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Intervention de Odile Saugues

Réunion du 18 novembre 2010 à 9h30
Sanctionner la commercialisation de titres de transport sur les compagnies aériennes figurant sur la liste noire de l'union européenne — Discussion d'une proposition de loi

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaOdile Saugues :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État chargé des transports, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons a pour ambition d'assurer un maillon de la chaîne de la sécurité aérienne qui échappait encore à la réglementation.

Elle vise très précisément ces compagnies « exotiques » dites « de bouts de ligne » que l'on emprunte en fin de voyage dans des pays situés hors de l'Union européenne, soit pour satisfaire des loisirs, soit à l'occasion des nécessités professionnelles. Ainsi, selon le rapport de la DGAC, la direction générale de l'aviation civile, consacré à la sécurité aérienne en 2009, qui cite l'AITA, l'association internationale du transport aérien, trois zones – l'Afrique, puis le Moyen Orient et l'Afrique du Nord – ont connu cette année là les taux de perte de coque – autrement dit, la destruction totale ou substantielle de l'aéronef – les plus élevés, marquant ainsi une nouvelle dégradation par rapport aux années précédentes. Ce taux, quasiment stable en Europe, est en léger recul aux Etats-Unis, ce qui démontre que rien n'est acquis dans la durée.

Par ailleurs, la DGAC précise que : « La tendance observée en 2009 reste en phase avec celle des années postérieures à 2000 : elle se caractérise par un ralentissement significatif de l'amélioration quasi-continue du niveau de sécurité aérienne mondial qui était observé depuis plusieurs décennies. ». En clair, les résultats sont moins bons qu'auparavant.

L'histoire de la liste noire a progressé lentement car elle est liée à celles des grandes catastrophes aériennes. Si, en 2004, lors des premiers débats sur les listes noires, le directeur général de l'énergie et des transports de la Commission européenne avait fait part à la mission parlementaire de sa préférence pour une référence à la liste noire plutôt qu'au label bleu proposé par le ministre d'alors, M. Gilles de Robien, c'est que la prise de conscience de la nécessité d'un outil efficace était générale.

En 1996, après l'accident de Puerto Plata, en République dominicaine, et la mort de 186 passagers de nationalité allemande, la Commission européenne a proposé une directive renforçant le contrôle des aéronefs des pays tiers. Celle-ci est malheureusement restée bloquée pendant huit ans à cause d'un différend opposant la Grande-Bretagne et l'Espagne à propos de Gibraltar. Il aura fallu que se produise la catastrophe de Charm el-Cheikh, qui fit 148 morts le 3 janvier 2004, pour que le Conseil et le Parlement européens adoptent enfin ce texte en avril 2004. Cela fit dire à Mme Loyola de Palacio, alors commissaire européenne en charge des transports, que « l'accident de Charm el-Sheikh n'aurait très probablement pas eu lieu si cette directive avait été mise en place. »

À la suite de l'accident de Charm el-Cheikh, lors d'un déplacement à Washington pour auditionner la FAA, la Federal aviation administration, l'autorité fédérale américaine équivalente de notre DGAC nationale, dans le cadre de la mission parlementaire sur la sécurité du transport aérien de voyageurs que je présidais et dont François-Michel Gonnot était le rapporteur, nous avons été particulièrement impressionnés par la pratique de la part 129 de l'Aviation Rulemaking Committee Charter.

Cette réglementation soumet les aéronefs des pays tiers à des audits : si leurs résultats ne sont pas conformes aux règles en vigueur, les compagnies concernées sont sanctionnées par une interdiction de survol du territoire des États-Unis et leurs appareils ne peuvent plus y atterrir. Les États-Unis pointaient ainsi l'insuffisance bien connue des audits de l'OACI, l'Organisation de l'aviation civile internationale, et son manque de transparence. Fort de cent quatre-vingts membres, cet organisme mondial a la responsabilité de la sécurité aérienne dans le monde depuis sa création par la convention relative à l'aviation civile internationale signée à Chicago, le 7 décembre 1944. Mais la diplomatie et les réalités économiques prennent souvent le pas sur l'application des règles qu'il édicte, et ses résultats s'avèrent bien piètres puisque seulement 57 % des normes OACI sont mises en oeuvre par les États parties à la convention.

L'année 2005 fut une année noire pour le transport aérien avec les accidents successifs, les 6, 14 et 16 août de la Tuninter, d'Helios Airways, confirmant les carences connues de certains pays de l'Union européenne en matière de sécurité aérienne, et celui de la West Caribbean Airways dans lequel cent cinquante-deux de nos compatriotes trouvèrent la mort avec les huit membres d'équipage. Ces catastrophes eurent pour effet de faire ressortir des archives où dorment de nombreux rapports parlementaires celui de notre mission d'information remis en 2004 et de mettre en avant, plus particulièrement, la recommandation n° 26 demandant à la DGAC d'établir des listes noires des compagnies faisant l'objet de restrictions ou d'interdictions à la suite des contrôles SAFA européens.

Sous la pression de l'opinion, après que des exemples de manquements délibérés aux règles de sécurité ont été mis en avant par les médias, la DGAC d'abord avec l'élaboration de sa propre liste, puis le Parlement européen et le Conseil par le règlement n° 20112 005 du 14 décembre 2004, actèrent le principe d'une liste noire européenne. Cette reconnaissance du travail de notre mission d'information fut saluée par le commissaire européen aux transports M. Antonio Tajani lors de son audition par la commission chargée des affaires européennes, le 1er décembre 2009.

Mais que pèsent les directives européennes sur les pays tiers, tout particulièrement ceux de la zone Afrique-Madagascar et du Moyen Orient ? Ces pays n'ont pas notre culture de sécurité et ils manquent cruellement de moyens. Ainsi, la DGAC fait état, dans le rapport que j'ai déjà cité, de la situation des exploitants d'aéronefs du Moyen Orient qui ont enregistré un nombre d'accidents mortels pour leurs passagers très supérieur à leur contribution à l'activité aérienne mondiale.

Dans cette politique des petits pas, quel peut être le rôle des parlementaires français s'agissant d'un problème qui relève maintenant de la compétence européenne ? La DGAC doit en effet mettre en oeuvre les directives de l'AESA, l'agence européenne de sécurité aérienne

Je veux souligner la complexité de l'organisation européenne en matière de sécurité aérienne.

L'AESA a seule en charge la certification des aéronefs, le programme de contrôle SAFA et ses audits. Créée en 2003 pour relayer l'OACI en établissant des normes communes de sécurité et de protection de l'environnement dans le domaine de l'aviation civile, cette agence compte trente et un pays membres, dont tous ceux de l'Union européenne.

La CEAC, la conférence européenne de l'aviation civile, créée en 1965, compte pour sa part quarante-quatre membres.

Quant à Eurocontrol, il s'agit d'une entité distincte de la Communauté européenne, créée en 1963, qui rassemble trente-huit pays dont ceux de l'Union européenne.

J'ai déjà eu l'occasion de m'exprimer sur les difficultés à faire fonctionner ces instances en harmonie lorsque j'ai traité de l'AESA dans mon rapport d'information sur la sécurité aérienne présenté en 2009 au nom de la commission chargée des affaires européennes. La mise en oeuvre des dispositifs d'alerte en cas de problèmes techniques et l'édiction des prescriptions en matière de sécurité ne sont pas pleinement satisfaisantes, comme l'a montré l'exemple des sondes montées sur les Airbus.

Un développement des politiques communautaires implique que soient écartés les enjeux de pouvoir et de prestige au profit d'une véritable mutualisation des moyens. Il reste du chemin à parcourir.

Si les parlementaires français ne veulent pas seulement être des spectateurs dans la politique de sécurité aérienne, ils doivent peser en amont sur les directives en préparation, en gardant bien à l'esprit que plus de 70 % des accidents aériens ont pour origine une défaillance humaine intervenue dans la chaîne qui va de la conception à l'exploitation de l'aéronef.

J'ai souvent déploré, lors de catastrophes, l'oubli rapide de ce grave sujet de la sécurité aérienne. Nous devons avoir une vigilance constante.

Mes rencontres avec les familles des victimes m'ont aussi appris que nous devons améliorer notre écoute et leur information. Une directive européenne est en préparation dans ce sens ; je souhaite qu'elle soit rapidement adoptée.

Pour notre part, nous avons la possibilité de réglementer la vente des billets d'avion concernant les compagnies « de bout de ligne », inscrites sur la liste noire de l'Union Européenne. C'était un souhait émis par un voyagiste auditionné par la mission parlementaire, qui déclarait alors : « Il faut un cadre législatif, en particulier pour la vente du package dynamique sur internet. » C'est l'objet de la proposition de loi qui vous est soumise.

Nos débats en commission du développement durable ont été riches et constructifs. Ils ont permis d'adopter la proposition de loi que nous examinons, texte que je crois efficace et réellement protecteur des droits des passagers.

Dans ma proposition de loi initiale, j'avais souhaité qu'il soit fait référence aux dispositions du code pénal pour sanctionner la commercialisation de titres de transport sur les compagnies inscrites sur la liste noire. J'avais envisagé que, dans ces cas, la vente de billets puisse être considérée comme un délit sur la base de l'incrimination de mise en danger de la vie d'autrui.

Finalement, le texte que nous avons adopté en commission à l'issue de nos débats s'appuie sur les dispositions du code des transports qui vient d'être publié et qui constitue une base appropriée de sanctions.

Nous avons prévu une obligation d'informer les passagers du fait qu'ils voyageront sur une compagnie aérienne inscrite sur la liste noire communautaire. Ils devront également être informés des solutions de transport de remplacement. Ces obligations sont assorties d'une peine d'amende significative de 7 500 euros par billet, doublée en cas de récidive et ce, sans préjudice des poursuites pouvant être éventuellement engagées pour mise en danger de la vie d'autrui.

La commission du développement durable a également adopté un amendement présenté par notre collègue M. Yanick Paternotte, qui prévoit que, si le passager confirme l'achat d'un tel billet, il lui est indiqué par écrit de manière claire et non ambiguë qu'il voyagera sur une compagnie figurant sur la liste des transporteurs aériens faisant l'objet dans l'Union européenne d'une interdiction d'exploitation.

J'insiste sur le fait que l'ensemble de ce dispositif a été adopté à l'unanimité des membres de la commission du développement durable. Sur un sujet qui doit tous nous rassembler, et par respect pour les droits des passagers et pour la mémoire des nombreuses victimes d'accidents aériens, je souhaite que l'Assemblée nationale parvienne aujourd'hui à une position unanime.

Pour conclure, monsieur le secrétaire d'État, je souhaite vous interroger sur le problème de compagnies aériennes comme la Yemenia airlines. Cette dernière n'est pas inscrite sur la liste noire européenne mais, le 30 juin 2009, elle a utilisé un aéronef interdit de vol en Europe sur un territoire étranger à l'Union européenne.

Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, il nous reste encore du travail pour sécuriser au maximum les passagers du transport aérien. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur de nombreux bancs.)

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