La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à neuf heures trente.)
L'ordre du jour appelle la déclaration du Gouvernement sur les régimes spéciaux de retraite et le débat sur cette déclaration.
Monsieur le président, je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président parle de l'ouverture de la séance !
…et d'apaisement, et afin que le débat se déroule dans les meilleures conditions, je donne la parole à M. Jean-Claude Sandrier, pour un rappel au règlement.
Non, pas avant que le Gouvernement ne se soit exprimé. Je le fais donc à titre dérogatoire et exceptionnel.
Je vous remercie.
Mon rappel au règlement se fonde sur l'article 58, alinéa 1.
Voilà cinq jours seulement que les députés ont été avertis de la modification de l'ordre du jour relative aux régimes spéciaux de retraite. Quelle précipitation pour une discussion non suivie d'un vote, qui se soldera par la simple signature d'un décret ! Comment le Gouvernement peut-il agir ainsi à l'égard des élus du peuple, au moment même où, avec le Président de la République, il dit vouloir accorder plus de pouvoirs au Parlement ?
Cette précipitation et cet acharnement à stigmatiser, sous le faux prétexte d'égalité, quelques corporations gênantes pour mieux s'en prendre demain aux retraites de tous les Français ne nous surprend pas.
Si, car cela concerne le bon déroulement de la séance.
Vous n'avez qu'un but en divisant nos concitoyens : tout faire pour masquer le fait que la France a les moyens d'accomplir de nouvelles avancées sociales,…
…ce qui impose une redistribution des richesses. Mais cette justice, cette égalité, vous n'en voulez pas ! D'où ce simulacre de débat, dans la précipitation, sans vote – là est l'objet de mon rappel au règlement. Au nom du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, j'élève une très vive protestation contre une attitude qui frise le mépris envers la représentation nationale ! (Vifs Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
La parole est à M. le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, la question des retraites nous concerne tous. Les Français sont très attachés à leur système de retraite.
C'est pour en assurer la pérennité que nous devons, comme l'ensemble des pays qui nous entourent, le moderniser régulièrement.
Voilà pourquoi la réforme des retraites doit procéder par étapes : après 1993 et 2003, nous avons un rendez-vous en 2008, que nous avions annoncé en 2003. S'il y a différentes étapes, c'est qu'il n'existe pas en France une retraite, mais des retraites.
Les régimes spéciaux reflètent la construction de la couverture du risque vieillesse en France au cours des siècles.
Le plus ancien est le régime des marins, créé par Colbert en 1670.
Celui de l'Opéra de Paris date de 1698. Quant au régime de retraite de la SNCF, il est issu des différents régimes particuliers qui furent mis en place au XIXe siècle dans les compagnies de chemin de fer privées et unifiés au début du siècle dernier. C'est en 1909 qu'ont été définies les caractéristiques fondamentales du régime des cheminots, dont l'âge d'ouverture des droits à la retraite à cinquante ou à cinquante-cinq ans.
Le meilleur moyen de relever les défis de demain n'est certainement pas l'immobilisme, ni le statu quo.
Nous devons, au contraire, regarder avec lucidité vers l'avenir et faire preuve de responsabilité, c'est-à-dire faire évoluer les régimes spéciaux sans remettre en cause leur identité ni le statut des agents concernés.
Sur un tel sujet, le Gouvernement a donc fait le choix d'avancer sans idéologie aucune.
Il ne s'agit ni de stigmatiser quiconque, ni d'assurer la victoire des uns sur les autres. D'ailleurs, cela n'intéresse pas les Français, et pour être clair, cela ne m'intéresse pas non plus.
La seule chose qui intéresse le Gouvernement et le Président de la République,…
…c'est d'assurer la justice et la pérennité de notre système de retraite dans son ensemble.
Car les régimes spéciaux doivent faire face aux mêmes enjeux démographiques et financiers qui ont conduit à ajuster les paramètres des retraites des salariés du secteur privé, des indépendants, des agriculteurs ou, plus récemment, des fonctionnaires. Or ces ajustements, opérés par la loi du 22 juillet 1993 puis par celle du 21 août 2003, n'ont concerné aucun des régimes spéciaux. Cette situation accentue leur singularité et suscite bien des interrogations.
Avant le rendez-vous de 2008 sur les retraites, il nous faut donc veiller à mettre l'ensemble des Français sur un pied d'égalité.
Cela commence par la durée de cotisation. Notre régime de retraite par répartition doit faire face à un déséquilibre de son financement qui résulte à la fois du vieillissement et de l'allongement de l'espérance de vie. Cette évolution, qui est une très bonne nouvelle pour les Français, constitue aussi un formidable défi collectif à relever si nous voulons sauvegarder notre système par répartition. Et nous sommes déterminés à en assurer la pérennité. Pour cela, nous le savons tous, il n'existe que trois solutions : soit réduire les pensions de retraite, ce que refusent les Français ; soit augmenter les cotisations, ce qui pénaliserait le pouvoir d'achat ; soit, enfin allonger, la durée de cotisation.
C'est cette dernière solution que nous avons retenue, comme d'ailleurs l'ensemble des pays européens, car c'est la réponse la plus cohérente à l'allongement de l'espérance de vie : si nous vivons plus longtemps, nous devons aussi travailler plus longtemps pour garantir nos pensions.
S'agissant des régimes spéciaux, le déséquilibre financier est encore accentué par les évolutions démographiques qui leur sont propres : ils rassemblent aujourd'hui plus de 1 100 000 retraités pour environ 500 000 cotisants, ce qui nécessite cette année l'inscription de plus de 5 milliards d'euros de subventions d'équilibre au budget de l'État. Je précise que le principe de ces subventions est tout à fait justifié, comme est légitime la compensation démographique entre les différents régimes de retraite. C'est là tout simplement l'expression de la solidarité nationale, qu'il n'est pas question de remettre en cause.
Attention cependant : je ne veux faire croire à personne que la réforme des régimes spéciaux apportera immédiatement une solution globale à nos régimes de retraite dans leur ensemble. Les enjeux ne sont pas les mêmes.
Je vous remercie de votre franchise.
N'est-il donc pas tout aussi légitime que les salariés des régimes spéciaux travaillent davantage pour bénéficier d'une retraite à taux plein ? Je suis convaincu que la solidarité sera d'autant plus acceptée par nos concitoyens que les principales règles seront les mêmes pour tous.
Cette harmonisation de la durée de cotisation est un point essentiel et n'est une révélation pour personne, puisqu'il s'agit d'un engagement fort que le Président de la République a pris devant les Français, avec les Français, durant la campagne pour l'élection présidentielle. D'ailleurs, la nécessité de faire évoluer les règles des régimes spéciaux semble faire aujourd'hui l'objet d'un consensus large qui dépasse les clivages traditionnels, tant dans l'opinion que dans les différentes analyses effectuées à ce sujet.
Plusieurs rapports récents ont abouti à des conclusions concordantes. Ainsi, dans son rapport sur la sécurité sociale de septembre 2006, la Cour des comptes se livre à une analyse approfondie des régimes de trois entreprises publiques : la RATP, la SNCF et les industries électriques et gazières. Pour sa part, le Conseil d'orientation des retraites indique, dans son rapport de mars 2006, que « dans une perspective d'équité entre les cotisants, il est difficile de ne pas imaginer que la nouvelle étape de la hausse de la durée d'assurance prévue en 2008 ne s'accompagne pas de questions sur l'évolution des régimes spéciaux des entreprises publiques, dont la réglementation n'a jusqu'ici pas évolué ». C'est le COR qui le dit.
Dans un rapport de janvier 2007, il souligne également que, si l'approche concernant les régimes spéciaux ne peut être que différenciée compte tenu de leur diversité, des orientations générales répondant au principe d'équité peuvent être envisagées, au premier rang desquelles figurent l'allongement des durées d'assurance en fonction des gains d'espérance de vie, mais aussi les logiques d'indexation des pensions. Vous connaissez tous ici la qualité des travaux du COR ainsi que la richesse et la diversité de sa composition, qui inclut des parlementaires siégeant sur différents bancs. Vous savez aussi que ses travaux font autorité.
Par ailleurs, les chiffres publiés par le COR montrent que l'espérance de vie des agents bénéficiant des régimes spéciaux se situe au même niveau que celle de l'ensemble des Français, à l'exception des marins – pas seulement les marins-pêcheurs – et des mineurs, dont les régimes de retraite ne seront d'ailleurs pas réformés, en raison de la pénibilité indiscutable de leur métier et de leur espérance de vie plus faible que celle des autres salariés.
Aujourd'hui, il faut avoir une conception de la pénibilité plus large !
Je rappelle que les règles actuelles des régimes spéciaux remontent à 1946 pour les gaziers et les électriciens, à 1948 pour la RATP et à 1966 pour la SNCF, c'est-à-dire à une période où l'espérance de vie des salariés de ces régimes était très inférieure à ce qu'elle est aujourd'hui.
S'agissant du contenu de la réforme, nous l'avons dit très clairement, notre objectif est d'harmoniser les règles des régimes spéciaux avec celles de la fonction publique.
Pourquoi les règles de la fonction publique ?
Depuis la réforme de 2003, les principaux paramètres – durée de cotisation et mode d'indexation des pensions en premier lieu – sont communs au régime général et à la fonction publique et sont amenés à évoluer de manière identique à l'avenir. Mais, fondamentalement, le choix de faire converger les régimes spéciaux vers les règles de la fonction publique s'explique par les exigences de service public auxquelles est soumis l'ensemble des agents des entreprises concernées. Il n'est pas question de nier les contraintes particulières inhérentes à la mission de service public ni la pénibilité de certains métiers.
Comme l'a indiqué le Président de la République, tous les sujets, sans exception ni tabou, sont sur la table. Il s'agit en premier lieu de la durée de cotisation, que nous souhaitons harmoniser avec celle de la fonction publique, soit actuellement 40 années. Nous voulons aussi mettre en place un système de décote, mais aussi de surcote, pour inciter à la prolongation d'activité.
Nous voulons également indexer les pensions sur les prix, parce que sauvegarder notre régime de retraite, c'est aussi garantir le pouvoir d'achat des retraités et des futurs retraités.
Nous devons aussi mettre fin aux pratiques de certaines entreprises qui mettent automatiquement leurs salariés à la retraite dès qu'ils remplissent les conditions pour bénéficier d'une pension.
Il faut mettre fin à ces pratiques couperet, d'autant que nous préparons de nouvelles initiatives pour favoriser l'emploi des seniors.
Cela correspond à une attente très forte des syndicats. C'est ainsi que le Gouvernement vous proposera, dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, des mesures visant à empêcher les mises à la retraite d'office.
Il s'agit de donner un vrai choix aux agents qui souhaitent poursuivre leur activité. Je connais, par exemple, dans le Saint-Quentinois – Mme Pascale Gruny pourra en témoigner – un agent de conduite de la SNCF qui a quarante-huit ans et qui sera bientôt obligé de s'arrêter de travailler, alors qu'il préférerait continuer pour pouvoir payer les études de ses enfants qui vont entrer à l'université. Je pense vraiment que ces dates couperet doivent être revues dans l'intérêt des salariés. (« Bien sûr ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Interrogez les salariés de la SNCF et les syndicats de salariés, et vous verrez si ce n'est pas le sujet !
Voilà qui fera plaisir aux intéressés, monsieur Muzeau !
La concertation qui est aujourd'hui toujours en cours porte aussi sur les clauses qui empêchent les salariés de ces entreprises de bénéficier du régime spécial s'ils n'ont pas une ancienneté minimale dans l'entreprise, généralement fixée à 15 ans. Dans un contexte de mobilité des salariés, ces durées peuvent poser de vraies difficultés aux agents concernés.
Nous discutons également des bonifications, qui sont souvent très différentes d'un régime à l'autre, d'une entreprise à l'autre, voire d'un salarié à l'autre. En outre, la pénibilité des métiers a évolué et ce n'est pas forcément à travers le seul système de retraite qu'il faut en tenir compte. Il faut jouer sur d'autres paramètres, tels que la prévention, les conditions de travail, la rémunération, l'organisation du travail ou encore la gestion des parcours professionnels, notamment dans les deuxième et troisième parties de carrière. En toute hypothèse, les droits acquis, c'est à mes yeux quelque chose qui compte. Ils doivent être pris en compte.
D'autres points sont sur la table. Ainsi, lors de la réforme de 2003, un dispositif de retraite additionnelle a été mis en place pour les agents de la fonction publique. Ne convient-il pas de définir un mécanisme similaire dans les régimes spéciaux, ou d'introduire un dispositif d'épargne-retraite pour tenir compte d'une partie des primes, qui n'entrent pas aujourd'hui dans le calcul de la pension ?
Naturellement, les autres volets de la réforme de la fonction publique de 2003 ont vocation à être également discutés sans tabou, qu'il s'agisse du rachat des années d'études ou des avantages familiaux au regard du principe d'égalité entre les hommes et les femmes.
Enfin, parmi les sujets ouverts à la concertation, un des plus importants concerne le rythme de la convergence avec le régime de la fonction publique. J'ai entendu à ce sujet les interrogations des salariés des régimes spéciaux, qu'ils soient gaziers, électriciens, agents de la RATP, cheminots ou clercs de notaire. Je leur ai dit à tous, et je veux le répéter ici solennellement, que cette réforme ne se fera pas brutalement.
Ce ne sera pas une réforme-couperet. Une chose est claire : nous n'harmoniserons pas les durées de cotisation du jour au lendemain, pas plus que nous n'introduirons brutalement un mécanisme de décote qui bouleverserait, du jour au lendemain, les projets de vie des agents de ces entreprises. Nous ne l'avons pas fait pour les autres régimes. Avec les réformes précédentes, de 1993 et de 2003, les choses se sont faites progressivement. Pourquoi n'appliquerait-on pas la même progressivité pour les agents des services spéciaux ? Nous allons donc agir progressivement, car c'est aussi une question de respect et de considération pour les agents : nous ne pouvons pas raisonnablement dire à un gazier ou à un roulant qui est à deux mois de la retraite qu'il devra, du jour au lendemain, travailler 2,5 années de plus. Nous devons ce respect aux agents et, à travers eux, au service public qu'ils assurent et assument.
En ce qui concerne la méthode, nous avons fait le choix du pragmatisme et de la plus large concertation possible. Cette concertation concerne au premier chef les partenaires sociaux. Je le dis à l'ensemble des parlementaires présents, mais je le dis également à l'ensemble des agents des régimes spéciaux : cette réforme est nécessaire. Et la meilleure façon de la réussir, c'est de la mener avec eux. Je ne sais pas réformer sans concertation. Voilà pourquoi j'ai conduit depuis quinze jours, à la demande du Président de la République, une première concertation pour dresser un état des lieux du dossier.
J'ai reçu l'ensemble des organisations syndicales représentées dans les branches et entreprises concernées, et celles qui en ont fait la demande ainsi que les employeurs et les directions de ces entreprises : la SNCF, la RATP, les représentants de la branche des industries électriques et gazières, d'EDF et de GDF, l'Opéra de Paris, la Comédie-Française et le Conseil supérieur du notariat.
Toutes les organisations, sans exception, ont participé à cette concertation – ce qui est déjà important en soi. Chacun a pu constater que la réforme n'était pas bouclée, mais que nous jouions cartes sur table et qu'il existait de vrais espaces pour la concertation. Sur tous les points, j'ai demandé à l'ensemble des acteurs – fédérations comme entreprises – de me faire part de leurs propositions. Des réunions techniques approfondies continuent aujourd'hui encore à être organisées par mes collaborateurs avec tous ceux qui souhaitent construire et discuter avec nous des modalités pratiques de la réforme. D'autres organisations m'ont fait savoir qu'elles me transmettraient des propositions par écrit.
Mais ce sens de l'ouverture et du dialogue, je veux aussi l'exprimer vis-à-vis du Parlement. Si j'ai souhaité m'exprimer devant vous, après avoir reçu, avant-hier, au ministère, les représentants de l'ensemble des groupes et des commissions concernées, c'est pour rendre compte de notre action à la représentation nationale et montrer que, sur un sujet aussi important, le Gouvernement entendait avancer dans la transparence et le dialogue. C'est tout le sens du débat que nous allons avoir aujourd'hui.
Et si ce débat ne donne pas lieu à un vote, c'est tout simplement parce que les règles et les paramètres des régimes spéciaux ne relèvent pas du domaine de la loi. Il s'agit en effet de dispositions statutaires qui relèvent du domaine réglementaire, du domaine du décret. J'ai pu entendre certains commentaires sur ce passage par la voie réglementaire. Franchement, nul besoin de se lancer dans des polémiques en disant que prendre un décret, ce serait passer en force et refuser le dialogue. Je voudrais simplement rappeler que la loi n'est pas à elle seule la garantie de la concertation et que l'on a déjà vu des lois qui faisaient fi du dialogue (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine), des lois votées par la droite, des lois votées par la gauche – si vous voyez ce que je veux dire. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)
A contrario, l'on peut tout à fait avancer par la voie réglementaire, après avoir écouté les uns et les autres pour trouver les bonnes solutions.
Je pense à l'interdiction de fumer dans les lieux publics, qui s'est faite par décret. À cette occasion, il y a eu du dialogue, il y a eu de la concertation, et nous avons associé le Parlement.
Et c'est pour associer le Parlement qu'a lieu aujourd'hui ce débat, alors que les options ne sont pas encore arrêtées. Ce doit être un débat de fond.
Mesdames, messieurs les députés, j'attends à la fois que vous me fassiez connaître votre position sur ces sujets et que vous me fassiez part – aujourd'hui ou, si possible, demain ou après-demain – de vos éventuelles propositions.
Quelle est, à vos yeux, la bonne durée de convergence ? Quel est, à vos yeux, le bon rythme de montée en charge du système de décote ?
Faut-il mettre un terme aux mises à la retraite d'office ? Si oui, immédiatement ou progressivement ? Sur tous ces points, il est important, pour le Gouvernement, de connaître, je le répète, votre position et vos propositions.
Devant vous, je veux aussi annoncer le calendrier à venir : à la suite du débat que nous allons avoir aujourd'hui, j'engagerai dans le courant du mois d'octobre un second tour de discussions, avec les mêmes acteurs que j'évoquais tout à l'heure. À cette occasion, je leur présenterai un document d'orientation qui précisera, parmi les différents sujets mis sur la table, ce qui relève de la responsabilité gouvernementale – à savoir les principes généraux d'harmonisation – et ce qui relève de la négociation dans les entreprises.
Car l'objectif des concertations que je mène est de dégager les principes communs de l'harmonisation des régimes spéciaux avec le régime de la fonction publique. Ensuite, ces principes seront mis en oeuvre entreprise par entreprise, pour tenir compte des spécificités et de l'identité de chaque régime. Des négociations s'ouvriront alors sans délai sur un certain nombre de sujets au sein des branches et des entreprises concernées.
La réforme devra être prête pour la fin de l'année, ce qui nous laisse trois mois pour continuer cette concertation et ces négociations. Cela nous permettra aussi d'expliquer, le plus rapidement et le plus précisément possible, à chaque agent relevant des régimes spéciaux, les objectifs et le contenu de cette réforme, afin qu'il puisse en mesurer les enjeux et les conséquences pour lui-même.
Mesdames et messieurs les députés, voilà ce que je souhaitais vous dire, dans un premier temps, en ouvrant ce débat. J'ai entendu hier, au Sénat, nombre de remarques de forme. J'ai entendu tout à l'heure des remarques de forme. Je pense que les Français attendent de savoir quelle est la position des uns et des autres sur le fond de ce dossier, pour que chacun puisse faire face à ses responsabilités.
La réforme des régimes spéciaux est nécessaire. Voilà pourquoi nous devons la réussir. Nous avons même la possibilité de nous retrouver sur l'essentiel : sur l'idée de justice et sur la nécessité de garantir l'avenir des retraites des salariés concernés par ces régimes spéciaux. J'ai le sentiment que ce débat n'est ni de droite ni de gauche. J'ai le sentiment que, sur un débat comme celui-ci, il est essentiel de bien comprendre les positions et les propositions de chacun. J'ai surtout le sentiment que chacun peut porter un regard serein sur ce dossier, que le dialogue dans cet hémicycle peut être de même nature que le dialogue social : franc bien sûr – je n'en doute pas un seul instant –, mais forcément constructif. J'ai, enfin, le sentiment que, sur ce dossier, avec de la détermination et de la méthode, nous pouvons faire la preuve que la société française de 2007 est tout sauf une société bloquée. Et cela devrait réjouir les uns et les autres. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)
Nous allons maintenant entendre les premiers orateurs des groupes.
Au nom du groupe de l'Union pour un mouvement populaire, la parole est à M. Denis Jacquat.
Monsieur le président, monsieur le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité, monsieur le président des affaires culturelles, familiales et sociales, mes chers collègues, cela fait vingt ans que je suis la question de l'assurance vieillesse à l'Assemblée nationale et c'est la première fois que l'on débat en séance publique des régimes spéciaux de retraite dans leur globalité. Seule la situation de quelques régimes spéciaux a été examinée de temps à autre. Ce fut le cas du régime de Saint-Pierre-et-Miquelon en 1987 et du régime des industries électriques et gazières en 2004.
Certes, il n'appartient pas au Parlement de fixer les paramètres économiques et financiers d'un régime de sécurité sociale. Seuls l'existence, l'objet des prestations et le mode de gouvernance des régimes d'assurance vieillesse obligatoire relèvent de la loi en application de l'article 34 de la Constitution. Il est néanmoins fondé que le Parlement puisse être saisi au sujet des régimes spéciaux.
Ce débat permet de confirmer publiquement que le Gouvernement peut valablement modifier les paramètres économiques et financiers des régimes spéciaux par voie de décret. Certains régimes spéciaux sont même entièrement régis par un décret, comme c'est le cas du régime de retraite des artistes de l'Opéra de Paris, de la Comédie-Française ou des membres du Conseil économique et social. Dans ce dernier cas, seule l'existence de la caisse figure dans une loi, celle du 10 juillet 1987. C'est d'ailleurs grâce à ce statut entièrement réglementaire que le Gouvernement a pu réformer, après une large concertation, le régime de retraite des agents de la Banque de France par le décret du 27 février 2007, afin de rapprocher ses règles de celles du régime des fonctionnaires civils de l'État.
Je préciserai même que, si certaines règles et paramètres d'assurance de ces régimes spéciaux figurent dans des lois, il sera loisible au Gouvernement de délégaliser les dispositions en cause après avis du Conseil d'État pour les lois antérieures à la Ve République ou après avis du Conseil constitutionnel pour les lois votées sous la Ve République.
Les régimes spéciaux sont une spécificité française. En Allemagne, il n'existe qu'un seul régime spécial, celui des mineurs, qui a d'ailleurs vocation à disparaître avec la fermeture de la dernière mine en 2014.
La France a non seulement multiplié les régimes spéciaux, mais elle a également multiplié les régimes de base, aussi bien dans le secteur privé que dans le secteur public, alors que, à la Libération, les députés avaient été élus pour mettre en place la sécurité sociale généralisée !
Ainsi, pour mettre en place le droit à l'information des assurés sur leur retraite, il a fallu coordonner trente-six régimes d'assurance vieillesse – et encore tous les régimes spéciaux ne sont-ils pas englobés dans cette coordination.
Je ne suis pas un partisan de l'uniformité, mais on est en droit de s'interroger sur cette diversité, cet éparpillement lorsque des régimes couvrent quelques centaines d'assurés et qu'ils ont plus de retraités que d'actifs. Les régimes spéciaux sont inscrits dans l'histoire de France, comme vient de le rappeler M. le ministre.
Par la suite, la loi du 9 juin 1853 unifia le régime des fonctionnaires et mis en place le mode de fonctionnement par répartition. Sous l'impulsion de l'État, qui entendait développer l'activité économique et construire de grandes infrastructures, ce modèle fut décliné par de nombreuses entreprises et établissements sous la forme de caisses de retraites privées permettant d'attirer une main-d'oeuvre fidèle. Sont ainsi apparus la plupart des régimes spéciaux actuels : transport parisien, mines, chemins de fer, IEG. Le problème est que le régime des fonctionnaires a évolué, tandis que la plupart des régimes spéciaux ont figé leurs paramètres.
Je ne citerai qu'un seul exemple : la SNCF a, par exemple, conservé l'usage du départ en retraite prévu par la loi du 9 juin 1853, à cinquante et cinquante-cinq ans, ces âges ayant été définis à une époque où l'espérance de vie à la naissance était à peine supérieure à trente-neuf ans pour les hommes.
De même, la règle des 37,5 ans pour la durée d'assurance permettant d'obtenir une pension au taux maximal traduit le maintien dans la plupart des statuts des régimes spéciaux d'une disposition fixée par la loi du 20 septembre 1948 qui a réformé le régime des fonctionnaires. Plus ancien encore : certaines règles en matière de bonifications pour enfants, de retraite anticipée pour les mères de trois enfants, de majoration de pension et de réversion restent issues de la loi du 14 avril 1924 qui a défini ces mécanismes pour les fonctionnaires.
Le caractère figé des régimes spéciaux n'est plus acceptable aujourd'hui, au nom de l'équité.
Dans son troisième rapport, de mars 2006, le Conseil d'orientation des retraites a pointé la nécessité de faire évoluer la réglementation des régimes spéciaux, notamment pour accompagner le relèvement de la hausse de la durée d'assurance votée en 2003.
L'équité exige, en effet, que, lorsque l'on réforme la fonction publique et le secteur privé, les régimes spéciaux ne soient pas tenus à l'écart. Les efforts en matière de retraite doivent être également partagés entre tous les Français. Aujourd'hui, le gouvernement de François Fillon ne fait que mettre en oeuvre ce simple principe d'équité.
Certains disent que cette réforme est faite dans la précipitation.
Erreur ! S'ils sont surpris, les députés de la majorité et les Français, eux, ne le sont pas puisque le Président de la République avait clairement annoncé pendant la campagne électorale qu'il s'engageait à réformer les régimes spéciaux dans le sens d'un rapprochement de leurs règles par rapport au droit commun et que ces mesures devraient être discutées dès l'automne 2007. Nous voilà donc au rendez-vous de la parole donnée.
Nous ne sommes pas dans la précipitation : nous sommes à l'automne, comme c'était annoncé.
Cette réforme peut et doit se faire dans la concertation. J'ai toute confiance car François Fillon et Xavier Bertrand ont montré leur capacité à réformer par la négociation.
Les deux exemples récents de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris et de la Banque de France montrent d'ailleurs que c'est possible en matière de régimes spéciaux de retraite.
L'équité passe également par l'emploi raisonné des fonds publics : les Français ne peuvent continuer de financer des régimes non viables sans une subvention exorbitante. Le Conseil d'orientation a dressé les perspectives démographiques des principaux régimes spéciaux dans son dernier rapport. Elles montrent que tous ces régimes, y compris celui des fonctionnaires de l'État, auront plus de pensionnés que de cotisants en 2020 à l'exception notable de la CNRACL et de la RATP. Aujourd'hui, les régimes de la SNCF, des clercs de notaire, des marins et des mineurs, sont déjà dans cette situation. Le coût du maintien de règles d'assurance éloignées de celle d'un régime d'assurance normal finit par devenir exorbitant. Aujourd'hui, pour sept euros de pension versés aux anciens fonctionnaires de l'État, six euros doivent être fournis par le budget de l'État et un euro par les retenues de 7,85 % sur les traitements. Je rappellerai à ce sujet que le taux de cotisation des fonctionnaires et de la plupart des affiliés des régimes spéciaux n'a augmenté que de 1,85 point en quatre-vingts ans puisque c'est la loi du 14 avril 1924 qui avait fixé un taux de retenue de 6 %, lequel a été finalement porté à 7,85 % en 1991.
L'approche des régimes spéciaux nécessite toutefois de la prudence : il est hasardeux de comparer un régime spécial à un autre. S'il doit y avoir un point de référence, ce doit être le régime des fonctionnaires de l'État. De plus, chaque régime spécial doit être traité séparément car les règles d'assurance, les conditions de travail et les modes de rémunération forment un tout.
Si l'uniformité n'est pas souhaitable, des règles communes sont toutefois indispensables. L'adaptation de ces règles communes doit être discutée régime par régime, mais il ne serait pas acceptable qu'une fois de plus les régimes spéciaux divergent quant à la substance même de ces règles.
Je préconise donc que nous nous référions aux propositions du Conseil d'orientation des retraites pour arrêter le noyau commun des règles et paramètres d'assurance des régimes spéciaux. Dans son quatrième rapport de janvier 2007, le COR a proposé quatre orientations de réforme des régimes spéciaux.
Premièrement, il faut allonger les durées d'activité et les durées d'assurance, de manière à appliquer les mesures de réforme de la loi du 21 août 2003 qui tendent à prendre en compte l'allongement de la durée de vie des Français. En ce sens, il me paraît inévitable que la durée d'assurance exigée pour obtenir une pension au taux maximum passe de 37,5 ans à 40 ans, comme cela a été fait pour les fonctionnaires et dans certains régimes spéciaux comme celui des députés – j'insiste : comme celui des députés – ou de la Banque de France. De même, il faut réexaminer les âges de départ en retraite inférieurs à soixante ans.
Deuxièmement, cet allongement des durées d'activité et d'assurance doit cependant être apprécié en prenant en compte la politique du travail et de l'emploi des entreprises et administrations ainsi que la pénibilité du travail – je vais y revenir.
Troisièmement, les avantages familiaux et conjugaux doivent être harmonisés et rendus conformes au droit européen comme cela a été fait pour les régimes de fonctionnaires et les régimes de droit commun du secteur privé.
Quatrièmement, les modalités d'indexation des pensions doivent également être harmonisées pour placer les Français dans une position d'égalité, les garanties de pouvoir d'achat doivent être les mêmes pour tous.
À titre personnel, j'ajouterai un item : la mise en place d'un mécanisme de décote et de surcote car il répond à un objectif majeur de la politique des retraites en France, à savoir inciter les Français qui le souhaitent à travailler plus longtemps. Les taux de minoration et de majoration pourraient être adaptés aux spécificités de chaque régime. Pour ma part, je pense que ce mécanisme est indispensable.
Comme je l'ai dit, la réforme des régimes spéciaux ne peut être dissociée d'une prise en compte de la pénibilité au travail. Cette question n'est pas spécifique aux régimes spéciaux. Pierre Méhaignerie va nous expliquer qu'à l'exception des régimes des marins et des mineurs, l'usure physique au travail n'a pas été le facteur motivant la mise sur pied d'un régime spécial de retraite. En outre, la pénibilité au travail est par nature évolutive dans le temps ; il n'est pas ainsi normal que les règles dérogatoires liées aux services actifs de certains régimes spéciaux soient figées depuis cinquante ans.
La pénibilité est une notion dont les contours sont difficiles à tracer. Il est particulièrement délicat de déterminer les critères de pénibilité d'un métier ou d'un emploi. Certes, plusieurs critères sont connus, mais leur combinaison et leur poids est délicat à apprécier. Les mécanismes de compensation de la pénibilité peuvent revêtir plusieurs formes. La compensation ne doit pas, en effet, exclusivement passer par l'adaptation des règles d'assurance vieillesse.
La compensation de la pénibilité peut passer par l'amélioration des conditions de travail, l'aménagement des postes de travail, l'adaptation de la rémunération, l'établissement de rythmes de travail ou de congés adaptés. Beaucoup de travailleurs exerçant objectivement des métiers pénibles prolongent leur activité au-delà de l'âge d'ouverture de leurs droits à la retraite. C'est notamment le cas des marins. Je pense que les critères de la pénibilité doivent être définis nationalement et sur le plan interprofessionnel, au nom de l'équité entre tous les Français. C'est seulement ensuite qu'ils devraient être déclinés entreprise par entreprise, métier par métier ou branche par branche. Si tout était décidé entreprise par entreprise, celles qui disposeraient de fonds propres importants seraient en mesure d'organiser des dispositifs de compensation substantiels contrairement aux marins pêcheurs, aux mineurs ou aux salariés des PME, par exemple.
Je dirai en conclusion, monsieur le président, que, comme pour le paramétrage des régimes spéciaux, le Gouvernement doit prendre la main en matière de pénibilité. Depuis le vote de la loi 21 août 2007, peu de résultats probants ont été obtenus par les partenaires sociaux, malgré les dix réunions interprofessionnelles spécifiques qui se sont tenues depuis 2005. Nous sommes, monsieur le ministre, de nombreux députés à vous le demander : des solutions consensuelles peuvent être dégagées, et elles sont aujourd'hui aussi urgentes que le traitement des règles d'assurance des régimes spéciaux de retraite. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
La parole est à Mme Marisol Touraine.
Le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche m'a fait savoir que M. Pascal Terrasse abandonnait son temps de parole. Mme Touraine disposera donc de vingt minutes.
Vous n'allez tout de même pas décompter le temps ainsi : le débat est important !
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, la question des retraites est au coeur des préoccupations des Français. Ils sont aujourd'hui inquiets d'une remise en cause de notre pacte social.
Les actifs craignent de ne pouvoir bénéficier demain d'une retraite décente et les retraités d'aujourd'hui voient, jour après jour, leur pouvoir d'achat diminuer.
La réforme de 2003 n'a apaisé ni les craintes ni les difficultés. Nos réserves d'alors se trouvent aujourd'hui amplement justifiées. Le rendez-vous de 2008 sera, à cet égard, décisif.
Quelle urgence y avait-il donc à revoir les régimes spéciaux de retraite, dès maintenant, en engageant une consultation précipitée et donc largement factice, alors que le rendez-vous de 2008 se prépare et que personne – je dis bien : personne – n'envisageait à cette occasion de laisser ces régimes inchangés ? Quelle urgence y avait-il à avancer encore le débat qui nous réunit dans cet hémicycle aujourd'hui, et qui relève plus de l'affichage politique que de la consultation parlementaire ?
Le Premier ministre a lui-même reconnu qu'un signe de l'Élysée suffirait pour que paraisse le décret nécessaire à l'adaptation de ces régimes. Comment croire, dans ces conditions, à la volonté de dialogue et de concertation que vous voulez afficher ? L'échange de ce matin ne saurait en finir avec le travail parlementaire. Je regrette, au nom de mon groupe, l'absence de vote, qui contribue largement au sentiment de frustration des parlementaires. Nous attendons donc qu'un nouveau débat soit organisé lorsque votre réforme sera décidée, puisque c'est ainsi que vous procédez.
Quelle urgence, donc, sinon celle de donner des gages à votre majorité,…
…confrontée à une opinion de plus en plus perplexe, inquiète de la dégradation des comptes sociaux, stupéfaite devant l'irréalisme de votre budget, dubitative sur le sens de votre politique, dont le seul effet jusqu'à maintenant aura été de faire baisser les impôts des catégories aisées sans aucun effet sur la croissance !
Vous avez beau chercher à opposer les tenants de la réforme aux partisans de l'immobilisme, rien n'y fera : les régimes spéciaux doivent évoluer, ne serait-ce que pour garantir la stabilité de leur financement. Mais rien, ni sur le plan économique, ni sur le plan politique, ne justifie que vous en fassiez un rendez-vous à part de la négociation de 2008 ! À moins que vous ne vouliez préparer tous les Français à de prochaines remises en cause de leurs droits sociaux, plus rudes que celles qui sont attendues ?
Vous ne ferez croire à personne, monsieur le ministre – du reste, vous n'essayez même pas –, que cette réforme était nécessaire pour l'équilibre du régime général des retraites.
Si !
Ces régimes, qui ne concernent que 500 000 salariés, et environ un million de retraités, représentent à peine 6 % de la masse des pensions versées, régimes de base et complémentaires confondus. Ce n'est pas là que vous trouverez la clé des financements à venir, et il y a quelque supercherie à prétendre, comme l'a fait le Président de la République le 18 septembre dernier, que cette réforme serait le préalable nécessaire à une revalorisation des petites pensions !
À qui allez-vous faire croire que c'est en modifiant les conditions de retraite de 500 000 personnes que vous allez répondre aux attentes des millions de Français, retraités du privé ou de la fonction publique qui touchent quelques centaines d'euros à peine pour solde de toute une vie de travail !
Dans ce cas, il faudrait aussi rappeler que d'autres régimes de retraite, qui ne sont pas qualifiés de spéciaux, sont également déficitaires et bénéficient, au même titre, de la solidarité nationale : par exemple, ceux des exploitants agricoles, des commerçants et artisans, de certaines professions indépendantes.
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Tout à fait !
Vous avez dit que vous souhaitiez que tous les régimes abordent le rendez-vous de 2008 dans les mêmes conditions : faut-il alors comprendre que la réforme que vous préconisez aujourd'hui sera suivie d'une autre, dans quelques mois à peine ? Si tel ne devait pas être le cas, comment comprendre que le Premier ministre ait d'ores et déjà annoncé que l'allongement de la durée de cotisation à 41 annuités était un préalable indispensable et non négociable ? Comment comprendre que vous laissiez les régimes spéciaux rester « spéciaux » avec 40 annuités de cotisation ? C'est donc bien que vous souhaitez les faire passer sous une double toise à quelques mois d'intervalle !
Et, là encore, la question doit être reposée : pourquoi tant de précipitation ?
Et quelle est votre position sur ce point ?
Je n'ai pas entendu la vôtre !
Il ne s'agit pas seulement de financement, mais d'équité, dites-vous ! L'équité qui voudrait que l'on mette fin au caractère « indigne » – je cite le Président de la République – des régimes spéciaux ! Qui est contre l'équité ? Personne ! Qui conteste la nécessité d'aller vers l'équilibre financier des régimes ? Personne !
Mais c'est vous, et votre majorité, qui avez échoué à faire de l'équité le socle d'une réforme des retraites durable !
Que proposez-vous ?
Au point que le Premier ministre, artisan de cette réforme, vient d'annoncer qu'il entendait revoir le dispositif dit des « carrières longues » permettant aux salariés ayant commencé à travailler jeune de cesser leur activité avant soixante ans. Où est l'équité, dans ce cas, si pour vous la réforme des retraites se borne à une réforme technique, incapable de faire la différence entre l'ouvrier qui travaille depuis ses quinze ans et le cadre dirigeant super-protégé par des assurances en tout genre ? (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
J'y viendrai !
Parlons équité, justement. Pourquoi faudrait-il qu'elle s'arrête aux portes des privilèges des plus favorisés ? Ce qui vaut pour les uns doit valoir pour les autres, qui ont droit à des bonus, des stock-options, des retraites chapeaux et autres parachutes dorés, quand ce n'est pas tout à la fois ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Les dividendes des stock-options, ce sont 30 000 euros en moyenne de revenus par bénéficiaire, totalement exonérés de cotisations. Le Premier président de la Cour des comptes l'a souligné avec force dans son dernier rapport. En mettant fin à l'ensemble des niches fiscales,…
…qui concernent ces jackpots légaux réservés aux cadres dirigeants, vous feriez rentrer dans les caisses de la sécurité sociale plus de 8 milliards d'euros. Au nom de l'équité, il serait judicieux de s'intéresser à ces revenus. Mais, à ceux-là, vous avez choisi de distribuer des milliards d'avantages fiscaux complémentaires avec votre « paquet fiscal ». (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Une évolution des régimes de retraite est nécessaire, si l'on veut en assurer le financement dans la durée et maintenir la confiance des Français dans la solidarité collective. Mais la nécessité d'une telle réforme passe par le respect d'un certain nombre de principes qui nous paraissent essentiels. Je voudrais ici en souligner trois principaux qui doivent être au coeur d'une réforme.
N'en restez pas aux principes : faites des propositions ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Je n'aurai pas l'outrecuidance de faire des propositions précises pour les régimes spéciaux (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire)…
…alors même que je souhaite que la négociation se déroule dans de bonnes conditions et que je considère que c'est aux partenaires sociaux de le faire !
Ces principes, si vous voulez bien les entendre, sont assez précis.
Le premier, c'est qu'il n'y aura pas de réforme réussie sans réforme négociée, au cas par cas, entreprise par entreprise, secteur par secteur.
Quelle chance laissez-vous au dialogue en annonçant que tout est prêt et qu'il ne vous reste plus qu'à apposer votre signature au bas d'un décret pour que la réforme soit actée ?
Toutes les organisations syndicales l'ont dit : chaque régime est différent. Et vouloir gommer ces différences, c'est mépriser les salariés.
Vous nous parlez toujours des conducteurs de la RATP ou de la SNCF. Mais permettez-moi d'évoquer les femmes clercs de notaire, qui, elles, n'appartiennent pas au monde des entreprises publiques, que vous citez si systématiquement. Elles gagnent en moyenne 30 % de moins que les hommes de leur profession mais partent à la retraite plus tôt. Dans ces conditions, comment leur imposer de partir plus tard, sans que soit revu parallèlement leur niveau de salaire ?
Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Vous vous trompez de loi !
Et puisque vous voulez parler des agents de la SNCF en les présentant trop souvent comme des privilégiés, disons clairement aussi que les cheminots ont une retraite équivalant à 62 % de leur salaire brut seulement, sans aucun avantage familial. Compte tenu de leur entrée tardive dans la vie active – ce qui n'était pas le cas en 1945 et dans les années qui ont suivi –, ils ne peuvent accomplir une carrière complète, qui leur permettrait de bénéficier d'une retraite à taux plein.
C'est parce que la Banque de France a su répondre aux inquiétudes de ses agents, qu'elle a pu, d'elle-même, réformer leur régime de retraite et l'aligner sur celui de la fonction publique.
Il serait injuste – car il s'agit de justice sociale et non pas seulement d'équité – de ne voir le statut des agents que sous l'angle de leurs conditions de départ en retraite. Tout doit être mis sur la table dans chaque entreprise : les carrières, les salaires, l'égalité entre les hommes et les femmes dans la vie professionnelle.
Il paraît essentiel aussi, mais vous semblez l'accepter, et je vous en donne acte, que la période de transition au cours de laquelle se mettra en place le nouveau régime soit longue.
Le deuxième principe, c'est que la réforme des régimes spéciaux comme de l'ensemble des régimes de retraite doit garantir un taux de remplacement effectif des pensionnés. On ne peut verser des larmes de crocodile sur les petites retraites et dans le même temps rogner le pouvoir d'achat des retraités. Le choix a été fait en 2003 de faire porter le poids de la réforme sur la durée de cotisation. Les Français vivent plus longtemps ; on peut comprendre qu'une partie de ce temps gagné soit consacrée à travailler. (Applaudissement sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
À condition que le niveau des pensions, lui, soit maintenu ! Sinon, la supercherie est totale. Or, la manière dont vous avez engagé et appliqué la réforme de 2003 est préoccupante, puisque le taux de remplacement a baissé depuis cette date et que le pouvoir d'achat des retraités s'est amenuisé, du fait notamment de l'augmentation des prélèvements sur les retraites. Depuis la réforme dite « Balladur » de 1993, le taux de remplacement – concrètement, le montant des pensions – ne cesse de fondre. Le Conseil d'orientation des retraites constate dans son dernier rapport que les retraités perdent 22 % de leur pouvoir d'achat en vingt ans de retraite. Cette réforme aboutira à terme à une baisse du pouvoir d'achat des retraités de plus de 35 %. Or ce phénomène ira s'accentuant puisque l'allongement de la durée de cotisation reste sans effet sur le maintien dans l'emploi de ceux que l'on appelle d'un vilain mot les « seniors », qui n'auraient été que vingt-deux à avoir bénéficié du plan d'emploi qui leur était consacré, entre 2003 et 2005. Concrètement, les Français doivent travailler plus longtemps pour bénéficier d'une retraite à taux plein.
Comme dans tous les pays !
Dans le même temps, les entreprises françaises refusent toujours autant de former leurs salariés quinquagénaires et d'embaucher les plus de cinquante-cinq ans, au point que la France reste à la traîne en Europe pour ce qui est de l'emploi des cinquante-cinq–soixante-cinq ans.
Alors, monsieur le ministre, vous pouvez toujours nous annoncer un nouveau plan, mais ce sont les entreprises qu'il faut contraindre d'embaucher plus qu'il faut chercher à nous convaincre.
Alors, vous voterez les mesures du PLFSS relatives à la retraite !
Nous vous le disons tout net : pour nous, aucune réforme ne saurait être acceptable si elle ne garantit pas le niveau des pensions, en particulier des plus petites retraites. Il ne s'agit pas seulement d'afficher des statistiques théoriques, mais de prendre en compte la situation concrète des Français. Ils sont de plus en plus nombreux à avoir des carrières hachées, à ne pas trouver d'emploi passé un certain âge, ce qui les fait perdre sur les deux tableaux : non seulement ils vont devoir cotiser plus longtemps, mais leur retraite sera plus faible puisque rien n'est fait pour enrayer l'effritement de leur pouvoir d'achat. Je vous suggère d'ailleurs, monsieur le ministre, de faire preuve de prudence lorsque vous annoncez que l'introduction du mécanisme de la décote n'est pas négociable : vous préparez des lendemains de misère à des millions de Français qui n'auront eu d'autre tort que de ne pas trouver d'emploi lorsqu'ils en cherchaient un !
Déjà, le retournement de tendance est là : le taux de pauvreté des plus de soixante-cinq ans est désormais supérieur à celui de la population dans son ensemble alors que la pauvreté chez les personnes âgées et les retraités avait quasiment disparu au cours des trente dernières années.
Mais on ne touche pas aux stock-options ! Le ministre nous répondra-t-il à ce sujet ?
Aujourd'hui, 16 % des retraités sont au seuil de pauvreté contre 14 % de la population dans son ensemble.
Les femmes sont directement touchées, en particulier celles qui dépendent d'une pension de réversion. Vous en êtes en partie responsable, puisque le décret du 14 février 2006 a réduit la couverture sociale des veuves ne travaillant pas et ayant moins de trois enfants. La retraite, comme on le dit, c'est le patrimoine de ceux qui n'en ont pas. Vous prétendez faire du pouvoir d'achat une priorité, mais le décalage entre les mots et les faits est flagrant. On voit bien comment pourrait se profiler une réforme qui limite la solidarité nationale à un seuil minimum, renvoyant à des assurances complémentaires ou des revenus d'intéressement le soin de compléter cette base.
Des leçons, encore des leçons, toujours des leçons : quelle tristesse !
Le développement des fonds d'épargne salariale – qui n'est pas en lui-même condamnable, s'il est encadré – ne doit pas être l'alibi d'une révision à la baisse des retraites de base.
Le troisième principe concerne la prise en compte de la pénibilité des emplois et la nécessaire revalorisation du travail.
Il est impensable d'engager une réforme juste qui ne tienne pas compte des conditions de travail, de la pénibilité de certains métiers. Une négociation a été engagée entre les partenaires sociaux, mais ses résultats se font attendre. Son aboutissement est un préalable nécessaire à la mise en oeuvre de toute nouvelle étape dans l'évolution des régimes de retraite. Je ne sous-estime pas la difficulté qu'il y a à trouver des critères objectifs de pénibilité. L'espérance de vie est en tout cas un premier facteur à prendre en compte, même si ce ne peut être le seul, à condition de neutraliser le fait que les femmes, toutes choses égales par ailleurs, vivent plus longtemps. Je le redis clairement : nous ne pourrons aborder une nouvelle étape de cette réforme si la question de la pénibilité n'en constitue pas un des piliers solides.
Permettez-moi, pour terminer, d'insister sur la nécessité, au-delà des slogans de campagne, d'accorder davantage de considération à ceux qui travaillent dans des conditions difficiles.
La retraite inquiète, la retraite angoisse parce que le monde du travail est de plus en plus dur, parce qu'il lamine, parce qu'il paraît souvent injuste. Ceux qui aiment leur travail, ceux qui en trouvent après cinquante ans, ceux qui se sentent considérés ne cherchent pas à partir à tout prix.
Vous vous trompez de cible, madame !
À vous entendre, on a souvent le sentiment que la retraite se limite à une affaire de tuyauteries et de paramètres techniques. L'enjeu financier est réel, je ne le sous-estime pas. Mais cela n'épuise pas la question. L'anxiété des Français face à l'avenir, leurs doutes sur la stabilité du pacte social sont aussi importants et aucune réforme ne réussira si elle n'en tient pas compte. Le sort réservé aux retraités dit beaucoup de la considération de notre société pour ceux qui travaillent, pour ceux qui ont bâti notre pays, avec leurs mains, leurs contributions aux services, leurs idées. On ne parle plus de la protection sociale qu'en termes techniques et financiers, et on évoque les droits sociaux trop souvent comme des privilèges sans jamais se demander ce que peuvent attendre, en droit et en justice, les millions d'hommes et de femmes qui, au quotidien, font de la France ce qu'elle est. À nos yeux, là est l'essentiel. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
La parole est à M. Roland Muzeau, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, déclarations et proclamations, d'un côté, réformes menées à marche forcée, de l'autre : voilà au fond à quoi se résume la conception que le Gouvernement et sa majorité se font du dialogue social et du débat démocratique.
Nous en avons aujourd'hui la parfaite illustration. Vous organisez, monsieur le ministre, un débat sans vote, dans la précipitation, simplement pour informer le Parlement de vos intentions et de vos postures idéologiques. Tout est bouclé.
Le chef de l'État n'a accordé que quinze jours à la discussion entre partenaires sociaux. Est-ce là agir avec le sérieux et le sens des responsabilités dont le Chef de l'État, le Gouvernement et sa majorité se prétendent seuls dépositaires ?
De la même manière, vous prétendez aujourd'hui être les seuls à vouloir réformer. Nous aurions d'un côté les hommes d'action, de l'autre, d'incurables nostalgiques.
Vous nous rebattez les oreilles de ces arguments rhétoriques, mais nous ne sommes pas dupes du procédé. Il ne s'agit au fond que d'imposer l'idée que vos réformes sont les seules possibles car les seules proposées !
Concernant notre système de retraite, je rappellerai simplement, à ce stade, que tout le monde s'accorde sur les difficultés financières que connaît la sécurité sociale depuis vingt ans et sur la nécessité de mener des réformes de grande ampleur.
Nul ne peut se satisfaire d'un déficit de la sécurité sociale estimé à 12 milliards d'euros pour 2008, et qui s'élève à 42 milliards de déficit cumulé en cinq ans – cinq ans de gouvernement de droite. Chacun est également parfaitement conscient, sur ces bancs mais aussi parmi les partenaires sociaux, des déséquilibres financiers des comptes qui affectent la branche vieillesse – 4,5 milliards d'euros de déficit en 2007 – et de la situation financière des régimes spéciaux.
Rappelons qu'en 2002 tous les comptes de la sécurité sociale étaient excédentaires et que les comptes sociaux sont aujourd'hui dramatiquement dans le rouge, du fait de la politique que vous menez depuis cinq ans.
Vous entendez réformer les régimes spéciaux. En fait, vous voulez tout bonnement les supprimer. Ce n'est pas une réponse.
Au moment même où les plus grands dirigeants d'EADS – Forgeard, Lagardère, Enders et quelques autres –
…sont pris la main dans le sac, pour des délits d'initiés portant sur des centaines de millions d'euros, vous vous faites fort de présenter cette liquidation des régimes spéciaux comme une mesure d'équité et de justice, comme une mesure rationnelle sur le plan démographique et économique. Cela n'en est pas moins un tour de passe-passe.
Vous vous gardez bien, par exemple, de rappeler à nos concitoyens comment fonctionnent les régimes spéciaux, quelle est la situation concrète des salariés et retraités des secteurs concernés et vous occultez bien sûr la part de responsabilité qui est celle de votre majorité dans les déséquilibres actuels.
Nous avons compris que votre propos ne visait qu'à faire des salariés relevant des régimes spéciaux des boucs émissaires de l'échec social et financier de vos réformes successives afin de préparer l'opinion à de nouveaux reculs sociaux, notamment à l'allongement de la durée de cotisation à 42 ans pour tous, dès 2012.
Nous y reviendrons, mais penchons-nous tout d'abord sur les éléments de diagnostic. Ils s'écartent pour le moins de vos arguments démagogiques.
Votre projet de réforme des régimes spéciaux vise essentiellement les trois principaux : EDF-GDF, SNCF et RATP. Ces trois régimes touchent près de 500 000 personnes et comptent environ 360 000 cotisants actifs. Ces salariés et retraités ne sont nullement des privilégiés. Contrairement à ce que vous laissez entendre, ceux-ci ne vivent pas aux crochets de l'État ou de l'ensemble des cotisants du régime général, mais ils financent eux-mêmes les acquis de leur régime. Les taux de cotisation sont supérieurs de 12 % à ceux du régime général et correspondent au financement des dispositions particulières visant l'âge du départ à la retraite, la durée de cotisation et l'absence de décote lorsque la durée de cotisation maximale n'est pas atteinte. Les régimes spéciaux apportent solidairement 3,8 milliards d'euros au titre de la compensation et ne reçoivent globalement que 400 millions d'euros. La vérité est que, si l'État intervient, c'est uniquement en compensation des déséquilibres démographiques de ces régimes, mais nullement pour servir des droits spécifiques.
La suppression des droits spécifiques que vous visez ne change donc rien à la situation. Ces droits disparaîtront, mais pas la contribution de l'État. Ce que vous préparez est tout autre : c'est précisément la suppression de la contribution de l'État, laquelle aura pour conséquence de faire peser le déficit démographique des secteurs concernés sur tous les salariés, ce que vous vous gardez bien d'ébruiter !
Vous ne proposez aujourd'hui au fond que de désengager l'État dans le financement des déséquilibres démographiques, en vue de le faire supporter directement à l'ensemble des cotisants, fût-ce en les invitant à se tourner vers les assurances privées.
Cette approche est proprement inacceptable car il est de la responsabilité de l'État, au nom de la solidarité nationale, de contribuer au financement des régimes de retraites.
Cette contribution est d'autant plus nécessaire que les déséquilibres des régimes se sont aggravés du fait des politiques d'emploi menées volontairement par les entreprises publiques concernées, politiques que vous avez soutenues, voire initiées.
Si les entreprises publiques ont vu le nombre de leurs salariés chuter dramatiquement ces dernières années, si la SNCF, par exemple, ne compte plus que 163 000 actifs pour 310 000 pensionnés, vous en portez une lourde part de responsabilité.
Quand EDF annonce 6 000 suppressions d'emplois cette année et que seulement la moitié des 22 000 départs à la retraite seront remplacés entre 2010 et 2015 sans que vous leviez le petit doigt, il y a matière à interrogations.
Cette responsabilité, vous devez l'assumer. À tout le moins, elle se doit d'être assumée par l'État.
Il est tout aussi scandaleux de continuer à vouloir faire peser sur le régime général et sur celui de la fonction publique, donc sur les seuls cotisants, le financement des régimes autonomes déficitaires, comme c'est le cas depuis trente ans.
Vous faites ainsi l'impasse sur les régimes autonomes : celui des exploitants agricoles, le régime des salariés agricoles, celui des commerçants et artisans.
…et une érosion démographique importante, comme le montrent plusieurs rapports parlementaires. Mais vous ne bougez pas le petit doigt.
Il est indispensable d'envisager une remise à plat des compensations et surcompensations financières accordées par le régime général des salariés aux régimes autonomes, à concurrence de plusieurs milliards d'euros et au seul bénéfice de l'État.
Vous faites du désengagement de l'État votre unique priorité. Partant, vous trompez nos concitoyens sur les objectifs et les conséquences de votre réforme. Vous passez également sous silence, et on vous comprend, les conséquences désastreuses de vos précédentes initiatives, lesquelles s'inscrivaient dans le même schéma et aveuglement dogmatique que celui qui préside à vos velléités actuelles.
« Dogmatique » ?
Parfaitement !
Elles sont à l'origine de nombre des difficultés que nous rencontrons aujourd'hui et elles sont la cause de l'inquiétude légitime de nos concitoyens, pour leur avenir comme pour celui de leurs enfants.
Je pense en premier lieu à l'échec social et financier de la réforme des retraites de 2003, conduite par l'actuel Premier ministre alors ministre des affaires sociales.
Pour vous en convaincre, je vous invite à relire les comptes rendus des débats de l'Assemblée nationale et du Sénat.
Cette réforme, qui ne proposait aucune solution financière de règlement, s'est traduite, et vous le savez, par la dégradation du taux de remplacement, par davantage d'injustices, notamment pour les femmes, et par l'augmentation du nombre des très petites pensions. Un million de retraités se situent en effet aujourd'hui en dessous du seuil de pauvreté.
En outre, le fonds de réserve des retraites, créé par le gouvernement de la gauche plurielle, a été très faiblement abondé depuis quatre ans.
On pourrait s'étonner que vous persistiez à vouloir conduire des réformes qui, depuis bientôt quinze ans, ont démontré leur nocivité.
Mais outre que vous tenez à prendre aujourd'hui votre revanche sur l'échec retentissant que le mouvement social vous avait fait subir en 1995, votre politique présente une grande cohérence. Du reste, on ne peut que s'incliner face à un tel acharnement et à un tel zèle dogmatique à reprendre à votre compte les recettes de MM. Bush, Reagan et de Mme Thatcher, autant dire celles de Mme Parisot aujourd'hui.
Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Vous avez oublié Tony Blair !
Vous avez raison !
Qu'il s'agisse de la limitation du droit de grève, de la franchise de soins, de la réforme des retraites ou des modifications à venir du code du travail dans le sens de l'unification des contrats de travail, vous ne poursuivez qu'un seul objectif : remettre en cause l'ensemble des droits collectifs.
Vous prétendez promouvoir de nouveaux droits, mais votre action ne vise qu'à « liquider », pour reprendre la tristement célèbre formule de l'ancien patron du MEDEF, l'héritage de la Libération et les mécanismes de solidarité qui sont au fondement de notre pacte social, pour leur substituer une invitation de plus en plus pressante à recourir aux assurances privées.
Vous ne vous souciez guère de l'avenir des familles modestes, de tous ceux qui vivent déjà dans la précarité et envisagent avec grande inquiétude leur retraite, de ces jeunes qui entrent de plus en plus tard dans la vie professionnelle et voient se profiler les 42, puis peut-être les 45 annuités de cotisations.
« Chacun pour soi, Dieu pour tous » : telle est la formule que vous rêvez peut-être de voir inscrite au frontispice de nos bâtiments publics. (Sourires.) Ce n'est évidemment pas ainsi que nous voyons les choses.
Votre proposition de réforme des régimes spéciaux sert de paravent à votre volonté de pousser l'ensemble des salariés vers la « capitalisation » et de réduire leurs droits.
Les régimes spéciaux sont là en effet pour rappeler combien les réformes engagées par la droite depuis 1993, avec M. Balladur, ont dégradé les droits de l'ensemble des salariés. On comprend donc que vous cherchiez à les faire disparaître, comme vous souhaitez éviter toute amélioration de la situation de certaines catégories de salariés du secteur privé victimes de la pénibilité du travail. De fait, vous n'avez rien fait pour inciter le patronat à revenir à la table des négociations sur cette question importante. Plus ça dure, meilleur c'est : c'est ce que vous indiquez !
Vous avez en revanche tout fait pour dégrader les comptes sociaux. Pas plus tard que cet été, vous avez encore fait voter de nouvelles exonérations patronales. De même, 2,5 milliards d'euros manquent au titre des exonérations de cotisations retraite.
Elles ont été compensées !
Il manque 2,5 milliards au titre des exonérations de cotisations retraite sur l'épargne salariale et l'exonération des stock-options représente un manque à gagner de 3 milliards d'euros.
L'ensemble de ces exonérations pèse de 25 milliards d'euros sur les régimes sociaux, dont 10 milliards pour les retraites. Ces chiffres sont fournis par la Cour des comptes, dont le Premier président, Philippe Séguin, fut en son temps l'ami du Premier ministre.
Vous parlez du parti communiste ?
Oh, vous savez, les amis de trente ans, ça ne dure pas !
Vous tentez de créer une situation de non-retour en vous cachant derrière l'argument de l'évolution démographique. Or, si cette évolution incite à rechercher de nouvelles sources de financement, elle ne peut servir de prétexte à une stratégie de liquidation.
À nos yeux, l'État, au titre de la solidarité nationale, doit prendre toute sa part dans le financement de notre système de retraite pour compenser le déficit démographique. Il serait plus que temps que vous retiriez vos oeillères et que vous vous attachiez moins à réduire les dépenses publiques, avec les effets désastreux que l'on sait pour nos services publics, qu'à garantir les recettes.
Les exonérations de cotisations patronales que vous avez multipliées depuis cinq ans privent les comptes sociaux d'importantes ressources financières. Les baisses d'impôts accordées aux entreprises comme aux ménages les plus aisés continuent à peser sur les finances de l'État, et les 15 milliards accordés aux plus riches cet été auront du mal, que vous le vouliez ou non, monsieur Bertrand, à passer pour de la justice ou de l'équité, non plus que les quasi-exonérations d'ISF ou la menace de TVA repoussée après les élections municipales.
Ils ne vous l'ont peut-être pas dit, mais ils vont le faire ! Vous ne savez pas tout ! (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Comme toute majorité godillot, vous vous bouchez les oreilles !
Monsieur le ministre, le temps est clairement venu de se pencher sur le dossier des financements et de la nécessaire taxation des revenus financiers. La Cour des comptes vous y invite implicitement en soulignant, par exemple, que 3 milliards d'euros seraient immédiatement disponibles par la seule taxation des stock-options.
Il semble qu'il vous a aussi échappé que la part des salaires dans le PIB a chuté de 12 % en vingt ans. Cette profonde anomalie bouleverse l'équilibre de nos comptes sociaux.
Non seulement il est utile d'engager un mouvement inverse, mais aussi de ne plus faire reposer le financement de notre régime de retraite sur les seules cotisations, en cherchant les voies et moyens d'une taxation efficace des revenus financiers, lesquels ne sont pas tirés de ce « travail » que vous prétendez abusivement défendre.
Vous l'aurez compris, monsieur le ministre, nous ne partageons rien de vos décisions. Nous refusons d'adhérer à un discours national qui se veut de « bon sens » car ce « bons sens » dans la bouche du MEDEF,…
…des plus nantis de notre société, des plus réactionnaires de vos amis détruit des vies et plonge toujours plus de nos concitoyens dans les difficultés et les injustices.
Comptez sur notre mobilisation et celle des salariés pour faire obstacle à vos projets de réforme, qui ne se fondent que sur la préoccupation de clouer au pilori les valeurs d'égalité, de justice et de solidarité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Monsieur le ministre, permettez-moi tout d'abord de vous remercier pour avoir demandé un débat au Parlement. (Rires sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.) J'espère qu'il ne sera pas de pure forme.
Une société se juge au moins en partie à la place qu'elle réserve à ses anciens qui l'ont façonnée et auxquels nous devons un haut niveau de pension. Or l'avenir de notre système de retraite est préoccupant. Notre devoir est d'en assurer la pérennité dans un souci d'équité entre tous les Français.
N'entendons-nous pas souvent des jeunes désabusés nous dire : « Je cotise aujourd'hui mais, demain, je n'aurai pas de retraite » ?
Alors, monsieur le ministre, merci. Ce débat est une excellente initiative. Il démontre votre souci d'écoute et de dialogue, et nous souhaitons qu'il soit utile.
Tiendrez-vous compte de nos propositions ?
Car, alors que l'on parle de la nécessité de revaloriser le pouvoir du Parlement, force est de constater que nous ne voterons pas à l'issue de ce débat. Il semble même que vous vous disposiez à prendre des mesures par décret, que nous ne pourrons bien entendu ni discuter, ni amender.
Pourtant, au nom du Nouveau Centre, contrairement aux socialistes, j'ai des propositions à vous faire, et il me serait agréable que vous puissiez en tirer profit.
Nous souhaitons relancer le dialogue social et responsabiliser les partenaires sociaux. Nous voulons l'équité entre tous les Français, en termes de durée de cotisation mais aussi de taux de cotisation et de salaire de référence.
Nous souhaitons également que la solidarité nationale puisse prendre en compte la pénibilité avérée et permette de revaloriser les petites retraites.
Notre système de retraite est au coeur du pacte républicain, basé sur un principe généreux, celui de la répartition, qui permet une grande solidarité entre les générations puisque ce sont les actifs d'aujourd'hui qui paient pour les retraités d'aujourd'hui.
Mais il est soumis à des contraintes fortes que chacun ici connaît, en raison du papy boom et de l'augmentation de la durée de vie. En 1940, nous comptions 500 000 naissances ; en 1946, 800 000, qui arrivent à la retraite aujourd'hui. En 1950, il y en a eu 830 000.
De plus, nous gagnons en espérance de vie un trimestre par an. La durée de vie du retraité en bonne santé augmente, c'est une bonne nouvelle, mais le financement a du mal à suivre.
Deux réformes courageuses sont intervenues, mais elles n'ont été que partielles.
La réforme de M. Balladur, en 1993, après des années d'atermoiement des gouvernements socialistes, n'a été que partielle puisqu'elle ne concernait que les salariés du privé. Elle comportait cependant trois mesures importantes : l'allongement de la durée de cotisation à 40 ans pour bénéficier d'une retraite à taux plein, la prise en compte des 25 meilleures années et l'indexation des retraites sur l'inflation.
La réforme de M. Fillon de 2003, dont vous étiez le rapporteur, monsieur le ministre, concernait uniquement les fonctionnaires, laissant de côté les régimes spéciaux. De plus, elle ne prévoyait que l'augmentation de la durée de cotisation sans toucher au salaire de référence ni au taux de cotisation. Si bien que, si l'on prend l'exemple des enseignants, des inégalités importantes en termes de cotisations et de prestations demeurent entre les enseignants du public et du privé. Cette réforme n'a pas appliqué le principe pourtant simple : à cotisation égale, prestation égale. Elle comportait de nombreuses autres mesures telles la décote, la surcote, la réforme de la pension de réversion, mais aussi la prise en compte des longues carrières, mesure très attendue et qui a rencontré un franc succès, assez coûteux il faut le reconnaître.
Elle prévoyait l'équilibre financier en se fondant sur deux hypothèses optimistes : une croissance forte et la réduction importante du chômage. Or nous constatons que, cette année, le déficit du régime de base est de l'ordre de 4,6 milliards et qu'il existe de grandes inégalités en termes de durée de cotisation, de taux de cotisation, de salaire de référence, de durée de vie à partir de l'âge de la retraite. Une nouvelle réforme est donc indispensable si nous voulons sauvegarder notre système de retraite.
Monsieur le ministre, au nom du Nouveau Centre, je souhaite vous faire part de nos propositions sur l'ensemble des régimes de retraite, y compris donc les régimes spéciaux, qui seront sans doute revus en 2008. Elles reposent sur deux principes : d'une part, la nécessité de relancer le dialogue social et de responsabiliser les partenaires sociaux ; d'autre part, l'équité entre tous les Français en prenant en compte la pénibilité réelle du travail.
Il faut relancer le dialogue social et responsabiliser les partenaires sociaux dans leur domaine de compétence, c'est-à-dire celui lié au travail et financé par des cotisations salariales et patronales. J'entends par là le chômage, les accidents du travail et les maladies professionnelles – avec la création d'une branche spécifique réellement autonome pour ces deux risques –, les retraites complémentaires et, bien entendu, la retraite de base. Aujourd'hui, les partenaires sociaux participent au conseil d'administration de la CNAV, mais ils ne décident ni des cotisations, ni des prestations. Ils ne sont donc pas en position de responsabilité puisqu'ils gèrent seulement les prestations sociales.
Le Nouveau Centre souhaite donc responsabiliser les partenaires sociaux – lesquels ne peuvent qu'être d'accord avec ce principe fondamental – en donnant une réelle autonomie à la CNAV et en évoluant vers un régime par points. Ainsi, chaque année, les partenaires sociaux décideront de la valeur d'achat et de la valeur de liquidation du point, de façon à permettre l'équilibre financier. De plus, un système par points permet au bénéficiaire de partir à la retraite lorsqu'il estime avoir atteint un nombre suffisant de points. Il préserve donc une grande liberté de choix, réalise ainsi une retraite à la carte, et rend inutile le système complexe de décote et de surcote. Le système permet également une bonification de points pour les trimestres non cotisés : pour les mères de famille, pour les accidents de la vie, pour ceux qui continuent à travailler au-delà de l'âge légal, mais aussi, et surtout, selon la pénibilité du travail.
Quant aux régimes spéciaux, ils ont tous une histoire. Les avantages qui leur ont été consentis par rapport au régime général se justifiaient précisément par la pénibilité des tâches. Il en était ainsi des conducteurs de machines à vapeur de la SNCF. Mais, depuis lors, les conditions de travail ont bien évolué, et il est sans doute plus pénible de ramasser des oeufs dans des poulaillers industriels ou de travailler aux abattoirs que de conduire un TGV.
Cela étant, la retraite fait souvent partie du statut. Quand un salarié entrait à la SNCF ou à EDF, il savait qu'il pourrait prendre sa retraite à un âge déterminé. Il n'est donc pas question d'appliquer brutalement un changement radical, même si, lors de la campagne présidentielle, M. Nicolas Sarkozy, notre Président de la République, a évoqué clairement la suppression des régimes spéciaux. Les députés du Nouveau Centre préconisent la mise en extinction des régimes spéciaux, l'harmonisation progressive pour les salariés en activité avec le régime général.
La mise en extinction des régimes spéciaux apparaît comme une mesure simple et de bon sens,...
..que l'on ne peut pas repousser d'un revers de main. Cela signifie que les nouveaux entrants relèveront du régime général. Il s'agit donc là d'une mesure d'équité qui sera obtenue à partir de l'harmonisation progressive avec le régime général. La réforme devra se faire par la négociation. Elle sera progressive, mais dans un délai raisonnable. Elle devra surtout concerner non seulement la durée de cotisation, mais aussi le taux de cotisation et le salaire de référence. Il n'est pas acceptable que le salaire de référence soit, dans le régime général, la moyenne des vingt-cinq meilleures années alors que, dans les régimes spéciaux ou pour les fonctionnaires, celui-ci demeure celui des six derniers mois, voire du dernier mois, permettant les promotions dites « coups de chapeau ».
Dites pourquoi !
Il faudra discuter de l'intégration progressive des primes.
Il semblerait, monsieur le ministre, que vous proposiez un rapprochement de ces régimes avec celui des fonctionnaires, c'est-à-dire une modification de la seule durée de cotisation. Il persisterait donc de grandes inégalités avec le régime général en ce qui concerne les taux de cotisation et, surtout, le salaire de référence : vingt-cinq ans, au lieu de six, voire un mois.
Dites donc pourquoi, monsieur Préel !
S'agit-il donc d'une première étape pour les régimes spéciaux ? Seront-ils concernés par la réforme de 2008 ?
Voilà, monsieur le ministre, les propositions principales du Nouveau Centre. Bien entendu, elles ne règlent pas tout, car il persiste encore de très nombreuses inégalités. Je pense aux petites retraites perçues notamment par les agriculteurs, les artisans, les commerçants ; au cas des veuves – la réforme de 2003 a supprimé les conditions d'âge, mais a transformé la pension de réversion en une allocation sociale révisée chaque année – ; à la vraie pénibilité de certaines professions, dont témoignent les maladies professionnelles mais aussi la durée de vie très inégale selon les professions ; ou encore à l' « employabilité » des seniors, problème spécifique à notre pays, qui constitue un réel gâchis non seulement sur le plan personnel mais aussi pour la société, qui ne valorise pas comme elle le devrait l'expérience et la compétence.
Pour conclure, monsieur le ministre, je vous remercie encore pour ce débat, qui nous donne l'occasion d'énoncer clairement les propositions du Nouveau Centre. J'espère vous en tiendrez compte, même s'il n'y a pas de vote, même si de mauvaises langues annoncent que tout est déjà bouclé,...
Mais bien sûr ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
..ce qui serait inacceptable.
Je vous rappelle que nous souhaitons la sauvegarde de notre système de retraite, l'équité entre tous les Français grâce à la prise en compte de la pénibilité réelle, la responsabilisation des partenaires sociaux en leur confiant la gestion réelle du régime général de retraite, l'évolution vers un régime par points permettant l'équilibre financier et la liberté de choix pour une véritable retraite à la carte, la mise en extinction des régimes spéciaux, l'harmonisation progressive de ces régimes et de celui des fonctionnaires avec le régime général pour aboutir à un régime unique de retraite pour tous les Français.
Nous pensons ainsi sauvegarder notre régime de retraite et parvenir à l'équité chère à nos concitoyens. Il ne faudrait pas qu'après leur avoir annoncé l'équité entre les Français, ce qu'ils approuvent quasiment tous, ils découvrent demain que de grandes inégalités subsistent encore. Ils ne pourraient l'accepter.
Merci, monsieur le ministre, pour votre écoute. (Applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau Centre et sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Nous venons d'écouter les premiers orateurs des groupes.
Avant d'inviter à s'exprimer les autres orateurs inscrits, je donne la parole à M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.
Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, comme l'a déjà et fort bien dit notre rapporteur du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour l'assurance vieillesse, Denis Jacquat, notre commission appuiera la réforme proposée par le Gouvernement.
Il s'agit en effet d'une réforme progressive – les acquis ne seront pas remis en cause brutalement –, d'une réforme juste pour tenir compte de l'évolution de la pénibilité du travail, qui n'est pas la même qu'il y a quarante ans, et d'une réforme qui doit être exemplaire. À cet égard, le Parlement devra apporter sa propre contribution en modifiant son propre régime de retraite. Enfin, c'est une réforme nécessaire. Il faut bien reconnaître que ce qui a été fait en 2003 était à la fois marqué par le courage et l'esprit de justice.
La nécessité vient de ce que le monde a changé. Nous vivons désormais dans un monde ouvert. Beaucoup des critiques, y compris de la part de ceux qui attaquent le paquet fiscal, ne prennent pas en compte cette réalité. Ensuite, le travail a changé, et la pénibilité aussi. Enfin, l'espérance de vie en France – ce n'est pas vrai partout – a fortement progressé : neuf années sur les quarante dernières années. Ainsi, dans certains régimes, la durée de la retraite est supérieure à la durée d'activité. Ce sont des faits que nul ne peut ignorer.
Vivant dans un monde ouvert, pouvons-nous continuer à alourdir les charges pesant sur l'emploi ? Pouvons-nous continuer à augmenter les prélèvements obligatoires ?
Nous sommes, parmi les Quinze, vice-champions en matière non seulement d'impôt sur le travail, mais encore d'impôt sur le capital. L'État-providence représente aujourd'hui plus de 30 % de la richesse nationale et, avec 637 milliards d'euros, nous sommes sur le point de dépasser la Suède quant au niveau des prestations. Ne rien faire à propos des régimes spéciaux conduirait à faire payer au contribuable ou à l'emploi une charge de plus en plus lourde.
Il faut aussi se référer à ce qui se passe chez nos voisins européens. La France est aujourd'hui le seul pays à avoir une multitude de régimes de retraite catégoriels.
Les exceptions au principe d'universalité sont ailleurs très limitées. En Belgique, seuls les marins et les mineurs bénéficient d'un régime spécial, qui devrait continuer. En Allemagne, le seul régime spécial au sens français du terme est celui des mineurs. L'Italie, qui est un exemple très instructif, était un des rares pays avec de nombreux dispositifs spéciaux – aussi bien dans le secteur privé, où ils étaient au nombre de huit, que dans le secteur public –, mais la loi Dini du 4 août 1995 a programmé l'alignement des régimes spéciaux sur le régime général, afin de rétablir l'équilibre financier. (« Nous sommes en France ! » sur plusieurs bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Nous sommes en France, certes, mais, si nous ignorons ce qui se passe chez nos voisins européens, je vous souhaite bonne chance pour rétablir le plein-emploi.
Au moment où la convergence européenne s'impose à la France, j'invite le Parlement à s'interroger sur la singularité française des régimes spéciaux de retraite.
Ensuite, les affiliés à ces régimes spéciaux ont considéré leur avantage retraite comme un élément à part entière de leur contrat de travail, au même titre que leur salaire ou leur traitement. C'est vrai. Mais, il y a quarante ans, personne n'imaginait que l'espérance de vie allait gagner neuf ans supplémentaires. Nous devons donc examiner l'avenir de ces vingt-cinq régimes spéciaux, bien qu'il n'y ait pas d'unité entre eux. Le Conseil d'orientation des retraites a été extrêmement précis. Lors de son audition par notre commission, son président a rappelé qu'une répartition du gain d'espérance de vie d'un tiers pour le temps de travail et de deux tiers pour la retraite avait été retenue en 2003. Cet équilibre entre la durée de vie passée respectivement au travail et à la retraite est un excellent principe à la lumière duquel il convient de réexaminer les âges de départ en retraite et les durées d'assurance pour obtenir les pensions au taux maximal prévus par les régimes spéciaux.
Certes, des considérations particulières peuvent entrer en ligne de compte pour justifier des spécificités en matière de retraite – je pense notamment à la pénibilité du travail. Mais, si personne n'être contre l'équité, madame Touraine, il a tout de même fallu attendre 2003 pour corriger l'inégalité majeure provenant du différentiel d'espérance de vie dans notre pays. Or, avant 2003, d'autres que nous avaient gouverné. C'étaient précisément ceux qui avaient l'espérance de vie la plus faible qui avait la durée d'activité la plus longue ! Le problème n'avait pas été traité.
Nous avons, pour notre part, déposé des propositions de loi à ce sujet !
Alors, vos leçons de justice...
Oui, madame Marisol Touraine, le différentiel d'espérance de vie est l'inégalité majeure.
président de la commission des affaires culturelles. Et ce sont les ouvriers et ceux dont la durée d'activité était la plus longue qui avaient les plus petites retraites et la plus faible espérance de vie ! (Exclamations sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
président de la commission des affaires culturelles. Rendons hommage à François Fillon en rappelant qu'il fallut attendre 2003 pour corriger cette inégalité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)
Dans un bassin d'emploi de ma circonscription, où 32 % des actifs sont ouvriers, j'ai pu mesurer le progrès qu'a représenté la possibilité de partir à la retraite à cinquante-six, cinquante-sept ou cinquante-huit ans pour les 400 000 personnes qui avaient commencé à travailler à l'âge de quatorze, quinze ou seize ans.
Pourquoi ne l'avez-vous jamais dit ?
président de la commission des affaires culturelles. Nous n'avons donc vraiment pas de leçons de justice à recevoir en matière de réforme des régimes de retraite ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre. – Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
président de la commission des affaires culturelles. Il est bon de raviver certains souvenirs !
président de la commission des affaires culturelles. La liberté de choix doit, elle aussi, être prise en considération. Pour des raisons familiales, sociales, personnelles, ou pour des raisons de santé, certains peuvent choisir de partir à la retraite plus tôt ou plus tard.
président de la commission des affaires culturelles. Pourquoi ne pas l'accepter et faire jouer plus fréquemment la décote et la surcote ? On offrirait ainsi une liberté supplémentaire, suivant les envies de chacun.
Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. C'est vrai !
président de la commission des affaires culturelles. En conclusion, je rappellerai que la réforme des régimes spéciaux est parfaitement réalisable dans la concertation. Encore récemment, la négociation a permis de fermer le régime spécial de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris, qui courait à la faillite, et d'intégrer ses affiliés dans le régime général à partir de 2006 ; elle a également permis de rapprocher le régime spécial de la Banque de France du régime des fonctionnaires de l'État.
Je note à ce sujet la prudence du Gouvernement, qui n'a jamais parlé que d'augmenter de 37,5 à 40 le nombre d'annuités nécessaires alors que beaucoup de bénéficiaires de régimes spéciaux partent en retraite après 32,5 années d'activité. La progressivité de la réforme doit donc être prise en compte.
Si, même en avançant par étapes, nous cherchons à répondre aux exigences d'équité et de solidarité financière, tous les espoirs sont permis. Et nous faisons confiance au ministre Xavier Bertrand…
président de la commission des affaires culturelles. …pour mener à bien, dans la concertation, les réformes annoncées. Il peut compter sur notre soutien. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, réformer nos régimes de retraite est inéluctable, indispensable et vital pour la survie de notre système de financement par répartition. En effet, les baby-boomers arrivent aujourd'hui à l'âge de la retraite et, bien que la France soit l'un des pays européens où le nombre de naissances est le plus élevé, il faut se rendre à l'évidence : la population française vieillit et le problème du financement des retraites se pose de manière de plus en plus cruciale chaque année.
Plusieurs possibilités s'offrent à nous. On peut diminuer le montant des pensions de retraite : mais les Français le refusent – et on les comprend. On peut augmenter le montant des cotisations : mais c'est une atteinte au pouvoir d'achat. On peut enfin augmenter la durée d'activité, donc celle des cotisations : c'est le choix qu'ont fait tous nos partenaires européens.
Les réformes de 1993 et 2003 ont déjà permis l'alignement progressif des régimes de la fonction publique et du secteur privé, notamment en ce qui concerne la durée des cotisations. Bien que la réforme des régimes spéciaux ne nécessite pas de vote et puisse être réglée par simple décret, vous avez choisi – et je m'en félicite, monsieur le ministre – d'en débattre avec le Parlement et de consulter nos partenaires sociaux.
Dans son rapport de septembre 2006, la Cour des Comptes a mis en évidence les avantages spécifiques dont bénéficient les retraités des régimes spéciaux, notamment en matière de calcul des pensions. La durée de cotisation est moindre, puisque les régimes spéciaux n'ont pas été concernés par la réforme de 2003 : elle est encore de 37,5 années. L'âge de départ à la retraite est plus précoce. Pourquoi ne pas permettre à ceux qui le souhaitent de travailler plus longtemps ?
Comment en sommes-nous arrivés là ? Les régimes spéciaux ont été créés autrefois pour compenser la pénibilité, la dangerosité ou la spécificité de certains métiers. Aujourd'hui, les conditions de travail ont évolué et ces régimes sont en général très déficitaires et mal compris par la majorité des Français. Ils concernent 1,6 million de personnes, dont 500 000 cotisants et 1,1 million de retraités, et représentent 6 % du montant total des pensions versées ; l'État doit débourser chaque année au moins 5 milliards d'euros afin de les amener à l'équilibre budgétaire.
Il faut donc réformer ces régimes, dans la concertation, afin d'assurer le financement des retraites, avec le souci de l'égalité et de la reconnaissance du travail de tous. Bien entendu, il faudra prendre en compte la pénibilité du travail, mais pour tous les salariés, en adaptant les conditions d'accès à la retraite, en fonction notamment des espérances de vie par catégorie socioprofessionnelle.
Il a fallu dix ans pour installer la réforme de 1993, cinq pour celle de 2003. Il faut donc prévoir un délai raisonnable pour mettre en place cette nouvelle réforme – peut-être à nouveau cinq années. En outre, une réforme globale des systèmes de retraite devra permettre de revaloriser les petites retraites et le minimum vieillesse.
Je sais, monsieur le ministre, que cette réforme est difficile à mettre en place ; mais elle est attendue par les Françaises et les Français au nom de l'égalité et de la responsabilité dont nous devons faire preuve afin d'assurer le financement de notre système par répartition. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, ce débat sur les régimes spéciaux de retraite est-il illégitime ? Non, assurément : chacun sait que le financement à long terme de certains d'entre eux est sujet à caution et que les conditions de travail ont évolué.
Encore faut-il ne pas se laisser aller à un discours de nature à culpabiliser leurs bénéficiaires, en oubliant de considérer l'ensemble des éléments qui composent leur statut, comme, par exemple, le rapport entre le temps de travail et le salaire ou les spécificités de certains de ces métiers qui ont un jour justifié la mise en place des régimes spéciaux et qui ne sont pas aujourd'hui nécessairement caduques.
Encore faut-il aussi ne pas monter les salariés les uns contre les autres, et je ne crois pas qu'il soit du rôle de la représentation nationale de comparer les conducteurs de TGV aux ramasseurs d'oeufs.
Encore faut-il, surtout, se garder des idées simples, voire simplistes, comme des amalgames qui laisseraient accroire que la question du financement du régime général pourrait être réglée par la remise en cause de ces avantages acquis. Il convient en effet de le rappeler : les régimes spéciaux représentent seulement 6 % du montant des retraites pour environ 500 000 cotisants – chiffre à rapprocher des 16,7 millions de personnes soumises au régime général. Les remettre en cause semble dérisoire, sauf à vouloir donner à cette réforme valeur de symbole.
Le Gouvernement motive sa réforme par sa volonté d'équité entre tous les Français. Si tel est le cas, faut-il vraiment commencer par remettre en cause les régimes spéciaux ? Ne devrions-nous pas maintenir des dispositifs spécifiques à certaines professions, sachant que, à soixante ans, l'espérance de vie d'un ouvrier est inférieure de cinq ans à celle d'un cadre de l'industrie, et de sept ans et demi à celle d'un cadre de la fonction publique ?
La probabilité de décéder entre trente-cinq et soixante ans est de 16 % pour un ouvrier, contre moins de la moitié pour un cadre. L'espérance de vie à soixante ans pour un ouvrier de sexe masculin, qui était en moyenne de seize ans environ sur la période 1960-1969, est passée à dix-sept ans sur la période 1982-1996, soit un an de plus ; celle d'un cadre ou d'une profession libérale du même sexe est passée sur la même période de dix-neuf ans et demi à vingt-deux ans et demi, soit trois ans de plus. Chacun le sait : la durée de la retraite n'est pas la même suivant la nature et l'environnement de l'activité exercée, ce qui nécessite, à défaut d'un régime spécial – puisque le terme semble vous gêner –, un traitement spécial.
Le dispositif à venir devra donc faire la part juste entre le système par répartition, auquel nous sommes attachés, qui s'appuie sur la solidarité nationale et doit être harmonisé au maximum, et la prise en compte des spécificités réelles de certaines activités.
À cet égard, la question de la pénibilité mérite d'être posée à l'aune de l'espérance de vie. Admettons qu'un métier puisse être pénible sans pour autant influer sur la durée de la vie : il convient alors d'améliorer les conditions de travail afin que les personnes aient envie de rester plus longtemps. Or, compte tenu de la pénibilité de leur travail, des risques de se retrouver sans emploi et de leur impatience à partir en retraite, l'essentiel des salariés de cinquante-cinq à soixante ans n'ont aujourd'hui pas envie que leur période d'activité soit prolongée de trois à cinq ans.
En revanche, si la pénibilité du travail a un effet à long terme sur la santé, elle peut légitimer un départ anticipé à la retraite.
Des chercheurs ont ainsi identifié trois types de circonstances qui, répétées au cours d'une vie active, peuvent réduire la durée de vie et donc le nombre d'années passées en retraite : le travail de nuit, les efforts physiques très violents et les expositions aux toxiques cancérogènes – qui ont parfois un temps de latence très long.
Monsieur le ministre, vous souhaitez parler des régimes spéciaux, mais vous ne dites rien du scandale des retraites « chapeau » et des stock-options, qui, comme cela vient d'être dit, bénéficient aux grands patrons pour 3 milliards d'euros !
J'en ai parlé ce matin encore !
Vous nous dites, monsieur le ministre, que certains employeurs pratiquent des retraites « couperets ». Mais, tandis que vous remettez franchement en cause les régimes spéciaux, vous remettez comme d'habitude à plus tard, à une commission ou à une discussion, les mesures qui permettraient de mettre un terme à ces agissements.
Vous vous trompez : cela figure dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale !
Contrairement à vos affirmations, votre positionnement est purement idéologique : vous en faites une affaire de principe.
Vous vous trompez !
Alors, puisque nous en sommes aux principes, je conclurai en vous posant une question : évoquant les questions de santé, de dépendance et de solidarité, le chef de l'État a clairement indiqué que sa solution consistait à recourir davantage aux assurances privées et aux placements financiers individuels ; est-ce la même issue que vous réservez au financement des retraites, tandis que vous distrayez notre attention avec un débat sans vote…
Et que vous ne proposez aucune solution !
…pour éviter d'avoir à préciser vos intentions ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et quelques bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Monsieur le ministre, à quoi sert cette discussion sur les régimes spéciaux de retraites si tout est déjà décidé ? (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Pourquoi ne faites-vous jamais aucune proposition ?
Pensez-vous qu'un débat d'à peine plus de deux heures suffise pour traiter d'un sujet aussi important que celui des retraites ? Pour ceux qui entretenaient encore quelques illusions sur une éventuelle revalorisation du Parlement, voilà une démonstration supplémentaire de l'hyperprésidentialisme que vous installez !
Monsieur le ministre, vous essayez de vous draper dans les habits du réformateur. Les Verts aussi pensent que les réformes sont nécessaires ; mais il ne suffit pas d'en parler, il faut les réussir ! Et pour cela, nous sommes convaincus qu'il faut négocier, et non se contenter de brandir devant l'opinion des symboles, ainsi que vous le faites. Commencez par dire la vérité ; et la vérité, c'est que ces fameux régimes spéciaux répondaient, lorsqu'ils ont été négociés, à des besoins spécifiques.
Bien sûr, certaines situations ont évolué et les conditions de travail ont pu s'améliorer, ce qui peut conduire à des changements de régime, mais ceux-ci doivent être discutés secteur par secteur, parce qu'ils méritent autre chose qu'une mesure autoritaire et générale. Il est du reste étonnant que vous imposiez cette méthode de gouvernement alors même que vous l'aviez dénoncée à propos des 35 heures, mesure qui avait pourtant suscité des négociations comme jamais auparavant dans les entreprises et dans les branches sur l'organisation du travail.
Le devoir de vérité devrait également vous amener non seulement à refuser des mesures aveugles mais également à ne pas vous focaliser sur les régimes spéciaux afin de regarder la diversité des situations dans l'ensemble des secteurs de notre économie, à l'intérieur parfois d'une même entreprise. Vous évoquez souvent la SNCF : on sait que la pénibilité du travail n'est pas la même pour un conducteur de TGV, un conducteur de TER ou un conducteur de RER en banlieue, lequel est soumis à des surcharges, à des pannes de matériel vétuste, sans oublier l'agressivité de certains voyageurs. Croyez-vous également que la pénibilité, voire la dangerosité ait disparu pour un cheminot chargé de l'entretien des voies, qui travaille en permanence dehors et monte sur des échelles afin de réparer des caténaires ? (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Que dire de la différence constatée entre les espérances de vie des ouvriers et des cadres, notamment entre les ouvriers du bâtiment et d'autres employés dont les conditions de travail sont plus correctes ? S'il est juste de modifier les régimes spéciaux de retraite lorsque les conditions de travail se sont vraiment améliorées, il serait tout aussi juste de tenir compte des conditions de travail dégradées qui existent dans d'autres secteurs de l'économie. À partir du moment où vos prétendues réformes sont à sens unique, nous pensons qu'il ne s'agit ni plus ni moins que d'une régression.
Dans le fond, je ne suis guère étonné que vous refusiez de prendre en considération les situations réellement vécues par les salariés aujourd'hui puisque votre politique n'est pas guidée par l'idée du progrès social – vous l'avez reconnu, monsieur le ministre –, mais par une seule motivation : réduire le coût de la protection sociale afin de pouvoir accorder des cadeaux fiscaux aux plus riches. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Monsieur Méhaignerie, si vous écoutez ma démonstration, vous verrez qu'en effet tout se tient !
Car, à partir du moment où vous mettez le doigt dans cet engrenage fatal pour la protection sociale, rien ne pourra suffire ! Vous commencez par creuser les déficits…
Vous pouvez nous respecter !
Vous n'acceptez pas qu'on mette le doigt sur vos contradictions !
Vous commencez donc, au mois de juillet, par creuser les déficits – ceux de la protection sociale comme ceux de l'État – en accordant des cadeaux fiscaux, et, ensuite, vous criez à la faillite !
Comment, dès lors, n'aurions-nous pas du mal à vous croire ? Reconnaissez que vous êtes peu crédibles aujourd'hui dans le rôle de pompiers après vous être comportés hier en pyromanes ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Je rappelle que vous êtes allés jusqu'à intégrer la CSG dans le bouclier fiscal, monsieur Méhaignerie, CSG que vous aviez soutenue, je crois, lorsqu'elle a été proposée par le Gouvernement de Michel Rocard,…
…et qui était un moyen de faire contribuer à la protection sociale d'autres sources de financement que les salaires. Vous n'auriez donc jamais dû accepter une telle intégration si vous vouliez vraiment protéger les ressources de financement de la protection sociale.
Et ne me dites pas que la question de la fiscalité n'est pas liée à celle de la protection sociale, puisque c'est vous qui imaginez d'augmenter la TVA, l'un des impôts les plus universels, pour financer la baisse des cotisations sociales ! Tout se tient, je le répète !
Si vous étiez vraiment préoccupés par le maintien à long terme de notre système de retraite par répartition, vous accepteriez de traiter la question de son financement de façon ouverte et négociée. Vous n'auriez pas peur de discuter avec les salariés et leurs représentants. Vous n'auriez pas peur de prendre le temps d'explorer toutes les possibilités.
Je prendrai un autre exemple en relation avec la loi votée au mois de juillet sur les cadeaux fiscaux. Pourquoi ne pas parler de la création d'emplois et de la réduction du chômage pour contribuer à rééquilibrer le financement des retraites ? Or vous avez choisi de favoriser les heures supplémentaires au détriment de la création d'emplois,…
…allant jusqu'à les exonérer de cotisations, privant ainsi de nouvelles ressources le système de protection sociale !
C'est faux ! La compensation existe ! Elle a été votée !
C'est ce que vous dites, mais le système de protection sociale reste déséquilibré. Depuis cinq ans que vous gouvernez, les déficits tant de l'État que de la sécurité sociale n'ont jamais été aussi importants ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Je le répète : nous pensons nous aussi que des réformes sont nécessaires (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire),…
…mais, à nos yeux, il est indispensable de ne pas squizzer les négociations. C'est une question d'honnêteté et de respect autant que d'efficacité car les réformes seront acceptées si elles sont justes et elles seront justes si elles sont porteuses de progrès durables. C'est ce qu'on appelle les négociations gagnant-gagnant. Nous en sommes pour l'instant très loin ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Loin de fantasmer sur les retraites financées dans le cadre d'assurances privées, nous voulons conforter le régime de retraites par répartition car nous pensons que c'est le meilleur système pour les salariés. Nous voulons le défendre, non pas comme une sorte de relique d'un passé dont il faudrait rapidement tourner la page mais comme un système d'avenir car il est le seul à garantir la solidarité entre les générations. Si nous nous situons dans une telle optique, il nous appartient alors de débattre des moyens les plus justes et les plus efficaces de garantir son financement. Pour votre part, même si vous ne le dites pas ouvertement – vous avez même essayé de nous faire croire le contraire –, vous avez choisi : ce sera l'allongement de la durée de cotisation, l'âge du droit à la retraite repoussé à soixante-cinq ans et la baisse des pensions versées.
C'est faux !
Vous avez dit le contraire, mais à partir du moment où vous allongez la durée des cotisations et où vous repoussez l'âge de la retraite par des mécanismes de décote, vous baissez le montant des pensions versées. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
C'est faux !
Vous ne faites aucune proposition !
J'espère, monsieur le ministre, que vous me répondrez, contrairement à vos collègues du Gouvernement qui, chaque fois que nous leur posons des questions précises, s'énervent, ce qui est bien la preuve que nous les embarrassons : ils préfèrent ne pas répondre.
Si des salariés souhaitent travailler plus longtemps, ils le peuvent déjà, vous le savez très bien, et vous n'avez donc pas besoin de repousser l'âge de la retraite pour le leur permettre. Le maintien de la retraite à soixante ans est en revanche à nos yeux le meilleur garde-fou pour les personnes subissant des conditions de travail difficiles,
C'est pourquoi toute discussion sur la durée de cotisation doit avoir deux contreparties : la prise en compte de la pénibilité du travail et la garantie que le calcul des pensions versées assurera à chaque retraité un minimum qui devrait être au moins équivalent au SMIC, et non à 75 % ou 80 % de celui-ci.
De fait, vous cherchez, là aussi, à cacher aux Français que vos réformes successives des retraites, celle de 2003 comme celle que vous préparez pour 2008, dégradent progressivement le niveau des pensions – cela a été déjà démontré –, notamment pour les salariés ayant connu des périodes de temps partiel ou de chômage, ce qui se produit de plus en plus fréquemment aujourd'hui. Après avoir recréé le problème des travailleurs pauvres, vous allez recréer le problème des retraités démunis, lequel avait été progressivement traité depuis 1981.
Ça alors !
Il suffit de regarder la courbe du pouvoir d'achat des retraités depuis 1981 !
Nous voulons poser la question des ressources et des cotisations. Combien de temps allez-vous continuer à diminuer peu à peu ce que vous appelez – ce n'est pas innocent – non pas les cotisations mais les charges ? Soyons clairs : il ne s'agit pas pour nous de proposer de taxer toujours davantage les classes moyennes comme vous le faites déjà avec les franchises médicales ou vous apprêtez à le faire avec les futures hausses de la TVA, de la CSG et de la CRDS, mais combien de temps encore allez-vous cacher aux Français le fait que des revenus importants ne contribuent absolument pas au financement de la protection sociale ? Parlons par exemple des stock options ! Ne me dites pas que les soumettre aux cotisations sociales serait irréaliste ou irresponsable puisqu'une telle mesure fait partie des propositions de la Cour des comptes présidée par Philippe Séguin,…
…lequel n'est ni un dangereux gauchiste ni un archaïque, pour reprendre le mot employé à mon égard par M. Méhaignerie.
Monsieur le ministre, plutôt que de nous resservir un énième discours désignant certains salariés à la vindicte des autres, répondez à nos questions sur les mesures que vous préparez pour le régime général des retraites. N'attendez pas que les élections municipales soient passées ! Les Français ne sont pas dupes. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. – Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question de l'existence et de l'avenir des régimes spéciaux hante le débat politique français depuis plus de soixante ans, puisqu'elle a fait l'objet de grands débats à la Libération. Il convient en effet de le rappeler : le Conseil national de la Résistance était favorable à l'idée d'un grand régime unique. Du reste, le deuxième alinéa de l'article 17 de l'ordonnance du 4 octobre 1945, qui demeure le fondement du système actuel de sécurité sociale, mentionne bien le caractère provisoire des régimes spéciaux puisqu'il précise que « sont provisoirement soumises à une organisation spéciale de sécurité sociale les branches d'activités ou entreprises énumérées par le règlement général d'administration publique parmi celles jouissant déjà d'un régime spécial ». Il faut le rappeler, l'esprit de la Résistance, c'était le grand régime unique. C'est pourquoi, monsieur le ministre, mais j'y reviendrai puisque c'est la thèse que le Nouveau Centre développe, j'espère bien que nous irons dans cette direction.
Toutefois, quelques rares régimes ont déjà entamé leur réforme, tout récemment celui de la Banque de France, ou encore celui de la Chambre de commerce. En 1993, la réforme Balladur avait prudemment exclu de son champ les régimes spéciaux et le fait que le plan Juppé, en 1995, ait exclu le volet retraite, notamment des régimes spéciaux, sous la pression des manifestations, explique que la réforme Fillon de 2003 ait une nouvelle fois exclu les régimes spéciaux. À l'époque, la famille centriste avait proposé d'intégrer les régimes spéciaux dans la réforme Fillon que nous avons soutenue, mais elle n'avait pas été écoutée.
Le gouvernement actuel a le courage de lancer la question des régimes spéciaux : il doit en être remercié, et le débat de ce matin est utile. Au nom du Nouveau Centre, je souhaite faire au Gouvernement deux grandes propositions sur le fond et une sur la forme.
La première proposition sur le fond consiste, monsieur le ministre, à annoncer clairement qu'il faut mettre en extinction l'essentiel – pas tous, j'y reviendrai – des régimes spéciaux. Or le Gouvernement semble hésiter à poser clairement comme objectif une telle extinction.
Quatre raisons de fond plaident pourtant en ce sens.
La première raison est d'ordre politique. L'actuelle majorité présidentielle s'y est en effet engagée. À Paris, le 14 janvier 2007, lors de la campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy a appelé à une République qui mette « les retraités des régimes spéciaux à égalité avec ceux du secteur privé et de la fonction publique ». De plus, le contrat de législature 2007-2012, auquel ont souscrit tous les élus de la majorité présidentielle, mentionne qu'il est nécessaire de « réformer les régimes spéciaux de retraite dans un souci de justice et d'équité afin que chacun prenne sa juste part de l'équilibre des régimes de retraite ».
Pour la première fois depuis 1945, les Français nous ont mandatés pour que nous réformions l'ensemble des régimes de retraite, et en particulier les régimes spéciaux.
La deuxième raison tient aux évolutions de la société française. Les causes qui justifiaient l'existence des régimes spéciaux au cours de l'histoire ont, pour la plupart d'entre elles, disparu – pas toutes, c'est vrai. Ainsi, en ce qui concerne l'électricité et le gaz, le fait que la constitution, dans un cadre communautaire, de grands groupes internationalisés ait entraîné la transformation des deux établissements publics GDF et EDF en sociétés anonymes rend nécessaire une évolution du régime de retraite de leurs salariés. De même, M. le ministre l'a rappelé, le premier régime créé au XVIIe siècle a été celui des marins, en vue de rendre attrayante l'entrée dans la marine française : une telle justification est-elle encore valable ? Rappelons également que, si le régime des mineurs était très favorable, c'est qu'il s'agissait d'un travail très dur et qu'il fallait attirer la main-d'oeuvre vers les métiers de la mine. Or le coût élevé d'extraction du charbon français a entraîné la fermeture de toutes les mines de charbon françaises. Faut-il encore mentionner le petit régime des cheminots des chemins de fer d'intérêt secondaire, qui regroupe 200 ressortissants et n'a plus de cotisants ? L'évolution l'a fait lui aussi disparaître.
Les textes créant la Banque centrale européenne – nous l'avons déjà évoqué au moment de leur discussion – rendent impossible le maintien tel quel du régime de retraite des agents de la Banque de France.
L'évolution de l'organisation juridique des groupes, liée au mouvement de filialisation et au mouvement d'internationalisation, et indispensable si nous voulons disposer de groupes puissants, met en évidence la difficulté présentée par la coexistence de plusieurs régimes de retraite au sein des mêmes entreprises.
Certes, il demeure des régimes dont le maintien se justifie par des considérations constitutionnelles. C'est le cas des retraites des députés et sénateurs et des personnels des assemblées, en vertu du principe de séparation des pouvoirs. Reste que, là encore, j'y reviendrai, une chose est de les maintenir, une autre est de rétablir l'égalité, notamment entre ceux de nos collègues issus du privé et ceux issus du public. Il existe en effet une grave discrimination au sein des régimes de retraite des parlementaires puisque, pour le cas des députés, la moitié d'entre eux, grosso modo, proviennent des fonctions publiques.
Plus généralement, l'évolution des technologies ne justifie plus le maintien de certaines spécificités. On cite toujours le cas des « roulants » de la SNCF. Il était tout à fait justifié, du temps de la machine à vapeur, qu'ils partent à la retraite à l'âge de cinquante ans. Mais, aujourd'hui, comment expliquer aux chauffeurs de poids lourds, qui, usés, partent à la retraite à soixante ans, que les conducteurs de TGV prennent la leur à cinquante ans ? On voit donc bien que l'évolution des technologies remet en cause tout une série de traditions en la matière.
La troisième série de raisons pour lesquelles il faut aller vers le régime unique sont de nature financière. Tout d'abord, il faut rappeler que la survie d'une partie des régimes spéciaux n'est possible que grâce à la solidarité nationale. Ainsi, en 2005, 59 % des prestations vieillesse n'étaient pas financées par des cotisations mais par des ressources publiques – qu'il s'agisse des impôts d'État ou des compensations inter-régimes, les deux grandes compensations, générale et spéciale, en matière démographique. Si nous ne faisons rien, ce taux atteindra 70 %.
La partie de ces déficits prise en charge par le budget de l'État, partie qui ne représente qu'une partie des contributions, est de l'ordre de 5,1 milliards d'euros pour trois régimes : celui de la SNCF pour près de 3,3 milliards d'euros, aux termes du projet de budget 2008 ; celui des mines pour un milliard d'euros ; le régime des marins, enfin, pour 700 millions d'euros. Est-il juste de solliciter la solidarité nationale pour payer un différentiel de prestations entre le régime général – régimes complémentaires compris – et ces trois régimes spéciaux ? Telle est la question.
Ensuite, la plupart des entreprises publiques gestionnaires de ces régimes spéciaux devraient, en application des directives communautaires et des normes comptables internationales, les provisionner.
…très inférieurs à ces provisions, parfois dans des proportions considérables.
Si nous appliquions le droit comptable, au plus tard en 2007, puisque les entreprises publiques bénéficiaient d'une dérogation, nous mettrions la quasi-totalité d'entre elles en faillite.
Ainsi, la SNCF devrait provisionner 111 milliards d'euros. Or, quel est le montant de ses capitaux propres ? Ils s'élèvent à 5,9 milliards d'euros, d'où, d'ailleurs, le souhait exprimé par la présidente de cette société devant la commission des finances que les retraites soient garanties. Seulement, a-t-on le droit, du point de vue de l'équité, de garantir les retraites sans les réformer ? Deuxième exemple : à la RATP, le montant des engagements à provisionner est 23 milliards d'euros pour un total de 4,6 milliards d'euros de capitaux propres. EDF, aurait dû, pour sa part, avant le système d'adossement, provisionner environ 60 milliards d'euros pour un total de capitaux propres de 13,8 milliards d'euros. Enfin, pour ce qui est de Gaz de France, il aurait fallu provisionner 12,5 milliards d'euros, avant adossement ici aussi, pour des capitaux propres à hauteur de 9,2 milliards d'euros.
On voit donc bien que l'adossement, inventé pour EDF – à mon avis à tort –, n'est pas la bonne solution puisque consistant à « tronçonner » les prestations en trois parts : une pour le régime général, une pour le régime complémentaire et une pour le régime chapeau. Or comment finance-t-on le régime chapeau ? Vous savez de quelle manière on a procédé pour une bonne partie : en créant un nouvel impôt, voire en répercutant sur le consommateur le surcoût du régime. Si, dans le cadre des IEG, nous prenons le cas d'EDF, ce surcoût par rapport au régime général – auquel s'ajoute un régime complémentaire généreux négocié avec les partenaires sociaux – représente plus de 4 % de la facture d'électricité. Je rappelle ces chiffres car on discute là de sommes considérables.
La quatrième série de raisons tient à l'équité. Je souhaite, à cet égard, revenir sur certains propos du président de la commission. D'aucuns affirment que la mise à l'écart des régimes spéciaux des précédentes réformes était justifiée par la différence des durées de vie. Eh bien, chers collègues, quand on considère les statistiques, que constate-t-on ? L'espérance de vie des salariés du régime général est de 80,4 ans alors que celle des salariés de plusieurs régimes spéciaux est plus élevée. Ainsi les salariés de la SCNF vivent-ils en moyenne jusqu'à 81,8 ans, ceux de la Banque de France jusqu'à 82,2 ans et ceux de la fonction publique d'État jusqu'à 81,7 ans. Les seuls régimes spéciaux dont les salariés ont une espérance de vie inférieure à celle des salariés du régime général sont le régime des mineurs – 78,8 ans – et celui de la RATP – 79,3 ans.
Rappelons ensuite les chiffres de la durée moyenne de retraite par régime spécial. Elle est de 23,9 années pour les IEG, de 24,8 années à la RATP et atteint même 26,2 années à la SNCF, cependant que les salariés du régime général ne disposent, pour leur part, que d'une moyenne de 17,7 années. Encore faut-il préciser – comme le président Méhaignerie – que l'espérance de retraite de 17,7 années au sein du régime général – qui, je le rappelle, concerne les deux tiers des Français – recouvre un écart énorme entre les manoeuvres et les cadres supérieurs, si l'on prend les deux catégories extrêmes. En effet, un manoeuvre vit en moyenne sept ans de moins qu'un cadre supérieur.
Sept ans et demi !
Et même un peu plus, il est vrai : sept ans et demi. L'espérance de retraite d'un manoeuvre doit être de l'ordre de dix à douze ans ; durée à comparer avec celle d'un salarié de la SNCF, qui est de plus de vingt-six ans. On voit bien que c'est intenable en termes d'équité sociale !
Un phénomène dont personne n'a parlé jusqu'à présent aggrave cette situation. En effet, ce pays a monté des régimes spéciaux qui sont d'autant moins financés par l'effort contributif de leurs salariés que le régime est avantageux.
Ainsi, pour le régime général, auquel s'ajoutent les régimes complémentaires, les cotisations des salariés représentent en moyenne 40 %, et les cotisations des employeurs 60 %. Eh bien, à la Banque de France, où l'on bénéficie du meilleur de tous les régimes, les salariés ne cotisent qu'à hauteur de 13 % et ceux d'EDF n'assurent qu'autour de 15 % du financement de leur régime. Notre système de retraite paraît donc très simple : plus on jouit d'une retraite avantageuse en termes de niveau de prestations et d'âge de départ, moins on contribue à son financement, et plus on en fait supporter une partie du surcoût à la solidarité nationale. C'est le peuple français qui paie donc directement ou indirectement pour des positions dominantes ou de monopole – du type Banque de France.
On voit bien qu'il est intenable ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau Centre et sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Le premier message du groupe Nouveau centre est donc d'inciter le Gouvernement à établir un régime unique.
Le deuxième, monsieur le ministre – je serai très bref –, est de l'inviter à réformer ces régimes en voie d'extinction non sur un seul point, comme, semble-t-il, vous l'annoncez, mais dans leur ensemble.
Le groupe Nouveau Centre formule une troisième proposition concernant le fond, la méthode. Certes, une large concertation est nécessaire, car la réforme de ces régimes en extinction relève d'une négociation avec les partenaires sociaux régime par régime, afin de parvenir à des accords dans la durée. Je suis de ceux qui estiment qu'il faut une trentaine d'années, peut-être trente-cinq ans, pour harmoniser certains de ces régimes en cours d'extinction avec le régime général et les régimes complémentaires. Tous les nouveaux entrants seront soumis au régime général et aux régimes complémentaires négociés entre les partenaires sociaux, comme c'est aujourd'hui le cas pour deux tiers des Français.
Enfin, s'agissant de la méthode, nous nous interrogeons sur ce que vous nous proposez. Nous nous inquiétons, en effet, de la déconnexion entre la première phase et les discussions sur la grande réforme, prévues pour le printemps prochain. Nous souhaitons, monsieur le ministre, que le Gouvernement soutienne clairement que, si quelques améliorations doivent être apportées aux régimes spéciaux, il ne s'agit que d'une étape vers la grande réforme générale…
…qui doit concerner tous les problèmes de cotisations, c'est-à-dire le mode de financement, les calculs des prestations, leur harmonisation, et cela même s'il faut une génération pour y parvenir. Que cette direction soit au moins affirmée.
Voilà, chers collègues, les positions claires, il est vrai, et, je crois, pleines de sagesse, défendues par le groupe Nouveau centre. (Applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau Centre et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Déclaration du Gouvernement et débat sur cette déclaration
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures quarante, est reprise à onze heures cinquante.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est quoi, un régime spécial ? C'est, le plus souvent, un régime qui est intégré à la vie de l'entreprise. C'est à ce critère que le reconnaissent aussi bien ses bénéficiaires que l'ensemble de nos concitoyens. C'est aussi un régime qui, le plus souvent – et là encore, cela correspond à la perception de nos concitoyens –, permet de partir en retraite plus tôt. Je crois qu'il est important, dans ce débat, de poser des questions simples comme celle-ci.
S'agissant du premier point, il faut constater que beaucoup de chemin a été fait au cours de ces dernières années. En ce qui concerne la SCNF, par exemple, le décret du dernier a créé une caisse de retraite autonome de la SNCF ayant le statut d'établissement public. Un certain nombre d'inquiétudes s'étaient manifestées quant à la viabilité des entreprises concernées par les régimes spéciaux et leur compatibilité aux normes IFRS qu'évoquait l'orateur précédent. Ce problème a été pour une bonne part réglé. Ce n'était pas un mince enjeu. Cela a pu se faire paisiblement et utilement.
Et puis, ce qui, dans un régime spécial, est l'essentiel aux yeux de tous nos compatriotes, c'est qu'il permet de prendre sa retraite plus tôt que les autres. Cela pose la question de l'équité, comme vous l'avez dit, monsieur le ministre.
C'est la question de la justice sociale qui est posée.
Comme vous le dites, du point de vue de l'équité, de la justice sociale, il n'y a pas de raison que, au moment où d'autres régimes de retraite évoluent, seuls les régimes spéciaux n'évoluent pas. Alors oui, on doit soutenir et accompagner votre démarche, ouverte à la concertation et exigeante quant aux résultats, ces résultats s'appréciant au point de vue de l'équité et de la justice sociale comme à ceux de l'efficacité des entreprises et de la sauvegarde des finances publiques.
Vous avez proposé une convergence vers le régime de la fonction publique. La question que je souhaitais principalement vous poser, monsieur le ministre, est celle de la réalité de la réforme. Car si je comprends et j'approuve que vous lanciez ce mouvement rapidement – nous nous y sommes engagés –, encore faut-il que l'on aboutisse, et à cet égard les propos que vous avez tenus hier au Sénat m'ont plutôt rassuré, à une réforme dont le contenu soit bien au rendez-vous.
Soyons clairs. Quand les régimes de la fonction publique ont été réformés, certaines catégories sont restées largement en dehors de la réforme. Quand, dans le régime général, la durée de cotisation passe de 37,5 ans à 40 ans, demain à 41 ans, après-demain à 42 ans, certains Français sont plus égaux que d'autres et font 42 ans de carrière en 35 ans, voire en 30 ans.
La réforme du régime de la fonction publique a maintenu des bonifications de carrière et des anticipations d'âge pour certaines situations professionnelles, concernant par exemple les douaniers ou les policiers.
Ma question est donc simple : ce sujet sera-t-il complètement et réellement ouvert dans le débat sur les régimes spéciaux ? C'est tout à fait essentiel. Vous l'avez évoqué dans votre propos. Cela me paraît le point central. Car la question posée par les Français, ce n'est pas seulement celle de la durée de cotisation théorique, c'est aussi celle de la durée réelle. Je le répète, on a présenté la réforme des régimes de la fonction publique comme répondant à l'exigence que tous aient une durée de cotisation égale – en l'occurrence 40 ans, et après-demain 42 ans –, mais certains voient le montant de leur retraite calculé sur 42 années alors qu'en réalité ils auront cotisé 35 ou 30 ans. Vous l'avez très bien dit ce matin, monsieur le ministre, le sujet de la pénibilité ne doit pas se réduire à cette question des bonifications,…
C'est dommage, monsieur le président, parce que M. Mariton est en train de cracher le morceau ! Laissez-lui cinq minutes de plus !
…mais cette question des bonifications est essentielle. Et si, monsieur le ministre, les négociations qui vont s'engager dans les entreprises ne règlent pas bien cette question des bonifications et de la pénibilité, cela serait abîmer, demain, le débat sur la pénibilité dans la réforme à venir du régime général. Je voulais, à l'occasion de mon propos, me concentrer sur ce point, car je crois qu'il est tout à fait central. Il y a aujourd'hui une grande inégalité du point de vue de la manière dont on arrive à la durée de cotisation théorique nécessaire pour la retraite. Ce que je souhaite est au fond assez simple, c'est que la réalité corresponde à la théorie, et que 42 ans, cela se fasse en 42 ans, pour tous nos concitoyens, qu'ils soient salariés du privé, fonctionnaires, ou agents d'une entreprise soumise à un régime spécial. Il n'y a pas de raison que 42 ans se fassent en 30 ou en 35 ans. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, à moins de se réfugier dans l'idéologie ou le corporatisme, qui sont tous les deux d'un autre âge, et à moins de prétendre nier le principe même de réalité, plus personne aujourd'hui ne peut sérieusement contester la légitimité et l'opportunité d'une réforme des régimes spéciaux de retraite.
D'ailleurs, l'opinion publique, avec la sagesse et le bon sens qui la caractérisent, et qui devraient toujours nous inspirer sur ces bancs, nous réclame cette réforme avec insistance.
Plusieurs raisons de fond imposent en effet cette rupture.
En premier lieu, notre système de protection sociale, qui reposait à l'origine, dans le consensus politique de l'après-guerre, sur les principes de généralité et d'uniformité, s'est tellement diversifié, notamment en matière d'assurance vieillesse, qu'il est devenu une mosaïque dans laquelle même les plus avertis ont du mal à se retrouver. Il convient donc de redonner à notre protection sociale, et notamment à notre assurance vieillesse, la cohérence qui lui fait cruellement défaut.
J'ajoute que je n'entends jamais personne oser sérieusement contester le caractère unique et indivisible de la République tel qu'il est inscrit dans notre Constitution.
En deuxième lieu, de très nombreux régimes spéciaux de retraite sont des survivances du passé, des statuts spécifiques créés à une certaine époque pour répondre notamment, mais pas seulement, à la pénibilité de certains métiers. Nul ne peut aujourd'hui contester que les évolutions techniques et juridiques qui sont intervenues depuis un demi-siècle ont, fort heureusement pour les travailleurs concernés, modifié la substance même et la difficulté de leurs activités.
En troisième lieu, l'allongement régulier de la durée de la vie a radicalement transformé nos comportements psychologiques et sociaux, nos habitudes et, plus généralement, nos modes de vie. Il faut naturellement en tirer toutes les conséquences pour l'organisation de nos régimes de retraite, ainsi que pour l'équilibre financier de ceux-ci.
Enfin, dans un contexte économique et social souvent difficile, l'équité est plus que jamais nécessaire. Et bon nombre de nos concitoyens n'acceptent plus aujourd'hui les importantes distorsions entre les différents régimes, qu'elles portent sur la durée de cotisation ou sur le montant des prestations versées. La situation des retraités de l'agriculture, du commerce ou de l'artisanat est à cet égard très révélatrice, et justifie pleinement la formule du Président de la République selon laquelle il existe aujourd'hui des régimes spéciaux de retraite qui ne correspondent pas à des métiers forcément pénibles, et il existe des métiers pénibles qui ne correspondent pas à un régime spécial de retraite.
Telles sont les raisons, monsieur le ministre, qui expliquent le soutien de notre majorité à votre projet de réforme des régimes spéciaux. Ce soutien est d'autant plus affirmé et résolu que votre démarche et vos propositions s'adosseront, comme vous l'avez indiqué tout à l'heure, à une concertation large et très ouverte avec l'ensemble des partenaires sociaux. C'est en effet de cette manière que le fond et la forme pourront se rejoindre.
La légitimité d'une réforme souhaitée par la grande majorité de nos concitoyens et la volonté du Gouvernement d'y associer réellement toutes les parties concernées doivent nous permettre de dégager pour l'avenir un corps de règles qui conciliera la justice sociale, la simplification juridique, l'efficacité économique et, en fin de compte, le maintien de notre système d'assurance vieillesse lui-même. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai bien écouté tout ce qui s'est dit ce matin et tout ce que disent depuis de nombreuses semaines, depuis la campagne électorale, le Gouvernement, le Président de la République et le Premier ministre – s'il existe…
Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Oui, il existe !
Si l'opposition existait, ce serait bien aussi !
J'aimerais bien !
Parfois, on le voit passer…
Tous ces braves gens nous disent qu'ils sont soucieux d'équité, et même de justice sociale. Ce matin même, le ministre rappelait sur les chaînes de télévision qu'il avait une logique de justice sociale : suppression des privilèges. Je me souviens qu'en son temps, une autre Assemblée nationale avait, une nuit du 4 août, supprimé les privilèges. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) C'était un grand moment de la République.
Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Oh !la la !
L'intention serait louable – car il va de soi que je suis favorable à l'équité et à la justice sociale – si cette démarche ne cachait pas, en fait, sa vraie finalité, qui est, vous le savez bien, monsieur le ministre, de protéger les vrais privilégiés en France.
Les vrais privilégiés, ce ne sont pas ceux qui disposent de régimes de retraite spéciaux, qui sont souvent les conséquences d'autres désavantages.
Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Lesquels ?
Les vrais privilégiés, ce sont ceux que vous avez aidés encore plus cet été en leur faisant des cadeaux fiscaux intolérables et immoraux. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Vous avez, cet été, donné encore plus à ceux qui ont déjà beaucoup, et vous ne pouvez pas le nier : tous les Français qui regardent, qui écoutent et qui souffrent le savent.
Comme les ouvriers qui peuvent maintenant faire des heures supplémentaires ?
Pour faire passer la réforme, la suppression de ces régimes spéciaux, vous utilisez une tactique vieille comme le monde : vous opposez les uns aux autres, le peuple à lui-même, les salariés entre eux. (« Non ! » et protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Mais si ! Pendant ce temps-là, bien sûr, on ne parle pas des vrais privilégiés. Depuis deux heures, je parle des stock-options, mais le ministre – même quand il n'est pas en train de discuter, comme en ce moment – ne m'entend pas et je crains fort qu'il ne me réponde pas sur ce point.
Il faut tout remettre à plat, plusieurs de nos collègues l'on dit. Ainsi, la réforme de 2003 a augmenté le nombre de petites retraites dans notre pays.
C'est faux !
Démontrez-le !
Monsieur le ministre, un million de retraités vivent aujourd'hui sous le seuil de pauvreté.
Démontrez-le !
Plus les années passent, et plus il y a, en France, de retraités pauvres, de retraités qui vont aux Restaurants du coeur.
L'Observatoire national de la pauvreté dit le contraire !
Je vois, dans ma ville, de nouveaux retraités nouveaux qui fréquentent les Restaurants du coeur, à cause de leurs petites retraites.
Un député du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. C'est la gauche qui a fait ces pauvres !
Comment peut-on vivre aujourd'hui en France avec quelques centaines d'euros ? C'est impossible. Mais de cela, vous ne parlez pas. Si l'on doit faire une réforme des retraites, il faut tout mettre à plat…
…et éradiquer ce mal français qu'est la situation des retraités pauvres, à laquelle vous n'apportez, évidemment, aucune solution.
Monsieur le ministre, ma question est simple : qu'allez-vous faire pour lutter contre le fléau des retraités pauvres ? J'ai bien peur que vous ne fassiez rien, puisque vous avez commencé par faire 15 milliards de cadeaux fiscaux.
Qu'allez-vous faire, par exemple – car c'est là un domaine qui m'est cher et que je suis de près –, pour permettre aux victimes de l'amiante de partir en retraite avec l'ACAATA ? Aujourd'hui, en effet, elles ne partent pas, parce que le montant de leur retraite est trop faible.
Donc, monsieur le ministre, j'attends, j'espère…
Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Hors sujet !
Il ne me semble pas hors sujet de mettre en balance ce que vous appelez un avantage de régime social et vos cadeaux fiscaux.
Monsieur Roy, veuillez vous en tenir à votre propos, car votre temps de parole s'écoule.
Il n'est pas hors sujet de parler du montant que perçoivent les retraités pauvres.
Ce week-end, j'irai assister à de nombreux repas d'anciens et tous les retraités me diront : « Monsieur le député, on compte sur vous ! » Eh bien, je peux vous dire qu'ils peuvent compter sur moi et sur mes amis pour défendre les retraités pauvres de notre pays.
Je conclurai d'un mot : si la droite se précipite, c'est vers le précipice social. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine. – Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Au terme de ce débat, je tiens à vous remercier, monsieur le ministre. Je ne m'associerai pas – et ils ne m'en tiendront pas rigueur – à mes collègues de l'opposition qui ont regretté la forme de ce débat. Je crois au contraire…
Ce n'est pas un débat : c'est une causerie ! Pour qu'il y ait débat, il faudrait qu'il y ait un vote !
Pas du tout !
Ça ne vous a pas empêché de prendre la parole ce matin, mon cher collègue ! J'en conclus que l'exercice même qui nous a été proposé a suscité un certain intérêt.
Puisque nous sommes parvenus aux cinq dernières minutes, et, même si, à la différence de ce que proposait la télévision voici quelques années, ce n'est pas maintenant que nous aurons la clé de l'énigme, je reviendrai sur quelques points pour affirmer mon soutien de principe à la réforme que vous engagez et dire que je souscris à la majorité des remarques formulées ce matin par mes collègues – y compris d'ailleurs, et j'y reviendrai, par certains collègues de l'opposition.
En premier lieu, la question de la pérennisation du financement du système de retraites, qui est l'un des objectifs de cette réforme, est assurément technique, comme l'a illustré l'exposé détaillé de Charles de Courson sur ce sujet.
Se pose également le problème d'une distribution plus équilibrée des richesses dans notre pays.
Les équilibres à trouver sont donc de deux types. Le premier équilibre est celui qui doit être instauré entre ceux qui cotisent et ceux qui perçoivent des cotisations de retraite ; le deuxième est celui qu'il nous faut trouver pour remédier à l'organisation aujourd'hui insatisfaisante de la production et de la conservation des richesses. Je le dis franchement : je fais partie de ceux qui ne sont pas effrayés par l'encadrement, voire la fiscalisation, des stock-options. Il faudra que nous en venions à un système de ce genre, comme le préconise le Premier président de la Cour des Comptes.
Je ne sais pas si c'est l'ouverture, cher collègue. Chez moi, cette conviction est ancienne.
Il faudra donc trouver une solution non seulement à la question de l'équilibre entre capitalisation et répartition, mais également à celle de la fiscalisation des richesses qui y échappent aujourd'hui.
Se pose en deuxième lieu la question de l'équité, qui est également importante. Il ne me semble pas que le Gouvernement ait l'intention – ce n'est en tout cas pas la mienne, ni celle de mes collègues qui siègent de ce côté-ci de l'hémicycle – de fustiger ou de montrer du doigt les allocataires des régimes spéciaux. Je constate néanmoins, comme nous le faisons tous, que ces régimes suscitent chez un grand nombre de nos concitoyens une très grande incompréhension, voire un sentiment d'injustice, que nous devons aussi traiter comme il convient. C'est donc là pour moi une deuxième raison d'être pleinement favorable à cette réforme.
J'évoquerai en troisième lieu, monsieur le ministre, la pénibilité, qui a été abordée ce matin par de nombreux orateurs. Je suis sensible notamment aux propos de M. Jacquat, qui a souligné, si je puis les résumer ainsi, que cette notion était très difficile à cerner. Je conclurai donc en complétant cette analyse.
Tout d'abord, on considère habituellement que la pénibilité est principalement liée à des critères physiques – qui sont, je le rappelle, le bruit, le travail de force ou l'exposition à des produits chimiques, c'est-à-dire de critères objectifs et quantifiables sur lesquels il est sans doute possible de s'entendre pour définir de manière concertée des indicateurs. Certes, il arrive qu'on ne parvienne pas à s'entendre,…
…mais du moins la matière permet-elle, de par sa nature, de trouver un accord objectif.
S'il n'y a pas lieu de remettre en cause ces critères, il faut toutefois observer qu'ils sont issus d'un monde et d'une organisation du travail marqués par la prédominance de l'industrie. Or nous constatons tous que, dans un monde dominé par le service et où l'importance des métiers des services à la personne est appelée à croître – que ces métiers des services relèvent, d'ailleurs, de la fonction publique ou du secteur privé –, l'univers du travail est devenu, et c'est un chef d'entreprise qui vous le dit, extrêmement brutal. Certains types de métiers, comme l'enseignement ou l'éducation spécialisée, le travail des forces de l'ordre et de tous ceux qui assurent notre sécurité, sont non seulement générateurs de stress, mais ils sont également des mines à dépression, et parfois, hélas, pis encore.
Pour terminer, monsieur le président, je souscris volontiers à l'analyse que formulait Gérard Lasfargues dans une étude d'avril 2005 pour le Centre d'études de l'emploi : « Tous les éléments de précarisation des parcours professionnels, en particulier les périodes de chômage, la précarisation contractuelle, le temps partiel imposé ont des effets clairs sur la santé. » J'ajoute aux propos de M. Lasfargues qu'aujourd'hui, même dans le monde du service et les métiers de la relation à la personne, la nature même du travail produit une fragilisation, une atteinte à la qualité de la vie et, de ce fait, de la pénibilité.
Je souhaite, monsieur le ministre, que, lorsque les partenaires sociaux et les représentants des entreprises se réuniront, comme prévu, le 13 novembre prochain, ils fassent de la pénibilité un thème de travail. Je suis prêt, quant à moi, à travailler sur ce thème en tant que de besoin et ferai partie des membres de la commission des affaires sociales qui soutiendront votre réforme. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Monsieur le président de l'Assemblée nationale, monsieur le président de la commission des affaires culturelles et sociales, mesdames et messieurs les députés, le débat est d'importance. Le fait, monsieur le président, que vous ayez été présent durant tout ce débat montre bien qu'il s'agissait là, aux yeux de la représentation nationale, d'un rendez-vous essentiel. Je tiens donc à vous redire ma reconnaissance. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Je voudrais également remercier Denis Jacquat pour le soutien qu'il a apporté tout à l'heure la démarche du Gouvernement, mais aussi et surtout, permettez-moi de le dire, pour avoir formulé, outre des remarques, des propositions – lesquelles, je le regrette profondément, n'ont pas été légion dans ce débat. Vous avez notamment formulé, monsieur Jacquat, des propositions sur ce que pourrait être le contenu de la réforme des régimes spéciaux.
Je suis venu devant vous ce matin pour vous rendre compte précisément, personnellement, sans passer par d'autres sources d'information – ni même par la presse –, de l'état des discussions avec les partenaires sociaux, mais aussi pour connaître, à ce point d'étape, votre vision des choses. C'est désormais plus clair pour ce qui vous concerne et grâce à vous, monsieur Jacquat, même s'il faut reconnaître que ce l'est moins pour d'autres – j'aurai l'occasion d'y revenir. (Exclamations sur quelques bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.) Il n'y a rien d'exagéré à le dire.
C'est exactement ce que j'attendais dans le débat comme celui que nous avons eu aujourd'hui, qui permettra d'alimenter non seulement la réflexion du Gouvernement, mais aussi celle des partenaires sociaux que je rencontrerai à nouveau.
Vous avez exprimé des réflexions particulièrement intéressantes sur l'équilibre entre l'uniformité et les spécificités des régimes, car l'enjeu tient aussi à la détermination de ce qui relèvera de la responsabilité du Gouvernement et des discussions d'entreprise. Il fallait donc mettre le doigt sur ce sujet, car, si nous devons avoir des principes communs et des règles du jeu transversales, nous pouvons et devons aussi conserver certaines spécificités liées à l'identité des différents régimes. J'aurai d'ailleurs l'occasion, je le répète, de présenter dans le courant du mois d'octobre ce qui relève de la responsabilité du Gouvernement et ce qui sera discuté dans les entreprises dès qu'un document d'orientation aura été soumis à concertation.
Vous avez également repris et fait vôtres les constats et les pistes du Conseil d'orientation des retraites. Alors que chacun s'accorde à reconnaître l'utilité de ce conseil et qu'il semble que chacun, en son sein, laisse de côté l'idéologie, il est profondément regrettable qu'on ne puisse parvenir un consensus qui aille au-delà d'un diagnostic pourtant partagé. C'est d'autant plus regrettable que d'autres pays savent, sur de tels sujets, aller plus loin, adopter, au-delà d'un diagnostic, des solutions partagées – ce qui semble si difficile, pour ne pas dire impossible, en France.
Oui, vous avez eu raison, monsieur Jacquat, de reprendre les pistes suggérées par le COR, notamment pour ce qui concerne l'allongement de la durée d'assurance, le mode d'indexation des pensions ou même la question des avantages familiaux. Alors que ces principes généraux commencent à faire l'objet d'un consensus, ce consensus serait-il impossible dans un hémicycle ? Nous pouvons, me semble-t-il, progresser sur ce point.
Enfin, vous avez évoqué, comme le président Pierre Méhaignerie, la notion de liberté de choix, et son lien avec les mécanismes de décote et de surcote. C'est effectivement une réflexion que nous devons intégrer : chacun doit pouvoir avoir le choix de partir plus librement, plus tôt parfois, en en assumant bien évidemment les conséquences. Cela était d'ailleurs précisé dans la réforme de 2003, même si je ne suis pas certain que le principe du libre choix ait été totalement compris par les uns et par les autres.
J'en viens à l'intervention de Marisol Touraine.
Madame la députée, je dois dire que j'ai entendu beaucoup de remarques sur la forme, au point que j'aurais pu croire que vous vous évertuiez à ne parler que de la forme pour ne pas vous prononcer sur le fond. Je ne vous ferai pas ce procès d'intention, mais on pouvait sincèrement avoir ce sentiment.
De ce que vous avez dit, que dois-je conclure ? Qu'il ne fallait pas faire ce débat au Parlement ?
Pour ma part, je pense qu'il fallait un tel débat. Même si le sujet relève du domaine réglementaire, j'ai jugé tout à fait normal d'innover en venant entendre vos remarques ou vos critiques. C'est la logique démocratique. Si on me fait le reproche de venir alors que rien ne m'y oblige, c'est à désespérer d'avoir ce dialogue permanent. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Nous aurions pu aussi organiser ce débat en commission, après en avoir fait la proposition au président de la commission des affaires sociales et avoir vu avec le président de l'Assemblée comment procéder. Je me souviens d'un débat en séance publique qui avait été organisé, lui aussi, sur un décret, celui relatif à l'interdiction de fumer dans les lieux publics, suite aux travaux de la mission d'information qui avait été créée. Je pense que nous avons tout intérêt, même sur des sujets qui sont d'essence réglementaire, à venir devant le Parlement et à contribuer ainsi à enrichir le débat.
La question de l'âge actuel de départ à la retraite, c'est un vrai sujet dans les entreprises concernées par les régimes spéciaux parce qu'aujourd'hui vous avez des salariés qui partent sans avoir le bénéfice d'une retraite à taux plein, notamment du fait des mises à la retraite d'office. Ce n'est pas le seul point à aborder, mais ce sujet-là est sur la table. Il est bon de se prononcer clairement pour ou contre le maintien de ces retraites-couperets, et sur le rythme auquel il faudrait éventuellement envisager leur suppression. J'ai posé clairement la question tout à l'heure, et il n'y avait strictement aucun piège sur ce point
S'agissant de l'urgence du calendrier, vous savez que le débat parlementaire devait normalement avoir lieu la semaine prochaine, mais que la date en a été avancée parce que les syndicats ont tous souhaité être reçus dans la même semaine, et qu'il m'a semblé important, après avoir fini cette première concertation, de vous en rendre compte aussitôt. J'ai entendu des remarques comme quoi la rencontre au ministère aurait été précipitée, alors que voilà dix jours qu'elle était fixée – elle l'avait même été initialement le lundi en question. Il n'y a pas d'accélération du calendrier, mais la volonté de vous rendre compte aussitôt. Rien de plus.
Quant aux déclarations du Président de la République et du Premier ministre, je voudrais juste vous dire une chose, madame Touraine : quand on reprend les propos de quelqu'un, autant aller jusqu'au bout, autant être exhaustif. Cela m'éviterait d'avoir à y revenir. Qu'a dit le Premier ministre ? Que nous étions prêts, quand le Président de la République donnerait le signal, à lancer les négociations. Voilà l'intégralité de la phrase. Car, voyez-vous, moi, je ne sais pas réformer sans concerter. Donner le départ d'une réforme, c'est forcément donner le départ de la concertation. À la différence de vous, M. Guénhaël Huet a repris exactement les propos du Président de la République. Qu'a dit le Chef de l'État ? Qu'il y avait des régimes spéciaux pour des métiers dans lesquels la pénibilité n'était pas certaine, alors que certains métiers pénibles n'étaient pas forcément couverts par des régimes spéciaux, et que cette différence de traitement était indigne. Il n'a stigmatisé personne.
Voilà exactement ce qu'a dit le Président de la République, et je vous remercie, monsieur Huet, de l'avoir rappelé. Cela va tout de même mieux en disant les choses précisément et en totalité. Ça évite les mauvaises interprétations. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
S'agissant de l'absence de vote, vous connaissez suffisamment la matière parlementaire pour être au fait de la ligne de partage entre l'article 34 et l'article 37 de la Constitution, et vous voudriez proposer un vote sur ce qui relève du domaine réglementaire ? Vous savez pourtant bien que ce n'est pas possible juridiquement. Expliquez-moi comment je pourrais, une fois que les discussions dans les entreprises auront eu lieu, déposer un projet de loi sur un sujet d'essence réglementaire, au risque de le voir déclasser par le Conseil constitutionnel ? On ne joue pas ainsi avec nos institutions.
Plusieurs députés de l'Union pour un mouvement populaire. Bien sûr !
Encore une fois, madame Touraine, le Gouvernement ne procède pas ainsi par commodité. De nombreux syndicats ont fait eux-mêmes leur expertise juridique et reconnu, dans mon bureau, que l'on était bien dans le domaine réglementaire et dans aucun autre. (Approbations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Je le répète, ce n'est pas un choix de commodité, mais tout simplement parce que nous sommes dans un domaine statutaire dont la dimension est d'ordre réglementaire.
Autre point : vous avez évoqué la question des pensions. Ne vous inquiétez pas. Mais, si vous n'êtes pas de nature à être rassurée par les propos du Gouvernement, je vous indique qu'il y aura une commission de revalorisation des pensions. Je ne suis pas en train de la créer devant vous, elle a été mise en place par la réforme de 2003. Elle va nous dire si, oui ou non, le pouvoir d'achat des retraités a été garanti depuis la loi de 2003. Cette commission est indépendante, elle s'exprimera au grand jour, et je pense que cela permettra de dissiper les phantasmes propagés par certains hommes ou femmes politiques, et de remettre les pendules à l'heure. Il y a suffisamment d'outils dans la réforme de 2003 pour éviter la propagation de contrevérités. Et mettre un terme aux contrevérités ne fera pas de mal, en particulier à ce débat.
Je voudrais en définitive faire une remarque : vous avez été élue en 1997, à nouveau en 2007, et j'ai l'impression que c'est toujours la même attitude qui vous caractérise concernant les retraites : le refus de toute réforme. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Vous me faites furieusement penser à cette phrase du docteur Queuille, qui symbolise réellement votre attitude : « Il n'y a pas de problème si complexe qu'une absence de solution ne finisse par régler. » Je crois qu'elle résume votre intervention et qu'elle est, en l'occurrence, criante de vérité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. – Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Pas du tout ! Ce n'est pas parce qu'on n'est pas d'accord avec vous qu'on est contre toute idée de réforme !
Monsieur Muzeau, je voudrais vous dire que jamais vous n'avez entendu sortir de ma bouche, dans cet hémicycle ou ailleurs, des propos de stigmatisation. Jamais ! Sur un sujet comme celui-ci, non seulement j'ai la conviction qu'il y a une voie de passage, mais que nous avons aussi la possibilité de montrer que la justice sociale ne s'applique pas qu'à quelques-uns. La justice sociale, nous la devons à l'ensemble des Français, notamment en les mettant sur un pied d'égalité pour ce qui concerne la durée de cotisation, mais aussi aux salariés des régimes spéciaux parce que la vérité nous amène à dire que les pensions sont, pour beaucoup d'entre eux, à un niveau inférieur à la moyenne. Même quand leur pension est au niveau de la moyenne, je rappelle que la pension moyenne, ça ne veut pas toujours dire grand-chose. Nombre de ces agents ont aujourd'hui une retraite inférieure à la moyenne des retraites perçues par les Français parce que leur carrière est incomplète.
Mais il faut le reconnaître, monsieur Muzeau, et c'est tout simplement parce que nombre de primes ne sont pas prises en compte dans le calcul des pensions.
Je veux redire ici que nous ne cherchons pas à faire disparaître les régimes spéciaux – cela m'amènera à répondre à la fois à Charles de Courson et à Jean-Luc Préel –, mais à les réformer pour assurer et garantir les retraites de leurs ressortissants.
Vous avez évoqué, comme nombre de vos collègues, les stock-options : ne soyez pas impatient, ce débat va venir. Je le dis clairement devant Pierre Méhaignerie, qui a décidé de le lancer dans le cadre de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Le ministre du travail que je suis, qui est aussi en charge de la solidarité, ne redoute pas ce débat. Il l'attend. Parce que cela va être aussi l'occasion de bien déterminer ce qui doit financer la protection sociale, en ayant bien à l'esprit ce sur quoi nous avons été élus : le pouvoir d'achat.
Cela m'amène à faire une différence – je le dis et je l'assume – entre les stock-options, l'intéressement et la participation, car un mode de taxation indifférencié pourrait avoir des conséquences sur le pouvoir d'achat si l'on touchait à l'intéressement ou à la participation. Nous devons avoir ce débat de façon apaisée, et l'on verra que les progressistes ne sont pas forcément ceux qui parlent le plus fort sur ce sujet. Là aussi, parler le plus fort, ce n'est pas toujours parler le plus juste. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. – Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.) Je tiens d'ailleurs à dire que, en ce qui concerne la taxation des revenus du capital, il n'y a aucun tabou, sachant qu'à travers la CSG – qui alimente le fonds solidarité vieillesse – ou la taxe de 2 % sur les revenus du capital – qui alimente le fonds de réserve des retraites –, les revenus du capital contribuent déjà à la solidarité. Mais, de grâce, n'allez pas faire croire qu'avec une taxation comme celle-ci vous allez régler aussitôt les questions liées au financement des régimes spéciaux !
Et vous auriez du mal à ressortir la même recette pour régler le problème de financement des retraites dans leur ensemble. Il faut éviter de faire croire à des solutions miracles.
S'agissant de la compensation entre les régimes, monsieur Muzeau, vous avez dit que 3,8 milliards d'euros seraient dus aux régimes spéciaux. Mais la Commission des comptes de la sécurité sociale a indiqué très clairement qu'ils étaient en fin de compte bénéficiaires, à hauteur de 116 millions d'euros, au titre de la solidarité nationale. Ce n'est pas le ministre de la solidarité qui vous l'indique, mais la Commission des comptes de la sécurité sociale. Là aussi, je voulais tout simplement remettre les choses à leur place.
Monsieur Préel, je partage la volonté de dialogue social que vous avez exprimée tout à l'heure. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement conduit cette réforme dans la concertation. Mais, dès que nous ouvrons la concertation en mettant tous les sujets sur la table, certains nous disent que nous aurions déjà une réforme toute ficelée. Pourtant, j'ai eu à mener des réformes, notamment celle de l'interdiction de fumer dans les lieux publics, et je vous affirme que le point d'arrivée diffère parfois sensiblement du point de départ. Parce que, quand vous écoutez réellement et que vous prenez le temps de la concertation, vous évitez certaines erreurs et vous trouvez la bonne voie de passage. Voilà pourquoi des repères ont été fixés – j'y reviendrai à propos de l'intervention de Bérengère Poletti, et nous savons en combien de temps s'est faite la progressivité pour le régime général comme pour celui de la fonction publique. Cela vaut la peine de prendre le temps de discuter pour trouver les bons réglages et la bonne voie de passage. Voilà pourquoi nous jouerons jusqu'au bout la carte du dialogue social, et que je laisserai aussi toute sa place aux négociations dans les entreprises, voire au niveau des branches si nécessaire – je pense notamment aux IEG.
Comme vous, monsieur Préel, nous souhaitons que la pénibilité soit prise en compte, d'abord pour les régimes spéciaux, mais aussi lors du rendez-vous de 2008. Je sais que ce n'est pas un sujet facile à évoquer. C'est moi-même qui en 2003, en tant que rapporteur, avais déposé l'amendement incitant les partenaires sociaux à rouvrir la négociation. J'aurais aimé qu'on puisse les obliger à la conclure, mais ce n'est pas pensable en droit français. En 2008, ce sujet sera central. Ce n'est pas parce que d'autres pays européens n'ont pas trouvé la solution que nous ne devons pas essayer. Différents critères ont été évoqués tout à l'heure. Je les reprends parce que je pense que nous aurons besoin de trouver un dispositif qui sera peut-être original, imaginatif. Sur un sujet comme celui-ci, si nous n'essayons rien, ça ne sert pas à grand-chose d'exercer des responsabilités politiques.
S'agissant de la justice entre les Français, vous avez évoqué la question des six mois et des vingt-cinq dernières années. Soyons clairs : si le régime de la fonction publique – vers lequel doivent tendre les régimes spéciaux – retient la règle des six derniers mois, c'est tout simplement parce que les primes ne sont pas – ou mal – prises en compte dans le calcul des droits à pension. Si l'on allait vers les vingt-cinq meilleures années, cela conduirait, par souci d'équité, à intégrer l'ensemble des primes. Quels sont les enjeux financiers d'une telle évolution ? Le régime général y gagnerait-il vraiment ? Je n'en suis vraiment pas persuadé. En plus se pose une vraie question de disparité entre certains fonctionnaires qui exercent des responsabilités importantes et perçoivent des primes importantes, et d'autres fonctionnaires, notamment dans la fonction publique territoriale, qui ne sont pas égaux devant les primes.
Voilà pourquoi le choix des six mois peut être clairement assumé. Sur ce point, notre objectif de convergence répond également à la même logique de justice sociale.
Je voudrais aussi indiquer que, si nous ouvrons le dossier des régimes spéciaux aujourd'hui, ce n'est pas pour le rouvrir tous les six mois, mais pour donner aux agents des garanties de lisibilité pour l'avenir et des garanties de financement. C'est aussi une question de respect. Je pense que nous pourrons nous retrouver sur ce point.
Pierre Méhaignerie a fait une intervention qui couvrait de très nombreux aspects de cette réforme. Je voudrais m'arrêter sur quelques-uns d'entre eux.
Oui, vous avez raison, monsieur le président de la commission des affaires sociales, de replacer le débat dans une perspective européenne, en soulignant la tendance, chez nos voisins, à adopter des règles d'harmonisation des régimes. J'ajouterai qu'en termes d'harmonisation européenne, dans les autres pays de l'Union, on quitte le marché du travail plus tard qu'en France : un salarié sur trois de plus de cinquante-cinq ans est encore dans l'entreprise en France, contre 70 % en Suède ; la moyenne européenne est de 50 % – un des objectifs de la stratégie de Lisbonne –, et nous en sommes loin. Je ne me rendrais pas ridicule en tenant devant vous un énième discours disant qu'il faut que les entreprises fassent leur place aux salariés âgés : les discours, ça ne marche pas. Alors, nous passerons à d'autres mesures, désincitatives vis-à-vis des entreprises. Je suis en train d'y travailler pour vous proposer, dans le cadre du rendez-vous de 2008, peut-être des systèmes de bonusmalus pour inciter les entreprises à accueillir des salariés âgés. Mais nous en traiterons déjà dans le PLFSS, et, d'après ce que j'ai entendu, je serais très surpris que, sur certains bancs de l'opposition, on n'apporte pas son soutien à ces mesures gouvernementales.
Vous avez ensuite souligné, monsieur le président de la commission des affaires sociales, le changement majeur qui est intervenu depuis la mise en place des régimes spéciaux : l'allongement de l'espérance de vie – de neuf ans environ sur les quarante dernières années, avez-vous dit. Cela conduit donc à adapter les paramètres de ces régimes spéciaux, pas pour les stigmatiser mais tout simplement pour les préserver. Si nous vivons plus longtemps, il est tout de même logique de travailler un peu plus longtemps.
En outre, vous avez évoqué la notion de pénibilité, qui vous tient à coeur. Je me souviens des débats que nous avons eus ensemble en 2003. Je sais que cette notion est très délicate à manier et que ce débat n'est pas facile, mais si les négociations engagées entre les partenaires sociaux n'avancent pas aussi vite que nous le souhaiterions, nous aurons certainement besoin de mettre un coup d'accélérateur pour qu'en 2008 ce sujet ne soit pas évacué.
On ne peut plus constater cette différence d'espérance de vie entre un ouvrier et un cadre supérieur en se disant : « c'est comme cela ». Non, cet écart n'est pas une fatalité, il nous renvoie à notre responsabilité politique.
En réponse à votre souhait de concertation, je vous l'assure : je mènerai la concertation sur ce dossier jusqu'au bout.
Bérengère Poletti, vous avez très bien situé les enjeux du débat, tout en faisant des propositions précises. Vous avez proposé de reprendre la durée de convergence retenue pour la fonction publique : cinq années. C'est un point à débattre. Cette période d'ajustement avait été fixée à dix ans pour le privé. Quel est le bon rythme ? Il s'agit de l'un des sujets essentiels. Il est important de recueillir les propositions des directions des entreprises et des syndicats. J'attends des réponses précises de leur part, pour élaborer un dossier d'orientation.
Vous avez aussi évoqué la question des petites retraites. Il est vrai que nous ne pouvons plus accepter l'existence de retraites ou de pensions de réversion d'un niveau aussi bas. Ce sera l'un des enjeux majeurs de la réforme de 2008. Mais je tiens encore à vous remercier d'avoir eu le courage de faire des propositions.
Christophe Sirugue est intervenu sur les mises à la retraite d'office. Je ne renvoie pas ce sujet aux calendes grecques, puisqu'il sera abordé dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale. J'ai cru comprendre qu'il considérait que le présent débat sur les régimes spéciaux n'était pas illégitime. Des propositions de sa part ne l'auraient pas été non plus. Dans un débat comme celui-ci, des propositions auraient fait du bien à tout le monde. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
L'intervention de François de Rugy m'a semblé caricaturale et décalée, pour ne pas dire plus. Je suis désolé de m'exprimer en son absence, mais je ne veux pas laisser passer certaines interventions. Je ne veux pas me laisser accuser de faire de l'idéologie ou de la stigmatisation par quelqu'un qui, lui, me semble vraiment y succomber. En revanche, je n'ai rien entendu sur les régimes spéciaux. Quant aux stock-options, elles vont donner lieu à un débat, je l'ai dit. Mais certains propos m'ont choqué parce que, sur la forme comme sur le fond, dans cet hémicycle, nous avons le droit de nous respecter. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Nous avons le droit de ne pas être d'accord. Mais je tiens à dire que la caricature, nous pouvons certainement la laisser derrière nous. Une nouvelle page politique se tourne, ce qui peut nous inspirer, les uns et les autres. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Oui ! le débat sur les régimes spéciaux est utile. Charles de Courson a parlé de mise en extinction. Nous avons fait le choix, et je l'assume, de l'harmonisation vers la fonction publique. Cette harmonisation correspond aux spécificités des services publics assumés par ces entreprises, qu'il s'agisse de la RATP ou de la SNCF, par exemple.
C'est précisément notre logique. Elle nous permet d'apporter une réponse en termes de financement, et de dégager une véritable cohérence d'ensemble, avec une réserve en ce qui concerne la période de référence – vingt-cinq ans comparés aux six derniers mois – sur laquelle je me suis exprimé en vous répondant tout à l'heure, monsieur Préel.
Hervé Mariton a mis le doigt sur l'un des points saillants de la réforme, comme il sait bien le faire. Contrairement à vous, monsieur le député, je considère qu'il existe plusieurs points centraux. La durée de cotisation n'est certainement pas le moindre. Je n'ai pas évacué, non plus, la question de la décote – un outil qui est tout sauf technique. Cet outil doit être manié avec beaucoup de dextérité pour une raison simple : si l'on n'y prend garde, dans des régimes spéciaux où le niveau des retraites est plus faible qu'ailleurs, on peut aboutir à un allongement de la durée des cotisations avec une baisse du niveau des pensions. Je ne le veux pas.
Nous assumons l'augmentation de la durée de cotisations, et il faudra que chacun s'adapte à cette logique. Comme le Président de la République et moi-même l'avons indiqué : la question des bonifications sera discutée. Celle de l'indexation n'est pas non plus accessoire. Mais ce qui prime, c'est l'augmentation de la durée et la décote.
Voilà pourquoi tous les sujets, sans exception et sans tabous, sont sur la table. Il ne m'a pas échappé que cette réforme serait aussi jugée sur sa capacité à apporter des réponses en matière de financement, à terme, de ces régimes. J'ai bien compris cette obligation de résultat. Je vous remercie de l'avoir rappelée tout à l'heure.
Guénhaël Huet a tenu des propos sur la nécessité de mettre tous les Français sur un pied d'égalité. C'est une préoccupation qui nous est commune, monsieur le député. Dans notre pays, demeure le sentiment qu'il existe beaucoup trop d'injustices dans ce domaine. En mettant les choses à plat, en ce qui concerne les régimes spéciaux, nous montrerons que nous pouvons être au rendez-vous de la justice sociale.
Patrick Roy, je tenais à vous dire que je suis très attentif au pouvoir d'achat des retraités. Voilà pourquoi en 2003 – j'étais rapporteur de ce texte – nous avons veillé à la mise en place d'outils qui précisent bien que l'augmentation des retraites ne pouvait pas pénaliser le pouvoir d'achat des retraités. Ce n'est pas au ministre d'en apporter la garantie, mais à cette commission.
Je ne suis pas le porte-parole de l'Observatoire national de la pauvreté, mais ses travaux montrent que le pouvoir d'achat des retraités a cessé de s'écorner depuis une trentaine d'années. Ce n'est pas moi qui le dis, vous pouvez vous référer aux données de l'Observatoire. Je suis prêt à reprendre ce débat où vous voulez, quand vous voulez, même lors des séances de questions au Gouvernement. Mais une chose est certaine : je ne peux pas laisser dire des choses qui ne correspondent pas à la vérité, ou du moins à ce que montre un outil qui fait référence en la matière, l'Observatoire national de la pauvreté.
Jean-Fréderic Poisson, la question de la réforme du financement n'est pas celle de la réforme des droits. Nous nous plaçons, aujourd'hui, dans la logique de la réforme des droits, qui, seule, est de nature à poser les paramètres susceptibles de garantir l'avenir. Le débat sur les financements, vous l'avez esquissé sur les stock-options. Ce débat est important. Il est essentiel que nous l'ayons, car la protection sociale dépend de paramètres que nous sommes en train de définir, mais obéit aussi à des règles de financement. Et ces sujets-là sont tout sauf tabous.
Pour conclure, et de façon transversale, j'ai indiqué en rencontrant les présidents des groupes ou leurs représentants : « Je suis à votre disposition pour poursuivre cet échange. De quelque façon que ce soit. » À vous, monsieur le président de l'Assemblée nationale, à vous, mesdames et messieurs les députés, de me dire comment vous voyez les suites de cette concertation.
Je vous avais vraiment invités, toutes et tous, à jouer le jeu. Quand on parle aujourd'hui de rénover de la vie politique – oui, je le souhaite ! – cela signifie rénover les institutions, la pratique politique, mais aussi le discours politique. Pour que des débats comme celui-ci soient réellement vivants, ils doivent susciter des propositions de toutes parts. J'aimerais trouver, je le dis franchement, une opposition capable de s'opposer, certes, mais aussi de proposer. Et là, je suis resté sur ma faim. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)
Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique :
Questions au Gouvernement.
Déclaration du Gouvernement sur le Grenelle de l'environnement et débat sur cette déclaration.
La séance est levée.
(La séance est levée à douze heures quarante.)
Le Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,
Jean-Pierre Carton