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Intervention de Émile Blessig

Réunion du 8 juin 2009 à 16h00
Loi de programmation militaire pour les années 2009 à 2014 — Discussion en première lecture d'un projet de loi

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉmile Blessig, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en tant que rapporteur pour avis de la commission des lois, j'interviendrai sur le chapitre VI de ce projet de loi, qui porte sur les dispositions relatives au secret de la défense nationale.

Ces dispositions ont pour origine l'avis du Conseil d'État du 5 avril 2007, qui indiquait « la nécessité de compléter les règles de procédure applicables en matière de secret de la défense nationale, pour concilier les objectifs d'égale valeur constitutionnelle que sont la recherche des auteurs d'infraction pénale et la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la nation ».

Le Conseil d'État a notamment relevé les insuffisances suivantes : d'abord, l'absence de règles légales particulières relatives à l'entrée dans les lieux où peut intervenir l'autorité judiciaire et où peuvent se trouver des informations couvertes par le secret de la défense nationale ; ensuite, le fait qu'un magistrat ne tient pas du code de procédure pénale qualité pour connaître de secrets de la défense nationale et qu'il lui incombe, quand il envisage de pénétrer dans une zone de ce type, de respecter la nécessité d'éviter toute compromission du secret de la défense nationale ; enfin, la nécessité pour le législateur de préciser les conditions dans lesquelles peuvent être saisis et mis sous scellés, sans risque de divulgation, des documents dont l'autorité judiciaire ne peut savoir s'ils sont ou non utiles à son instruction.

Afin de pallier ces insuffisances, le projet de loi qui nous est soumis tend, d'une part, à compléter la classification « secret défense » en ajoutant aux documents la notion de lieux classifïés et, d'autre part, à sécuriser les procédures de perquisition.

Le 25 mars dernier, la commission des lois a examiné les articles 12 à 14 du projet, et y a introduit un certain nombre d'amendements qui visent à répondre aux inquiétudes suscitées par le texte, notamment dans les milieux judiciaires. Le 9 avril, la commission de la défense a examiné ces amendements et a accepté plusieurs des améliorations proposées : le renvoi à un décret en Conseil d'État pour établir les conditions de délimitation précise des lieux « abritant » des éléments classés « secret défense nationale » ; la nécessité de permettre aux magistrats d'accéder à la liste de ces lieux ; la nécessité pour le ministre de répondre sans délai à une demande de déclassification d'un lieu « classifié par nature ».

S'agissant de la procédure de perquisition, les deux commissions sont également tombées d'accord pour trouver une solution satisfaisante au cas où un document classifié serait fortuitement découvert au cours d'une perquisition, afin que cette découverte n'entraîne pas l'interruption de la perquisition.

Cependant, deux amendements essentiels proposés par la commission des lois n'ont pas été adoptés par la commission de la défense. Le premier porte sur les modalités de mise en oeuvre de la procédure de perquisition, le second sur les conditions d'élaboration de la liste des lieux classifiés « secret défense » par nature.

En cas de perquisition dans un lieu abritant des éléments classifiés, la présence du président de la commission consultative du secret de la défense nationale – la CCSDN – est obligatoire. Le projet de loi précise que, préalablement à la perquisition, le magistrat doit lui adresser une décision écrite et motivée, indiquant la nature de l'infraction sur lesquelles portent les investigations, les raisons justifiant la perquisition et l'objet de cette dernière. La commission a fait observer que cette procédure se distingue de celle qui est applicable à d'autres types de perquisitions qui protègent des intérêts légitimes, notamment en cas de perquisition dans un cabinet d'avocat, où la décision est notifiée au bâtonnier qui défend l'intérêt collectif du secret professionnel, et non à l'avocat incriminé, et ce en début de perquisition. Par souci de cohérence en matière de protection d'intérêts légitimes et du secret professionnel, la commission des lois a estimé que le président de la CCSDN a besoin de connaître de la décision motivée du magistrat au cours de la perquisition afin de réaliser sa mission dans les meilleures conditions, mais non avant le début de la perquisition. En effet, le président de la commission consultative n'a aucun pouvoir d'appréciation sur l'opportunité de la perquisition ; le magistrat n'a donc aucune raison de lui faire préalablement part d'une information couverte par le secret de l'instruction.

En outre, l'esprit de la loi fait obligation au président de la commission consultative d'apporter son concours à la perquisition, sachant qu'une fois les documents saisis, ils suivront la procédure ordinaire de déclassification. Je souhaiterais que nos débats précisent bien l'obligation de collaboration du président de la CCSDN.

Le second amendement rejeté par la commission de la défense concerne la procédure applicable aux lieux classifiés par nature, couverts par le secret de la défense nationale. En effet, la décision de classification d'un lieu par le Premier ministre sera elle-même une information classifiée, puisque la connaissance même de l'existence et de la localisation de ces lieux doit rester secrète. Par conséquent, la décision du Premier ministre ne pourra faire l'objet d'aucun recours juridictionnel ni être contestée politiquement dans le cadre du débat démocratique. La commission des lois estime que cette situation est inacceptable, car elle signifie que le pouvoir exécutif a la latitude de décider à tout moment de la classification d'un lieu, y empêchant ainsi toute investigation judiciaire.

Dans ces conditions, nous estimons qu'un simple avis de la Commission consultative du secret de la défense nationale n'est pas suffisant, puisqu'un avis négatif ne pourrait être rendu public. Cette opacité de la désignation des lieux classifiés par nature porte en elle-même un risque.

Plusieurs arguments ont été avancés par la commission de la défense : nous aurons l'occasion de les examiner dans le détail lors de la discussion du chapitre VI. Cela étant, la commission des lois a débattu à nouveau de l'ensemble de ces amendements la semaine dernière. Et le fait est assez rare pour être signalé : c'est à l'unanimité qu'elle a estimé que l'équilibre recherché par elle lors de l'examen du texte portait largement sur ces deux amendements qui faisaient de la Commission consultative du secret de la défense nationale un outil de garantie de l'ensemble du processus en tant qu'autorité administrative indépendante.

Je suis très étonné de voir un de mes collègues mettre en avant un prétendu manque de sens de l'État de la commission des lois. Ses paroles ont sans doute largement dépassé sa pensée… Nous sommes dans le cadre d'un débat parlementaire et nous voulons trouver un équilibre entre la nécessité de garantir le pouvoir de l'État de préserver les intérêts fondamentaux de la nation et celle de reconnaître d'autres obligations constitutionnelles, telles que la recherche des auteurs d'infractions. Il me semble que, de ce point de vue, il convient de se garder des procès d'intention.

C'est à l'unanimité que la commission des lois m'a donné mandat de redéposer ces deux amendements en séance. À défaut de leur adoption, la commission des lois a émis un avis défavorable aux articles 12 à 14 du projet de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

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