Monsieur le ministre, Je vous ai connu plus nuancé qu'aujourd'hui, mais la fougue est toujours une vertu. Je ne suis d'accord avec vous que sur un seul point, c'est lorsque vous parlez du coup d'arrêt du rapporteur. Mais si nous sommes contraints à ce coup d'arrêt, c'est parce que nous sommes en marche arrière ! (Sourires sur les bancs du groupe SRC.)
La presse est dépositaire d'un bien éminemment précieux : la liberté d'expression. Le pouvoir et le devoir de dire la vérité quand des intérêts particuliers cherchent à la taire, d'exercer 1'esprit critique lorsque l'opinion s'endort, sont consubstantiels à une société ouverte et démocratique.
La liberté de choisir son information est un autre aspect fondamental de la liberté d'expression : chaque catégorie de lecteurs, chaque communauté, qu'elle soit constituée autour d'une pensée, d'une terre ou d'une solidarité, a le même droit que toutes les autres à disposer du type d'information qui correspond à ses désirs et à ses besoins.
La liberté de la presse a sa charte : la loi du 29 juillet 1881, qui organisait son expression et garantissait son indépendance – pardonnez-moi pour l'imparfait. Mais, au-delà de ce cadre juridique auquel nous sommes tous viscéralement attachés, la liberté de la presse doit être vécue dans des conditions concrètes. Que serait en effet cette liberté si les entreprises de presse n'étaient pas capables de s'adapter aux changements ?
Si la bonne santé d'un journal est le meilleur moyen de garantir son indépendance, la bonne santé du secteur dans son ensemble est une assurance pour le pluralisme et la vitalité des titres. Or quelle appréciation porter sur la situation actuelle ? Un lectorat en diminution pour les quotidiens, une insuffisance de fonds propres, une part de marché publicitaire qui se réduit au profit de la télévision – pour la première fois en effet, la part de la publicité à la télévision est plus importante que dans la presse écrite, ce qui rend incompréhensible que l'on baisse le taux de retenue pour TF1 –, une rentabilité relativement faible et une modernisation inachevée restent les principales faiblesses structurelles de la presse française.
Ces faiblesses, la presse doit les surmonter. Elle doit trouver les moyens de croître et de se développer, dans un espace géographique élargi, tout en restant elle-même ; c'est l'enjeu des années qui viennent. Pour y parvenir, elle devra trouver un équilibre entre le nécessaire dynamisme économique de groupes à la dimension internationale et le maintien, au travers de plus petites unités, d'une diversité de titres indépendants, qui incarnent en France l'exigence du pluralisme et favorisent la création et le renouvellement.
Face à l'avalanche, au choc des images et des informations, la presse écrite doit servir de référence, permettre la mise en perspective – et non la mise en scène – des événements. Relater mais aussi expliquer, ordonner les points de vue, fournir les clés de compréhension des événements et des choses, telle est la force de l'écrit. Encore faut-il qu'elle assume ses spécificités plutôt que de tenter une surenchère perdue d'avance. Pour cela, elle doit s'assurer de l'indépendance de ses sources d'information. À ce propos, je suis très attaché à ce que la France conserve et développe à travers l'AFP une grande agence mondiale d'informations.
Mais, au-delà de l'AFP, permettez-moi d'aborder la violation de la protection des sources. Je pourrais polémiquer sur les événements actuels, que tout le monde a en tête, mais je me contenterai, monsieur le ministre, d'essayer de vous convaincre : c'est grâce aux sources, grâce au secret des sources, que l'on peut abattre les murailles érigées par le pouvoir, qu'il soit politique ou économique. Sans le secret des sources, toutes les informations seraient contrôlées, formatées.
L'espionnage des journalistes et l'identification des sources constituent des atteintes inacceptables à la liberté d'information. Ces violations répétées, ces entraves à l'exercice du métier d'informer menacent sans doute les journalistes, mais, beaucoup plus grave, elles menacent les lecteurs, soit une part de notre liberté.
La situation, nous la connaissons. Nous occupons le 44e rang mondial en matière de liberté de la presse, derrière la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Au programme : violation de la protection des sources, concentration des médias, atteinte à l'indépendance des rédactions, perquisitions, mises en examen abusives de journalistes.
Je pourrais également parler des groupes dont une part significative des revenus est générée par des contrats d'État… Après que la Président de la République a déclaré que le plus important, c'était l'éducation, n'a-t-il pas fait du ministre de la défense le second dans l'ordre protocolaire ?
Mais l'on vient nous expliquer qu'il n'est pas nécessaire de trouver des structures juridiques permettant aux entreprises d'information de se développer à l'abri des groupes capitalistiques, les protégeant des pressions économiques et politiques, les garantissant contre l'ingérence décomplexée du Président de la République. Ce dernier en personne voudrait nous convaincre que la reconnaissance juridique des rédactions ne peut être envisagée, car cela découragerait les investisseurs ! Faut-il définitivement légitimer le fait que les entreprises vivant des commandes publiques soient les seules à pouvoir maîtriser les médias ?