Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du 8 juin 2009 à 16h00
Loi de programmation militaire pour les années 2009 à 2014 — Exception d'irrecevabilité

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBernard Cazeneuve :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'examen de cette loi de programmation militaire s'inscrit dans un contexte singulier.

Tout d'abord, ce texte nous est proposé près de neuf mois après avoir été déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale, alors que son premier exercice en loi de finances a déjà fait l'objet d'un examen par notre Parlement. La loi-cadre qu'est la loi de programmation militaire, qui doit présider à la déclinaison de l'ensemble des exercices budgétaires auxquels nous devrons nous livrer au cours des quatre prochaines années, est examiné postérieurement au premier exercice, comme l'ont déjà souligné un certain nombre d'orateurs.

Autre singularité, ce texte s'inscrit au terme d'un long parcours souhaité par le Président de la République et le Gouvernement, qui nous oblige à le considérer, et notamment son contenu budgétaire, avec une attention, une rigueur et une honnêteté intellectuelle qui doivent être notre règle commune.

En mettant en place la commission du Livre blanc, le Président de la République a souhaité associer à la fois des spécialistes du secteur, des militaires, des politiques et des parlementaires à la redéfinition du cadre stratégique qui a présidé à l'élaboration de cette loi de programmation militaire. C'est au terme de la définition de ce cadre stratégique, dont vous avez rappelé le contenu dans votre propos, monsieur le ministre, que nous sommes appelés à examiner ce texte.

C'est aussi dans le cadre d'une réforme sans précédent du ministère de la défense, dont vous vous êtes plu à rappeler la portée, que nous devons inscrire notre réflexion sur ce texte de loi, réforme plus importante que celle qu'avait voulue le général de Gaulle au terme de son accession au pouvoir, plus importante que la professionnalisation des armées, qui conduit le ministère de la défense à proposer un modèle dont vous conviendrez que les paramètres méritent d'être examinés très méticuleusement.

Le modèle de la réforme que le Président de la République nous propose et dont la loi de programmation militaire nous donne les orientations est le suivant : il convient de créer les conditions, le Président de la République l'a parfaitement exprimé au mois de juillet à l'occasion de la présentation du Livre blanc, d'une armée plus svelte, davantage projetable et mieux équipée.

Pour atteindre cet objectif, le Gouvernement et vous-même, monsieur le ministre, proposez dans cette loi de programmation militaire de réduire les effectifs du ministère de la défense de 54 000 postes, 46 000 très exactement sur la période de programmation, ce qui fait du ministre que vous êtes le meilleur élève de la révision générale des politiques publiques et l'auteur du plus grand plan social qu'aura à connaître le pays, entreprises publiques et privées confondues, au cours des cinq prochaines années.

Vous escomptez que l'ensemble des économies de fonctionnement qui résulteront de la diminution des effectifs seront intégralement réinvesties dans le budget de la mission « Défense », d'une part pour revaloriser la condition militaire, d'autre part pour mieux équiper nos force. Vous escomptez aussi que le Président de la République, conformément à ses engagements, fera l'effort budgétaire d'augmenter de 1 % le budget d'équipement de la défense à partir de 2011 pour assurer la réalisation du programme. Vous escomptez enfin que l'ensemble de ces éléments permettront de faire fonctionner le modèle comme vous le souhaitez.

Il faut reconnaître que l'enjeu sur le plan budgétaire est de taille puisque, comme l'a rappelé tout à l'heure Louis Giscard d'Estaing, il s'agit d'investir 185 milliards d'euros sur la période. Si le modèle fonctionne comme vous l'escomptez, nous devrions faire passer les dépenses d'équipement du ministère d'un peu plus de 15 milliards d'euros aujourd'hui à 18 milliards d'euros en 2011-2012.

C'est donc un pas très important, et ce d'autant plus qu'il s'inscrit dans un contexte budgétaire extrêmement contraint qui affecte l'ensemble des finances publiques de l'État et des collectivités locales.

En outre, cet effort budgétaire s'inscrit dans un contexte de crise qui a conduit le Gouvernement à demander au ministère de la défense de participer lui aussi à l'effort de relance. Il a ainsi envisagé d'allouer une enveloppe de 2,7 milliards d'euros à votre mission afin de lui permettre d'avancer dans la réalisation d'un certain nombre d'équipements.

La crise, si elle justifie l'augmentation des dépenses de votre ministère, n'en provoque pas moins une augmentation du chômage de 60 000 personnes par mois.

Il faut regarder attentivement si le modèle fonctionne au plan budgétaire. Monsieur le ministre, vous avez beaucoup insisté, dans votre propos liminaire, comme pour vous protéger de la critique, sur le fait que tout cela était d'une grande sincérité. Il ne s'agit pas pour nous de qualifier les sentiments qui vous ont habité au moment où vous avez rédigé la loi, ni de vous qualifier vous-même, mais l'exercice est suffisamment délicat et exceptionnel, compte tenu de la réforme qu'il porte, pour que nous regardions si le modèle économétrique fonctionne bien comme vous nous le promettez.

Comme nous en doutons, et comme le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2001-692, juge qu'il convient de veiller à ce que rien ne vienne fausser les équilibres budgétaires portés par les lois ayant un caractère financier, nous allons tenter de nous livrer à cet exercice.

Et ce en nous penchant tout d'abord sur l'héritage très lourd qui vous est légué, et qui suscite d'ailleurs de notre part un regard amical et compassionnel – la journée d'hier pourrait justifier que vous posiez vous-même sur nous un regard compassionnel.

Qu'en est-il de l'exécution de la précédente loi de programmation militaire ? Nos collègues Fromion, Adam et Beaudouin ont rédigé à cet égard un excellent rapport, duquel ressortent plusieurs points précis.

Le premier, c'est que les coûts d'objectifs des grands programmes industriels portés dans la précédente loi sont très loin des coûts de réalisation de ces programmes, si bien qu'un certain nombre de programmes ont été retardés et que ces retards ont conduit à l'augmentation des budgets de maintien en conditions opérationnelles des programmes précédents ; c'est le cas, entre autres, des programmes Barracuda et Rubis.

Nous sommes confrontés à un cercle vicieux résultant de la manière dont, loi de programmation militaire après loi de programmation militaire, le ministère de la défense a exécuté ces lois, avec un jeu entre la DGA et l'état-major des armées qui n'a pas contribué à faciliter cette exécution.

Le rapport souligne en outre la surspécification exigée des états-majors après que le coût d'objectifs a été défini, ce qui conduit également à l'augmentation du coût effectif des programmes mais aussi à l'augmentation du coût de possession ou du coût de maintien en conditions opérationnelles.

À tel point que le Président de la République, dans le discours qu'il a prononcé à Cherbourg, a porté un regard extrêmement sévère sur les conditions dans lesquelles les précédentes lois de programmation militaire, notamment la dernière, ont été exécutées.

Pour ne pas trahir sa pensée, je citerai très exactement ses propos, qui sonnent comme un jugement très dur à l'égard du ministère exercé par votre prédécesseur, Mme Alliot-Marie : « La vérité, la voici : j'ai trouvé à mon arrivée une situation financière plus que difficile. Pour atteindre le modèle d'armée 2015, il aurait fallu, selon les perspectives financières de la défense, augmenter de 6 milliards d'euros par an son budget d'équipement, soit une hausse de 40 %. Qui peut me dire que cet objectif est seulement crédible ? Je n'ai pas l'intention de poursuivre les méthodes du passé, celles qui ont conduit à me placer dans cette situation, car chacun s'y trouve perdant : la collectivité nationale, qui a le souci légitime que ses besoins de défense et de sécurité soient couverts convenablement, le chef de l'État, le Gouvernement, le Parlement, qui sont confrontés à la nécessité de douloureuses réorientations, et surtout, au premier chef, les armées, qui doivent déplorer sans cesse le retard de programmes d'armement majeurs, avec leurs corollaires : des matériels qui vieillissent et des coûts d'entretien qui explosent. Je refuse d'être mis devant le fait accompli et de me résigner à ne pas avoir de marges de manoeuvre. Le devoir de toute administration, civile et militaire, est de tout faire pour préserver les marges de manoeuvre du Président et la liberté d'action du Gouvernement. »

Ce jugement d'une extrême sévérité n'est pas porté par l'opposition, mais par le Président de la République ; il concerne l'action de votre prédécesseur, membre du même gouvernement que le Président, à l'époque où il était ministre de l'intérieur.

Dans la mesure où le Président de la République a inscrit l'exercice du Livre blanc et de la révision générale des politiques publiques dans une logique de rupture, il convient de se demander si cette logique sera bien au rendez-vous.

Il s'agit notamment, pour être sûr que l'exercice est bien sincère, de s'assurer de la fiabilité des recettes. Il convient de s'assurer également que les dépenses que vous nous proposez seront identiques à celles constatées au terme de la réalisation des programmes. Il s'agit de s'assurer en outre que le dispositif de suivi est suffisamment fiable pour que le ministère du budget ne soit pas tenté, comme il le fait souvent, d'ajuster le budget de l'État en prélevant sur le budget du ministère de la défense, et enfin que la représentation nationale disposera, comme le veut la réforme de la Constitution, de l'ensemble des outils qui lui permettent d'exercer son pouvoir de contrôle.

Examinons tout d'abord les recettes. Vous prévoyez que le modèle sera financé par une déflation d'effectifs de 54 000 emplois, dont 46 000 sur la période, dont vous escomptez, au terme de cette dernière, des recettes de 1,5 milliard d'euros par an cumulés. Pourrez-vous atteindre cet objectif ? Je voudrais à cet égard exprimer certaines interrogations fortes qui nous laissent dubitatifs quant à la portée de l'objectif et la sincérité de la démarche. Vous pourrez répondre à ces interrogations au cours du débat, monsieur le ministre.

On peut certes imaginer, dans le cadre d'une économie en croissance, que les militaires et les personnels civils n'hésitent pas à bénéficier de mesures de mobilité ou d'une indemnité de départ volontaire pour quitter la défense et entrer dans le secteur privé, où ils sont susceptibles, éventuellement, de bénéficier de conditions plus avantageuses. Mais en période de crise, au moment où le pays compte 60 000 chômeurs de plus par mois, croyez-vous que personne n'hésitera à quitter la défense, où certains ont une situation protégée, pour être plongés dans le marché, dont on sait qu'il entretient parfois la précarité ?

Je note à cet égard la faiblesse des mesures d'accompagnement social qui ont été mises en place, comparativement à celles du plan FORMOB…

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion