Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Michel Vaxès

Réunion du 8 janvier 2008 à 22h00
Rétention de sûreté et déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Vaxès :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous aurions dû discuter, avant la fin de l'année 2007, d'un projet sur la réforme pénitentiaire. Or ce texte n'a toujours pas été présenté en conseil des ministres. Nous l'attendons avec, je l'avoue, une impatience certaine.

Cette réforme faisant défaut, nous devons nous prononcer, sur un projet de loi relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale. Chacun ici peut en convenir, il n'est pourtant pas sans lien évident avec la question pénitentiaire.

En effet, d'après vos déclarations, madame la garde des sceaux, cette réforme devrait porter notamment sur la redéfinition des missions de l'administration pénitentiaire, sur les régimes de détention et le développement des aménagements de peine. Dans ce cadre, il aurait été possible d'aborder la question des détenus que vous qualifiez de « particulièrement dangereux » et dont le risque de récidive est « extrêmement élevé ».

Ces détenus sont concernés par le premier volet de ce projet de loi. Ce sont les personnes condamnées à une peine d'au moins quinze ans de réclusion pour meurtre, assassinat, actes de torture ou de barbarie et viol commis sur un mineur de quinze ans.

Mais plutôt que de traiter leur prise en charge dans le cadre d'une réforme pénitentiaire ambitieuse, vous préférez l'aborder dans un projet de loi spécifique et vous n'envisagez réellement leur prise en charge qu'au terme de leur détention, c'est-à-dire après quinze ans au moins d'incarcération. Vous proposez de retenir ces personnes dans un centre socio-médico-judiciaire de sûreté où il lui sera proposé de façon permanente une prise en charge médicale et sociale destinée à permettre la fin de la mesure.

Pourquoi ne pas le faire durant le temps de la détention ? Probablement parce que vous prenez acte, devant la représentation nationale et le peuple, de l'échec de notre système carcéral. Certes, ce n'est une découverte pour personne, mais, avec ce projet, vous franchissez une nouvelle étape. Au lieu de prévoir dès l'incarcération une amélioration de la prise en charge des auteurs de crimes particulièrement odieux, afin de prévenir toute récidive, vous décidez de les retenir au-delà de leur peine. Vous préférez maltraiter les principes les plus fondamentaux de notre droit, plutôt que de prendre à bras-le-corps la question d'une véritable réforme pénitentiaire. Elle permettrait pourtant de traiter les détenus particulièrement dangereux en organisant une prise en charge médicale et sociale efficace, dès le début de leur incarcération.

Vous avez voulu nous rassurer quant au respect des exigences constitutionnelles et des libertés individuelles. Vous faites ainsi valoir que la rétention serait entourée d'importantes garanties pour en restreindre l'application aux cas extrêmes, n'offrant aucune autre solution. Cet argument n'est pas plus convaincant que les autres, excepté peut-être aux yeux de ceux qui restent persuadés qu'il faut trouver un châtiment équivalent à la peine de mort et qui s'attristent de ne plus la voir appliquée en France.

Pour en venir aux garanties que vous prétendez nous offrir, cette détention après la détention ne pourra être prononcée qu'à l'encontre d'une catégorie bien spécifique de condamnés, ceux qui se seront rendus coupables de crimes sur mineurs. Un tel argument n'est pas recevable. Nul ne sait mieux que nous que ce qui est aujourd'hui inscrit dans le marbre de la loi peut évoluer dès demain. Nul n'ignore que des mesures présentées comme exceptionnelles peuvent devenir très rapidement la règle ordinaire. N'en est-il pas ainsi du fichier national automatisé des empreintes génétiques ? Il ne devait recenser que les personnes condamnées pour des infractions sexuelles ; il concerne aujourd'hui pratiquement l'ensemble des infractions pénales. Pour le moment, la rétention de sûreté ne vise que les personnes condamnées à une peine privative de liberté de quinze ans, ou plus. Demain, peut-être même dans les heures qui viennent, ce plancher pourra être abaissé à dix ans, comme le souhaite M. Bodin. Aujourd'hui, la rétention ne serait possible qu'en cas de crime commis sur des mineurs ; demain, elle concernera probablement les crimes commis sur les majeurs. Un amendement du même parlementaire, appartenant à votre majorité, peut être voté. Enfin, le recours à la rétention de sûreté devrait être limité aux auteurs de crimes sur des mineurs de moins de quinze ans. Dans quelques heures, après l'adoption de l'amendement du rapporteur par les membres de votre majorité, la rétention pourra être prononcée à l'encontre d'auteurs de crimes commis sur des mineurs de plus de quinze ans. Faut-il davantage de preuves pour démontrer que la mesure, qui nous est aujourd'hui présentée comme limitée à une catégorie bien spécifique de condamnés, n'est pas un argument valable ?

Vous nous avez ensuite déclaré que la rétention ne sera possible qu'à la suite d'une évaluation de la personne sur la base d'expertises. Dois-je rappeler que les experts peuvent se tromper ? Il n'y a pas si longtemps, les anciens condamnés d'Outreau en ont fait la douloureuse expérience. Le concept même de dangerosité étant des plus incertains, s'appuyer sur lui confine à la naïveté, sinon à la duperie.

Pouvez-vous affirmer sérieusement devant nous qu'aucun expert, aucun magistrat, quel qu'il soit, ne cédera à la pression qui pèsera sur lui ? Oseront-ils, dans un cadre où le risque zéro est censé être l'étalon de référence, prendre la responsabilité de décider la mise en liberté, à la fin de sa peine, d'un condamné auteur d'un crime considéré par notre société comme le plus inacceptable et le plus insupportable, sachant que ce sont eux qui, une fois de plus, seront désignés à la vindicte populaire si, d'aventure, un des condamnés récidivait ? Trop peu d'hommes et de femmes pourront résister à une telle pression et à une si lourde responsabilité.

Nous partageons avec vous la conviction que la société a le devoir de lutter contre la récidive des délinquants sexuels dangereux. Pour autant, se protéger du risque de récidive ne doit pas signifier l'enfermement ad vitam aeternam des coupables, sur la seule présomption de leur dangerosité. Pour protéger les enfants, il faut commencer par traiter les criminels ! C'est ma profonde conviction.

Actuellement, les instruments juridiques existent. La loi de 1998 a posé le principe des soins en prison pour les délinquants sexuels et instauré le suivi socio-judiciaire. Elle propose une prise en charge psychiatrique et thérapeutique qui débute en prison et peut se poursuivre après la sortie par la mise en place du suivi socio-judiciaire avec injonction de soins. S'y ajoute aussi la possibilité du bracelet électronique. Mais, aujourd'hui, l'institution ne dispose pas des moyens d'appliquer ces mesures. C'est donc sur ce point qu'il incombe au Gouvernement de porter ses efforts, et non sur la mise en place d'une véritable peine perpétuelle, destinée à masquer la responsabilité de l'État dans l'absence de prise en charge des détenus jugés particulièrement dangereux. Car il s'agira bel et bien d'une condamnation à perpétuité puisque, si la décision est révisée tous les deux ans, comme vous l'avez dit à l'instant, vous avez oublié de préciser qu'elle serait reconductible indéfiniment. C'est bien ce qui risque de se passer : personne ne prendra une décision allant à l'encontre de l'exigence de sécurité à laquelle vous voulez répondre.

Pourquoi n'avez-vous pas décidé la mise en place d'un suivi médico-social effectif dès le début de l'incarcération ? Pourquoi attendre la fin de l'exécution de la peine pour mettre en oeuvre un suivi suffisamment sérieux pour être efficace ? Pourquoi même ne pas proposer de placer le condamné dans l'un de ces centres socio-médico-judiciaires dès le début de la peine, lorsqu'il présente des pathologies lourdes ? À ces questions, nous n'avons toujours pas de réponse, sinon une logique d'enfermement proposée comme la panacée pour remédier aux insuffisances de notre système carcéral. Mais, cette logique, madame la garde des sceaux, indépendamment de la philosophie inquiétante qu'elle sous-tend, est déjà dangereuse car elle vous conduit à des choix irrationnels.

Tout d'abord, vous remettez la décision dans les mains d'experts psychiatres qui devront se prononcer sur la dangerosité du condamné. Rappelons avec un éminent professeur de psychiatrie, M. Senon, la prudence des recommandations de la Haute autorité de santé qui distingue dangerosités psychiatrique et criminologique, et réserve l'évaluation de cette dernière aux seuls psychiatres et psychologues ayant une formation complémentaire en psycho-criminologie, selon une approche multidisciplinaire associant le champ socio-éducatif. Aussi nous interrogeons-nous avec cet enseignant qui demande « comment faire entendre à la société et à ses gouvernants la juste place de la psychiatrie, c'est-à-dire celle de donner des soins et un traitement aux malades mentaux, et seulement de contribuer à la prise en charge socio-médico-psychologique des auteurs de crime ? » Oui, madame la garde des sceaux, la psychiatrie doit contribuer à la prise en charge des auteurs de crimes, mais pas se substituer aux juges, pour décider le maintien en détention d'un détenu ayant déjà purgé sa peine. Or, les juges se prononceront sur la base des conclusions des experts.

Vous prenez, avec ce texte, le parti de bafouer les principes fondamentaux de notre droit pénal. Ainsi, la rétention sera décidée non pas sur la base d'un crime commis, mais sur celle d'un crime dont on craint qu'il soit commis. Vous donnez naissance dans notre droit à un concept inquiétant, celui de « crime virtuel ». Que votre majorité et vous-même vouliez en convenir ou non, il est vrai que, comme le souligne un de vos éminents prédécesseurs, Robert Badinter, il n'est pas sans rappeler ses véritables géniteurs : les positivistes italiens Lombroso et Ferri. « Après un siècle, écrit Robert Badinter, nous voyons réapparaître le spectre de l'homme dangereux et la conception d'un appareil judiciaire voué à diagnostiquer et traiter la dangerosité pénale. On sait à quelles dérives funestes cette approche a conduit le système répressif des États totalitaires. »

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion