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Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Réunion du 8 janvier 2008 à 22h00
Rétention de sûreté et déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental — Reprise de la discussion

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Urvoas :

Madame la garde des sceaux, il est des thèmes plus faciles que celui que vous nous proposez pour s'exprimer avec simplicité. Et il est des sujets plus aisés pour s'opposer. Comment, en effet, ne pas partager la compassion dont vous faites preuve à l'égard de toutes les victimes et de leurs familles ? Comment ne pas vous accompagner quand vous dites ne pas vouloir rester impuissante face à ces drames humains ? Comment ne pas comprendre votre souci d'adapter notre justice pour mieux protéger la société ?

Et pourtant, en conscience, je ne puis voter votre texte, tant sa genèse et sa philosophie me semblent aux antipodes de ce dont notre pays a besoin. Votre texte a une histoire. Vous l'avez même revendiquée, estimant qu'il était logique de légiférer en tenant compte des questions que pose l'actualité. Je ne vous reproche pas ce point de vue. Mais, de la prise en compte des inquiétudes de l'opinion publique à l'élaboration de politiques fondées sur l'émotion, il y a un fossé que, je crois, vous avez franchi.

Ce n'est pas là une première. Le fait divers semble bien être devenu, ces dernières années, le moteur exclusif de l'action gouvernementale en matière judiciaire. Il génère des rapports d'experts, régit l'ordre du jour parlementaire, engendre des lois. À chaque fait divers, son indignation populaire ; à chaque indignation populaire, sa réaction présidentielle ; à chaque réaction présidentielle, son texte législatif ; et à chaque texte législatif, son durcissement des peines.

La nouveauté, madame la ministre, c'est que nous sommes passés subrepticement de la démocratie d'opinion à la démocratie d'émotion. Car, à l'inverse de ce qu'affirmait votre prédécesseur, Pascal Clément, nous légiférons désormais en fonction d'une seule affaire. Dans ce système, toute souffrance individuelle se doit d'obtenir une réponse publique rapide, à défaut de pouvoir être immédiate.

Vous êtes fidèle à ce que disait Nicolas Sarkozy en juillet 2006 : « Les droits de l'homme, pour moi, ce sont avant tout les droits de la victime. » Avec vous, la victime devient le coeur de l'appareil judiciaire et sa douleur fait l'objet de ce qui pourrait s'apparenter à une instrumentalisation. À s'inscrire aussi résolument dans le registre de la réaction compassionnelle, je ne doute pas que les criminels seront plus durement châtiés que par le passé.

Mais les victimes, celles-là mêmes au nom desquelles vous prétendez oeuvrer, y trouveront-elles réellement leur compte ? Les placer au centre du procès pénal est certes électoralement payant, émotionnellement stimulant et médiatiquement cohérent, mais cela ne rend pas la peine plus efficace.

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