Aujourd'hui, à la veille des fêtes de Noël, nous allons discuter d'un texte qui va privatiser La Poste, l'un des services publics préférés des Français. Vous êtes habitué des mauvais coups en cette période de l'année, monsieur le ministre, puisque, au même moment, en 2008, nous étions là pour le travail du dimanche ; mais nous avons attendu désespérément de pouvoir continuer.
Les services publics emploient environ 30 % des salariés et représentent 30 % de l'activité économique. Leur avenir est une question cruciale. Les Français les ont placés au coeur de la nation. Par leur accessibilité à tous et sur tout le territoire, ils représentent l'égalité et la solidarité. Leur disparition d'un centre bourg signe l'arrêt de mort de la commune. Souvent, La Poste est, avec la mairie, le dernier service qui accueille les habitants, alors que l'État donne le mauvais exemple en fermant les écoles, parfois le tribunal, l'hôpital, en déménageant la gendarmerie ou le trésor public.
Face aux regroupements et rationalisations, les élus locaux et les habitants assistent, impuissants, à la désertification des zones les moins denses mais pas les moins vastes du territoire.
Si nous étudions votre projet de loi intitulé « Entreprise publique La Poste et activités postales » à cette heure et cette date, c'est que le projet est difficile à faire passer. Vos hésitations sur la date du débat sont significatives des larges oppositions que ce texte soulève dans la population, chez les élus locaux, les organisations syndicales. Nous devions en discuter avant les élections européennes, mais vous avez finalement décidé de choisir la veille de Noël.
Vous profitez ensuite de cette directive pour imposer votre réforme, même si celle-ci va au delà des demandes européennes.
Un examen précis des dispositions communautaires spécifiques au secteur postal montre en effet que, à la différence des autres secteurs – énergie ou télécommunications –, les textes communautaires comportent une définition assez ambitieuse et exigeante du « service postal universel ». Il s'agit, dans l'ensemble de l'Union Européenne, d'assurer au moins cinq jours par semaine la levée, le tri, la distribution du courrier, de définir des normes de qualité de service – accessibilité, horaires d'ouverture, temps d'attente –, d'avoir des plans ambitieux de présence postale, de garantir les exigences essentielles en termes de conditions de travail, de convention collective pour les personnels.
La directive de 2008, qui vise à l'« achèvement du marché intérieur postal » en procédant à la libéralisation totale du courrier en 2011, confie à chaque État membre la mission d'adopter les mesures nécessaires à la garantie de ce service universel, leur reconnaissant ainsi un large pouvoir d'adaptation. C'est pourquoi il faut assumer votre réforme, monsieur le ministre, et ne pas en rejeter les choix que vous faites sur l'Europe.
L'article 1er de la loi qui change le statut de La Poste est le plus important. Trois raisons sont avancées pour justifier ce changement : respecter les règles européennes et donner à La Poste les moyens d'affronter la libéralisation du marché du courrier ; lever 2 à 3 milliards d'euros pour financer sa croissance sans solliciter les finances publiques ; disposer des moyens pour que La Poste devienne un « grand groupe européen ».
Tout d'abord ni les directives ni les normes communautaires ne comportent d'obligations juridiques concernant le statut des opérateurs. La Poste n'a nullement l'obligation de renoncer à son statut d'établissement public. La transformation en société anonyme est sans doute le point qui inquiète le plus, à juste titre – les Français n'ont pas oublié l'exemple de Gaz de France.
En 2004, en effet, le Gouvernement et le Parlement s'étaient engagés à ce que la part de l'État ne descende pas en dessous de 70 %. Le ministre de l'économie de l'époque l'avait assuré mais la promesse a été oubliée par le Président de la République qui a encouragé la fusion avec Suez. Nous sommes passés de la libéralisation à la privatisation. Dans les deux cas, c'est Nicolas Sarkozy qui pilotait.
Le statut de société anonyme pour La Poste, quels que soient vos dénis, laissera toujours le champ libre à un changement d'actionnariat.
Le changement de statut serait lié au besoin de lever des fonds. Toutefois, actuellement, La Poste autofinance ses investissements et sa modernisation. Les utilisateurs des services postaux financent même le budget de l'État à hauteur de 600 millions d'euros par an.
Enfin, le statut de société anonyme serait indispensable pour permettre à La Poste de devenir un « grand opérateur européen », capable de procéder à des acquisitions chez nos voisins européens pour assurer les services les plus rentables. La Poste, service public ici, serait un groupe privé à l'extérieur.
Dans le transport public, dans les services de l'eau, on a vu à l'oeuvre les grands groupes français jusqu'en Argentine, et ce n'était pas très glorieux. Est-ce la vocation de La Poste d'aller sur les traces de Veolia ou de Suez ? Peut-être, monsieur le ministre, avez-vous trouvé un nouveau patron pour La Poste en la personne de celui d'EDF et de Veolia qui pourrait, au vu du salaire qu'il s'est autorisé à demander, diriger les trois groupes en même temps.