Si l'affaire Evrard, qui est à l'origine de votre texte, est emblématique de quelque chose, c'est surtout de l'incapacité de notre système à prendre en charge de manière efficace les auteurs de ces faits divers tragiques.
Non seulement ce que vous proposez ne permettra pas de surmonter les difficiles problèmes posés, mais vous instaurez de fait une peine perpétuelle sanctionnant non plus un acte mais l'hypothèse qu'il puisse éventuellement être commis. Le fil conducteur de ce texte est en effet la notion de dangerosité, laquelle serait « caractérisée par le risque particulièrement élevé de commettre à nouveau l'une de ces infractions ». Il n'y a pas besoin d'être un grand juriste pour mesurer l'arbitraire d'une telle disposition et les dérives qu'elle permet, voire intronise. Il me semble que notre histoire a montré jusqu'où cela pouvait conduire, et comment les justifications pseudo-scientifiques – auxquelles s'adonne volontiers notre Président de la République – pouvaient être interprétées.
Une réforme pénitentiaire devrait avoir pour ambition d'assurer des soins dignes de ce nom et un suivi social au détenu dès son premier jour de détention. Pourquoi devrions-nous attendre que la peine soit effectuée pour lui proposer, de façon permanente, une prise en charge médicale et sociale ? En cela, je rejoins les critiques formulées par les représentants des magistrats. Bruno Thouzellier, président de l'Union syndicale des magistrats, déplore ainsi l'absence de mesures sur le suivi en milieu carcéral et l'absence de moyens pendant l'incarcération. De même, Emmanuelle Perreux, présidente du Syndicat de la magistrature, souligne que « c'est la peine de prison qui doit être le temps utile pour travailler sur le passage à l'acte [du condamné] et préparer sa sortie ».
En effet, pourquoi l'État ne prend-il pas ses responsabilités, dans le cadre d'une obligation de moyens, dès la condamnation ? Pourquoi attendre la fin de la détention pour envisager le placement du condamné dans un centre socio-médico-judiciaire si son état le permet ?
Vous prétendez que cette nouvelle privation de liberté, prononcée à la fin de l'accomplissement de l'intégralité de la peine décidée par un jury souverain, ne serait pas une peine. Mais c'est faux ! La rétention de sûreté conduit à prolonger, de surcroît avec des possibilités de renouvellement infinies, un emprisonnement de fait.
La distinction entre mesure de sûreté et peine n'est pas neuve. Elle a déjà fait l'objet d'une décision du Conseil constitutionnel en 2005, au lendemain de la loi sur la surveillance judiciaire mettant en place le bracelet électronique et l'injonction de soins. Mais la rétention de sûreté, malgré toutes les précautions de langage, est bien une peine privative de liberté. À cet égard, l'exposé des motifs du projet de loi est très clair : « Pendant cette rétention, la personne bénéficiera de droits similaires à ceux des détenus, en matière notamment de visites, de correspondances, d'exercice du culte et de permissions de sortie sous escorte ou sous surveillance électronique mobile. »
Par ailleurs, la rétention de sûreté est censée être limitée à des cas exceptionnels : condamnation à une peine privative de liberté d'une durée égale ou supérieure à quinze ans ; crimes limitativement énumérés et commis sur un mineur de moins de quinze ans. Mais, madame la garde des sceaux, vous devez mesurer que ce texte ouvre la porte à de futures lois qui étendront son champ d'application. D'ailleurs, la commission des lois a d'ores et déjà décidé d'étendre cette peine aux crimes commis sur les mineurs de plus de quinze ans, et notre rapporteur a déposé un amendement qui l'étend à tous les criminels sexuels. Qu'en sera-t-il demain ? Regardons ce qui s'est produit avec le fichage initialement conçu pour les infractions à caractère sexuel : il est aujourd'hui étendu à la quasi-totalité des infractions pénales.
Ce projet de loi opère, comme le dénoncent de nombreux professionnels, dont votre éminent prédécesseur, M. Badinter, un changement profond d'orientation de notre justice :…