Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le rapport de notre collègue Patrick Bloche nous rappelle que la presse est d'abord un instrument de culture, dont l'une des missions est de servir la cause du progrès humain.
Il rappelle aussi malheureusement que la France, qui occupait la onzième place en 2002 dans le classement de Reporters sans frontières sur la liberté de la presse se place désormais au quarante-quatrième rang derrière la Papouasie-Nouvelle Guinée qui, elle, progresse lorsque nous nous enfonçons dans les profondeurs du classement.
Le rapport de Reporters sans frontières a de quoi attirer notre attention quand il souligne qu'« il est inquiétant de constater que plusieurs États membres de l'Union européenne continuent de perdre des places dans le classement. Si elle ne se ressaisit pas, l'Union européenne risque de perdre son statut de leader mondial dans le domaine du respect des droits de l'homme. Comment pourra-t-elle alors se montrer convaincante lorsqu'elle demandera aux régimes autoritaires de procéder à des améliorations ? Il est urgent que les pays européens retrouvent leur statut d'exemplarité. »
Est-ce le chemin emprunté par la France ? Je crains que non. La France s'est écartée de la voie de l'exemplarité depuis quelques années.
Rappelons qu'en 2005, avant même d'être élu Président de la République, M. Sarkozy, alors ministre de l'intérieur, avait demandé et obtenu la tête d'Alain Genestar qui s'était permis de publier à la une de Paris Match la photo de Cécilia Sarkozy en compagnie de Richard Attias. L'intervention d'Arnaud Lagardère en faveur de son ami fut saluée quelque temps plus tard par un changement de devise du magazine. Celle-ci n'est plus : « Le poids des mots, le choc des photos », mais : « La vie est une histoire vraie. » Et, en effet, la vie est désormais pour Paris Match une histoire vraie écrite sous influence.
Pas étonnant, alors, que la première année du mandat de M. Sarkozy se soit ouverte dans un climat de tension entre le Président, le Gouvernement et les médias ! Ainsi, Nicolas Sarkozy a choisi de rompre avec la pratique qui voulait que les chefs de l'État français ne poursuivent pas les journalistes. Il a porté plainte au pénal contre Le Nouvel Observateur après la publication d'un article sur un SMS qu'aurait envoyé le Président à son ex-épouse. Le député des Hauts-de-Seine et porte-parole de l'UMP, aujourd'hui ministre, Frédéric Lefebvre, a attaqué verbalement l'AFP pour n'avoir pas repris l'un de ses communiqués de presse. Le Président est revenu à la charge et a accusé les publications L'Express, Marianne, Le Parisien, Le Journal du Dimanche et l'Agence France-Presse de « s'attribuer la fonction d'opposition ».
Puis la réforme de l'audiovisuel public, promulguée au début de mars 2009, a mis en place la nomination des patrons des médias de service public par le Président de la République.
En avril 2009, encore, quatre journalistes du site internet Rue89 et de France 3 ont été convoqués par la brigade de répression de la délinquance contre les personnes et accusés de vol et de recel pour avoir diffusé les propos tenus hors antenne par le Président de la République avant une interview lors du journal du soir de France 3.
Mardi soir, le Président de la République déclarait qu'en qualité de chef de l'État, il ne pouvait s'intéresser « à un journaliste qui a perdu son ordinateur ou se l'est fait voler ». Façon désinvolte de traiter de la question des pressions du pouvoir sur l'information, sur les journalistes en particulier, et maintenant sur les sources, comme s'il fallait les terroriser
Avec cette détérioration des relations entre les autorités publiques et la presse, les mises en examen, convocations et perquisitions se sont multipliées de manière inquiétante. Chacun sait combien les méthodes d'intimidation deviennent courantes. On attaque les journalistes en s'attaquant aux sources alors même que nous avons voté dernièrement une loi pour la protection de ces sources.
La récente lettre de Jean-Paul Faugère sur les écoutes et les interceptions dites de sécurité est une manière de reconnaître que la direction centrale du renseignement intérieur a plusieurs fois franchi la ligne blanche. Même un conseiller de M. Sarkozy a déclaré qu' « il fallait donc la remettre au pas », selon Le Canard Enchaîné, publication qui n'est pas l'Évangile, certes, mais qui est généralement bien informée, comme chacun sur ces bancs le sait. Les pratiques relatées sont donc condamnables par tous.
D'un côté, le pouvoir politique, par le biais de la loi sur l'audiovisuel, a mis sous tutelle les présidents de l'audiovisuel public ; de l'autre, on pratique l'intimidation et des méthodes qui bafouent le droit des personnes et des journalistes. À cela s'ajoute la promiscuité de certains organes de presse avec de grands groupes qui les détiennent et qui vivent de la commande publique ou s'en approchent.
Nous avons défendu, il y a quelques mois, une proposition de loi pour régir les rapports capitalistiques entre des groupes dépendant de la commande publique et les organes de presse. Cette proposition avait comme corollaire de viser les interventions possibles, malheureusement probables, du pouvoir politique auprès de ces groupes. Aujourd'hui, dans ce contexte, et pour que la France retrouve, sur le plan international, une place plus en accord avec ce qu'elle souhaiterait représenter, il nous paraît urgent d'organiser les rapports entre le propriétaire du capital d'un organe de presse et l'équipe journalistique.
Une mise à distance s'avère nécessaire.
Certes, les états généraux de la presse ont débouché sur une proposition de charte de déontologie journalistique, mais elle est, de fait, peu protectrice, car elle n'engage nullement les éditeurs. À défaut de s'inscrire dans le mouvement des années soixante-dix, dans lequel plusieurs quotidiens, à la suite d'Ouest-France, avaient mis en place des chartes éditoriales dont M. le ministre a rappelé tout à l'heure quelques principes, les pratiques d'aujourd'hui sont une interpellation. Elles peuvent être vécues comme une mise en cause d'une décision du Conseil constitutionnel de 1986 rappelant que nos concitoyens devaient pouvoir disposer d'une pluralité de publications et de programmes afin « d'exercer leur libre choix sans que ni les intérêts privés ni les pouvoirs publics puissent y substituer leurs propres décisions, ni qu'on puisse en faire l'objet d'un marché ».
C'est en effet de cela qu'il s'agit : tout citoyen a droit à une information pluraliste. Pour cela, il doit pouvoir compter sur des organes de presse qui garantissent les journalistes dans leur action professionnelle.
Face à ce changement qui bouscule le fonctionnement de la presse d'information, il convient que la loi intervienne, et ce ne serait d'ailleurs pas la première fois. Dans cet esprit, notre rapporteur nous propose la mise en oeuvre du principe d'indépendance des rédactions.
Organiser les rapports entre l'actionnaire et les journalistes n'est pas blâmable. Il faut un contre-pouvoir, même modéré, au pouvoir du détenteur du capital.