La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à vingt-deux heures.)
Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Paul Garraud, pour dix minutes.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, mes chers collègues, le projet de loi proposé au Parlement est d'importance. Il concerne principalement le traitement de ces quelques dizaines de grands prédateurs, ceux qui se moquent des lois et surtout des êtres humains pour ne satisfaire que leurs propres pulsions ; ceux qui, ayant commis des faits gravissimes, sont toujours très dangereux à leur sortie de prison ; ceux qui, manifestement, récidiveront car ils ne sont pas réinsérés dans la société puisque non réinsérables en l'état ; ceux dont on sait qu'ils vont recommencer mais pour lesquels nous ne disposons pas encore des outils juridiques pour les traiter et pour protéger la société de leurs méfaits.
Ce projet de loi prend aussi réellement en considération le sort des victimes, tant celles qui sont victimes d'auteurs pénalement responsables que celles victimes d'irresponsables pénaux. Les deux types de dangerosité sont pris en compte : la dangerosité criminologique, qui concerne les responsables pénaux, et la dangerosité psychiatrique, qui vise les irresponsables.
Qui n'a pas été victime ne comprend pas toujours l'isolement, la grande solitude, le sentiment d'injustice ressentis par elles et leurs familles. Si l'auteur responsable de ses actes choisit la voie du crime en décidant de passer à l'acte, la victime, elle, n'a jamais choisi d'être victime, elle subit l'acte dans tous les cas. Nous connaissons tous le travail remarquable de dignité réalisé par les associations de victimes, celles de parents d'enfants assassinés par exemple. Je ressens beaucoup d'admiration pour ces personnes qui refusent la vengeance et qui font toujours confiance à la justice de leur pays malgré l'horreur qu'elles ont vécue. Qui pourrait d'ailleurs dire parmi nous que, face au pire, face au viol et au meurtre de son propre enfant, nous réagirions de même ?
Mais la solitude, l'incompréhension, l'injustice de la situation subie par la victime sont encore plus mal ressenties lorsque les faits sont commis par une personne déclarée irresponsable. Dans ce cas, un non-lieu intervient comme si l'auteur était reconnu innocent, et celui-ci échappe dès lors au circuit judiciaire pour entrer dans un circuit médical totalement inconnu des victimes, qui n'ont plus aucune information sur le devenir de l'intéressé – sans parler des cas, qui ne sont pas uniques, où la victime rencontre par hasard, quelques jours plus tard, son tortionnaire au détour d'une rue !
S'il n'est pas question de juger les fous, il est tout de même nécessaire de rappeler que pour la personne agressée et ses proches, être victime d'un responsable ou d'un irresponsable pénal, c'est la même chose, le même traumatisme, les mêmes dégâts physiques et psychiques, le même dommage qu'il convient de tout faire pour réparer. Si la réparation civile est toujours possible, il est également important que la puissance publique se rende compte de cette situation et prenne l'initiative d'intervenir pour le soutien des victimes. C'est maintenant chose faite avec ce texte. Votre projet de loi, madame la garde des sceaux, répond exactement à ces très légitimes préoccupations.
Au stade de l'instruction, une véritable audience se déroulera devant la chambre de l'instruction qui statuera à l'issue d'un débat contradictoire et qui prononcera, si tel est le cas, une déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. Il sera clairement affirmé que l'infraction est bien imputable à l'auteur, mais que celui-ci n'est pas responsable en raison de son état mental. C'est toute la différence, enfin consacrée, entre l'imputabilité et la responsabilité.
Il en sera de même au stade du jugement, tant en matière délictuelle que criminelle : la juridiction ne prendra plus une décision de relaxe ou d'acquittement en cas d'application de l'article 122-1 du code pénal, mais une décision de déclaration d'irresponsabilité pénale, avec inscription au casier judiciaire de l'intéressé. On comprend l'intérêt de cette disposition quand l'on sait qu'un individu peut être reconnu responsable pour certains faits et irresponsable pour d'autres. Il est important que l'autorité judiciaire ait à sa disposition, notamment grâce au casier judiciaire, toutes les informations sur l'intéressé. Ainsi la victime, par ce texte, disposera d'un véritable statut renforcé, et plus égalitaire avec celui de l'auteur.
Les dispositions proposées constituent pour moi une avancée très significative en faveur des victimes. Nous aurons, au cours de nos débats, l'occasion de discuter de la technique procédurale des dispositifs proposés. Je souhaite, pour ma part, au cours de ce propos introductif, me concentrer sur les quelques principes qui animent notre volonté d'agir. Ils ne doivent pas être caricaturés.
Il est de notre responsabilité d'intervenir au lieu, comme certains de nos collègues de l'opposition – nous les avons entendus tout à l'heure –, d'agiter les peurs en taxant ce texte de liberticide. Quel est le problème majeur ? Il est simple. J'ai connu, en tant que magistrat, des individus ayant commis des faits particulièrement odieux qui, arrivés en fin de peine étaient libérés sans aucun contrôle, aucune surveillance, alors que tous ceux qui les avaient suivis en cours de détention assuraient qu'ils étaient toujours très dangereux et que la récidive ne faisait aucun doute. J'ai ainsi connu un individu qui avait été condamné trois fois à perpétuité pour des faits de meurtres et d'assassinats. N'est-ce pas deux fois de trop ? J'ai même vu des détenus qui refusaient de sortir car ils savaient qu'ils ne pourraient résister à leurs pulsions, une fois libres de tout contrôle. J'ai rencontré également des juges d'application des peines qui, sachant qu'en fin de peine certains délinquants sortiraient sans contrôle alors qu'ils restaient potentiellement dangereux, préféraient les libérer d'une façon anticipée, en libération conditionnelle, afin de pouvoir les surveiller ! En clair, ces juges prenaient l'énorme responsabilité de libérer sous condition un récidiviste en puissance pour mieux le surveiller car ils savaient qu'il n'y aurait plus, quelques mois plus tard, aucune possibilité de contrôle ! C'est dire qu'il existe un vrai vide juridique et qu'il faut le combler.
Ne pensez-vous pas qu'au lieu de se draper dans l'angélisme, nous devrions voir la réalité en face et nous attacher à trouver des solutions ? Trouvez-vous responsable qu'à chaque fait divers tragique, nous nous indignions en assurant les familles des victimes de notre soutien sans pour autant agir réellement en ce sens ? Non, mes chers collègues, nous ne vivons pas dans un monde parfait et il est de notre devoir d'intervenir, dans le respect de nos principes démocratiques et de ceux posés par la convention européenne des droits de l'homme ; mais les droits de l'homme, ce sont aussi les droits des victimes, ne l'oublions pas.
Nous ne légiférons pas sous le coup de l'émotion. Voici des années que des réflexions ont été menées en la matière et que des propositions ont été formulées. Pour ma part, j'avais formulé vingt-et-une préconisations dans un rapport rendu au Premier ministre le 18 octobre 2006. Plusieurs textes, déjà en application, s'inspirent directement de la prise en compte de cette dangerosité criminologique, dont la loi du 12 décembre 2005 instituant la surveillance judiciaire, avec la mesure-phare du bracelet électronique mobile, dont Georges Fenech a été l'un des principaux artisans. Souvenons-nous d'ailleurs que c'est au cours de la préparation de cette proposition de loi, dans le cadre de la mission d'information parlementaire présidée par Pascal Clément, alors président de la commission des lois, que nous avions beaucoup travaillé sur l'évaluation de la dangerosité et sur les conséquences à en tirer. En effet, il faut le souligner, nous avons connu depuis quelques années une évolution juridique sur cette question et nous parvenons, avec l'actuel projet de loi, à son aboutissement. J'ai vraiment tenu, au cours de tous ces travaux, à aller au bout de notre logique, à rendre totalement cohérent le système. Avec le bracelet électronique mobile, une étape importante était franchie. Mais, comme j'avais eu l'occasion de le rappeler à l'époque, ce dispositif est totalement insuffisant pour un Fourniret, un Heaulmes, un Bodein, un Guy Georges, pour tous ces grands criminels qui, heureusement, sont peu nombreux, mais commettent des dégâts considérables.
L'évaluation de la dangerosité place au premier plan la mesure de sûreté. C'est cette mesure qui prend le relais de la peine lorsque celle-ci est terminée et que, manifestement, des précautions de défense sociale sont encore à prendre. Oui, il faut prendre à l'encontre de certains individus et sous certaines conditions très précises des mesures de protection sociale, tant en milieu ouvert qu'en milieu fermé si besoin est. Il n'y a pas de honte à affirmer que des mesures de protection sociale doivent être prises pour éviter des drames, comme celui, encore récent, dont la jeune Anne-Lorraine Schmitt a été victime.
Alors, à tous ceux qui nous assènent une sorte de morale issue d'un détournement de la théorie des droits de l'homme et qui veulent nous discréditer en diabolisant le texte, je rappellerai très rapidement certaines des conditions, déjà évoquées tout à l'heure, qui encadrent rigoureusement son application.
C'est l'autorité judiciaire, et elle seule, qui sera en mesure de décider de l'application du dispositif aux délinquants condamnés à au moins quinze ans de réclusion criminelle pour des faits de meurtre, d'assassinat, d'actes de torture ou de barbarie, de viol. Cela est donc déjà très limitatif. J'insiste sur le fait que cette rétention de sûreté est une mesure qui s'ajoute aux outils juridiques dont disposent les juridictions. Il s'agit pour elles d'une simple possibilité, totalement facultative. La juridiction décidera souverainement si une telle mesure sera appliquée ou non, lorsque les conditions seront remplies.
Je suis particulièrement satisfait que le projet de loi ait connu une évolution quant aux victimes concernées. L'avant-projet de loi limitait l'application éventuelle de la rétention de sûreté à l'auteur de faits criminels commis sur mineur de quinze ans. En commission des lois, nous avons étendu le dispositif. Aujourd'hui, j'espère qu'aucune différence ne sera faite entre les victimes, quel que soit leur âge. Car comment pourrions-nous expliquer aux familles de victimes de dix-neuf ans, vingt ans ou plus, que l'auteur des faits serait potentiellement moins dangereux parce que la victime est majeure ? C'est impossible à expliquer parce que ce serait incohérent.
En ce qui concerne le centre fermé, j'aurais pu m'exprimer un peu plus complètement en citant notamment l'exemple des pays étrangers. Mais je souhaite conclure en soulignant que, par ce texte, nous répondons à plusieurs impératifs : impératif de sécurité pour nos concitoyens d'abord, impératif de fermeté dans le traitement de la dangerosité et des états dangereux, mais aussi impératif d'humanité…
…car nous mettons en place un traitement adapté à l'individu lui-même. Il s'agit d'obtenir sa réinsertion dans le circuit social, ce qui est de toute façon l'objectif final. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, un nouveau projet de loi nous est présenté, à la suite de deux faits divers qui, on le comprend, ont fortement ému l'opinion : l'agression sexuelle dont a été victime le petit Enis, commise par un délinquant sexuel multirécidiviste, et le meurtre de deux infirmières de l'hôpital psychiatrique de Pau commis par un malade mental. Évitons ici la concurrence émotionnelle pour répondre aux deux seules questions qui vaillent : votre texte, madame la ministre, améliore-t-il l'efficacité de l'arsenal législatif ? Votre texte respecte-t-il l'État de droit et les valeurs dont la France se prévaut dans le monde ?
S'agissant de la rétention de sûreté, je rappelle que, chaque année, en France, on dénombre plusieurs milliers de viols sur mineurs et en moyenne quatre-vingts homicides.
Face à cette tragique réalité, j'espère que nous allons éliminer d'emblée les procès d'intention, que nous allons échapper aux accusations de laxisme sur ces crimes odieux dont sont victimes surtout des enfants et des femmes. En effet, je sais que sur ces bancs, à gauche comme à droite, tous les élus veulent que les délinquants sexuels ne récidivent pas une fois leur peine exécutée, et que ceux qui demeurent dangereux soient mis hors d'état de nuire.
Mais, faire croire à nos concitoyens que par l'empilage des lois, on va faire disparaître la délinquance et empêcher tout crime, c'est leur mentir. La seule vraie question sur la rétention de sûreté est donc celle-ci : votre texte apporte-t-il des réponses efficaces contre la récidive des délinquants sexuels, dans le respect des grands principes qui fondent notre État de droit ? Je ne le crois pas et voici pourquoi : l'arsenal législatif est très complet ; ce qui manque, ce sont les moyens nécessaires pour l'application des lois.
La première loi, celle du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs, que j'ai eu l'honneur de présenter et de défendre ici même, a mis en place l'injonction de soins dès l'entrée en prison, le suivi socio-judiciaire après la fin de la peine, le fichier national automatisé des empreintes génétiques.
Depuis, d'autres lois ont été votées. La loi Perben II portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, en 2004, et la loi Clément relative au traitement de la récidive des infractions pénales, en 2005, ont durci les peines en matière de récidive, prévu d'appliquer le suivi socio-judiciaire sans limitation de durée, étendu le fichier judiciaire avec obligation de se présenter à la police et, comme M. Fenech l'a souligné tout à l'heure, élargi l'utilisation du bracelet électronique – le système fixe créé en 1997 ayant été complété par le placement sous surveillance électronique mobile. En dernier lieu, la loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs que vous avez vous-même présentée, madame la garde des sceaux, met en place les peines planchers et rend les soins obligatoires.
Pourquoi énumérer tous ces textes ? Pour montrer que le problème n'est pas celui de la carence du dispositif légal, mais celui de l'insuffisance des moyens pour appliquer les lois existantes. Regardons la situation. Pendant l'exécution de leur peine, combien de délinquants bénéficient des soins et des suivis prévus par les lois en vigueur ? On réduirait considérablement le risque de récidive si on suivait médicalement ces personnes dès le début de l'incarcération – sans parler de la prévention qui aurait pu être faite avant le passage à l'acte. Ce n'est pas le cas, car les médecins psychiatres ne sont pas assez nombreux, les différents plans de recrutement annoncés n'ayant jamais été mis en oeuvre. Un exemple et un seul : le service médico-psychologique régional du centre de détention de Caen, où était détenu Francis Evrard, a fermé ses 12 lits par manque de psychiatres, en juillet 2005 !
Vous justifiez votre projet en disant que Francis Evrard a refusé d'être soigné. Mais le lui a-t-on proposé ? Dans quelles conditions ? Madame la garde des sceaux, nous exigeons des réponses précises à ces questions !
La misère de la psychiatrie en prison est d'autant plus alarmante que le nombre de détenus atteints de troubles mentaux a beaucoup augmenté – je ne rappellerai pas les chiffres que vous connaissez –, et que la surpopulation carcérale s'est aggravée : 12 000 détenus de plus que de places disponibles. Ces diverses raisons exigent que l'on se concentre sur les moyens, plutôt que sur le vote de nouvelles lois. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Qu'en est-il à la sortie de prison ? À leur sortie, tous les délinquants sexuels devraient être soumis à un suivi socio-judiciaire au sens de la loi de 1998 si le jugement l'a décidé, ou à une mesure de surveillance judiciaire prévue par la loi de 2005. C'est loin d'être le cas !
Les 250 juges d'application des peines suivent 180 000 personnes : chaque magistrat s'occupe, en moyenne, de 750 dossiers ! Je vous laisse imaginer la qualité du suivi individuel !
Comment se fait-il, madame la garde des sceaux, que Francis Evrard, libéré une troisième fois après 32 ans de prison et alors qu'il avait déjà récidivé deux fois, n'ait pu obtenir un rendez-vous avec le juge d'application des peines que sept semaines après sa libération ? Pourquoi n'a-t-il pas été soumis à la surveillance judiciaire ? Pourquoi Francis Evrard n'avait-il pas de bracelet électronique mobile alors que la loi le prévoyait ? Pourquoi n'a-t-on pas suivi ses déplacements ? Pourquoi ses changements de département n'ont alarmé personne ? Là aussi, je vous demande des réponses précises.
Plutôt que de surfer sur l'émotion, il eût été plus utile de présenter à l'Assemblée, un bilan de l'application des lois actuelles. En l'absence de moyens concrets nouveaux, les lois votées – ainsi que votre propre projet – continueront à être inutiles. Mais il y a pire que l'inefficacité due à l'absence de moyens que je viens de souligner : votre projet tourne le dos à des principes fondamentaux de notre État de droit.
Vous proposez d'instaurer une rétention de sûreté qui permettra, après l'exécution de la peine de prison, de prolonger, sans limitation de durée, sans crime nouveau, l'enfermement des personnes considérées comme d'une « particulière dangerosité » et « susceptibles de récidiver ». Je veux d'abord redire ici qu'enfermer quelqu'un en prison sur décision judiciaire, non pour un acte commis, mais parce qu'il est susceptible de commettre un acte de délinquance, bouleverse un principe fondamental de notre État de droit : une personne ne peut être condamnée sur une suspicion de dangerosité, sur une présomption de culpabilité future éventuelle, sur une dangerosité virtuelle, mais seulement sur un acte commis et prouvé par la justice. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Vous tournez là le dos à un principe issu de la Révolution de 1789. Vous nous proposez une justice d'élimination s'appliquant aux citoyens non pour ce qu'ils ont fait, mais pour ce qu'ils sont censés être ou devenir.
Par ailleurs, je suis convaincue que votre texte demeure inconstitutionnel. Prévoir à l'article 706-53-14, alinéa 4, qu'une rétention de sûreté peut être décidée par une commission, dans le cas où un jugement ayant prononcé un suivi socio-judiciaire est estimé insuffisant par cette commission, n'est pas constitutionnel. Une commission ne peut démentir un jugement, seule une décision de justice peut le faire.
Votre texte comble-t-il un vide juridique ? Vous l'affirmez ; je dis qu'il n'en est rien. Pour les malades mentaux dangereux, le code de la santé publique prévoit une procédure : l'hospitalisation d'office, prononcée par le préfet sur certificat médical. Elle permet déjà de traiter en hôpital psychiatrique des personnes qui refusent de se soigner et dont les troubles mentaux nécessitent des soins, qui compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l'ordre public. Je cite le code de la santé publique.
Cette loi s'applique bien sûr aux détenus. On nous l'a confirmé à Fresnes lorsque nous sommes allés visiter cette prison : l'hospitalisation d'office fonctionne. Il s'agit d'une procédure administrative et médicale. Vous ne devez pas, madame la garde des sceaux, en faire une décision judiciaire.
Il est déjà assez scandaleux de voir en prison des malades mentaux et, parmi eux, des psychotiques avérés – Serge Blisko a cité les chiffes tout à l'heure.
N'aggravez pas cette funeste évolution. Votre rôle serait au contraire de l'enrayer, en obtenant de votre collègue de la santé un plan de recrutement réel de psychiatres, assorti d'une augmentation de leurs salaires. Votre rôle serait plutôt d'éviter d'aggraver encore la surpopulation carcérale.
Vous justifiez votre dispositif par des exemples étrangers. Mais aux Pays-Bas ou en Belgique, la « mise sous tutelle judiciaire » intervient en substitution à la peine. Quant au système allemand, il est beaucoup moins répressif que le nôtre. Tout cela pour dire que la récidive des délinquants sexuels serait évitée si les lois existantes étaient correctement appliquées, et vous ne nous donnez aucune garantie sur ce point. Un mot sur la déclaration d'irresponsabilité pénale…
Justement, votre temps de parole est écoulé. Nous avons deux heures de discussion générale. Il fallait que votre groupe vous donne davantage.
Tout à l'heure vous avez fait preuve d'un peu de tolérance ; je vous demande d'agir de même à mon égard.
En ce qui concerne la déclaration d'irresponsabilité pénale, je crois qu'il faut éviter la confusion entre la chambre de l'instruction et une juridiction de jugement. Dans votre texte, elles se ressemblent de manière frappante. Or c'est précisément le fait qu'elles soient distinctes qui garantit la présomption d'innocence.
Madame la garde des sceaux, au nom du marketing politique, vous nous présentez un texte dangereux parce qu'il bafoue certains principes fondamentaux, et parce qu'il ne garantit en rien l'efficacité des lois déjà votées par notre assemblée et qui, elles, sont conformes à l'État de droit. Malheureusement, votre loi va autoriser toutes les dérives, toutes les escalades, toutes les fuites en avant, comme le montrent d'ailleurs les amendements que vous avez suscités ou que le rapporteur a présentés.
Madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, anciens magistrats, vous tournez le dos à Beccaria, nourri de la philosophie des Lumières, vous choisissez Lombroso et son « homme criminel ». Or, vous le savez, c'est cette philosophie positiviste qui a conduit aux pires débordements de l'Allemagne nazie. (Vives protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
C'est scandaleux ! Oser faire le rapprochement avec l'Allemagne nazie !
Je vous demande, mes chers collègues, de rejeter ce texte dangereux, et d'exiger qu'un bilan des lois existantes soit établi, afin que celles-ci reçoivent enfin les moyens nécessaires à leur application. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Mes chers collègues, je veux simplement vous rappeler le principe de la discussion générale. Vous disposez de temps de parole accordés par vos groupes. Si c'est dix minutes, ce n'est pas quinze. Si c'est cinq, ce n'est pas dix. Je serai obligé de les faire respecter. Vous pouvez faire moins, mais pas plus. Et vous ne pouvez pas céder de votre temps de parole à un collègue, ce n'est pas l'usage.
La parole est à Mme Jacqueline Fraysse, pour un quart d'heure.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, chers collègues, nous examinons aujourd'hui un énième projet de loi touchant au droit pénal. Ces textes prolifèrent depuis plus de cinq ans, sans avoir rien résolu pour autant. Inefficaces, ils traduisent de surcroît une conception inacceptable de la personne humaine, et sont axés sur le répressif à tout prix. Que l'on soit élu, professionnel ou citoyen – et sans doute aussi ministre – on constate l'échec de ces méthodes.
Le texte qui nous est présenté concerne notamment les personnes condamnées pour des crimes – de nature sexuelle en particulier – commis contre les mineurs, et les auteurs d'infractions déclarés pénalement irresponsables en raison d'un trouble mental. Il traite, sans aucun doute, de questions très importantes et difficiles, pour chacun comme pour la collectivité. Il s'agit donc de réfléchir sur les moyens à mettre en oeuvre pour empêcher ces crimes et leur récidive. Cela passe par une politique de prévention qui est essentielle, je tiens à le souligner même si ce n'est pas exactement notre sujet aujourd'hui.
Nous devons nous interroger sur la place et le rôle de la prison qui, au-delà de la protection immédiate de la société, doit sanctionner tout en organisant et en stimulant un travail de réflexion de la personne elle-même sur la gravité et les raisons de son geste, afin d'éviter son renouvellement. La prison doit aussi traiter, dans les formes appropriées, toutes celles et ceux qui en ont besoin, et préparer leur réinsertion, puisque ces personnes sortiront un jour. Cela exige des moyens importants, cela a été dit et je veux le répéter.
Faute de temps, je ne détaillerai pas les mesures qu'il conviendrait de mettre en place dans le milieu carcéral dont la surpopulation et la misère empêchent d'avancer vers ces objectifs.
C'est pourtant à cela que les parlementaires que nous sommes devraient s'attacher. Malheureusement, ce n'est pas votre démarche. En effet, vous avez fait adopter deux lois : celle d'août dernier sur les peines planchers ; celle de décembre 2005, sur la surveillance judiciaire. Aujourd'hui, vous nous en proposez une troisième. Que signifie cette juxtaposition de textes, alors que les moyens nécessaires ne sont pas dégagés, alors que les mesures successivement votées par la même majorité n'ont pas encore dépassé le stade de l'expérimentation : je pense notamment au bracelet électronique ?
Certes, la récidive est une question en soi. Même si elle ne concerne que 1 % des criminels libérés, c'est encore trop. Mais ce n'est pas en multipliant, comme vous le faites, les textes consacrés à la récidive que vous réglerez ce difficile problème qui exige, d'abord et avant tout, d'importants moyens.
Force est de constater que vous cherchez davantage à jouer sur l'émotion légitime suscitée par ces actes criminels graves que de répondre sur le fond. Cette posture démagogique, face à de tels drames, est indigne : je me permets de le dire avec force. On ne fait pas une politique en surfant sur le malheur des gens.
Si l'affaire Evrard, qui est à l'origine de votre texte, est emblématique de quelque chose, c'est surtout de l'incapacité de notre système à prendre en charge de manière efficace les auteurs de ces faits divers tragiques.
Non seulement ce que vous proposez ne permettra pas de surmonter les difficiles problèmes posés, mais vous instaurez de fait une peine perpétuelle sanctionnant non plus un acte mais l'hypothèse qu'il puisse éventuellement être commis. Le fil conducteur de ce texte est en effet la notion de dangerosité, laquelle serait « caractérisée par le risque particulièrement élevé de commettre à nouveau l'une de ces infractions ». Il n'y a pas besoin d'être un grand juriste pour mesurer l'arbitraire d'une telle disposition et les dérives qu'elle permet, voire intronise. Il me semble que notre histoire a montré jusqu'où cela pouvait conduire, et comment les justifications pseudo-scientifiques – auxquelles s'adonne volontiers notre Président de la République – pouvaient être interprétées.
Une réforme pénitentiaire devrait avoir pour ambition d'assurer des soins dignes de ce nom et un suivi social au détenu dès son premier jour de détention. Pourquoi devrions-nous attendre que la peine soit effectuée pour lui proposer, de façon permanente, une prise en charge médicale et sociale ? En cela, je rejoins les critiques formulées par les représentants des magistrats. Bruno Thouzellier, président de l'Union syndicale des magistrats, déplore ainsi l'absence de mesures sur le suivi en milieu carcéral et l'absence de moyens pendant l'incarcération. De même, Emmanuelle Perreux, présidente du Syndicat de la magistrature, souligne que « c'est la peine de prison qui doit être le temps utile pour travailler sur le passage à l'acte [du condamné] et préparer sa sortie ».
En effet, pourquoi l'État ne prend-il pas ses responsabilités, dans le cadre d'une obligation de moyens, dès la condamnation ? Pourquoi attendre la fin de la détention pour envisager le placement du condamné dans un centre socio-médico-judiciaire si son état le permet ?
Vous prétendez que cette nouvelle privation de liberté, prononcée à la fin de l'accomplissement de l'intégralité de la peine décidée par un jury souverain, ne serait pas une peine. Mais c'est faux ! La rétention de sûreté conduit à prolonger, de surcroît avec des possibilités de renouvellement infinies, un emprisonnement de fait.
La distinction entre mesure de sûreté et peine n'est pas neuve. Elle a déjà fait l'objet d'une décision du Conseil constitutionnel en 2005, au lendemain de la loi sur la surveillance judiciaire mettant en place le bracelet électronique et l'injonction de soins. Mais la rétention de sûreté, malgré toutes les précautions de langage, est bien une peine privative de liberté. À cet égard, l'exposé des motifs du projet de loi est très clair : « Pendant cette rétention, la personne bénéficiera de droits similaires à ceux des détenus, en matière notamment de visites, de correspondances, d'exercice du culte et de permissions de sortie sous escorte ou sous surveillance électronique mobile. »
Par ailleurs, la rétention de sûreté est censée être limitée à des cas exceptionnels : condamnation à une peine privative de liberté d'une durée égale ou supérieure à quinze ans ; crimes limitativement énumérés et commis sur un mineur de moins de quinze ans. Mais, madame la garde des sceaux, vous devez mesurer que ce texte ouvre la porte à de futures lois qui étendront son champ d'application. D'ailleurs, la commission des lois a d'ores et déjà décidé d'étendre cette peine aux crimes commis sur les mineurs de plus de quinze ans, et notre rapporteur a déposé un amendement qui l'étend à tous les criminels sexuels. Qu'en sera-t-il demain ? Regardons ce qui s'est produit avec le fichage initialement conçu pour les infractions à caractère sexuel : il est aujourd'hui étendu à la quasi-totalité des infractions pénales.
Ce projet de loi opère, comme le dénoncent de nombreux professionnels, dont votre éminent prédécesseur, M. Badinter, un changement profond d'orientation de notre justice :…
…désormais, elle punira le crime avant même qu'il ne soit commis et prouvé, comme l'indiquait à l'instant Mme Guigou.
La plupart des associations, telles que le GENEPI – le Groupement étudiant national d'enseignement aux personnes incarcérées – ou l'OIP – l'Observatoire international des prisons –, mais aussi les syndicats des personnels pénitentiaires et de la magistrature contestent votre philosophie et rejettent ce texte.
Faute de prévoir les moyens de traitement, de suivi et de soutien social pour offrir une chance de reconstruction aux personnes en détention, votre texte tourne définitivement le dos au devoir d'aide à la réinsertion. Il ne fait que prolonger l'enfermement, par une logique dilatoire et inefficace, sans proposer de moyens pour éviter la récidive. Alors que M. Sarkozy multiplie les discours sur une « politique de civilisation » et une « politique de l'homme », votre texte constitue un grave recul dans la conception de notre société. Recul particulièrement choquant dans notre pays, berceau « des droits de l'homme et du citoyen, de l'école de Jules Ferry, de la laïcité, de la sécurité sociale, du droit du travail, des congés payés et du service public » : autant de progrès énumérés ce matin par le Président de la République. Progrès que vous vous appliquez consciencieusement à démolir l'un après l'autre, mais cela, le Président de la République a oublié de le dire !
Cette politique, madame la garde des sceaux, est décidément un véritable recul de civilisation. C'est pourquoi nous n'envisageons pas du tout de voter votre texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Mme Guigou, qui vient de s'exprimer au nom du groupe socialiste, a conclu son propos en affirmant que le projet de loi présenté par le Gouvernement et soutenu par la majorité était assimilable à ce qui se passait au temps de l'Allemagne nazie. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Je n'ai pas dit cela ! (« Si ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Monsieur le président, je demande la parole pour un rappel au règlement.
Si cela vous chante… (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
En 1998, alors que vous étiez garde des sceaux, madame Guigou, vous avez proposé un texte que, lors de la réunion de la commission des lois de ce matin, en votre présence, nous avons salué comme une étape importante pour améliorer la lutte contre les criminels sexuels. L'opposition de l'époque avait alors adopté une attitude constructive et s'était efforcée d'améliorer le texte.
Un point de désaccord demeurait néanmoins lors des débats : la prise en compte de la dangerosité des détenus, qu'il s'agisse de la remise de peine ou du suivi. Le texte que Mme la garde des sceaux a aujourd'hui le courage de nous présenter s'attaque à ce problème qui mérite beaucoup de modestie sur tous les bancs de notre assemblée, tant il est difficile. Nous ne légiférons pas sous le coup de l'émotion mais dans la sérénité. Je suis sûr que l'opposition a, autant que la majorité, la volonté d'améliorer notre système pour lutter contre ces crimes odieux, qui plongent dans le drame tant de familles.
Il y a dans les tribunes de cette enceinte des parents dont les enfants ont été tués. Leur répondre est un défi qui rend notre rôle de législateur peut-être plus difficile encore. Je souhaiterais donc que nous mesurions nos propos afin d'améliorer le texte, de le corriger peut-être, tant le Gouvernement est ouvert à la discussion et aux amendements. Au cours de ces derniers jours, notre rapporteur a accompli un travail remarquable, un travail d'écoute et de consultations pour trouver les moyens de relever ce défi de la lutte contre la récidive des personnes les plus dangereuses.
Tout au long de l'après-midi, l'opposition s'est élevée contre la situation dans les prisons françaises. Mais de grâce, qui donc, depuis six ans, vote les budgets pour l'améliorer ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) Le 15 novembre dernier, les crédits de l'administration pénitentiaire ont été augmentés de 7 %. Jamais un plan de modernisation des lieux privatifs de liberté n'a été lancé avec des moyens financiers aussi modernes : des partenariats entre public et privé doivent ainsi accélérer la construction des prisons, tant il est nécessaire que chacune d'elles accueille moins de détenus. Mme la garde des sceaux a lancé le chantier de la loi pénitentiaire, qui vise à lutter contre la surpopulation carcérale, à rendre la détention provisoire plus exceptionnelle et à favoriser les mesures alternatives à la prison. Vous dites, comme l'oratrice qui m'a précédé, que tout cela n'est pas suffisant. Mais alors, aidez-nous à voter les budgets et à améliorer la situation !
Je vous rejoins, chers collègues de l'opposition, sur l'idée que l'on n'évitera pas de poser le problème des moyens :…
…ceux de la psychiatrie, ceux du suivi socio-médico-judiciaire que vous avez voté. Vous avez indiqué que des centres avaient dû fermer faute de moyens. Nous en sommes d'accord : il faut que ce projet de loi donne aux juges les moyens d'exiger, comme le prévoit la loi, un suivi socio-médico-judiciaire. L'état de la psychiatrie en France est catastrophique : nous manquons de moyens humains, de structures adaptées et d'établissements. Le texte dont nous discutons n'aurait donc aucun sens s'il ne s'accompagnait d'une telle exigence de moyens quant au suivi.
Je voudrais par ailleurs, madame la garde des sceaux, revenir sur la mesure-phare, contestée, de votre projet de loi : la rétention de sûreté. Ce matin, j'ai déposé un amendement, cosigné avec le rapporteur, M. Garraud et M. Geoffroy, qui vise à ce qu'aucune distinction ne soit faite entre les victimes : celles-ci restent en effet ce qu'elles sont, qu'elles aient plus ou moins de quinze ans. Aussi proposons-nous d'étendre l'application de la mesure de sûreté. Je rappelle en effet que votre texte, madame la garde des sceaux, prévoit qu'un an avant la libération d'un détenu, une commission d'experts évalue la dangerosité de celui-ci : il s'agit d'éviter la sortie « sèche » d'une personne qui, ayant refusé de se soigner, serait en situation de récidiver. Je l'affirme au nom de mes collègues du Nouveau Centre : ce texte est un texte de protection.
Vous vous êtes demandé, madame Guigou, s'il était utile de légiférer. Oui, c'est utile : cet après-midi, Mme la garde des sceaux a cité des cas concrets. S'ils se sont produits, c'est qu'il existe des failles dans notre législation.
Notre ambition sera, lors de l'examen des articles, d'améliorer les textes de loi pour protéger la société, protéger les victimes et éviter la récidive. Je suis autant animé que vous par le respect essentiel auquel chacun a droit, et dont la France est dépositaire : nous sommes ici pour que l'on n'y porte pas atteinte.
Comme vous, je suis attaché à la dignité humaine. Pour avoir visité, avec une délégation du Conseil de l'Europe, des lieux privatifs de liberté, j'ai pu mesurer l'atteinte à la dignité de la personne humaine que constitue la prison pour des personnes qui n'ont aucune perspective. Je sais bien que tout prisonnier a vocation à sortir un jour mais, dans le cas des plus dangereux, c'est une obligation pour la société de prévoir un suivi et des soins, ainsi que d'évaluer leur degré de dangerosité.
Madame la ministre, soyez assurée du soutien du groupe du Nouveau Centre et de toute la majorité pour qu'enfin on évalue la dangerosité d'un détenu avant de le libérer.
Je pourrais ajouter à la liste évoquée par Mme la ministre le cas de ces criminels qui avaient violé et tué, mais qui sont sortis après avoir effectué la moitié de leur peine et qui ont recommencé. Sans ce projet de loi, ils pourraient continuer à bénéficier de remises de peine et sortir de prison sans que soit prise en compte leur dangerosité.
Ce texte difficile, qui propose des solutions, ne doit toutefois pas remettre en cause des principes dont nous sommes garants. Un amendement du Gouvernement porte sur le cas des détenus déjà jugés. Il soulève un problème difficile : nous en débattrons, avec le souci de veiller à la non-rétroactivité de la loi.
Au nom de mes collègues du Nouveau Centre, qui m'ont fait l'honneur de me désigner pour les représenter, je voudrais redire avec beaucoup d'humilité et de modestie à Mme la garde des sceaux qu'elle peut compter sur notre soutien. Mais sur des sujets aussi difficiles, mes chers collègues, de grâce, cessez de nous donner des leçons sur des principes auxquels nous sommes très attachés. Ce soir, au nom de l'émotion et du respect que nous inspirent les parents des victimes, que nous avons tous rencontrés, restons dignes. Comme l'a dit notre collègue Jean-Paul Garraud, ils ne sont pas animés par un esprit de vengeance mais de pardon. Ils ont également une exigence : il nous faut donc légiférer pour améliorer la loi et éviter que des faits semblables ne se reproduisent. Certes, une loi n'arrêtera pas les crimes, mais nous devons mettre tout en oeuvre pour les prévenir.
Madame la garde des sceaux, c'est avec confiance que nous vous apportons notre soutien, mais un soutien exigeant, dans la fidélité à des valeurs qui nous sont communes et sur lesquelles, j'en suis certain, nous pouvons nous retrouver. (Applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau Centre et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Fondé sur l'article 58, alinéa 1, monsieur le président, car notre discussion ne se déroule pas selon les critères qui devraient prévaloir s'agissant d'un sujet aussi difficile.
Ce texte soulevant un problème gravissime, nous devons éviter tout procès d'intention (Vives exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire)…
Et croyez bien que j'ai pesé ceux que j'ai employés tout à l'heure ! (Nouvelles exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Je vais les répéter, puisque certains ne les ont visiblement pas entendus. Écoutez bien : « Madame la ministre, monsieur le rapporteur, anciens magistrats, vous tournez le dos à Beccaria, nourri de la philosophie des Lumières, et vous choisissez Lombroso et son “ homme criminel ”. Or, vous le savez, c'est cette philosophie positiviste qui a conduit aux pires débordements de l'Allemagne nazie. » (Vives protestations sur les mêmes bancs.)
Le rappel au règlement, c'est pour dire que je n'ai jamais prétendu que l'on souhaitait, avec ce texte, aboutir aux mêmes débordements, mais que c'est ce même type de loi qui avait conduit à ces débordements.
Monsieur le président, je n'ai pas utilisé les cinq minutes qui me reviennent et je compte bien le faire ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Nous sommes tous ici solidaires de la douleur des victimes, mais nous devons faire très attention.
Les victimes, nous nous en sommes occupés. Depuis vingt-cinq ans, à l'initiative de Robert Badinter, nous menons une politique en leur faveur.
Nous ne voulons pas d'un texte qui va autoriser tous les dérapages et les débordements (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire)…
…comme le montrent les amendements du rapporteur. Ce texte dangereux mérite que nous nous penchions très sérieusement sur son contenu.
Non, monsieur Blisko, il n'y aura pas de second rappel au règlement ! Nous allons reprendre la discussion générale. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
C'est moi qui préside, monsieur Blisko ! Je donne maintenant la parole à M. Mallié, et à lui seul.
Vous bafouez le règlement de l'Assemblée nationale ! La suspension de séance est de droit !
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la conception moderne de la prison, née avec la Révolution française, instaure la privation de liberté comme sanction. La mission de l'administration pénitentiaire…
Monsieur Blisko, vous n'avez pas la parole ! Vous demanderez une suspension de séance au nom de votre groupe après l'intervention de M. Mallié. Alors, elle sera de droit. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
La mission de l'administration pénitentiaire est triple : assurer la sanction du condamné, permettre sa réinsertion et protéger la société.
Cependant, comme l'a souligné Jean-Paul Garraud, qui travaille depuis des années sur les questions de récidive et de dangerosité, il existe des personnes très difficilement réinsérables, voire pas du tout, et pire encore, des personnes qui représentent un grand danger pour nos enfants et pour toute la société.
Si le viol, la torture et les actes de barbarie sont des crimes particulièrement odieux, ils le sont plus encore lorsqu'ils sont commis sur des enfants. Ces dernières années, plusieurs lois ont permis de mieux lutter contre la récidive : la loi du 12 décembre 2005 instaurant le bracelet électronique, celle du 5 mars 2007 créant le fichier judiciaire national et celle du 10 août 2007 instituant les peines plancher.
Cependant – et le rapporteur l'a souligné – les dispositifs existants ne permettent pas de protéger suffisamment la société des criminels les plus dangereux. En effet, même si le cadre juridique de l'injonction de soins a été renforcé, la prise en charge psychiatrique et l'offre de soins en détention restent malheureusement insuffisantes. C'est un constat. De plus, rien n'oblige aujourd'hui un condamné à se soigner. Dès lors, peut-on laisser sortir de prison un individu extrêmement dangereux pour nos enfants ?
L'un des rôles de la prison est de protéger la société. Or, les exemples de criminels sexuels récidivistes se multiplient. En l'état actuel de notre droit, un criminel auteur d'un viol sur mineur à l'âge de vingt ans peut se retrouver en liberté à quarante. Ce n'est pas normal ! Si la rupture consiste à dire qu'un individu qui représente une menace pour nos enfants ne doit pas être relâché dans la nature, alors oui, je suis pour la rupture !
N'oublions pas qu'un des principes de la République est d'assurer la protection de la société, en particulier des plus faibles. C'est pourquoi j'avais déposé, en octobre 2004, une proposition de loi visant à ce que les auteurs de crimes commis sur mineurs ne puissent être libérés avant l'âge de soixante-dix ans. Plus de cent parlementaires ont soutenu mon initiative, qui avait pour objet de prévenir la récidive. Peut-être avais-je raison trop tôt ?
Si leur prise en charge en milieu ouvert ne suffit pas, si elles représentent encore un danger, si elles ne veulent pas se soigner, il nous faut placer ces personnes en rétention à l'issue de leur détention. Il s'agit tout d'abord de protéger nos enfants, madame la garde des sceaux !
Le texte que vous nous présentez aujourd'hui traite de deux thèmes essentiels : le cas des agresseurs d'enfants et l'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.
D'une part, il instaure une procédure de rétention de sûreté permettant de retenir dans des centres fermés les auteurs de crimes commis sur mineurs de moins de quinze ans présentant un risque élevé de récidive. Les faits démontrent qu'après leur détention, certains criminels pédophiles demeurent dangereux. Ce fut le cas, mes chers collègues, du dénommé Francis Evrard. Grâce à ces nouvelles dispositions, ces criminels resteront sous contrôle de la justice tant qu'ils représenteront un danger pour la société.
Preuve de son efficacité, ce dispositif s'applique déjà dans de nombreux pays, notamment aux Pays-Bas, où il est en vigueur depuis plus de quatre-vingts ans, mais aussi en Allemagne, en Belgique, au Canada.
Libérer ces hommes à un âge où ils ont encore les moyens physiques de réitérer leurs méfaits, c'est risquer de voir nos enfants allonger demain la liste des victimes. Condamné à vingt-sept ans de prison, Francis Evrard est sorti au bout de dix-huit ans alors que trois expertises soulignaient sa dangerosité et un risque élevé de récidive.
Il est facile de déclarer dans la presse que ce texte marque un changement radical du droit, une dérive dangereuse sous couvert de lutter contre un délit virtuel. Mais qui a pensé aux parents du petit Enis ? Qui a pensé à toutes ces familles brisées ?
Ce n'est pas un angélisme mal placé qui nous apportera la réponse ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) Plus que des mots, plus que des concepts, plus que des paroles, il faut des actes !
Monsieur le président, j'ai perdu trois minutes avant de commencer mon propos à cause d'un incident de séance.
Plus que des concepts, plus que des paroles, il faut agir et utiliser le principe de précaution quand il existe des raisons suffisantes de croire qu'un individu risque de causer des dommages graves et irréversibles.
D'autre part, ce texte améliore le traitement des auteurs d'infractions déclarés pénalement irresponsables. Il n'est pas acceptable que, dans ce cas, le juge d'instruction rende un non-lieu. Cette dénomination est mal perçue par les familles des victimes, car elle leur donne l'impression que les faits n'ont jamais eu lieu. Désormais, il y aura un débat sur les éléments à charge, et les déclarations d'irresponsabilité pénale seront inscrites au casier judiciaire.
Mes chers collègues, pour protéger les plus jeunes et les plus vulnérables de notre société, il est urgent de modifier l'état de notre droit pénal. J'espère très sincèrement que ce texte va assez loin, mais cela, seul l'avenir nous le dira ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Reprise de la discussion
Jusqu'à présent, même si leurs positions sont divergentes, l'opposition et la majorité, à défaut de se comprendre, se sont écoutées. En tout cas, elles n'ont pas essayé de déformer les positions des autres.
Or, tout à l'heure, M. Hunault a mis le feu aux poudres (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) en engageant une polémique contre Mme Guigou qui, de ce fait, a relu son intervention sans en retirer un mot, montrant ainsi que ses propos n'avaient rien à avoir avec la caricature polémique et bassement politicienne qu'en avait faite M. Hunault !
Je regrette donc, monsieur le président, que vous n'ayez pas pu – ou voulu – me donner la parole avant M. Mallié et j'estime que le débat mérite d'être recadré : laissons là la caricature (Rires sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) et les approximations, et revenons au sujet !
Monsieur le président, au nom du groupe SRC, je demande une suspension de séance d'un quart d'heure, afin que nous puissions réfléchir à la façon dont nous allons poursuivre ce débat.
La parole est à M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
Je ne partage pas entièrement les explications de M. Blisko sur l'origine de cette tension, mais il me semble en effet opportun de suspendre la séance quelques minutes pour que nous puissions reprendre nos débats dans un climat plus calme et dans le respect des opinions de chacun.
Telle était bien mon intention, monsieur le président de la commission.
Cela étant, monsieur Blisko, je ne vous ai pas refusé la parole. Il se trouve simplement que je l'avais déjà donnée à M. Mallié avant que vous ne demandiez une suspension de séance. Il était donc normal que M. Mallié puisse terminer son intervention.
Je pense que les propos qui ont été tenus étaient excessifs d'un côté comme de l'autre, et nombre de nos collègues peuvent en témoigner. L'incident est clos. Je vous propose une suspension de séance de quelques minutes.
Reprise de la discussion
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt-trois heures, est reprise à vingt-trois heures dix.)
Reprise de la discussion
Madame la garde des sceaux, il est des thèmes plus faciles que celui que vous nous proposez pour s'exprimer avec simplicité. Et il est des sujets plus aisés pour s'opposer. Comment, en effet, ne pas partager la compassion dont vous faites preuve à l'égard de toutes les victimes et de leurs familles ? Comment ne pas vous accompagner quand vous dites ne pas vouloir rester impuissante face à ces drames humains ? Comment ne pas comprendre votre souci d'adapter notre justice pour mieux protéger la société ?
Et pourtant, en conscience, je ne puis voter votre texte, tant sa genèse et sa philosophie me semblent aux antipodes de ce dont notre pays a besoin. Votre texte a une histoire. Vous l'avez même revendiquée, estimant qu'il était logique de légiférer en tenant compte des questions que pose l'actualité. Je ne vous reproche pas ce point de vue. Mais, de la prise en compte des inquiétudes de l'opinion publique à l'élaboration de politiques fondées sur l'émotion, il y a un fossé que, je crois, vous avez franchi.
Ce n'est pas là une première. Le fait divers semble bien être devenu, ces dernières années, le moteur exclusif de l'action gouvernementale en matière judiciaire. Il génère des rapports d'experts, régit l'ordre du jour parlementaire, engendre des lois. À chaque fait divers, son indignation populaire ; à chaque indignation populaire, sa réaction présidentielle ; à chaque réaction présidentielle, son texte législatif ; et à chaque texte législatif, son durcissement des peines.
La nouveauté, madame la ministre, c'est que nous sommes passés subrepticement de la démocratie d'opinion à la démocratie d'émotion. Car, à l'inverse de ce qu'affirmait votre prédécesseur, Pascal Clément, nous légiférons désormais en fonction d'une seule affaire. Dans ce système, toute souffrance individuelle se doit d'obtenir une réponse publique rapide, à défaut de pouvoir être immédiate.
Vous êtes fidèle à ce que disait Nicolas Sarkozy en juillet 2006 : « Les droits de l'homme, pour moi, ce sont avant tout les droits de la victime. » Avec vous, la victime devient le coeur de l'appareil judiciaire et sa douleur fait l'objet de ce qui pourrait s'apparenter à une instrumentalisation. À s'inscrire aussi résolument dans le registre de la réaction compassionnelle, je ne doute pas que les criminels seront plus durement châtiés que par le passé.
Mais les victimes, celles-là mêmes au nom desquelles vous prétendez oeuvrer, y trouveront-elles réellement leur compte ? Les placer au centre du procès pénal est certes électoralement payant, émotionnellement stimulant et médiatiquement cohérent, mais cela ne rend pas la peine plus efficace.
C'est sans doute un poncif, mais permettez-moi de le rappeler : l'émotion peut être mauvaise conseillère, car elle est une invitation permanente à l'excès. Or la justice a besoin de mesure et d'un garde des sceaux qui en soit le garant. Il n'est pas sain que les plus hauts dignitaires de l'État, dont on attend un minimum de retenue, se fassent les zélés propagateurs d'un populisme pénal (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire)…
…qui ne recherche pas la peine la mieux adaptée aux actes commis par un délinquant, mais à être en phase avec la colère des victimes, en prévoyant des peines qui en sont le reflet. S'il y a une leçon à tirer du drame humain d'Outreau, auquel on se réfère souvent et à juste titre dans cet hémicycle, c'est bien que la justice doit savoir rester à distance de l'opinion.
Voilà pourquoi ce texte est de mauvaise facture et les logiques qui le sous-tendent sont contestables.
Madame la ministre, la loi doit être le fruit de mûres réflexions et non l'aboutissement d'émotions douloureuses. En surfant sur la vague de l'immédiateté, vous vous donnez peut-être les moyens de rallier momentanément à votre politique l'opinion majoritaire. Mais en sacrifiant à cette fin la prévention et la réinsertion, c'est-à-dire en créant les conditions d'une aggravation du taux de récidive dans notre pays, vous préparez aussi, inéluctablement, son retournement. La solution, sinon idéale, du moins la plus appropriée, réside dans le traitement des pédophiles et des malades mentaux, et non dans leur relégation à vie dans des asiles qui sont autant de bunkers totalement coupés du reste de la société. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Des années de recherche seront nécessaires pour développer des thérapies encore plus efficaces, mais il faut poursuivre dans cette voie. Une telle solution ne convaincra sans doute pas à court terme l'ensemble de nos concitoyens, mais il ne nous appartient pas d'alimenter le fantasme parfaitement illusoire d'un monde exempt de tout risque. Il nous revient seulement d'agir en élus responsables dans une société responsable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Madame la garde des sceaux, je voudrais d'abord vous dire, au nom du groupe UMP, combien nous admirons votre sang-froid face aux accusations réitérées d'obscurantisme et de remise en cause des principes généraux de notre droit dont vous êtes l'objet. Nous connaissons vos convictions et vous savons au-dessus de tout soupçon. Le texte que vous nous présentez affiche clairement ses objectifs et ne cache aucune intention que vous ne voudriez pas dévoiler. Vous l'avez dit, une fois de plus – mais quoi d'étonnant à cela compte tenu des sujets que vous nous proposez ? –, il met la victime au coeur de notre droit, en l'occurrence de l'article 122-1 du code pénal, jadis article 64.
Notre système est bien curieux, car s'il reconnaît – et c'est une bonne chose – qu'une personne ayant commis des faits en état de démence n'est pas responsable, il le fait selon une procédure qui laisse accroire que les faits ne se sont pas produits. Si les juristes entendent dans le non-lieu qu'il y a non-lieu à poursuivre, les victimes et leurs familles comprennent que les faits n'ont pas eu lieu. Vous apportez enfin une réponse, que les juristes attendent depuis longtemps, à cette injustice profonde. Demain, à la faveur de ce texte, il n'y aura plus de non-lieu. On saura si, oui ou non, les faits ont été commis et s'ils sont imputables à la personne présentée devant un juge d'instruction. Une responsabilité nouvelle est donnée à la chambre d'instruction, qui décidera de l'imputabilité : les faits ont-ils été commis ? L'ont-ils été par la personne présentée ? Ensuite seulement, l'irresponsabilité sera déclarée.
Un deuxième point peut sembler anodin mais est tout aussi important. Dans le système actuel, la victime d'une infraction commise par une personne en état de démence est obligée de saisir elle-même la juridiction civile après qu'un non-lieu a été prononcé au pénal. C'est elle qui supporte la charge de cette action, qu'elle n'aurait pas eu à mener si elle avait pu se constituer partie civile devant une juridiction pénale. En l'y autorisant, nous lui ouvrons un droit nouveau.
Le sujet qui fait le plus débat est la rétention de sûreté. Mais de quoi parle-t-on ? J'ai écouté avec beaucoup d'attention les défenseurs de l'exception d'irrecevabilité et de la question préalable. On entretient sur leurs bancs une confusion, que les étudiants pénalistes ne commettent plus depuis bien longtemps, entre dangerosité psychiatrique et dangerosité criminologique. (« Pas du tout ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) Ce n'est pas la même chose !
Vous dites que l'hospitalisation d'office ou à la demande d'un tiers apporte une réponse au problème. Madame Guigou, vous avez été garde des sceaux et, comme tout ministre de la justice, vous avez eu à connaître d'affaires terribles qui vous ont sans nul doute émue. Mais chacun sait que, trop souvent, on ne peut pas placer sous le régime de l'hospitalisation d'office une personne ayant commis des faits criminels graves qui va sortir de prison à la fin de sa détention, parce que, ne présentant pas de troubles profonds et de dangerosité immédiate, elle ne répond pas aux critères. Le texte qui nous est proposé y remédie et permet de préparer la sortie un an ou deux ans avant qu'elle n'ait lieu. S'il y a danger, il permet d'apporter à la personne en difficulté les moyens de se réinsérer convenablement.
Pour ma part, madame Guigou, je me refuse à choisir entre Lombroso et Beccaria.
La politique et la justice ne sont pas affaires d'histoire. Nous légiférons pour demain au regard de la situation actuelle. Je suis persuadé que, face à la criminalité du XXIe siècle, Lombroso ou Beccaria n'auraient pas écrit ce qu'ils écrivirent en d'autres temps. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, j'entends ici et là que les mânes de Philippe Pinel, libérateur des aliénés dont la statue orne l'entrée de la Salpêtrière, et ceux de mes ancêtres aliénistes seraient choqués par le projet de loi qui nous est soumis.
Pourtant, c'est un texte révolutionnaire. Au sens premier du terme, d'abord : il revient enfin au principe que la victime doit être au centre de l'appareil judiciaire, dans le respect naturellement des droits de la défense. Ensuite, il regarde la réalité en face : le monde n'est pas peuplé que de frères humains tous dotés de la structure psychique qui nous permet de converser ce soir entre gens de bonne compagnie. Il compte aussi des individus profondément pervers, qui n'ont aucune empathie pour leurs victimes, qui n'attribuent aucune sensation, aucun sentiment à celles et ceux qu'ils violent et tuent, notamment les préadolescents et les enfants.
Oui, cette loi est juste et bonne et nous pouvons être fiers qu'elle opère enfin cette révolution de pensée que nous étions nombreux à appeler de nos voeux. Je précise qu'elle ne concerne pas le 1 % de population schizophrène que certains ont évoquée à juste titre ce soir.
L'émotion, ai-je encore entendu, serait mauvaise conseillère. Or la capacité à ressentir des émotions, y compris de la culpabilité, est précisément ce qui fait de nous des êtres humains. Et c'est précisément cette empathie, cette capacité à ressentir et à ne pas considérer l'autre comme un simple objet de jouissance qui manque aux pervers. Ce n'est pas parce qu'ils auront passé quinze ans ou vingt ans en prison qu'ils ne recommettront pas les mêmes méfaits. Voilà ce que ce texte essaie de corriger.
Certes, nous n'échapperons pas à un grand débat sur la psychiatrie, en particulier sur les moyens qui lui sont alloués, que Michel Hunault a évoqués. La France y consacre 4 % de son budget de la santé quand d'autres pays sont à 11 %. Soit. Mais là n'est pas la question ce soir. (« Si ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) Non, il s'agit aujourd'hui de morale. Il s'agit de reconnaître les victimes et de permettre aux familles de faire leur travail de deuil en paix, le crime ou le viol ayant été reconnu comme ayant eu lieu. Voilà ce qui est demandé à la représentation nationale. Je serai fier de voter cette loi et de soutenir votre démarche courageuse, madame la ministre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Madame la garde des sceaux, votre projet de loi en deux volets, l'un relatif à la rétention de sûreté, l'autre à la déclaration d'irresponsabilité pénale, vient à point nommé pour répondre à l'inquiétude de l'opinion, née de crimes odieux qui ont récemment frappé des enfants et des soignants, dont la vocation est de prendre en charge des individus dangereux pour eux-mêmes et pour autrui. Ces derniers, pour pénalement irresponsables qu'ils soient, n'en représentent pas moins un grave risque potentiel pour la société. Ce faisant, vous tenez un des engagements du Président de la République auxquels les Français sont particulièrement sensibles, notamment les familles, qui sont l'armature de notre société. Vous montrez aussi votre courage et votre fermeté en rétablissant l'équilibre entre les deux fonctions de l'autorité judiciaire, constitutionnellement gardienne des libertés publiques : la protection de la société, en particulier des victimes, et la personnalisation de la peine.
Ainsi, l'abandon du non-lieu, terme offensant pour les victimes d'agresseurs pénalement irresponsables, est une mesure qui devrait faire consensus.
S'agissant de la rétention de sûreté, je souhaiterais que vous puissiez rassurer nos concitoyens sur les modalités d'application de cette mesure opportune et réfléchie. À cet égard, je voudrais formuler trois observations.
D'abord, usant d'une simplification sans doute abusive, je dirai que le bracelet électronique n'est rien sans ceux qui en contrôlent la mise en oeuvre – et pas seulement sur le plan technique –, sans de véritables tuteurs ou officiers de probation, qui prolongent par le dialogue ce qu'un simple pointage au commissariat ou à la gendarmerie ne peut assurer. Comme pour le suivi thérapeutique, il n'est pas d'efficacité sans contrôle réel.
Ensuite, le texte n'ayant pas de portée rétroactive, qu'envisagez-vous pour les condamnés en passe d'être libérés mais présentant un risque grave de récidive, en particulier si aucun réexamen de leur situation n'a été prévu ou s'ils ont commis plusieurs crimes ?
Enfin, je voudrais évoquer, sur le plan des principes, une affaire atroce, qui a endeuillé la France entière, et en particulier le VIIe arrondissement de Paris, où le père de la victime, qui a fait preuve d'une dignité exemplaire, exerce sa mission d'officier, est connu et très apprécié. La jeune et héroïque Anne-Lorraine Schmitt a été assassinée un dimanche matin dans un train de banlieue par un violeur récidiviste, condamné et libéré, qui tentait d'abuser d'elle. Elle avait vingt-trois ans,
Le viol est un crime particulièrement odieux et je ne vois guère de différence d'âge de la victime qui puisse justifier un traitement différent quant aux risques de récidive ; à moins d'admettre qu'une jeune femme majeure mérite moins de protection contre le viol qu'une mineure, ou que le violeur d'une majeure ne s'attaquera jamais à une mineure. Absurde naturellement ! Comme il est injuste aussi d'exclure les personnes âgées particulièrement vulnérables.
Voilà pourquoi j'ai cosigné un amendement étendant aux autres auteurs de crimes les plus graves, dont le viol, les mesures proposées pour les auteurs de crimes pédophiles. Les travaux de la commission des lois ont devancé heureusement mon intention. Je souhaite très ardemment que le Gouvernement s'y rallie.
Madame la garde des sceaux, confirmez-nous, je vous en prie, que, demain, en l'état du droit et de son application, le calvaire d'Anne-Lorraine ne pourra plus jamais se reproduire.
Sous le bénéfice de ces observations, je voterai, bien sûr ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, une fois de plus, ce gouvernement nous propose d'examiner un texte fondé, d'une part, sur l'émotion et le pathos (Murmures sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) et, d'autre part, sur le mythe illusoire et liberticide du « risque zéro », autrement dit le mythe de la sécurité absolue.
Quand on examine votre copie, madame la garde des sceaux, il ressort à l'évidence que ce projet de loi ne repose pas sur les valeurs républicaines de justice, d'éthique et d'humanisme. Or ce sont ces mêmes grandes valeurs qui doivent impérativement guider au quotidien les professionnels de la justice et de la santé. Et j'ajouterai que ce sont aussi ces mêmes valeurs que nous, élus de la nation, avons le devoir de partager avec ces praticiens du droit et de la médecine.
Bien au-delà de ses objectifs affichés, lesquels sont forcément consensuels lorsque la communication prend le pas sur la complexité du réel, ce projet de loi nous apparaît comme particulièrement dangereux. C'est pourquoi les députés radicaux de gauche ont fait le choix, en responsabilité et en conscience, de se prononcer contre aussi bien la philosophie que le dispositif de ce texte.
En nous présentant ce projet de loi, madame la garde des sceaux, vous faites pencher une nouvelle fois la balance de notre justice du côté de l'émotion au détriment de la raison. En effet, si l'émotion est parfaitement légitime devant l'horreur des faits qui ont inspiré ce texte, la noble mission du législateur est bien de savoir en faire abstraction afin que la règle de droit ne soit jamais le produit d'une récupération politique des affects. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Tous ces faits atroces ont suscité une réelle émotion dans l'opinion publique, émotion – je le redis ici – assurément légitime. Mais l'émotion ne peut pas et ne doit pas guider notre politique pénale ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Celle-ci, pour être efficace, doit être le fruit d'une réflexion associant tous les spécialistes de la justice, de la prison et de la psychiatrie.
Votre texte, madame la garde des sceaux, est un leurre dans la mesure où il est bâti ni sur la réflexion, ni sur l'expertise, mais d'abord sur l'émotion. Et du discours qui associe émotion et populisme à l'illusion législative, il n'y a qu'un pas que vous franchissez, il faut bien le reconnaître, de la façon la plus décomplexée qui soit.
En voulant apporter de fausses bonnes réponses aux victimes et à leur famille, vous oubliez totalement le délinquant, et c'est alors que vous faites fausse route. À la raison, à l'éducation ou encore aux soins, vous préférez l'enfermement prolongé, et donc le chemin le plus court, celui de la facilité et du manichéisme simplificateur, celui-là même qui oppose dans votre discours « prédateurs » et « victimes », « coupables » et « innocents », bref les « méchants » contre les « gentils ». (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Or, contrairement à ce que l'on peut entendre dans votre majorité, prendre en compte les premiers n'a jamais signifié abandonner les seconds. Vous faites le choix totalement inverse en rédigeant un texte à destination des seules victimes. De même en postulant que la sécurité absolue repose sur une prédiction de dangerosité, tout condamné devient pour vous un potentiel récidiviste, qu'il faut à tout prix neutraliser, au-delà même de la durée de sa peine, et donc au mépris de la présomption d'innocence et de sa possible réinsertion.
Cette illusion de sécurité absolue remet alors en question les libertés fondamentales puisqu'elle vise à tenir enfermés des citoyens qui ont purgé leurs peines et qui n'ont commis aucune nouvelle infraction. On voit donc que l'instauration d'un tel dispositif repose sur une véritable philosophie de l'enfermement, qui, sous prétexte de lutter contre la récidive, impose une législation uniquement répressive et attentatoire aux libertés publiques. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Il s'agit, ni plus ni moins, de procéder à des enfermements préventifs sur la base d'une présomption d'infraction à venir. Ce glissement d'une justice de responsabilité vers une justice de dangerosité n'est pas acceptable ! (Même mouvement.)
Dans une récente note rendue publique, la Commission nationale consultative des droits de l'homme a fait part, elle aussi, de sa vive inquiétude devant l'introduction dans la procédure de ce concept flou de dangerosité.
En outre, l'appréciation de ladite dangerosité se fondera sur une simple expertise médicale, ce qui procède d'une grave confusion entre délinquance et maladie mentale. Tous les professionnels s'accordent à dire que le lien entre dangerosité psychiatrique et dangerosité criminologique n'est pas établi et n'a certainement rien d'automatique. Pourquoi nous présenter un texte fondé sur des simplifications et des raccourcis intellectuels ?
En remplaçant l'effectivité de l'infraction commise par un diagnostic subjectif de dangerosité, non seulement vous supposez une prédisposition innée ou acquise à commettre des crimes, mais, plus grave encore, vous déniez toute possibilité de changement, de guérison ou de réinsertion. C'est probablement pour cela que vous refusez de porter les efforts humains et financiers sur le temps de la peine et les conditions de détention dans des prisons régulièrement qualifiées d'humiliantes pour notre République.
Madame la garde des sceaux, il est temps, pour vous et pour votre majorité, d'admettre certaines vérités : le « risque zéro » n'existera jamais, pas davantage du reste que la sécurité absolue, et ce malgré tous les textes répressifs que vous seriez tentée de présenter devant notre assemblée.
L'évaluation de la dangerosité d'un individu ne sera jamais une science exacte, et le diagnostic médical reflétera toujours un état présent et n'aura jamais valeur de pronostic.
Enfin, la justice ne doit jamais se confondre avec la vengeance, ni même avec la compassion pour les victimes, sans quoi le risque est grand, madame la garde des sceaux, que l'autorité judiciaire, dont vous avez aujourd'hui la lourde charge, ne soit plus synonyme de justice. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Madame la ministre, je voudrais vous dire en préambule que, en tant que citoyenne, j'adhère complètement à la volonté que vous avez de prévenir des crimes odieux en récidive, comme nous en avons eu récemment quelques exemples.
Cependant, si je comprends le principe, j'avoue que le texte que vous nous proposez aujourd'hui me pose un certain nombre de problèmes sur le fond et la forme.
Tout d'abord, je regrette qu'il fasse – sans doute de manière involontaire –, l'amalgame entre, d'une part, des criminels particulièrement dangereux et en risque de récidive et, d'autre part, les personnes atteintes de troubles mentaux.
Je n'ai rien à dire sur le second volet du projet de loi concernant l'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, qui me paraît effectivement nécessaire pour conforter les victimes dans leur dignité et leurs droits, tout en garantissant l'état d'irresponsabilité de l'auteur d'un délit ou d'un crime lorsqu'il est atteint d'un trouble mental.
Cependant, je crains que, une fois de plus, nous n'ayons à traiter une loi d'opportunité, qui vient, par petites touches, compléter un arsenal « en mouvement ». Je ne suis pas sûre que ce soit très efficace.
Comme le précise le rapporteur, Georges Fenech, le premier volet de ce projet de loi s'inscrit dans le cadre d'une réponse à des événements tragiques qui ont récemment ému l'opinion publique, Beaucoup l'ont rappelé ici, en citant les affaires Evrard et Dupuy.
Mais ce projet de loi fait suite aussi à trois lois en deux ans et trois autres rapports sur le sujet, rédigés dans le même temps.
Et cela m'inquiète en regard des principes du travail parlementaire. Car la responsabilité politique veut que l'on ne réagisse pas au coup par coup, que l'on sache surmonter l'émotion, et surtout celle de l'opinion publique, et que l'on se réfère à des valeurs intangibles. Les miennes sont celles des droits de l'homme.
À ce niveau, je voudrais être certaine que votre texte n'égratigne pas quelques-uns de ces principes.
Il faut encore légiférer sur ce sujet. Malgré les trois derniers textes, nous allons par un texte spécifique – pour quelques cas particuliers, dont personne d'ailleurs ne peut donner le nombre exact – modifier une nouvelle fois la législation.
Pourtant, et vous le savez mieux que moi, la plupart des juristes se plaignent des modifications permanentes de textes qui sont parfois déjà modifiés avant même d'avoir été utilisés.
Nous avions pris l'engagement de simplifier la vie des gens. Mais j'ai peur que nous ne fassions le contraire.
Nous continuons dans la même dérive. Un problème se pose, on fait une loi. Mais, quand on cherche à résoudre un problème très particulier par une loi très spécifique, on ne voit pas ce que j'appellerai les « dommages collatéraux », c'est-à-dire les effets « boule de neige » que peut avoir la modification d'un texte sur d'autres dispositifs.
Cela nécessiterait une étude d'impact, que nous sommes nombreux, ici, dans cette assemblée,…
…à appeler désormais de nos voeux, avant l'examen de chaque texte législatif. Une telle étude est en l'occurrence absente.
En ce qui concerne le premier volet concernant les criminels les plus dangereux, je ferai plusieurs remarques.
Au niveau rédactionnel, la perle, que des amendements corrigeront certainement, me semble être l'alinéa 28 qui crée, l'article 706-53-20 du code de procédure pénale et qui n'est qu'une succession de rappels à huit autres articles de deux autres codes.
L'alinéa 30 me pose aussi problème. On y parle – je cite – d'une « particulière dangerosité caractérisée par le risque particulièrement élevé de commission des infractions mentionnées à l'article 706-53-13, le président de la commission régionale… ». Ce vocabulaire me laisse perplexe. Je ne trouve pas que cette rédaction, utilisant des mots flous tels que « particulier » ou « particulièrement » et des homonymes – commission – permette une bonne compréhension du texte.
Sur la forme, les mots « particulièrement » et « particulier » reviennent sans cesse dans cette partie du texte. Or ces mots ont une dimension subjective qui, vu le sujet traité, ne simplifiera pas le travail des juges.
Qu'est-ce qu'un risque « particulièrement élevé » de récidive ? Comment peut-on l'évaluer ? Qui doit l'évaluer ? Qui sera responsable en cas de mauvaise évaluation ? Les décrets d'application en donneront peut-être la définition…
Il n'y a pas de décret d'application en droit pénal. La loi pénale est d'application immédiate.
Les interruptions seront-elles décomptées de mon temps de parole, monsieur le président ?
Mais cette volonté de nuancer le risque va, sans aucun doute, complexifier l'application de la loi.
Nous avons vu, dans quelques procès retentissants, l'importance mais aussi la fragilité des experts, qui seront pourtant ici en première ligne. Aussi, je m'interroge.
Sur le fond, je trouve le parcours de commission en commission assez complexe, même s'il semble nécessaire pour garantir le droit des « détenus libérables » qui sont concernés par le sujet.
Mais, si l'on regarde sur le fond ce que signifie ce texte pour des personnes reconnues « particulièrement » dangereuses, condamnées à un an de prolongation, puis à une évaluation de trois mois en trois mois, indéfiniment renouvelable,…
…cela revient à les condamner à la prison à vie sur une présomption de criminalité potentielle. C'est aller à l'encontre des principes de la peine et de l'emprisonnement.
Une sanction doit répondre à une infraction commise, pas à une présomption d'infraction que l'on pourrait commettre. Là aussi, je m'interroge.
Pour le reste, moyennant des aménagements de rédaction du texte, et malgré toutes mes interrogations, et parce qu'il faut bien trancher, je vous rejoins sur la nécessité de protéger les personnes les plus vulnérables de notre société. Mais je tiens à rappeler que, à mon avis, on est loin de bien utiliser tous les outils dès à présent à notre disposition. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, on accuse ce texte de sacrifier aux exigences du droit positif – c'est ce que vous nous disiez, madame Guigou – ou plutôt du positivisme juridique, pour être plus précis, au mépris peut-être d'une approche plus psychosociale du crime, en particulier du crime sexuel.
Je crois, madame, que c'était le sens de la référence que vous avez faite à cet auteur.
On fait comme si les personnes dont il est question ici étaient de parfaits innocents…
… que l'on chargerait d'une suspicion indue. Et l'on accorde la priorité au doute porté sur leur capacité à récidiver plutôt qu'à la certitude des crimes déjà commis.
On veut croire que quinze années de détention ont réparé le psychisme pour le moins esquinté – et parfois bien pire encore – de criminels malades, alors que ces quinze années n'ont en définitive fait que solder leurs dettes à l'égard du corps social, ce qui est déjà beaucoup.
On craint ou on feint de craindre que les mesures présentées dans ce texte ne portent des germes parmi les plus noirs, en oubliant que l'esprit même de la rétention de sûreté est déjà présent dans notre droit et que les élus locaux, nombreux ici, l'utilisent probablement lorsque le besoin s'en fait sentir.
Je voudrais apporter quelques éléments de réponse à ces différentes objections.
Premièrement, il y a, je le crois, des criminels inguérissables ou, du moins, des criminels que la détention n'a pas guéris. Il faut, me semble-t-il, en prendre acte. Comme vous, je pense qu'une loi pénitentiaire est nécessaire. Un effort très important d'accompagnement des détenus vers leur réinsertion l'est tout autant. Mais une loi psychiatrique est également nécessaire, urgente elle aussi, quoique pour des raisons différentes.
En revanche, je ne vous rejoins pas, mes chers collègues de l'opposition, sur un point. Certains criminels ne peuvent pas, au terme de leur peine, vivre en société sans représenter un danger réel pour le corps social.
Face à ce constat, que faire ? Vous partez du principe qu'un accroissement des moyens d'insertion réglera la question. Nous partons, nous, du principe que, dans certains cas, aucun moyen supplémentaire n'y fera.
La limite de l'exercice réside dans la grande incertitude en ces matières, où se rejoignent, presque en se narguant, la faiblesse du criminel et l'imperfection du juge et de l'expert. Il s'agit d'un choix politique fondé sur une expérience, malheureusement partagée : de nombreux criminels ont prouvé par leur comportement qu'au terme de leur peine, ils n'étaient pas mûrs ou pas encore mûrs pour la liberté.
Choisir pour eux la rétention de sûreté n'est pas autre chose que la volonté de faire primer la sûreté de tous sur la liberté de circuler de quelques-uns. C'est une manière de régler un conflit présent au coeur même de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen selon lequel la sûreté est un droit imprescriptible. Je comprends que votre solution au même problème soit différente, mais notre inspiration et notre point de départ sont semblables aux vôtres. Et ce texte me semble présenter toutes les garanties nécessaires au respect des personnes.
Je souhaite rappeler que rendre la justice aux victimes est la première forme et la première exigence de la justice. Il est normal de chercher à permettre aux victimes d'obtenir cette imparfaite justice qu'est la condamnation d'un coupable, quel que soit son état mental. Je n'ai pas de commentaire à faire à ce sujet, mais je ne partage pas non plus les craintes qui ont parfois été exprimées.
En conclusion, madame la garde des sceaux, je souhaite appeler votre attention sur l'article 1er. Je suis de ceux qui souhaitent ne pas faire de différence entre les victimes, et j'ai déposé un amendement en ce sens. Pour vous avoir entendue ce matin et écoutée attentivement, j'ai cru comprendre que nous pourrions trouver un accord, ce dont je me félicite. Conscient de la grande complexité de ce sujet, j'apporterai mon soutien à votre texte, madame la garde des sceaux. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la rétention de sûreté est une privation de liberté. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
C'est donc une atteinte à un droit fondamental qui doit avoir une cause, répondre aux critères de nécessité et de proportionnalité, et s'exercer dans des conditions écartant toute modalité infamante ou dégradante. Toute politique pénale implique une réflexion sur le droit de punir, le sens de la peine, les modalités de celles-ci et une réflexion sur les droits de chacun à l'égard du corps social.
Et le premier devoir de l'État, dans la conduite d'une telle politique, est celui de vérité et du réalisme. Sa plus haute responsabilité, c'est que cette politique n'altère jamais sans raison les libertés individuelles.
Votre projet de loi, comme le prouve d'ailleurs la teneur de nos débats, est inspiré par une émotion légitime, suscitée par des drames dont personne ici ne méconnaît la gravité et les conséquences douloureuses.
Il s'inscrit dans une surenchère répressive que la majorité actuelle comme la précédente a instaurée comme unique vecteur de la loi pénale. Il atteste singulièrement les limites de cette fuite en avant reposant sur le mythe de la tolérance zéro et du risque zéro.
D'une certaine manière, votre texte est un désaveu cinglant à la politique menée depuis près de six ans, du tout-carcéral, sans réelle démarche pénitentiaire et au détriment de la véritable politique pénale que j'évoquais à l'instant. Celle-ci devrait d'abord être fondée sur un vrai travail de concertation et de coordination entre tous les acteurs de la chaîne pénale, mais aussi avec tous les scientifiques et le corps médical ; puis, sur des études préalables d'impact et des outils fiables d'évaluation des lois votées et de leur application ; ensuite, sur une vision réfléchie, à bonne distance d'une opinion publique versatile – je vous rappelle à cet égard l'affaire Outreau. Enfin, une véritable politique pénale doit veiller au strict respect de nos principes fondamentaux de notre droit positif, intégrant les normes internationales des États démocratiques, principes qui, faut-il le rappeler, sont le fruit de l'évolution d'une société civilisée, et témoignent du progrès dans le traitement de la délinquance.
À la lumière de ces réflexions, que peut-on attendre d'une loi élaborée dans la précipitation, dictée par l'émotion sans aucune concertation préalable avec ceux qui peuvent construire notre intelligence collective et qui devront l'appliquer ? Que peut-on attendre d'une nouvelle loi, alors que nous attendons encore les décrets d'application de celles qui ont déjà été votées ?
Comment, en effet, ignorer l'arsenal juridique déjà existant, notamment le suivi socio-judiciaire, le bracelet électronique, la surveillance judiciaire, autant d'outils dont la mise en oeuvre parfois toute récente, méritent à tout le moins qu'on fasse le point sur leur efficacité et leur influence sur l'évolution des faits de récidive.
L'indigence du secteur psychiatrique dans le monde carcéral, celle des moyens des services d'insertion et de probation, les conditions de détention et les conditions de travail du personnel pénitentiaire, l'insuffisance du nombre de juges d'application des peines et de conseillers d'insertion et de probation, c'est cela qui est d'abord le coeur du problème de la récidive.
Pourquoi ne voulez-vous pas faire, de la longue peine, un temps utile, en prévoyant un véritable accompagnement permettant au condamné d'envisager sa sortie avec un vrai projet de vie et un suivi, notamment thérapeutique ?
Bref, il faut protéger plus les voyous que les victimes ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Cette loi est donc un rendez-vous manqué alors qu'il s'agit d'améliorer la prise en charge des délinquants, de les aider à préparer leur sortie et donc d'éviter la récidive.
De plus, après l'exécution d'une longue peine, fonder l'enfermement sur l'état de dangerosité de la personne, sans commission d'infraction, consacre une « justice » virtuelle ou plutôt une « non-justice », à l'opposé de nos valeurs républicaines et démocratiques et de notre tradition juridique, où l'individu est appréhendé comme un être en devenir quel qu'il soit et quoi qu'il ait fait.
En réalité, vous introduisez une élimination sociale. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Votre dispositif repose non sur le fait commis, mais sur le risque d'en voir commettre un autre. Êtes-vous prêt à assumer ce bouleversement alors même que la dangerosité est, au-delà d'une définition théorique et doctrinale dans les domaines criminologiques et psychiatriques, une notion encore trop subjective pour ne pas aboutir à des décisions arbitraires ? (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Votre loi procède d'un raisonnement simpliste. Elle sera inefficace pour protéger les victimes. Et au premier acte qui nous plongera à nouveau dans l'horreur, vos certitudes seront démenties.
Que nous proposerez-vous alors ? Quelles autres brèches dans les valeurs qui fondent le socle de notre corps social, celles des droits de l'homme, viendrez-vous justifier ?
Jusqu'à quels reniements, notre démocratie ira-t-elle, en prétendant vouloir se défendre ? Votre projet de loi donne, je vous l'assure, mes chers collègues, à ces questions une réponse des plus préoccupantes. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, c'est avec un grand soulagement que j'ai participé à la préparation de cette loi parce que je souhaite profondément, pour nos enfants, vivre dans une société qui ne connaisse plus de drames comme ceux du petit Enis ou d'Anne-Lorraine. En tant qu'élue, j'ai pu mesurer l'attente des parents à ce sujet ; beaucoup m'ont exprimé leur peur que la route de leurs enfants croise celle d'un ancien délinquant sexuel, qui verrait ses vieux démons revenir.
Il ne s'agit pas uniquement pour un délinquant sexuel d'exécuter sa peine : encore faut-il qu'il ne représente plus de véritable danger pour la société et votre projet de loi répond parfaitement à cette préoccupation. Mais, en fin de peine, il n'y a pas que deux catégories de délinquants : ceux qui ne sont plus dangereux et ceux qui le sont encore. Il y a aussi tous ceux qui peuvent le redevenir. Les dispositifs prévus actuellement dans le code de la santé publique pour contrôler ces personnes remises en liberté offrent diverses garanties grâce à l'injonction de soins, le placement sous surveillance électronique mobile, le suivi socio-judiciaire. Mais, les tentations sont très présentes pour replonger dans le crime et Internet représente à cet égard un véritable instrument de récidive.
Si le système de surveillance internationale de la cybercriminalité est reconnu, si la loi de protection de l'enfance punit le seul fait de consulter habituellement un service de communication mettant en ligne des images à caractère pornographique représentant un mineur, et si nous bénéficions d'un efficace réseau associatif luttant contre la pédophilie sur Internet, il n'en reste pas moins que la consultation de telles horreurs est à la portée de tous. Et même sans se rendre sur de telles pages Internet, il existe aussi la possibilité – qui peut sembler plus inoffensive mais qui représente un vrai danger et est extrêmement difficile à contrôler – de participer à des « chats » avec des enfants et entrer ainsi en contact avec eux, en se faisant passer pour un enfant.
Certes, Internet est aussi un formidable outil de réinsertion, devenu presque indispensable aujourd'hui pour la recherche d'un emploi. Or le travail est précisément une des clés pour éviter toute tentation parce qu'il donne un sens à la vie et offre des relations sociales. Mais nous ne pouvons nous contenter de considérer l'aspect positif d'Internet, car nous connaissons tous le revers de la médaille.
Il est un autre sujet parallèle qui m'interpelle, celui du tourisme sexuel. Le tourisme est, comme Internet, un signe d'ouverture au monde, d'échange culturel et pourtant, il peut devenir un outil de récidive quand il devient sexuel. J'évoque ce sujet parce que ce qui peut être mis en place pour contrôler les dangers de l'un pourra peut-être servir à lutter contre les dangers de l'autre. Gardons-le à l'esprit.
Madame la garde des sceaux, comment comptez-vous contrôler, voire limiter les possibilités d'accès à Internet à un ancien délinquant sexuel fraîchement sorti de prison ? Je vous en prie, pensez avant tout aux droits de l'enfant. Cela dit, je voterai bien évidemment votre projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, chers collègues, dans la nuit du 28 décembre 2003, Damien, vingt-sept ans, est à moto sur une route du Maine-et-Loire. En face, un automobiliste qui voulait se suicider fonce sur lui.
« Il a volé la vie de mon fils » m'a dit Marie-Claire, sa mère. Damien est tué sur le coup, le conducteur est légèrement blessé.
Après plusieurs expertises et une instruction qui se sont éternisées, Marie-Claire apprend que le juge prononce un non-lieu, l'auteur de la mort de Damien se trouvant, au moment des faits, atteint d'un trouble psychique ayant aboli le contrôle de ses actes au sens de l'article 122-1 du code pénal. Il avait séjourné à plusieurs reprises en hôpital psychiatrique et avait cessé de prendre son traitement.
Avec dignité, Marie-Claire accepte cette décision, même si, pour faciliter son deuil, elle aurait préféré que la justice se prononce clairement sur les faits.
Aujourd'hui, cette mère, qui a perdu son fils unique, souhaite, comme tant d'autres familles dans notre pays, que notre législation évolue pour éviter la récidive de ces criminels souffrant de graves troubles du comportement.
Le 1er janvier 2006, le corps lardé de coups de couteau de Charlotte est retrouvé au fonds d'un puits, près d'Angers. Dix-huit mois plus tard, le juge d'instruction rend un non-lieu à l'encontre de l'auteur présumé des faits. Les experts relèvent qu'il est atteint d'une schizophrénie évolutive. Le juge le reconnaît irresponsable pénalement.
La famille de Charlotte accepte cette décision et ne fait pas appel de l'ordonnance de non-lieu. Et lorsqu'elle demande ce que deviendra l'auteur du crime, il lui est répondu qu'il sera placé dans une unité de soins fermée. Il y a environ un mois environ, elle a cependant appris qu'il se trouvait dans un hôpital psychiatrique ordinaire, à quelques kilomètres de son domicile où il a tué son amie âgée de 24 ans. Les parents de Charlotte sont angoissés à l'idée de le savoir d'une certaine façon si libre.
Actuellement, lorsque l'auteur d'une infraction est déclaré pénalement irresponsable, le juge d'instruction rend une ordonnance de non-lieu. Cette dénomination est mal perçue par les familles de victimes qui l'interprètent comme l'affirmation que le crime ou le délit n'ont pas été commis. Le non-lieu arrête l'instruction et l'enquête. C'est un raccourci de justice. Que reste-t-il alors aux familles de victimes ? Elles demandent simplement que la justice établisse par qui et comment a été commis le crime, elles veulent être informées des mesures prises à l'égard de l'auteur.
La procédure prévue par le Gouvernement répond à leurs demandes car elle prévoit une audience publique devant la chambre de l'instruction, qui permettra la comparution de la personne mise en examen et donnera la possibilité d'entendre les témoins.
Deux autres mesures constituent des avancées législatives majeures. Tout d'abord, si la partie civile le demande, la chambre de l'instruction renverra l'affaire devant le tribunal correctionnel pour qu'il statue sur les demandes de dommages et intérêts. Par ailleurs, cette même chambre prononcera, s'il y a lieu, une ou plusieurs mesures de sûreté à l'encontre de la personne, mesures qui prennent la forme d'interdictions. À cet égard, je soutiens pleinement l'amendement du rapporteur, qui instaure deux nouvelles mesures de sûreté : la suspension et l'annulation du permis de conduire. En outre, les déclarations d'irresponsabilité pénale seront inscrites au casier judiciaire, ce qui constitue, là encore, une avancée importante.
Madame le ministre, je serai très heureux de participer au vote de cette loi dont je partage pleinement les objectifs car je sais qu'elle apporte des réponses concrètes à des familles durement éprouvées.
Permettez-moi cependant, en conclusion, de vous faire part de deux remarques.
S'agissant d'auteurs d'infractions pénales souvent très graves, les conditions qui permettent au préfet de décider d'une hospitalisation d'office sont presque toujours remplies : l'auteur des faits est alors placé en hôpital psychiatrique. Mais il serait nettement préférable que ces criminels soient obligatoirement placés en unités pour malades difficiles, structures beaucoup plus adaptées à leur prise en charge.
Par ailleurs, lorsque l'auteur d'un crime fera l'objet d'une déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, il deviendra un malade dont le sort dépend à la fois de l'administration – le placement d'office est décidé par le préfet – et du système de santé, car son maintien ou sa sortie d'établissement psychiatrique dépend des médecins. Mais la justice doit pouvoir, à mon sens, suivre le parcours de ces criminels déclarés irresponsables. Peut-on en effet accepter que leur sort dépende du seul avis médical, fût-t-il émis par un collège d'experts ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je suis très étonnée d'entendre des cris alors que nous sommes ici pour débattre d'un sujet difficile et sérieux. Dire, comme certains l'ont fait, que les socialistes seraient là pour défendre les voyous contre les victimes me paraît une aberration.
Le propre de la démocratie, c'est de pouvoir s'écouter les uns, les autres et d'échanger des arguments.
Et je salue le courage de certains collègues qui se sont posé des questions très justes.
Pouvons-nous rester sereins devant les cas qui ont motivé ce projet de loi ? Que penser de cet homme sorti de prison, signalé comme dangereux par les surveillants à leur hiérarchie, dont personne ne s'est soucié de relever l'adresse – il habitait dans un garage –, qui n'avait pas de rendez-vous avant un mois pour le suivi socio-judiciaire et qui a commis cet acte terrible ? Comment de telles sorties sont-elles encore possibles dans notre pays alors que des dispositions les encadrent ?
Faisons le bilan des textes existants et de leur application. Je rappelle ici …
Monsieur Luca, je vous dénie le droit de dire que nous n'avons aucune compassion pour les victimes. Nous avons chacun pu faire l'expérience du malheur dans nos vies personnelles.
Il serait bon que nous nous écoutions les uns les autres sur ces sujets.
Mais je n'ai insulté personne, monsieur Copé. Je vous vois debout dans les travées depuis quelques minutes et je ne sais ce qui vous anime.
Pesez donc mes mots, je pèserai les vôtres.
Le texte de 1998 que nous devons à Elisabeth Guigou a été le premier à poser ces difficiles questions. Il a été suivi par d'autres textes, sur l'application desquels nous n'avons toujours pas d'études. La seule chose que nous savons, c'est que nous manquons de moyens.
Souvenons-nous aussi qu'en France, toute personne déclarée dangereuse pour elle-même ou pour les autres peut être placée à la suite d'un acte administratif, qui est un constat de dangerosité lié à une maladie et non une décision de justice, et gardée en observation pendant quinze jours, avant que des décisions ne soient prises. Comment se fait-il qu'une personne emprisonnée ayant commis un acte odieux ne soit pas soumise à une obligation de soins à l'intérieur même de l'établissement alors même que vous vous accordez tous à dire qu'elle est malade ? Pourquoi attendre dix, quinze, vingt ans, peut-être plus, pour la placer dans une unité spéciale où sa maladie sera prise en charge ?
Votre projet de loi comprend deux grandes séries de dispositions : d'abord, des mesures de sûreté prises sous l'autorité du préfet, qui peuvent être appliquées à une personne condamnée ; ensuite, la possibilité de prononcer par voie judiciaire une présomption de dangerosité en vue d'une rétention d'une durée indéterminée.
Nous sommes ce soir à un moment extrêmement important de notre vie démocratique. Ayons le courage tous ensemble de dire que nous ne sommes pas en mesure d'appliquer les textes existants, qu'il s'agisse des dispositions du code de droit pénal relatives à la responsabilité pénale ou des textes administratifs relatifs à la sûreté en matière de maladie psychiatrique. Après ce constat d'échec collectif, posons-nous les questions qui s'imposent au lieu de tomber dans des excès qui nous conduiront on ne sait où. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
La discussion générale est close.
La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Monsieur Garraud, vous avez raison de souligner que ce projet n'a pas été rédigé sous le coup de l'émotion suscitée par un fait divers. Il est l'aboutissement du travail mené depuis la loi de 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ou commises contre les mineurs qu'avait présentée Mme Guigou. Depuis 2005, trois rapports ont conclu à la nécessité de renforcer la lutte contre les délinquants dangereux. Votre rapport, monsieur Garraud, a été particulièrement important pour mener la réflexion du Gouvernement.
La terrible agression du petit Enis en août dernier a encore montré l'acuité de cette question. Les Français ne comprennent pas que l'on puisse libérer à la fin de leur peine des individus extrêmement dangereux, reconnus comme tels, qui refusent de se soigner, même en détention. Répondre aux attentes de nos concitoyens, ce n'est pas faire une loi émotionnelle, c'est montrer que la politique et la justice sont là pour régler les problèmes et éviter des drames.
Madame Guigou, j'ai été stupéfaite et attristée par la fin de votre discours. Je me suis dit : pas vous, pas ça ! Sous-entendre que le dispositif que nous proposons, qui existe déjà aux Pays-Bas, en Belgique, en Allemagne et au Canada, …
…s'apparente à la philosophie de la barbarie nazie me paraît un glissement injustifiable et intolérable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Je suis profondément choquée par un tel rapprochement.
Pas vous, et pas à moi ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Pour comprendre un système étranger, il faut aller sur place, ce que j'ai fait. Je suis allée visiter le centre Pieter Baan aux Pays-Bas avec Jean-Paul Garraud. Contrairement à ce que vous indiquez, la tutelle judiciaire, équivalent de la rétention de sûreté, commence après la peine si une incarcération est possible. En Allemagne, la détention de sûreté prolonge la peine et se poursuit d'ailleurs en établissement pénitentiaire. La moitié de ces mesures concernent des auteurs d'infractions sexuelles.
Je vous réponds sur le fond, car les mots pour nous ont un sens. Vous estimez que la rétention de sûreté est inutile, considérant que c'est pendant qu'ils purgent leur peine qu'il faut suivre ces individus extrêmement dangereux et non après. Vous avez raison. La prise en charge en prison est essentielle. Elle existe et il faut saluer toutes les personnes qui accomplissent cette tâche. Mais vous savez aussi qu'il n'existe aucun moyen de contraindre quelqu'un à se soigner en prison.
Hier à Melun, avec certains parlementaires ici présents, M. le rapporteur notamment, nous avons constaté combien le travail effectué était exceptionnel. Nous travaillons avec Roselyne Bachelot pour que cette prise en charge soit encore améliorée. Nous avons décidé de développer des groupes de parole pour assurer le suivi des délinquants sexuels.
Il faut savoir que 971 personnels de santé, dont 288 psychiatres, travaillent actuellement dans ces unités spécialisées. Ces chiffres ne comprennent pas les professionnels des 149 établissements de santé, qui prennent en charge la psychiatrie au sein des établissements pénitentiaires.
Nous allons également mettre en place des unités hospitalières spécialement aménagées pour les détenus : 700 places seront créées d'ici à 2012. Le nombre de médecins coordonnateurs chargés de suivre les personnes condamnées à une injonction de soins sera porté à 500 dès cette année. Une équipe mobile sera en outre mise en place dans chaque SMPR afin d'assurer l'intervention psychiatrique et des psychologues interviendront, y compris en dehors des sites d'implantation de ces services, pour mieux faire bénéficier les autres établissements de leur savoir-faire. Sept centres de référence ont été mis en place depuis la fin de l'année 2007 pour diffuser des conseils aux professionnels de la psychiatrie en matière de prise en charge d'auteurs de violences sexuelles.
Vous le voyez, madame Guigou, nous sommes attachés à nous donner les moyens de notre politique. Ce souci n'a pas toujours été de mise, vous le reconnaissez vous-même. La loi du 17 juin 1998, qui a créé le suivi socio-judiciaire, salué par tous, n'a pu être mise en oeuvre que trois ans après sa promulgation, quand les mesures d'application ont été prises.
Votre loi a été votée sans aucun moyen, tout comme la loi présentée par Robert Badinter qui n'a jamais pu être mise en oeuvre. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Malheureusement, dans certains cas, les criminels dangereux refusent de se soigner et ils attendent la fin de leur peine pour pouvoir sortir sans aucune contrainte. C'est le cas de Francis Évrard. Tout à l'heure, vous avez jugé les dispositifs actuels largement suffisants ; ils ne le sont pas. En effet, M. Évrard n'était pas éligible au suivi socio-judiciaire. Vous avez parlé également du bracelet électronique mobile. Ses modalités d'application sont étendues depuis le 1er août 2007. Or, Francis Évrard est sorti en juillet.
Vous indiquez que M. Évrard n'a pu avoir de rendez-vous avec le juge d'application des peines que sept semaines après sa libération. Or il a été inscrit au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes, le FIJAIS, au bout d'un mois. Vous le savez, l'adresse que Francis Évrard avait donnée n'était pas la bonne. S'il avait pu être placé sous surveillance électronique mobile ou s'il avait fait l'objet d'une rétention de sûreté, le petit Enis n'aurait peut-être pas été violé.
Il n'y avait donc pas d'outils juridiques pour permettre d'éviter à Francis Évrard de passer à l'acte. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Non, madame Guigou, Les dispositifs qui existaient avant le 1er août 2007 ne permettaient pas de recourir au bracelet électronique mobile dans le cadre de la surveillance judiciaire.
Je reviendrai sur ce point tout à l'heure.
Vous avez indiqué que le suivi socio-judiciaire était suffisant. Mais vous l'avez fait adopter sans prévoir les moyens correspondants. Vous avez parlé également de la carence de l'insertion et de la probation. Or durant la précédente législature, le nombre d'agents d'insertion et de probation a augmenté de 1 100. Vous n'aviez rien fait quand vous étiez au pouvoir. Il en va de même s'agissant des juges d'application des peines. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Madame Fraysse, vous dites que la rétention de sûreté est une peine après la peine et que c'est retenir à vie un individu alors qu'il n'a commis aucune nouvelle infraction.
Je vous répondrai que la rétention de sûreté n'est pas une peine mais une mesure prise pour assurer la sécurité des citoyens. Elle vise à s'assurer qu'une personne qui présente encore une extrême dangerosité à la fin de sa peine, en raison d'un trouble grave du comportement, n'est pas mise en liberté sans aucun contrôle.
La rétention de sûreté n'est pas une privation de liberté à vie puisqu'elle est prononcée pour une durée d'un an et qu'elle ne pourra être renouvelée qu'après une nouvelle expertise pluridisciplinaire et après une décision prise collégialement par trois juges. Je vous renvoie aux expertises qui existent aujourd'hui dans le cadre de la commission pluridisciplinaire qui a été mise en place lors de la loi de décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales. D'ailleurs, trois expertises avaient reconnu que Francis Évrard était extrêmement dangereux et qu'il présentait un risque fort de récidive, mais nous ne disposions pas des outils juridiques nécessaires pour pouvoir le contrôler.
Parce que le décret sur la commission pluridisciplinaire n'avait pas encore été pris ! Il l'a été le 1er août 2007.
Si M. Évrard avait été placé sous surveillance électronique mobile, nous aurions pu le repérer dès lors qu'il avait changé de région. Or, à sa sortie de prison, ce dispositif n'était pas applicable.
Monsieur Hunault, je vous remercie d'avoir rappelé que ce texte répond à une nécessité et qu'il respecte tous les principes de notre État de droit. Je remercie aussi M. Mallié pour son soutien à cette mesure de protection de la société et M. Urvoas pour avoir rappelé que la justice est faite d'abord pour les victimes.
Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Très bien !
Monsieur Blanc, vous avez rappelé la différence entre un malade psychiatrique et un criminel atteint de troubles du comportement, ce dernier étant responsable de ses actes. La différence entre la dangerosité criminologique et la dangerosité psychiatrique exclut de placer en hospitalisation d'office les criminels visés par le projet de loi. Ceux-là sont atteints de troubles graves du comportement, mais ils ne sont pas fous…
On peut être dangereux pour soi et pour les autres, mais être « fou » n'existe pas.
…et ne relèvent pas de l'hospitalisation d'office, conformément aux textes en vigueur. Ils doivent pourtant faire l'objet de soins pour ne plus présenter de risques. C'est l'objet de la mesure de rétention de sûreté.
Monsieur Dhuicq votre qualité de psychiatre donne à votre propos un retentissement tout particulier. Je vous remercie pour votre soutien à un texte innovant que vous avez qualifié vous-même de « révolutionnaire ».
Madame Aurillac, vous m'interrogez sur les modalités d'application de la rétention de sûreté aux criminels actuellement détenus. Le respect de la Constitution et de nos engagements internationaux est un devoir. Nous avons estimé que, pour respecter ces normes fondamentales, la possibilité de prononcer une mesure de rétention de sûreté devait avoir été prévue lors du jugement initial. Les parlementaires ont constaté que cette règle empêcherait de prononcer directement une mesure de rétention de sûreté pour tous les criminels dangereux qui ont été condamnés avant l'adoption du projet de loi. Certes, ils pourront être placés sous surveillance électronique mobile, et, dans la plupart des cas, cette mesure pourra être suffisante. Mais, pour les criminels les plus dangereux, les tueurs ou violeurs en série qui sont encore atteints de troubles graves du comportement en fin de peine, cette solution peut être insuffisante.
Comme l'a suggéré le rapporteur Georges Fenech, nous avons donc continué à travailler en nous inspirant de l'exemple allemand. Depuis 2004, les Allemands placent en rétention de sûreté des personnes à la fin de leur peine sans que leur condamnation l'ait expressément prévu car ils considèrent que cette mesure découle de la condamnation d'origine même si elle n'est pas mentionnée explicitement. Cette loi a été jugée conforme à la constitution allemande. Pour les tueurs et les violeurs en série, la condamnation montre clairement la dangerosité. On doit donc pouvoir maintenir les violeurs et les tueurs en série en rétention de sûreté à la fin de leur peine lorsqu'ils présentent encore une grande dangerosité.
Madame Orliac, vous estimez que les psychiatres ne peuvent pas déterminer la dangerosité d'un individu et son risque présumé de récidive. La rétention de sûreté repose sur la notion de particulière dangerosité de certains criminels. Je rappelle que, depuis 1994, la libération conditionnelle intervient après une expertise psychiatrique pour les pédophiles. Les psychiatres évaluent la dangerosité d'un individu pour qu'il puisse bénéficier d'une libération conditionnelle. Ces évaluations existent dans d'autres pays. Lors de ma visite aux Pays-Bas, j'ai pu constater qu'un protocole d'évaluation de la dangerosité a été développé.
De plus, l'expertise ne sera qu'un élément d'appréciation de la dangerosité des criminels. Elle sera utilisée par la commission pluridisciplinaire qui décide actuellement de l'utilisation des bracelets électroniques. Une mesure de rétention de sûreté sera prononcée collégialement par trois juges.
Madame Hostalier, ce texte ne fait aucun amalgame. Tout le monde l'a souligné, le dénominateur commun aux deux volets de la loi, c'est la dangerosité. J'ai insisté, dans mon discours introductif, sur la nécessité de ne pas faire de confusion : les criminels dangereux susceptibles de relever d'une rétention de sûreté ne sont pas des malades mentaux.
Monsieur Poisson, je suis d'accord avec vous : la rétention de sûreté, c'est la sûreté de tous au prix de la liberté de quelques-uns.
Monsieur Le Bouillonnec, vous considérez que ce projet crée une nouvelle forme d'élimination sociale. Je pense que la caricature et l'excès nuisent à votre démonstration. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Dans certains cas, des drames peuvent être évités en ne laissant pas sortir des individus dangereux qui refusent de se soigner. Voilà la réalité.
Je vous invite à vous rendre au centre pénitentiaire de Melun pour voir ce qui s'y passe !
Et moi de venir dans l'unité pour malades difficiles Henri-Colin, dans ma circonscription !
Nous y avons rencontré des détenus condamnés à vingt ans de prison, pour des infractions sexuelles graves et qui refusent les soins qui leur sont proposés. Voilà la réalité, monsieur Le Bouillonnec ! Ne vous étonnez donc pas d'être complètement éloigné de votre électorat ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
C'est vrai qu'on ne sait rien, qu'on ne connaît rien et qu'on n'a jamais rien fait !
La rétention de sûreté est un dispositif tourné vers la réinsertion des personnes dangereuses. Même si tout ce qui a pu être proposé au détenu quand il était incarcéré a échoué, ce n'est pas une raison pour faire un pronostic définitivement fataliste.
La prise en charge pluridisciplinaire qui sera mise en place au sein du centre socio-médico-judiciaire vise à maîtriser la dangerosité identifiée. Si l'on devait d'emblée considérer qu'elle est incurable et irrécupérable, la logique d' « élimination sociale » dont vous avez parlé l'emporterait. Mais ce n'est pas le projet que Roselyne Bachelot et moi-même portons.
Madame Gruny, vous me demandez de limiter l'accès à Internet pour les pédophiles à la sortie de prison. Cette restriction est malaisée à mettre en oeuvre car il est difficile de restreindre un accès à Internet lorsque l'on sort de prison. En revanche, vous le savez, le Gouvernement a défini une politique de lutte contre la pédophilie sur Internet et le démantèlement récent d'un réseau pédophile à Rouen a montré notre implication dans ce domaine.
Monsieur Jeanneteau, les drames que vous avez rappelés illustrent la rudesse dans la procédure actuelle d'irresponsabilité pénale. Le projet de loi y remédie. De même, la possibilité d'ordonner des interdictions comme celle d'entrer en relation avec les victimes répond aux attentes des victimes mais aussi des psychiatres. Ceux-ci n'ont aujourd'hui encore aucune base légale pour encadrer les sorties à l'essai de leurs patients. Là aussi, le texte leur en offre la possibilité.
Madame Lebranchu, le parcours de Francis Évrard est celui d'un délinquant sexuel pédophile reconnu dangereux et l'illustration même de l'insuffisance des dispositifs actuels de prise en charge et de surveillance des criminels dangereux.
Libéré le 2 juillet 2007, il était convoqué pour le 24 août par le juge de l'application des peines d'une autre juridiction puisqu'il avait déclaré une adresse dans le ressort d'un autre tribunal. Le 15 août, il enlevait et violait le petit Enis.
Ni une convocation très rapide du juge de l'application des peines, ni la non-prescription de Viagra, ni d'ailleurs un placement sous bracelet électronique, qui n'était pas juridiquement possible à la date de sa libération, n'auraient pu éviter cette récidive.
Trois experts l'avaient décrit comme un pédophile inaccessible à une psychothérapie et très dangereux. Sa remise en liberté à la fin de sa peine a fait courir un risque connu et identifié à tous les enfants qui auraient pu croiser son chemin. Mais il n'était pas possible de l'éviter efficacement dès lors qu'il était libre.
L'hospitalisation d'office n'était pas applicable à Francis Évrard. Le seul moyen d'éviter la récidive pour un individu comme lui est la rétention de sûreté. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)
J'ai reçu de M. Jean-Claude Sandrier et des membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine une motion de renvoi en commission déposée en application de l'article 91, alinéa 7, du règlement.
La parole est à M. Michel Vaxès, pour une durée ne pouvant excéder trente minutes.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous aurions dû discuter, avant la fin de l'année 2007, d'un projet sur la réforme pénitentiaire. Or ce texte n'a toujours pas été présenté en conseil des ministres. Nous l'attendons avec, je l'avoue, une impatience certaine.
Cette réforme faisant défaut, nous devons nous prononcer, sur un projet de loi relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale. Chacun ici peut en convenir, il n'est pourtant pas sans lien évident avec la question pénitentiaire.
En effet, d'après vos déclarations, madame la garde des sceaux, cette réforme devrait porter notamment sur la redéfinition des missions de l'administration pénitentiaire, sur les régimes de détention et le développement des aménagements de peine. Dans ce cadre, il aurait été possible d'aborder la question des détenus que vous qualifiez de « particulièrement dangereux » et dont le risque de récidive est « extrêmement élevé ».
Ces détenus sont concernés par le premier volet de ce projet de loi. Ce sont les personnes condamnées à une peine d'au moins quinze ans de réclusion pour meurtre, assassinat, actes de torture ou de barbarie et viol commis sur un mineur de quinze ans.
Mais plutôt que de traiter leur prise en charge dans le cadre d'une réforme pénitentiaire ambitieuse, vous préférez l'aborder dans un projet de loi spécifique et vous n'envisagez réellement leur prise en charge qu'au terme de leur détention, c'est-à-dire après quinze ans au moins d'incarcération. Vous proposez de retenir ces personnes dans un centre socio-médico-judiciaire de sûreté où il lui sera proposé de façon permanente une prise en charge médicale et sociale destinée à permettre la fin de la mesure.
Pourquoi ne pas le faire durant le temps de la détention ? Probablement parce que vous prenez acte, devant la représentation nationale et le peuple, de l'échec de notre système carcéral. Certes, ce n'est une découverte pour personne, mais, avec ce projet, vous franchissez une nouvelle étape. Au lieu de prévoir dès l'incarcération une amélioration de la prise en charge des auteurs de crimes particulièrement odieux, afin de prévenir toute récidive, vous décidez de les retenir au-delà de leur peine. Vous préférez maltraiter les principes les plus fondamentaux de notre droit, plutôt que de prendre à bras-le-corps la question d'une véritable réforme pénitentiaire. Elle permettrait pourtant de traiter les détenus particulièrement dangereux en organisant une prise en charge médicale et sociale efficace, dès le début de leur incarcération.
Vous avez voulu nous rassurer quant au respect des exigences constitutionnelles et des libertés individuelles. Vous faites ainsi valoir que la rétention serait entourée d'importantes garanties pour en restreindre l'application aux cas extrêmes, n'offrant aucune autre solution. Cet argument n'est pas plus convaincant que les autres, excepté peut-être aux yeux de ceux qui restent persuadés qu'il faut trouver un châtiment équivalent à la peine de mort et qui s'attristent de ne plus la voir appliquée en France.
Pour en venir aux garanties que vous prétendez nous offrir, cette détention après la détention ne pourra être prononcée qu'à l'encontre d'une catégorie bien spécifique de condamnés, ceux qui se seront rendus coupables de crimes sur mineurs. Un tel argument n'est pas recevable. Nul ne sait mieux que nous que ce qui est aujourd'hui inscrit dans le marbre de la loi peut évoluer dès demain. Nul n'ignore que des mesures présentées comme exceptionnelles peuvent devenir très rapidement la règle ordinaire. N'en est-il pas ainsi du fichier national automatisé des empreintes génétiques ? Il ne devait recenser que les personnes condamnées pour des infractions sexuelles ; il concerne aujourd'hui pratiquement l'ensemble des infractions pénales. Pour le moment, la rétention de sûreté ne vise que les personnes condamnées à une peine privative de liberté de quinze ans, ou plus. Demain, peut-être même dans les heures qui viennent, ce plancher pourra être abaissé à dix ans, comme le souhaite M. Bodin. Aujourd'hui, la rétention ne serait possible qu'en cas de crime commis sur des mineurs ; demain, elle concernera probablement les crimes commis sur les majeurs. Un amendement du même parlementaire, appartenant à votre majorité, peut être voté. Enfin, le recours à la rétention de sûreté devrait être limité aux auteurs de crimes sur des mineurs de moins de quinze ans. Dans quelques heures, après l'adoption de l'amendement du rapporteur par les membres de votre majorité, la rétention pourra être prononcée à l'encontre d'auteurs de crimes commis sur des mineurs de plus de quinze ans. Faut-il davantage de preuves pour démontrer que la mesure, qui nous est aujourd'hui présentée comme limitée à une catégorie bien spécifique de condamnés, n'est pas un argument valable ?
Vous nous avez ensuite déclaré que la rétention ne sera possible qu'à la suite d'une évaluation de la personne sur la base d'expertises. Dois-je rappeler que les experts peuvent se tromper ? Il n'y a pas si longtemps, les anciens condamnés d'Outreau en ont fait la douloureuse expérience. Le concept même de dangerosité étant des plus incertains, s'appuyer sur lui confine à la naïveté, sinon à la duperie.
Pouvez-vous affirmer sérieusement devant nous qu'aucun expert, aucun magistrat, quel qu'il soit, ne cédera à la pression qui pèsera sur lui ? Oseront-ils, dans un cadre où le risque zéro est censé être l'étalon de référence, prendre la responsabilité de décider la mise en liberté, à la fin de sa peine, d'un condamné auteur d'un crime considéré par notre société comme le plus inacceptable et le plus insupportable, sachant que ce sont eux qui, une fois de plus, seront désignés à la vindicte populaire si, d'aventure, un des condamnés récidivait ? Trop peu d'hommes et de femmes pourront résister à une telle pression et à une si lourde responsabilité.
Nous partageons avec vous la conviction que la société a le devoir de lutter contre la récidive des délinquants sexuels dangereux. Pour autant, se protéger du risque de récidive ne doit pas signifier l'enfermement ad vitam aeternam des coupables, sur la seule présomption de leur dangerosité. Pour protéger les enfants, il faut commencer par traiter les criminels ! C'est ma profonde conviction.
Actuellement, les instruments juridiques existent. La loi de 1998 a posé le principe des soins en prison pour les délinquants sexuels et instauré le suivi socio-judiciaire. Elle propose une prise en charge psychiatrique et thérapeutique qui débute en prison et peut se poursuivre après la sortie par la mise en place du suivi socio-judiciaire avec injonction de soins. S'y ajoute aussi la possibilité du bracelet électronique. Mais, aujourd'hui, l'institution ne dispose pas des moyens d'appliquer ces mesures. C'est donc sur ce point qu'il incombe au Gouvernement de porter ses efforts, et non sur la mise en place d'une véritable peine perpétuelle, destinée à masquer la responsabilité de l'État dans l'absence de prise en charge des détenus jugés particulièrement dangereux. Car il s'agira bel et bien d'une condamnation à perpétuité puisque, si la décision est révisée tous les deux ans, comme vous l'avez dit à l'instant, vous avez oublié de préciser qu'elle serait reconductible indéfiniment. C'est bien ce qui risque de se passer : personne ne prendra une décision allant à l'encontre de l'exigence de sécurité à laquelle vous voulez répondre.
Pourquoi n'avez-vous pas décidé la mise en place d'un suivi médico-social effectif dès le début de l'incarcération ? Pourquoi attendre la fin de l'exécution de la peine pour mettre en oeuvre un suivi suffisamment sérieux pour être efficace ? Pourquoi même ne pas proposer de placer le condamné dans l'un de ces centres socio-médico-judiciaires dès le début de la peine, lorsqu'il présente des pathologies lourdes ? À ces questions, nous n'avons toujours pas de réponse, sinon une logique d'enfermement proposée comme la panacée pour remédier aux insuffisances de notre système carcéral. Mais, cette logique, madame la garde des sceaux, indépendamment de la philosophie inquiétante qu'elle sous-tend, est déjà dangereuse car elle vous conduit à des choix irrationnels.
Tout d'abord, vous remettez la décision dans les mains d'experts psychiatres qui devront se prononcer sur la dangerosité du condamné. Rappelons avec un éminent professeur de psychiatrie, M. Senon, la prudence des recommandations de la Haute autorité de santé qui distingue dangerosités psychiatrique et criminologique, et réserve l'évaluation de cette dernière aux seuls psychiatres et psychologues ayant une formation complémentaire en psycho-criminologie, selon une approche multidisciplinaire associant le champ socio-éducatif. Aussi nous interrogeons-nous avec cet enseignant qui demande « comment faire entendre à la société et à ses gouvernants la juste place de la psychiatrie, c'est-à-dire celle de donner des soins et un traitement aux malades mentaux, et seulement de contribuer à la prise en charge socio-médico-psychologique des auteurs de crime ? » Oui, madame la garde des sceaux, la psychiatrie doit contribuer à la prise en charge des auteurs de crimes, mais pas se substituer aux juges, pour décider le maintien en détention d'un détenu ayant déjà purgé sa peine. Or, les juges se prononceront sur la base des conclusions des experts.
Vous prenez, avec ce texte, le parti de bafouer les principes fondamentaux de notre droit pénal. Ainsi, la rétention sera décidée non pas sur la base d'un crime commis, mais sur celle d'un crime dont on craint qu'il soit commis. Vous donnez naissance dans notre droit à un concept inquiétant, celui de « crime virtuel ». Que votre majorité et vous-même vouliez en convenir ou non, il est vrai que, comme le souligne un de vos éminents prédécesseurs, Robert Badinter, il n'est pas sans rappeler ses véritables géniteurs : les positivistes italiens Lombroso et Ferri. « Après un siècle, écrit Robert Badinter, nous voyons réapparaître le spectre de l'homme dangereux et la conception d'un appareil judiciaire voué à diagnostiquer et traiter la dangerosité pénale. On sait à quelles dérives funestes cette approche a conduit le système répressif des États totalitaires. »
Pas du tout ! Je critique tous les pays totalitaires, ceux de l'Est comme les autres, et aussi tous ceux qui continuent, avec le système économique que vous préconisez, à l'être !
Cela étant, je vous donne acte de la distance que vous prenez avec une telle approche, mais je vous confirme que l'introduire dans notre système pénal aura des conséquences considérables pour notre démocratie elle-même.
Quant aux effets de la rétention de sûreté en fin de peine sur les condamnés, il faut aussi les mesurer. Alors qu'un condamné supporte les conditions de sa détention, essentiellement grâce à la date connue de sa libération, comment réagira-t-il à l'incertitude quant à la fin de son enfermement ? Comment vivra-t-il sa détention s'il sait que sa liberté dépend de l'appréciation de sa dangerosité par des experts, et non plus de l'accomplissement d'une peine décidée par un jury souverain ?
Ce sont des questions auxquelles il vous faut répondre, avant que l'Assemblée ne se prononce sur ce dispositif. Pour ce qui nous concerne, les questions que nous nous sommes posées et que je viens de vous rappeler nous conduisent, comme l'a expliqué Jacqueline Fraysse, à rejeter fermement cette rétention de sûreté.
L'argument selon lequel plusieurs pays ont déjà mis en place des dispositifs comparables ne saurait suffire à nous convaincre d'emprunter avec vous la voie dangereuse que vous avez choisie. La première raison en est simple : les exemples, s'ils ne sont pas bons, fussent-ils ceux de démocraties, n'ont pas à être suivis. En outre, votre argument est en quelque sorte illégitime. Vous prétendez imiter les Pays-Bas, mais, après une lecture attentive du rapport de M. Fenech, il ressort que les exemples néerlandais et belge ne correspondent pas du tout à ce que vous nous proposez dans ce projet de loi.
Quand on vous connaît, monsieur Garraud, on sait que vous faites des rapprochements périlleux...
Certes, il existe aux Pays-Bas un placement similaire pour les personnes déclarées irresponsables pénalement, ou partiellement irresponsables, mais vous oubliez de dire qu'il intervient pour l'essentiel en substitution de la peine. Il en va de même en Belgique. Quant à l'Allemagne où le système pénal est, d'une façon générale, beaucoup moins répressif que le nôtre, il n'est pas anodin de noter que le système de rétention-sûreté après la peine est issu de l'époque hitlérienne. Que ce rappel historique vous heurte et suscite chez vous des réactions si passionnelles me pose un énorme problème.
Venons-en maintenant aux dispositions relatives à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental – lesquelles, comme les précédentes, sont inspirées d'un fait divers.
Permettez que j'ouvre à ce propos une parenthèse pour observer que ce que j'ai dénoncé jadis comme une dérive est devenu la règle : il ne s'agit plus de réformer, mais de faire de la question pénale un enjeu de la compétition politique. Désormais, les lois sont rédigées et se succèdent au rythme des faits divers, et non dans la recherche de l'intérêt général. Ce n'est pas ainsi que l'on conduit une politique pénale digne de ce nom ! Mais refermons la parenthèse.
L'article 3 du projet de loi crée un nouveau titre dans notre code de procédure pénale ; il met en place une nouvelle procédure d'instruction pour l'application de l'article 122-1 du code pénal relatif à l'irrecevabilité pénale d'une personne en raison d'un trouble mental. Désormais, si le juge d'instruction estime que cet article est applicable, le procureur ou les parties civiles pourront demander la saisine de la chambre de l'instruction, qui devra statuer en audience publique et contradictoire sur son application. Si l'article 122-1 s'applique, elle rendra un arrêt de déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. Cette décision sera inscrite au casier judiciaire, et la chambre pourra assortir cette déclaration de mesures de sûreté. L'individu qui ne les respecte pas pourra être condamné à une peine de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende. Une personne déclarée pénalement irresponsable pourra donc faire l'objet d'une condamnation pénale.
Le régime actuel prévoit déjà des dispositions en faveur des victimes en cas d'irresponsabilité pénale pour cause de démence. La victime constituée partie civile peut présenter des observations ou formuler une demande de complément d'expertise ou de contre-expertise, laquelle est de droit. Si, au vu de cette contre-expertise, le juge d'instruction décide d'un non-lieu, la victime peut interjeter appel, ce qui a pour effet de remettre en cause le sort de l'action publique. Une fois le dossier mis en état, le débat et l'arrêt peuvent avoir lieu publiquement – la chambre de l'instruction pouvant refuser cette publicité si elle est de nature à nuire à l'ordre public ou aux bonnes moeurs.
Le but que vous poursuivez par ces nouvelles dispositions est louable. Cependant, êtes-vous bien certaine, madame la garde des sceaux, qu'il est de l'intérêt des victimes d'assister au jugement de l'auteur de l'infraction – ce qui est l'objectif de ce texte ? Les psychiatres considèrent que le processus de deuil est si complexe qu'il est bien difficile de mesurer l'effet thérapeutique d'un procès : comme le souligne l'un d'entre eux, ils « s'interrogent sur la façon dont les victimes et leurs familles peuvent entendre l'auteur malade mental quand il présente, comme cela est très fréquent, une psychose chronique souvent à l'origine d'une audition marquée par la froideur, l'absence d'autocritique d'une pensée marquée par le délire et l'incapacité à exprimer remords ou compassion ». La comparution du malade risque donc, à l'inverse du but recherché, de réactiver la souffrance des victimes et de leurs familles ; c'est pourquoi il est impératif que l'état de la personne soit compatible avec une comparution, faute de quoi votre texte irait à l'encontre des intérêts des victimes.
À cet égard, permettez-moi de rappeler une évidence qui semble souvent être perdue de vue : le premier droit des victimes est le respect de leur dignité – en l'occurrence, celui de leur souffrance ; mais ce respect n'est ni l'exhibition de celle-ci, ni, pire encore, son instrumentalisation afin de justifier des atteintes aux droits fondamentaux, comme nous pouvons l'observer au lendemain de chaque fait divers dramatique. (Murmures sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Du reste – et nous aurions pu traiter de cette question dans le cadre d'une réforme pénitentiaire – les criminels considérés comme partiellement irresponsables sont aujourd'hui très nombreux dans nos prisons. Les malades mentaux sont de plus en plus nombreux dans les établissements ; dans certains d'entre eux, entre 4 et 10 % des détenus présentent ainsi une psychose schizophrénique. Ils ne peuvent être traités comme les autres détenus et relèvent d'un traitement spécifique. Pour cela, il nous faut – et c'est là l'enjeu essentiel – donner à l'administration pénitentiaire les moyens de détenir et de traiter ces condamnés atteints de troubles mentaux.
Or elle ne les a pas aujourd'hui. C'est pour cette raison que le Comité européen de prévention de la torture a estimé, dans son rapport du 10 décembre dernier, que les conditions de prise en charge des troubles psychiatriques dans les prisons françaises étaient contraires à la dignité humaine. Ce comité d'experts du Conseil de l'Europe souligne une urgence, qu'il faut traiter comme telle et avec tout le sérieux qu'elle mérite.
Du fait de ces observations, tant sur la dangereuse philosophie que sous-tend la première partie de votre texte que sur ses insuffisances et ses silences, le groupe de la Gauche démocrate et républicaine vous demande d'adopter cette motion de renvoi en commission, dans l'attente de l'examen du projet de loi de réforme pénitentiaire, avant lequel il serait prématuré de discuter des dispositions de ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
La parole est à M. Georges Fenech, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
Mes chers collègues, je ne pense pas qu'il faille renvoyer ce texte en commission. Nous en avons déjà longuement débattu en commission des lois ; je rappelle qu'entre le premier et le second examen en application de l'article 88, il s'est écoulé du temps (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche),…
…ce qui nous a permis de mûrir notre réflexion et d'enrichir le projet de Mme la garde des sceaux.
Compte tenu de l'heure tardive, je ne voudrais pas alourdir le débat. Néanmoins, M. Vaxès parle de principes fondamentaux bafoués et de loi de circonstance issue de faits divers. Oui, je le confirme, c'est une loi de circonstance ! C'est une loi pour les disparues de l'Yonne, pour Delphine, pour Céline, pour toutes les victimes de Fourniret, de Bodein et de bien d'autres – et nous l'assumons pleinement !
D'un banc de cet hémicycle à l'autre, nous sommes tous sensibles à la douleur des victimes, il n'y a aucun doute là-dessus. En revanche, après avoir écouté les orateurs successifs, je crois que ce qui nous différencie fondamentalement, c'est que vous préférez prendre le risque de sacrifier des vies innocentes au nom de la liberté des criminels encore dangereux, alors que nous préférons prendre celui de priver de liberté des criminels encore dangereux afin de protéger la vie d'innocents ! Voilà la vraie différence ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire – Protestations sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Vous ne pouvez pas dire cela !
Quant à vous, madame Guigou, je mets sur le compte de la maladresse les propos que vous avez tenus à l'encontre de Mme la garde des sceaux et de moi-même. J'aurais tout de même aimé qu'avant la fin de cette séance, vous rectifiiez ce tir, parce qu'il est, très franchement, inacceptable.
Il s'agit probablement d'un dérapage, d'une maladresse, qui, j'en suis sûr, n'exprimait pas le fond de votre pensée – ou alors cela appelle des excuses. (Protestations sur plusieurs bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
En tout état de cause, je vous demande, mes chers collègues, de rejeter cette motion de renvoi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Nous en venons aux explications de vote sur la motion de renvoi en commission.
La parole est à M. Éric Ciotti, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le groupe UMP appelle évidemment au rejet de cette motion de renvoi en commission inutile et inopportune. Mais avant de procéder au vote, je souhaiterais recentrer quelque peu le débat.
De quoi s'agit-il ? De protéger notre société des criminels les plus dangereux. Monsieur Vaxès, vous avez parlé de « crimes virtuels » ; mais c'est à des crimes dramatiquement réels que nous nous attaquons ! (Exclamations sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Ce que souhaite faire Mme la garde des sceaux au moyen de ce texte courageux, volontariste, et si caractéristique de son action ministérielle, c'est protéger notre société. Pour nous, on ne peut mettre sur le même plan la protection des victimes et la privation de liberté d'un délinquant extrêmement dangereux.
Nous avons les mêmes objectifs, mais nous ne préconisons pas les mêmes moyens !
Nous aurions pu nous retrouver là-dessus – mais, une fois encore, la naïveté dont vous faites preuve depuis des années est à la mesure d'une inconscience, que, face à ces menaces dramatiques, je qualifierai de coupable !
De même que, face à ces menaces, les propos qu'a tenus Mme Guigou…
Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Scandaleux !
…scandaleux. Je pense, madame, que vous devriez réexaminer votre intervention à l'aune de celle de Mme Lebranchu, qui, ancienne garde des sceaux elle-même, a su défendre ses convictions avec mesure et tolérance – ce que nous respectons. Reconnaissez que ce soir, vous avez dérapé.
Vous l'avez fait de manière très grave, en insultant Mme la garde des sceaux (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche),…
…et je crois que vous vous honoreriez en retirant vos propos ; car faire référence aux racines nazies de ce texte, c'est tout simplement honteux !
Pour finir, bien entendu, nous demandons le rejet de la motion de renvoi en commission, car ce texte est utile, pertinent, efficace. On parle beaucoup du principe de précaution, en particulier en matière d'environnement : ce principe, nous l'appliquons ce soir en matière pénale, et nous faisons oeuvre utile ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Nous devons protéger notre société d'individus pour lesquels tout a été tenté, dans un cadre offrant toutes les garanties juridiques. Ces garanties existent, et les menaces sont bien réelles ; pour notre part, nous préférerons toujours protéger les victimes plutôt que les délinquants ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
La parole est à M. Serge Blisko, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.
M. Vaxès nous a montré, avec raison, que ce projet de loi reposait sur des insuffisances tragiques, notamment l'insuffisance criante du traitement psychiatrique des personnes détenues et des structures pouvant accueillir, avant même qu'elles ne passent à l'acte, les personnalités présentant des caractères de dangerosité.
Il a également critiqué, de façon modérée mais très juste, une chose qui nous a tous gênés ce soir : l'instrumentalisation des victimes et de leurs familles.
L'opposition refuse et refusera toujours d'entrer dans ce type de débat. Or, compte tenu des invectives qui ont été proférées, j'ai eu l'impression que nous nous retrouvions dix ans en arrière, alors qu'il ne s'agit pas pour nous d'empêcher, d'entraver ou d'amoindrir la sanction nécessaire, notamment de crimes aussi graves. Monsieur Ciotti, personne ne souhaite que des criminels restent impunis.
Nous souhaitons simplement, pour ceux qui ont payé leur dette à la société, une dette lourde – la France a les peines les plus longues –, ne pas avoir à inventer un nouveau dispositif attentatoire aux libertés publiques, aux principes juridiques et à l'État de droit, alors qu'il existe déjà des dispositifs qui, aujourd'hui, ne sont malheureusement pas pourvus des moyens nécessaires. Tel est le sens de nos propos !
Vous avez reconnu que vous étiez pour le fait divers et vous avez cité, monsieur Fenech les noms de plusieurs victimes ou de grands criminels. Pourquoi ne pas avoir évoqué celui de ce détenu qui a été massacré en quelques minutes dans la cour de Fresnes par un codétenu totalement dément qui n'avait pas été soigné ? Le Président de la République a-t-il reçu la famille du détenu qui a été assassiné puis cannibalisé par un codétenu à la prison de Rouen ? (« Cela n'a rien à voir ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Voilà la situation actuelle ! Il n'y a pas de bonnes ou de mauvaises victimes de la folie ! Les victimes sont partout et il ne convient pas d'oublier les gardiens de prison et plus généralement les membres de l'administration pénitentiaire qui payent de leur santé, de leur équilibre, voire de leur vie, la fréquentation de détenus qui ne sont pas soignés. Voilà pourquoi nous avons encore besoin de travailler sur ce projet de loi. M. Vaxès a eu raison de rappeler que celui-ci ne répond en rien à des questions aussi lourdes. Votre texte n'est que de la poudre aux yeux !
Comment pouvez-vous comparer ces victimes avec des enfants ? Nous parlons ici de pédophiles !
Je vous prie de me laisser terminer, monsieur. Vous n'avez cessé d'invectiver mes collègues tout au long de la soirée en donnant l'image de votre intolérance et en étalant votre ignorance. Dans combien de prisons avez-vous donc mis les pieds ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche - Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
C'est parce que M. Vaxès a rappelé la gravité des problèmes que nous voterons en faveur du renvoi en commission : il convient d'arrêter à ce niveau l'examen du projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Le groupe Nouveau Centre rejettera cette motion de renvoi en commission. J'ai écouté avec beaucoup d'attention les arguments de chacun : or je suis moi aussi persuadé, monsieur Blisko, que quelle que soit la place à laquelle nous siégeons, nous sommes tous attachés aux victimes, mais contrairement à ce que vous avez dit, face au manque de moyens et à l'état des prisons que vous déplorez, le Gouvernement et la majorité agissent ! Vous prétendez que nous légiférons sous le coup de l'émotion, allant jusqu'à évoquer à plusieurs reprises la commission Outreau. Il ne faut pas dénaturer les choses ! Tous ceux qui ici – nous en sommes ce soir un certain nombre – ont travaillé au sein de cette commission, l'ont fait par-delà les clivages politiques et c'est précisément pour permettre à la justice de rechercher dans la sérénité la vérité dans l'instruction de dossiers pénibles, notamment en matière d'agressions et de crimes sexuels, c'est-à-dire loin de l'émotion populaire suscitée par les faits divers, que Mme la garde des sceaux a courageusement entrepris de réformer la carte judiciaire et de créer des pôles départementaux de l'instruction. Or vous avez combattu ce texte, comme vous avez combattu cet été celui relatif au contrôle des prisons, et vous ne participez pas non plus à la préparation de la grande loi pénitentiaire, dont une des ambitions sera de diminuer en prison le nombre des détenus relevant de la psychiatrie. Le mérite du Gouvernement est d'agir. La difficulté du sujet exigerait que chacun y apporte sa contribution. Du reste, les dispositifs qui encadrent la rétention de sûreté, je pense notamment à l'évaluation, un an avant leur libération, de la dangerosité des détenus qui ont déjà tué une fois ou deux fois, afin de savoir si on peut les relâcher sans les avoir soignés, pour éviter qu'ils ne commettent un nouveau crime – c'est la nouveauté du texte –, ces dispositifs, dis-je, font la force du projet de loi ! Une telle mesure est à porter au crédit de ceux qui le soutiennent car elle révèle le courage avec lequel ils abordent la question ! L'honneur de ce texte, qui se place résolument du côté de la victime et autour duquel nous aurions pu nous rassembler, c'est de nous obliger à prendre nos responsabilités. Je constate que vous cherchez à le renvoyer en commission alors qu'il y a urgence à agir. Aussi ce renvoi n'est-il pas justifié. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Le groupe de la gauche démocrate et républicaine votera naturellement la motion de renvoi en commission qu'il a déposée.
Je ne peux toutefois laisser le rapporteur insinuer qu'il y aurait d'un côté des députés vertueux qui auraient à coeur de protéger les enfants et les jeunes,…
…et, de l'autre, c'est-à-dire à gauche, des députés qui se désintéresseraient complètement de la sécurité de nos concitoyens, particulièrement de celle de ces mêmes enfants et de ces mêmes jeunes. (« C'est vrai ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) De tels propos ne sont pas seulement faciles, voire simplistes, ne faisant que souligner votre manque d'arguments : ils sont également insultants pour les députés visés.
Vous me permettrez de rappeler ici que nous sommes, au moins autant que vous, attentifs à la protection de tous les citoyens, attachés à la compassion envers les victimes et soucieux de les aider.
Il ne suffit pas de les plaindre ! Il faut faire en sorte d'éviter de nouveaux crimes !
Je n'ai pas pour habitude, en tant que députée, d'évoquer le drame que j'ai vécu en tant que maire de Nanterre, mais vous m'y poussez : l'expérience de cette tuerie m'autorise à formuler quelques critiques pertinentes, notamment en ce qui concerne l'absence de moyens accordés au suivi des malades mentaux, pour ne pas parler du contrôle du port d'armes – il conviendrait d'évoquer également cette question ! Je le répète : j'ai une conscience au moins aussi aiguë de tels drames que celle que vous pouvez avoir sur les bancs de la droite ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) Faites donc preuve sur ces questions d'un peu d'humilité et de respect : ce serait la moindre des choses ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche - Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Dites-le donc à Mme Guigou !
Je mets aux voix la motion de renvoi en commission.
(La motion de renvoi en commission n'est pas adoptée.)
Prochaine séance, mercredi 9 janvier 2008, à vingt et une heures trente :
Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pour cause de trouble mental.
La séance est levée.
(La séance est levée, le mercredi 9 janvier 2008, à une heure dix.)
Le Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,
Jean-Pierre Carton