis 2005.
Enfin, elle ne suffit pas si nous ne garantissons pas la reconnaissance et le renforcement du poids des lecteurs, des auditeurs, des téléspectateurs et des internautes de façon à étendre le partage démocratique des opinions et des informations.
La gauche et les écologistes doivent inscrire la réforme des médias dans leur programme alternatif pour 2012, comme en 1981 ou 1997. Nous ne devons pas nous arrêter en chemin.
Nous le devons à Camus, qui, en démissionnant de Combat en 1947, après le rachat du journal par un homme d'affaires, pouvait dire : « Nous étions désarmés, puisque nous étions honnêtes. Cette presse que nous voulions digne et fière, elle est aujourd'hui la honte de ce malheureux pays. »
Madame la présidente, monsieur le ministre, mesdames et messieurs les députés, les journalistes et la presse sont les ultimes sentinelles de la démocratie. Sans eux, la régression démocratique nous guette. Au-delà de nos différences partisanes, votons cette loi comme une promesse de liberté. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, j'ai écouté avec beaucoup d'attention les différentes interventions, particulièrement le discours remarquable de M. le ministre.
À mes collègues du groupe socialiste, je voudrais dire que nous pourrions nous rejoindre sur l'objectif d'indépendance des rédactions.
Il n'y a en effet pas de démocratie sans garantie d'indépendance de la presse, comme vous l'avez rappelé, monsieur le ministre.
Toutefois, en vous entendant, monsieur le rapporteur, monsieur Mamère, j'ai constaté que vous étiez dans la caricature et je me suis demandé dans quel pays nous vivions. Je rappelle que les députés de la majorité comme le Gouvernement sont très attachés à la liberté de la presse.
Le Président de la République, à travers les états généraux de la presse, a voulu contribuer à la vitalité de la presse.
Inutile d'évoquer le Président de la République, vous ne serez plus nommé au Gouvernement !
Vous avez cité, monsieur le ministre, l'exemple du journal Ouest France, référence dans l'Ouest du pays, qui, pour assurer l'indépendance de sa rédaction, s'est doté d'instruments différents de ceux proposés par nos collègues socialistes.
Certes, les questions que soulèvent nos collègues – l'organisation et l'indépendance des rédactions ; l'actionnariat – sont incontournables. Toutefois, les solutions qu'ils proposent vont à l'encontre des objectifs qui pourraient nous réunir.
Le but des états généraux de la presse…
…est de faire en sorte que nous ayons une presse indépendante. Vous avez rappelé, monsieur le ministre, s'agissant de l'actionnariat, les mesures visant à lutter contre la concentration…
…et à assurer la transparence.
Nous devrions nous accorder sur les objectifs mais aussi réfléchir ensemble aux moyens qui permettent de les atteindre. N'oublions pas que c'est cette majorité qui a pris des mesures pour revitaliser la presse, en facilitant les abonnements et l'accès à la presse écrite.
Nous avons également adopté, il y a deux ans, des mesures visant à assurer la protection des sources des journalistes. Et l'opposition a voté contre !
La constitution d'un comité veillant au respect de la déontologie n'est pas la bonne solution pour garantir l'indépendance de la presse, comme vous l'avez souligné, monsieur le ministre.
Nous pourrions sans doute nous accorder sur les recommandations du Conseil de l'Europe, qui a beaucoup travaillé sur l'indépendance des journalistes. Cela viendrait enrichir nos débats.
À cet égard, je ne peux m'empêcher de penser à un problème que nous évoquons régulièrement au Conseil de l'Europe : l'assassinat des journalistes dans le monde. Eux ont payé un très lourd tribut à l'information. N'allons pas caricaturer la situation en France : les journalistes dans notre pays sont libres. Il importe de faire preuve de mesure au lieu de se livrer à des mises en cause systématiques, comme l'ont fait ce matin nos collègues de l'opposition à l'encontre du Président le République …
…et de certains titres. Il faut raison garder.
Je vous invite également, chers collègues, à avoir à l'esprit le mémorial du Newseum de Washington, où sont inscrits les noms de tous les journalistes qui ont payé de leur vie leur devoir d'information, dans un souci d'indépendance et de liberté.
Nous sommes tout prêts à réfléchir avec vous aux moyens d'assurer la liberté et l'indépendance de la presse. Mais nous ne pouvons adhérer à vos propositions, qui vont à l'encontre même des objectifs que vous vous fixez. C'est la raison pour laquelle les députés du Nouveau Centre ne vous apporteront pas leur soutien.
Ce n'est tout de même pas un hasard si nous avons perdu trente-trois places dans le classement international de Reporters sans frontières !
Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l'enfer est pavé de bonnes intentions. Si nous sommes certains des bonnes intentions qui animent M. Bloche, nous estimons que son texte risque d'aboutir à un résultat contraire à ce qu'il souhaite.
Sa proposition de loi comporte deux grandes mesures. La première tend à garantir l'indépendance des rédactions par la constitution d'un comité veillant au respect de la déontologie. La seconde vise à renforcer les obligations d'information sur l'actionnariat, à la charge des entreprises éditrices et des actionnaires.
L'indépendance des rédactions est un sujet qui n'a pas attendu vos propositions, monsieur le rapporteur.
Vous vous souviendrez qu'il a été abordé lors des états généraux de la presse, voulus par le Président de la République,…
…par rapport aux travaux desquels votre proposition paraît d'ailleurs retardataire.
On aurait pu craindre que vous cherchiez à coller à l'actualité à un moment où le groupe Amaury cherchait à vendre Le Parisien-Aujourd'hui en France. Nous savons que tel n'est plus le cas : notre débat peut donc se dérouler dans climat serein, déconnecté de l'immédiateté.
Les critiques que nous adressons à votre proposition s'en trouvent ainsi confortées. Elle est inacceptable pour la profession, monsieur Bloche. Elle remet en cause, par l'idée même de responsabiliser les rédactions, l'un des piliers du statut de journalistes français : la clause de conscience ne pourrait plus s'appliquer puisque les rédactions seraient elles-mêmes responsables de la ligne éditoriale. Cet effet pervers de votre proposition vous a-t-il vraiment échappé ?
En auditionnant les patrons de presse, vous avez pu constater que votre première mesure suscite l'opposition de tous les responsables d'entreprises de presse, qui y voient une grave limitation de leur pouvoir.
Ils ne souhaitent pas être contraints par la loi, ce que l'on peut comprendre, ni voir se créer une nouvelle structure, autonome, qui réduirait manifestement leur liberté d'action. Loin de renforcer le respect de règles déontologiques, le dispositif ne ferait du reste que paralyser ces entreprises de presse.
Comment ferait-on coexister au sein d'une même rédaction deux équipes composées des mêmes journalistes mais dotées de pouvoirs et de statuts différents ? Les membres de l'équipe rédactionnelle chargés du respect de la déontologie bénéficieraient en effet en matière de droit du travail de la même protection que les représentants du personnel. Ainsi, il faudrait une autorisation préalable de l'inspecteur du travail pour les licencier.
En outre, comment envisager que, par le biais du droit de veto, ils puissent peser sur la nomination du responsable de la rédaction, c'est-à-dire de leur propre supérieur hiérarchique ?
Enfin, la notion de déontologie étant vaste et relative, il faut réfléchir à l'étendue des compétences de l'équipe rédactionnelle, qui disposerait d'un droit de regard sur la politique éditoriale et rédactionnelle de l'entreprise. Comment imaginer que les journalistes aient le même niveau de responsabilité sur le contenu que le responsable de leur équipe ?
La deuxième mesure prévoit, aux articles 2 et 3, l'obligation de déclarer les noms des actionnaires détenant plus de 10 % du capital et, en cas de changement, l'identité des nouveaux dirigeants et des actionnaires. Chers collègues, ignorez-vous donc que l'article 5 de la loi de 1986 sur la presse oblige déjà les entreprises de presse, en tant que personnes morales, à indiquer le nom de leur représentant légal et de leurs trois principaux associés, et à porter à la connaissance des lecteurs le nom du directeur de la publication ? Il suffit d'ouvrir n'importe quel quotidien pour le vérifier. À cet égard, la proposition de loi est en grande partie satisfaite. On ne voit vraiment pas ce que vous apportez de plus.
Enfin, puisque ces mesures visent, ce qui est louable, une plus grande transparence quant à la détention du capital, elles devraient s'inscrire dans une réflexion globale sur l'ensemble des sociétés par actions. En la matière, pourquoi serait-il souhaitable de prévoir un régime spécifique pour les entreprises de presse ?
Que l'on ne nous fasse pas dire que nous ne considérons pas les entreprises de presse comme particulières ! Nous estimons seulement que ce n'est sûrement pas par ce truchement qu'elles attendent de nous une reconnaissance de leur spécificité.
Mon intervention est le fruit du long travail de réflexion et du débat contradictoire menés au sein de notre commission, sous la responsabilité de notre présidente, que je remercie. Je la conclurai en vous disant, monsieur Bloche, que malgré la bienveillance avec laquelle nous avons accueilli votre rapport, nous ne voterons pas cette proposition de loi.
Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le rapport de notre collègue Patrick Bloche nous rappelle que la presse est d'abord un instrument de culture, dont l'une des missions est de servir la cause du progrès humain.
Il rappelle aussi malheureusement que la France, qui occupait la onzième place en 2002 dans le classement de Reporters sans frontières sur la liberté de la presse se place désormais au quarante-quatrième rang derrière la Papouasie-Nouvelle Guinée qui, elle, progresse lorsque nous nous enfonçons dans les profondeurs du classement.
Le rapport de Reporters sans frontières a de quoi attirer notre attention quand il souligne qu'« il est inquiétant de constater que plusieurs États membres de l'Union européenne continuent de perdre des places dans le classement. Si elle ne se ressaisit pas, l'Union européenne risque de perdre son statut de leader mondial dans le domaine du respect des droits de l'homme. Comment pourra-t-elle alors se montrer convaincante lorsqu'elle demandera aux régimes autoritaires de procéder à des améliorations ? Il est urgent que les pays européens retrouvent leur statut d'exemplarité. »
Est-ce le chemin emprunté par la France ? Je crains que non. La France s'est écartée de la voie de l'exemplarité depuis quelques années.
Rappelons qu'en 2005, avant même d'être élu Président de la République, M. Sarkozy, alors ministre de l'intérieur, avait demandé et obtenu la tête d'Alain Genestar qui s'était permis de publier à la une de Paris Match la photo de Cécilia Sarkozy en compagnie de Richard Attias. L'intervention d'Arnaud Lagardère en faveur de son ami fut saluée quelque temps plus tard par un changement de devise du magazine. Celle-ci n'est plus : « Le poids des mots, le choc des photos », mais : « La vie est une histoire vraie. » Et, en effet, la vie est désormais pour Paris Match une histoire vraie écrite sous influence.
Pas étonnant, alors, que la première année du mandat de M. Sarkozy se soit ouverte dans un climat de tension entre le Président, le Gouvernement et les médias ! Ainsi, Nicolas Sarkozy a choisi de rompre avec la pratique qui voulait que les chefs de l'État français ne poursuivent pas les journalistes. Il a porté plainte au pénal contre Le Nouvel Observateur après la publication d'un article sur un SMS qu'aurait envoyé le Président à son ex-épouse. Le député des Hauts-de-Seine et porte-parole de l'UMP, aujourd'hui ministre, Frédéric Lefebvre, a attaqué verbalement l'AFP pour n'avoir pas repris l'un de ses communiqués de presse. Le Président est revenu à la charge et a accusé les publications L'Express, Marianne, Le Parisien, Le Journal du Dimanche et l'Agence France-Presse de « s'attribuer la fonction d'opposition ».
Puis la réforme de l'audiovisuel public, promulguée au début de mars 2009, a mis en place la nomination des patrons des médias de service public par le Président de la République.
En avril 2009, encore, quatre journalistes du site internet Rue89 et de France 3 ont été convoqués par la brigade de répression de la délinquance contre les personnes et accusés de vol et de recel pour avoir diffusé les propos tenus hors antenne par le Président de la République avant une interview lors du journal du soir de France 3.
Mardi soir, le Président de la République déclarait qu'en qualité de chef de l'État, il ne pouvait s'intéresser « à un journaliste qui a perdu son ordinateur ou se l'est fait voler ». Façon désinvolte de traiter de la question des pressions du pouvoir sur l'information, sur les journalistes en particulier, et maintenant sur les sources, comme s'il fallait les terroriser
Avec cette détérioration des relations entre les autorités publiques et la presse, les mises en examen, convocations et perquisitions se sont multipliées de manière inquiétante. Chacun sait combien les méthodes d'intimidation deviennent courantes. On attaque les journalistes en s'attaquant aux sources alors même que nous avons voté dernièrement une loi pour la protection de ces sources.
La récente lettre de Jean-Paul Faugère sur les écoutes et les interceptions dites de sécurité est une manière de reconnaître que la direction centrale du renseignement intérieur a plusieurs fois franchi la ligne blanche. Même un conseiller de M. Sarkozy a déclaré qu' « il fallait donc la remettre au pas », selon Le Canard Enchaîné, publication qui n'est pas l'Évangile, certes, mais qui est généralement bien informée, comme chacun sur ces bancs le sait. Les pratiques relatées sont donc condamnables par tous.
D'un côté, le pouvoir politique, par le biais de la loi sur l'audiovisuel, a mis sous tutelle les présidents de l'audiovisuel public ; de l'autre, on pratique l'intimidation et des méthodes qui bafouent le droit des personnes et des journalistes. À cela s'ajoute la promiscuité de certains organes de presse avec de grands groupes qui les détiennent et qui vivent de la commande publique ou s'en approchent.
Nous avons défendu, il y a quelques mois, une proposition de loi pour régir les rapports capitalistiques entre des groupes dépendant de la commande publique et les organes de presse. Cette proposition avait comme corollaire de viser les interventions possibles, malheureusement probables, du pouvoir politique auprès de ces groupes. Aujourd'hui, dans ce contexte, et pour que la France retrouve, sur le plan international, une place plus en accord avec ce qu'elle souhaiterait représenter, il nous paraît urgent d'organiser les rapports entre le propriétaire du capital d'un organe de presse et l'équipe journalistique.
Une mise à distance s'avère nécessaire.
Certes, les états généraux de la presse ont débouché sur une proposition de charte de déontologie journalistique, mais elle est, de fait, peu protectrice, car elle n'engage nullement les éditeurs. À défaut de s'inscrire dans le mouvement des années soixante-dix, dans lequel plusieurs quotidiens, à la suite d'Ouest-France, avaient mis en place des chartes éditoriales dont M. le ministre a rappelé tout à l'heure quelques principes, les pratiques d'aujourd'hui sont une interpellation. Elles peuvent être vécues comme une mise en cause d'une décision du Conseil constitutionnel de 1986 rappelant que nos concitoyens devaient pouvoir disposer d'une pluralité de publications et de programmes afin « d'exercer leur libre choix sans que ni les intérêts privés ni les pouvoirs publics puissent y substituer leurs propres décisions, ni qu'on puisse en faire l'objet d'un marché ».
C'est en effet de cela qu'il s'agit : tout citoyen a droit à une information pluraliste. Pour cela, il doit pouvoir compter sur des organes de presse qui garantissent les journalistes dans leur action professionnelle.
Face à ce changement qui bouscule le fonctionnement de la presse d'information, il convient que la loi intervienne, et ce ne serait d'ailleurs pas la première fois. Dans cet esprit, notre rapporteur nous propose la mise en oeuvre du principe d'indépendance des rédactions.
Organiser les rapports entre l'actionnaire et les journalistes n'est pas blâmable. Il faut un contre-pouvoir, même modéré, au pouvoir du détenteur du capital.
On peut discuter de l'endroit où fixer le curseur, mais, en tout état de cause, ce curseur doit exister.
L'indépendance passe par la reconnaissance d'une équipe rédactionnelle qui participera à l'élaboration d'une charte éditoriale en fonction de l'organe de presse. La proposition de loi fixe les attributions de cette équipe rédactionnelle en s'inspirant de la société des rédacteurs qui existe au journal Le Monde.
Le texte s'inspire donc des initiatives les plus édifiantes en matière de reconnaissance du travail journalistique et de rapports entre journalistes et détenteurs du capital des journaux. En même temps, il propose une meilleure information des lecteurs sur les dirigeants et la propriété de l'organe de presse.
Est-il inutile qu'en contrepartie de financements publics de la presse, des garanties soient accordées aux citoyens lecteurs qui la financent par l'achat et par l'impôt ? Est-il indécent que le législateur s'intéresse à ces questions que la seule loi du marché ne peut garantir ? Si c'était le cas, bien des propositions auraient été faites pour faire disparaître des dispositions législatives qui organisent déjà la presse.
Chacun de nous est interrogé moralement, sur le plan de l'éthique politique, sur le respect de la démocratie, sur la contrepartie nécessaire à l'intervention publique. Certains peuvent avoir des idées différentes pour répondre à la question posée par le présent texte, mais personne ne peut dire qu'elle ne mérite pas d'être posée. Je sais que nombre de collègues qui siègent sur les bancs de la droite sont eux aussi troublés par les pratiques incessantes à l'encontre des journalistes et de leurs sources.
Alors, je vous propose de faire notre boulot de député en participant au débat, à la réflexion et, pourquoi pas, à la décision. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le vote récent du budget Médias a été l'occasion pour les député-e-s communistes, républicains et du parti de gauche de rappeler leur attachement à l'indépendance de la presse. Profanation de la protection des sources, nominations des dirigeants des chaînes, limogeage de journalistes trop critiques : depuis quelques mois, les exemples ne manquent pas dans l'actualité.
Dans la presse écrite, cette remise en cause généralisée de l'indépendance de la presse s'écrit sur fond de concentration du capital de la presse. Un exemple récent peut témoigner des limites toujours existantes des règles en vigueur : celui de la tentative, heureusement avortée, de rachat par le propriétaire du Figaro, quotidien national tirant à 314 000 exemplaires, du quotidien régional Le Parisien tirant lui à 305 000 exemplaires. Cela, dans un contexte politique particulier, puisque le sénateur milliardaire Serge Dassault est par ailleurs en proie à des élections compliquées à Corbeil-Essonnes.
Aussi, nous ne pouvons que saluer l'intérêt partagé du groupe SRC pour ce sujet de l'indépendance, du pluralisme et de la qualité de la presse. Cette proposition de loi apporte des avancées en matière d'information sur la détention du capital et sur les organes de direction. Tout ce qui apporte de la transparence et permet aux hommes et aux femmes de ce pays de pouvoir juger et décider en toute connaissance de cause, va dans le bon sens.
Le coeur de ce texte n'est toutefois pas là. Il réside dans l'alourdissement du poids des journalistes au sein du processus de décision. Une équipe de rédaction permanente composée de journalistes professionnels participerait à la charte éditoriale, disposerait d'un veto sur les nominations et jouerait un rôle premier en matière de déontologie. Par le biais d'une association reconnue ou d'une société des rédacteurs, les journalistes pourraient également siéger de droit, avec voix consultative, dans les conseils d'administration et de surveillance. Cela appelle plusieurs remarques.
Tout d'abord, et c'est essentiel, l'équipe rédactionnelle ne peut ni ne doit se substituer aux représentants du personnel. « En cas de changements importants dans la composition du capital ou de l'équipe affectant de manière préoccupante la situation économique de l'entreprise », pour reprendre les termes du texte, c'est aux syndicats d'user de leur droit d'alerte et de prendre, de manière globale, les mesures nécessaires. Les journalistes sont libres d'y adhérer et d'y faire valoir leurs vues.
Ensuite, pourquoi se limiter aux seuls journalistes ? Si le journal fait faillite ou licencie, ne doit-on pas aussi rendre des comptes à toutes les autres catégories de personnels ? Allons même plus loin : à l'ensemble des travailleurs dont les salaires, les conditions de travail et l'emploi pourraient être affectés, au sein de la chaîne allant de la production de l'information à la distribution du journal, en passant par son impression ?
Pourquoi, encore, se contenter d'un droit d'information et ne pas aller jusqu'à un vrai pouvoir de décision pour l'ensemble des salariés ? Siéger à titre consultatif dans un conseil d'administration, c'est important pour que les représentants des salariés soient informés. Mais leur donner le pouvoir de s'opposer aux mauvaises propositions des actionnaires et d'émettre des propositions constructives, voilà qui constituerait un vrai progrès !
Enfin, si permettre aux journalistes de participer à la définition de la ligne éditoriale constitue une avancée, pourquoi s'arrêter en si bon chemin ? Si l'on voulait vraiment rendre les médias aux hommes et aux femmes de ce pays, ne faudrait-il pas se diriger vers une véritable appropriation populaire de la presse et favoriser la participation des lecteurs ?
L'indépendance de la presse est assurément un problème déontologique, éthique. Mais on ne peut s'en tenir là : le modèle économique de la presse lui-même est en cause. Quand un journal doit adoucir le contenu des messages qu'il diffuse pour bénéficier de recettes publicitaires, adoucir sa ligne éditoriale pour éviter le départ d'un gros actionnaire, sa rédaction n'est pas indépendante. Quand un journaliste a peur que son CDD ne soit pas renouvelé, il ne peut être indépendant.
Seul un financement public, délibéré dans un cadre démocratique avec les usagers et les salariés, peut garantir l'indépendance des rédactions. Mais la politique actuelle du Gouvernement ne va pas du tout dans ce sens. Le rapport récemment livré à Bercy par Aldo Cardoso sonne le glas de la presse d'opinion, qui souffre déjà de la discrimination publicitaire : pour économiser 400 millions d'euros, ce rapport préconise de pénaliser les journaux à faible tirage en baissant leurs aides à la diffusion, et d'aider les journaux prospères, qui ne souffrent pas des discriminations publicitaires, à se moderniser sur le dos des autres.
Pour conclure, ce texte part d'une bonne intention, mais le remède apporté est nettement insuffisant. Nous devrons nous abstenir si ce texte maintient son équilibre actuel, c'est-à-dire affaiblit les syndicats pour permettre à des clubs de journalistes d'être mieux informés et de fixer des règles déontologiques. L'indépendance des rédactions ne réside fondamentalement pas dans une transparence accrue sur la propriété du capital. Elle réside dans les pouvoirs effectifs donnés aux usagers et aux salariés dans leur ensemble pour prendre des décisions, et dans la maîtrise du processus de concentration du capital en cours, et donc dans le modèle économique de la presse et des médias.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, un récent rapport de Reporters sans frontières international sur la liberté de la presse place la France au quarante-quatrième rang mondial, alors qu'elle était au onzième rang en 2002. Le secrétaire général de cette organisation estime même que notre pays est devenu le premier pays européen en termes de perquisitions dans les rédactions et de mises en examen ou placements en garde à vue des journalistes.
Au travers de ces révélations, nous mesurons combien nous sommes loin de la pleine liberté de la presse, principe fondateur de nos démocraties qui reposent tout à la fois sur la liberté d'opinion et la liberté d'expression.
Et pourtant, un rapide parcours de nos institutions nous rappelle que l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 soulignait déjà que « Tout citoyen peut parler, écrire ou imprimer librement ».
Par ailleurs, depuis la loi fondatrice de 1881 sur la liberté de la presse, notre assemblée n'a cessé de renforcer la protection du monde des médias.
Notre réflexion s'inscrit à son tour dans cette démarche pour assurer l'indépendance des rédactions et elle vise ainsi à compléter le régime juridique de la presse, inscrit dans la loi du 1er août 1986. Elle soutient, en outre, les tentatives de la profession qui essaie, depuis longtemps, de s'organiser, de se doter de règles déontologiques et de protéger son indépendance, en créant notamment des sociétés de journalistes. Mais au regard des affaires récentes, ces outils professionnels sont désormais insuffisants.
C'est pourquoi la proposition de loi que nous défendons, monsieur le ministre, tend non seulement à assurer la liberté des journalistes mais également à garantir l'indépendance des équipes rédactionnelles.
Deux mesures illustrent cette volonté : la parution dans chaque numéro du nom des actionnaires détenant plus de 10 % du capital, afin d'informer le public sur l'identité des dirigeants réels des groupes de presse et la publication annuelle de la charte éditoriale et déontologique de chaque organe de presse permettant aux journalistes d'exercer leur profession librement et en toute indépendance.
L'inscription dans la loi de ce principe d'indépendance va d'ailleurs dans le sens de l'article 34 de la Constitution, récemment révisée, et qui précise que la loi doit fixer les règles concernant « la liberté, le pluralisme et l'indépendance des médias ».
Informer est donc bien une mission essentielle pour la défense de la démocratie. C'est ce que rappelait, sur ces bancs, le 11 octobre 1848, le député Victor Hugo lorsqu'il déclarait : « Ne souffrez pas les empiétements du pouvoir ; ne laissez pas se faire autour de vous cette espèce de calme faux qui n'est pas du calme, que vous prenez pour l'ordre et qui n'est pas l'ordre ; faites attention à cette vérité que Cromwell n'ignorait pas, et que Bonaparte savait aussi : le silence autour des assemblées, c'est bientôt le silence dans les assemblées. » (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi relative à l'indépendance des médias que nous examinons aujourd'hui est un texte d'intérêt général destiné à renforcer l'équilibre des pouvoirs au sein des organes de presse de notre pays, dans le but d'en garantir la liberté et la qualité.
Personne ne peut nier que cette liberté et cette qualité sont aujourd'hui remises en cause, notamment face à la multiplication de procédures faisant état d'interventions de la sphère politique et du monde des affaires dans la rédaction d'un article de journal ou la conduite d'une émission de radio ou de télévision.
Conséquence directe de cette situation, la France est quarante-quatrième au classement annuel de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières. Elle était au douzième rang en 2002. Ce classement est cinglant. Il nous interpelle tous.
De même, selon un sondage publié fin 2009 par La Croix et TNS Sofres, 42 % des personnes interrogées déclarent ne pas faire confiance aux organes de presse.
Il est impossible, mes chers collègues, de ne pas s'alarmer devant cette situation qui ébranle les fondements de notre démocratie et de notre République.
En effet, sans confiance dans le messager, il n'y a pas de confiance dans le message. Le lecteur, le téléspectateur ou l'auditeur se détournent. La diffusion des informations, des idées, des débats ne se fait plus. Tout le système, qu'il soit économique ou politique, se grippe et finit par dépérir.
De par ce pouvoir et cette responsabilité sociale, une entreprise de presse n'est donc pas une entreprise comme les autres.
Parmi les trois principaux groupes de presse de notre pays, deux sont aujourd'hui la propriété d'entreprises tirant une part importante de leurs revenus de commandes publiques, notamment dans le secteur de l'armement.
Ce mélange des genres ne peut qu'engendrer le trouble et susciter bon nombre de questions.
Ce texte prend le problème de la liberté de la presse par l'autre bout. Il vise à renforcer la séparation des pouvoirs au sein des organes de presse, entre le pouvoir matériel, l'actionnaire, responsable de sa bonne gestion et de sa pérennité financière, et le pouvoir immatériel, le journaliste, garant du respect de la déontologie journalistique. Ce renforcement est d'autant plus nécessaire que la profession de journaliste, sous l'effet de la crise du modèle économique des médias, se fragilise et se précarise, notamment pour les jeunes.
La part de pigistes, dont 37 % gagnent moins de 1 500 euros bruts par mois, augmente au sein de la profession, tout comme celle des salariés en contrat à durée déterminée. Cette précarité croissante renforce encore la pression pouvant être exercée par le propriétaire sur la rédaction.
En prévoyant que tout organe de presse se dote, soit d'une équipe rédactionnelle autonome et permanente, soit d'une société de journalistes, protégées par la loi et chargées de veiller au respect de la déontologie et de la crédibilité des informations diffusées, la présente proposition vise non pas à retirer tout pouvoir de direction aux propriétaires de médias, mais à garantir l'exercice indépendant de garde-fous destinés à les prévenir contre tout dépassement de la ligne jaune séparant la gestion du contenant de la manipulation du contenu.
Ce système existe déjà dans de nombreux médias, comme Le Monde, Libération, La Vie ou Le Nouvel Observateur. Il y montre et démontre son utilité et sa pertinence.
J'ajoute que, dans l'exemple du Monde, la Société des rédacteurs a même joué un rôle essentiel lors du changement d'actionnaires intervenu récemment.
En lien avec la direction, ces équipes rédactionnelles autonomes ou ces sociétés de journalistes rédigeront une charte éditoriale et déontologique adaptée aux spécificités de leur média. La charte éditoriale précisera le positionnement de la publication par rapport au public à laquelle elle se destine.
La charte déontologique encadrera, quant à elle, le traitement de l'information par les journalistes et les principes professionnels à respecter.
Cette charte s'appuiera sur les chartes déontologiques déjà existantes au niveau de la profession de journaliste, celles de 1918 et de 1971.
Cette proposition de loi vise également à renforcer l'information du public sur l'identité des propriétaires des différents organes de presse et sur leur ligne éditoriale et déontologique. Cependant, face à une complexité toujours croissante des montages financiers utilisés dans le secteur, elle se révèle largement insatisfaisante.
Mes chers collègues, même si cette proposition de loi s'inscrit dans un contexte marqué par la recrudescence d'affaires, elle n'est pas destinée à une utilisation partisane de ce climat. Elle vise juste à donner aux journalistes le socle légal leur permettant d'exercer leur travail en toute indépendance, dans le respect strict des règles déontologiques de leur profession. Ce sera profitable tant à notre démocratie qu'à la santé économique des organes de presse de notre pays.
Comme je le disais en introduction, c'est donc une proposition d'intérêt général que nous vous demandons d'adopter. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Madame la présidente, je souhaite apporter quelques éléments de réponse et faire quelques commentaires.
Au vu des interventions, j'estime que l'initiative que le groupe SRC a voulu prendre ce matin en mobilisant en partie sa niche parlementaire à ce sujet est justifiée.
Monsieur le ministre, j'avoue que j'ai été surpris par la tonalité de votre intervention que j'ai trouvé fort décalée eu égard au rapport que j'ai présenté au nom de la commission des affaires culturelles et de l'éducation. En effet, en vous écoutant, j'ai eu l'impression que notre proposition de loi visait une démarche de collectivisation de la presse…
…la plume ou le stylo entre les dents, et que, à travers la simple reconnaissance juridique des sociétés de journalistes ou des équipes rédactionnelles permanentes et autonomes, nous étions en train d'installer de vrais soviets.
Pourtant, ce texte vise seulement à mettre en place des éléments de régulation au vu de la situation actuelle. C'est de la responsabilité du législateur de le faire.
Nous n'avons pas la même vision des choses que vous, puisque, dans votre intervention, vous avez plutôt prôné le laisser-faire et le laisser-aller. Vous avez stigmatisé le fait que nous voudrions mettre en place des contre-pouvoirs. Oui, nous l'assumons. Mais un contre-pouvoir, ce n'est pas un transfert de pouvoirs, il s'agit de rééquilibrer les pouvoirs. Qui peut contester aujourd'hui qu'il y a, dans les médias français, un déséquilibre entre le pouvoir des actionnaires et celui des rédactions ?
Comme les orateurs de la majorité, vous avez repris l'argumentation des éditeurs de presse et des patrons de presse que nous connaissons et que j'ai moi-même eu l'occasion d'entendre récemment en les auditionnant, mais sans faire le tri. J'ai presque été déçu que vous n'ayez pas profité du débat de ce matin pour vous adresser aux journalistes, compte tenu de ce qu'est devenue la profession de journaliste et de la difficulté qu'ils ont à faire leur travail.
Pourtant, ce rapport était une manière de vous tendre la main pour que vous vous adressiez à tous les journalistes de France, en tant que ministre de la communication, et que vous puissiez leur dire la préoccupation que suscite pour vous la précarisation croissante de la profession de journaliste, son vieillissement, le recours systématique aux contrats à durée déterminée ou aux pigistes, et le fait que l'on constate même dans la durée – et je vous renvoie à mon rapport – une baisse moyenne de leurs rémunérations.
Aujourd'hui, le forum des sociétés de journalistes rassemble trente-trois sociétés de journalistes. Par ailleurs, il existe, fort heureusement, dans les médias, des syndicats auxquels je souhaite rendre un hommage appuyé car, dans le contexte actuel de précarisation de la profession de journaliste, leur rôle est de plus en plus difficile.
Dans cette situation, comment considérer que cette proposition de loi, qui vise à une reconnaissance législative d'un état de fait, puisse être conçue comme un instrument de paralysie, comme une sorte de repoussoir pour ces investisseurs tant désirés vu l'état de la presse française ? En l'occurrence, il ne s'agit pas de décourager des investisseurs, mais de rétablir un rapport de forces qui s'est largement dégradé ces dernières années. Vous ne pouvez pas, monsieur le ministre, chers collègues de la majorité, vous contenter de régler la question en annexant le code de déontologie dit Frappat à la convention collective.
Il n'en est rien : le code Frappat – j'ai pu le constater en assistant hier aux assises internationales du journalisme à Strasbourg – ne satisfait ni les journalistes, ni leurs représentants, ni les syndicats, car il présente l'inconvénient de dresser la liste des devoirs des journalistes sans se montrer pour autant bien contraignant pour les éditeurs de presse. On peut par conséquent comprendre que les patrons de presse le trouvent parfait dans la mesure où il énumère les devoirs de leurs salariés. Il ressort en tout cas des auditions que j'ai réalisées que l'annexion du code Frappat aux conventions collectives ne règle en rien les problèmes que nous avons soulevés.
La tonalité de l'intervention de M. Hunault m'a paru peu centriste. On peut certes se réjouir de ce qui se passe à Ouest France, sous bénéfice d'inventaire toutefois – je suis en tout cas moins bien placé ici que d'autres collègues pour le faire. Laissez-moi ensuite corriger une inexactitude : le groupe SRC n'a pas voté contre le projet de loi renforçant la protection des sources des journalistes mais, comme l'a très bien rappelé Noël Mamère, il s'est abstenu, jugeant ce texte insuffisant. Nous espérons que la France fera un jour aussi bien que la Belgique en la matière. M. Hunault aurait pu du reste s'abstenir de citer un texte que le Gouvernement a fait voter pour ensuite le violer régulièrement.
Et puisque M. Hunault a cité le Conseil de l'Europe, je le renvoie à la page 29 de mon rapport, qui rappelle précisément que, dans une résolution pas très récente, ledit Conseil de l'Europe invitait les médias à « s'engager à se soumettre à des principes déontologiques rigoureux » et suggérait de « créer des organismes ou des mécanismes d'autocontrôle » pour garantir l'indépendance de la profession. C'est exactement l'objectif poursuivi par la présente proposition de loi.
J'ai déjà largement répondu à Mme Marland-Militello, qui rappelait que l'enfer était pavé de bonnes intentions. Je pourrais lui rappeler à mon tour que « l'enfer, c'est les autres » et que la vie des rédactions n'est pas le long fleuve tranquille qu'elle a bien voulu décrire. Je n'ai guère décelé, dans notre texte, d'effets pervers quant à l'application de la clause de conscience. On la fait valoir sous conditions et nous avons souhaité ajouter, avec le droit de veto, une condition supplémentaire.
En outre, nous prévoyons bien la création de statuts différents : les délégués du personnel, les représentants syndicaux bénéficient d'un statut de salariés protégés afin que quand des journalistes défendent d'autres journalistes ils ne soient pas victimes de leur détermination, de leur courage.
Après avoir répondu aux opposants à ce texte, j'entends remercier tous ceux qui se sont prononcés en faveur de son adoption.
Je rends évidemment hommage à mes collègues du groupe SRC, qu'il s'agisse de Michel Françaix, dont j'avais déjà salué l'investissement et…
…les remarquables compétences en matière de presse, de Marcel Rogemont, dont l'engagement en faveur de l'indépendance des médias n'est plus à démontrer – il fut très présent dans l'hémicycle quand l'audiovisuel public a été réformé – ou encore de Monique Boulestin, citant Victor Hugo, toujours si actuel.
Merci enfin à Jean-Luc Pérat, qui a rappelé nos arguments en faveur de cette proposition tout en notant – ce qui me permet de faire le lien avec les deux derniers intervenants de l'opposition, Noël Mamère et Jean-Paul Lecoq – que ses dispositions n'étaient pas suffisantes. Cela va de soi. Si ce texte est un engagement en faveur de la liberté de la presse et de l'indépendance des rédactions, comme l'a souligné Noël Mamère : il est aussi une promesse de liberté et d'autres textes devront suivre.
La gauche a déjà pris des initiatives, en 1981 et en 1997. Nous célébrerons d'ailleurs, l'année prochaine, le trentième anniversaire de la libération des ondes par la gauche en 1981.
Le Président de la République ne s'appelait-il pas François Mitterrand ?
J'ai écouté avec attention l'intervention de Jean-Paul Lecoq, qui a développé la même argumentation que les représentants syndicaux que nous avons auditionnés – j'en profite pour rendre hommage à Mme Pradalié, secrétaire générale du syndicat national des journalistes, qui a rappelé que cette proposition de loi était justifiée par la situation des rédactions.
J'ai bien entendu que votre groupe, monsieur Lecoq, s'abstiendrait sur ce texte mardi prochain. Je tiens néanmoins à vous rassurer : nous considérons nous aussi que le rôle des syndicats est essentiel. Quand vous faites valoir qu'au sein des médias il n'y a pas que des journalistes mais également bien d'autres personnels, nous vous rejoignons totalement. Le texte prend en compte une situation de fait. C'est pourquoi le texte est souple, ouvert et si nous commençons par nous occuper des équipes rédactionnelles autonomes et permanentes – dont le sort vous préoccupe comme nous –, ne négligeons pas le fait qu'il existe aussi des sociétés de journalistes.
On objectera que dans certains médias les sociétés de journalistes entretiennent parfois des relations avec les actionnaires et ne sont donc pas aussi autonomes que les syndicats. Certes, c'est la vie de chaque entreprise, des entreprises de presse comme des autres.
Cette proposition de loi, monsieur Lecoq, concerne tous les journalistes, toutes les situations. Elle tient compte du rôle irremplaçable, notamment au sein de la presse française, des syndicats de journalistes mais aussi des syndicats des autres personnels. Nous sommes par conséquent fiers de défendre ce texte parce qu'il vise à renforcer une liberté de la presse que nous estimons menacée en France. Ne donnons certes pas dans l'excès – la France n'est pas une dictature –, reste qu'il faut lutter contre la concentration des médias, veiller à ce que les journalistes fassent dans de bonnes conditions leur travail d'investigation, qui est à la base de la liberté d'informer, à l'indépendance des rédactions. Il s'agit, au sein de ces entreprises de presse ô combien particulières, de procéder à un rééquilibrage salutaire, de rétablir un rapport de forces au bénéfice de ceux qui font les journaux – chaque jour, chaque semaine ou chaque mois –, c'est-à-dire de ceux qui tiennent la plume : les journalistes. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
J'ai écouté avec une grande attention le discours de M. le rapporteur, riche de vastes connaissances renforcées par sa présence, hier, aux assises internationales du journalisme à Strasbourg. J'ai également écouté l'ensemble des intervenants sans qu'ils m'aient aucunement conduit à infléchir ma position.
Je vous ai au contraire très bien écoutés, monsieur Rogemont.
J'ai appelé au seul respect des protections existantes dûment sanctuarisées par la loi. J'ai interpellé l'Assemblée sur les dommages en tous genres que provoquerait l'adoption de cette proposition de loi. J'ai déjà longuement évoqué des sujets comme la formation professionnelle, la défense du photo-journalisme, la revalorisation de la profession dans tous ses aspects.
Je rappelle en outre que je travaille sur la gouvernance et la transparence dans la ligne du rapport Cardoso. Je rappelle enfin que je travaille sur la question de la déontologie dans la ligne du rapport Frappat, dont M. le rapporteur a souligné qu'il suscite encore débats et discussions mais qui demeure une pierre angulaire pour l'avenir.
J'appelle maintenant les articles de la proposition de loi dans le texte dont l'Assemblée a été saisie initialement, puisque la commission n'a pas adopté de texte.
Madame la présidente, en application de l'article 96 du règlement de l'Assemblée nationale (Exclamations sur les bancs du groupe SRC),…
…le Gouvernement demande la réserve des votes sur la présente proposition de loi. (Mêmes mouvements.)
Mon intervention se fonde sur l'article 58, alinéa 1, du règlement.
La déclaration de M. le ministre appelle un commentaire pour ceux qui, parfois, prennent la peine d'assister à nos travaux. Voyant l'hémicycle vide à droite, ils pourraient penser que la majorité est désormais à gauche. Ils doivent perdre cette illusion… Depuis la réforme du règlement, si l'opposition a la possibilité de soumettre à l'Assemblée des propositions de loi, comme le présent texte sur la liberté de la presse – et le ministre a bien voulu avoir la courtoisie de venir nous exprimer son désaccord, pour autant cette proposition ne sera pas soumise au vote ce matin, si bien que la majorité n'a pas besoin d'être majoritaire dans l'hémicycle, un collègue pouvant à lui tout seul la représenter. Il s'agit d'une caricature de démocratie, madame la présidente.
En application de l'article 96 du règlement, le Gouvernement demande la réserve des votes.
La réserve est de droit.
La parole est à M. le ministre.
Je précise qu'en application de l'article 96 du règlement et de l'article 44, alinéa 3, de la Constitution, le Gouvernement demande à l'Assemblée de se prononcer par un seul vote sur les articles et l'ensemble de la proposition de loi. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Nous avons achevé l'examen de la proposition de loi.
Je rappelle que la Conférence des présidents a décidé que les explications de vote et le vote, par scrutin public, sur l'ensemble de la proposition de loi auront lieu le mardi 23 novembre, après les questions au Gouvernement.
Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :
Proposition de loi relative à la prévention de la surpopulation pénitentiaire.
La séance est levée.
(La séance est levée à douze heures trente.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,
Claude Azéma