Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous étudions aujourd'hui fait référence au programme du Conseil national de la Résistance sans le citer. Or ce texte mettait en avant l'idée fondamentale d'une défense de « la liberté de la presse, de son honneur et son indépendance à l'égard de l'État, des puissances d'argent et des influences étrangères ». Force est de reconnaître que, soixante-cinq ans plus tard, ces valeurs sont bafouées, traînées dans la boue, foulées au pied. L'homme de l'Élysée organise méthodiquement des pressions sur la presse d'opinion pour la museler, nomme et révoque les patrons et les directeurs de chaînes publiques, encourage la concentration, place ses affidés à la tête des rédactions, tente de s'emparer des derniers bastions de la presse libre, comme Le Monde, favorise ses amis du Fouquet's, de Martin Bouygues à Vincent Bolloré, de Serge Dassault à Bernard Arnault.
Nicolas Sarkozy n'est que le mandataire d'un groupe d'industriels puissants, qui vit en partie des commandes publiques. Il considère en effet la presse comme un vecteur économique, politique et culturel lui permettant d'assurer son hégémonie. Ce phénomène n'est pas propre à la France. Berlusconi a précédé, et sans doute inspiré, ce groupe et son factotum, tout comme M. Murdoch et son conglomérat, en Angleterre. Pour ces industriels prédateurs, qui considèrent les journalistes comme des intermittents du spectacle de l'information à leur solde, la presse est devenue une marchandise comme une autre.
La question des médias est donc une question sociale et politique à part entière, car elle détermine l'agenda politique du pays, structure le débat public, influence les consciences et influe sur les choix et la vision du monde des citoyens.
Certes, depuis les ordonnances de 1944, l'eau a coulé sous les ponts. Le monde a changé. Après avoir été dominée par Hersant, la presse est aujourd'hui colonisée par de grands groupes. La télévision et Internet sont devenus des médias puissants et de plus en plus mondialisés. Mais devons-nous baisser les bras et justifier tous les renoncements devant cette domination par quelques-uns du principal outil d'accès à la citoyenneté et à la démocratie, avec l'école ? Je ne le crois pas. Il est plus que jamais nécessaire de proposer une séparation nette entre les pouvoirs politique, judiciaire et médiatique, de s'élever contre les tentatives de mainmise du pouvoir sur la presse – souvenons-nous des journalistes écoutés et du vol des ordinateurs de ceux qui enquêtent sur les turpitudes du pouvoir.
Il faut que des propositions de politiques publiques transforment en actes cette indignation et cette révolte qui gagne les rangs des professionnels. La proposition de loi qui nous est soumise est une bonne chose, mais elle ne fait qu'actualiser des demandes de transparence. Nous la voterons, bien sûr, mais elle ne suffit pas si nous ne l'accompagnons pas d'une série de mesures précises interdisant le contrôle des chaînes de télévision par des groupes vivant de commandes publiques ; elle ne suffit pas si nous ne remettons pas en cause le renouvellement systématique des concessions attribuées à TF1 ou à M6, si nous ne garantissons pas l'indépendance de l'audiovisuel public en abolissant la loi de janvier 2009, qui attribue au Président de la République le pouvoir de nommer et de révoquer les responsables des chaînes publiques ; elle ne suffit pas si nous ne garantissons pas un véritable accès, rapide et facile, à toutes les sources documentaires d'intérêt public.
Il nous faut un véritable Freedom Information Act, comme il en existe aux États-Unis depuis 1967. La transparence est la première exigence de la démocratie. De même, l'indépendance des journalistes suppose, comme nous le voyons avec les insultes contre Mediapart et les pressions contre les journalistes qui s'occupent de l'affaire Woerth-Bettencourt – devrais-je dire l'affaire Sarkozy ? –, une protection des sources des journalistes, assurant le droit des citoyens d'être alertés et informés.
Cette loi sur la protection des sources des journalistes, que nous avons échoué à faire appliquer dans ce pays avec Aurélie Filippetti, pourrait s'inspirer de celle en vigueur en Belgique depuis 2005.
Enfin, elle ne suffit pas si nous ne garantissons pas la reconnaissance et le renforcement du poids des lecteurs, des auditeurs, des téléspectateurs et des internautes de façon à étendre le partage démocratique des opinions et des informations.
La gauche et les écologistes doivent inscrire la réforme des médias dans leur programme alternatif pour 2012, comme en 1981 ou 1997. Nous ne devons pas nous arrêter en chemin.