Le directeur de la publication étant considéré comme auteur principal, c'est sa responsabilité pénale, voire civile, qui sera la première engagée. À défaut, la responsabilité incombe à l'auteur de l'article et, en troisième lieu, à l'imprimeur. Ce régime de responsabilité est également applicable à l'audiovisuel.
Il relève de la responsabilité du directeur de la publication d'infléchir la ligne éditoriale du média qu'il dirige. Lui seul peut décider, en accord avec les journalistes de sa rédaction, de créer une société des journalistes. Sauf à faire évoluer ce régime de responsabilité, il n'appartient pas au législateur de lui imposer l'obligation de partager la définition de la ligne éditoriale. Alors même qu'il supportera seul les risques encourus, notamment au pénal, cela relèverait d'une logique inacceptable du « deux poids, deux mesures ».
La reconnaissance juridique de la rédaction conduit de facto à une mise à l'écart autoritaire de l'éditeur du projet éditorial, dont il assume pleinement le risque juridique et économique. Comme le Président de la République l'a rappelé le 23 janvier 2009 à l'issue des états généraux de la presse écrite, cela n'est ni souhaitable, ni acceptable.
Le projet de texte dissout la responsabilité personnelle, qui est un principe de droit public. En prétendant défendre une pseudo-liberté collective, en organisant une responsabilité collective, elle met en place, comme le remarque le président du syndicat de la presse magazine d'opinion, un « système de culpabilité collective ».
La proposition de loi susciterait, je n'en doute pas, de vives oppositions internes. Elle risquerait de priver définitivement la presse et son public de tout progrès en matière de chartes éditoriales et de code de déontologie dont le secteur a tant besoin. Depuis la publication, il y a un an, du projet de code déontologique, on voit les difficultés de la profession à s'accorder sur les termes mêmes de ce code. J'appelle de mes voeux sa mise en oeuvre, tant il est évident qu'il sera à l'origine du regain de confiance indispensable à la reconquête des lecteurs. L'adoption de votre proposition serait non seulement un coup d'arrêt mais même un danger.
Une presse de qualité doit avant tout compter sur des équipes rédactionnelles de qualité. Pour les attirer, il importe de bénéficier de médias intéressants, de conditions de travail attractives et de rédactions pourvues de ressources adéquates. C'est pourquoi il est fondamental que l'éditeur comme les rédacteurs accordent une large place à un débat régulier sur la qualité de leurs médias.
Le cadre actuel est à cet égard satisfaisant, si l'on en juge par le nombre mais aussi le dynamisme des sociétés de journalistes dans notre pays. Leur développement n'est pas un signe de régression, c'est au contraire le signe d'une prise de conscience. La profession s'organise afin de défendre ses valeurs éthiques et déontologiques, dans le respect des particularismes de chaque entreprise de médias. Ces valeurs ne sont pas incompatibles avec la sensibilité éditoriale des équipes dirigeantes : assumées conjointement, elles renforcent les organes de presse ; partagées, elles nourrissent le dynamisme des entreprises et du secteur.
J'entrevois par ailleurs dans cette proposition de loi plusieurs dommages collatéraux mettant en cause le statut professionnel des journalistes et l'équilibre du dialogue social dans l'entreprise.
L'honnêteté et l'indépendance de la presse ne résident pas uniquement dans celles de sa direction mais aussi dans la conscience du journaliste qui conserve sa liberté de jugement et de décision à l'égard du journal auquel il collabore.
Le statut du journaliste lui permet de ne plus collaborer avec un média d'information dont il ne partage plus les vues. Lors du rachat d'un titre de presse, il peut faire jouer sa clause de cession. S'il estime qu'il y a eu un changement notable dans le caractère ou l'orientation du journal, il peut faire jouer sa clause de conscience. Je mesure la difficulté de faire jouer cette dernière dans la pratique. Elle ne doit s'appliquer qu'à des changements politiques dans la ligne éditoriale du journal. En 1996, le Conseil d'État a pourtant reconnu que tout changement notable dans l'orientation du journal créait une situation de nature à porter atteinte aux intérêts moraux des journalistes.
C'est cette volonté de garantir l'indépendance du journaliste qui a conduit le législateur à instaurer en 1935 un statut très éloigné du droit commun. Lorsqu'un journaliste demande à bénéficier soit de la clause de cession, soit de la clause de conscience, il bénéficie d'un régime similaire à celui d'un licenciement, notamment pour le versement de l'indemnité de départ.
Il a sans doute échappé à ses auteurs qu'en associant l'équipe rédactionnelle à la responsabilité de l'orientation éditoriale de l'entreprise, la proposition de loi anéantissait donc du même coup l'un des fondements du statut des journalistes français.