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Intervention de André Gerin

Réunion du 15 décembre 2009 à 21h30
La poste et les activités postales — Reprise de la discussion

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAndré Gerin :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, je vous propose de vous parler sans détour : le débat que propose le Gouvernement est pipé.

Vous avez certifié à nos collègues sénateurs, monsieur le ministre, que La Poste serait « imprivatisable », vous fondant sur le préambule de la Constitution de 1946. Il me semble nécessaire de repasser le film du démantèlement de la grande entreprise qui regroupait La Poste et les télécommunications. Au terme d'un long processus, cette entité a fait l'objet d'un dépeçage qui a conduit à la scission d'abord, à la privatisation de France Telecom ensuite, jusqu'aux changements de La Poste, déjà en oeuvre depuis plusieurs années.

Est-il besoin d'évoquer l'enquête réalisée auprès des salariés de France Telecom, qui montre les effets dramatiques d'un management braqué sur la rentabilité à tout crin ? Voilà des années que les gouvernements successifs foulent au pied le préambule de 1946 dont vous vous réclamez aujourd'hui.

En 1879 fut créé le ministère des postes et télégraphes. Le dernier à l'occuper en tant que ministre sous cette dénomination spécifique fut François Fillon en 1995, ministre délégué chargé de la poste, des télécommunications et de l'espace. Joli clin d'oeil de l'histoire qui veut que ce même François Fillon soit, en tant que Premier ministre, l'un des responsables de la privatisation de ce service public.

Réexaminons le scénario qui passe par la promotion, à travers l'Europe, du capitalisme mondialisé.

En 1986, l'Acte unique européen crée un grand marché intérieur. La concurrence libre et non faussée devient la norme : les monopoles d'État et les services publics sont en première ligne. S'il est un secteur où les firmes capitalistes ont compris qu'il y avait du fric à faire, c'est bien sûr le secteur des télécommunications.

L'année 1992 est celle de la signature du traité de Maastricht et de la publication du Livre vert de la Commission européenne sur les services d'intérêt général. Comme le secteur des télécommunications est à l'évidence le plus juteux, le dépeçage commence par là.

Le 1er janvier 1988 voit la séparation des PTT en deux entités distinctes et la naissance de France Telecom.

En 1990, la loi Quilès transforme La Poste et France Telecom en exploitants de droit public, dotés de l'autonomie financière, d'une personnalité morale distincte de l'État. Dès lors, leur budget n'a plus jamais été voté par l'Assemblée nationale.

En juin 1996, France Telecom se transforme en société anonyme.

En septembre 1997, nous passons à l'ouverture du capital avec 21 % au privé.

En 1998, nous assistons à une deuxième ouverture : le capital est privé à 38 %. En 2004, à la faveur d'une troisième ouverture, 58 % est dévolu au privé. France Telecom devient de fait une entreprise privée. Enfin, en 2007, la participation publique est ramenée à 26 %.

Faut-il que je vous raconte la suite, monsieur le ministre ? France Telecom est devenue aujourd'hui une société capitaliste avec ses pires excès. Les personnels sont pressés comme des citrons, la précarité est généralisée, les usagers sont devenus de simples clients. Surtout, les uns et les autres sont victimes de la rapacité incontrôlable d'une multinationale sans foi ni loi.

Mais venons-en à La Poste, deuxième cible du ravage libéral dont vous êtes le porteur, monsieur le ministre.

La Poste fonctionne déjà sur le mode du privé. En 1985, Chronopost a été créé pour répondre, en principe, à la présence des distributeurs américains sur le marché français. La notion de service public est loin : Chronopost offre aujourd'hui des services à coût élevé, objet de multiples contestations quant à la qualité du service rendu. Dans cette filiale qu'est Geopost, devenue société anonyme, c'est la logique capitalistique qui prime.

En vingt ans, La Poste a créé 291 filiales, dont certaines ont déjà le statut de sociétés anonymes, a fait des acquisitions et s'est implantée à l'étranger.

Le groupe est divisé en quatre métiers : courrier, colis et express, services financiers, réseaux des bureaux de poste. La Banque postale est sans doute la plus avancée dans la voie du capitalisme avec ses filiales spécialisées dans les assurances et la gestion des actifs.

Sa naissance s'est faite en deux temps : d'abord en 2000 avec la création de la filiale Efiposte, qui a permis une gestion financière échappant au contrôle du Trésor : ensuite, le 1er janvier 2006, Efiposte est devenue la Banque postale, société anonyme dont le capital est, pour l'instant, détenu à 100 % par La Poste.

Elle est en partenariat avec de nombreux organismes privés, ses filiales sont regroupées dans un holding, mais les usagers en font chaque fois l'expérience : la Banque postale tend à devenir une banque comme une autre, démarchant prioritairement des produits financiers dont la logique est branchée sur le profit, la rentabilité et non plus sur l'intérêt général et la notion de service public.

S'agissant du courrier, c'est là que les filiales sont les plus nombreuses, regroupant quatre pôles composant la holding Sofipost. Je vous fais l'économie du détail de ce dispositif complexe.

L'expérience des particuliers et des entreprises est que le courrier est de moins en moins distribué à J + 1 et que la levée des boîtes aux lettres s'effectue de plus en plus tôt dans l'après-midi. À tout cela, il existe une raison : les coupes claires dans les personnels : de 2004 à 2008, nous sommes passés de 190 000 à 151 000 fonctionnaires, c'est-à-dire que l'on en a supprimé 38 600 environ en quatre ans. En revanche, le nombre des emplois contractuels à statut précaire est passé de 90 000 à 105 000. Les fonctionnaires représentaient à l'époque deux tiers des effectifs, contre près de la moitié aujourd'hui. Expliquez-nous, dans ce contexte, comment vous comptez pouvoir préserver la poste publique à 100 %, alors que le principe en est déjà foulé au pied.

Permettez-moi de vous citer un extrait du rapport présenté par François Ailleret qui a inspiré votre projet : « La Poste pourra solliciter ultérieurement d'autres investisseurs que l'État pour mener à bien ses projets et leur donner une activité comparable à d'autres postes. » Aujourd'hui, il faut savoir comment se réorganisent les services de La Poste, en particulier la distribution du courrier. Nous sommes déjà dans le syndrome de France Télécom. Faute de personnels suffisants, les facteurs se voient imposer des tournées à rallonge, des horaires insupportables, des pressions sur l'obligation de résultats à tout prix. À l'arrivée, c'est un service en baisse pour les usagers, des conditions de travail qui n'ont plus rien à voir avec le service public ni, bien évidemment, avec le statut de la fonction publique.

L'implantation de La Poste elle-même sur le territoire national est à la mesure du découpage humain qui est engagé. Un bureau de poste sur trois a déjà disparu. Sur 17 082 implantations, soit 35 %, 5 000 bureaux environ de plein exercice sont liquidés. Ils ont été transformés en poste-mairie qui seront à terme à la charge des collectivités, ou en poste-commerce, comme dans les bureaux de tabac, la maison de la presse ou l'épicerie du village. Vous organisez la désertification du monde rural. Que valent donc les envolées lyriques sur le développement durable ? Vous nous expliquez que le changement de statut s'explique par le besoin de fonds propres de La Poste pour intervenir dans une nouvelle logistique et vous évoquez l'exigence d'acquisition d'avions, de nouveaux centres de tri, d'acquisition de TGV. On dirait presque une publicité télévisée !

Je vis dans la région lyonnaise une expérience qui démontre l'exact contraire de vos déclarations d'intention. L'escale postale de l'aéroport Saint-Exupéry sera privatisée le 6 avril 2010, après celles de Marseille et de Montpellier. Cela s'effectue par le biais de la filiale nébuleuse Néolog qui oeuvre au démantèlement de la mission de La Poste dans les aéroports. Ce ne sera donc plus La Poste qui acheminera le courrier. Il y a deux ans déjà que la flotte d'avions propriété de La Poste Air-France a été vendue à prix sacrifié à un groupe irlandais avec, comme actionnaire principal, un groupe belge.

Alors, résumons, monsieur le ministre.

J'évoquais, au début de mon propos, l'Acte unique de 1986 et le développement du grand marché capitaliste intérieur. Tel a été l'acte – le terme est bien celui qui convient – qui a scellé la volonté de disparition des services publics. En définitive, il s'agissait de céder toutes les activités humaines à la prédation de la rentabilité.

Cela a été, en 1992, le traité de Maastricht puis le Livre vert de la Commission européenne sur les services d'intérêt général.

Je ne reviens pas sur le sort réservé au secteur des télécommunications.

En ce qui concerne La Poste, s'en est suivi, en décembre 1997, une première directive adoptée en codécision par le Conseil et le Parlement européen, validée par les gouvernements et les élus de l'Union, ouvrant à la concurrence, à partir du 1er janvier 1999, les envois dont le poids égale ou dépasse 350 grammes.

En juin 2002, une seconde directive est intervenue. Elle a étendu la disposition aux envois de 100 grammes et plus, applicable au 1er janvier 2003, puis ceux de 50 grammes et plus, applicable au 1er janvier 2006. La même directive prévoyait que la libéralisation serait totale en 2009. Cette date a été repoussée du fait des réticences et une troisième directive est intervenue fixant la libéralisation au 1er janvier 2011.

Monsieur le ministre, votre projet de loi intervenant dans ce contexte-là, vous êtes dans la logique de liquidation du service public postal. Vous nous emballez ou vous tentez de nous emballer le cadeau pour qu'il soit présentable, mais l'histoire que je viens de rappeler du démantèlement des PTT fait voler en éclats votre opération de dissimulation.

Aujourd'hui, avec votre projet, nous sommes au stade de 1996 pour France Télécom quand elle est devenue société anonyme. C'est le tour de La Poste et vos tentatives de camouflage n'y changeront rien.

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