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Intervention de Patricia Adam

Réunion du 8 juin 2009 à 16h00
Loi de programmation militaire pour les années 2009 à 2014 — Question préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatricia Adam :

La question n'est pas de savoir si la base d'Abou Dhabi existe, ni de juger de son opportunité, mais de savoir quand nous en avons discuté !

Pour toutes ces raisons, les députés du groupe SRC avaient proposé en commission la suppression de l'article 5, considérant que les dispositions actuelles du code de la défense garantissent la sauvegarde du pays en cas de crise, que rien ne justifiait l'extension du domaine réservé et, enfin, que rien ne justifiait le rôle prépondérant dévolu au ministre de l'intérieur.

Par ailleurs, nous étions plus que réservés concernant la notion floue de sécurité nationale, qui place la vacuité intellectuelle au rang de politique d'État.

Or qu'avons-nous entendu ? Eh bien, que nous ne pouvions faire une chose pareille, car ce serait remettre en cause l'esprit même du Livre blanc. Serions-nous accusés de vouloir commettre un crime de lèse-majesté ? Vous vous servez du Livre blanc pour rejeter toute forme de débat sur le fond, comme s'il s'imposait à nous sans discussion possible. Mais je voudrais que vous m'expliquiez par quel miracle constitutionnel le Livre blanc s'impose au législateur. L'Élysée serait-il devenu un trou noir qui avalerait toute la matière gouvernementale, et jusqu'à l'esprit critique de notre assemblée ?

Que je sache, et contrairement à ce que vous avez dit tout à l'heure, monsieur le ministre, le Livre blanc n'a été validé par aucune procédure législative. Nous respectons les travaux du Livre blanc mais en tant que législateurs nous le prenons pour ce qu'il est : il n'a pas valeur de loi, et fait encore moins partie du bloc de constitutionnalité.

Effectivement, le Livre blanc propose un renforcement des pouvoirs du Président de la République qui s'appuie sur une notion d'une très grande élasticité : la stratégie de sécurité nationale. C'est une volonté du Président de la République ; il faut la prendre comme telle. Elle allait de pair avec son souhait de voir aboutir une réécriture de l'article 21 de la Constitution qui aurait permis de clarifier la répartition des compétences en matière de défense, en faveur du chef de l'État. Le comité Balladur avait fait du souhait du Président de la République une proposition, laquelle a été rejetée par notre assemblée. Il convient d'en tirer les conclusions.

Non, monsieur le ministre, à défaut d'une révision constitutionnelle et d'un débat de fond digne de ce nom, nous ne voulons pas d'une nouvelle structure auprès du Président de la République qui ne ferait qu'ajouter de la confusion au système. Nous ne voulons pas d'un concept de sécurité nationale étendu et mal défini qui accentue la dérive présidentialiste de notre régime. Nous ne souhaitons pas que l'on renforce les pouvoirs du Président le République, irresponsable devant le Parlement, sans un renforcement des pouvoirs de contrôle et d'investigation des assemblées – ce qui n'est pas le cas, malgré les modifications intervenues récemment dans notre Constitution. Si vous souhaitez vous engager dans cette voie, permettez alors à la représentation nationale d'en débattre sérieusement. Donnez de la clarté au débat, permettez à nos concitoyens de savoir réellement ce qui se passe. Mais ne le faites pas comme cela, au détour d'une loi de programmation militaire.

Monsieur le ministre, l'article 5 n'a rien à faire dans ce texte. Mais il n'est pas le seul. Je vais donc citer quelques articles qui n'ont, eux non plus, rien à y faire. Des membres de la majorité l'ont d'ailleurs rappelé avant moi.

Les articles 10 et 11 concernent de grandes entités industrielles de la défense : DCNS et SNPE. Celles-ci voient leur existence et leur nature complètement bouleversées sans qu'à aucun moment notre commission, et moins encore les salariés, aient pu avoir une vision claire de l'avenir ou du projet industriel de ces entreprises.

Quelles sont les intentions du Président de la République –puisque, nous le savons, tout se décide à ce niveau, et entre amis ? Soit cette politique industrielle n'existe pas, et nous assistons tout simplement à une vente sur étagères de pans entiers de notre industrie de défense à quelques amis du Président ; soit elle existe et il serait bon que vous l'exposiez. Pour mémoire, la représentation nationale attend depuis bientôt huit ans la communication d'un projet industriel pour DCNS. Votre prédécesseur affirmait qu'il existait, mais qu'il était trop secret pour être communiqué aux parlementaires. Encore un aléa de l'application du secret défense, très certainement !

Depuis, Thalès est entré au capital de DCNS. Alcatel-Lucent est tombé en capilotade et sorti de Thalès. Dassault a été pris par la main par l'État pour prendre le contrôle de Thalès. Quelle est la stratégie ? Quel avenir pour le naval, militaire ou civil ? C'est un sujet d'actualité puisque nous en débattons et en débattrons encore au sein du Grenelle de la mer.

Le Président de la République nous rebat les oreilles de ses relations privilégiées avec la chancelière allemande et, en même temps, la politique industrielle de défense du pays consiste aujourd'hui à fabriquer du franco-français, avec Dassault, pour concurrencer un européen franco-allemand, EADS. Mais mon collègue Jean-Claude Viollet aura sans aucun doute l'occasion de revenir sur ces sujets.

Ces deux articles n'ont donc rien à faire dans le texte que vous nous proposez.

Les articles 12, 13 et 14, concernant le secret défense, sont également insérés dans ce texte, alors qu'ils concernent principalement l'équilibre entre les pouvoirs de l'exécutif et de la justice – avec sur ce point, comme nous l'avons remarqué tout à l'heure, un profond désaccord au sein même de votre majorité entre les différents rapporteurs. Marylise Lebranchu, ancienne garde des sceaux, s'exprimera à ce sujet tout à l'heure.

Il en est de même pour l'article 6, qui concerne l'accompagnement social des restructurations. L'article a tout simplement disparu puisque nous avons examiné tout à l'heure un amendement de suppression venu du Gouvernement.

En définitive, monsieur le ministre – vous avez l'air soulagé que j'en termine… (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Heureusement, votre majorité m'apporte son soutien ! (Mêmes mouvements.) Eh oui, il faut laisser un peu de place à l'humour.

Dans ce texte, ce qui devrait être important ne l'est pas car il n'est malheureusement jamais respecté ; nous le vérifierons, j'en ai bien peur, une fois encore. Je pense bien sûr à la programmation. Nous souhaitons qu'elle soit réalisée ; nous serons vigilants et vous aurez notre soutien en ce domaine. Mais ce qui est en revanche très important, car cela concerne le fonctionnement des institutions, n'a rien à faire dans ce texte.

Cette loi de programmation 2010-2014 n'a, en l'état, plus lieu d'être – à moins de vouloir faire la démonstration que l'on continue à mépriser la représentation nationale. C'est pourquoi je vous demande – sans me faire la moindre illusion sur l'issue du vote – d'adopter cette question préalable. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

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