Cela se termine en général par une visite au maire de la ville, au cours de laquelle on explique à celui-ci que les comptes ont été réalisés et que le bureau de poste ne peut pas être maintenu, car il n'intéresse personne. Bien évidemment, pour garder les 17 000 points de contact, on proposera au maire de faire une agence postale, sachant que La Poste acquittera un forfait et que c'est la mairie qui paiera la différence. Cela dit, quand on voit toutes les responsabilités qui incombent aujourd'hui aux collectivités territoriales en l'absence de moyens financiers correspondants, nous ne sommes plus à cela près !
On a souvent loué le rôle d'agent de lien social joué par le facteur. On sait qu'aujourd'hui tout facteur a l'obligation de distribuer un nombre minimum de plis à la minute, à l'heure. Les calculs ont été excellemment faits par Henri Jibrayel. Les facteurs n'ont plus le temps de dire « bonjour » à l'abonné. Les agents vous le diront eux-mêmes : ils n'ont plus ni le temps ni le droit d'établir ce lien social qui était une des valeurs de La Poste.
J'en viens aux guichets. La Poste était la banque du pauvre, des gens modestes. C'est encore là que l'on gère les comptes des personnes ayant peu de moyens. Mais on ne parle plus aujourd'hui aux agents de La Poste que d'objectifs, de rentabilité, autant de mots que l'on retrouve dans tous les autres réseaux bancaires. Chacun sait bien qu'il est plus facile d'atteindre ces objectifs avec de gros comptes qu'avec de petits comptes, et les agents sont encouragés régulièrement à abandonner ces derniers pour essayer d'en capter de plus gros. C'est dans la logique, car cela permettra de satisfaire les impératifs de rentabilité.
La distribution de crédit est en train de devenir une activité extrêmement importante à La Poste. Une question va dès lors se poser. Si les agents sont obligés de distribuer du crédit à la consommation, on sait ce qu'il adviendra : la situation des gens en grande précarité deviendra plus difficile encore. Je ne reviendrai pas sur le crédit à la consommation dont nous débattrons dans quelques semaines, mais obliger les agents de La Poste à distribuer du crédit à la consommation, comme le font aujourd'hui beaucoup de réseaux bancaires, accentuera les difficultés que connaissent nombre de nos concitoyens.
Je terminerai par l'un des avantages que certaines personnes tireront de ce changement, sauf à ce que les choses se passent différemment des autres fois. Chaque fois que des services publics ont été privatisés, que ce soit France Télécom, EDF, GDF, ou les banques en 1986, le premier bénéficiaire a été le président-directeur général qui auparavant était payé comme un haut fonctionnaire et qui, dès le lendemain, était payé comme un patron du CAC 40. C'est une réalité que l'on a encore connue à EDF et à GDF très récemment, et que nous connaîtrons sans doute à nouveau. C'est sans doute cela qui pousse aujourd'hui les cadres de ces services à être des agents de la privatisation, en tout cas du passage en société anonyme : ils ne sont pas ennemis de leur intérêt personnel. J'ai malheureusement le sentiment que, pour beaucoup d'entre eux, l'intérêt personnel passe avant l'intérêt collectif.