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Intervention de Frédéric Mitterrand

Réunion du 18 novembre 2010 à 9h30
Indépendance des rédactions — Discussion d'une proposition de loi

Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication :

Je pourrais évidemment citer de nombreuses autres publications, car chaque média d'information dispose d'un ADN spécifique constitué d'une histoire, d'une culture, d'un rapport à ses lecteurs unique et inimitable qu'il a pour devoir de préserver. Dans le jargon journalistique, on appelle cela le « contrat de lecture ». Ce n'est pas simplement un mot ou une formule de circonstance, c'est au contraire ce qui fait l'identité et la spécificité de tous les médias. C'est ce que le public sanctionne lorsqu'il accorde ou retire sa confiance à ceux qui respectent ou au contraire négligent le contrat. Je suis persuadé que cette contrainte positive, ce rapport intime et permanent entre le journaliste et son public sont au coeur de la créativité de la presse et des médias en général. C'est en se référant à ces valeurs, qui fondent toute relation de confiance entre la rédaction et son public, que les médias peuvent évoluer et s'adapter sans perdre leur âme.

Le texte que vous nous proposez d'examiner aujourd'hui souhaite au contraire déposséder chaque média de sa spécificité, de son histoire, de ce contrat de lecture toujours actuel et souvent façonné avec le temps. Il propose de généraliser à toutes les entreprises des médias ce qui ressort du domaine de la responsabilité interne et individuelle de chaque directeur de publication : la conformité de la rédaction avec la charte éditoriale de son journal.

Le texte que vous proposez conduit à deux principales impasses, une impasse éthique et professionnelle et une impasse économique et juridique.

D'abord, vous vous engageriez dans une impasse éthique et professionnelle, dans la mesure où il ne s'agit de rien de moins que de confisquer de manière autoritaire la conversation avec le public.

Être journaliste, en effet, c'est avant tout entretenir une conversation avec son public. Cette conversation s'appuie sur une relation de confiance qui interdit toute forfaiture. On ne saurait imaginer que cette conversation, dont seul le public est l'arbitre et le juge, soit confisquée d'autorité au profit de la seule équipe rédactionnelle. Ce serait instaurer un pouvoir arbitraire qui pourrait au besoin changer le public au cas où il ne correspondrait pas à ses aspirations profondes, au mépris du contrat et du pacte passé entre les journalistes et leurs lecteurs.

Évidemment, il est de mon devoir et de ma responsabilité d'être vigilant afin de préserver l'indépendance et la liberté d'informer des journalistes, mais ce devoir s'accompagne parallèlement de l'attention toute particulière que l'on doit accorder à la liberté du public d'être informé. Paradoxalement, alors que le texte que vous nous proposez vise à défendre la liberté et l'indépendance de l'information, je suis certain qu'il manque sa cible, avec des effets que vous ne mesurez pas.

La confiscation de cette liberté au profit d'une équipe rédactionnelle instaurée d'autorité pourrait être dans notre pays à l'origine du déclin, ou à tout le moins de l'affaiblissement d'une certaine presse d'opinion fondée sur la conversation et l'écoute de son public.

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