La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à seize heures.)
M. le président de l'Assemblée nationale a reçu de M. le Premier ministre une lettre l'informant de sa décision de charger M. Gilles Carrez, député du Val-de-Marne, d'une mission temporaire auprès de lui.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2009 à 2014 et portant diverses dispositions concernant la défense.
La parole est à M. Hervé Morin, ministre de la défense.
Madame la présidente, messieurs les présidents de commission, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les députés, « La Défense ! c'est la première raison d'être d'un État. Il n'y peut manquer sans se détruire lui-même. » Vous connaissez tous ces phrases du général de Gaulle. Avec cette nouvelle loi de programmation militaire, le Gouvernement prend ses responsabilités pour l'avenir. Ce texte, si vous l'adoptez, permettra à notre pays de demeurer une puissance militaire crédible, capable de peser sur la scène internationale car s'appuyant sur un outil militaire lui aussi crédible.
En effet, ce texte est ambitieux, cohérent, sincère et propose une approche globale.
Tout d'abord, c'est un texte ambitieux car il constitue la première étape d'un effort de 377 milliards d'euros pour la défense d'ici à 2020. Sur la période 2009-2014, 186 milliards d'euros seront affectés à la mission « Défense », dont 102 milliards pour l'équipement des forces. Ainsi, à l'issue de cette loi de programmation, en 2014, les dépenses d'équipement représenteront 17,6 milliards, contre 15,4 milliards en 2008. Le budget sera stable en volume les trois premières années, puis il progressera de 1 % par an les années suivantes. Surtout, je vous rappelle que les économies générées par notre réforme seront intégralement reversées à la défense, ce qui en fait une exception au sein de l'État et montre que c'est une priorité politique majeure.
C'est aussi un texte cohérent car il respecte les orientations stratégiques déterminées et définies par le Livre blanc approuvé par le Président de la République. Cette loi de programmation militaire est probablement, pour la première fois, l'expression la plus achevée d'une analyse de nos besoins capacitaires, qui a été déclinée, ensuite, en choix d'équipements par armée. Elle n'est en aucun cas la consolidation des demandes de chaque état-major. Si je ne m'exprimais pas à la tribune de l'Assemblée nationale, je dirais volontiers que c'est la première fois qu'un tel texte a été élaboré à partir d'une démarche top down et non pas bottom up : nous avons d'abord cherché la cohérence, et procédé ensuite à la déclinaison des programmes par armée.
C'est également un texte sincère : le périmètre de cette programmation exclut tout bourrage, c'est-à-dire le financement de défenses étrangères à la défense. J'ajoute – c'était, depuis très longtemps, une demande de la représentation nationale – que le mode de financement des opérations extérieures évolue : la provision en loi de finances initiale sera majorée à 570 millions d'euros en 2010 puis à 630 millions en 2011, et le complément éventuel sera désormais couvert par la réserve de précaution ministérielle.
Enfin, ce texte présente une approche globale. Il contient en effet un certain nombre de dispositions législatives qui, en modifiant l'ordonnance de 1959, actualisent les attributions des membres du Gouvernement en matière de défense et de sécurité nationale. La loi de programmation crée, en particulier, un Conseil de défense et de sécurité nationale autour du Président de la République. Elle permettra également de fixer un cadre juridique qui facilitera le développement européen de DCNS et permettra la réorganisation de la SNPE.
Mesdames, messieurs les députés, le premier ennemi de la défense, c'est l'immobilisme et la force de l'habitude.
Une défense qui n'évolue pas, c'est une défense qui est menacée. Notre pays l'a chèrement payé dans son histoire. Depuis deux ans, la majorité a lancé un mouvement qui est le plus important que mon ministère ait connu depuis la professionnalisation des armées.
Depuis deux ans, la majorité et le Président de la République ont adopté une nouvelle stratégie tendant à modifier les conditions de fonctionnement et d'organisation de notre défense en les adaptant aux réalités du monde d'aujourd'hui et de demain. Le projet de loi de programmation présenté aujourd'hui à votre assemblée constitue la clef de voûte de ce mouvement de réforme dont je veux vous rappeler les principes.
Tout d'abord, nous avons défini une nouvelle stratégie de défense et de sécurité nationale : c'est le Livre blanc, que vous avez adopté il y a un an et qui constitue notre feuille de route.
Ainsi, la dissuasion reste l'assurance-vie de la nation. Notre effort est donc maintenu dans ce domaine et, pour le renforcer, nous développons un programme d'alerte avancée qui sera pleinement opérationnel en 2020.
En outre, face aux nouvelles menaces comme le terrorisme, la prolifération, les menaces chimiques, bactériologiques ou les cyber-attaques, le renseignement est notre première protection. Nous allons donc développer la nouvelle fonction stratégique « connaissance et anticipation ». Cela passe notamment par la création de 700 postes dans les services de renseignement, par le lancement, avec les Européens, du programme MUSIS, qui succédera au programme HELIOS, par la mise en orbite du satellite d'écoute électromagnétique CERES, ainsi que par le développement du programme du drone moyenne altitude longue endurance, le MALE – pour lequel les choix techniques et industriels ne sont pas encore arrêtés.
Ensuite, le Livre blanc identifie un nouvel arc de crise, allant de l'océan Atlantique à l'océan Indien. Pour y répondre, nous devons renforcer nos capacités d'intervention. À cette fin, notre aviation de combat sera rendue pleinement polyvalente grâce à l'arrivée du Rafale dans sa version F3, qui se substitue progressivement aux flottes vieillissantes et coûteuses en entretien, comme le Mirage F1. Nous disposerons à terme d'un parc de dix-huit frégates de premier rang, avec l'admission au service actif des deux frégates Horizon en 2009 et 2010, et des FREMM à partir de 2012. Les sous-marins nucléaires d'attaque seront progressivement remplacés, à partir de 2017, par le Barracuda, qui sera armé du missile de croisière naval. Enfin, nos troupes accueillent leurs premiers VBCI : elles en recevront plus de 550 sur la période. Dans le domaine aéroterrestre, vingt-trois hélicoptères NH 90 en version terrestre seront livrés entre 2011 et 2014, et vingt-quatre Cougar seront rénovés.
S'agissant des crédits d'entretien du matériel, en 2008 comme en 2009, ils ont permis, en métropole, de préserver – certes difficilement, reconnaissons-le – le taux d'activité et le niveau d'entraînement des forces dans le respect des contrats opérationnels des armées. En OPEX, ces crédits ont permis de répondre aux besoins opérationnels avec des taux de disponibilité excellents. Les objectifs de disponibilité du matériel sont donc globalement tenus.
Cependant, il ne faut pas se le cacher, la situation demeure fragile – je sais que les rapporteurs l'évoquent régulièrement – et des points de préoccupation surgissent fréquemment sur tel ou tel parc. Clé de notre efficacité opérationnelle et du moral de nos armées, le maintien en condition opérationnelle nécessite un effort financier soutenu et régulier. À ce titre, la loi de finances initiale pour 2009 augmente encore la ressource consacrée à l'entretien programmé des matériels : l'augmentation est de 8 % par rapport à 2008, portant cette ressource de 2,7 milliards d'euros à 2,9 milliards d'euros hors dissuasion. Pendant la durée de la loi de programmation militaire, la dotation se stabilisera en volume autour de 3 milliards d'euros, alors même que le format de nos armées se réduit. Il y aura donc plus de crédits pour moins de matériel. Cela étant, je sais que nos matériels sont très sollicités, que certains s'avèrent vieillissants et donc de plus en plus difficiles à entretenir, tandis que les matériels les plus récents ont des coûts de possession nettement plus élevés que les matériels précédents : par exemple, l'heure de vol du Tigre coûte dix fois plus que celle de la Gazelle.
Mais la problématique du maintien en condition opérationnelle, ce n'est pas seulement une question d'argent. La preuve en est que nous avons ajouté en volume cumulé, dans la précédente loi de programmation militaire, plus de 1,5 milliard d'euros pour le financement du MCO, et que la disponibilité n'est pas encore satisfaisante. Mais nous partions de si loin que la situation s'est tout de même améliorée.
La problématique d'amélioration de la disponibilité passe donc aussi par une réforme d'organisation et de structure. Celle-ci implique la montée en puissance du service industriel de l'aéronautique – le SIAé, créé début 2008 –, ainsi qu'une nouvelle politique de gestion et d'emploi des parcs au sein de l'armée de terre qui, en permettant le regroupement géographique des parcs selon leur emploi – entraînement, instruction, stockage, OPEX –, en optimise le soutien par une gestion dynamique du besoin. Cette réforme passe aussi par la création, début 2010, d'un service de soutien responsable de la coordination du MCO de l'ensemble du matériel terrestre des armées et des services – la SIMMT et le frère jumeau du SIAé pour le matériel terrestre, à savoir le SMITER –, ainsi que par l'extension des nouveaux modes de contractualisation, plus globaux, avec les industriels de défense – DCNS, Nexter ou Dassault – et par le développement du contrôle de gestion sur toute la filière.
Enfin, le Livre blanc rappelle que, pour répondre aux nouveaux défis, nos armées sont amenées à intervenir le plus souvent en coalition. Nous devons donc être capables d'agir ensemble : c'est le défi de l'interopérabilité, que nous améliorons sans cesse. Mais nous avons, avec nos partenaires européens et atlantiques, bien plus que des intérêts communs, et les cérémonies du 6 juin nous l'ont encore montré : nous avons un destin commun. Sous la présidence française de l'Union européenne, nous avons relancé l'Europe de la défense autour de projets concrets, comme la mise en oeuvre d'un ERASMUS militaire pour les officiers, la constitution d'un groupe aéronaval européen, la création d'une flotte européenne de transport, des programmes de recherche confiés à l'Agence européenne de défense – qui jusqu'à aujourd'hui, reconnaissons-le, n'avait pas un plan de charge très fourni – ou encore la constitution d'un réseau de surveillance maritime des côtes européennes. Cette défense européenne doit nous permettre à terme de mener des opérations militaires autonomes, d'envergure significative. Cette autonomie n'est pas concurrente de l'Alliance atlantique, bien au contraire : elle la renforce.
Mesdames, messieurs les députés, de ces nouvelles priorités découle une nouvelle organisation du ministère. Ce changement d'organisation est, de l'avis général, aussi ambitieux que celui conduit en 1882, et qui avait mis le soutien sous la responsabilité du commandement.
La gouvernance du ministère a été profondément renouvelée. J'ai voulu un nouveau décret d'organisation se substituant aux décrets de 2005. Il est à l'heure actuelle examiné par le Conseil d'État et sera présenté prochainement en conseil des ministres. Il permettra un fonctionnement plus intégré, et il consolide, sous l'autorité du ministre, les responsabilités du chef d'état-major des armées vis-à-vis des trois armées, notamment dans les domaines de la planification, de la programmation et du soutien.
Symbole de cette nouvelle gouvernance : les états-majors et les directions d'administration centrale seront regroupés sur un site unique à Balard, avant la fin de l'année 2014.
La procédure de mise en concurrence a été lancée et les travaux préparatoires sur le site vont démarrer.
De plus, les soutiens et l'administration générale sont désormais rationalisés. Dans ce but, nous avons lancé pas moins de trente-huit chantiers, comme celui de la réforme des achats. Ceux-ci seront en grande partie centralisés, comme dans toute grande organisation moderne. Cela nous a déjà permis de réaliser 15 millions d'euros d'économies durant les derniers mois de l'année 2008, et nous laisse attendre 60 millions d'euros d'économies supplémentaires en 2009. Ces chantiers visent aussi à moderniser les structures de paye des personnels, à externaliser certaines fonctions de soutien, à simplifier les échelons intermédiaires et à en réduire le nombre, à mutualiser les plates-formes logistiques, ou encore à créer une Agence interarmées de reconversion du personnel.
La réunification des centres de recrutement est déjà effective. Fini le temps où un jeune qui voulait s'engager devait, dans la même ville, courir d'un bureau à l'autre pour choisir son armée et son métier. Désormais, il trouve dans un lieu unique, le CIRFA – centre d'information et de recrutement des forces armées –, toutes les informations dont il a besoin sur les différents métiers proposés par les armées.
Parallèlement – et c'est l'un des immenses chantiers que nous avons à mener au cours des deux prochaines années – nous avons lancé une réforme profonde de nos systèmes d'information. Nous y consacrons chaque année un milliard et demi d'euros. Il n'est plus possible que chaque entité développe ses propres systèmes. Actuellement, nous avons par exemple quinze messageries différentes. Les systèmes de gestion des ressources humaines, qui se comptaient par dizaines, vont être réduits à cinq en 2010 avant de tendre ensuite vers un système unique. Tout en améliorant la qualité du service, nous devons être en mesure d'économiser, selon nos calculs, plusieurs centaines de millions d'euros par an.
Afin d'avancer plus vite dans cette voie, j'ai renforcé la direction générale des systèmes d'information du ministère. Elle m'est directement rattachée et elle ne sera plus seulement chargée de préconisations mais disposera aussi de la totalité du budget informatique du ministère.
Conséquence de cette nouvelle organisation commune et des nouvelles priorités stratégiques : la nouvelle carte militaire que j'ai présentée l'été dernier. On nous disait que c'était impossible. On nous disait que c'était la jacquerie assurée dans nos campagnes et nos provinces. Nous l'avons fait grâce à une concertation extrêmement poussée, même si je ne sous-estime pas les difficultés. À cette occasion, permettez-moi de saluer l'esprit de responsabilité des élus et des parlementaires, et de les remercier pour l'aide qu'ils ont apporté au succès de cette réforme d'envergure. Cette nouvelle carte commencera à être mise en place cet été, au cours du mois d'août ; les premiers projets de reprise des sites et de redynamisation économique sont déjà lancés.
Cette densification des implantations est aussi le fruit de certains choix en matière d'équipements, dont le meilleur exemple est probablement le Rafale. Décidée au milieu des années 1980, la mise en service de ce chasseur polyvalent nous permettait de resserrer le format de la flotte des avions de combat. Souvenez-vous : pendant la guerre froide nous avions 450 avions en ligne dans l'armée de l'air et, dès cette époque, nous projetions d'atteindre le même résultat et la même capacité avec 234 chasseurs polyvalents. En conséquence, bien entendu, nous avons besoin de moins de bases aériennes. C'est le mouvement que nous engageons.
Cette nouvelle carte militaire résulte aussi de l'interarmisation et de la mutualisation des soutiens et de l'administration générale, qui s'appuient sur le concept des bases de défense. Les onze bases de défense expérimentales créées début 2009 regroupent au total 50 000 personnes. Leur soutien est assuré par 6 000 civils et militaires qui ont été transférés de leurs armées respectives vers la nouvelle chaîne interarmées du soutien. Au bout de quelques mois, l'expérimentation est riche d'enseignements. Nous aurons à procéder à quelques adaptations, mais l'idée initiale en ressort renforcée : les gains potentiels issus de la mutualisation du soutien sont très importants.
Depuis un an, l'évolution des mentalités et des cultures est sensible et elle a permis d'accélérer les calendriers de mise en oeuvre de certains chantiers : la fusion des trois commissariats des armées sera finalement réalisée début 2010 ; la généralisation des bases de défense se fera au cours de l'année 2011. Dans les deux cas, c'est deux ans plus tôt que prévu.
Mesdames et messieurs les députés, je suis conscient que cet immense mouvement représente un effort important pour la défense et pour les hommes et les femmes qui la servent. Mais c'est la clé de la modernisation de nos armées, et même la clé de la loi de programmation militaire. Ce mouvement est donc assorti d'un plan massif d'accompagnement pour tous les personnels : 140 millions d'euros par an de mesures d'aide au départ, à la mobilité et à la formation pour le personnel du ministère. Ce plan comprend, par exemple, l'attribution d'un pécule pour les militaires ou d'indemnités de départ volontaires pour les ouvriers et les fonctionnaires, ou encore le dispositif d'aide à la mobilité des conjoints. Cet effort n'a pas d'équivalent dans le reste de la fonction publique.
Tous les systèmes d'armes que nous développons ne valent et ne vaudront que par le système d'hommes qui les sert. Nous devons donc garantir aux femmes et aux hommes de la défense les meilleures conditions matérielles, organisationnelles et financières possibles pour assurer leurs missions.
C'est pourquoi nous consentons un effort considérable en faveur du logement. J'ai renégocié la convention avec la Société nationale immobilière sur les logements domaniaux, ce qui a permis d'obtenir le paiement d'une soulte de 220 millions d'euros par cette société : je me permets de le signaler au rapporteur de la commission des finances et à ceux de ses membres qui seraient éventuellement présents.
Cela nous permet de dégager plus de moyens en faveur des programmes consacrés à l'acquisition de logements et à l'amélioration de leur entretien. Les crédits affectés au logement passeront ainsi de 80 à 100 millions d'euros par an.
Le parc domanial de la défense doit aussi évoluer avec la société. Désormais, l'éligibilité au logement est par exemple ouverte aux personnels pacsés depuis plus de trois ans et aux personnels militaires ayant la garde alternée ou un droit de visite pour leurs enfants encore en âge d'éducation.
En matière de logement, nous menons une politique active. Il ne sert à rien de conserver un parc obsolète ou mal situé. Nous sommes en train de nous séparer des logements vacants – plus d'un millier – pour en acquérir là où nous en avons réellement besoin, comme à Toulon ou en région Ile-de-France, où le marché immobilier est particulièrement tendu. En tout, entre 2009 et 2011, nous attendons la livraison de plus de 7 000 logements nouveaux.
Nous avons aussi travaillé à améliorer le recrutement et la gestion des carrières, et consolidé la place des civils dans notre outil de défense : ils seront un nombre significatif à commander un groupement de soutien des bases de défense, par exemple.
En outre, j'ai lancé un vaste chantier de revalorisation des grilles indiciaires des militaires ainsi que des mesures pour le personnel civil, et cela à due proportion de leur place dans la communauté de défense, par exemple via le développement de la promotion interne. En tout, nous consacrerons à la revalorisation 350 millions d'euros. Nous l'avons fait en 2008 pour les militaires du rang, les sergents et les seconds maîtres ; en 2009, nous le faisons pour les sergents-chefs, les maîtres, les sous-lieutenants, les lieutenants et les capitaines. Tout sera achevé en 2011. Selon les catégories, cette revalorisation représente entre un peu moins d'un mois et trois mois de solde indiciaire.
Elle s'appuie sur les conclusions du rapport du Haut comité d'évaluation de la condition militaire, qui avait proposé à mon prédécesseur, en février 2007, un plan reposant sur deux principes : le rattrapage par rapport à la fonction publique en uniforme et le repyramidage en fonction des responsabilités.
Enfin, mesdames et messieurs les députés, j'ai voulu une défense qui s'intègre mieux ou plus encore à la vie de la société. Tout d'abord, elle doit s'intégrer à la vie économique, notamment en période de crise. Le ministère de la défense, premier investisseur de l'État, est aussi le premier acteur du plan de relance. À l'heure où je vous parle, 1,1 milliard d'euros ont déjà été engagés.
Nous avons ainsi commandé un troisième bâtiment de projection et de commandement, qui assure à lui seul 25 % du plan de charge des chantiers de Saint-Nazaire, et nous avons déjà réglé 60 millions d'euros à l'entreprise. Monsieur le président Tessier, vous savez que nous avons aussi commandé cinq Caracal supplémentaires à Eurocopter, il y a quinze jours ou trois semaines.
Au total, la défense bénéficiera d'une enveloppe de 2,25 milliards sur deux ans, dont 1,75 milliard de crédits nouveaux qui figurent dans le collectif voté au début de l'année. Cela représente 44 % des 4 milliards constitutifs de l'effort d'investissement de l'État.
Participer à la vie économique, c'est aussi développer le commerce extérieur, via les exportations. C'est d'abord un engagement politique extrêmement fort du chef de l'État, du Gouvernement et de l'ensemble de mon ministère pour accompagner les efforts des industriels. Pour la défense, 2008 a été la meilleure année depuis 2000 : 6,4 milliards d'euros à l'exportation contre 5,7 milliards d'euros en 2007. L'objectif fixé à 6 milliards d'euros a été dépassé et, compte tenu de ce que nous avons déjà engrangé et des perspectives, j'ai bon espoir que nous fassions encore mieux en 2009. Nous nous battons chaque jour pour cela.
En dehors des gros programmes et des grands projets dont on parle dans la presse, il y a aussi le quotidien, qui assure notamment le plan de charge des PME. J'ai donc lancé une vaste réforme du contrôle et du soutien en matière d'exportations, afin de faciliter la vie de nos industriels à l'export.
Je citerai quelques chiffres auxquels certains d'entre vous seront sensibles. Il fallait en moyenne 80 jours pour traiter un dossier d'export ; il en faut moins de 40 actuellement. La proportion de dossiers ajournés est passée de 30 % à 7 %. Nous avons lancé les procédures globales d'autorisation, conformément aux recommandations d'un célèbre rapport de votre collègue Yves Fromion.
En outre, dans les jours qui viennent, nous publierons le décret qui adopte la liste militaire de l'Union européenne. La liste des équipements sera ainsi harmonisée avec les dispositions européennes, alors que le texte actuel, vieux de plus de vingt ans, nous handicapait à l'exportation. Ce nouveau décret facilitera notamment l'exportation des composants non spécifiquement militaires entrant dans la fabrication des équipements.
J'ai aussi engagé un plan ambitieux en faveur des PME, qui sont le substrat de notre industrie de défense, et surtout un trésor d'innovation et de réactivité.
Tous les dispositifs sont en place. Nous avons créé un bureau spécifique au sein de la délégation générale pour l'armement, afin d'améliorer l'information et l'accès aux marchés pour les petites et moyennes entreprises, qui n'ont pas les mêmes réseaux que les grands groupes. Elles se sont vu offrir un meilleur accès aux programmes de R & T ; les programmes de recherche et développement sont aussi faits pour les PME. Enfin, nous avons inséré dans les cahiers des charges des marchés publics d'armement des clauses favorisant la sous-traitance aux PME.
Néanmoins, on doit encore faire mieux. C'est pourquoi j'ai lancé à Bordeaux, il y a un mois, un nouveau dispositif de subventions pour les entreprises du secteur civil dont les sujets de recherche peuvent avoir un intérêt pour la défense. Ce programme baptisé RAPID – régime d'appui aux PME pour l'innovation duale – est doté de 10 millions d'euros pour l'année 2009.
Enfin, la défense n'est pas un monde à part ; elle a le devoir de rester au plus près des préoccupations des Français. Afin d'illustrer notre volonté de renforcer son ouverture sur la société, permettez-moi d'évoquer trois sujets.
D'abord, je citerai le plan handicap du ministère. À mon arrivée, nous étions à moins de 5 % pour le taux d'emploi de travailleurs handicapés – parmi le personnel civil, bien entendu – et j'ai fixé comme objectif d'atteindre les 6 % légaux avant la fin de l'année 2009. Nous y sommes un an avant l'échéance, et je veux aller plus loin. Nous avions du retard ; nous aurons de l'avance. Après avoir recruté 250 personnes handicapées en 2009, nous en recruterons 180 en 2009 et 160 en 2011.
Cette ouverture sur la société se traduit également par un plan ambitieux en faveur de l'égalité des chances. Aujourd'hui, 170 jeunes issus de familles de condition modeste sont d'ores et déjà scolarisés dans les collèges et lycées de la défense. Ils bénéficient ainsi de l'accompagnement personnalisé et de l'excellence de nos établissements. Ils seront 380 à la rentrée prochaine et 450 en 2010, lorsque le dispositif fonctionnera à plein régime. Dans le cadre de celui-ci nous avons ouvert des « classes tampons » pour les jeunes motivés par les grandes écoles militaires, de sorte qu'ils bénéficient, après le baccalauréat, d'une année pour acquérir les connaissances, les codes et la culture qui leur permettront d'être, dans les classes prépas, au moment du concours, à armes égales avec les jeunes issus de milieux plus favorisés. Ainsi, nos armées seront à l'image de la République. Elles l'étaient pour les militaires du rang et les sous-officiers ; elles le seront aussi chez les officiers.
Par ailleurs, tous les ans et dès la rentrée prochaine, 150 jeunes pourront être accueillis à l'École des mousses, dont j'ai décidé de rouvrir les portes.
J'ai aussi mis en oeuvre un plan d'actions sur l'environnement au sein du ministère : le bilan carbone de l'îlot Saint-Germain est décliné en actions concrètes ; nous avons effectué, à l'automne dernier, un audit environnemental complet de quatre sites pilotes, qui serviront d'exemples pour l'ensemble des unités de l'armée française : l'École Polytechnique, le camp de l'armée de terre de Mailly, la base aérienne d'Orléans-Bricy – où je me suis rendu avec M. Grouard – et le parc d'hydrocarbures du Lazaret, près de Toulon. À partir de cet audit, nous avons engagé une démarche environnementale exemplaire et complète, qui se traduira notamment par une mise aux normes de l'ensemble de nos installations. Nous avons aussi décidé que chaque nouvelle construction intégrerait le standard « Haute performance environnementale ». Enfin nous favorisons, dans notre politique d'achats, le développement de la filière éco-industrielle : je me rendrai par exemple dans les prochaines semaines à Istres pour inaugurer un vaste plan d'équipement de la base aérienne en panneaux solaires.
Autre sujet, souvent évoqué par Mme Lamour et plusieurs autres : le démantèlement et la déconstruction des équipements militaires réformés – navires et avions notamment – font l'objet d'une ligne budgétaire spécifique, et les besoins estimés sont couverts pour les six prochaines années, avec une enveloppe de 100 millions d'euros.
De même, la revalorisation des sites militaires après exploitation, comme Hao, est inscrite dans notre plan de financement pour les années à venir, avec une enveloppe d'environ 30 millions d'euros.
Dernier grand chantier : nous avons besoin d'un enseignement à la hauteur de la réputation de notre défense et de nos armées. Je souhaite donc la création d'un grand pôle universitaire, scientifique et de recherche stratégique, adossé à une grande université ou une grande école, sur les questions de défense. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP.) La fusion de l'IHEDN, l'Institut des hautes études de défense nationale et du CHEAr, le Centre des hautes études de l'armement, ainsi que la création de l'IRSEM, l'Institut de recherche stratégique de l'École militaire, sont un premier pas pour ce projet. Je compte avancer rapidement, de façon que ce dernier soit opérationnel à la prochaine rentrée universitaire.
Enfin, je partage avec vous l'immense fierté de pouvoir bientôt débattre à l'Assemblée nationale du projet de loi visant à indemniser les victimes des essais nucléaires français. Ce texte permettra à la France d'être en paix avec elle-même et au diapason avec les mesures prises en Grande-Bretagne et aux États-Unis. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP.)
Vous le voyez, mesdames et messieurs les députés, ce projet de loi de programmation s'inscrit dans un vaste mouvement de réforme. Cependant les fondements de la culture militaire et de la culture de défense demeurent intangibles : le dévouement, la disponibilité, le courage, l'esprit d'initiative et le sens de l'action collective. Notre outil de défense ne serait rien sans la qualité des femmes et des hommes, civils comme militaires, qui le servent quotidiennement ; je veux à cet instant leur rendre hommage. Je pense notamment à celles et ceux qui, loin de leur foyer, sont engagés dans des missions difficiles et dangereuses. Par leurs efforts, par leur volonté, par leur amour de la France, par leur professionnalisme, ils montrent aux Français combien ils peuvent être fiers de leur défense et peuvent compter sur leurs armées.
Mesdames et messieurs les députés, cette loi de programmation militaire n'est pas seulement le dernier volet d'une vaste réforme entreprise par la majorité ; elle est aussi la clé de voûte d'un projet qui engage notre responsabilité envers les générations futures : construire une défense au service de la sécurité des Français et de la paix dans le monde, une défense au service des valeurs de notre pays, pleinement engagé dans la construction d'une Europe politique. C'est aujourd'hui à vous qu'il appartient de rendre cette ambition possible. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Patrick Beaudouin, rapporteur de la commission de la défense nationale et des forces armées.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous abordons enfin l'examen du projet de loi de programmation militaire, déposé il y a plus de sept mois sur le bureau de l'Assemblée. Ce retard est regrettable à de nombreux égards ; ainsi, le projet de loi de finances pour 2009 a été voté avant que le présent texte ne soit débattu, et celui-ci a dû être actualisé pour tenir compte du plan de relance. Mais ce retard est surtout dommageable pour nos armées : le Livre blanc a été présenté à l'Assemblée voici près d'un an, et il n'est que temps que la communauté militaire trouve la traduction législative des orientations et des missions nouvelles que nous souhaitons lui donner.
La multiplication des menaces nécessite en effet la mise en place d'une nouvelle stratégie en matière de sécurité nationale. Elle doit avoir un triple objectif : défendre les populations et le territoire ; assurer la contribution de la France à la sécurité européenne et internationale ; défendre les valeurs du pacte républicain.
Pour prendre en compte le nouveau contexte géostratégique né de la mondialisation – un monde multipolaire à l'instabilité et à la complexité croissantes –, le Livre blanc considère que la sécurité nationale doit reposer sur un nouvel équilibre entre cinq grandes fonctions stratégiques : la connaissance et l'anticipation ; la prévention des menaces et des guerres ; la dissuasion nucléaire ; la protection de la population et du territoire ; l'intervention, principalement à l'extérieur du territoire et dans un cadre multinational.
La sécurité ne peut en effet être assurée que de façon collective. La France se doit de participer activement à la sécurité mondiale, notamment en renforçant sa présence et son action au sein de l'Union européenne, de l'OTAN et de l'ONU.
Le projet de loi décline précisément ces orientations et les moyens qui seront consacrés aux forces armées au cours de la période 2009-2014 : moyens humains, moyens financiers et moyens en équipements. Je vais m'attacher à vous les présenter rapidement.
« Si la France est un grand pays à la diplomatie universelle, c'est parce qu'elle a une grande armée composée de soldats compétents, déterminés et engagés », rappelait le Président de la République lors de ses derniers voeux aux armées. Les travaux relatifs au Livre blanc et à la révision générale des politiques publiques ont conclu à la définition de nouveaux formats d'armées. L'article 4 du projet de loi de programmation fixe un objectif de réduction des effectifs de 45 888 équivalents temps plein pour la période 2009-2014. L'effort doit essentiellement porter sur les fonctions de soutien, qui représentent 75 % de ces réductions. Pour atteindre cette cible, il est prévu de supprimer annuellement 8 400 emplois pour la période 2009-2011, chiffre brut que viendront corriger des renforcements d'effectifs dans certains secteurs jugés prioritaires, tels que le renseignement, qui bénéficiera de 700 recrutements supplémentaires.
Il convient toutefois de maintenir un certain équilibre, l'arrêt complet des recrutements pouvant évidemment être lourd de conséquences. C'est pourquoi il est impératif de maintenir des flux d'entrants et de veiller à conserver des personnels détenant les spécialités indispensables à nos capacités opérationnelles. Je vous serais reconnaissant, monsieur le ministre, de bien vouloir nous apporter quelques précisions sur ce point.
Parallèlement à cette réduction des effectifs, un effort particulier sera porté sur l'amélioration de la condition des personnels civils et militaires. La mise en oeuvre du présent texte coïncidera en particulier avec le lancement du plan d'amélioration de la condition du personnel. Il concernera les personnels militaires et civils de la défense en poursuivant deux objectifs majeurs : renforcer l'attractivité des carrières du personnel militaire grâce à un plan de revalorisation indiciaire et valoriser les parcours professionnels du personnel civil.
La loi de programmation militaire donnera également aux armées les moyens financiers d'accomplir leurs missions, notamment en sanctuarisant certaines dépenses considérées comme stratégiques. Les crédits de paiement de la mission « Défense » pour la période de programmation – article 3 – représenteront 184,8 milliards d'euros sur six ans, et 377 milliards d'ici à 2020. Ces crédits ne se limitent plus aux seules dépenses d'investissement, mais couvrent l'ensemble du champ du ministère. Ce choix s'explique par un souci de sincérité et par la logique financière de la réforme du ministère de la défense engagée depuis le mois de juillet 2008. En effet, les économies réalisées sur les dépenses de personnel et de fonctionnement permettront de dégager de nouvelles marges de manoeuvre, entièrement réaffectées aux programmes d'armement.
Par ailleurs, 3,7 milliards d'euros proviennent de ressources exceptionnelles. Celles-ci revêtent un caractère aléatoire, puisqu'elles reposeront sur des cessions d'immeubles – notamment dans le cadre du projet de regroupement des sites à Balard – et des cessions de fréquences, qui, par définition, s'inscrivent dans des calendriers contraints et s'adressent à des marchés spécifiques. De fait, les rentrées de ces ressources connaissent des retards. M. le ministre nous confirmera, je l'espère, que des dispositifs sont prévus pour pallier ces retards et que les rentrées attendues seront bien engrangées d'ici à 2011.
Il faut ajouter que sont venues se greffer au projet de loi initialement déposé les dispositions du plan de relance, dont près de 2,4 milliards d'euros sont consacrés à la défense nationale. Les crédits d'équipement devraient bénéficier de 1,4 milliard d'euros supplémentaires, l'objectif étant de soutenir les industries de défense les plus touchées par la crise, qu'il s'agisse de la filière munitionnaire, de l'industrie automobile ou de la construction navale. Pour ce faire, il est prévu d'accélérer le calendrier initial et de le compléter par de nouvelles commandes. Le plan de relance permettra ainsi, par exemple, l'acquisition de quinze véhicules de transport de troupes Aravis, destinés à nos forces en Afghanistan, comme il permettra de lancer le troisième bâtiment de projection et de commandement, et de maintenir la cadence de production des véhicules blindés de combat de l'infanterie.
Le projet de loi propose de sanctuariser certaines dépenses considérées comme stratégiques. Il s'agit des dépenses d'équipement et, parmi elles, de certains programmes considérés comme prioritaires. Sur l'ensemble de la période de programmation, les crédits d'équipement bénéficient de 101,25 milliards d'euros, passant de 15,4 milliards en 2008 à plus de 18 milliards en 2014.
Le texte met aussi en place de nouveaux mécanismes de financement afin de couvrir les dépenses liées aux opérations extérieures sans diminuer les crédits de la mission. Le rapport d'information sur l'exécution de la précédente loi de programmation militaire avait en effet révélé que le financement des OPEX pouvait peser sur les crédits d'équipement. Le projet de loi prévoit notamment d'augmenter la somme réservée chaque année au financement des OPEX, les surcoûts éventuels étant pris en charge par un prélèvement sur la réserve de précaution interministérielle.
Nos armées pourront donc bénéficier des équipements dont elles ont besoin. Le rapport annexé détaille les objectifs et les contrats opérationnels correspondants prévus au cours de la période de programmation. Je souhaiterais donc me concentrer sur plusieurs points qui paraissent préoccupants.
Le domaine spatial, d'abord. La fonction stratégique « connaissance et anticipation », considérée comme prioritaire, doit bénéficier d'un renforcement des capacités satellitaires de notre pays. Les ressources allouées à l'espace doivent être progressivement doublées d'ici à 2020, mais les crédits en ce domaine n'étant retracés dans aucun agrégat, il sera impossible de vérifier que cet engagement est bien respecté.
Par ailleurs, l'examen des capacités satellitaires françaises est également source d'inquiétude. Compte tenu de la durée de vie des équipements actuellement utilisés et des délais d'entrée en service de ceux prévus, un risque de déficit capacitaire apparaît pour les années à venir. À moins de renoncer à toute ambition nationale en matière spatiale, il semble donc indispensable d'accélérer le lancement des programmes développés en coopération avec nos partenaires européens. Compte tenu de la complexité de ces programmes, une décision doit intervenir dès maintenant pour préciser les modalités et surtout le calendrier de la coopération. Tout retard pourrait en effet avoir des conséquences de long terme très graves, avec le risque d'un décrochage définitif de la France. J'aimerais, monsieur le ministre, avoir aussi quelques précisions sur ce point.
Autre sujet de préoccupation majeur : l'aéromobilité. Le rapport sur l'exécution de la précédente loi de programmation militaire a mis en évidence le développement d'un déficit capacitaire. Le présent texte entend y remédier, mais bien des incertitudes demeurent. Il est prévu de remplacer progressivement les aéronefs C-160 Transall par des A400M, et les avions ravitailleurs C-135 par des avions multirôles de ravitaillement en vol et de transport. L'objectif semble toutefois très ambitieux, compte tenu notamment des difficultés industrielles rencontrées par EADS sur l'A400M et des doutes apparus dans le partenariat européen. Face à ces tensions, l'armée de l'air risque de ne pas être en mesure d'honorer le contrat opérationnel en matière de transport stratégique ou tactique comme d'entraînement des pilotes. Le recours à des solutions d'affrètement ou d'achat anticipé d'avions MRTT devra être prévu. Je souhaite, monsieur le ministre, que vous nous précisiez où en est votre réflexion à ce sujet.
En ce qui concerne la marine, je souhaiterais vous interroger sur le calendrier du programme de frégates nécessaire à l'exécution du contrat opérationnel, et sur les moyens d'accélérer la lutte contre la piraterie maritime.
S'agissant de l'armée de terre, enfin, la protection de nos soldats, notamment ceux présents en Afghanistan, est l'une de nos préoccupations premières. C'est pourquoi je vous serais reconnaissant de bien vouloir nous indiquer les délais d'entrée en service des dispositifs de protection des véhicules – moyens de brouillage notamment – et les délais de livraison des équipements Félin. Qu'en est-il, par ailleurs, de l'engagement opérationnel du Tigre ?
La commission a examiné de nombreux amendements à la partie du texte que je viens d'évoquer ; nous y reviendrons naturellement, mais je souhaiterais d'ores et déjà mentionner l'accent qu'elle a mis sur l'information du Parlement en ce qui concerne la conclusion et l'orientation des accords de défense. L'effort de recherche en matière de défense sera par ailleurs mieux identifié : une partie du rapport annuel y sera spécifiquement consacrée, et les synergies avec les coopérations civiles européennes seront recherchées. Compte tenu de l'enjeu que représente la fin de vie des équipements, la commission a également adopté un amendement précisant que la France doit disposer d'un tissu industriel adapté à leur déstructuration.
Alors que le ministère s'est engagé dans une réforme en profondeur, la commission a souhaité que toute externalisation fasse l'objet d'une étude d'impact préalable.
Enfin, elle a fixé de manière plus exhaustive la liste des petits programmes de cohérence opérationnelle, pour éviter qu'ils ne donnent lieu aux mêmes mesures restrictives qu'à l'occasion de la précédente loi de programmation militaire.
Avec ce projet de loi tel qu'il a été présenté, et tel qu'il a été enrichi par les amendements adoptés en commission, nos armées recevront les moyens de se montrer à la hauteur des ambitions de la France et de ses responsabilités. Le contexte mouvant et incertain du monde actuel, les aléas du contexte économique et financier, d'éventuelles difficultés rencontrées par les programmes industriels, rendent toutefois nécessaire une exécution alliant rigueur, souplesse et capacités d'adaptation.
La nouvelle gouvernance mise en place par le Livre blanc et par vous-même, monsieur le ministre, au sein de votre ministère doit y répondre. La représentation nationale devra se montrer particulièrement attachée à sa mission de contrôle et de suivi, afin d'éviter toute dérive industrielle ou financière et d'accompagner les évolutions qui conduiront à la révision intermédiaire de la loi de programmation militaire à l'horizon 2012.
Avant de céder la parole à mon collègue Yves Fromion, et en vous invitant à voter cette loi de programmation militaire après la discussion des amendements, je tiens, au nom de la commission et en mon nom propre, à rendre hommage à la compétence professionnelle de nos soldats, à l'efficacité et au courage dont ils font preuve dans l'accomplissement de leurs missions, notamment en OPEX. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Yves Fromion, rapporteur de la commission de la défense nationale et des forces armées.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, prolongeant celle de mon collègue rapporteur Patrick Beaudouin, mon intervention sera centrée sur plusieurs dispositions du projet de loi de programmation militaire, dont certaines traduisent les préconisations du Livre blanc, auquel il a déjà été fait référence, et d'autres portent sur les aménagements qu'il est indispensable d'apporter aux modalités de fonctionnement de nos industries de défense afin de les adapter à leur environnement international.
Au préalable, je voudrais insister une fois encore sur la chance que représente pour la France le fait de disposer de forces armées composées d'hommes et de femmes d'une qualité et d'un professionnalisme qui les situent au rang des meilleurs. Comme certains d'entre nous, j'ai pu mesurer sur le théâtre afghan, tout récemment, mais aussi en bien d'autres circonstances, le professionnalisme, l'engagement, le courage, l'esprit de sacrifice de nos soldats, qui sont portés par leur foi en la mission qui leur a été confiée. Ils méritent notre fierté, notre estime et, par-dessus tout, notre soutien responsable.
Ma deuxième observation liminaire porte sur la question de la recherche de défense et la place qu'elle occupe dans l'élaboration des concepts stratégiques. La supériorité technologique est devenue la donnée centrale de la stratégie militaire. Le succès sans appel des Américains sur les Soviétiques, au terme de la longue course à la suprématie technologique qui a marqué la guerre froide, en est une illustration flagrante qui n'a jamais été démentie depuis, en dépit des réserves parfois émises par ceux qui confondent hypersophistication et haute technologie.
À cet égard, il importe d'être attentif à la récente déclaration du président américain Barack Obama sur l'armement nucléaire et sur l'intérêt qu'il y aurait à aller vers son interdiction totale. Au-delà de son effet politique, cette prise de position, qui en a surpris plus d'un, traduit très exactement le concept de suprématie technologique érigé en dogme par les Américains, qui en poursuivent la mise en oeuvre depuis vingt ans avec une totale détermination. Il faut être clair : les Américains ont déjà relativisé le concept de dissuasion stratégique fondée sur le nucléaire au profit de la dissuasion technologique. Sans être pour autant dépendant de la vision conceptuelle américaine, on se doit de s'interroger sur la crédibilité à venir d'une dissuasion fondée exclusivement sur des armes de destruction massive dont les modes opératoires risquent d'apparaître un jour en décalage fondamental avec la perception des urgences environnementales planétaires ou avec la nature de la riposte à apporter aux agressions diffuses. La recherche de défense, moteur de la supériorité, voire de la suprématie technologique, doit être une priorité absolue, car nous devons préparer les alternatives de demain. À cet égard, et en dépit de l'effort qu'elle représente, la loi de programmation manque encore d'ambition.
L'article 5 du chapitre II traduit les préconisations du Livre blanc en proposant un nouveau cadre institutionnel avec, notamment, la création d'un Conseil de défense et de sécurité nationale, et en redéfinissant les attributions des différents ministres. La commission a souhaité préciser les compétences du Premier ministre en matière d'intelligence économique et celles du ministre de la défense pour ce qui concerne la politique d'exportation des équipements d'armement – dont vous nous avez longuement parlé, monsieur le ministre –, deux domaines qui paraissent importants pour la stratégie de défense et de sécurité nationale.
Lors de l'examen en commission, les discussions se sont par ailleurs focalisées sur le chapitre V, qui comprend les articles consacrés à DCNS et à la Société nationale des poudres et explosifs, la SNPE.
À l'article 10, il a été clairement rappelé que le projet de loi ne permet en aucun cas de privatiser l'entreprise nationale DCNS ; il se contente de favoriser son évolution en autorisant la création de filiales minoritaires. La commission a adopté plusieurs amendements des rapporteurs garantissant les droits individuels et collectifs des personnels mis à disposition de ces filiales. Il a été notamment décidé que, durant la vie de la filiale, toute mise à disposition ne peut se faire que sur la base du volontariat et avec l'accord de l'entreprise nationale.
Notre commission a également adopté un amendement concernant l'extension du champ des entreprises dans lesquelles un ouvrier de l'État peut demander à être employé. Cet amendement a été déclaré irrecevable par le président de la commission des finances, au titre de l'article 40 de la Constitution. Néanmoins, la modification pourra finalement être inscrite dans la loi, le Gouvernement l'ayant heureusement reprise à son compte en redéposant l'amendement.
En ce qui concerne la SNPE – c'est-à-dire l'article 11 du projet de loi –, tous les membres de la commission ont souligné l'importance que revêt la constitution d'un pôle munitionnaire français et leur attachement à la préservation de notre indépendance en ce qui concerne la propulsion des missiles balistiques.
Dans un ordre d'idée voisin, je souligne l'intérêt que nous avons clairement exprimé pour la constitution d'une filière nationale de déconstruction des armements et munitions conçus et fabriqués par nos industries. J'aimerais d'ailleurs, monsieur le ministre, que, le moment venu au cours de ce débat, vous puissiez nous donner quelques informations sur les projets qui ont été soumis à votre cabinet ou à vos services, et que vous nous disiez quelle suite on peut en attendre.
Notamment à Bourges, peut-être ? (Sourires.)
Par exemple, monsieur le ministre. Au hasard… (Sourires.)
Pour ce qui concerne les dispositions du chapitre VI, relatif au secret de la défense nationale, la commission de la défense s'est essentiellement attachée à mieux encadrer les procédures spécifiques de perquisition définies par les articles 12 à 14, afin de préserver les compétences et les moyens d'action des magistrats, tout en garantissant la nécessaire protection du secret de la défense nationale.
La liste des lieux « abritant » – et non plus « susceptibles d'abriter » – des éléments couverts par le secret de la défense nationale devra ainsi être fixée par arrêté du Premier ministre, établie de façon précise et limitée par le SGDSN, et régulièrement actualisée. Elle sera communiquée au président de la Commission consultative du secret de la défense nationale et au ministre de la justice, qui devront la rendre accessible aux magistrats de façon sécurisée. Enfin, les conditions de délimitation de ces lieux devront être fixées par décret en Conseil d'État.
Nous avons également limité au strict minimum le contenu de la décision que le magistrat doit adresser au président de la CCSDN en préalable à toute perquisition dans un lieu abritant des éléments couverts par le secret de la défense nationale, et ce afin de préserver au mieux l'effet de surprise.
Dans le cas d'une découverte incidente d'éléments classifiés lors d'une perquisition, notre commission a modifié le dispositif prévu par le projet de loi, afin de ne pas interrompre la procédure, tout en protégeant les éléments classifiés découverts de tout risque de compromission.
Enfin, en ce qui concerne les lieux classifiés, la commission de la défense a précisé que l'autorité administrative compétente devrait se prononcer « sans délai » sur la demande de déclassification temporaire présentée par un magistrat aux fins de perquisition.
Pour ces trois articles, la commission de la défense a pris en compte de nombreuses propositions de la commission des lois, saisie pour avis. Elle ne l'a cependant pas suivie sur deux points longuement discutés : la suppression de toute communication préalable de la décision de perquisition au président de la CCSDN en cas de perquisition dans un lieu abritant des éléments classifiés ; la soumission de la décision de classification d'un lieu à un avis conforme de la CCSDN.
Nous reviendrons sur ces points précis dans le cours des débats. Sans vouloir alimenter la polémique publique ouverte à l'initiative de la commission des lois, et que, pour ma part, je dénonce vigoureusement,…
…je tiens néanmoins à affirmer dès à présent que notre commission ne mérite pas les attaques dont elle a fait l'objet.
En effet, nous avons adopté un certain nombre de dispositions qui, bien loin d'aboutir à un déni de démocratie, assurent un équilibre satisfaisant entre deux exigences d'égale valeur constitutionnelle : la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la nation et la recherche des auteurs d'infractions pénales. L'une et l'autre de ces exigences, qui peuvent être contradictoires, doivent être considérées avec un égal sens de l'État.
Pour conclure, en revenant à des considérations plus générales, j'exprime ma conviction que cette loi de programmation est certainement la meilleure que l'on pouvait bâtir dans le contexte que nous connaissons. Au-delà, cependant, notre attention doit être appelée sur l'effet de ciseau qui menace la cohérence de l'évolution des trajectoires reflétant nos ambitions en matière de défense et de sécurité, d'une part, et les capacités budgétaires que nous y consacrons, d'autre part.
C'est pourquoi je voudrais saluer les efforts consentis par le Président de la République en faveur d'une adéquation réaliste du format de nos armées, d'une révision pragmatique de nos engagements extérieurs, d'un abondement substantiel des moyens budgétaires consacrés à la défense, mais également – vous l'avez rappelé, monsieur le ministre – de l'approche volontariste et lucide à travers laquelle est traitée la coopération internationale de la France en matière de défense, au sein de l'Union européenne comme au sein de l'OTAN.
Pour toutes ces raisons, je vous engage, mes chers collègues, à répondre à l'attente de nos forces armées en adoptant le projet de loi de programmation militaire qui vous est soumis. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Loïc Bouvard, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, annoncé par le Président de la République le 11 mars dernier, le retour de la France dans l'OTAN constitue un véritable tournant. Le Parlement a approuvé cette décision par un vote du 17 mars 2009, et le projet de loi de programmation militaire pour 2009-2014 réaffirme cette orientation.
La France prendra donc désormais toute sa part dans le fonctionnement et l'élaboration de la stratégie de l'Alliance atlantique. Tous nos alliés ont salué cette évolution, les États-Unis comme les Européens. La Russie, avec laquelle nous entretenons une relation privilégiée, a également acquiescé.
Cette décision préserve les conditions essentielles de notre autonomie, comme le présent projet de loi le rappelle opportunément. Nos forces nucléaires restent de notre seule responsabilité, et nous conservons une totale liberté de choix pour décider d'envoyer nos troupes hors de nos frontières.
Notre présence renforcera le poids de l'Europe au sein de l'Alliance, à condition toutefois que nos partenaires européens consacrent à la défense une part plus importante de leurs budgets, à l'instar de ce que font le Royaume-Uni et la France.
Enfin, notre retour dans l'OTAN nous permettra de poursuivre sans ambiguïté la construction de l'Europe de la défense, qui nous est si chère. Car, malgré les avancées du sommet de Saint-Malo et celles de la présidence française de l'Union européenne, beaucoup reste à faire : rédaction d'un Livre blanc européen de sécurité et de défense, mise sur pied d'une agence européenne de l'armement, création d'un centre européen de commandement autonome.
Le projet de loi de programmation militaire renforce les moyens militaires de l'Europe, en relançant par exemple le programme d'imagerie spatiale européen dit MUSIS – auquel vous avez fait allusion, monsieur le ministre – ou en prévoyant de renforcer la recherche européenne dans le domaine militaire.
Quelque 186 milliards d'euros sont prévus pour nos armées sur l'ensemble de la période. Des réponses sont apportées pour combler les besoins les plus urgents. L'affectation de ces moyens correspond aux orientations proposées par le Livre blanc sur la sécurité et la défense nationale, approuvé par le Président de la République en juillet dernier. À ce titre, le renseignement fait l'objet d'un effort indispensable avec l'embauche de 700 personnels et le renforcement de nos capacités satellitaires.
Pour améliorer l'efficacité de la dépense, la loi prévoit d'augmenter la part des crédits consacrés aux postes opérationnels – qu'il s'agisse des hommes ou des équipements – et à externaliser les fonctions de soutien.
Enfin, des mesures sont prises pour mieux encadrer les programmes d'armement et l'entretien des matériels.
L'administration centrale du ministère est réformée, et les services sont incités à coopérer plus activement. Notre industrie de défense est modernisée : le statut de la Société nationale des poudres et explosifs, par exemple, est adapté selon le modèle que j'avais autrefois défendu pour la direction des chantiers navals, devenue DCNS.
La loi de programmation militaire permettra donc de doter la France d'une armée mieux équipée et plus projetable, plus adaptée aux défis stratégiques d'aujourd'hui, comme la lutte contre le terrorisme – en Afghanistan ou ailleurs – et l'intervention sur des théâtres d'opération extérieurs pour y défendre nos intérêts.
Néanmoins, tout cela ne sera possible qu'à la condition de respecter l'ensemble de ces engagements. Il faudra donc éviter les étalements de programmes, les réductions de cibles d'achat ou encore l'abandon de certains projets stratégiques, comme on l'a trop souvent constaté dans le passé – dans le domaine des drones, par exemple. À cet effet, la commission de la défense, dans un excellent rapport sur l'exécution de la précédente loi de programmation, a proposé des solutions pour éviter de répéter ces erreurs. Et grâce aux nouveaux pouvoirs de contrôle qui lui sont confiés par la révision constitutionnelle de juillet 2008, le Parlement pourra contribuer à ce que la présente loi soit correctement mise en oeuvre.
Pour toutes les raisons que je viens d'évoquer, et notamment pour la vision qu'il propose de l'avenir de la France dans l'Europe et dans l'OTAN, la commission des affaires étrangères s'est prononcée, lors de sa séance du 31 mars dernier, en faveur de ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Louis Giscard d'Estaing, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l'économie générale et du plan.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le présent projet de loi de programmation, enfin inscrit à l'ordre du jour de notre assemblée, présente quelques particularités par rapport à ceux qui l'ont précédé.
Tout d'abord, ce projet ne présente pas seulement la programmation pour les années 2009 à 2014, mais aussi la suivante, pour les années 2015 à 2020. Il fournit même des indications pour certains programmes sur la période postérieure à 2020. La représentation nationale ne peut qu'approuver le fait que le Gouvernement communique ainsi les prévisions dont il dispose sur le très long terme – je proposerai d'ailleurs que cela soit inscrit à l'article 2 du présent texte.
Autre nouveauté : la programmation 2009-2014 sera révisée au bout de quatre ans. En même temps qu'il allonge la vision prospective de cette programmation, le Gouvernement rend obligatoire le principe de sa révision. Ce faisant, il échappe au risque d'être critiqué au motif qu'il laisserait aux exécutifs appelés à lui succéder une situation contrainte sur une très longue période.
La dernière particularité de la programmation pour les années 2009 à 2014 tient à ce que son examen – nous le voyons aujourd'hui – et sa probable adoption auront lieu plusieurs mois après son entrée en vigueur théorique, le 1er janvier 2009. La précédente loi de programmation, déjà, n'avait pas été promulguée dans les délais impartis, mais avec 29 jours de retard. Cette fois-ci, le retard est d'un semestre, et nous n'en sommes qu'à la première lecture. Il va sans dire que plus le décalage sera important entre le début de la programmation et l'entrée en vigueur de la loi censée la régir, moins cet exercice de contrôle parlementaire sera pertinent. Néanmoins, l'importance de ce décalage a conduit le Gouvernement à amender fortement le projet d'origine lors de son examen, les 7 et 8 avril, par la commission de la défense, et les amendements d'origine parlementaire que nous déposerons y contribueront également.
L'évolution des crédits inscrits en loi de programmation est favorable à nos forces armées. En effet, la mission « Défense » bénéficiera d'une enveloppe totale de près de 185 milliards d'euros sur six ans, hors inflation. Cette somme correspond aux préconisations du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale ; elle doit permettre le maintien en volume de l'actuel budget de la mission jusqu'en 2011, puis son accroissement de 1 % en volume à partir de 2012. À cette somme s'ajoutent 1,7 milliard d'euros de crédits d'équipements inscrits dans le cadre du plan de relance, essentiellement sur la période 2009-2010.
En contrepartie de cet effort financier, qui consacre la mission « Défense » comme une priorité nationale, des redéploiements internes seront réalisés afin d'affecter l'essentiel de ces augmentations de crédits à l'équipement des forces, grâce aux réductions d'emplois programmées qui entraîneront une baisse des rémunérations et des charges sociales en volume et en valeur, dans le cadre du reformatage des forces armées. Ainsi, les crédits d'équipement devraient être portés de 15,4 milliards d'euros en 2008 à 18 milliards d'euros en 2014.
Toutefois, le rapporteur pour avis de la commission des finances se doit de souligner les inquiétudes relatives à la réalisation d'une partie des recettes prévues. En effet, le projet prévoit que 3,7 milliards d'euros de ressources exceptionnelles seront issus de cessions d'actifs immobiliers et de fréquences hertziennes. Or, la libération des fréquences semble plus longue que prévue et, en cette période de ralentissement économique, rapportera sans doute moins qu'espéré. Quant à l'aliénation d'une partie du domaine de la défense, l'évolution du marché de l'immobilier ne conduit pas non plus à l'optimisme, et des précisions sur la « société de portage » qui relaiera le ministère de la défense dans ses transactions immobilières seront les bienvenues, monsieur le ministre.
Concrètement, aucun des équipements essentiels n'est remis en cause. Les équipements attendus seront au rendez-vous, même s'il est prévu que certains n'arrivent que pendant la programmation suivante. Pour la liste exhaustive de ces équipements, je renvoie chacun à ce qui a déjà été indiqué ainsi qu'à mon rapport, mais je citerai les programmes les plus emblématiques : les VBCI, les canons Caesar, les hélicoptères Tigre et NH-90, ou encore les véhicules logistiques. L'armée de l'air, elle, devrait recevoir des Rafale, mais selon un échéancier qui n'est pas encore définitivement établi. Nous espérons qu'elle recevra également ses premiers A400M en fin de programmation. La marine, pour sa part, recevra ses deux premières frégates multi-missions, ainsi qu'un bâtiment de projection et de commandement dont la commande a été accélérée dans le cadre du plan de relance. Elle continuera également à recevoir la version marine du Rafale et devrait recevoir les premiers exemplaires de la version navale de l'hélicoptère NH-90, même s'ils n'apparaissaient pas dans le tableau annexé au rapport – nous y reviendrons.
Tous ces moyens et tous ces équipements ont pour objet de remplir ce nouveau contrat opérationnel qui prévoit que nos forces doivent pouvoir participer à des opérations de stabilisation et de maintien de la paix, et être en mesure de faire face à un conflit majeur à l'extérieur du territoire, dans un cadre multinational.
L'évolution des objectifs et du contrat opérationnel entraînera une réduction du format des armées. La réforme que vous avez engagée prévoit de concentrer la réduction des effectifs de 54 000 postes, hors externalisation, à hauteur de 75 % sur l'administration et le soutien, et à hauteur de 25 % sur les forces proprement dites. Voilà qui doit naturellement garantir l'objectif que nous partageons : le respect du contrat opérationnel de nos forces avec les moyens budgétaires programmés, y compris pour les opérations militaires extérieures, notamment dans le cadre de la mission d'évaluation et de contrôle que nous effectuons en ce moment avec Mme Olivier-Coupeau.
Telles sont les grandes lignes du projet de loi de programmation militaire qui nous est proposé pour les années 2009 à 2014. Il est perfectible. On peut regretter que certaines interrogations persistent, au sujet des recettes exceptionnelles ou du calendrier de certains équipements aéronautiques, par exemple. Le débat vous permettra certainement, monsieur le ministre, de vous exprimer sur ce point. Il faut aussi améliorer ce texte pour ce qui est du manque de précision concernant la réserve opérationnelle – j'y reviendrai en présentant mes amendements.
Dans l'ensemble, toutefois, c'est un projet qui privilégie les dépenses d'équipement de nos forces et qui réduit les dépenses de fonctionnement, dans le but d'obtenir une armée au format réduit mais à l'efficacité que nous espérons renforcée. La commission des finances a, sous réserve de l'adoption de plusieurs amendements, adopté ce projet de loi de programmation militaire, parce qu'il répond globalement aux objectifs de programmation des équipements et de sincérité budgétaire, notamment pour ce qui est du financement des opérations extérieures, auxquelles vous nous savez tous ici particulièrement attachés, dans l'exercice du rôle de contrôle du Parlement – renforcé en juillet 2008, comme vient de le rappeler M. Bouvard, par la réforme de la Constitution. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Émile Blessig, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en tant que rapporteur pour avis de la commission des lois, j'interviendrai sur le chapitre VI de ce projet de loi, qui porte sur les dispositions relatives au secret de la défense nationale.
Ces dispositions ont pour origine l'avis du Conseil d'État du 5 avril 2007, qui indiquait « la nécessité de compléter les règles de procédure applicables en matière de secret de la défense nationale, pour concilier les objectifs d'égale valeur constitutionnelle que sont la recherche des auteurs d'infraction pénale et la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la nation ».
Le Conseil d'État a notamment relevé les insuffisances suivantes : d'abord, l'absence de règles légales particulières relatives à l'entrée dans les lieux où peut intervenir l'autorité judiciaire et où peuvent se trouver des informations couvertes par le secret de la défense nationale ; ensuite, le fait qu'un magistrat ne tient pas du code de procédure pénale qualité pour connaître de secrets de la défense nationale et qu'il lui incombe, quand il envisage de pénétrer dans une zone de ce type, de respecter la nécessité d'éviter toute compromission du secret de la défense nationale ; enfin, la nécessité pour le législateur de préciser les conditions dans lesquelles peuvent être saisis et mis sous scellés, sans risque de divulgation, des documents dont l'autorité judiciaire ne peut savoir s'ils sont ou non utiles à son instruction.
Afin de pallier ces insuffisances, le projet de loi qui nous est soumis tend, d'une part, à compléter la classification « secret défense » en ajoutant aux documents la notion de lieux classifïés et, d'autre part, à sécuriser les procédures de perquisition.
Le 25 mars dernier, la commission des lois a examiné les articles 12 à 14 du projet, et y a introduit un certain nombre d'amendements qui visent à répondre aux inquiétudes suscitées par le texte, notamment dans les milieux judiciaires. Le 9 avril, la commission de la défense a examiné ces amendements et a accepté plusieurs des améliorations proposées : le renvoi à un décret en Conseil d'État pour établir les conditions de délimitation précise des lieux « abritant » des éléments classés « secret défense nationale » ; la nécessité de permettre aux magistrats d'accéder à la liste de ces lieux ; la nécessité pour le ministre de répondre sans délai à une demande de déclassification d'un lieu « classifié par nature ».
S'agissant de la procédure de perquisition, les deux commissions sont également tombées d'accord pour trouver une solution satisfaisante au cas où un document classifié serait fortuitement découvert au cours d'une perquisition, afin que cette découverte n'entraîne pas l'interruption de la perquisition.
Cependant, deux amendements essentiels proposés par la commission des lois n'ont pas été adoptés par la commission de la défense. Le premier porte sur les modalités de mise en oeuvre de la procédure de perquisition, le second sur les conditions d'élaboration de la liste des lieux classifiés « secret défense » par nature.
En cas de perquisition dans un lieu abritant des éléments classifiés, la présence du président de la commission consultative du secret de la défense nationale – la CCSDN – est obligatoire. Le projet de loi précise que, préalablement à la perquisition, le magistrat doit lui adresser une décision écrite et motivée, indiquant la nature de l'infraction sur lesquelles portent les investigations, les raisons justifiant la perquisition et l'objet de cette dernière. La commission a fait observer que cette procédure se distingue de celle qui est applicable à d'autres types de perquisitions qui protègent des intérêts légitimes, notamment en cas de perquisition dans un cabinet d'avocat, où la décision est notifiée au bâtonnier qui défend l'intérêt collectif du secret professionnel, et non à l'avocat incriminé, et ce en début de perquisition. Par souci de cohérence en matière de protection d'intérêts légitimes et du secret professionnel, la commission des lois a estimé que le président de la CCSDN a besoin de connaître de la décision motivée du magistrat au cours de la perquisition afin de réaliser sa mission dans les meilleures conditions, mais non avant le début de la perquisition. En effet, le président de la commission consultative n'a aucun pouvoir d'appréciation sur l'opportunité de la perquisition ; le magistrat n'a donc aucune raison de lui faire préalablement part d'une information couverte par le secret de l'instruction.
En outre, l'esprit de la loi fait obligation au président de la commission consultative d'apporter son concours à la perquisition, sachant qu'une fois les documents saisis, ils suivront la procédure ordinaire de déclassification. Je souhaiterais que nos débats précisent bien l'obligation de collaboration du président de la CCSDN.
Le second amendement rejeté par la commission de la défense concerne la procédure applicable aux lieux classifiés par nature, couverts par le secret de la défense nationale. En effet, la décision de classification d'un lieu par le Premier ministre sera elle-même une information classifiée, puisque la connaissance même de l'existence et de la localisation de ces lieux doit rester secrète. Par conséquent, la décision du Premier ministre ne pourra faire l'objet d'aucun recours juridictionnel ni être contestée politiquement dans le cadre du débat démocratique. La commission des lois estime que cette situation est inacceptable, car elle signifie que le pouvoir exécutif a la latitude de décider à tout moment de la classification d'un lieu, y empêchant ainsi toute investigation judiciaire.
Dans ces conditions, nous estimons qu'un simple avis de la Commission consultative du secret de la défense nationale n'est pas suffisant, puisqu'un avis négatif ne pourrait être rendu public. Cette opacité de la désignation des lieux classifiés par nature porte en elle-même un risque.
Plusieurs arguments ont été avancés par la commission de la défense : nous aurons l'occasion de les examiner dans le détail lors de la discussion du chapitre VI. Cela étant, la commission des lois a débattu à nouveau de l'ensemble de ces amendements la semaine dernière. Et le fait est assez rare pour être signalé : c'est à l'unanimité qu'elle a estimé que l'équilibre recherché par elle lors de l'examen du texte portait largement sur ces deux amendements qui faisaient de la Commission consultative du secret de la défense nationale un outil de garantie de l'ensemble du processus en tant qu'autorité administrative indépendante.
Je suis très étonné de voir un de mes collègues mettre en avant un prétendu manque de sens de l'État de la commission des lois. Ses paroles ont sans doute largement dépassé sa pensée… Nous sommes dans le cadre d'un débat parlementaire et nous voulons trouver un équilibre entre la nécessité de garantir le pouvoir de l'État de préserver les intérêts fondamentaux de la nation et celle de reconnaître d'autres obligations constitutionnelles, telles que la recherche des auteurs d'infractions. Il me semble que, de ce point de vue, il convient de se garder des procès d'intention.
C'est à l'unanimité que la commission des lois m'a donné mandat de redéposer ces deux amendements en séance. À défaut de leur adoption, la commission des lois a émis un avis défavorable aux articles 12 à 14 du projet de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
La parole est à M. Guy Teissier, président de la commission de la défense nationale et des forces armées.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi d'abord de saluer ce projet de loi de programmation militaire 2009-2014, que nous avons examiné en application de la nouvelle procédure législative, laquelle valorise le travail en commission. De ce fait, ce fut un vrai plaisir. Je tiens à souligner devant tous mes collègues, et notamment devant ceux qui ne sont pas membres de la commission de la défense, que le travail en commission a été réalisé sans concession, mais dans un esprit résolument constructif.
Je souhaite d'ailleurs remercier mes collègues rapporteurs, Yves Fromion et Patrick Beaudouin, qui ont accompli ces derniers mois un travail remarquable, s'entourant de nombreux conseils et prenant l'avis de magistrats et de syndicalistes éclairés.
Je considère que ce projet de loi de programmation militaire représente une réponse adaptée à plusieurs défis : le bouleversement de l'environnement géostratégique dans lequel s'inscrit notre stratégie de défense, avec des menaces diffuses, souvent difficiles à identifier ; les risques liés à la mondialisation, notamment les divers trafics organisés à grande échelle ; enfin, la crise économique, qui rend plus que jamais nécessaire la maîtrise des dépenses publiques, avec notamment une rationalisation des dépenses de nos armées.
Au-delà de ces trois défis, le projet qui nous est présenté consolide les principes fondamentaux de notre défense, qu'il s'agisse de l'indépendance de notre dissuasion, de notre liberté d'appréciation ou de notre capacité d'action autonome.
Ce projet de LPM est attendu avec impatience par tous nos militaires, en particulier depuis qu'ils sont engagés dans des théâtres difficiles, je pense notamment à l'Afghanistan. Nos soldats ont prouvé qu'ils étaient prêts à être confrontés au sacrifice suprême pour défendre les valeurs de la France et pour remplir leur mission de lutte contre le terrorisme. Ils sont prêts à accepter une nouvelle réforme structurelle de leur ministère – une de plus –, même s'ils considèrent que peu d'administrations auront eu à subir autant de restructurations en si peu de temps. En retour, ils s'attendent légitimement à ce que nous leur donnions les moyens qui leur sont nécessaires pour remplir leur mission.
Ce projet est aussi attendu par les civils de la défense, dont certains s'inquiètent, monsieur le ministre, des suppressions d'emplois prévues par la RGPP. Il nous faut prendre en compte leurs préoccupations légitimes, voire leur inquiétude. Les syndicats représentatifs, que j'ai reçus il y a peu, m'ont fait part de plusieurs revendications. Leurs préoccupations portent sur plusieurs points, dont la prise en charge par l'État de l'ensemble des conséquences financières d'un changement de domicile. L'État se devrait d'aller au-delà de la prise en charge des frais de déménagement, en incluant les droits de mutation pour ceux qui sont obligés de revendre leur maison ou leur appartement, parfois dans des lieux où les conditions du marché immobilier sont extrêmement dégradées, voire catastrophiques.
Par ailleurs, il m'a été rapporté plusieurs cas de personnels civils désireux de quitter leurs fonctions dans une unité ou un établissement non restructuré, mais y renonçant, faute de pouvoir prétendre à l'indemnité de départ volontaire. Or ils pourraient être remplacés par des personnels subissant, eux, la restructuration, alors que la défense éprouve des difficultés à leur proposer un reclassement. Ce qui est vrai dans mon département l'est sans doute ailleurs.
Je voudrais par ailleurs rappeler que ce projet de LPM est cohérent avec le Livre blanc, la révision générale des politiques publiques et la décision de retrouver notre place dans le commandement intégré de l'OTAN.
Le projet de LPM prévoit notamment que les crédits de la mission « Défense » progresseront chaque année jusqu'en 2011 au rythme de l'inflation, puis de l'inflation augmentée d'un point à partir de 2012, alors que les crédits des autres missions de l'État sont stabilisés. Cela marque un engagement politique dont il faut souligner la clairvoyance. En cette période de crise, le Gouvernement n'a pas cédé à la tentation de diminuer le budget de la défense, ce qui témoigne d'un courage politique que je salue. Cet effort me paraît d'autant plus louable que nos armées n'ont pas encore complètement remonté la pente après l'insuffisance de l'exécution de la LPM 1997-2002. Il a en effet manqué l'équivalent d'environ 8 milliards d'euros pour l'équipement de nos forces dans cette période.
La LPM que nous nous apprêtons à voter comporte un volet industriel dont je souhaite souligner l'importance. DCNS a su relever – je suis persuadé que Philippe Vitel ou Marguerite Lamour en parleront –, grâce au dynamisme de sa direction, à la sagesse de certains syndicats et à l'engagement de tout son personnel, le défi de la mondialisation et de la réduction des budgets de défense dans les pays occidentaux. Il lui faut maintenant pouvoir nouer des alliances et disposer de tous les instruments juridiques adaptés aux nouvelles formes d'alliances industrielles, y compris celles dans lesquelles elle serait minoritaire.
En ce qui concerne la SNPE – la société nationale des poudres et explosifs –, il semble tout à fait souhaitable de voir son statut évoluer ; cette société, nous le savons tous, ne peut rester en dehors des mouvements de restructurations et d'alliances industrielles qui caractérisent ce secteur, sous peine de voir notre industrie nationale marginalisée, puis probablement éliminée du marché mondial. Nous ne pouvons pas nous accrocher, comme certains de nos collègues de l'opposition ont parfois tendance à le faire, à une vision passéiste de notre industrie poudrière, alors que tous nos concurrents et partenaires ont restructuré en profondeur leur activité dans ce secteur.
Je veux aussi souligner, monsieur le ministre, que cette LPM marque un effort de transparence dont la France peut s'honorer. Cette transparence garantit le consensus national sur notre stratégie de défense et représente un gage de démocratie. Elle donne à notre effort de défense une visibilité nécessaire pour nos partenaires, nos industriels et surtout nos soldats. Cette transparence est accrue par le regard sur les années 2015 à 2020, qui est déjà donné dans la présente loi de programmation.
Nous ne pouvons que nous réjouir du fait que cette LPM consacre le rôle nouveau du Parlement, qu'il s'agisse de l'information sur la conclusion des accords de défense – et sur leurs orientations, selon le voeu de notre commission –, du rapport annuel sur l'exécution de la LPM ou de l'évaluation de la mise en oeuvre du Livre blanc, qui sera présentée aux commissions compétentes du Parlement.
Permettez-moi de rappeler que, lors du débat portant sur la loi de programmation militaire 2003-2008, j'avais déposé un sous-amendement visant à ce que le dépôt du rapport annuel sur l'exécution de la LPM – objet d'un amendement de notre collègue Pierre Lellouche – soit suivi d'un débat au Parlement. Désormais, nous disposons d'une nouvelle procédure de fonctionnement de notre assemblée et je vous proposerai, mes chers collègues, de recourir au nouveau comité d'évaluation et de contrôle pour procéder à un examen annuel de la mise en oeuvre de la LPM.
J'ai dit combien la présente loi de programmation me semble répondre aux défis qui nous attendent. Néanmoins, il me faut exprimer quelques interrogations. En effet, elle comporte a mes yeux quelques incertitudes.
Elle ne lance aucune recherche sur les matériels nécessaires à l'armée de terre après 2020. La défense antimissile ne reçoit pas les financements à la hauteur de ce qu'elle représente dans le Livre blanc, tout comme les drones. L'automatisation du champ de bataille fait l'objet d'efforts considérables chez nos alliés américains. Nous avons déjà pris beaucoup de retard ; il est de plus en plus difficile de le rattraper. Dans dix ans, nos alliés américains – et, dans une moindre mesure, les Israéliens – auront acquis une telle avance qu'ils domineront le marché de l'exportation.
Si la taille des pays européens ne leur permet pas de faire face, seuls, aux enjeux de l'automatisation du champ de bataille, ils peuvent le faire ensemble. Lors de notre débat du 27 novembre 2002, nous avions déjà souligné qu'en matière de drones, les pays européens étaient en ordre dispersé. Je crains que nous n'ayons pas beaucoup progressé depuis ; il nous faudra impérativement faire un effort collectif en ce domaine, ce que j'appelle de mes voeux. Je suis convaincu que nos deux collègues, ici présents, M. Vandewalle et M. Viollet, récemment chargés d'une mission sur les drones, souligneront cette nécessité dans les semaines à venir.
La question des programmes de cohérence opérationnelle me semble aussi devoir être posée. Cette cohérence est affirmée comme objectif dans le projet de LPM, mais aucun chiffre précis n'y est donné à ce titre. Notre commission s'est attachée à en souligner l'importance par un amendement visant à en préciser le contenu, qu'il s'agisse de simulation, de munitions ou de rechanges. Je demande au Gouvernement de veiller à ce que des crédits suffisants soient affectés à ces programmes. Il y va de la crédibilité de notre action militaire, il y va du moral de nos soldats.
La question de la maintenance est toujours aussi essentielle. J'ai bien conscience que, depuis 2002, nos ministres de la défense se sont attachés à améliorer la situation. La vigilance est cependant toujours nécessaire, d'autant plus que si nos forces doivent recevoir des matériels de meilleure qualité, ceux-ci seront moins nombreux – vous l'avez indiqué, monsieur le ministre. Le fait qu'ils soient meilleurs ne signifie pas nécessairement que le besoin de maintenance soit moindre.
Nous avons quelques exemples qui le montrent.
Il nous faut donc revoir nos procédures d'acquisition de rechanges pour les rendre plus rapides et plus souples. Voilà pourquoi je souhaite donc que le Gouvernement lance une réflexion sur la nécessaire réforme du code des marchés publics et du décret défense associé, dans le respect de nos engagements européens – je pense notamment, monsieur le ministre, à la récente directive portant sur les marchés défense. Permettez-moi, mes chers collègues, d'insister sur ce point. Le Gouvernement a prouvé que l'on pouvait moderniser le soutien grâce aux restructurations proposées par une RGPP audacieuse ; il nous faut aussi moderniser nos procédures, car la disponibilité est un des éléments dimensionnants essentiels des parcs de matériels militaires.
Enfin, je souhaiterais insister sur les articles 12 et 13 du projet de LPM concernant le secret défense, dont vient de parler Émile Blessig. Dans notre commission de la défense – en sa présence d'ailleurs –, nous avons atteint, me semble-t-il, un compromis qui me paraît assurer un bon équilibre entre la nécessaire protection du secret de la défense – je rappelle qu'il y va, dans certains cas, de la sécurité de nos personnels – et la nécessité d'une certaine transparence pour permettre à la justice de mener les investigations nécessaires. La protection du secret de la défense ne doit pas être trop faible. Certes, il nous faut protéger l'État de droit, mais nous devons agir de même pour notre démocratie. L'insuffisance de protection du secret défense peut profiter à nos adversaires, en particulier à ceux qui s'attaquent à notre démocratie. Je veux le répéter avec force : le compromis que nous avons trouvé en commission est un juste équilibre, que je vous demande, mes chers collègues, de veiller à préserver.
Permettez-moi, en conclusion, de souligner qu'avec ce projet de loi de programmation, nous devons montrer à la communauté militaire la réelle considération que nous lui portons et que lui porte la nation. Nous nous devons, bien entendu, de le voter et d'être vigilants quant à son exécution. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'examen de la loi de programmation militaire, qui vise à adapter notre outil de défense dans les six prochaines années, nous conduit très logiquement à nous interroger sur l'évolution du contexte international et sur la nature des menaces auxquelles nous devons faire face. Aujourd'hui, celles-ci sont géographiquement plus lointaines et de nature plus incertaine que dans un passé récent. Nos frontières ne sont plus menacées directement et les zones de conflit s'éloignent de notre voisinage immédiat. J'en veux pour preuve l'audition la semaine dernière, par la commission des affaires étrangères, du Président de la République de Serbie. S'exprimant à propos du Kosovo, Boris Tadic a très clairement indiqué sa volonté de ne plus recourir à la force pour régler le contentieux avec le Kosovo, mais de privilégier le dialogue et la voie diplomatique pour trouver une solution politique.
Avec la signature de nombreux accords d'association et la mise en place du partenariat oriental qui concourt à la stabilisation du voisinage de l'Union européenne, la menace a quitté les frontières de l'Europe. Elle se trouve aujourd'hui en Corée du Nord ; elle se trouve aussi au Pakistan ou en Afghanistan, comme le montrent les travaux d'Henri Plagnol et de Jean Glavany, qui présenteront prochainement leur analyse et leurs propositions pour aider ces deux pays à ne plus être des sanctuaires pour le terrorisme international et les trafics en tous genres.
Plus éloignée, la menace a également changé de nature. La mission d'information sur la prolifération, conduite par Jean-Michel Boucheron et Jacques Myard, estime, par exemple, que l'utilisation par un groupe terroriste d'une bombe sale constitue une perspective bien plus redoutable que l'arsenal russe. Ce dernier pourrait même être considérablement réduit, si la Russie accepte d'engager le dialogue stratégique que lui propose le Président Obama.
Ces quelques rappels montrent que nous avons besoin, aujourd'hui plus que jamais, d'une armée facilement projetable et plus apte à anticiper les risques réels que sont notamment la faillite d'un État, par exemple en Somalie, désormais haut lieu de la piraterie maritime, ou les groupes terroristes internationaux, dont l'influence s'étend en Asie, mais également dans le Maghreb et aux frontières du Sahel.
La loi de programmation répond à ces préoccupations actuelles.
Tout d'abord, nos moyens de connaissance et d'anticipation sont renforcés. Les capacités technologiques du renseignement sont ainsi accrues, notamment en matière d'imagerie spatiale et de drones. Surtout, le renseignement humain, dont l'importance est aujourd'hui cruciale, fait l'objet d'un effort appréciable avec l'embauche de 700 personnels.
En second lieu, plutôt que le lancement de projets trop nombreux et inadaptés aux besoins du terrain, le présent projet de loi privilégie quelques programmes clés, comme la mise au point d'un système d'alerte avancée contre les missiles ou l'amélioration de la protection de nos troupes sur les théâtres.
Mais l'adaptation de nos armées doit aussi s'analyser en lien avec les ensembles plus larges dans lesquels s'inscrit notre défense : l'Union européenne et l'OTAN. La présente loi de programmation rappelle opportunément les engagements pris par le Président de la République : l'approfondissement de l'Europe de la défense qu'ont permis la récente présidence française de l'Union européenne et la réintégration dans l'OTAN.
La France se verra confier le commandement allié à la transformation, soit l'un des deux postes de commandement suprême, le commandement de l'état-major de Lisbonne et, à l'état-major suprême de Bruxelles, les postes de chef de la planification de défense et de chef de la préparation opérationnelle.
Nous sommes donc armés pour contribuer largement à la redéfinition complète du concept stratégique de l'OTAN. Les nouvelles menaces devront être plus clairement désignées, la dimension civile des opérations mieux prise en compte et les rapports avec l'ONU clarifiés.
La loi de programmation militaire ouvre donc de nombreuses perspectives. Toutefois, monsieur le ministre, quelques sujets de préoccupation subsistent. Vous les connaissez, ils viennent d'être détaillés par le président de la commission de la défense.
D'abord, l'Union européenne doit être dotée de moyens de commandement autonomes. L'Europe ne doit pas dépendre des moyens d'une nation ni de ceux de l'OTAN pour conduire ses opérations sur le terrain. Quand le centre de commandement européen sera-t-il mis en place ?
Par ailleurs, nos capacités de projection doivent être améliorées. Des réponses urgentes doivent être apportées aux errements récurrents que rencontrent le programme A400M et celui de l'hélicoptère de transport NH90.
Cela étant précisé, la loi de programmation représente un effort considérable en faveur de nos armées. Sur l'ensemble de la période, ce sont 185 milliards d'euros que le Président de la République et le Gouvernement ont décidé de consacrer à notre outil de défense, ce qui permet d'envisager sereinement les évolutions à venir. En raison de l'importance du soutien financier qu'elle offre à nos armées et du choix d'en concentrer l'utilisation sur les programmes les plus urgents, je vous invite, mes chers collègues, à vous prononcer en faveur de l'adoption de la présente loi de programmation. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
Monsieur le ministre, je tiens tout d'abord à vous apporter mon soutien pour cette loi de programmation militaire, à vous féliciter pour le travail effectué ces derniers mois, qui a permis sa réalisation, et à vous dire ma joie qu'elle soit, enfin, discutée dans cet hémicycle.
Je vous ferai cependant part d'un regret : celui d'avoir à intervenir à cette tribune pour déplorer que figurent dans ce texte des dispositions – les articles 12 à 14 au chapitre VI – qui n'ont rien à y faire.
J'ai cru, en vous écoutant attentivement, et en constatant que vous ne les aviez pas citées, que vous partagiez la même opinion sur le caractère peu important de la présence de telles dispositions dans ce projet de loi ! (Sourires.)
Il s'agit, mes chers collègues, de dispositions de procédure pénale définissant la manière dont seront réalisées des perquisitions dans un lieu où existent des secrets liés à la défense nationale. C'est un sujet grave.
D'abord parce qu'il convient de trouver un équilibre entre la nécessité de protéger le secret de la défense nationale et celle de disposer d'outils efficaces pour rechercher les auteurs d'infractions et lutter contre la délinquance.
Ensuite parce que ces trois articles sont une révolution dans le droit français. Jusqu'à aujourd'hui, dans notre droit, la protection du secret de la défense concernait des documents. Avec de telles dispositions, on ne protégera plus un contenu, des documents, mais des contenants. Seront ainsi établies des restrictions d'accès à des coffres-forts, à des bureaux, à des casernes, à des bases, donc à des lieux physiques. Je le répète, c'est une véritable révolution !
Enfin, c'est la première fois depuis le début de la législature que je monte à cette tribune pour vous informer, mes chers collègues, que la commission des lois a clairement donné, et ce à l'unanimité, un avis défavorable au texte tel qu'il est présenté et vous appelle, en conséquence, à l'amender.
De quoi s'agit-il très concrètement ? Ce projet de loi traite de la perquisition envisagée dans un lieu qui abrite des documents « secret défense » ou « classifiés défense ». Vous le savez, le « classifié défense » représente une masse de documents considérables et concerne des centaines de lieux dans le pays : toutes les préfectures, une multitude d'administrations, un bon nombre d'établissements et d'entreprises privés. Il est prévu qu'un juge ne pourra désormais réaliser une perquisition qu'en présence d'un membre de la Commission consultative du secret de la défense nationale. Ni le policier, ni le gendarme, ni le juge ne pourra lire un document « classifié confidentiel » ou « secret défense ». S'il trouve un tel document, le représentant de la commission en prendra connaissance et dira au juge, au policier ou au gendarme s'il a un rapport avec l'enquête ; si tel est le cas, le document sera placé sous scellés afin d'être déclassifié. Le secret de la défense nationale ne peut pas être mieux protégé puisqu'on interdit dans les faits au juge, au policier ou au gendarme de lire un tel document. L'objectif est donc atteint.
Permettez toutefois, mes chers collègues, qu'il soit vérifié que les principes fondamentaux de la procédure pénale ne sont pas remis en cause. Aucun d'entre nous, dans cet hémicycle, quel que soit le groupe auquel il appartient, n'a été élu pour réduire les moyens de travail de nos policiers et gendarmes.
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. C'est vrai !
Quatre problèmes fondamentaux se posent dans la rédaction actuelle du texte.
Premier problème, et il n'est pas utile d'avoir cinq années d'expérience d'officier de police judiciaire pour le savoir : le premier intérêt d'une perquisition, c'est la surprise, qui permet de trouver les documents recherchés. Croyez-vous que l'effet de surprise sera sauvegardé si le juge ou le policier doit prévenir une commission ou une autorité administrative une ou deux semaines avant la perquisition pour lui dire où il veut se rendre et ce qu'il recherche ? C'est pourtant ce que prévoit le texte ! C'est totalement inutile ! Ce serait d'ailleurs complètement contre-productif pour la commission consultative, parce que, dans l'hypothèse d'une fuite, la responsabilité de son président serait également engagée.
La commission des lois a imaginé un dispositif très simple en cas de perquisition dans un cabinet d'avocat : informer l'avocat en présence du bâtonnier, lorsqu'on arrive dans son cabinet.
Il n'est absolument pas utile d'avoir si tôt un tel partage d'informations.
Françoise Olivier-Coupeau. Tout à fait !
Je m'adresse à de nombreux collègues de la commission de la défense nationale, qui savent l'utilité de protéger le secret défense. Il en va de même de la protection du secret d'une enquête de police ou de gendarmerie : il est inutile de le divulguer à des personnes qui n'ont pas intérêt à en connaître.
Deuxième problème : des lieux – très concrètement des coffres-forts ou des bureaux – vont être classifiés. Qu'y mettra-t-on ? L'objet de la loi est de ne placer dans le coffre-fort classifié d'une entreprise privée que des documents classifiés secret ou confidentiel défense. Il faut alors interdire d'y faire figurer d'autres documents. En effet, en cas de perquisition dans un tel lieu, même sans aucun rapport avec des documents « défense nationale », le juge sera systématiquement obligé de demander la présence d'un représentant de la commission au cas où les documents litigieux susceptibles de compromettre la société auraient précisément été rangés à cet endroit. Il faut donc prévoir une protection et une sanction pénale. Ce n'est pas réglé aujourd'hui. Le débat doit permettre d'y parvenir.
Troisième problème : vous concevez que, dans une affaire de ce type, il soit nécessaire de déclencher une série de perquisitions au même moment. Un magistrat peut souhaiter faire perquisitionner un mardi à six heures du matin dans cinq lieux différents. La CCSDN se compose de trois personnes, en dehors des parlementaires qui n'ont pas l'habitude de se déplacer dans de tels cas. Ce ne sera donc pas matériellement possible et il faut trouver une solution. Soit on augmente le nombre de membres de la commission, soit on leur donne, par exemple, le pouvoir de désigner des mandataires. Une telle disposition ne doit pas empêcher, demain, dans une enquête importante, de déclencher simultanément plusieurs perquisitions. Enfin, toutes les perquisitions ne se déroulent pas à Paris et un représentant de ladite commission pourra être amené à se rendre outre-mer, à Papeete, par exemple.
Il y a là un blocage qui n'est toutefois pas insurmontable. Même si on m'a opposé, lors des débats, la susceptibilité des grands corps de l'État, je crois que l'on peut trouver une solution,
Le quatrième problème concerne l'automaticité de l'intervention. Quand des forces de police apprennent que des documents risquent de se trouver tel lundi matin dans un lieu, la commission doit immédiatement leur déléguer quelqu'un. En effet, l'absence d'un représentant de la commission entraîne la nullité de la procédure, ce qui est terrible pour le juge. L'automaticité de la présence d'un représentant de la commission doit être clairement précisée. Il semble évident que le magistrat qui demande à être accompagné le soit automatiquement au jour et à l'heure souhaités. Mais il convient alors que les membres de la commission s'avèrent suffisamment nombreux.
Mes chers collègues, il ne me semble pas que cela soit à comparer avec l'escalade de quatre Annapurna ! C'est du bon sens. La commission des lois, qui travaille habituellement sur les moyens offerts à nos policiers, à nos gendarmes et à nos magistrats, a tiré la sonnette d'alarme sur ces quatre points essentiels.
À ce nouveau dispositif s'est ajoutée une excroissance – oserais-je dire une tumeur maligne – qui n'a été en rien demandée par le Conseil d'État dans son avis. J'appelle solennellement votre attention sur ce point. Il nous est demandé de voter un texte de loi définissant des lieux classifiés dans lesquels les magistrats ne pourront plus entrer, des lieux classifiés où l'application de la loi ne pourra plus se faire par les magistrats. Certains collègues ont parlé de zone de non-droit législative : c'est à peine un raccourci. Je souligne évidemment l'immense danger qu'il y aurait à définir sur notre territoire des lieux où les magistrats ne pourraient plus se rendre. Je n'en comprends d'ailleurs pas les raisons, monsieur le ministre. Le conseil d'État ne l'a pas demandé, et la procédure de classification et d'intervention de la commission consultative répond déjà à toutes ses observations.
De plus, je ne vois pas comment le Gouvernement pourra délimiter strictement ces lieux classifiés. S'il est interdit à des juges de se rendre dans certains lieux, encore faut-il les préciser. Il a été indiqué que cette décision devait incomber au seul Premier ministre parce qu'il ne pourra pas y avoir de contrôle judiciaire : le juge administratif et le juge judiciaire ne peuvent, en effet, connaître de données relatives au secret défense.
Et puis cela a fait naître des espoirs partout ! Quand la commission des lois a commencé ses auditions, on nous a dit qu'il n'y aurait pas plus de dix lieux classifiés. En commission de la défense, monsieur le ministre, vous avez parlé de trente ou quarante et M. le rapporteur de la commission de la défense de plusieurs dizaines. Chaque chef de service espère que son service en fera partie, ses fonctionnaires pourront alors travailler sans qu'un juge puisse les déranger. Je dis d'ailleurs aux chefs de service que c'est une illusion, que ce n'est pas une bonne solution de vouloir protéger l'activité de centaines ou de milliers de fonctionnaires en leur faisant croire que la justice ne pourra pas intervenir, car il y aura immanquablement des dérapages et des abus, et ceux qui cherchent la tranquillité juridique ne récupéreront que la polémique.
Mes chers collègues, si vous créez des zones où les magistrats ne pourront jamais entrer, il y aura toujours – la nature humaine est ainsi faite – quelques personnes qui commettront des infractions de droit commun en se disant qu'elles sont sûres de ne jamais être poursuivies.
Et n'en profitera-t-on pas demain pour y stocker des documents qu'on ne veut pas qu'un magistrat trouve ? En âme et conscience, réfléchissez aux affaires de ces trente dernières années. Si cette loi avait été votée, croyez-vous qu'un exécutif n'aurait pas eu la tentation, quand une affaire judiciaire commençait à pointer le nez, de classer un lieu, d'inventer un nouveau centre de contrôle opérationnel pour y organiser des écoutes prohibées par la loi ou y stocker des documents ?
Voter ces dispositions, c'est ouvrir par la loi de telles possibilités, et il est du devoir de la commission des lois de vous appeler à ne pas leur apporter votre voix.
C'est une question grave et importante. Je souhaite que l'on trouve des solutions pragmatiques aux quatre problèmes que j'ai soulevés. J'appelle le Gouvernement à jouer son rôle et à apporter des réponses. Je lui demande surtout de faire preuve de sagesse s'agissant des lieux classifiés. Ce qui serait sage, monsieur le ministre, est très clair pour moi : c'est que vous retiriez les dispositions sur les lieux classifiés, qui n'apporteront que des polémiques et ne feront qu'affaiblir notre outil militaire dans les années à venir. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Monsieur le président de la commission des lois, vous savez, puisque nous avons une longue expérience commune des questions de justice, à quel point je suis comme vous attaché à la recherche de la vérité et au fait que l'autorité judiciaire puisse remplir sa mission. Je crois que personne ne peut me suspecter un seul instant de vouloir remettre en cause l'autorité judiciaire dans ses missions, qui sont en effet importantes pour la lutte contre la délinquance.
Je pense que vous exagérez beaucoup. Je sais à quel point vous êtes un homme passionné, mais je voudrais tout de même relativiser une partie de vos propos.
Il y a trois cas de figure.
Il y a les lieux qui sont, par nature, « secret défense ». La liste précise que nous avons pour l'instant arrêtée concerne dix-neuf sites. Il s'agit par exemple de l'île Longue. Est-il impensable que la dissuasion nucléaire française, intérêt supérieur de la nation, bénéficie d'un minimum de protection ? Il n'y a rien de choquant à ce que l'île Longue ou le CPCO du ministère de la défense fassent l'objet d'un certain nombre de mesures de protection. Il n'y a pas d'opposition dramatique avec les capacités de l'autorité judiciaire et la recherche de la vérité. C'est le premier cas de figure : dix-neuf sites, dont la liste est arrêtée par le Premier ministre et qui peuvent éventuellement faire l'objet d'un certain nombre d'adaptations et – pourquoi pas ? – d'une publication. Je m'avance mais cela me paraît possible.
Deuxième cas de figure, le plus difficile : les lieux abritant des documents couverts par le secret de la défense, et vous avez parlé des préfectures.
Il y a une différence majeure que vous oubliez lorsque vous faites le parallèle avec le bâtonnier, c'est que la CCSDN est présidée par un magistrat, soumis aux mêmes règles de déontologie que tous les magistrats de la République française. On peut donc estimer, à moins de remettre en cause en tant que telle la vertu des magistrats, leur statut, leurs règles de déontologie, que ce magistrat, même si c'est le président de la Commission consultative du secret de la défense nationale, est empreint des mêmes règles de déontologie et considère qu'il n'est pas là pour entraver la recherche de la justice et la lutte contre la délinquance.
Troisième cas de figure : la perquisition. Il faut en effet de la spontanéité et personne ne doit savoir, huit jours avant, que, tel jour et à telle heure, il y aura une perquisition.
Il me semble que, grâce aux amendements qui ont été adoptés et à certaines dispositions que vous proposez, comme la présence obligatoire d'un membre de la commission ou l'adoption d'un système s'il y a un certain nombre de réquisitions le même jour, nous pourrons concilier les divers impératifs, comme le souhaite le Conseil d'État lui-même, cour suprême de l'ordre administratif, composée de magistrats. Il faut en effet préserver le caractère imprévisible de la perquisition, permettant d'agir immédiatement, ce qui est indispensable car on ne peut laisser aux personnes soupçonnées le temps de tout déménager. Le travail de la commission de la défense, complété par des suggestions de la commission des lois, devrait nous permettre d'établir un dispositif équilibré.
Je suis donc favorable à une mesure prévoyant clairement une obligation d'accompagnement par la commission consultative et à un dispositif permettant de mener toute une série de perquisitions simultanément.
Je vous rappelle simplement que, d'une part, il ne s'agit pas de centaines d'affaires par an et que, d'autre part, la commission consultative, qui comprend des parlementaires de la majorité et de l'opposition, a fait un travail exemplaire dont personne ne conteste la qualité. Je le constate chaque fois que je suis amené à lever le secret de la défense nationale : personne ne peut prétendre aujourd'hui qu'elle empêche la justice de poursuivre son travail et de découvrir la vérité.
Si, lors d'une perquisition, vous ouvrez un placard et tombez sur des documents secrets de la défense nationale, il me semble normal que, comme elle le fait dans le cadre des demandes faites par les juges d'instruction, la commission puisse au préalable regarder les documents avant de proposer éventuellement que soit levé le secret défense si cela paraît nécessaire à la justice et à la vérité.
Je pense que nous avons les moyens d'arriver à un équilibre et que cela ne mérite absolument pas l'emportement, la fougue et la passion qui sont les vôtres. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)
J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.
La parole est à M. Bernard Cazeneuve.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'examen de cette loi de programmation militaire s'inscrit dans un contexte singulier.
Tout d'abord, ce texte nous est proposé près de neuf mois après avoir été déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale, alors que son premier exercice en loi de finances a déjà fait l'objet d'un examen par notre Parlement. La loi-cadre qu'est la loi de programmation militaire, qui doit présider à la déclinaison de l'ensemble des exercices budgétaires auxquels nous devrons nous livrer au cours des quatre prochaines années, est examiné postérieurement au premier exercice, comme l'ont déjà souligné un certain nombre d'orateurs.
Autre singularité, ce texte s'inscrit au terme d'un long parcours souhaité par le Président de la République et le Gouvernement, qui nous oblige à le considérer, et notamment son contenu budgétaire, avec une attention, une rigueur et une honnêteté intellectuelle qui doivent être notre règle commune.
En mettant en place la commission du Livre blanc, le Président de la République a souhaité associer à la fois des spécialistes du secteur, des militaires, des politiques et des parlementaires à la redéfinition du cadre stratégique qui a présidé à l'élaboration de cette loi de programmation militaire. C'est au terme de la définition de ce cadre stratégique, dont vous avez rappelé le contenu dans votre propos, monsieur le ministre, que nous sommes appelés à examiner ce texte.
C'est aussi dans le cadre d'une réforme sans précédent du ministère de la défense, dont vous vous êtes plu à rappeler la portée, que nous devons inscrire notre réflexion sur ce texte de loi, réforme plus importante que celle qu'avait voulue le général de Gaulle au terme de son accession au pouvoir, plus importante que la professionnalisation des armées, qui conduit le ministère de la défense à proposer un modèle dont vous conviendrez que les paramètres méritent d'être examinés très méticuleusement.
Le modèle de la réforme que le Président de la République nous propose et dont la loi de programmation militaire nous donne les orientations est le suivant : il convient de créer les conditions, le Président de la République l'a parfaitement exprimé au mois de juillet à l'occasion de la présentation du Livre blanc, d'une armée plus svelte, davantage projetable et mieux équipée.
Pour atteindre cet objectif, le Gouvernement et vous-même, monsieur le ministre, proposez dans cette loi de programmation militaire de réduire les effectifs du ministère de la défense de 54 000 postes, 46 000 très exactement sur la période de programmation, ce qui fait du ministre que vous êtes le meilleur élève de la révision générale des politiques publiques et l'auteur du plus grand plan social qu'aura à connaître le pays, entreprises publiques et privées confondues, au cours des cinq prochaines années.
Vous escomptez que l'ensemble des économies de fonctionnement qui résulteront de la diminution des effectifs seront intégralement réinvesties dans le budget de la mission « Défense », d'une part pour revaloriser la condition militaire, d'autre part pour mieux équiper nos force. Vous escomptez aussi que le Président de la République, conformément à ses engagements, fera l'effort budgétaire d'augmenter de 1 % le budget d'équipement de la défense à partir de 2011 pour assurer la réalisation du programme. Vous escomptez enfin que l'ensemble de ces éléments permettront de faire fonctionner le modèle comme vous le souhaitez.
Il faut reconnaître que l'enjeu sur le plan budgétaire est de taille puisque, comme l'a rappelé tout à l'heure Louis Giscard d'Estaing, il s'agit d'investir 185 milliards d'euros sur la période. Si le modèle fonctionne comme vous l'escomptez, nous devrions faire passer les dépenses d'équipement du ministère d'un peu plus de 15 milliards d'euros aujourd'hui à 18 milliards d'euros en 2011-2012.
C'est donc un pas très important, et ce d'autant plus qu'il s'inscrit dans un contexte budgétaire extrêmement contraint qui affecte l'ensemble des finances publiques de l'État et des collectivités locales.
En outre, cet effort budgétaire s'inscrit dans un contexte de crise qui a conduit le Gouvernement à demander au ministère de la défense de participer lui aussi à l'effort de relance. Il a ainsi envisagé d'allouer une enveloppe de 2,7 milliards d'euros à votre mission afin de lui permettre d'avancer dans la réalisation d'un certain nombre d'équipements.
La crise, si elle justifie l'augmentation des dépenses de votre ministère, n'en provoque pas moins une augmentation du chômage de 60 000 personnes par mois.
Il faut regarder attentivement si le modèle fonctionne au plan budgétaire. Monsieur le ministre, vous avez beaucoup insisté, dans votre propos liminaire, comme pour vous protéger de la critique, sur le fait que tout cela était d'une grande sincérité. Il ne s'agit pas pour nous de qualifier les sentiments qui vous ont habité au moment où vous avez rédigé la loi, ni de vous qualifier vous-même, mais l'exercice est suffisamment délicat et exceptionnel, compte tenu de la réforme qu'il porte, pour que nous regardions si le modèle économétrique fonctionne bien comme vous nous le promettez.
Comme nous en doutons, et comme le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2001-692, juge qu'il convient de veiller à ce que rien ne vienne fausser les équilibres budgétaires portés par les lois ayant un caractère financier, nous allons tenter de nous livrer à cet exercice.
Et ce en nous penchant tout d'abord sur l'héritage très lourd qui vous est légué, et qui suscite d'ailleurs de notre part un regard amical et compassionnel – la journée d'hier pourrait justifier que vous posiez vous-même sur nous un regard compassionnel.
Qu'en est-il de l'exécution de la précédente loi de programmation militaire ? Nos collègues Fromion, Adam et Beaudouin ont rédigé à cet égard un excellent rapport, duquel ressortent plusieurs points précis.
Le premier, c'est que les coûts d'objectifs des grands programmes industriels portés dans la précédente loi sont très loin des coûts de réalisation de ces programmes, si bien qu'un certain nombre de programmes ont été retardés et que ces retards ont conduit à l'augmentation des budgets de maintien en conditions opérationnelles des programmes précédents ; c'est le cas, entre autres, des programmes Barracuda et Rubis.
Nous sommes confrontés à un cercle vicieux résultant de la manière dont, loi de programmation militaire après loi de programmation militaire, le ministère de la défense a exécuté ces lois, avec un jeu entre la DGA et l'état-major des armées qui n'a pas contribué à faciliter cette exécution.
Le rapport souligne en outre la surspécification exigée des états-majors après que le coût d'objectifs a été défini, ce qui conduit également à l'augmentation du coût effectif des programmes mais aussi à l'augmentation du coût de possession ou du coût de maintien en conditions opérationnelles.
À tel point que le Président de la République, dans le discours qu'il a prononcé à Cherbourg, a porté un regard extrêmement sévère sur les conditions dans lesquelles les précédentes lois de programmation militaire, notamment la dernière, ont été exécutées.
Pour ne pas trahir sa pensée, je citerai très exactement ses propos, qui sonnent comme un jugement très dur à l'égard du ministère exercé par votre prédécesseur, Mme Alliot-Marie : « La vérité, la voici : j'ai trouvé à mon arrivée une situation financière plus que difficile. Pour atteindre le modèle d'armée 2015, il aurait fallu, selon les perspectives financières de la défense, augmenter de 6 milliards d'euros par an son budget d'équipement, soit une hausse de 40 %. Qui peut me dire que cet objectif est seulement crédible ? Je n'ai pas l'intention de poursuivre les méthodes du passé, celles qui ont conduit à me placer dans cette situation, car chacun s'y trouve perdant : la collectivité nationale, qui a le souci légitime que ses besoins de défense et de sécurité soient couverts convenablement, le chef de l'État, le Gouvernement, le Parlement, qui sont confrontés à la nécessité de douloureuses réorientations, et surtout, au premier chef, les armées, qui doivent déplorer sans cesse le retard de programmes d'armement majeurs, avec leurs corollaires : des matériels qui vieillissent et des coûts d'entretien qui explosent. Je refuse d'être mis devant le fait accompli et de me résigner à ne pas avoir de marges de manoeuvre. Le devoir de toute administration, civile et militaire, est de tout faire pour préserver les marges de manoeuvre du Président et la liberté d'action du Gouvernement. »
Ce jugement d'une extrême sévérité n'est pas porté par l'opposition, mais par le Président de la République ; il concerne l'action de votre prédécesseur, membre du même gouvernement que le Président, à l'époque où il était ministre de l'intérieur.
Dans la mesure où le Président de la République a inscrit l'exercice du Livre blanc et de la révision générale des politiques publiques dans une logique de rupture, il convient de se demander si cette logique sera bien au rendez-vous.
Il s'agit notamment, pour être sûr que l'exercice est bien sincère, de s'assurer de la fiabilité des recettes. Il convient de s'assurer également que les dépenses que vous nous proposez seront identiques à celles constatées au terme de la réalisation des programmes. Il s'agit de s'assurer en outre que le dispositif de suivi est suffisamment fiable pour que le ministère du budget ne soit pas tenté, comme il le fait souvent, d'ajuster le budget de l'État en prélevant sur le budget du ministère de la défense, et enfin que la représentation nationale disposera, comme le veut la réforme de la Constitution, de l'ensemble des outils qui lui permettent d'exercer son pouvoir de contrôle.
Examinons tout d'abord les recettes. Vous prévoyez que le modèle sera financé par une déflation d'effectifs de 54 000 emplois, dont 46 000 sur la période, dont vous escomptez, au terme de cette dernière, des recettes de 1,5 milliard d'euros par an cumulés. Pourrez-vous atteindre cet objectif ? Je voudrais à cet égard exprimer certaines interrogations fortes qui nous laissent dubitatifs quant à la portée de l'objectif et la sincérité de la démarche. Vous pourrez répondre à ces interrogations au cours du débat, monsieur le ministre.
On peut certes imaginer, dans le cadre d'une économie en croissance, que les militaires et les personnels civils n'hésitent pas à bénéficier de mesures de mobilité ou d'une indemnité de départ volontaire pour quitter la défense et entrer dans le secteur privé, où ils sont susceptibles, éventuellement, de bénéficier de conditions plus avantageuses. Mais en période de crise, au moment où le pays compte 60 000 chômeurs de plus par mois, croyez-vous que personne n'hésitera à quitter la défense, où certains ont une situation protégée, pour être plongés dans le marché, dont on sait qu'il entretient parfois la précarité ?
Je note à cet égard la faiblesse des mesures d'accompagnement social qui ont été mises en place, comparativement à celles du plan FORMOB…
Nous sommes allés au-delà du FORMOB !
…et au regard des objectifs que vous vous êtes assignés et qui conditionnent la réalisation des recettes dont vous avez besoin.
Je prendrai des exemples concrets. Lorsqu'un salarié souhaite bénéficier de l'IDV ou de mesures de mobilité, un certain nombre de conditions doivent être réunies, dans le cadre du plan d'accompagnement des restructurations, qui peuvent être extrêmement préjudiciables à sa sortie.
Ainsi, plus une personne est restée au ministère de la défense, moins elle est susceptible de bénéficier des mesures d'incitation au départ. Ceux qui sont restés plus de vingt-six ans sont pénalisés, ce qui a conduit les organisations syndicales à demander à plusieurs reprises que la copie soit revue et à regretter qu'il ne soit pas possible de le faire.
De la même manière, il n'est pas possible de bénéficier de ces mesures à moins de deux ans d'un départ à la retraite. Nous comprenons bien que la mesure a été conçue pour faire partir ceux qui sont en cours de carrière, mais, outre le fait qu'elle ne permettra peut-être pas aux salariés de la défense, dans le contexte de crise que nous connaissons, de recourir à ces outils, elle risque de faire partir les meilleurs, les plus jeunes et les plus compétents, qui auront le moins de difficultés à se caser dans le secteur privé, et elle risque donc par là même d'aboutir à des pertes de compétences très préjudiciables au bon fonctionnement de nos armées.
Par ailleurs, vous avez prévu qu'un millier de salariés de la défense pourraient être recasés dans la fonction publique territoriale ou la fonction publique d'État. Pour que ce dispositif de reclassement soit effectif, il faut que les dispositions réglementaires régissant les corps d'accueil soient suffisamment harmonisées pour rendre cet accueil possible.
Il faut en outre que la direction générale de la fonction publique aide à ce reclassement, ce qui n'est pas le cas pour l'instant.
Ensuite, il faut que la tendance soit bien celle que vous préconisez. Or, entre 2000 et 2006, le nombre de militaires reclassés dans la fonction publique d'État ou la fonction publique territoriale est passé de 1 200 à 600. Votre objectif d'en recaser mille par an représente donc le double de ce que nous constatons aujourd'hui. Comment allez-vous faire ?
Enfin, vous avez présenté à la commission de la défense de l'Assemblée nationale un dispositif de compensation du salaire de la personne mise à disposition. Vous avez en effet indiqué que ceux qui, mis à disposition, subiraient une perte de salaire pourraient bénéficier d'une compensation de la part de votre ministère.
Or, dans le cadre de la mission de contrôle que nous conduisons avec François Cornut-Gentille, nous avons constaté qu'à Mondeville, par exemple,…
…où des postes avaient été réservés par la maire pour des salariés du centre de santé des armées de la ville, ces postes n'avaient pu être pourvus jusqu'à une date récente en raison de la lenteur avec laquelle ce dispositif de compensation se mettait en place.
Si les choses ont été depuis réglées, je m'en réjouis, et vous nous apporterez des informations à ce sujet ; mais au moment où nous avons interrogé les intéressés, ce n'était pas le cas.
J'ai même vu la maire de Mondeville !
Vous l'avez vue pour le reclassement de son site en vue de l'ouverture d'un établissement public d'accueil de personnes âgées dépendantes, ce qui est un tout autre sujet.
Nous pourrions prendre d'autres exemples de vos difficultés à recaser les effectifs, difficultés qui expliquent d'ailleurs que vous soyez obligé de revoir le dispositif de bases de défense. La base de défense de Valence, par exemple, dite base de première catégorie, qui devait être créée prochainement, ne le sera pas en raison des difficultés à redéployer ou à réduire les effectifs en raison de l'inadaptation du PAR.
Le deuxième sujet concerne vos recettes exceptionnelles de 3,7 milliards d'euros. Celles-ci ont fait l'objet d'une inscription en lois de finances pour 2009 de 1,6 milliard, soit 600 millions pour compenser les effets de l'inflation et 1 milliard pour absorber la « bosse », dont l'ampleur insupporte à ce point le Président de la République qu'il s'en est plaint à Cherbourg.
Sur ce 1,6 milliard, l'enveloppe de 1 milliard doit résulter de la vente de certains actifs immobiliers parisiens du ministère de la défense, et celle de 600 millions de la vente des fréquences.
Globalement, ce dispositif suscite quelques interrogations simples au sein de mon groupe, à l'instar de celles exprimées par Louis Giscard d'Estaing, rapporteur pour avis de la commission des finances, et par d'autres orateurs.
Monsieur le ministre de la défense, en ce qui concerne la première enveloppe, je vous rappelle les propos du ministre du budget devant la commission de la défense : il doutait qu'on puisse réaliser dans l'année la totalité des recettes exceptionnelles inscrites. Il répondait alors à la question de l'un d'entre nous, relative à la mise en place d'une société de portage, la SOVAFIM. Vous nous aviez indiqué que cette dernière permettrait à votre ministère de réaliser des recettes en l'absence de vente immédiate des actifs. Dans le cadre d'un partenariat avec la SNI et la Caisse des dépôts, cette société devait assurer un portage des actifs immobiliers qui aurait garanti les recettes du ministère de la défense. Or nous ne savons plus où en est ce projet. Est-il enterré comme semble l'indiquer le ministère du budget ? Proposerez-vous en conséquence une vente par allotissement à mesure que le contexte le permettra pour réaliser progressivement les actifs ? Opterez-vous finalement pour la mise en place du dispositif alliant la SOVAFIM, la SNI et la Caisse des dépôts et consignations ? Si tel est le cas, quand le ferez-vous ? Et si vous le faites, dans un contexte où la Caisse des dépôts et consignations et l'ensemble des structures de portage, tout comme les banques, souffrent, de difficultés d'accès aux liquidités interbancaires, quel dispositif opérationnel vous permettra de garantir que les recettes seront bien réalisées ?
En ce qui concerne les fréquences, une recette de 1,4 milliard d'euros est attendue…
En effet, l'année prochaine, la vente des fréquences rapportera 600 millions d'euros, puis le même montant en 2011, et 250 millions d'euros en 2012.
Si mes informations sont bonnes, les fréquences mises en vente proviennent soit de l'activité de fréquences militaires, comme les fréquences Rubis ou Félin, soit de la cession de l'usufruit des satellites Syracuse A et B. Il reste toutefois qu'à l'heure actuelle l'autorité de régulation ne semble toujours pas avoir donné l'autorisation nécessaire à la cession en question. Il est par ailleurs peu probable, conformément à ce que le ministre du budget indiquait devant notre commission, que la réalisation de ces cessions puisse intervenir rapidement.
Monsieur le ministre, il résulte de tout ceci que les recettes sont extraordinairement aléatoires. Nous nous interrogeons en conséquence sur la solidité du modèle.
Sans prétendre être exhaustif – compte tenu du nombre de programmes engagés, il y aurait beaucoup à dire – ; j'aborderai en quelques mots le chapitre des dépenses.
Je signale tout d'abord que nos préoccupations ne sont pas fantaisistes : elles sont partagées par la Cour des comptes qui s'est exprimée sur ce sujet à plusieurs reprises. Elle a en effet accompagné les travaux de la mission d'évaluation et de contrôle de notre commission des finances. Des députés membres de toutes les commissions ont d'ailleurs pu participer à ces travaux. Jean-Michel Fourgous et moi-même avons ainsi présenté dans ce cadre un rapport sur le financement des projets d'équipement naval militaire.
Nous constatons l'existence d'un important décalage entre les coûts d'objectifs et les coûts de réalisation. Ce décalage s'élève à 50 % pour le programme Barracuda, et à 30 % pour les frégates multi-missions. Cela a des conséquences sur d'autres chapitres de la mission « Défense », et notamment sur le maintien du budget du maintien en conditions opérationnelles. En effet, lorsque le coût de réalisation ou d'industrialisation de certains programmes est supérieur au coût d'objectifs, confronté au caractère incertain des recettes, le Gouvernement hésite à les lancer. Le vieillissement des programmes en cours induit alors une augmentation mécanique du coût de maintien en conditions opérationnelles. Ce fut le cas, par exemple, pour le programme Rubis, auquel a succédé le programme Barracuda.
Monsieur le ministre, comment surmonterez-vous cette difficulté pour ce qui concerne les programmes proposés par le projet de loi de programmation militaire ?
À ce problème, il faut ajouter celui des surspécifications, mais aussi les imperfections d'un certain nombre de programmes lancés en coopération comme le PA2, le NH90 ou l'A400M. Les décalages et les retards liés aux insuffisances de notre coopération nous permettront-ils de maîtriser le coût de ces programmes ?
Je conclurai en abordant la question des opérations militaires extérieures, sur laquelle la représentation nationale a fait beaucoup de progrès au cours des dernières années. Le président Teissier a l'habitude de rappeler, à juste titre, ce que nous lui devons en la matière. En 2005, seule une ligne de 100 millions d'euros était budgétisée sur la totalité des sommes consacrées aux OPEX ; aujourd'hui, pour une enveloppe globale comprise entre 850 millions et 1 milliard d'euros, les amendements et les travaux législatifs permettent de budgétiser jusqu'à 475 millions d'euros. Compte tenu des 60 millions d'euros supplémentaires qui seront inscrits chaque année, nous parviendrons, au terme de la période, à une garantie de budgétisation d'environ 600 millions d'euros.
Un solde existe toutefois, et la dynamique de projection dans laquelle nos armées sont engagées, notamment dans le cadre de notre réintégration sans conditions dans l'OTAN, pourrait conduire l'enveloppe globale à augmenter fortement. Monsieur le ministre, il y aurait alors à nouveau une forte tentation que le budget d'équipement de la mission « Défense » vienne ajuster le budget des opérations militaires extérieures, ce qui perturberait l'architecture du projet de loi de programmation militaire que vous nous présentez.
Si l'on veut avoir toutes les garanties sur les questions que je viens d'aborder, même si M. le ministre semble disposer de réponses définitives et sûres, il faut que nous puissions nous doter des moyens de contrôle qui garantiront dans la durée que nous puissions nous accorder sur les problèmes de défense car, sur ces sujets il est tout de même préférable de voir prévaloir le consensus. Pour atteindre cet objectif, il faudrait réunir deux conditions. Tout d'abord, l'ensemble des agrégats des lois de programmation financière devrait être ajusté afin que les masses budgétaires évoquées dans notre débat soient lisibles durant toute la durée de l'application de la loi de programmation. Dans le cadre de la dernière révision constitutionnelle, la possibilité de mettre en place des lois triennales de finances publiques est prévue. Certaines préexistent à l'adoption de ce projet de loi de programmation : elles mettent en évidence des nomenclatures et des agrégats budgétaires qu'il serait intéressant de pouvoir rapprocher de ceux qui structurent ce texte pour pouvoir nous assurer, dans la durée, que nous parlons bien de la même chose.
Ensuite, monsieur le ministre, il nous semble indispensable que la fonction financière du ministère de la défense soit confortée et renforcée de manière que le ministère puisse s'assurer de la « traçabilité » des financements – François Cornut-Gentille et moi-même préconisions déjà cela dans nos travaux. En effet, il ne faut pas que cette loi de programmation militaire, malgré les annonces et la volonté de rupture qui ont présidé à son élaboration, ne soit qu'une loi de programmation militaire supplémentaire comme les autres. Il ne faut pas que le ministère du budget, comptant sur le fait que le ministère de la défense ne dispose pas des moyens de suivre son budget, puisse s'autoriser à tout moment à venir utiliser des marges ou des gels budgétaires pour procéder à des ajustements utiles au budget de l'État.
En la matière, monsieur le ministre, vous pouvez compter sur tous les membres de la représentation nationale, quelle que soit leur appartenance politique, afin que le budget de la défense soit préservé dans ses équilibres, autant que faire se pourra, et que le ministère du budget ne tente pas de dissiper ses fonds. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
J'ai senti que M. Cazeneuve était très inquiet : je voudrais le rassurer afin qu'il puisse voter ce projet de loi de programmation militaire avec la certitude que nous avons tout fait pour lever ses doutes.
Pour aborder la question de la réduction des effectifs, je veux citer un chiffre que je rappelle souvent. En France, 60 % de la ressource humaine du ministère de la défense est consacré à l'administration générale et au soutien – encore s'agit-il du chiffre le plus raisonnable –, alors que 40 % de ces mêmes ressources sert à l'opérationnel. Or ce ratio est inverse dans l'armée britannique, qui est désormais la seule armée à laquelle nous puissions nous comparer – les autres pays européens consacrent en effet peu d'argent à leur défense.
Nous devons donc faire un effort important. Il nous permettra, durant l'application de la loi de programmation militaire, de dégager 4 milliards d'euros supplémentaires. Ils ne proviendront pas uniquement de la réduction des effectifs, mais aussi de la réorganisation globale du ministère. J'ai par exemple cité les SIC, les systèmes d'information et de communication, dans mon propos initial : nous y consacrons 1,2 milliard d'euros par an. Puisque vous voulez faire du contrôle, monsieur le président de la commission de la défense, voilà un sujet sur lequel j'ai besoin de tout le soutien du Parlement afin de construire un véritable système global pour la défense. La mutualisation, la mise en commun et l'« interarmisation » passe aussi par des systèmes d'information et de communication qui puissent fonctionner ensemble.
Par ailleurs, monsieur Cazeneuve, les 4 milliards d'euros que nous dégagerons sont autant de programmes. Vous êtes député de Cherbourg et vous ne manquez jamais de me rappeler à quel point certains programmes, notamment les sous-marins ou les frégates multi-missions, sont majeurs. Effectivement, ces programmes soutiennent l'emploi ; ils ne s'évaporent pas dans les sables de l'économie mondialisée. Des entreprises françaises, des ouvriers français et des bureaux d'études français travaillent grâce à l'effort majeur que nous consentons pour l'équipement des forces.
Selon vous, il sera difficile de mettre en place la réduction des effectifs. En réalité, l'inverse se produit. Sur l'ensemble des mesures de restructuration sociale, une enveloppe annuelle de 140 millions d'euros nous est affectée : or nous en sommes à cinq demandes pour un pécule. Vous évoquez la crise ; pour nous aussi, elle constituait un facteur d'incertitude quant à la possibilité de mener la réorganisation du ministère à son terme. Mais, finalement, la demande est cinq fois supérieure à l'offre.
J'ajoute que nous ne proposons pas un système à guichet ouvert. Comme la représentation nationale, je suis responsable : je dois donc faire en sorte que nos armées soient en état de fonctionner, et attribuer les indemnités de départ volontaire à celles et à ceux dont le départ ne provoquera aucun dysfonctionnement majeur de notre système de défense. Pour prendre un exemple, nous n'allons pas faire partir avec le pécule des atomiciens dont nous avons absolument besoin.
Selon vous, monsieur Cazeneuve, ce plan est moins favorable que le plan FORMOB. Je sais que vous êtes compétent et travailleur, vous auriez donc dû constater que notre plan est plus important.
J'en profite pour répondre à une question que m'a posée le président Teissier. En effet, un problème immobilier se pose : la fermeture d'une unité risque d'entraîner l'effondrement des prix des logements. Je m'occupe de ce sujet depuis des mois, et nous signons actuellement une convention avec la SNI afin qu'elle puisse se porter acquéreur. Nous travaillons aussi avec les offices d'HLM. Il s'agit de mettre en place un dispositif juste qui évite aux ménages qui remboursent leur maison de voir les prix s'effondrer après avoir épargné durant des années pour la faire construire.
Par ailleurs, il me paraît assez cohérent que nous refusions de verser un pécule de plusieurs dizaines de milliers d'euros à une personne qui partira à la retraite un an ou un an et demi plus tard. J'ai ainsi voulu limiter les effets d'aubaine, après en avoir discuté avec les représentants syndicaux.
S'agissant de la question immobilière, il est vrai que le processus est assez long : une discussion a eu lieu au niveau interministériel, ainsi qu'avec la Caisse des dépôts. Toutefois, je puis vous garantir que le dispositif sera appliqué avant la fin de l'année et, plus précisément, au mois d'octobre, selon nos estimations les plus raisonnables. Grâce à l'opération que je vous ai présentée – et qui, je le rappelle, consistera, pour la SOVAFIM, à nous verser la somme correspondant à l'achat de notre parc immobilier parisien, avant de céder celui-ci à son tour –, ces crédits seront disponibles dans le budget 2009.
En ce qui concerne la libération des fréquences, il est vrai que nous ne serons pas au rendez-vous. Compte tenu du retard pris, nous n'aurons pas les sommes espérées, soit 600 millions en 2009 et 600 millions en 2010. Néanmoins, je puis vous assurer que, grâce à des recettes de trésorerie – j'ai évoqué ce sujet avec le Premier ministre la semaine dernière –, le Gouvernement sera en mesure de débloquer, le moment venu, les sommes prévues dans le projet de loi de programmation militaire, en attendant le produit de la cession des fréquences.
Enfin, s'agissant des OPEX, je vous trouve, monsieur Cazeneuve, en dépit de toute l'amitié que j'ai pour vous, d'une mauvaise foi absolue. (Protestations sur les bancs du groupe SRC.) Certes, c'est le rôle de l'opposition ; mais je vous rappelle qu'au prix d'un effort permanent nous parviendrons à inscrire 610 millions d'euros dans le budget. Puis-je vous rappeler que, durant de longues années, les parlementaires ont soulevé la question de la budgétisation des opérations extérieures lors de chaque discussion budgétaire et que, chaque année, on leur répondait que ce serait pour l'année prochaine. Ce n'est qu'au milieu des années 2000, sous le gouvernement Raffarin et alors que Michèle Alliot-Marie était ministre de la défense, que cette question a commencé d'être réglée, sur l'insistance du président de la commission de la défense. Encore une fois, nous parviendrons à inscrire 610 millions d'euros dans le budget, et j'ajoute qu'en vertu d'un arbitrage du Président de la République, grâce à la réserve de précaution interministérielle, la dépense sera couverte à 100 %.
J'ai ainsi répondu à toutes vos inquiétudes, monsieur Cazeneuve. Aussi devriez-vous juger ce projet de loi formidable et retirer votre exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)
Dans les explications de vote sur l'exception d'irrecevabilité, la parole est à M. Philippe Vitel, pour le groupe UMP.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, dès son accession à la Présidence de la République, Nicolas Sarkozy a manifesté sa volonté de voir s'engager une réflexion permettant d'aboutir à une réforme de notre appareil de défense, laquelle devait répondre à trois impératifs : assurer une sécurité complète à notre pays – y compris, bien entendu, à nos compatriotes d'outre-mer, que nous devons assurer de notre total soutien et auxquels nous devons apporter un très haut niveau de sécurité –, permettre à la France de tenir dans le monde sa place de membre permanent du Conseil de sécurité et développer, compte tenu des conditions nouvelles des relations internationales, le continuum défense-sécurité.
Cette réforme devait être entreprise dans une conjoncture financière très difficile et faire face à ce qu'il est convenu d'appeler la « bosse », héritage de la volonté de rattraper, ces dernières années, le temps perdu à l'époque où vos amis étaient au pouvoir, monsieur Cazeneuve, et où le budget de la défense était trop souvent considéré comme une variable d'ajustement. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
De cette volonté est né le Livre blanc, et c'est de la déclinaison de celui-ci dans le projet de loi de programmation militaire, qui engage la mise en oeuvre de la nouvelle politique de défense et de sécurité nationale jusqu'en 2014, que nous allons débattre.
Ce texte présente une évolution de nos forces armées qui traduit les finalités de cette politique et définit, en termes de moyens, les objectifs correspondant non seulement aux exigences des engagements en cours ou prévisibles à court terme, mais aussi à l'éventail des risques et menaces retenus par le Livre blanc.
Il tient compte du caractère global de la défense et de la sécurité et y associe, en tant que de besoin, les différents acteurs concernés autres que le ministère de la défense : je pense à l'intérieur, aux affaires étrangères, à l'économie et aux finances, ainsi qu'au secrétariat général de la défense nationale.
Il définit les échéanciers de dotations budgétaires et de réalisation de moyens humains et matériels sur la période de programmation.
S'inscrivant dans le climat de grande incertitude qui caractérise le contexte international actuel et qui a été souligné par le Livre blanc, il prend en compte l'impératif d'une vigilance permanente et prévoit l'éventualité d'une surprise stratégique qui imposerait une rapide montée en puissance des moyens de défense.
Il est à même de créer la nécessaire dynamique qui, en dépit des multiples difficultés de toute nature que nous ne manquerons pas de rencontrer, permettra d'atteindre les objectifs de cette politique.
Il est bien entendu de notre responsabilité de sensibiliser nos compatriotes à l'adhésion de la nation, qui est la condition essentielle de l'efficacité de l'appareil de défense et de sécurité. Cette adhésion constitue un précieux soutien pour les forces engagées. Surtout, elle est la garantie que nos concitoyens comprendront mieux les risques de crise et qu'en cas de situation particulièrement grave, ils accepteront les efforts et les sacrifices qui pourraient leur être exceptionnellement demandés.
Ce onzième projet de loi de programmation militaire a été bâti dans le triple souci de maintenir notre capacité de souveraineté et d'autonomie afin d'assurer à nos forces le degré de liberté nécessaire à leur déploiement, de renforcer le pilier européen de la défense ainsi que nos relations transatlantiques, aujourd'hui « boostées » par notre retour dans la structure intégrée de l'OTAN.
Au-delà de ces grands axes, ce projet de loi de programmation militaire conforte nos industries de défense, lesquelles garantissent notre indépendance et participent à notre présence dans le monde, tout en assurant à notre pays une importante quantité d'emplois de haut niveau et de considérables rentrées de devises. Il permet à notre industrie non seulement de disposer d'une vision à long terme et de rénover sa relation très particulière avec ce client très particulier qu'est l'État, mais aussi de jouer à l'échelon international le rôle majeur auquel son très haut niveau de compétence la destine.
« Avoir de l'avenir dans l'esprit », disait Talleyrand. Le projet de loi de programmation militaire répond à ce souhait, en favorisant la recherche, les études d'amont et, donc, de façon plus générale, le maintien des compétences. Plus de 185 milliards d'euros y seront consacrés, dont plus de 103 milliards destinés aux équipements. Ces crédits permettront de couvrir tous les objectifs, matériels, stratégiques et humains, qui y sont engagés.
Ce projet de loi de programmation militaire nous paraît donc recevable, mon cher collègue. Aussi le groupe UMP ne votera-t-il pas votre exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Mon intervention sera brève. Le groupe GDR est sensible aux différents arguments qui ont été développés par M. Cazeneuve au nom du groupe SRC, et nous en partageons un grand nombre.
Le projet de loi de programmation militaire est particulièrement dangereux, dans tous les sens du terme. (Murmures sur les bancs des groupes UMP et NC.) Je souhaiterais en dénoncer la logique profonde : nouveaux sous-marins, avions d'attaque et bombe atomique ; nouveaux moyens de projection pour les opérations extérieures, comme la guerre d'Afghanistan ; privatisation des industries nationales de défense pour favoriser le commerce des armes. On nous propose ainsi d'investir 186 milliards d'euros en partie dans la guerre et la prolifération de nouvelles armes. Alors que le Gouvernement affirme que les caisses de l'État sont vides pour répondre aux difficultés de la grande majorité de la population, il trouve de l'argent pour financer une véritable économie de guerre.
En fait, les réformes structurelles envisagées dans l'organisation de nos armées, la course aux armements, l'accumulation des armes, notamment nucléaires, loin d'apporter la paix et la sécurité, rendent le monde plus dangereux et plus invivable. Elles détournent des moyens gigantesques qui pourraient servir utilement à notre population.
On sait bien qu'une véritable sécurité durable ne pourra se construire que si les besoins vitaux des populations sont satisfaits. Pour cela, il faut consacrer plus de moyens à l'éducation, à la santé, à l'emploi, à l'aide au développement, à la culture et à la protection de l'environnement.
En outre, une nouvelle politique de paix ne pourra être mise en oeuvre que dans le cadre d'une ONU réformée, qui n'écrase pas les plus faibles pour satisfaire les ambitions impérialistes des plus gros. Activons les traités de désarmement, encourageons la résolution et la prévention des conflits dans le respect du droit international et généralisons la décroissance des budgets militaires et la fin des logiques de force.
Je ne ménagerai pas plus longtemps le suspense : les députés communistes, républicains et du parti de gauche voteront contre le projet de loi de programmation militaire. (« Quelle surprise ! » sur les bancs du groupe UMP.) Par conséquent, ils voteront l'exception d'irrecevabilité défendue par notre collègue Bernard Cazeneuve. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans son excellente présentation de l'exception d'irrecevabilité, Bernard Cazeneuve a clairement démontré, après avoir rappelé que l'obligation constitutionnelle de sincérité budgétaire nous liait tous, l'aspect virtuel d'un certain nombre de recettes qui reposent sur un dispositif complexe de réduction des dépenses de personnel, le caractère très aléatoire, voire, là encore, virtuel, de certaines recettes immobilières – qui ne peuvent pas être un puits sans fond, monsieur le ministre –, ainsi que les incertitudes qui pèsent sur la monétisation des fréquences.
Le volet recettes du projet de loi étant ainsi à la fois complexe et aléatoire, voire virtuel, les dépenses ne seront probablement pas tout à fait au rendez-vous, et le risque est grand d'assister, comme par le passé, à des retards de programmation entraînant eux-mêmes des frais de maintenance. Force est donc de constater que le projet de loi de programmation militaire ne respecte pas l'obligation constitutionnelle de sincérité budgétaire.
Aussi le groupe socialiste, radical et divers gauche votera-t-il l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai écouté avec attention l'intervention de notre collègue Cazeneuve, qui m'inspire deux remarques.
Sur le fond, je ne vais pas répondre aux questions qui ont été posées, M. le ministre ayant déjà apporté à la représentation nationale toutes les précisions qu'elle pouvait attendre.
Au-delà, si l'on veut se livrer à un exercice de politique-fiction et imaginer que, par extraordinaire, votre exception d'irrecevabilité soit votée, monsieur Cazeneuve, on se rend compte que cette hypothèse induirait au moins un élément de contradiction avec les propos préliminaires que vous avez tenus. En effet, vous avez vous-même affirmé regretter – comme un certain nombre d'entre nous – que cette loi de programmation arrive un peu tard, à savoir neuf mois après la présentation et la discussion du livre blanc au sein de notre hémicycle. Dès lors, comment pouvez-vous demander le report à une date ultérieure de l'examen de ce texte – report qui ne manquerait pas d'envoyer un signal négatif à l'adresse des personnels militaires, qui attendent une concrétisation des orientations que contenait le livre blanc ? Si je peux comprendre que vous soyez en désaccord avec certains points de ce texte et que vous ayez déposé des amendements visant à les modifier en conséquence, en revanche la défense d'une exception d'irrecevabilité me paraît tout à fait incompatible avec la position que vous avez exprimée au début de votre intervention.
Cela m'amène à penser qu'en réalité vous n'avez fait que mettre à profit le temps de parole qui vous était alloué dans le cadre de cette exception d'irrecevabilité pour défendre vos convictions au sujet de ce texte. Si je ne vous en blâme pas, il reste que nous devons prendre position sur la motion que vous avez défendue, et décider si nous voulons poursuivre ou non l'examen de cette loi de programmation militaire. À mon sens, l'attente très forte de la communauté militaire à l'égard de ce texte, qui doit permettre la concrétisation des orientations définies par le livre blanc, justifie pleinement que nous procédions à son examen, afin d'accompagner le Gouvernement dans son ambition de donner à la défense de notre pays des orientations fortes. Conformément à ce que commandent la logique et la cohérence, le groupe Nouveau centre votera donc contre cette exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
(L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.)
Exception d'irrecevabilité
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures cinquante, est reprise à dix-neuf heures.)
J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.
La parole est à Mme Patricia Adam.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la loi de programmation militaire que nous examinons enfin arrive, comme l'ont souligné nombre d'orateurs avant moi,…
Ils en ont dit aussi beaucoup de bien !
…après le refus par le Parlement, en juillet 2008, d'accepter la révision de l'article 21 de la Constitution fixant les attributions du Président de la République et du Gouvernement en matière de défense. Ainsi, à défaut de passer par la grande porte, l'extension du champ de la sécurité et du champ de compétence du Président de la République revient, si j'ose dire, par la fenêtre de tir de la LPM.
Disant cela, je me remémore naturellement les promesses de campagne du Président de la République à propos du fameux domaine réservé. Dans sa conception, affirmait-il, il ne devait pas y avoir de domaine réservé. Pour ma part, j'ai toujours pensé que ses déclarations avaient en réalité un double sens. Car, si on réfléchit bien, réserver un domaine, c'est en même temps en fixer les limites. Or la personnalité du Président – d'aucuns parleront de style et ce n'est pas faire injure que de le dire – fait qu'il s'accommode mal des limites...
Revenons donc aux dispositions de la LPM, et évacuons d'emblée les reproches qui seraient susceptibles de nous être adressés, comme celui de ne pas admettre la réalité des nouvelles menaces ou de contester a priori la nouvelle organisation des pouvoirs publics. Nous avons une autre idée de ce que doit être, dans une démocratie mature, un débat de fond sur des questions majeures ; et c'est ce que nous défendons par cette motion de procédure. Ces questions portent sur la sécurité de la France et de nos compatriotes, mais sont corrélativement susceptibles d'avoir une incidence sur l'équilibre institutionnel, les libertés publiques de nos concitoyens et, quand elles sont concernées, sur le contrôle exercé par leurs représentants.
J'affirme cela, car ce qui nous est proposé, au détour de ce qu'on peut appeler un simple cavalier législatif, constitue à nos yeux une évolution majeure pour le pays. Pour reprendre l'analyse de Michel Rocard et d'Alain Bauer, nous assistons en effet à un processus de présidentialisation du secteur de la sécurité au sens large, qui comprendrait la défense, dont la définition était déjà large depuis l'ordonnance de 1959 à laquelle s'ajoutent des pans entiers de la sécurité intérieure, pour ne pas dire la totalité.
Certes, cette évolution avait commencé sous la présidence de Jacques Chirac, quand il avait notamment décidé de confier, par un simple décret, la tête du conseil de sécurité intérieure au Président de la République, alors qu'il était présidé jusque-là par le Premier ministre. Aujourd'hui, ce processus est mené à son terme, et ce sans véritable débat de fond devant notre assemblée, pour ne pas dire à la sauvette.
Vous l'aurez compris, je vise naturellement l'article 5 de cette LPM, article long et complexe, mais comme nous le verrons très important : c'est la clé de voûte de la présidentialisation de notre République. Que fait cet article dans une loi de programmation militaire ? Ces dispositions sont en effet à mille lieues d'un exercice de programmation et s'inscrivent bel et bien dans la perspective d'un changement profond de l'organisation des pouvoirs publics en matière de défense et de sécurité. Cette évolution se traduit par l'extension des pouvoirs du Président de la République et de son domaine réservé, naturellement compte tenu de la nature du régime et sans la responsabilité qui en découle. Elle se traduit par un abaissement des pouvoirs du Premier ministre, dont la responsabilité devant notre assemblée devient de plus en plus théorique.
Monsieur le ministre, sous la catégorie banale des diverses mesures relatives à la défense contenues dans la LPM, il s'agit en fait de modifier profondément des articles du code de la défense pour les adapter au nouveau concept de sécurité nationale définie dans le Livre blanc. Cela consiste, ni plus ni moins, à élargir le domaine réservé du Président de la République.
En effet, l'article 5 réécrit une partie des articles du code de la défense consacrés à l'organisation de la défense nationale. Ces articles étaient issus de la lettre ou de l'esprit de l'ordonnance de 1959, qui était devenue au fil du temps l'un des fondements du relatif consensus national sur les questions de défense.
Les conceptions développées par l'article 5 sont connues. Elles figurent dans le Livre blanc de la défense et de la sécurité nationale. Rappelons que les deux parlementaires socialistes membres de la commission de rédaction du Livre blanc – dont je faisais partie – l'avaient quittée afin de protester contre l'immixtion de l'exécutif, et plus exactement celle du Président de la République, dans ses travaux. Pour y avoir participé de manière assidue, je peux témoigner que ses conclusions renforçaient le nécessaire équilibre des pouvoirs par un accroissement du rôle du Parlement sur les questions de défense, ce qui n'est toujours pas le cas.
On retrouve dans l'article 5 l'un des principaux objectifs de cette immixtion : le remplacement de la notion de défense par celle plus large et encore plus floue de sécurité nationale et l'extension ad libitum du domaine réservé.
La question du glissement de sens est posée dès le début de l'article 5, qui modifie l'article L. 1111-1 du code de la défense. Dans sa rédaction actuelle, l'article définit l'objet de la défense : « assurer en tout temps, en toutes circonstances et contre toutes les formes d'agression la sécurité et l'intégrité du territoire, ainsi que la vie de la population. »
La rédaction proposée par l'article 5 de la LPM est d'une tout autre nature : « La stratégie de sécurité nationale a pour objet d'identifier l'ensemble des menaces et des risques susceptibles d'affecter la vie de la nation. » – alinéa 3.
L'article 5 introduit ainsi une notion globalisante de « sécurité nationale » qui remplace la réponse à l'agression par l'identification de « l'ensemble des menaces et des risques » pouvant affecter la nation. La suite immédiate de l'article « dégrade » ensuite la défense nationale comme simple composante de la « sécurité nationale ».
Au-delà de l'évolution sémantique, le remplacement de l'agression comme point d'application de la politique de défense nationale par celle de « menaces et risques » de toutes sortes fait passer la posture du pays du registre concret – plans de défense, agression, application du plan – à un registre dans lequel l'analyse de la menace est en elle-même suffisante pour dimensionner la réponse possible.
On verra par la suite que, de surcroît, cette analyse est laissée à l'appréciation unilatérale du Président de la République, sans réel contre-pouvoir, ni intervention du Parlement.
L'article 5 supprime ensuite le conseil de défense pour lui substituer un « conseil de défense et de sécurité nationale » – alinéa 6. Ce conseil de défense et de sécurité nationale, annoncé par la Présidence de la République comme créé dès le 29 octobre 2008, est une formation spéciale du conseil des ministres, comme l'est le conseil de défense depuis 1959. En 1959, le « comité de défense » et le « comité de défense restreint » avaient pour objet « la direction générale de la défense » – articles 7 à 10 de l'ordonnance du 7 janvier 1959. Les conseils étaient présidés par le Président de la République et réunissaient le Premier ministre et les ministres des affaires étrangères, de l'intérieur, de la défense et des finances. Le Premier ministre est particulièrement chargé de la coordination des plans.
L'objet du nouveau conseil de défense et de sécurité nationale proposé par la LPM diffère de celui du conseil de défense. Il s'agirait désormais de prendre « les décisions en matière de direction générale de la défense et de direction politique et stratégique de la réponse aux crises majeures ». L'article 5 met désormais sur le même plan sécurité intérieure et politique de défense, en tant qu'ils concourent à la même finalité, et fusionne le conseil de défense et le conseil de sécurité intérieur au sein du CDSN.
Vous l'aurez compris, désormais tout est sécurité et toute la sécurité est sous le contrôle direct du Président. C'est donc une extension considérable du champ de compétence du Président de la République que propose l'article 5, à travers une vision généralisant une approche exclusivement sécuritaire. En effet, on considérait jusqu'à très récemment que le domaine réservé était composé de la diplomatie et des affaires de défense. Avec cet article 5, qui n'enlève rien et qui ajoute beaucoup, au contraire, la liste sera plus longue : diplomatie et sécurité nationale – c'est-à-dire l'administration de la République, au titre de la réponse aux catastrophes naturelles par exemple – police, défense, services de renseignement extérieur, services de renseignement militaires, contre-espionnage militaire, contre-espionnage civil, renseignement administratif et renseignement douanier...
Quant au Premier ministre, il conserve un pouvoir formel de coordination dans des domaines où le Président de la République aura déterminé au préalable les orientations – alinéas 18 et suivants. Dans la continuité des travaux de révision constitutionnelle, il est difficile d'y voir un renforcement du rôle du chef du Gouvernement. D'ailleurs, si vos intentions avaient été louables, pourquoi ne pas avoir prévu, au préalable, de modifier l'article 21 de la Constitution, afin de placer, non plus seulement la défense, mais également la sécurité nationale sous la responsabilité du Premier ministre ? Cela aurait eu le mérite de la clarté et nous aurait rassurés quant à la nature du régime qui se met en place.
Au lieu de cela, on aboutit à de véritables incohérences. Songez que le secrétaire général de la défense nationale devient secrétaire général à la sécurité et à la défense nationale tout en continuant de dépendre – sans doute formellement – d'un Premier ministre qui, constitutionnellement, reste responsable de la défense, mais pas de la sécurité nationale.
Le ministre de la défense, quant à lui, devient le gestionnaire de la préparation des armées, elle-même simple composante de la politique de sécurité nationale – alinéas 27 et suivants. Ne le prenez pas mal, monsieur le ministre, car j'ai beaucoup de respect pour vous, mais sans doute conviendrait-il mieux de revenir à l'ancienne dénomination de ministre des armées, et ce dans le meilleur des cas.
Avec le Président de la République, il y a un autre gagnant : le ministre de l'intérieur, qui devient l'homme, ou plutôt la femme orchestre du dispositif – alinéas 36 et suivants. Alors que la rédaction actuelle du code de la défense lui donne la responsabilité de la défense civile, de l'ordre public, de la protection des personnes et des installations et ressources d'intérêt général, la rédaction proposée par la LPM en fait un véritable vice-président en temps de crise.
Cet article est dangereux selon nous. Le problème ne vient pas du fait qu'il introduit un nouveau concept, lequel, avant même la rédaction du Livre blanc, avait d'ailleurs fait l'objet de nombreuses réflexions. C'est sa traduction au niveau institutionnel et étatique qui pose question. Et, sur ce point, la réponse que vous apportez consiste à modifier l'équilibre institutionnel, à élargir les pouvoirs du Président de la République et à accentuer la dérive présidentialiste du régime, tout cela quasiment en catimini, à la barbe de nos concitoyens !
Si vous aviez été logiques et, mieux encore, respectueux de la représentation nationale, l'ensemble des questions et modifications qu'induisait la mise en oeuvre des conclusions du Livre blanc et du concept de sécurité nationale aurait dû être traité dans un même texte.
Et quand je dis « vous » – sans vouloir vous offenser, mais ces questions sont importantes – je pense en réalité au chef du Gouvernement. Force est de constater que la fonction globalisante du concept de sécurité nationale n'intéresse en définitive que le Président de la République.
Les parlementaires, quant à eux, devront se contenter d'un saucissonnage législatif, avec, d'un côté, une loi de programmation militaire, de l'autre, la loi d'orientation sur la sécurité intérieure, puis le texte sur la gendarmerie. D'ailleurs, l'Assemblée devrait sans doute tirer les conséquences de l'effacement du clivage entre défense et sécurité intérieure en créant une commission de la sécurité nationale et de la défense.
Pourquoi pas ? C'est une proposition que je fais au président de la commission de la défense, un appel que je me risque à lancer au président Teissier. Je salue d'ailleurs le président de la Commission, qui s'est exprimé dans la presse, la presse spécialisée et confidentielle, mais il est vrai qu'il est quelquefois difficile de faire passer dans les médias les messages concernant les questions de défense.
Il s'est plaint de cette loi de programmation militaire qui avait bien du mal à venir, même aux forceps.
Mais je tiens à le rassurer : la LPM serait-elle arrivée prématurément qu'elle n'aurait pas eu plus de chances d'être respectée ! En la matière, la tradition est malheureusement tenace, comme l'a excellemment confirmé tout à l'heure mon collègue Bernard Cazeneuve.
Nous avons également pris connaissance de l'avant-projet de loi d'orientation sur la sécurité intérieure. Son exposé des motifs fait aussi largement référence au Livre blanc : « Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale » – lit-on dans le préambule – « acte la fin du clivage traditionnel entre sécurité intérieure et sécurité extérieure. » On ne parle même plus de défense, mais de sécurité extérieure ! « Il dépasse le cadre strict des questions de défense. Il élargit la réflexion à une sécurité nationale qui intègre désormais des dimensions importantes de la politique de sécurité intérieure. »
Il les intègre tellement bien – mais nous ne sommes pas à un paradoxe près – que la suppression du Conseil de sécurité intérieure ne se réalise pas dans cette loi-là, mais par le biais de la LPM que nous examinons aujourd'hui.
Tout ceci pourrait ressembler à du bricolage et pourrait prêter à sourire si les questions soulevées n'étaient pas aussi importantes.
Sans doute un projet de loi unique traitant l'ensemble de la matière aurait-il rendu trop visible ce qui est en train de se passer : on ne sort de l'ambiguïté qu'à son détriment. Il n'y a là ni hasard ni amateurisme, mais bel et bien une volonté politique. M. Sarkozy fut le ministre de la Sécurité, il sera le président de la Sécurité nationale avec son Pentagone à la française, qui aura sous sa coupe l'ensemble des services de renseignements ; il se déplacera bientôt en Air Force One et exercera un pouvoir direct sur la politique de défense et de sécurité tout entière.
Il ne s'agit pas d'un fantasme, mais bien d'un modèle importé d'où vous savez et qui peut conduire là où nous savons. Je pense bien évidemment aux États-Unis et à l'expérience du National Security Council – que l'on peut comparer avec le CNSD que vous souhaitez créer.
Cette expérience montre qu'en pratique cette structure est devenue la créature du président Bush, dans sa conception et pour la mise en oeuvre de sa politique de sécurité, voire de sa politique étrangère. Elle montre que derrière la fonction présidentielle il existe un homme avec ses conceptions, ses convictions, parfois une certaine idéologie. On l'a vu : c'est le choc des civilisations pour certains, pour d'autres une certaine vision du monde qui peut faire par exemple de l'homme africain le prisonnier de son déterminisme.
Monsieur le ministre, nous vivons effectivement dans un monde incertain, nous ne sommes pas assez naïfs pour l'ignorer. Mais faut-il confier la gestion de cette incertitude à un seul homme, fût-il comptable de cette responsabilité devant la nation tous les cinq ans ? La gestion de l'incertitude constitue un réel pouvoir susceptible d'être détourné à des fins politiques.
Nul besoin d'aller trouver des exemples en citant je ne sais quel régime totalitaire ; la plus grande démocratie de ce monde constitue une parfaite illustration des dérives qu'engendre un système qui dépend d'un seul homme, même entourés d'experts, surtout quand la désignation de ceux-ci dépend de cet homme-là.
Ne faisons pas semblant de ne pas voir toutes les dérives potentielles de ce système. Ce ne serait pas faire honneur à notre fonction ; ce ne serait pas digne de notre assemblée.
Certes, je reconnais que M. Sarkozy n'est peut-être pas M. Bush,…
…même s'il n'y a pas si longtemps, on a pu constater une certaine proximité de vues entre les deux hommes. Demain, si nous avions une administration de type Bush à la tête du pays, de quels contre-pouvoirs disposerions-nous ? Voilà les questions qu'il faut se poser : que mettez-vous dans la balance ? Un comité d'experts nommés par le Président de la République et chargés de l'éclairer ? On en a vu les résultats.
Quels garde-fous et quels contre-pouvoirs prévoyez-vous ? Au sein de l'exécutif, est-ce le rôle du Premier Ministre – mais dans quelle fonction ? Celle de chef de Gouvernement ? Mais jamais un Premier ministre n'a été autant effacé dans ce rôle. Celle du chef de la majorité parlementaire ? Là, nous nous enfonçons plus encore dans le brouillard.
Quant au Parlement – pour reprendre la formule de mon collègue Jean-Jacques Urvoas –, avec les récentes modifications souhaitées par M. Sarkozy, il devient, dans le meilleur des cas, de la « chair à voter ».
Que sont d'ailleurs devenues les belles promesses concernant les accords de défense ? Je pense évidemment à l'actualité récente, et en particulier à la base d'Abou Dhabi. Les militaires y ont déjà pris leurs quartiers. Mais quand le Parlement a-t-il été saisi ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
La question n'est pas de savoir si la base d'Abou Dhabi existe, ni de juger de son opportunité, mais de savoir quand nous en avons discuté !
Pour toutes ces raisons, les députés du groupe SRC avaient proposé en commission la suppression de l'article 5, considérant que les dispositions actuelles du code de la défense garantissent la sauvegarde du pays en cas de crise, que rien ne justifiait l'extension du domaine réservé et, enfin, que rien ne justifiait le rôle prépondérant dévolu au ministre de l'intérieur.
Par ailleurs, nous étions plus que réservés concernant la notion floue de sécurité nationale, qui place la vacuité intellectuelle au rang de politique d'État.
Or qu'avons-nous entendu ? Eh bien, que nous ne pouvions faire une chose pareille, car ce serait remettre en cause l'esprit même du Livre blanc. Serions-nous accusés de vouloir commettre un crime de lèse-majesté ? Vous vous servez du Livre blanc pour rejeter toute forme de débat sur le fond, comme s'il s'imposait à nous sans discussion possible. Mais je voudrais que vous m'expliquiez par quel miracle constitutionnel le Livre blanc s'impose au législateur. L'Élysée serait-il devenu un trou noir qui avalerait toute la matière gouvernementale, et jusqu'à l'esprit critique de notre assemblée ?
Que je sache, et contrairement à ce que vous avez dit tout à l'heure, monsieur le ministre, le Livre blanc n'a été validé par aucune procédure législative. Nous respectons les travaux du Livre blanc mais en tant que législateurs nous le prenons pour ce qu'il est : il n'a pas valeur de loi, et fait encore moins partie du bloc de constitutionnalité.
Effectivement, le Livre blanc propose un renforcement des pouvoirs du Président de la République qui s'appuie sur une notion d'une très grande élasticité : la stratégie de sécurité nationale. C'est une volonté du Président de la République ; il faut la prendre comme telle. Elle allait de pair avec son souhait de voir aboutir une réécriture de l'article 21 de la Constitution qui aurait permis de clarifier la répartition des compétences en matière de défense, en faveur du chef de l'État. Le comité Balladur avait fait du souhait du Président de la République une proposition, laquelle a été rejetée par notre assemblée. Il convient d'en tirer les conclusions.
Non, monsieur le ministre, à défaut d'une révision constitutionnelle et d'un débat de fond digne de ce nom, nous ne voulons pas d'une nouvelle structure auprès du Président de la République qui ne ferait qu'ajouter de la confusion au système. Nous ne voulons pas d'un concept de sécurité nationale étendu et mal défini qui accentue la dérive présidentialiste de notre régime. Nous ne souhaitons pas que l'on renforce les pouvoirs du Président le République, irresponsable devant le Parlement, sans un renforcement des pouvoirs de contrôle et d'investigation des assemblées – ce qui n'est pas le cas, malgré les modifications intervenues récemment dans notre Constitution. Si vous souhaitez vous engager dans cette voie, permettez alors à la représentation nationale d'en débattre sérieusement. Donnez de la clarté au débat, permettez à nos concitoyens de savoir réellement ce qui se passe. Mais ne le faites pas comme cela, au détour d'une loi de programmation militaire.
Monsieur le ministre, l'article 5 n'a rien à faire dans ce texte. Mais il n'est pas le seul. Je vais donc citer quelques articles qui n'ont, eux non plus, rien à y faire. Des membres de la majorité l'ont d'ailleurs rappelé avant moi.
Les articles 10 et 11 concernent de grandes entités industrielles de la défense : DCNS et SNPE. Celles-ci voient leur existence et leur nature complètement bouleversées sans qu'à aucun moment notre commission, et moins encore les salariés, aient pu avoir une vision claire de l'avenir ou du projet industriel de ces entreprises.
Quelles sont les intentions du Président de la République –puisque, nous le savons, tout se décide à ce niveau, et entre amis ? Soit cette politique industrielle n'existe pas, et nous assistons tout simplement à une vente sur étagères de pans entiers de notre industrie de défense à quelques amis du Président ; soit elle existe et il serait bon que vous l'exposiez. Pour mémoire, la représentation nationale attend depuis bientôt huit ans la communication d'un projet industriel pour DCNS. Votre prédécesseur affirmait qu'il existait, mais qu'il était trop secret pour être communiqué aux parlementaires. Encore un aléa de l'application du secret défense, très certainement !
Depuis, Thalès est entré au capital de DCNS. Alcatel-Lucent est tombé en capilotade et sorti de Thalès. Dassault a été pris par la main par l'État pour prendre le contrôle de Thalès. Quelle est la stratégie ? Quel avenir pour le naval, militaire ou civil ? C'est un sujet d'actualité puisque nous en débattons et en débattrons encore au sein du Grenelle de la mer.
Le Président de la République nous rebat les oreilles de ses relations privilégiées avec la chancelière allemande et, en même temps, la politique industrielle de défense du pays consiste aujourd'hui à fabriquer du franco-français, avec Dassault, pour concurrencer un européen franco-allemand, EADS. Mais mon collègue Jean-Claude Viollet aura sans aucun doute l'occasion de revenir sur ces sujets.
Ces deux articles n'ont donc rien à faire dans le texte que vous nous proposez.
Les articles 12, 13 et 14, concernant le secret défense, sont également insérés dans ce texte, alors qu'ils concernent principalement l'équilibre entre les pouvoirs de l'exécutif et de la justice – avec sur ce point, comme nous l'avons remarqué tout à l'heure, un profond désaccord au sein même de votre majorité entre les différents rapporteurs. Marylise Lebranchu, ancienne garde des sceaux, s'exprimera à ce sujet tout à l'heure.
Il en est de même pour l'article 6, qui concerne l'accompagnement social des restructurations. L'article a tout simplement disparu puisque nous avons examiné tout à l'heure un amendement de suppression venu du Gouvernement.
En définitive, monsieur le ministre – vous avez l'air soulagé que j'en termine… (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Heureusement, votre majorité m'apporte son soutien ! (Mêmes mouvements.) Eh oui, il faut laisser un peu de place à l'humour.
Dans ce texte, ce qui devrait être important ne l'est pas car il n'est malheureusement jamais respecté ; nous le vérifierons, j'en ai bien peur, une fois encore. Je pense bien sûr à la programmation. Nous souhaitons qu'elle soit réalisée ; nous serons vigilants et vous aurez notre soutien en ce domaine. Mais ce qui est en revanche très important, car cela concerne le fonctionnement des institutions, n'a rien à faire dans ce texte.
Cette loi de programmation 2010-2014 n'a, en l'état, plus lieu d'être – à moins de vouloir faire la démonstration que l'on continue à mépriser la représentation nationale. C'est pourquoi je vous demande – sans me faire la moindre illusion sur l'issue du vote – d'adopter cette question préalable. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Dans les explications de vote, la parole est à M. Jean-Jacques Candelier pour le groupe GDR.
Dire que ce texte n'est pas opportun est un euphémisme. J'ai déjà eu l'occasion d'en ébaucher une critique de fond : cette LPM entend généraliser une logique de guerre à travers les crédits engagés et les réformes structurelles prévues. Cette loi de programmation militaire est dangereuse parce qu'elle est mue par une logique de guerre insupportable, une logique du fric où nos armées sont mises en coupe réglée pour satisfaire les exigences de profit du secteur privé. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
L'adoption de cette question préalable constituerait une porte de sortie honorable pour le Gouvernement et la majorité.
Ce débat ne concerne pas uniquement les parlementaires. Regardons ce qui se passe autour de nous : à l'évidence, ce texte ne satisfait personne, à part peut-être des industriels du secteur de l'armement.
Ce projet de loi suscite de vives inquiétudes chez nos concitoyens. Ces derniers se prononcent résolument contre, à travers diverses pétitions à l'initiative du Mouvement de la Paix – vous avez dû en prendre connaissance car elles inondent nos messageries électroniques.
Ce projet de loi suscite également la colère des personnels car aucune place n'est laissée à la dimension humaine. La mobilisation est particulièrement forte, ainsi que le montrent leurs pétitions, dont j'ai apporté quelques exemplaires. Les fédérations syndicales se retrouvent unies dans ce combat, toutes dénoncent le dégraissage du soutien, la primauté donnée aux externalisations et aux privatisations, la casse des statuts et des carrières et le recours accru au partenariat public-privé. Le gigantesque plan social de 54 000 personnes est particulièrement préjudiciable en période de crise économique et sociale.
Je reviendrai, dans la discussion générale, sur tous les motifs d'inquiétude et de colère. À ce stade, vous l'aurez compris, nous nous prononçons en faveur de la question préalable défendue par notre collègue Patricia Adam. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
La parole est à M. Gilbert Le Bris, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.
Notre collègue Patricia Adam a très bien montré la dérive institutionnelle qu'entérine ce projet de loi de programmation militaire. La défense appartient à tous, surtout si nous voulons que l'effort et l'esprit de défense soient partagés largement. Or le Président de la République est en train de préempter à son profit exclusif cette défense, au détriment du Parlement et du reste de l'exécutif, que ce soit le Premier ministre ou le ministre de la défense.
Comment évoluera le lien défense-nation que nous avons l'habitude d'évoquer si les représentants de la nation eux-mêmes sont marginalisés dans toutes les décisions concernant la défense et la sécurité ?
Le Président de la République a tout.
Il a la décision, le Livre blanc a été rédigé sous sa dictée et Patricia Adam, qui a quitté la commission du Livre blanc avec l'autre représentant socialiste, a bien montré que les choix étaient faits à l'avance, que les dés étaient pipés. Le président de la commission lui-même reconnaissait que les contraintes financières intégrées dans la réflexion étaient déterminées par l'Élysée.
Le Président de la République procède également aux choix stratégiques. Il a fait le choix de rejoindre le commandement intégré de l'OTAN sans que le Parlement soit associé, sinon de façon très incidente. L'installation à Abou Dhabi nous a été communiquée aussi de façon incidente et a posteriori. Et ne parlons pas des OPEX : nous ne pouvons pas nous exprimer alors que nous aimerions le faire chaque fois. Un précédent ministre de la défense, à qui nous demandions si des forces spéciales étaient engagées en Afghanistan, nous avait répondu que cela relevait du secret défense. Le lendemain, nous pouvions lire, dans Paris-Match, un reportage sur les forces spéciales de la France en Afghanistan !
Quelle estime pour la représentation nationale !
Quant aux concepts, ils sont très flous. La sécurité est une notion à la fois plus globalisante et plus vague que celle de défense. Aucune définition ne fait consensus dans la communauté stratégique. De plus, elle s'est sectorialisée : il y a la sécurité intérieure, la sécurité extérieure, la sécurité énergétique, la sécurité informatique, la sécurité sociétale, que sais-je encore ? La sécurité est un sentiment et une appréciation alors que la défense est plutôt un dispositif concret.
En fait, le Président de la République se positionne en despote éclairé, comme l'on disait au XVIIIe siècle, qui estime que cela marche mieux quand il s'occupe lui-même de tout.
Or le Président de la République n'est pas omniscient en matière de défense et son expérience professionnelle dans ce domaine est même limitée. Cela va provoquer la prégnance et l'émergence du rôle de la technostructure. Même le général de Gaulle, qui s'y connaissait en matière militaire et avait quelques titres à faire valoir en matière de lucidité militaire prospective, n'a jamais été aussi loin dans le rassemblement de tous les pouvoirs dans le domaine de la défense.
Nous sommes très inquiets de cette boulimie de pouvoir du Président de la République qui s'exerce dans tous les domaines, politique, économique, médiatique, institutionnel, et maintenant dans le domaine de la défense. Ce n'est plus du domaine réservé, cela devient du domaine exclusif.
Cela plaît aux Français ! Vous n'avez pas vu les résultats des élections ?
Pour cette raison et parce que ce projet de loi de programmation est devenu un fourre-tout, où le muscle, c'est-à-dire en fait les équipements militaires, qui devraient constituer l'essentiel, est entouré de trop de mauvaise graisse, de tous ces articles qui n'ont rien à y faire – l'article 5 dont a parlé Patricia Adam, les articles 12, 13, 14 sur les lieux classifiés et le secret défense –, les socialistes voteront la question préalable. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Un changement profond de l'outil de défense, n'est-ce pas finalement le but que nous recherchons ? N'était-il pas urgent de prendre des mesures pour améliorer notre outil de défense ? N'avons-nous pas pendant trop d'années vu nos militaires avoir un maintien en conditions opérationnelles bien inférieur à 50 %. On parlait de cannibalisation pour le matériel. N'était-il pas temps que tout cela soit enfin réformé et que nous trouvions les moyens de donner à nos militaires du matériel, des équipements dignes de ce nom et des conditions de travail respectables ?
C'est le premier but que nous poursuivons dans cette loi de programmation militaire. Nous pouvons aller au-delà. Remplacer le terme « agression » par l'expression « menaces et risques » est peut-être sémantique mais ne faut-il pas prévenir le risque et détecter la menace pour éviter l'agression ?
Que le Président de la République soit le chef des armées n'est pas vraiment une nouveauté, mais le Parlement dispose d'outils nouveaux et je rappelle que, sous l'impulsion du président de la commission de la défense, M. Teissier, le contrôle parlementaire s'effectue régulièrement sur les engagements financiers.
Je rappelle également que la Constitution donne aujourd'hui au Parlement la possibilité de discuter de la poursuite des engagements militaires.
Nous n'avions pas cette faculté il y a encore moins d'un an.
Tout en respectant bien entendu la position de notre collègue Patricia Adam, je crois que les points relevés dans la question préalable pourront être débattus lors de la discussion des amendements. Je pense qu'il faut avancer dans l'examen de ce projet de loi tant attendu. C'est pourquoi le groupe Nouveau Centre ne votera pas la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Serge Grouard, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
Je répondrai d'abord à notre collègue communiste. Cher collègue, nous connaissons depuis longtemps le discours pacifiste. Il a sans doute sa cohérence, mais j'observe que c'est celui qui nous amenés à l'un des plus grands désastres de notre grande histoire, la guerre de 1940. Sur ces mêmes bancs, en 1937, un certain Paul Reynaud, qui demandait à la représentation nationale de créer le corps blindé mécanisé, s'était fait traiter d'imbécile. Le corps blindé a été refusé et la France a reflué vers la Loire et jusqu'à la Méditerranée et au-delà. (Approbation sur les bancs du groupe UMP.) Je pensais que cette histoire, avec son cortège de drames par la suite, nous amènerait à un peu plus de distanciation par rapport à cette idéologie pacifiste.
Aujourd'hui, la France dépense de l'ordre de 2 % de son produit national brut pour sa défense, à peu près comme la Grande-Bretagne. Beaucoup d'autres pays y consacrent des sommes bien supérieures. Ainsi, la Chine, d'après les statistiques aléatoires dont nous disposons, augmenterait, en 2009, son propre budget de la défense de 15 %.
Et l'Inde de 25 % ! Les évaluations faites par les instituts internationaux et de stratégie sérieux évaluent la dépense budgétaire militaire annuelle de la Chine à environ 100 milliards d'euros. Nous sommes sur toute la durée de la programmation militaire à 185 milliards d'euros, je ne crois pas que l'on puisse nous traiter de va-t-en-guerre, nous taxer d'esprit guerrier et autres. Nous assurons simplement la sécurité de nos concitoyens et la défense de nos intérêts vitaux dans le monde.
Je répondrai ensuite à Mme Adam., notamment sur l'article 5. J'ai cru comprendre que l'on tentait une sorte d'amalgame qui visait à accréditer l'idée d'une évolution de notre pays vers le tout sécuritaire, qui lierait une concentration des pouvoirs à une sorte d'exercice solitaire de ce même pouvoir.
Je vois bien l'idée politique sous-jacente à cette tentative de démonstration mais je suis au regret de dire que cela relève beaucoup plus du fantasme que de la réalité.
Sur la question du tout sécuritaire, notre architecture institutionnelle et notre organisation de défense datent pour l'essentiel de l'ordonnance, remarquable, de 1959. Ne convient-il pas, un demi-siècle plus tard, de tirer les conséquences des évolutions internationales, d'ailleurs rappelées très justement dans le Livre blanc, de tenir compte de cette évolution stratégique qui tend à effacer la distinction entre temps de paix et temps de guerre, pour permettre une architecture plus cohérente qui irait, nous vous en donnons acte, vers une stratégie globale, une stratégie totale ? C'est exactement ce que préfigurait, en 1963, le général Beaufre dans sa remarquable Introduction à la stratégie, dans laquelle il proposait un concept de stratégie totale. C'est ce qui nous est proposé à travers ce toilettage : la mise en conformité de nos institutions avec les évolutions internationales.
Quant à l'exercice solitaire du pouvoir, je crois que cette remarque relève malheureusement du procès d'intention.
Enfin, je voudrais faire appel à votre mémoire. En 1939-1940, ce sont les dysfonctionnements institutionnels, l'impossibilité de décider d'une stratégie, d'une politique et d'une action militaire, l'impossibilité à l'époque du Président Lebrun, qui ont conduit la France à être dans l'incapacité de décider, et qui ont provoqué, je le répète, le drame que l'on sait.
Puis il y a eu la Ve République et le général de Gaulle, qui a été évoqué par plusieurs d'entre nous à juste titre parce qu'enfin, si aujourd'hui la France est crédible, c'est qu'elle dispose d'une capacité à décider sur les problèmes de défense lorsque sa sécurité est menacée. Lorsque nos troupes sont intervenues à Kolwezi, c'est bien à la suite de la brillante décision du président Giscard d'Estaing.
D'autres présidents par la suite ont pris, c'est vrai, des décisions plus malheureuses, notamment dans le Pacifique.
Lorsqu'il s'est agi de gérer la crise du Kosovo, c'est bien le président Jacques Chirac qui a décidé l'engagement des forces.
Notre réalité institutionnelle fait qu'aujourd'hui c'est le Président de la République qui est le chef des armées. Nous mettons cela en conformité avec le dispositif constitutionnel.
Pour toutes ces raisons, le groupe UMP votera contre la question préalable. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
(La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.)
Monsieur le ministre, le projet de loi de programmation militaire que vous nous proposez, est avant tout la planification sur cinq ans des moyens humains, matériels et financiers consacrés à notre défense. Mais, ne nous y trompons pas, il est aussi plus que cela. Il s'agit d'un test de crédibilité internationale pour la France.
Dans un environnement international qui ressemble de plus en plus à une compétition-coopération entre les États, où chacun se jauge par rapport aux autres, en ce que Thierry de Montbrial a appelé une « manoeuvre permanente des potentiels », où tend à s'effacer l'ancienne distinction entre temps de paix et temps de guerre, où peut-être même le temps de « paix impossible-guerre improbable » de Raymond Aron cède le pas à une « paix possible-guerre probable », ce projet de loi doit être le signe clair de la volonté de la France d'exister en tant qu'acteur international majeur.
À cet effet, il doit accréditer auprès du reste du monde la pertinence de notre projet politique, la cohérence de notre stratégie et la suffisance des moyens que nous y consacrons. C'est à cette aune qu'il convient de l'évaluer, en nous demandant s'il donne à la France les capacités et les outils de sa sécurité et de sa crédibilité politique. Cette réflexion appelle trois questions : sur la cohérence du projet politique au regard des menaces, sur la définition des orientations stratégiques et du format capacitaire qui en découle, enfin sur les moyens qui y sont consacrés. Elles fourniront le cadre de mon intervention.
En ce qui concerne le projet politique, le Livre blanc nous a proposé une analyse des perspectives internationales et des menaces dont on a salué l'exhaustivité. J'insisterai néanmoins sur trois points mentionnés dans la loi de programmation.
Tout d'abord, l'hypothèse de voir émerger de nouveaux conflits interétatiques est malheureusement vraisemblable. Qui peut dire comment évoluera le jeu de coopération-compétition entre les grandes puissances ? Assiste-t-on à l'émergence d'un nouveau concert des nations, à un rééquilibrage au détriment des États-Unis ou encore à un basculement progressif de la puissance vers l'Asie ? Nul n'en sait rien. Soyons donc très prudents et prenons l'hypothèse au sérieux, car elle est « dimensionnante » pour nos capacités.
Ensuite, nous sommes entrés dans l'ère des ressources naturelles limitées et des risques écologiques majeurs. Là encore, nul ne peut prétendre savoir quelles en seront les conséquences internationales. En tout cas, le conflit écologique ne peut être écarté.
Enfin, le projet politique français ne peut se concevoir que dans le cadre d'une construction européenne qui doit redevenir cette communauté de destin qui l'a portée aux premières heures. Pour cela, la construction d'une politique européenne de défense est une priorité, et elle doit être compatible avec nos alliances, notamment l'Alliance atlantique.
Au total, le Livre blanc puis le projet de loi de programmation proposent une articulation pertinente entre l'analyse de la situation internationale et notre projet politique.
Nous y souscrivons sans réserve, d'autant qu'il n'y a pas d'alternative possible. (« En effet ! » sur les bancs du groupe UMP.)
J'en viens au deuxième volet de mon intervention : les orientations stratégiques et le format capacitaire du projet de loi sont-ils en cohérence avec notre projet politique ?
L'architecture stratégique que vous proposez s'organise autour de cinq fonctions complémentaires : connaissance et anticipation, dissuasion, prévention, protection et intervention. Elles doivent accroître notre liberté et notre capacité d'action, sans lesquelles il ne saurait y avoir de crédibilité internationale. En cela, l'architecture proposée est cohérente pourvu que le format capacitaire soit lui-même suffisant. Sans entrer dans le détail, je formulerai trois remarques.
Premièrement, le renforcement de la dimension spatiale que l'on préconisait depuis de longues années permettra d'accroître sensiblement nos capacités d'information et de renseignement, et de renforcer notre liberté d'action par une meilleure connaissance des situations et des théâtres extérieurs.
Deuxièmement et fondamentalement, notre dissuasion nucléaire est pérennisée. Je salue à cet égard l'effort consenti par Mme Alliot-Marie dans la précédente loi de programmation militaire. Sur ce point, je ne peux souscrire aux propos qu'a tenus M. Cazeneuve. Sans doute s'est-il trompé quand il a parlé de la loi de programmation pour 2002-2007 : il devait penser à celle pour 1997-2002.
Nous le ferons tout à l'heure.
Le projet actuel confirme cet effort avec le quatrième SNLE-NG, le missile SLBM M51, le Rafale et l'ASMPA, avec le Mirage 2000NK3. Dans un environnement où, quoi qu'on puisse en dire, on ne désinventera pas l'arme nucléaire, cette capacité confère la liberté de décision et d'action nécessaire à notre crédibilité.
Troisièmement, le format de nos capacités opérationnelles conventionnelles répond aux objectifs de prévention, de protection et d'intervention. Notre armée de terre doit disposer de la capacité de mobiliser jusqu'à 45 000 hommes et de s'engager dans des combats de haute intensité avec des moyens de protection renforcés, notre armée de l'air d'une capacité simultanée de combat de 70 avions, notre marine d'une capacité de deux à trois groupes d'intervention.
Restent deux incertitudes à lever. D'une part, l'A400M doit entrer le plus vite possible en service. Il y va de notre capacité de projection. D'autre part, nous devons réfléchir à l'acquisition d'un deuxième porte-avions, donc à la permanence opérationnelle aéronavale en mer. Le cas échéant, je proposerais volontiers qu'on le baptise Jeanne-d'Arc, puisque le porte-hélicoptères appelé ainsi va être retiré du service. Au vieux gaulliste que je suis, ces deux noms apparaissent comme un résumé hautement symbolique de notre histoire. Je soumets cette proposition à votre sagacité.
Au total, nous pensons que les orientations stratégiques et le volume capacitaire proposés par la loi de programmation militaire répondent aux nécessités de notre posture internationale.
J'en viens à ma troisième question : les moyens humains, matériels et financiers ont-ils été correctement évalués ?
En la matière – faut-il le rappeler ? –, nous payons encore le prix des lourdes erreurs commises dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, quand nous avons refusé des adaptations structurantes pour nos forces armées. Il a fallu attendre la décision du Président Jacques Chirac pour supprimer la conscription et aller vers la professionnalisation. Nous avons aussi commis des erreurs en choisissant les principaux matériels que nous avons commandés alors. Hérités de la Guerre froide, alors que celle-ci était terminée, ils nous ont coûté très cher et continuent de le faire. Enfin, nous n'avons pas pris les mesures de restructuration qui s'imposaient pour formater le volume de nos forces aux besoins réels. Autant d'erreurs qu'il faut rattraper.
La loi de programmation pour 2002-2007 s'y est attelée et, monsieur le ministre, vous poursuivez cet effort avec courage. En effet, vous amplifiez le mouvement en proposant une organisation qui nous paraît aussi cohérente que sérieuse.
Au plan humain, on note la diminution du volume de nos forces de 271 000 à 225 000 personnels. On ne saurait le réduire davantage et il convient de mettre en oeuvre une ambitieuse politique de mobilisation des réserves afin de pouvoir remonter en puissance, le cas échéant.
Pour les matériels, on saluera tout particulièrement les commandes de près de 500 VBCI, le choix prudent de conserver quelques hélicoptères Gazelle, compte tenu d'un coût horaire de vol huit fois inférieur à celui du Tigre, la décision conséquente de mettre sous cocon un quart des Tigre, la rénovation des Mirage 2000D permettant une économie sur le Rafale, et la recherche de solutions innovantes comme l'arrêt des SNA un an avant les IPER.
Il reste à réduire les coûts de fonctionnement et de maintien en condition opérationnelle. Pour cela, il convient que le ministère de la défense s'engage résolument vers des programmations intégrant le coût global des matériels sur la totalité de leur durée de vie. L'industrie de la défense doit également y contribuer.
Du point de vue financier, je salue l'engagement à hauteur de 377 milliards d'euros sur douze ans, dont près de 185 milliards pour la période 2009-2014. La clé de la réussite est là. Il est impératif de prévoir des budgets annuels en conformité avec la loi de programmation que nous allons voter. De plus, les restructurations de la défense doivent se réaliser dans les termes prévus, afin que les sommes économisées puissent être réaffectées aux besoins opérationnels des forces.
Vous l'avez compris, monsieur le ministre, le groupe UMP juge votre projet sérieux, cohérent et volontaire. C'est la raison pour laquelle il le votera avec satisfaction, sachant qu'il n'existe aucune alternative crédible.
Permettez-moi de terminer par ce qui est peut-être l'essentiel et que Thucydide résumait en disant que « le moral des forces vaut plus que l'épaisseur des murailles ». La France porte en elle une grande et belle tradition militaire qu'il faut préserver. À l'heure où ses forces sont engagées un peu partout dans le monde, notamment en Afghanistan, nous tenons à leur dire qu'elles ont l'estime, la reconnaissance et le soutien de la nation tout entière. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Suite de la discussion de projet de loi de programmation militaire pour les années 2009-2014.
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures cinquante-cinq.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,
Claude Azéma