La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)
L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, relatif à l'entreprise publique La Poste et aux activités postales (nos 2060 et 2138).
Le temps de parole restant pour la discussion de ce texte est de huit heures vingt-sept minutes pour le groupe UMP, onze heures trois pour le groupe SRC, quatre heures trente-huit pour le groupe GDR, quatre heures dix-huit pour le groupe NC et cinquante minutes pour les députés non inscrits.
La parole est à M. Christian Estrosi, ministre chargé de l'industrie.
Je souhaiterais répondre aux questions que m'a posées François Brottes à la fin de la séance de cet après-midi.
Vous m'avez interrogé, monsieur le député, sur la date d'entrée en vigueur du texte : je vous confirme qu'il s'agit bien du 1er mars 2010. L'examen en CMP de ce projet de loi interviendra le 12 janvier prochain. Il est donc clair que le statut ne sera pas modifié au 1er janvier. Le rapporteur a eu la précaution de prévoir, par un amendement déposé dans le cadre de l'article 88 du règlement, que le changement de statut aura lieu le 1er mars 2010. L'essentiel pour nous est que le calendrier de l'augmentation de capital soit respecté – mi-2010.
Concernant la participation de la Caisse des dépôts, il me semble que nous avons déjà eu un échange en commission sur le sujet. Je vous confirme en tout état de cause qu'il s'agira d'une participation à une augmentation de capital.
J'espère, monsieur Brottes, vous avoir fourni les éclaircissements que vous souhaitiez. Tout au long du débat, et sans doute dans le cadre des explications de vote sur la motion de renvoi en commission, j'aurai, bien évidemment, l'occasion d'apporter des réponses complémentaires.
J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche une motion de renvoi en commission déposée en application de l'article 91, alinéa 6, du règlement.
La parole est à M. Henri Jibrayel.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur, considérant qu'en commission, nous n'avons pas eu le temps nécessaire pour examiner ce texte et l'amender, je demande son renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Pourquoi ?
Motion de renvoi en commission
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt et une heures trente-cinq, est reprise à vingt-deux heures vingt-cinq.)
Vous aviez dit que la suspension serait de cinq minutes et elle a duré presque une heure !
Monsieur le président, mon rappel au règlement se fonde sur l'article 58, aliéna 1, qui concerne le déroulement de nos travaux.
Je voudrais, au nom du groupe SRC, m'étonner du fait que vous ayez annoncé une suspension de séance de cinq minutes, alors qu'elle a duré une heure !
Plusieurs députés du groupe UMP. Vous exagérez un peu !
Je ne comprends pas qu'une telle défaillance de la présidence ait pu avoir lieu. Il me semble donc que vous nous devez des explications : si nos débats continuent ainsi, cela va être très compliqué de finir l'examen de ce texte !
Je voulais donc protester solennellement au nom de mon groupe. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur Brottes, seule la présidence est apte à compter les minutes ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Dans les explications de vote sur la motion de renvoi en commission, la parole est à M. Henri Jibrayel, pour cinq minutes. (Vives protestations sur les bancs du groupe SRC.)
Je demande la parole pour un rappel au règlement. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Chers collègues, je souhaiterais que nos échanges puissent se dérouler dans le calme !
Rappel au règlement
Nous sommes dans le cadre d'un nouveau règlement, que nous n'avons pas souhaité…
…et que, pour ce qui nous concerne, nous n'avons pas voté. Cela s'appelle le « temps global ». Nous l'avons quant à nous appelé le « temps guillotine » puisque, au bout d'un certain temps, la parole nous est coupée et nous ne pouvons plus défendre nos arguments sur les textes.
Un député du groupe UMP. Ça nous fait des vacances !
En revanche, monsieur le président, vous m'avez répondu à l'instant que vous étiez seul en capacité de compter les minutes. Il ne m'a pas échappé que, pour vous, cinq minutes pouvaient en faire soixante, mais vous ne pouvez pas, avec tout le respect que j'ai pour vous, indiquer à M. Jibrayel qu'il ne dispose que de cinq minutes pour s'exprimer. Vous savez que son intervention sera décomptée du temps global de notre groupe et qu'il dispose donc du temps qui lui conviendra pour exprimer les arguments qu'il souhaite développer. (Bravo ! et applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur Brottes, il ne vous aura pas échappé non plus que les cinq minutes en question étaient en réalité, comme tout à l'heure, les cinq minutes du président.
Dans les explications de vote sur la motion de renvoi en commission, la parole est donc à M. Henri Jibrayel.
Monsieur le président, monsieur le ministre, je me suis souvent demandé pourquoi les Françaises et les Français tenaient tant à leur poste, pourquoi ce service public avait une telle image dans le coeur de nos concitoyens. Sans doute est-ce parce qu'il s'agit du service public le plus ancien – ou l'un des plus anciens – de notre pays. On trouve effectivement une trace structurée de l'activité postale dès 1576 avec la création de l'office des messagers royaux. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Eh oui, mes chers collègues, voilà un peu d'histoire. Vous voulez la supprimer et nous, nous en faisons ! (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
En 1672 (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), le surintendant général des postes, Louvois, créait la Ferme générale des postes. À la Révolution, la Ferme est supprimée ; les postes sont mises en régie et administrées directement par l'État.
C'est aussi l'époque où apparurent les malles-poste (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), dans lesquelles des voyageurs fortunés et pressés pouvaient prendre place au côté du courrier. Avec l'utilisation de la vapeur, la poste va accélérer l'acheminement des dépêches. Dix paquebots-poste à vapeur parcourent la Méditerranée en 1835. En 1845, un wagon-poste est mis en service sur la ligne Paris-Rouen. Il sera le premier d'une succession de nombreux modèles de bureaux ambulants.
En 1873, lorsque la poste aux chevaux disparaît au profit du transport par chemin de fer, il existait cinquante-quatre lignes, puis, en 1914, cent soixante-quinze lignes.
Avec le xixe siècle commence l'ère des réformes. (Ah ! sur les bancs du groupe UMP.)
À partir de 1830, les campagnes, jusque-là négligées, reçoivent la visite du facteur. Continuons avec l'histoire, puisque vous voulez la supprimer ! (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
C'est en 1849 qu'est émis le premier timbre-poste à l'effigie de Cérès, déesse des moissons, à laquelle succédera le profil de Napoléon III en 1852. C'est toujours de l'histoire, mes chers collègues.
Désormais, le prix de la lettre varie en fonction du poids et non plus de la distance. Le nombre des lettres expédiées double entre 1848 et 1859.
Le xxe siècle s'ouvre sur l'aventure aérienne. En 1911, le pilote français Henri Péquet s'envole au-dessus du Gange, en Inde, avec quinze kilogrammes de courrier.
Un député du groupe SRC. Ça, il fallait vraiment le dire !
On retiendra surtout les noms de Mermoz, qui a traversé l'Atlantique sud en 1930, de Saint-Exupéry, de Guillaumet. (Applaudissements et sourires sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
On n'oubliera pas non plus les pionniers de l'Aéropostale qui ont perdu la vie pour acheminer le courrier coûte que coûte ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Depuis plus de quatre siècles, La Poste n'a cessé d'adapter ses structures aux besoins de la communication. Ce bref historique témoigne des raisons de l'attachement que chacun d'entre nous lui porte. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Aujourd'hui, le réseau de La Poste est piloté par l'enseigne. Elle assure la distribution des produits du groupe – courrier, colis, banque – et de ses propres produits grâce à ses 17 091 bureaux de poste ; je dis bien : 17 091 bureaux de poste, répartis sur l'ensemble du territoire.
Parmi eux, 6 000 sont gérés en partenariat avec des communes ou des communautés de communes.
C'est le premier, et sans doute le seul, réseau de proximité en France. Il accueille deux millions de clients chaque jour. L'activité « courrier » représente 58 % du chiffre d'affaires global, soit 11,6 milliards d'euros, dont 82 % proviennent des professionnels et 18 % des particuliers. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
C'est toujours un petit cours d'histoire, messieurs les députés !
La Poste est le deuxième opérateur postal européen, derrière l'allemande Deutsche Post. Elle a, en 2007, acheminé 28,5 milliards de documents, soit 95 millions par jour, 550 millions par semaine et 2,4 milliards par mois, grâce à la première flotte d'entreprise de France, avec 42 000 voitures.
La Poste va bien, merci pour elle ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Les résultats du groupe au premier semestre 2009 ont confirmé le bien-fondé de sa stratégie : la progression des résultats de la Banque postale, le maintien de la rentabilité du colis et de l'express ont compensé partiellement la baisse de la rentabilité du courrier.
Sur cette même période, le groupe a réalisé 572 millions d'euros d'investissements, et ce sans accroître son endettement qui reste à un niveau élevé – presque 6 milliards d'euros.
La Poste emprunte régulièrement sur les marchés financiers internationaux et sa dette est très bien notée, grâce à son patrimoine immobilier et à la garantie de l'État ; je répète : grâce à son patrimoine immobilier et à la garantie de l'État.
Sur cette dette, 2 milliards résultent d'une ponction effectuée par l'État en 2006 au titre des retraites, pour un chiffre d'affaires de 20,5 milliards d'euros en 2008.
Mes chers collègues, à la lecture de ces chiffres, je me dis : « la confiance donne de l'avance ». Alors pourquoi, pourquoi changer une équipe qui gagne ? (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
Pourquoi vouloir mettre en péril ce capital de confiance de La Poste à l'égard des investisseurs, des entreprises et des particuliers ? Pourquoi brader les bijoux de famille ? (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
Le service public de La Poste n'est pas un service public comme les autres. Nul ne peut nier son rôle social. Je sais très bien, mesdames, messieurs de la majorité, que ce mot « social » est pour vous dépourvu de tout sens ! (Mêmes mouvements.)
Demain, vous irez expliquer votre logique de rentabilité et de productivité à tout prix, dans vos circonscriptions, lorsque les gens, en particulier en milieu rural, viendront vous dire qu'ils ne voient plus leur facteur, qu'ils ne peuvent plus aller retirer leur pension, déposer un recommandé, recevoir un colis, parce qu'ils n'ont pas de moyen de se déplacer. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. — Vives protestations sur les bancs du groupe UMP.)
Certaines personnes, qui ne voient chaque jour que le facteur pour faire un brin de causette, se sentiront totalement abandonnées ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Vives protestations sur les bancs du groupe UMP.)
Vous expliquerez dans vos circonscriptions que, grâce à vous, le facteur ne sonnera plus ! (Mêmes mouvements.)
Avec plus de 50 000 suppressions d'emplois depuis 2002, les postières et les postiers ont déjà payé un lourd tribut à la libéralisation de l'activité postale.
L'arrivée de capitaux ne pourrait qu'aggraver cette situation, recherche de dividendes oblige. Les incitations et les pressions pour aller voir ailleurs se multiplient déjà dans la perspective du changement de statut.
Un récent bilan social fait apparaître des éléments extrêmement inquiétants comme, notamment, une progression des licenciements de plus de 50 % entre 2006 et 2008.
Jean-Paul Bailly déclarait en 2008 qu'il n'y aurait pas de licenciements collectifs jusqu'en 2012. Très bien, mais après ? On nous dit que les fonctionnaires vont conserver leur statut, mais conserver son statut ne signifie pas conserver la sécurité de l'emploi. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
En effet, une disposition de la Révision générale des politiques publiques prévoit qu'un fonctionnaire dont le poste est supprimé et qui aurait refusé trois propositions d'emploi pourrait être mis en disponibilité d'office pendant deux ans, c'est-à-dire, chers collègues de la majorité, au chômage sans indemnités. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Alors, s'il vous plaît, « y'a pas marqué La Poste » ! Ne nous prenez pas pour des débutants en agitant le spectre de l'Europe pour justifier vos choix. Vous savez pertinemment que rien ne vous oblige à tenter de changer le statut de La Poste !
Rien ne vous y oblige. Le projet de loi de privatisation de La Poste que nous examinons aujourd'hui se justifierait, selon le Gouvernement, par la directive européenne du 20 février 2008.
Maintes et maintes fois, il a été démontré que le processus d'ouverture progressive à la concurrence du secteur postal n'impliquait nullement le changement de statut de La Poste, et a fortiori, n'impliquait en rien sa transformation en société anonyme. Vous nous avez déjà fait le coup avec France Télécom et GDF.
On peut donc légitimement se demander ce qui se trame derrière votre projet, et penser que c'est le premier pas vers une privatisation qui ne dit pas son nom. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
Je sais ce que je dis, et vous irez expliquer dans votre circonscription, aux électeurs malheureux, pourquoi le bureau de poste a disparu. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. — Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
M. Guaino lui-même a dit : « Il n'y a jamais rien d'éternel, et cela vaut également pour les entreprises publiques. »
Jean-Paul Bailly nous affirme qu'il faut investir dans le développement international à hauteur de 3 milliards d'euros, et qu'il ne peut emprunter cette somme parce que la situation serait défavorable à un nouvel endettement de La Poste ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Mais pourtant, la RATP ou encore la SNCF, qui elles aussi ont le statut d'établissement public à caractère industriel et commercial, travaillent à l'international, et elles empruntent sans aucune difficulté ! Alors pourquoi changer le statut de La Poste, monsieur le ministre ?
Contrairement à ce que le Gouvernement peut croire, le statut d'EPIC a de l'avenir. La Cour de justice des communautés européennes a reconnu que l'article 90 du traité instituant une Communauté européenne laissait aux États une grande latitude pour prévoir des restrictions à la concurrence et ainsi permettre aux entreprises publiques d'évoluer convenablement dans un marché concurrentiel. Mais le Gouvernement, qui n'a toujours pas tiré les enseignements de la crise financière, s'obstine, comme dans bien d'autres domaines, à distiller sa politique libérale, sans se rendre compte des risques très graves qu'il fait courir à notre société – oui, j'insiste, des risques très graves, car avec la privatisation de La Poste c'est bien notre société qui est en danger, et en particulier les plus modestes, qui ont absolument besoin du maintien de nos services publics. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Oh, que c'est beau !
Si, comme le prétend le Gouvernement, La Poste va mal, il faudra m'expliquer par quel tour de magie il parvient à dégager des crédits à hauteur de 360 milliards d'euros pour « restaurer la confiance entre les banques », et pas un seul centime pour sauver La Poste et la banque postale !
La réponse est simple : dans votre logique toute libérale, il faut absolument réduire les coûts des services publics ; et tant pis si certains restent sur le carreau ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Je constate également avec regret que vous n'avez pas su tirer les enseignements des exemples européens de privatisation des postes, qui pour beaucoup sont éloquents, et inquiétants. Jugez plutôt. En Suède, la poste est transformée en SARL en 1994 ; le prix du timbre bat tous les records – 90 % de hausse en dix ans – ; un tiers des emplois sont supprimés et le nombre des agences postales passe de 2 000 à 500.
L'échec est tel qu'elle doit être renationalisée en catastrophe, avec une perte évaluée à 1,5 milliard de livres, payée par le contribuable bien sûr.
La réorganisation entamée en 2006 a conduit à la fermeture de 2 500 bureaux, et à une réduction massive des emplois.
Aux Pays-Bas, la poste est transformée en société anonyme en 1989.
Elle fusionne avec le groupe australien TNT. En 1996, l'entreprise est connue pour faire travailler les enfants dans le portage et la publicité non adressée. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) TNT envisage de supprimer 13 000 emplois dans les années qui viennent ; 70 % de la main-d'oeuvre travaille à temps partiel, et il ne subsiste que 500 vrais bureaux de poste, contre 1 300 points de vente.
Si je comprends bien votre logique, vous souhaitez renouveler les erreurs commises dans les autres pays !
Bon courage, monsieur le ministre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Le 3 octobre dernier, 2,3 millions de Français se sont mobilisés pour dire non à la privatisation de La Poste. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR. — Protestations sur les bancs du groupe UMP.) Et la réaction de la majorité et de l'opposition, ce fut : ce n'était pas un scrutin officiel. Quel dédain ! Quel manque de considération pour la parole des Français ! (Vives protestations sur les bancs du groupe UMP.) Pour vous, les Français n'ont pas le droit de cité dans le débat sur l'avenir du service postal, ou plutôt, non ! vous avez très certainement peur d'affronter leur mécontentement par un référendum.
Eh bien, nous souhaitons, nous, défendre une autre conception du service public postal : un service postal de proximité dans les territoires ruraux, dans les banlieues, un service postal qui permette une présente humaine même dans les lieux les plus reculés de notre territoire.
Nous, nous écoutons et entendons les attentes de la population qui, contrairement à votre logique, ne répondent pas à la recherche effrénée de profit et de rentabilité.
Nous, nous voulons un service public rénové et respectueux de l'environnement. À ce sujet, d'ailleurs, vous m'expliquerez où se trouve le respect de l'environnement quand demain ce ne sera plus un facteur, mais quatre, de sociétés différentes, qui se retrouveront sur le même parcours. Bonjour les économies ! Bonjour le respect de l'environnement ! Bonjour la logique d'aménagement du territoire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Non, mesdames, messieurs les députés, le débat sur l'avenir de La Poste n'est pas un simple débat sur un texte « en urgence », comme se plaît à le croire le Gouvernement. Il s'agit là de véritables choix de société. Expliquez-moi pourquoi, si La Poste est imprivatisable, comme l'a dit M. le ministre, vous souhaitez fermer de nombreux bureaux de poste. Eh bien parce que pour vous, ils ne sont pas rentables ! Et voilà ! Rentabilité maximale, profit, tels sont vos credo. (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Nous, nous défendons un modèle où l'homme, l'usager du service public est au centre de toute prise de position, de toute décision. Nous, nous parlons d'usagers de La Poste, et pas de clients. Nous, nous parlons de salariés du service public, et pas d'agents économiques. Nous, nous parlons d'une Poste qui respecte l'équilibre entre les territoires, entre les citoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Arrêtez de mentir ! La transformation de La Poste en société anonyme ouvre la voie à la privatisation, oui, mes chers collègues, à la privatisation ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Donnez plutôt aux Français des garanties que les missions de service public pourront être financées ! Donnez aux salariés de La Poste des garanties sur le maintien de leur emploi ! Donnez aux maires la garantie que leur bureau de poste ne va pas fermer !
Mais vous ne le pouvez pas car, aujourd'hui, vous êtes face à vos contradictions. Au sein même de votre majorité, on sent monter le mécontentement. La menace sur les collectivités locales, la suppression de la taxe professionnelle, le redécoupage électoral, la privatisation de La Poste, certains de vos amis ne peuvent plus avaler les couleuvres ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Et le bouclier fiscal. (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP.)
Mes chers collègues, l'avenir de La Poste est l'affaire des usagers, des citoyens et de leurs élus. (« Eh oui ! » sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
Aujourd'hui, le texte que nous présente le Gouvernement n'offre aucune garantie sur l'avenir du service public universel de La Poste. C'est la raison pour laquelle nous demandons le renvoi de ce texte en commission. (Mmes et MM. les députés du groupe SRC se lèvent et applaudissent. – Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, après cette longue explication de vote de notre collègue socialiste, Henri Jibrayel, je serai beaucoup plus brève.
La commission Ailleret, à laquelle des parlementaires ont participé, et qui a travaillé de septembre 2008 à décembre 2008, a conclu à un besoin de financement et de capitalisation de La Poste de 2,7 milliards d'euros, ce que l'État garantit aujourd'hui avec la Caisse des dépôts et consignations dans le cadre du projet de loi.
Le Gouvernement a décidé de transformer La Poste en société anonyme. Le texte est passé au Sénat.
Des garanties complémentaires ont été apportées sur les missions de service public de La Poste et sur le fait que La Poste resterait publique, avec 100 % de fonds publics. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La commission a auditionné le président de La Poste, Jean-Paul Bailly. Elle a tenu une première réunion le mardi 2 décembre après-midi, une deuxième le mardi 2 décembre nuit, une troisième le mercredi 3 décembre matin, une quatrième le mercredi 3 décembre après-midi, et vous voulez renvoyer le texte en commission ?
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Oui !
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Oui !
Cela ne nous semble pas nécessaire. Nous, nous avons hâte, chers collègues, d'étudier ce texte en séance, avec la participation de M. le ministre de l'industrie, et de commencer la discussion générale.
Nous voterons donc contre cette motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Sur le vote de la motion de renvoi en commission, je suis saisi par le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à M. Jean Dionis du Séjour.
D'abord, je voudrais féliciter M. Jibrayel. Il nous a offert un grand moment d'art oratoire et le groupe Nouveau Centre a apprécié ses talents d'historien.
Sur le fond, ma collègue Laure de La Raudière l'a rappelé, nous travaillons sur ce texte depuis un an et demi. S'il est un texte qui ne justifie pas le renvoi en commission, c'est bien celui-là.
Nous sommes dans un jeu de rôle. Le ministre dit : juré, craché, je ne privatiserai jamais. Les socialistes disent : il faut dévoiler les sombres intentions du Gouvernement. Ce jeu de rôle va certainement nous occuper un certain temps, mais la réalité est beaucoup plus simple : la loi interdit la privatisation. Cela dit, une loi peut défaire ce qu'une autre a fait.
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Et voilà !
Aujourd'hui, la loi interdit la privatisation et ce projet, auquel nous travaillons depuis un an et demi, nous convient. Donc nous ne voterons pas la motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)
Monsieur le ministre, vous avez indiqué tout à l'heure que, finalement, ce serait vers le 1er mars 2010 et non plus le 1er janvier, comme vous n'avez cessé de le marteler depuis plusieurs semaines, que le changement de statut s'effectuerait, et vous avez ajouté que l'essentiel était que l'augmentation du capital ait lieu pour mi-2010.
Pour autant, vous n'avez toujours pas répondu à la question, que j'ai évoquée dans ma motion de rejet préalable et que François Brottes a également posée dans un rappel au règlement, concernant la valeur de La Poste. Cette question n'est pas neutre. M. de Romanet, président de la Caisse des dépôts et consignations, a en effet indiqué que la valeur de l'entreprise publique se situerait entre 4 et 6 milliards d'euros. Certains collègues de la majorité semblent surpris.
Je ne fais que répéter ce que M. de Romanet a dit dans une interview au micro d'une grande radio nationale.
Si la Caisse des dépôts et consignations apporte 1,5 milliard d'euros, cela représente 25 % de cette valeur. La Caisse des dépôts revendiquerait un nombre proportionnel de représentants au conseil d'administration. Il n'est donc pas neutre de connaître la valeur de l'opérateur public et nous entendons, monsieur le ministre, que vous répondiez à cette question.
Le renvoi en commission est nécessaire car, à l'évidence, les intentions que le Gouvernement annonce depuis plusieurs semaines ne sont pas celles qu'il exprime aujourd'hui. D'ailleurs, nos concitoyens le sentent bien, puisqu'ils ont été plus de 2 millions, quoi que vous en disiez, à s'exprimer lors d'une votation citoyenne.
Vous aussi, vous êtes inquiet : si vous étiez sûr de votre fait, vous n'auriez aucun scrupule à demander vous-même l'avis de nos concitoyens sur le devenir du premier service public de notre pays, avec ses 17 000 points de contact.
Ces inquiétudes, elles se manifestent partout, au congrès des maires auquel vous avez participé, dans les communes et les circonscriptions où vous êtes présent.
La crise sans précédent, en tout cas depuis trois quarts de siècle, qui affecte notre pays et l'ensemble de la communauté européenne, devrait nous inciter à nous poser des questions sur l'évolution des grandes entreprises publiques, des grandes entreprises nationales. Il nous semble donc utile, comme cela vient d'être proposé par M. Jibrayel, de renvoyer ce texte en commission afin que nous approfondissions ces sujets. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
Nous allons maintenant procéder au scrutin public sur la motion de renvoi en commission.
(Il est procédé au scrutin.)
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 302
Nombre de suffrages exprimés 302
Majorité absolue 152
Pour l'adoption 130
Contre 172
(La motion de renvoi en commission n'est pas adoptée.)
Mon rappel au règlement se fonde sur l'article 58, alinéa 1.
Nous venons d'entendre les explications de vote, notamment celle, excellente, de notre collègue Jibrayel, qui a bien compris que la majorité UMP, furtivement présente sur ces bancs, n'avait pas saisi tous les arguments qu'il voulait développer dans la défense de la motion de procédure en faveur du maintien du statut actuel de La Poste.
M. Jibrayel a été brillant, il a fait preuve de talent, d'innovation, de force, de conviction, mais il a été pressé. Je regrette l'attitude de nos collègues de l'UMP qui, par leur comportement, ont empêché le déroulement démocratique puisque notre ami Henri Jibrayel a eu moins de cinq minutes présidentielles pour exprimer ses arguments. Comme beaucoup de mes collègues, je suis très frustré. J'espère que nos collègues UMP feront, lors des prochaines prises de parole, preuve de plus d'attention pour que le débat puisse se dérouler sereinement, même si je les vois déjà partir vers d'autres horizons, peut-être pour porter des courriers à des personnes qui, aujourd'hui, ne pourraient pas en recevoir.
Merci, monsieur Roy. Il ne vous aura pas échappé que ce n'était pas un rappel au règlement.
Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean Gaubert. (De nombreux députés du groupe UMP quittent l'hémicycle.)
J'aimerais pouvoir prendre la parole dans une atmosphère plus apaisée, monsieur le président. Si vous en êtes d'accord, je vais attendre que les collègues qui ne souhaitent pas m'écouter aient quitté l'hémicycle. Ce sera plus convenable pour tout le monde.
Je vous remercie, monsieur le président, de me donner la parole, mais il est extrêmement désagréable de parler dans ces conditions. (Approbation sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. François Brottes. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le président, je comprends qu'il soit difficile de retrouver sérénité et calme dans la mesure où la majorité a mis une heure pour être majoritaire, mais ce n'est pas une raison, me semble-t-il, pour que la présidence permette que nos collègues s'expriment à la tribune dans le brouhaha alors qu'une grande partie des députés ne sont pas installés à leur pupitre.
Il serait bon que la discussion puisse se dérouler normalement, mais je respecte totalement votre présidence, bien évidemment.
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Très bien !
Merci, monsieur le président, d'avoir rétabli l'ordre dans cet hémicycle.
Avant d'aborder le fond du sujet, je voudrais rappeler, en tant que député des Côtes-d'Amor, la mémoire d'un de mes illustres prédécesseurs, M. Glay-Bisoin, qui passa plus de temps que nous n'en passerons sur le statut de la Poste pour obtenir de cette assemblée, en 1848, qu'on en vienne au prix unique du timbre.
Je n'avais pas besoin de le lire dans le rapport puisque c'est moi qui vous l'ai dit en commission !
Mon excellent collègue Henri Jibrayel, avec son tropisme méditerranéen, avait oublié de signaler que c'était un député Breton, costarmoricain, qui s'est battu pendant onze années pour obtenir que quel que soit le point du territoire où l'on se trouve, le tarif d'acheminement soit identique, en tenant compte des poids respectifs.
Aujourd'hui, nous discutons d'une mesure simple : le passage en société anonyme de La Poste. C'est très simple et, aux yeux de certains, cela ne devrait pas mériter autant de discussions. M. le ministre a employé un nouveau mot à ce sujet – ce sera intéressant pour ceux qui jouent au sudoku, au scrabble ou qui font des grilles de mots croisés en écoutant leurs collègues –, le mot : « imprivatisable. » Je ne suis pas sûr que ce mot tienne dans une grille de mots croisés, mais il a déjà fait le tour de notre petit microcosme politique.
Nous avons déjà entendu des expressions aussi convaincantes, ou au moins aussi convaincues que la vôtre, monsieur le ministre, émanant de certains de vos illustres prédécesseurs. En 2003 et 2004, EDF et GDF sont passés au statut de société anonyme, et l'on nous affirmait que jamais ces entreprises ne seraient privatisées, que jamais la part de l'État ne descendrait sous le seuil fatidique des 51 %. Or, dès 2006, la part de l'État dans GDF descendait à 34 %. Nous avons donc de vraies bonnes raisons de ne pas complètement vous croire, et surtout de ne pas croire qu'un autre gouvernement sous le même Président de la République pourrait changer la donne.
Pourquoi faites-vous cette réforme ? Évacuons d'abord ce qui n'a pas été beaucoup discuté ici, mais dont on parle souvent : il n'y a aucune obligation européenne nous imposant de changer de statut. Depuis toujours, l'Union Européenne ne fait pas du statut des entreprises une question de principe ; elle s'intéresse simplement aux conditions de la concurrence. Il faut le rappeler.
Certes, nous ne souhaitons pas forcément la libéralisation, mais l'entreprise publique peut tout à fait continuer à fonctionner comme aujourd'hui.
Puisqu'il s'agit de passer au statut de société anonyme, se pose la question de la structure du capital de l'entreprise. Monsieur, le ministre, vous qui avez la charge de l'industrie, vous aurez l'occasion de vous pencher sur le cas de filiales, d'EDF en particulier, que vous avez fait passer en SA et qui n'ont pas d'actifs. C'est en particulier le cas d'ERDF qui n'a aucun actif, RTE ayant les réseaux en propriété.
Une société qui passe en SA est obligée de présenter un bilan comme toute société privée, même si les capitaux restent à 100% publics. C'est une des raisons qui vous amène à vous poser la question de la capitalisation ou de la recapitalisation de cette entreprise. En réalité, vous pouvez y procéder puisque depuis quelques mois, malgré l'endettement de la France, on sort des milliards autant qu'on en veut.
Par ailleurs, et puisque l'un des spécialistes de la Caisse des dépôts et consignations vient d'arriver il pourra nous répondre, nous avons le sentiment que, depuis un certain temps, le Gouvernement met la Caisse des dépôts et consignations à toutes les sauces : pendant combien de temps aura-t-elle les moyens de suivre les décisions prises par le Président de la République avant même que ses instances ne délibèrent ?
Je suis très content que vous le précisiez, parce que le ministre l'a présentée tout à l'heure comme une décision quasiment actée. Il est donc important de dire que, pour le moment, il ne s'agit que d'une hypothèse, et que rien n'est encore fait.
En fait, la vraie question est de savoir à quel résultat tout ce que vous nous proposez de faire aboutira. J'ai parlé de France Télécom tout à l'heure et je n'y reviendrai pas, mais je voudrais évoquer EDF.
Quand, en 2004, vous avez souhaité changer le statut d'EDF et de GDF, le grand discours était qu'il fallait en faire des champions. Dans quel état se trouve aujourd'hui votre champion EDF ? Si l'on regarde tout d'abord le parc électronucléaire, depuis sept ans, EDF a perdu un point de disponibilité par an, c'est-à-dire sept points en sept ans. En conséquence, nous avons aujourd'hui des risques de rupture d'alimentation du réseau dans notre pays, alors qu'il y a seulement quelques mois, vous vous vantiez d'être « le château d'eau nucléaire de l'Europe. » Et on nous annonce qu'il faudra importer l'équivalent de quatre à cinq tranches de centrale nucléaire dans les jours qui viennent ! De plus, la situation n'est pas près de s'améliorer, non pas parce que les centrales ont vieilli plus vite, mais tout simplement parce que, pour satisfaire l'actionnaire, privé ou public, on a tiré sur la sous-traitance, sur l'entretien, et que certaines unités sont aujourd'hui à l'arrêt.
Quant aux agents –j'ai évoqué le cas de France Télécom mais nous pourrions aussi parler d'EDF –, ils sont plus stressés qu'avant. Les sous-traitants sont pressurés pour avoir les prix les plus bas et n'offrent pas forcément les garanties nécessaires en matière de technicité et de compétence. Enfin, les réseaux sont très mal entretenus. Les députés du Sud-Ouest se souviennent de la tempête Hugo et savent que si nous avons eu autant de dégâts, c'est parce que, depuis des années, l'entreprise EDF n'avait pas élagué comme elle aurait dû le faire dans ces régions et n'avait pas mis les réseaux en souterrain. Voilà le résultat de ce que vous avez appelé « la constitution d'un champion dans l'énergie. »
Mais j'en reviens à La Poste. On nous dit que rien ne changera. En réalité, le changement a déjà commencé. D'abord, tout est fait pour que nos petits bureaux de poste ruraux ne résistent pas. Nous connaissons bien la méthode qui consiste à changer systématiquement les agents et les horaires pour que les usagers ne s'y retrouvent plus et perdent l'habitude de s'y rendre.
Cela se termine en général par une visite au maire de la ville, au cours de laquelle on explique à celui-ci que les comptes ont été réalisés et que le bureau de poste ne peut pas être maintenu, car il n'intéresse personne. Bien évidemment, pour garder les 17 000 points de contact, on proposera au maire de faire une agence postale, sachant que La Poste acquittera un forfait et que c'est la mairie qui paiera la différence. Cela dit, quand on voit toutes les responsabilités qui incombent aujourd'hui aux collectivités territoriales en l'absence de moyens financiers correspondants, nous ne sommes plus à cela près !
On a souvent loué le rôle d'agent de lien social joué par le facteur. On sait qu'aujourd'hui tout facteur a l'obligation de distribuer un nombre minimum de plis à la minute, à l'heure. Les calculs ont été excellemment faits par Henri Jibrayel. Les facteurs n'ont plus le temps de dire « bonjour » à l'abonné. Les agents vous le diront eux-mêmes : ils n'ont plus ni le temps ni le droit d'établir ce lien social qui était une des valeurs de La Poste.
J'en viens aux guichets. La Poste était la banque du pauvre, des gens modestes. C'est encore là que l'on gère les comptes des personnes ayant peu de moyens. Mais on ne parle plus aujourd'hui aux agents de La Poste que d'objectifs, de rentabilité, autant de mots que l'on retrouve dans tous les autres réseaux bancaires. Chacun sait bien qu'il est plus facile d'atteindre ces objectifs avec de gros comptes qu'avec de petits comptes, et les agents sont encouragés régulièrement à abandonner ces derniers pour essayer d'en capter de plus gros. C'est dans la logique, car cela permettra de satisfaire les impératifs de rentabilité.
La distribution de crédit est en train de devenir une activité extrêmement importante à La Poste. Une question va dès lors se poser. Si les agents sont obligés de distribuer du crédit à la consommation, on sait ce qu'il adviendra : la situation des gens en grande précarité deviendra plus difficile encore. Je ne reviendrai pas sur le crédit à la consommation dont nous débattrons dans quelques semaines, mais obliger les agents de La Poste à distribuer du crédit à la consommation, comme le font aujourd'hui beaucoup de réseaux bancaires, accentuera les difficultés que connaissent nombre de nos concitoyens.
Je terminerai par l'un des avantages que certaines personnes tireront de ce changement, sauf à ce que les choses se passent différemment des autres fois. Chaque fois que des services publics ont été privatisés, que ce soit France Télécom, EDF, GDF, ou les banques en 1986, le premier bénéficiaire a été le président-directeur général qui auparavant était payé comme un haut fonctionnaire et qui, dès le lendemain, était payé comme un patron du CAC 40. C'est une réalité que l'on a encore connue à EDF et à GDF très récemment, et que nous connaîtrons sans doute à nouveau. C'est sans doute cela qui pousse aujourd'hui les cadres de ces services à être des agents de la privatisation, en tout cas du passage en société anonyme : ils ne sont pas ennemis de leur intérêt personnel. J'ai malheureusement le sentiment que, pour beaucoup d'entre eux, l'intérêt personnel passe avant l'intérêt collectif.
Tous les discours que vous tenez encouragent l'intérêt personnel et n'ont plus grand-chose à voir avec l'intérêt collectif et le service que l'on doit à l'ensemble de nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat est passionné et c'est bien normal car, à des degrés divers, nous sommes tous attachés à La Poste. Je peux vous dire, monsieur le ministre, que pendant plusieurs années, avant même que je ne sois député, j'ai beaucoup échangé avec les postiers, les salariés, leurs représentants syndicaux, nos concitoyens ainsi qu'avec les dirigeants de La Poste. Pendant un an, j'ai même consacré plusieurs journées à la découverte de tous les métiers de La Poste, notamment dans ma circonscription où il y a un centre de tri, et j'ai pu constater le dévouement des postiers à leur travail, à leur mission de service public, dans la véritable course contre la montre qu'ils mènent quotidiennement pour que le courrier arrive et parte à temps. J'ai vu aussi quel était leur dévouement dans l'accomplissement d'autres services, notamment aux guichets et à la banque postale.
Comme beaucoup de collègues, j'ai discuté ces derniers mois avec les dirigeants de La Poste. Jean Gaubert faisait allusion, indirectement, à ces cadres qui, sous prétexte de relations publiques, pratiquent un lobbying intense auprès des députés. Ces discussions, y compris avec le président de La Poste étaient utiles car, il y a un an et demi ou deux ans, elles avaient le mérite de la franchise. Le projet annoncé pour justifier la demande de changement de statut était clair. Il s'agissait de se développer à l'extérieur, en Europe mais pas uniquement, et de développer ce qu'on nomme dans le jargon boursier des participations croisées avec des groupes étrangers. On nous avait dit que des rapprochements avec des groupes américains notamment n'avaient pu se faire faute de pouvoir réaliser des participations croisées. Je peux comprendre cette stratégie de la part des dirigeants de La Poste, mais est-ce vraiment l'intérêt des Français, celui des salariés de La Poste ? Je ne le crois pas. Le principal objectif d'une entreprise qui exerce des missions de services public est de les développer sur le territoire national d'où elle tire sa légitimité et, jusqu'à présent au moins, ses moyens.
Il importait de le rappeler, car c'est cela, je crois, qui a provoqué une forte mobilisation, laquelle ne s'est pas limitée aux salariés concernés et aux syndicats comme souvent dans le secteur public – on le voit encore dans les transports. Elle s'est étendue aux élus, aux conseils municipaux qui ont voté des motions et des voeux à ce sujet, et a pris la forme d'une grande mobilisation populaire avec la votation citoyenne. Sur le moment, des membres du Gouvernement avaient ridiculisé cette initiative. Je les invite donc, à relire la tribune que Nicolas Sarkozy a publiée la semaine dernière dans Le Monde : Il y faisait l'éloge de l'écoute du peuple, et à partir de l'exemple pourtant malheureux de la votation suisse, ou des votations suisses, il disait qu'on ne peut balayer d'un revers de main ce qui est une expression du peuple. Pourquoi alors avoir ridiculisé cet élan de participation citoyenne et, surtout, pourquoi avoir obstinément refusé que se tienne un véritable referendum dans tout le pays ?
Cette mobilisation était pourtant utile et elle a touché juste, puisque vous avez d'abord opéré un petit recul. Mais connaissant vos intentions initiales, on pouvait craindre que ce soit reculer pour mieux sauter. Comment vous croire en effet, monsieur le ministre, lorsque, comme le font aussi des orateurs de la majorité, vous affirmez que La Poste ne peut pas être privatisée par nature, alors qu'à longueur de discours et avec une constance qu'il faut vous reconnaître, vous glorifiez la gestion privée en même temps que vous vilipendez la gestion publique sous toutes ses formes ?
On pouvait penser que la crise susciterait des remises en cause profondes ; on a effectivement pensé un temps, mais à tort, que vous alliez abandonner votre projet. Cela aurait été sage. Récemment, le président du cercle de l'industrie, qui n'est pas franchement un soutien de l'opposition, disait que si la France avait des atouts en matière industrielle c'est que dans les années 80, un certain nombre d'entreprises avaient été « protégées » par leur statut d'entreprise publique. Alors que la Grande-Bretagne par exemple laissait dépérir son industrie, ces entreprises publiques sont aujourd'hui les fleurons de notre activité, dans l'industrie, les services et en particulier la banque.
La vraie question est bien celle du service public, et en l'occurrence, de la présence postale. La Poste fait partie du paysage partout en France. Notre pays ne serait plus tout à fait lui-même s'il n'y avait pas un bureau de poste dans chaque commune et dans la plupart des quartiers.
Je n'ai pas peur de le dire, La Poste fait partie de l'identité française, comme d'autres services publics, et je pense notamment à la SNCF. Il est étrange d'ailleurs que vous relanciez un débat sur l'identité nationale alors que depuis des années, avant même l'élection de l'actuel Président de la République, vous n'avez cessé de fustiger les particularismes français, ou ce que vous jugez ainsi, notamment dans les services publics. Le Président de la République n'avait-il pas déclaré aux Français installés aux États-Unis que son projet était qu'en rentrant en France, ils continuent à se sentir aux États-Unis ? Cela en dit long sur sa conception des « particularismes » français et sur son attachement à ce qui, pour moi, constitue le socle de l'identité nationale, au même titre que d'autres repères comme l'école : les services publics.
J'en viens maintenant à la question centrale du financement. On ne vous entend pas du tout sur ce sujet. Pourtant, ce n'est pas avec une augmentation de capital que l'on finance les missions de service public. Ou alors ce serait « manger son capital » en dépenses de fonctionnement. Si j'ai bien entendu, cette augmentation de capital a pour vocation de financer des investissements et pas les missions de service public. Or si l'on est attaché au service public, il faut être clair sur son financement. Il s'agit par exemple de financer la diffusion de la presse, et le Président de la République a fait de grandes déclarations devant les patrons de presse ; de financer l'accès au service bancaire pour tous. À ce propos, nous sommes très attachés à ce que l'on ne sépare pas la banque postale du reste du groupe. Les pays qui ont fait le choix inverse se retrouvent aujourd'hui fort démunis. Ce serait donc une grosse erreur. Il faudra parler également du prix unique du timbre. En l'absence de concurrence, celui-ci assure une péréquation nationale. Mais lorsque la concurrence portera sur l'ensemble du courrier, les groupes, notamment étrangers, qui voudront s'implanter sur le marché – pour l'instant ils ne semblent pas se précipiter – pratiqueront un « écrémage », c'est-à-dire qu'ils choisiront les grandes agglomérations où le volume de courrier à traiter leur permettra – dans une premier temps du moins – d'offrir un prix légèrement inférieur à celui de La Poste. Il faudra bien, alors, financer d'une autre façon la distribution du courrier sur l'ensemble du territoire national, à laquelle nous sommes très attachés.
Il faudra parler également de cette autre mission de service public qui consiste à assurer une présence postale partout sur le territoire par les bureaux de poste et la distribution du courrier. Cela a un coût, car tous les bureaux, toutes les tournées ne sont pas rentables. Par exemple, dans ma commune d'Orvault, qui fait partie de l'agglomération nantaise forte de 600 000 habitants, coexistent une tournée rurale pour 200 boîtes aux lettres et une tournée urbaine pour mille boîtes. À l'évidence la première est moins rentable, si même elle l'est. Va-t-on pour autant cesser de desservir comme les autres ceux qui habitent dans des hameaux ?
Quant aux bureaux de poste, qui eux aussi ont un coût, depuis plusieurs années, La Poste, soutenue par les gouvernements successifs, propose de les transformer en agences postales communales.
Un de nos collègues de l'UMP a prétendu qu'en critiquant ces agences, on met en cause le travail des agents communaux. Le raisonnement est pour le moins étonnant. Depuis deux ans et demi, vous ne cessez de vilipender la dépense publique des collectivités locales et l'effectif des agents territoriaux. Votre réforme des collectivités territoriales ne vise même qu'à les réduire. Pourquoi vouloir alors que les communes assurent cette mission, qui pèsera en partie sur leur budget, car le forfait donné par La Poste ne couvrira pas toute la charge ?
De plus, toutes les communes, notamment les plus petites, ne peuvent pas se permettre de financer une agence postale. Je pense à une petite commune des Hautes-Alpes...
Dans cette commune, il y a un bureau de poste ouvert tous les jours. Le remplacer par une agence postale communale serait impossible : une commune de 300 habitants ne parviendrait pas à la financer. Vous proposerez ensuite de transférer les activités.
Je suis aussi allé dans l'Ariège. C'est la même chose dans les Pyrénées pour les petites communes de quelques centaines d'habitants qui ont encore un bureau de poste.
Pour revenir à Nevache, si ses habitants devaient aller à Briançon, ils mettraient une demi-heure en voiture, dans une vallée où l'hiver il n'est pas facile de circuler.
Doit-on imposer cela à nos concitoyens qui habitent des zones reculées ?
Vous proposerez ensuite de transférer les activités postales dans un commerce. Cela s'est déjà fait. Mais le service n'est pas le même : il est plus réduit. Et les commerces sont fragiles.
On ne peut pas demander au commerçant de trouver un successeur quand il part à la retraite. Surtout, il n'y a pas de commerce dans toutes les petites communes où subsiste un bureau de poste. A Nevache par exemple, le commerce fonctionne trois mois en été et trois mois en hiver. Y aura-t-il un service postal six mois par an ?
Je propose de parler du financement des missions de service public. Si l'on définit ce que doit être la présence postale sur le territoire, on doit aussi prévoir son financement.
Visiblement, cela vous gêne, car à cette question, vous répondez en vous référant au bouclier fiscal et à la baisse des recettes.
Or, à force de baisser les recettes, arrive un moment où il ne reste plus rien pour financer les services publics. Lorsque nous vous avions, en juillet 2007, demandé quelles étaient les dépenses que vous alliez réduire et quels postes de fonctionnaire allaient être supprimés – dans la police, l'hôpital ou l'éducation nationale ? –, vous nous juriez, vos grands dieux, qu'il n'en était pas question.
Nous voyons le résultat aujourd'hui : des réductions de postes aussi bien dans la police, qu'à l'hôpital ou à l'éducation nationale. Nous savons qu'il en ira de même pour La Poste.
La Poste mérite mieux qu'une telle évolution qui ne dit pas son nom. Elle mérite mieux que l'hypocrisie dont vous faites preuve. Elle mérite mieux que vos choix uniquement guidés par l'idéologie ou par des transformations à venir dont vous ne voulez pas parler aujourd'hui. Le service public postal ne mérite pas que l'État se désengage de son financement.
La Poste mérite des garanties, un financement durable. Les Français le méritent car ils sont attachés à La Poste. Votre projet en est bien loin. C'est pourquoi les députés Verts voteront contre. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quatre ans après la loi postale de 2005, le Parlement est à nouveau saisi pour délibérer d'un texte majeur concernant l'avenir de La Poste.
Erreur ! Signet non défini.. Qu'est-ce qui justifie le fait de revenir aussi vite devant la représentation nationale sinon les nouveaux défis auxquels La Poste est confrontée aujourd'hui ?
Le premier défi consiste à s'adapter à la baisse constante du volume du courrier, son activité principale depuis plusieurs années. J'ai été surpris que mon collègue n'y ait pas fait allusion, comme si nous étions dans un monde irréel.
Pour illustrer cette baisse, commençons par quelques chiffres. Le courrier, 56 % du chiffre d'affaire de La Poste, est distribué par quelque 200 000 postiers – et nous tenons à les saluer – sur les 300 000 que compte l'entreprise. Aujourd'hui, l'entreprise postale doit cependant faire face à une nouvelle forme de concurrence avec les changements d'habitude des usagers, notamment liés au développement des courriers électroniques. (Exclamations sur les bancs du groupe GDR.)
Nous devons mener une réflexion sur cette évolution. Le courrier classique présente des signes de fragilité.
Ce n'est pas en distribuant des milliards que vous changerez cette situation. Cela n'aura aucun effet sur le volume du courrier à distribuer !
La Poste prévoit maintenant un recul annuel de son activité de base de 3 % par an. Nos discours n'y changeront rien ! Toutes les prévisions à long terme tablent sur un recul de cette activité compris entre moins 20 et moins 40 % à l'horizon de 2020 par rapport au niveau de 2009. Et ces chiffres ne donnent pas la mesure de la fragilité de cette activité.
Savez-vous notamment que le courrier entre particuliers représente moins de 3 % du chiffre d'affaires de cette activité ? Cette activité est, en quelque sorte, déjà morte.
Peut-être, mais c'est ainsi.
Savez-vous que 50 % du chiffre d'affaires du courrier est réalisé par cent clients seulement, forcément volatiles ? Que l'introduction de la carte vitale – exemple de dématérialisation – a fait chuter le nombre de feuilles de soins de 11 millions à 1 million ?
Bref, le coeur de métier de La Poste est en pleine mutation.
Nous sommes bien en face d'une transformation de fond de son activité. (Exclamations sur les bancs du groupe GDR.)
Si personne n'est en mesure, aujourd'hui, de prévoir avec précision le rythme de ce changement – il n'est pas exclu que le papier ait à nouveau un rôle à jouer –, nous avons le devoir de donner à La Poste les moyens d'opérer sa mutation, à la fois à l'intérieur de son activité de courrier, structurellement en déclin, mais également sur ses métiers en croissance.
Le second défi est l'ouverture progressive du secteur postal, engagée en 1997 et parvenant à son terme en 2011.
Le 1er janvier 2011, La Poste se retrouvera en concurrence sur le coeur de son activité, à savoir le courrier. Gardons à l'esprit qu'il s'agit d'un secteur en décroissance. Le développement, en Europe, d'opérateurs postaux puissants et animés d'ambitions internationales est un fait. Avec un chiffre d'affaires de 20,8 milliards d'euros, La Poste est le deuxième groupe postal européen derrière la poste allemande. Dans ce nouvel environnement, elle doit être en mesure de jouer à armes égales avec ses concurrents.
Pour cela, elle doit trouver de nouveaux financements afin d'investir durablement et massivement. C'est la seule voie pour une modernisation réussie et l'amélioration de sa productivité, au moment où ses concurrents vont chercher à mener une stratégie de niche sur les quelques segments rentables de l'activité courrier comme la publicité non adressée et les grands comptes.
Quelles sont les réponses possibles pour relever ces défis ?
La commission Ailleret, composée de parlementaires – j'ai eu l'honneur avec notre rapporteur, Jean Proriol, François Brottes et Daniel Paul d'en faire partie –, de représentants des organisations syndicales, de l'État et de La Poste, a souligné de manière quasi consensuelle la nécessité d'engager des investissements importants pour continuer à améliorer les conditions d'exercice des différents métiers de l'entreprise postale donc, au premier chef, de ses missions d'intérêt général.
J'y viens.
Elle a ainsi considéré qu'un besoin de financement externe d'au moins 2,7 milliards d'euros était nécessaire pour mener à bien le projet industriel engagé par La Poste.
Au regard du droit de la concurrence, les députés centristes considèrent que le changement de statut proposé par le projet de loi examiné aujourd'hui est la meilleure voie pour permettre à l'État et à la Caisse des dépôts et consignations d'apporter ces 2,7 milliards d'euros d'investissement. En effet, La Poste peut difficilement accroître son endettement qui atteint 6 milliards d'euros.
En outre, il semble difficile aussi que l'État intervienne par le biais d'une subvention ou d'un autre type d'aide sans que l'entreprise postale tombe sous le coup de l'interdiction européenne des aides d'État.
Oui, pour régulariser un tel investissement, l'État doit réaliser cet apport dans le cadre d'une société anonyme, et non d'un établissement public.
Inutile de polémiquer, cher collègue. Le changement de statut ne signifie pas privatisation. Dans son article 1er, alinéa 3, le texte prévoit l'interdit en précisant que « le capital de La Poste est, dans sa totalité, détenu par l'État ».
Ce caractère public a été confirmé par le Gouvernement, au Sénat, et dans notre hémicycle encore une fois cet après-midi par M. Le ministre. Pourtant, nous allons passer une grande partie de nos trente heures de débat à instruire le procès d'intention au sens respectable du terme que va conduire l'opposition sur les intentions à venir du Gouvernement quant à une hypothétique et éventuelle privatisation future de La Poste.
Le décor du jeu de rôle est déjà campé, le scénario et la distribution sont connus.
Dans le rôle de celui qui va affirmer et réaffirmer que jamais, au grand jamais, juré, craché, nous ne privatiserons La Poste, nous aurons le Gouvernement et son ministre. Dans le rôle des vaillants chevaliers démasquant les sombres intentions du Gouvernement et de la majorité présidentielle, nous aurons les orateurs de l'opposition. (« Oui ! Oui ! » sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Et vous quel est votre rôle ? Vous vous placez au-dessus de tout le monde ? Vous êtes sans doute meilleur.
Merci, mon cher collègue.
Pourtant, la réalité est beaucoup plus prosaïque. Le texte de loi actuel interdit la privatisation et j'appelle l'opposition à avoir l'honnêteté intellectuelle de le reconnaître. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
La réalité, c'est aussi de reconnaître que ce que fait une loi, une autre peut le défaire.
Nous avons déjà vécu cette situation concernant la gestion d'autres entreprises publiques, je pense évidemment à la fusion GDF-Suez.
Le Nouveau Centre, qui soutient l'affirmation du caractère exclusivement public de La Poste contenu dans la loi appelle chacun des acteurs à une certaine sagesse dans l'exécution de sa partition.
Nous soulignons, pour finir avec ce point qui va nous occuper pendant de longues heures, la menace directe que ferait peser sur l'unité du groupe La Poste le refus de faire un apport en capital à la tête du groupe.
Tout blocage idéologique sur ce point entraînerait de fait le groupe dans la voie de la privatisation de ses métiers à croissance avec l'arrivée d'actionnaires qui refuseraient toute solidarité avec la branche en déclin qu'est le courrier.
L'enjeu de la dotation en capital, c'est donc bien l'unité du groupe, qui n'a rien d'évident aujourd'hui, car son activité historique – le courrier – est en déclin et ses activités complémentaires sont en croissance.
Nous appelons donc tous ceux – nombreux et de sensibilités politiques différentes – qui sont attachés à l'unité du groupe La Poste à bien mesurer les conséquences de propositions qui peuvent paraître protectrices, mais qui sont, en fait, particulièrement dangereuses pour La Poste.
J'en viens à la transposition de la directive européenne et ses enjeux pour le service public postal.
Dans ce projet de loi, la France assure à la fois la transposition du service universel postal et définit des missions complémentaires de service public. À nos yeux, l'enjeu est triple.
C'est tout d'abord, un enjeu en termes d'aménagement du territoire. Nous voulons rendre hommage à la vision stratégique de Jean-Paul Bailly, président de La Poste,…
Vous pouvez penser ce que vous voulez, mais Jean-Claude Bailly a su préserver le maillage territorial de La Poste et ses 17 000 points, tout en permettant l'émergence de formes nouvelles de cette présence avec les agences postales communales et les relais postaux commerciaux.
Ne nous y trompons pas : le courrier ne va pas cesser de reculer mais nous devons continuer à assurer la présence territoriale de La Poste et, dans cette perspective, continuer à soutenir sa mutation.
La qualité de service doit être au coeur de nos préoccupations. Disons-le franchement, le projet de loi est timide sur cet aspect. La transposition de la volonté du législateur européen est proposée a minima.
La qualité du service, c'est obtenir d'abord la disparition quasi complète des erreurs d'expédition et des pertes de plis et de colis. Nous en sommes loin !
Le texte est trop général, car il ne reprend que très partiellement les exigences de l'article 19 de la directive européenne. C'est pourquoi nous essaierons de l'améliorer.
Il n'y a aujourd'hui rien de précis ni sur les déclarations de valeur ni sur les procédures de remboursement et d'assurance. Le Nouveau Centre veillera à ouvrir ce débat lors de nos travaux.
La qualité, c'est aussi des délais courts et des délais tenus. C'est notamment la question de la livraison à J+l qui se pose. Ce dispositif est un engagement du service public postal français.
En effet, si le pourcentage de plis distribués en moins de 24 heures ouvrées a très sensiblement progressé ces dernières années, …
…passant de 67 % en 2003 à 84 % au premier semestre 2009, c'est aussi parce que 80 % des boîtes aux lettres sont désormais relevées avant seize heures et parfois même dès midi !
Les personnes et les professionnels qui vivent et travaillent dans nos territoires ruraux sont aujourd'hui, monsieur le ministre, excédés par cet état de fait. Comment une PME située en milieu rural peut-elle répondre rapidement à un appel d'offres ? Comment, dans de telles conditions, un particulier peut-il répondre à un rappel de facture par retour de courrier ?
La Poste doit améliorer et clarifier sa prestation en la matière. Baisser la qualité du service ne peut qu'inciter à la numérisation des informations et à leur expédition par courrier électronique.
J'insiste donc sur l'importance du rôle du régulateur pour la mesure et le contrôle en termes de qualité de service rendu par La Poste. Mes chers collègues, n'ayons pas peur du régulateur ! C'est une position constante des centristes, militants européens, que de soutenir le rôle central que lui confère le législateur européen, directive après directive.
Nous défendrons plusieurs amendements visant à élargir les responsabilités du régulateur, transposées timidement par ce texte de loi. Nous vous proposerons de moderniser et d'adapter l'ensemble du système de contrôle sur le service public postal en prenant acte du nouveau statut de société anonyme et des dispositions des deux directives européennes. Nous vous proposerons notamment de supprimer la commission supérieure du service public des postes et communications électroniques. Cette instance a eu sa légitimité et son utilité dans un contexte de société publique nationale. C'est maintenant à la gouvernance de la société anonyme, au régulateur national – l'ARCEP – et en dernier lieu au Parlement d'exercer leurs fonctions de contrôle. À titre d'exemple, il nous faut confier aussi au régulateur le bilan de la gestion de l'utilisation du fonds de péréquation.
Troisième enjeu, l'accessibilité bancaire.
La Banque postale doit sans cesse renouveler ses services pour favoriser l'accessibilité bancaire. Notre époque est clairement marquée par le durcissement des conditions d'accès au crédit pour les plus modestes de nos concitoyens. La gamme de produits de La Banque postale qui leur sont spécifiquement destinés doit donc être étendue.
Au-delà du Livret A, nous pensons d'abord à l'offre de micro crédit. La Poste a aujourd'hui la possibilité de faire du micro crédit social, mais elle n'a pas l'autorisation de son actionnaire, l'État, de proposer du micro crédit entrepreneurial alors même que l'entreprise postale est leader dans l'accompagnement des auto-entrepreneurs.
Par ailleurs, vous connaissez l'engagement du Nouveau Centre dans la prévention du surendettement. C'est pourquoi nous souhaiterions inscrire dans la loi l'exigence pour La Poste de ne pas proposer d'offre de crédit de type renouvelable parmi les produits offerts par La Banque postale.
Ces produits ont montré leur toxicité sociale. La Banque postale s'est bien gardée de s'engager dans des montages du type des subprimes, et cela lui a réussi.
Merci, mon cher collègue !
La Banque postale doit faire preuve de la même exigence éthique et de la même réserve s'agissant des crédits renouvelables. À ce propos, j'ai noté avec plaisir l'accueil favorable que vous avez réservé cet après-midi à notre initiative, monsieur le ministre.
Les logiques de consommation changent ; l'Europe économique et juridique poursuit sa construction ; le contexte concurrentiel évolue. C'est donc maintenant que La Poste doit s'adapter, tout en assurant les missions de service public qui font sa force.
La Poste a su passer il y a vingt ans du statut d'administration d'État à celui d'établissement public et commercial ; elle réussira cette nouvelle mutation, nous en sommes convaincus, car ce projet de loi lui fournit les outils nécessaires.
Grâce au travail des postiers et de leurs dirigeants, La Poste est aujourd'hui en bonne forme, du point de vue de sa gouvernance comme de ses résultats financiers, mais il est pour elle urgent d'agir. Or elle a les moyens d'agir ; cette loi les renforce au profit du personnel de La Poste…
…, de ses usagers et, plus largement, de notre pays.
À nous de choisir l'audace du mouvement, plutôt que l'impasse du statu quo. Et c'est parce qu'il choisit le mouvement que le Nouveau Centre soutiendra ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, La Poste s'est déjà profondément modernisée depuis quelques années, dans le contexte de l'ouverture progressive du secteur postal à la concurrence au niveau communautaire, engagée depuis 1997.
Grâce aux efforts importants qu'elle a ainsi fournis, La Poste est aujourd'hui appréciée des Français ; sans doute s'agit-il du service public qu'ils apprécient le plus.
Les trois cent mille fonctionnaires et salariés qui la composent accomplissent avec succès les missions d'intérêt général qui lui sont confiées. Elle achemine ainsi 29 milliards d'objets par an – on l'a dit – et accueille chaque jour deux millions de personnes.
Toutefois, La Poste est aujourd'hui confrontée à de nouveaux défis. Or j'ai l'impression que certains de nos collègues l'ont tout simplement oublié.
Je vais donc rappeler ces défis, comme Jean Dionis du Séjour vient de le faire.
Il s'agit tout d'abord de l'ouverture totale de l'activité postale à la concurrence d'ici au 1er janvier 2011 ; ensuite, du développement de concurrents puissants en Europe ;…
…troisièmement, des nouvelles formes de concurrence que représente internet ; enfin, de la décroissance du volume du courrier.
Le monde change. (Plusieurs députés du groupe SRC entonnent « Tous ceux qui veulent changer le monde ».)
Il est donc normal que nous nous interrogions sur les évolutions de La Poste.
Afin de relever ces défis et de poursuivre sa modernisation, La Poste a besoin d'accroître ses capitaux propres et d'accéder à des sources de financement étendues. Or son statut actuel d'établissement public – qui constitue une exception en Europe, avec le Luxembourg – ne le lui permet pas.
C'est là tout l'objet du présent projet de loi. Le Président de la République a en effet souhaité, en décembre 2008, comme le préconisait la commission présidée par M. Ailleret, que La Poste devienne une société anonyme, tout en restant une entreprise publique.
Ce changement de statut permettra à l'État et à la Caisse des dépôts et consignations de souscrire à une augmentation de capital de 2,7 milliards d'euros, ce qui est indispensable pour maintenir la qualité des services et investir dans les activités innovantes et en croissance.
Par ailleurs, le texte réaffirme dans la loi les quatre missions de service public de La Poste, ce qui constitue une garantie essentielle pour les Français. Les fonctionnaires de La Poste conserveront quant à eux leur statut et l'ensemble des droits afférents.
Enfin, on l'a dit, le projet de loi transpose la directive du 20 février 2008.
Mes chers collègues, vous le savez, ce changement de statut de La Poste est une nécessité. Il doit lui permettre de maintenir la qualité de ses services et de s'intégrer avec succès dans un environnement de plus en plus internationalisé.
Grâce aux travaux du Sénat, à votre volonté, monsieur le ministre, et à celle du Gouvernement, des garanties supplémentaires ont été apportées afin que La Poste demeure une entreprise publique. Je souhaite insister sur ce point.
La totalité du capital social sera détenue par l'État ou par des personnes morales de droit public, à l'exception de la part pouvant être détenue au titre de l'actionnariat des personnels. Et vous verrez que l'ouverture au personnel du capital de La Poste sera plébiscitée par les postiers. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Vous verrez ! Je suis prête à prendre les paris ! C'est le personnel de La Poste qui a le plus confiance dans l'avenir de cette entreprise, ce n'est pas vous ! (Rires et exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR. – Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Vous verrez ! Je suis sûre de ce que j'avance.
Surtout, le Sénat a précisé que ce changement de statut ne peut conduire à remettre en cause le caractère de service public national de La Poste. Cette référence au préambule de la Constitution de 1946 empêche toute privatisation. (« Non ! Non ! » sur les bancs du groupe SRC.)
Jean Dionis du Séjour a bien souligné que cet apport en capital constituait une garantie du maintien de l'unité des activités du groupe La Poste. (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)
Ce projet de loi représente une seconde avancée majeure : pour la première fois, les quatre missions de service public et d'intérêt général de La Poste sont inscrites dans un article unique de la loi. Il s'agit du service universel postal, de l'aménagement du territoire, du transport et de la distribution de la presse, enfin de l'accessibilité ; nous sommes particulièrement attachés à ces missions.
Le projet de loi consacre ainsi le réseau des 17 000 points de contact de La Poste sur tout le territoire. Il s'agit d'un progrès considérable, qui assure à tous un accès aisé à des services essentiels. Je tiens également à saluer le travail de proximité que fournit La Poste afin de maintenir ces points de contact au plus près des populations, grâce aux formules intelligentes que constituent l'agence postale ou le « Point Poste ». (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
À ce propos, la commission des affaires économiques a souhaité, à l'initiative de son président, que les horaires d'ouverture des points de contact s'adaptent aux modes de vie des populations concernées. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Le contrat pluriannuel de la présence postale territoriale devra donc organiser dans les communes de plus de 75 000 habitants, à titre expérimental et, naturellement, une fois consultés les représentants des personnels, l'ouverture d'un bureau de poste jusqu'à vingt et une heures un jour par semaine.
Ce changement de statut n'aura naturellement pas lieu au détriment des personnels de La Poste. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Les agents de La Poste qui sont fonctionnaires conserveront leur statut de fonctionnaires de l'État et les garanties d'emploi et de retraite qui y sont associées.
C'est inscrit dans la loi ! Arrêtez ! On sait que vous ne voterez pas le texte ; mais nous, nous allons voter une loi qui garantit aux fonctionnaires de La Poste qu'ils conserveront leur statut ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Ces agents seront désormais placés sous l'autorité du président de La Poste, qui disposera sur eux du pouvoir de nomination et de gestion. Par ailleurs, le projet de loi permettra à La Poste d'instaurer un régime collectif obligatoire de protection sociale complémentaire au bénéfice des personnels fonctionnaires. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Le deuxième objectif majeur du texte est la transposition de la directive du 20 février 2008 qui fixe au 31 décembre 2010 la date de libéralisation totale des marchés postaux.
Cette transposition –c'est un aspect essentiel – maintient les différents acquis issus des directives antérieures.
D'une part, le contenu et le périmètre du service universel restent les mêmes. La Poste est à ce titre désignée comme le prestataire du service universel pour une durée de quinze ans à compter du 1er janvier 2011.
D'autre part – c'est important, par comparaison avec le reste de l'Europe –, la levée et la distribution du courrier six jours sur sept sont bien entendu maintenues.
En outre, les règles d'accessibilité aux points de contact au titre du service universel demeurent identiques.
Au moins 99 % de la population nationale et au moins 95 % de la population de chaque département doivent se trouver à moins de dix kilomètres d'un point de contact.
De plus, toutes les communes de plus de 10 000 habitants doivent disposer d'un point de contact et il doit y en avoir un au moins par tranche de 20 000 habitants.
Enfin, la péréquation tarifaire, avec le prix unique du timbre, est également confirmée.
Tous ces principes essentiels sont donc confortés et renforcés par le projet de loi.
Je souhaite en dernier lieu évoquer les pouvoirs de régulation conférés à l'ARCEP. Celle-ci devra notamment veiller au respect des objectifs de qualité du service universel. Elle fera réaliser chaque année par un organisme indépendant une étude de qualité de service qu'elle publiera. Au terme des travaux de la commission, il semble qu'un équilibre ait été trouvé à ce sujet.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi soumis à notre examen est un texte à la fois ambitieux et équilibré. Il répond aux attentes de La Poste en termes de développement, tout en confirmant l'accessibilité et la qualité de ses services au bénéfice des Français. Il renforce les moyens qui permettent à La Poste de demeurer le service public préféré des Français.
Pour toutes ces raisons, le groupe UMP soutiendra ce projet de loi avec conviction. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, je commencerai de manière un peu inhabituelle : en vous lisant une petite nouvelle.
Pierre s'est levé tôt ce matin, tôt, comme chaque matin. Depuis qu'il est seul, depuis qu'il est à la retraite, il refait chaque jour, à peu près au même moment, les mêmes gestes.
Allumer la radio, d'abord. Il y a quelque temps, cette radio s'appelait France Creuse ; lui, il disait souvent Radio La Creuse. Ce qui l'intéresse avant tout, c'est qu'on lui parle des gens de chez lui, qu'on lui donne des nouvelles de son territoire, avant de passer aux informations nationales, car, même lorsque l'on habite un petit village reculé où vivent peu d'habitants, on tient à se tenir au courant. Et c'est ce que fait Pierre. Ses connaissances en étonneraient même beaucoup.
Pierre trouve cependant que sa radio a changé : beaucoup plus de musique, beaucoup plus d'informations nationales et beaucoup moins d'informations locales. Pourtant, il continue à écouter.
Puis viennent la toilette, le petit déjeuner et l'ouverture des volets. Autrefois, il y avait de l'animation dans le village. Le voisin d'en face soignait ses bêtes, puis on voyait les enfants, cartable au dos, partir vers l'école, distante de deux kilomètres.
Maintenant, il n'y a plus d'école. Il y a bien encore des enfants, puisque des jeunes viennent de s'installer sur le territoire ; mais, comme ils doivent parcourir dix kilomètres, ils partent tôt le matin et rentrent tard le soir.
Mais que c'est triste, un village sans enfants, une commune sans école ! Est-ce que cela peut changer ? « Cela m'étonnerait », pense Pierre. « Personne ne se préoccupe de nous ; bientôt, on n'aura même plus de médecin ». D'ailleurs, Pierre était furieux lorsqu'il a entendu la ministre dire à ceux qui étaient en stage de formation, près de chez vous, monsieur le ministre : « On ne va quand même pas vous punir en vous envoyant en Creuse ! » Un ministre n'a pas le droit de dire cela ; c'est tout simplement déshonorant.
Moi, j'aime bien la Creuse, et vous le savez bien !
Qu'est-ce qu'elle connaît de la Creuse, cette ministre ? Qu'est-ce qu'elle sait des Creusois, de leur histoire de bâtisseurs ? Qui, selon elle, a construit le Louvre, le Panthéon, les Tuileries ? Qui a fait voter la loi garantissant les salariés pour les accidents du travail ? Martin Nadaud, député creusois !
Les accidents du travail, parlons-en.
Pierre a failli s'étouffer lorsqu'il a entendu l'autre jour que l'on voulait rendre imposables les indemnités perçues à la suite d'un accident du travail.
« Ils sont fous », se dit-il. « S'ils avaient été là avant, ils auraient taxé la pension militaire d'Abel, qui a perdu une jambe à la guerre ! »
Lentement, le temps passe. C'est dur d'être seul.
Heureusement, Pierre est en bonne santé ; il peut rester chez lui. Il ne veut pas songer à ce qui se passera quand ce ne sera plus possible : la maison de retraite ? « Vous n'y pensez pas, cela coûte, dit-on, 8 000 francs par mois et ma retraite, c'est 6 000francs ». Et quand son fils lui dit : « Allons, papa, c'est 900 euros », Pierre reconnaît qu'il devrait faire un effort. « Il faut vivre avec ton temps, papa ! » poursuit son fils et Pierre lui répond : « Il est beau ton temps : plus d'école, plus de médecin. On me dit aussi qu'il n'y aurait plus de maternité et pourquoi pas plus de facteur, pendant que tu y es ? ».
Le facteur avec sa petite voiture jaune, autrefois, il s'arrêtait à la maison, il posait le courrier sur la table – quand Marthe était encore là, elle lui préparait un café – et donnait des nouvelles des amis qui habitent un peu plus loin. Il ne restait pas longtemps, deux minutes pas plus, car la tournée était longue mais il connaissait tout le monde, le facteur, et il rassurait.
Pierre a de la chance, les boîtes aux lettres sont en face de chez lui, il verra le facteur ; ce n'est pas le cas de René. Il a eu beau râler, on ne l'a pas écouté. Pas le temps : il faut tout regrouper.
Pierre attend son journal, il s'est abonné surtout pour ça, pour voir le facteur, pour lui dire un mot, mais maintenant les têtes changent souvent et puis on lui répond toujours : « Pas le temps, Pierre ! ». La tournée est chronométrée et discuter avec les gens ne fait pas partie du travail. « Pas partie du travail ? Et s'il voit que mes volets ne sont pas ouverts le matin, venir voir si je suis malade ne fera pas partie de son travail ? » s'interroge Pierre.
Autrefois, on demandait des nouvelles, on montrait de la sollicitude, parfois même, on dépannait. Maintenant, on n'a plus le temps. Il faut être rentable. « Mais qu'est-ce qu'ils croient avec leur rentabilité, qu'ils vont trouver fortune dans nos villages ? Ils ont déjà supprimé de nombreux bureaux, réduit les horaires, augmenté les prix de nombreux services. Est-ce qu'ils ont décidé que puisque nous n'étions pas nombreux, nous n'avions plus droit à rien ? »
Pierre, qui était ouvrier chez Michelin, n'avait pourtant pas l'impression d'être inutile quand il faisait les trois huit.
Le peu d'argent qu'il avait, c'est à La Poste qu'il l'avait mis. Lui, La Poste, il y tient. C'est peut-être le seul service public qui restera sur l'ensemble du territoire.
Il a bien entendu qu'on disait qu'il n'y avait pas de risque, qu'il fallait moderniser, s'adapter. On le lui avait déjà dit à propos du téléphone. L'année dernière, lorsque la neige avait fait tomber les lignes, il avait attendu dix jours sans téléphone avant que l'on vienne réparer. Plus de personnel sur place. « Mais vous n'avez pas de portable ? » lui avait-on demandé. « Non, je préfère avoir un téléphone fixe, c'est plus pratique pour moi. Pourquoi, c'est ringard d'en avoir un ? ». Pierre n'a pas ajouté que même s'il en avait eu un, il lui aurait fallu attendre que la zone soit couverte.
Et puis brusquement, ce n'est plus à lui qu'il a pensé. Pour lui, maintenant, l'essentiel sera de se soigner, de ne pas être à la charge des autres. Cela devient compliqué avec toutes ces franchises. Il a bien compris qu'il était très difficile de financer les dépenses de santé mais il se demande quand même pourquoi ceux qui gagnent tant d'argent ne sont pas davantage sollicités. Il ne faut pas dire cela : c'est ringard, c'est même archaïque !
Pierre veut penser à l'avenir, à ses enfants, à ses petits-enfants, à son petit Romain dont je vous ai parlé il y a quelque temps déjà. Il veut penser à ces territoires qui lui semblent abandonnés. Au moment où l'on parle de qualité de vie et d'environnement, ne serait-il pas plus utile de penser à leur développement ?
Il apprécie tous les efforts qui ont été faits pour installer le haut débit. Internet, pour lui, c'est difficile mais il sait que, pour le territoire, c'est formidable. Pour une fois, se réjouit-il, ils se sont tous rassemblés – l'État, l'Europe, la région, le département –, ce qui est indispensable.
Il n'est pas absurde de penser qu'il y a un avenir, un vrai, à condition que l'on puisse le préparer et, pour cela, il faut que cela reste possible. Il faut que l'on puisse se soigner, apprendre, se former, se loger, se déplacer.
« Ils ne pourront pas tous s'entasser aux mêmes endroits quand même ! » : Pierre sait que ce qu'il dit peut prêter à sourire. Il sait aussi que l'on a changé de siècle et qu'il faut vivre avec son temps. Cependant que signifie vivre avec son temps ? Tout deviendrait-il marchandise ?
À l'école de la République laïque, on ne lui avait pas seulement appris à lire, à écrire, à compter mais aussi à devenir un citoyen, à réfléchir, à respecter les autres, tous les autres. On lui avait dit que les hommes et les femmes avaient les mêmes devoirs et les mêmes droits.
Ce débat sur La Poste a valeur de symbole. Pierre ne croit plus aux promesses inconsidérées.
On l'a trompé pour EDF. N'avait-on pas promis, la main sur le coeur, que le capital ne serait jamais ouvert et que l'entreprise ne serait jamais privatisée ?
Il se dit qu'il faut résister.
Il comprend les difficultés. Qu'on lui demande son avis, rien de plus normal. Il avait cru qu'il était possible de demander un référendum, grâce aux changements de la Constitution. Il s'est déplacé récemment pour le dire. Il a même écrit au Président de la République. Il attend toujours la réponse et, pendant ce temps-là, la machine infernale continue sa course.
Oui, monsieur le ministre, il faut donner des moyens à La Poste, Pierre le sait. Il sait aussi que cela est possible sans vouloir à tout prix réformer. Il a donc écrit à son député, celui pour qui il a voté, pour lui demander de refuser ce qui est proposé car il croit très fort que cela sera dans quelque temps – dans quelques semaines, dans quelques mois, peut-être dans quelques années – une très mauvaise chose pour lui, pour sa commune, pour son département.
Pierre a fermé la radio, pris le journal de la veille, bientôt peut-être il ne l'aura plus que deux ou trois fois par semaine. Ce ne sera pas facile pour les résultats sportifs. Tout à l'heure, il aura celui du jour. Il va surveiller l'arrivée du facteur ; il ira à la boîte ; peut-être pourra-t-il discuter quelques secondes.
Ce sera la première personne avec qui il parlera ce matin, pas longtemps, mais c'est déjà ça, se dit-il.
Pierre s'en est allé. Je l'ai bien connu. Il ne s'appelait pas Pierre d'ailleurs. C'est en pensant à lui et à ses semblables, que j'ai eu envie de modifier l'intervention beaucoup plus technique que j'avais préparée. Je sais, monsieur le ministre, que mes propos n'ont rien de scientifiques, mais j'ai souhaité ce soir laisser un peu parler mon coeur.
On dit que le coeur a ses raisons que la raison ne connaît pas. Moi, je préfère dire que sans coeur, il n'y a jamais de raison. (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, je vous propose de vous parler sans détour : le débat que propose le Gouvernement est pipé.
Vous avez certifié à nos collègues sénateurs, monsieur le ministre, que La Poste serait « imprivatisable », vous fondant sur le préambule de la Constitution de 1946. Il me semble nécessaire de repasser le film du démantèlement de la grande entreprise qui regroupait La Poste et les télécommunications. Au terme d'un long processus, cette entité a fait l'objet d'un dépeçage qui a conduit à la scission d'abord, à la privatisation de France Telecom ensuite, jusqu'aux changements de La Poste, déjà en oeuvre depuis plusieurs années.
Est-il besoin d'évoquer l'enquête réalisée auprès des salariés de France Telecom, qui montre les effets dramatiques d'un management braqué sur la rentabilité à tout crin ? Voilà des années que les gouvernements successifs foulent au pied le préambule de 1946 dont vous vous réclamez aujourd'hui.
En 1879 fut créé le ministère des postes et télégraphes. Le dernier à l'occuper en tant que ministre sous cette dénomination spécifique fut François Fillon en 1995, ministre délégué chargé de la poste, des télécommunications et de l'espace. Joli clin d'oeil de l'histoire qui veut que ce même François Fillon soit, en tant que Premier ministre, l'un des responsables de la privatisation de ce service public.
Réexaminons le scénario qui passe par la promotion, à travers l'Europe, du capitalisme mondialisé.
En 1986, l'Acte unique européen crée un grand marché intérieur. La concurrence libre et non faussée devient la norme : les monopoles d'État et les services publics sont en première ligne. S'il est un secteur où les firmes capitalistes ont compris qu'il y avait du fric à faire, c'est bien sûr le secteur des télécommunications.
L'année 1992 est celle de la signature du traité de Maastricht et de la publication du Livre vert de la Commission européenne sur les services d'intérêt général. Comme le secteur des télécommunications est à l'évidence le plus juteux, le dépeçage commence par là.
Le 1er janvier 1988 voit la séparation des PTT en deux entités distinctes et la naissance de France Telecom.
En 1990, la loi Quilès transforme La Poste et France Telecom en exploitants de droit public, dotés de l'autonomie financière, d'une personnalité morale distincte de l'État. Dès lors, leur budget n'a plus jamais été voté par l'Assemblée nationale.
En juin 1996, France Telecom se transforme en société anonyme.
En septembre 1997, nous passons à l'ouverture du capital avec 21 % au privé.
En 1998, nous assistons à une deuxième ouverture : le capital est privé à 38 %. En 2004, à la faveur d'une troisième ouverture, 58 % est dévolu au privé. France Telecom devient de fait une entreprise privée. Enfin, en 2007, la participation publique est ramenée à 26 %.
Faut-il que je vous raconte la suite, monsieur le ministre ? France Telecom est devenue aujourd'hui une société capitaliste avec ses pires excès. Les personnels sont pressés comme des citrons, la précarité est généralisée, les usagers sont devenus de simples clients. Surtout, les uns et les autres sont victimes de la rapacité incontrôlable d'une multinationale sans foi ni loi.
Mais venons-en à La Poste, deuxième cible du ravage libéral dont vous êtes le porteur, monsieur le ministre.
La Poste fonctionne déjà sur le mode du privé. En 1985, Chronopost a été créé pour répondre, en principe, à la présence des distributeurs américains sur le marché français. La notion de service public est loin : Chronopost offre aujourd'hui des services à coût élevé, objet de multiples contestations quant à la qualité du service rendu. Dans cette filiale qu'est Geopost, devenue société anonyme, c'est la logique capitalistique qui prime.
En vingt ans, La Poste a créé 291 filiales, dont certaines ont déjà le statut de sociétés anonymes, a fait des acquisitions et s'est implantée à l'étranger.
Le groupe est divisé en quatre métiers : courrier, colis et express, services financiers, réseaux des bureaux de poste. La Banque postale est sans doute la plus avancée dans la voie du capitalisme avec ses filiales spécialisées dans les assurances et la gestion des actifs.
Sa naissance s'est faite en deux temps : d'abord en 2000 avec la création de la filiale Efiposte, qui a permis une gestion financière échappant au contrôle du Trésor : ensuite, le 1er janvier 2006, Efiposte est devenue la Banque postale, société anonyme dont le capital est, pour l'instant, détenu à 100 % par La Poste.
Elle est en partenariat avec de nombreux organismes privés, ses filiales sont regroupées dans un holding, mais les usagers en font chaque fois l'expérience : la Banque postale tend à devenir une banque comme une autre, démarchant prioritairement des produits financiers dont la logique est branchée sur le profit, la rentabilité et non plus sur l'intérêt général et la notion de service public.
S'agissant du courrier, c'est là que les filiales sont les plus nombreuses, regroupant quatre pôles composant la holding Sofipost. Je vous fais l'économie du détail de ce dispositif complexe.
L'expérience des particuliers et des entreprises est que le courrier est de moins en moins distribué à J + 1 et que la levée des boîtes aux lettres s'effectue de plus en plus tôt dans l'après-midi. À tout cela, il existe une raison : les coupes claires dans les personnels : de 2004 à 2008, nous sommes passés de 190 000 à 151 000 fonctionnaires, c'est-à-dire que l'on en a supprimé 38 600 environ en quatre ans. En revanche, le nombre des emplois contractuels à statut précaire est passé de 90 000 à 105 000. Les fonctionnaires représentaient à l'époque deux tiers des effectifs, contre près de la moitié aujourd'hui. Expliquez-nous, dans ce contexte, comment vous comptez pouvoir préserver la poste publique à 100 %, alors que le principe en est déjà foulé au pied.
Permettez-moi de vous citer un extrait du rapport présenté par François Ailleret qui a inspiré votre projet : « La Poste pourra solliciter ultérieurement d'autres investisseurs que l'État pour mener à bien ses projets et leur donner une activité comparable à d'autres postes. » Aujourd'hui, il faut savoir comment se réorganisent les services de La Poste, en particulier la distribution du courrier. Nous sommes déjà dans le syndrome de France Télécom. Faute de personnels suffisants, les facteurs se voient imposer des tournées à rallonge, des horaires insupportables, des pressions sur l'obligation de résultats à tout prix. À l'arrivée, c'est un service en baisse pour les usagers, des conditions de travail qui n'ont plus rien à voir avec le service public ni, bien évidemment, avec le statut de la fonction publique.
L'implantation de La Poste elle-même sur le territoire national est à la mesure du découpage humain qui est engagé. Un bureau de poste sur trois a déjà disparu. Sur 17 082 implantations, soit 35 %, 5 000 bureaux environ de plein exercice sont liquidés. Ils ont été transformés en poste-mairie qui seront à terme à la charge des collectivités, ou en poste-commerce, comme dans les bureaux de tabac, la maison de la presse ou l'épicerie du village. Vous organisez la désertification du monde rural. Que valent donc les envolées lyriques sur le développement durable ? Vous nous expliquez que le changement de statut s'explique par le besoin de fonds propres de La Poste pour intervenir dans une nouvelle logistique et vous évoquez l'exigence d'acquisition d'avions, de nouveaux centres de tri, d'acquisition de TGV. On dirait presque une publicité télévisée !
Je vis dans la région lyonnaise une expérience qui démontre l'exact contraire de vos déclarations d'intention. L'escale postale de l'aéroport Saint-Exupéry sera privatisée le 6 avril 2010, après celles de Marseille et de Montpellier. Cela s'effectue par le biais de la filiale nébuleuse Néolog qui oeuvre au démantèlement de la mission de La Poste dans les aéroports. Ce ne sera donc plus La Poste qui acheminera le courrier. Il y a deux ans déjà que la flotte d'avions propriété de La Poste Air-France a été vendue à prix sacrifié à un groupe irlandais avec, comme actionnaire principal, un groupe belge.
Alors, résumons, monsieur le ministre.
J'évoquais, au début de mon propos, l'Acte unique de 1986 et le développement du grand marché capitaliste intérieur. Tel a été l'acte – le terme est bien celui qui convient – qui a scellé la volonté de disparition des services publics. En définitive, il s'agissait de céder toutes les activités humaines à la prédation de la rentabilité.
Cela a été, en 1992, le traité de Maastricht puis le Livre vert de la Commission européenne sur les services d'intérêt général.
Je ne reviens pas sur le sort réservé au secteur des télécommunications.
En ce qui concerne La Poste, s'en est suivi, en décembre 1997, une première directive adoptée en codécision par le Conseil et le Parlement européen, validée par les gouvernements et les élus de l'Union, ouvrant à la concurrence, à partir du 1er janvier 1999, les envois dont le poids égale ou dépasse 350 grammes.
En juin 2002, une seconde directive est intervenue. Elle a étendu la disposition aux envois de 100 grammes et plus, applicable au 1er janvier 2003, puis ceux de 50 grammes et plus, applicable au 1er janvier 2006. La même directive prévoyait que la libéralisation serait totale en 2009. Cette date a été repoussée du fait des réticences et une troisième directive est intervenue fixant la libéralisation au 1er janvier 2011.
Monsieur le ministre, votre projet de loi intervenant dans ce contexte-là, vous êtes dans la logique de liquidation du service public postal. Vous nous emballez ou vous tentez de nous emballer le cadeau pour qu'il soit présentable, mais l'histoire que je viens de rappeler du démantèlement des PTT fait voler en éclats votre opération de dissimulation.
Aujourd'hui, avec votre projet, nous sommes au stade de 1996 pour France Télécom quand elle est devenue société anonyme. C'est le tour de La Poste et vos tentatives de camouflage n'y changeront rien.
N'oubliez pas que, le 29 mai 2005, 55 % des Français ont repoussé la concurrence libre et non faussée du projet de Constitution européenne. Nous savons que les choix du peuple français vous importent peu puisque le Gouvernement n'a pas voulu que les Français soient consultés sur la nouvelle mouture de cette Constitution ni que le traité de Lisbonne fasse l'objet d'un vote des électeurs.
Toutefois il y a des limites à ce déni de démocratie. La votation citoyenne sur votre projet a rassemblé plus de deux millions de nos concitoyens. Mais vous vous en moquez avec mépris. Pourtant, deux millions de personnes sont-elles quantité négligeable, quand on a à y opposer une représentation nationale aux ordres en lieu et place du peuple sur le traité de Lisbonne ?
Regardons donc, monsieur le ministre, où en sont les pays qui sont allés dans la voie de la libéralisation et de la privatisation. Mon collègue, Daniel Paul, en a détaillé les modalités et les conséquences : suppression des bureaux de poste, liquidation de milliers d'emplois de postiers fonctionnaires, hausse des tarifs pour les usagers, sabotage du service public et règles de la rentabilité capitaliste.
Ces bilans ne donnent pas envie de se lancer dans cette aventure où les usagers n'ont rien à gagner et les salariés de La Poste fonctionnaires tout à perdre.
Pour les premiers, on peut prévoir, à court ou à moyen terme, la poursuite de la fermeture de bureaux de poste, la mise en cause de la suppression de la distribution du courrier, notamment dans les zones rurales, la fin du tarif unique, la distribution cinq jours par semaine du courrier au lieu de six.
Quant aux salariés de La Poste, ils sont déjà victimes des suppressions d'emplois – plus de 30 000 dans l'Union européenne, 10 000 par an en France –, du travail à temps partiel et des nouvelles formes d'externalisation et de précarité.
Les faits sont têtus. Alors que la crise financière marque l'échec du capitalisme de la dictature financière, il est suicidaire de continuer dans une voie qui conduit droit dans le mur. Livrer les services publics aux appétits du marché, c'est programmer leur destruction.
La Poste publique a fait ses preuves. Que l'on songe à l'extraordinaire proximité des facteurs et des usagers, de nos bureaux de poste et des populations, des services rendus extraordinaires, de l'apport à l'aménagement du territoire et à la vie locale. Elle peut parfaitement continuer à accomplir cette mission. Elle doit pour cela échapper à tout prix aux critères marchands. Il appartiendrait à l'État de lui en donner les moyens, mais vous avez choisi la voie inverse. Nous aurons l'occasion d'y revenir dans la suite de la discussion. Pour l'heure, il serait urgent d'arrêter les dégâts. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
Monsieur le ministre, la superbe entreprise qu'est La Poste vaut mieux que la parodie de débat qui semble devoir marquer nos travaux.
Depuis trente ans, elle a réalisé des efforts considérables pour adapter ses prestations aux demandes nouvelles, changeantes de son public. Depuis une dizaine d'années, elle a modifié profondément les conditions d'organisation et de gestion de son réseau pour créer les agences postales communales et les relais commerciaux dont je reparlerai tout à l'heure. Plus récemment, elle a modifié le statut de sa Banque postale et ses modes de fonctionnement. Cette banque, qui est par nature la banque la plus populaire aux yeux des Français a prouvé, au cours de la récente crise financière, la sagesse de sa gestion et la solidité de ses structures.
Pourtant, La Poste reste, aujourd'hui encore, une entreprise fragile. Elle est fragilisée par le recul de son activité la plus traditionnelle, le courrier, mais aussi par le développement de la concurrence, comme celle apportée par les nouvelles technologie, notamment internet, par l'importance de son endettement – près de 6 milliards d'euros – enfin et surtout par la disproportion entre l'importance des investissements qu'il faudra consentir et l'étroitesse de ses fonds propres.
C'est dans ces conditions que la commission Ailleret a été amenée à déposer des propositions. Les conclusions tirées par le Gouvernement à l'époque sont claires : l'entreprise a besoin de capitaux nouveaux ; ces capitaux doivent être publics ; enfin il n'est pas question, en conséquence, de remettre en cause le statut d'entreprise publique de La Poste.
Encore faut-il que l'entreprise postale puisse recevoir les dotations qui lui sont apportées.
Je ne reviendrai pas sur la démonstration que j'ai faite tout à l'heure. Sachons simplement que la modification du statut de La Poste pour en faire une société anonyme est une condition pour que les apports de capitaux, à hauteur de 2, 7 milliards, puissent être faits. L'enjeu de la réforme est là ; ce n'est en aucun cas la privatisation de l'entreprise. La gauche le sait, mais chaque fois qu'il s'agit de réformer, elle a le même réflexe qui consiste à vouloir effrayer les Français.
Permettez-moi d'établir un parallèle entre le débat d'aujourd'hui et celui qui nous a animés ici même il y a quelques années, lorsqu'il s'est agi de réorganiser le réseau postal. Que n'avait-on pas dit à l'époque dans les rangs de la gauche ! N'avait-on pas dénoncé le démantèlement du service public, le déménagement du territoire, la privatisation rampante ?
Quelques années plus tard, que constate-t-on concrètement ?
Sur les 17 000 points de contact, on constate qu'il existe 4 500 agences, 1 800 relais commerciaux, que ces différentes structures fonctionnent de manière tout à fait satisfaisante selon le public et que cette question qui avait suscité tant de passion est aujourd'hui totalement dépassionnée. Certes, dans cette réorganisation, chacun a trouvé son compte, d'abord les communes, bien sûr, puisque le service est maintenu, que les compensations financières sont versées, que la mutualisation des services postaux et des services rendus par les secrétariats de mairie, quand elle est faite, permet d'améliorer la qualité des services et de maîtriser les coûts.
Plus personne ne remet en cause la qualité du travail assuré par les fonctionnaires territoriaux au sein des agences communales et intercommunales.
Les commerces, lorsqu'ils fonctionnent en relais postaux, y ont trouvé leur compte puisque, dans bien des cas, la pointe de l'activité postale fut vitale pour eux.
Quant au public, il a pu profiter de l'élargissement des plages horaires, que la mutualisation des moyens a bien souvent rendu possible sans coût supplémentaire. Or, nous le savons tous, l'élargissement des plages horaires reste le meilleur moyen de fidéliser la clientèle.
Avec le recul, une question s'impose : était-il bien utile, était-il bien honnête de vouloir faire peur aux Français ?
Certes, il ne s'agit plus aujourd'hui de se pencher sur le statut du réseau, mais sur celui de l'entreprise elle-même. L'enjeu demeure cependant le même – moderniser l'entreprise – et l'attitude de la gauche n'a pas changé, qui consiste, non pas à défendre l'intérêt de l'entreprise publique, mais à diaboliser le Gouvernement, à faire peur aux Français, à brandir l'épouvantail de la privatisation et à réclamer le statu quo comme si l'immobilisme était une réponse satisfaisante aux besoins d'un monde qui change vite.
Mes chers collègues, dans quelques années, nous relirons les débats de ce soir et de demain : nous verrons alors qui avait raison. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Vous le savez, monsieur le ministre, La Poste est un service public emblématique de toute une culture, un élément constitutif de notre identité nationale, un instrument incomparable d'aménagement du territoire, dont le réseau irrigue jusqu'à la plus petite de nos communes.
C'est l'arme absolue contre l'isolement et l'enclavement. Le facteur est plus que jamais créateur de lien social. Chacun connaît le « privilège des facteurs » : c'est, nous dit Marcel Pagnol, de « connaître le nom de tout le monde bien que personne ne connaisse le leur ». Pour autant, il ne s'agit pas d'un service figé dans la routine. Le facteur de Jour de fête, déjà, lançait une véritable révolution en entreprenant de distribuer le courrier « à l'américaine ». Est-ce, monsieur le ministre, ce que vous nous proposez ? Non, il s'agit plutôt d'une révolution « à l'européenne ».
En effet, nous sommes ici ce soir parce que la troisième directive postale européenne de 1997 a imposé l'ouverture totale à la concurrence de l'intégralité du secteur postal. Le décalage chronologique est d'ailleurs révélateur des spécificités du processus communautaire marqué par des décisions lointaines aux effets différés et des responsabilités diluées, responsabilités diluées en effet lorsqu'on voit des parlementaires qui ont voté des deux mains à Strasbourg en faveur de la directive de 1997, refuser aujourd'hui d'assumer à Paris les conséquences de leur vote d'alors.
Tous pourtant, parmi les députés français au Parlement européen, n'ont pas voté la directive postale. Certains estimaient en effet – et c'était mon cas – que d'autres solutions pouvaient êtres envisagées en dehors de la communautarisation intégrale du secteur postal. L'application rigide de la logique du marché unique à La Poste conduit en effet à une uniformisation de cultures qui ne sont pas les mêmes.
La culture du service public qui est la nôtre n'est pas partagée par l'immense majorité de nos partenaires. La notion européenne de service universel diffère très sensiblement de la tradition française du service public.
Mais c'est une autre voie, celle de la libéralisation totale, celle du basculement intégral dans le secteur concurrentiel qui a été adoptée par les institutions européennes.
Certes, vous l'avez dit, monsieur le ministre, la directive postale européenne n'exige pas stricto sensu le changement de statut de La Poste, mais du fait de la combinaison des exigences spécifiques lourdes contenues dans la directive avec les règles européennes de la concurrence et celles des aides d'État, l'arsenal législatif communautaire enserre étroitement dans ses filets la marge de manoeuvre résiduelle du législateur national. Le corset est particulièrement serré. Je rappelle que la directive postale pose notamment le principe d'une détermination nécessaire des tarifs en fonction des coûts, et exige que la prestation du service universel soit financée d'une manière compatible avec le droit communautaire. Ce n'est pas rien.
Vous voici donc placé, monsieur le ministre, dans un véritable étau. Vous devez concilier deux exigences dont la complémentarité ne va pas de soi : permettre à La Poste d'affronter la concurrence totale imposée par la directive tout en maintenant sa mission de service public.
Pour renforcer La Poste, pour la désendetter et la moderniser, compenser les pertes de recettes résultant de la suppression des monopoles, vous devez procéder à un apport en capital de l'État, mais si vous le faites dans le cadre du statut actuel d'établissement public, vous tombez sous le coup d'une accusation de distorsion de concurrence. Et si vous procédez, comme vous le souhaitez, à un apport en capital massif, de l'ordre de 2,7 milliards d'euros, vous tombez en plus sous le coup des aides d'État prohibées.
Vous n'avez donc pas le choix et vous faites au mieux avec les contraintes qui vous sont imposées, en proposant un changement de statut. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si, dans la foulée de la directive européenne, l'ensemble de nos partenaires ont eux-mêmes fait évoluer le statut de leur opérateur postal et l'ont placé dans la meilleure position possible pour prendre le maximum de parts d'un marché désormais unique. La Poste française n'a donc pas d'alternative : dans le cadre qui lui est imposé, elle doit s'armer pour faire face aux concurrents qui vont investir, et qui ont déjà commencé à le faire, ses secteurs de compétence traditionnelle.
S'agissant du volet modernisation, vous prévoyez de doter La Poste de moyens substantiels. Ces moyens devront être utilisés sur l'ensemble du réseau, l'ensemble du territoire et pas seulement dans les agglomérations ou les métropoles. Vous avez sanctuarisé les 17 000 points de contacts existants. C'est une excellente décision mais nombre de ces points, notamment en zone rurale, doivent être impérativement modernisés. On ne doit plus y voir des files d'attente interminables, ni des horaires aléatoires et peau de chagrin.
Il faut élargir les heures d'ouverture, les stabiliser et les adapter aux horaires de travail des usagers.
Vous avez l'ambition de faire de La Poste un grand opérateur en matière de communications électroniques, tout en préservant son coeur de métier: le courrier papier. Vous souhaitez donner à La Poste les moyens de devenir un grand opérateur dans le domaine logistique sur le marché du colis à l'échelle de l'ensemble de l'Europe. Vous voulez favoriser le développement de la Banque postale tout en garantissant l'accessibilité bancaire. Ces orientations sont en effet indispensables si nous voulons éviter que le marché français lui-même ne tombe dans l'escarcelle de la Deutsche Post World Net, qui a déjà racheté DHL et Expel ou de la TNT Post néerlandaise, qui multiplie ses points de contact à travers l'Europe.
En ce qui concerne la sauvegarde du service public, vous avez accepté d'inscrire dans le projet de loi le maximum de garanties qui pouvaient l'être. Ainsi le capital de La Poste devra être intégralement détenu par l'État et par des personnes morales de droit public, à la seule exception des salariés de l'entreprise ; la définition de La Poste comme service public à caractère national est inscrit dans la loi ; les quatre missions de service public y sont également spécifiées de manière très précise : la mission de distribution du courrier sur l'ensemble du territoire six jours sur sept, la mission d'aménagement du territoire avec les 17 000 points de contacts garantis par la loi, la mission d'accessibilité bancaire et enfin la mission de transport de la presse à des conditions favorables à sa diffusion.
La loi prévoit également, et c'est essentiel, que le financement du coût substantiel engendré par la mission d'aménagement du territoire est intégralement assuré, dans des conditions de transparence, par le fonds national de péréquation sur la base d'une évaluation annuelle.
Sur ces différents points, vous mettez à profit, monsieur le ministre, ce à quoi vous êtes contraint, le changement de statut de La Poste, pour réaffirmer et non pour réduire ces obligations de service public.
Aucune garantie n'est bien entendu absolue et ce qu'un législateur a fait, un autre peut le défaire. Toutefois, dans les conditions imposées par la réglementation européenne, on peut considérer que le projet de loi prévoit la protection la plus complète possible de la mission de service public de La Poste. Ce rééquilibrage était absolument indispensable pour éviter de laisser se créer, si le secteur avait été totalement abandonné au seul jeu de la concurrence, les conditions d'une concurrence déloyale, privilégiant les niches rentables au détriment des activités qui le sont moins.
Je veux saluer, monsieur le ministre, vos efforts pour préserver, malgré les contraintes qui vous sont imposées par le cadre européen, la voie française du service public qui passe par la combinaison d'une modernisation audacieuse et d'une forte exigence pour le service public postal. J'ai toute confiance dans votre détermination personnelle à tenir ce double engagement. Il nous appartiendra d'être tous, dans la durée, les gardiens vigilants de cet équilibre. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Aujourd'hui, à la veille des fêtes de Noël, nous allons discuter d'un texte qui va privatiser La Poste, l'un des services publics préférés des Français. Vous êtes habitué des mauvais coups en cette période de l'année, monsieur le ministre, puisque, au même moment, en 2008, nous étions là pour le travail du dimanche ; mais nous avons attendu désespérément de pouvoir continuer.
Les services publics emploient environ 30 % des salariés et représentent 30 % de l'activité économique. Leur avenir est une question cruciale. Les Français les ont placés au coeur de la nation. Par leur accessibilité à tous et sur tout le territoire, ils représentent l'égalité et la solidarité. Leur disparition d'un centre bourg signe l'arrêt de mort de la commune. Souvent, La Poste est, avec la mairie, le dernier service qui accueille les habitants, alors que l'État donne le mauvais exemple en fermant les écoles, parfois le tribunal, l'hôpital, en déménageant la gendarmerie ou le trésor public.
Face aux regroupements et rationalisations, les élus locaux et les habitants assistent, impuissants, à la désertification des zones les moins denses mais pas les moins vastes du territoire.
Si nous étudions votre projet de loi intitulé « Entreprise publique La Poste et activités postales » à cette heure et cette date, c'est que le projet est difficile à faire passer. Vos hésitations sur la date du débat sont significatives des larges oppositions que ce texte soulève dans la population, chez les élus locaux, les organisations syndicales. Nous devions en discuter avant les élections européennes, mais vous avez finalement décidé de choisir la veille de Noël.
Vous profitez ensuite de cette directive pour imposer votre réforme, même si celle-ci va au delà des demandes européennes.
Un examen précis des dispositions communautaires spécifiques au secteur postal montre en effet que, à la différence des autres secteurs – énergie ou télécommunications –, les textes communautaires comportent une définition assez ambitieuse et exigeante du « service postal universel ». Il s'agit, dans l'ensemble de l'Union Européenne, d'assurer au moins cinq jours par semaine la levée, le tri, la distribution du courrier, de définir des normes de qualité de service – accessibilité, horaires d'ouverture, temps d'attente –, d'avoir des plans ambitieux de présence postale, de garantir les exigences essentielles en termes de conditions de travail, de convention collective pour les personnels.
La directive de 2008, qui vise à l'« achèvement du marché intérieur postal » en procédant à la libéralisation totale du courrier en 2011, confie à chaque État membre la mission d'adopter les mesures nécessaires à la garantie de ce service universel, leur reconnaissant ainsi un large pouvoir d'adaptation. C'est pourquoi il faut assumer votre réforme, monsieur le ministre, et ne pas en rejeter les choix que vous faites sur l'Europe.
L'article 1er de la loi qui change le statut de La Poste est le plus important. Trois raisons sont avancées pour justifier ce changement : respecter les règles européennes et donner à La Poste les moyens d'affronter la libéralisation du marché du courrier ; lever 2 à 3 milliards d'euros pour financer sa croissance sans solliciter les finances publiques ; disposer des moyens pour que La Poste devienne un « grand groupe européen ».
Tout d'abord ni les directives ni les normes communautaires ne comportent d'obligations juridiques concernant le statut des opérateurs. La Poste n'a nullement l'obligation de renoncer à son statut d'établissement public. La transformation en société anonyme est sans doute le point qui inquiète le plus, à juste titre – les Français n'ont pas oublié l'exemple de Gaz de France.
En 2004, en effet, le Gouvernement et le Parlement s'étaient engagés à ce que la part de l'État ne descende pas en dessous de 70 %. Le ministre de l'économie de l'époque l'avait assuré mais la promesse a été oubliée par le Président de la République qui a encouragé la fusion avec Suez. Nous sommes passés de la libéralisation à la privatisation. Dans les deux cas, c'est Nicolas Sarkozy qui pilotait.
Le statut de société anonyme pour La Poste, quels que soient vos dénis, laissera toujours le champ libre à un changement d'actionnariat.
Le changement de statut serait lié au besoin de lever des fonds. Toutefois, actuellement, La Poste autofinance ses investissements et sa modernisation. Les utilisateurs des services postaux financent même le budget de l'État à hauteur de 600 millions d'euros par an.
Enfin, le statut de société anonyme serait indispensable pour permettre à La Poste de devenir un « grand opérateur européen », capable de procéder à des acquisitions chez nos voisins européens pour assurer les services les plus rentables. La Poste, service public ici, serait un groupe privé à l'extérieur.
Dans le transport public, dans les services de l'eau, on a vu à l'oeuvre les grands groupes français jusqu'en Argentine, et ce n'était pas très glorieux. Est-ce la vocation de La Poste d'aller sur les traces de Veolia ou de Suez ? Peut-être, monsieur le ministre, avez-vous trouvé un nouveau patron pour La Poste en la personne de celui d'EDF et de Veolia qui pourrait, au vu du salaire qu'il s'est autorisé à demander, diriger les trois groupes en même temps.
Deux millions d'euros de salaire peuvent permettre de diriger quelques entreprises !
Pour éviter toutes ces dérives, il serait préférable de ne pas changer le statut de La Poste, de préciser ses missions de service public ambitieux, de financer le service public postal universel et aussi d'exiger de nouveaux entrants éventuels soit qu'ils respectent l'ensemble des obligations de service public, soit qu'ils versent une redevance à un fonds de compensation. C'est le choix de la Finlande depuis dix ans et la poste publique y a gardé 95 % des services !
Les services postaux sont au coeur des missions d'intérêt général, de service public et de service universel reconnues par les traités et directives communautaires, dont l'objectif est de garantir le droit d'accès de chaque habitant à des services de communication de qualité en tout point du territoire européen ; d'organiser la cohésion économique, sociale et territoriale de l'Union européenne ; d'assurer le lien social ; et de développer les conditions d'un développement durable. Or votre texte ne s'oriente pas dans cette direction.
Pourtant, partout en France, ces mots, ces valeurs, ces missions prennent tout leur sens à travers l'action quotidienne des agents du service postal.
Je vais vous emmener quelques minutes dans la circonscription dont je suis élue pour vous montrer La Poste de tous les jours mais aussi les premières attaques, ces derniers mois, contre La Poste que nous aimons.
Ma permanence parlementaire se situe au coeur d'un quartier populaire. Le bureau de poste des Trois-Cités à Poitiers – le mien à titre personnel et celui de mes collaborateurs à titre professionnel –, se trouve entre l'école et la mairie annexe dans une zone d'éducation prioritaire ; le revenu moyen des habitants est l'un des plus bas de l'agglomération.
Vous imaginez, dans ce contexte, le sens que prend le mot « service ». On vient à la poste des Trois-Cités avec une facture et quelques euros ou un chèque. Grâce à l'amabilité des agents, on peut remplir ses papiers, signer au bon endroit, relire un document administratif, poster son courrier à la bonne adresse.
On vient à la poste des Trois-Cités parce que La Banque postale est et doit rester la banque des plus démunis. Devant moi, au guichet, je vois le montant des retraits et des dépôts : 10 euros, 5 euros, 2 euros parfois ! Souvent, les usagers de ce bureau ne repartent qu'avec un relevé de compte pour réorganiser leur fin de mois en fonction des prélèvements déjà effectués. Bref, « La Poste, on a tous à y gagner », selon un ancien slogan.
Aujourd'hui, si La Poste devient un service marchand où l'on vend davantage de recettes de cuisine, fussent-elles de terroir, de stylos parfumés et de boîtes à musique, que de courrier, de timbres, de conseils, de soutien, qu'on ne reçoit de sourires qui, eux, sont gratuits ; si La Banque postale devient une banque comme les autres, avec les mêmes tarifs, la même distance du conseiller, la même politique, alors nous n'allons pas tous y gagner.
Éloignons-nous maintenant de la ville.
J'ai fait le point, ces jours-ci, avec les bureaux de poste de la circonscription. Sur 37 communes en dehors de Poitiers, 21 seulement ont un bureau de poste, 5 une agence postale communale et 5 un point poste. Sur les 21 bureaux, 13 – j'insiste sur la très forte diminution des services au cours de ces derniers mois – se sont vu annoncer, ces derniers jours, une réduction des heures d'ouverture et non des moindres.
À Latillé, on va ainsi passer de 33 heures par semaine à 20 heures en février. Aux Roches-Prémarie-Andillé, on passera de 31 heures hebdomadaires à 18 heures en février 2010. Exemples parmi d'autres : les horaires seront également réduits à La Villedieu-du-Clain, à Nieul-L'Espoir, Nouaillé-Maupertuis, Smarves, Ligugé, Iteuil, Latillé, Lavausseau, Quinçay, Mignaloux-Beauvoir, Saint-Benoît.
À Iteuil, le bureau est mitoyen de la crèche dont les horaires se sont adaptés à ceux des parents qui travaillent majoritairement à Poitiers. Elle accueille ainsi les enfants dès sept heures quinze, un quart d'heure plus tôt qu'en début d'année. Le bureau de poste, lui, n'ouvrira qu'à neuf heures. Comment aller chercher un recommandé ou un paquet ?
La direction du groupe explique ces réductions horaires par une activité trop faible, mais le manque d'amplitude des horaires et, surtout, leur inadaptation aux nouveaux rythmes de vie des habitants, aboutit à une diminution de la fréquentation du bureau de poste. C'est ainsi qu'on affaiblit le service public pour ensuite expliquer qu'il ne fonctionne pas ou qu'il coûte trop cher.
Autre exemple de réduction horaire : la fermeture du bureau de poste de Béruges pendant tout le mois d'août. Pourtant, la loi de juillet 1990 portant sur l'organisation du service est exigeante sur le respect du principe de continuité.
« Pas de problème, La Poste est là ! », disait un autre slogan. Force est néanmoins de constater que La Poste est de moins en moins là. Sans doute, dans plusieurs communes que j'ai citées, n'est-il n'est pas rentable de maintenir ces plages horaires. Néanmoins avant de décider que le service n'est plus utile, il faudrait s'interroger sur le fait de savoir s'il est adapté.
La commune de Montreuil-Bonnin vient d'aménager l'agence postale communale. Deux agents communaux s'y relaient, y compris le samedi matin et, dans cette petite commune, la fréquentation a été multipliée par trois.
Le problème des horaires est aussi celui de l'information. Dans le meilleur des cas, les mairies sont prévenues d'une réduction horaire par courrier quelques jours avant son application. Pour d'autres communes, c'est le courrier de syndicalistes de SUD-PTT qui a donné la nouvelle. Quelquefois, c'est en se heurtant à une porte close que les usagers découvrent la nouvelle organisation. Cela m'est arrivé la semaine dernière à Poitiers. Une demi-heure avait été supprimée avant midi, et il n'y avait même pas eu une affiche pour l'annoncer.
Or l'information n'est pas la concertation. Organiser la vie d'une commune suppose un minimum d'efforts et de travail de partenariat entre tous les acteurs publics ou privés. L'école, l'épicerie, la mairie, la bibliothèque, la garderie des enfants s'organisent pour répondre aux besoins des habitants. Comment La Poste peut-elle encore décider seule de ses horaires quand c'est l'affaire de tous ?
Encore un point sur La Poste périurbaine ou rurale : il y a quelques jours, nous avons voté, dans cet hémicycle, un texte de loi sur la fracture numérique pour montrer le retard pris dans la couverture de nos territoires. J'ai pris connaissance de l'amendement intéressant de nos collègues sénateurs proposant l'accès à l'internet à haut débit dans l'enceinte du bureau de poste. Cependant je m'interroge : à Vernon, à Marnay, à Chalandray, pour ne citer que ces communes, il n'y a qu'un faible débit qui, une fois partagé entre plusieurs ordinateurs, ne permettra pas une connexion satisfaisante. Que faire ?
Enfin, La Poste, ce sont les postiers, des hommes et des femmes au contact des habitants, des agents qui aiment leur métier, mais pour combien de temps ? Vous avez lu les résultats du questionnaire concernant France Télécom, paru ce matin : de 96 % il y a quelques années, ils ne sont plus que 39 % à se déclarer fiers de leur entreprise. Voilà ce qui menace La Poste !
Christelle, la factrice de la permanence, est notre rayon de soleil du matin. Elle habite le quartier où elle fait sa tournée. Elle connaît plein de monde, a un petit mot pour chacun. Ainsi, nos facteurs sont indispensables pour les personnes isolées. Les aînés les apprécient particulièrement. Canicule ou pas, le passage quotidien du facteur est attendu. Lorsqu'elle trouve porte close, Christelle sait qu'elle peut laisser le courrier derrière le volet ou chez le voisin. Vous imaginez une société privée et ses objectifs de performance à la place de Christelle ? Les avis de passage rendront plus pénible la vie des Français dont les horaires ne leur permettront pas d'aller retirer leur paquet en pleine journée.
Voyez, monsieur le ministre : La Poste d'aujourd'hui, c'est une histoire d'amour avec les Français, mais c'est déjà le constat amer d'un service amoindri.
« La confiance donne de l'avance », tel est le dernier slogan du groupe. Et si, avoir de l'avance, c'était réfléchir au modèle de société que nous voulons pour demain ? Avoir de l'avance, ce pourrait être affirmer les missions de service public de La Poste, contraindre les opérateurs concurrents à une même qualité de service. Avoir de l'avance pourrait consister à renforcer un formidable outil d'aménagement du territoire, de lien social et de solidarité. Avoir de l'avance, pourrait être renoncer à ce texte, prendre le temps d'en écrire un autre qui fixe les perspectives et les missions d'intérêt général de la Poste face aux nouveaux enjeux auxquels elle est confrontée.
Alors, oui, nous aurions confiance. Alors, les milliers d'agents postaux pourraient être fiers de leur travail et avoir confiance en leur avenir, et les élus locaux retrouveraient confiance en leur partenaire historique. Alors, les Français pourraient faire confiance à un service public moderne et efficace et à l'impôt qui le finance.
Mais l'heure n'est pas à la confiance. Vous jouez une nouvelle fois la défiance. Un an après le texte sur le travail le dimanche, les Français sont mobilisés pour défendre La Poste. Nous sommes à leurs côtés ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Prochaine séance, mercredi 16 décembre à quinze heures :
Déclaration du Gouvernement sur la situation en Afghanistan et débat sur cette déclaration ;
Suite de la discussion du projet de loi relatif à l'entreprise publique La Poste et aux activités postales.
La séance est levée.
(La séance est levée, le mercredi 16 décembre 2009, à zéro heure cinquante-cinq.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,
Claude Azéma