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Intervention de Patricia Adam

Réunion du 8 juin 2009 à 16h00
Loi de programmation militaire pour les années 2009 à 2014 — Question préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatricia Adam :

…après le refus par le Parlement, en juillet 2008, d'accepter la révision de l'article 21 de la Constitution fixant les attributions du Président de la République et du Gouvernement en matière de défense. Ainsi, à défaut de passer par la grande porte, l'extension du champ de la sécurité et du champ de compétence du Président de la République revient, si j'ose dire, par la fenêtre de tir de la LPM.

Disant cela, je me remémore naturellement les promesses de campagne du Président de la République à propos du fameux domaine réservé. Dans sa conception, affirmait-il, il ne devait pas y avoir de domaine réservé. Pour ma part, j'ai toujours pensé que ses déclarations avaient en réalité un double sens. Car, si on réfléchit bien, réserver un domaine, c'est en même temps en fixer les limites. Or la personnalité du Président – d'aucuns parleront de style et ce n'est pas faire injure que de le dire – fait qu'il s'accommode mal des limites...

Revenons donc aux dispositions de la LPM, et évacuons d'emblée les reproches qui seraient susceptibles de nous être adressés, comme celui de ne pas admettre la réalité des nouvelles menaces ou de contester a priori la nouvelle organisation des pouvoirs publics. Nous avons une autre idée de ce que doit être, dans une démocratie mature, un débat de fond sur des questions majeures ; et c'est ce que nous défendons par cette motion de procédure. Ces questions portent sur la sécurité de la France et de nos compatriotes, mais sont corrélativement susceptibles d'avoir une incidence sur l'équilibre institutionnel, les libertés publiques de nos concitoyens et, quand elles sont concernées, sur le contrôle exercé par leurs représentants.

J'affirme cela, car ce qui nous est proposé, au détour de ce qu'on peut appeler un simple cavalier législatif, constitue à nos yeux une évolution majeure pour le pays. Pour reprendre l'analyse de Michel Rocard et d'Alain Bauer, nous assistons en effet à un processus de présidentialisation du secteur de la sécurité au sens large, qui comprendrait la défense, dont la définition était déjà large depuis l'ordonnance de 1959 à laquelle s'ajoutent des pans entiers de la sécurité intérieure, pour ne pas dire la totalité.

Certes, cette évolution avait commencé sous la présidence de Jacques Chirac, quand il avait notamment décidé de confier, par un simple décret, la tête du conseil de sécurité intérieure au Président de la République, alors qu'il était présidé jusque-là par le Premier ministre. Aujourd'hui, ce processus est mené à son terme, et ce sans véritable débat de fond devant notre assemblée, pour ne pas dire à la sauvette.

Vous l'aurez compris, je vise naturellement l'article 5 de cette LPM, article long et complexe, mais comme nous le verrons très important : c'est la clé de voûte de la présidentialisation de notre République. Que fait cet article dans une loi de programmation militaire ? Ces dispositions sont en effet à mille lieues d'un exercice de programmation et s'inscrivent bel et bien dans la perspective d'un changement profond de l'organisation des pouvoirs publics en matière de défense et de sécurité. Cette évolution se traduit par l'extension des pouvoirs du Président de la République et de son domaine réservé, naturellement compte tenu de la nature du régime et sans la responsabilité qui en découle. Elle se traduit par un abaissement des pouvoirs du Premier ministre, dont la responsabilité devant notre assemblée devient de plus en plus théorique.

Monsieur le ministre, sous la catégorie banale des diverses mesures relatives à la défense contenues dans la LPM, il s'agit en fait de modifier profondément des articles du code de la défense pour les adapter au nouveau concept de sécurité nationale définie dans le Livre blanc. Cela consiste, ni plus ni moins, à élargir le domaine réservé du Président de la République.

En effet, l'article 5 réécrit une partie des articles du code de la défense consacrés à l'organisation de la défense nationale. Ces articles étaient issus de la lettre ou de l'esprit de l'ordonnance de 1959, qui était devenue au fil du temps l'un des fondements du relatif consensus national sur les questions de défense.

Les conceptions développées par l'article 5 sont connues. Elles figurent dans le Livre blanc de la défense et de la sécurité nationale. Rappelons que les deux parlementaires socialistes membres de la commission de rédaction du Livre blanc – dont je faisais partie – l'avaient quittée afin de protester contre l'immixtion de l'exécutif, et plus exactement celle du Président de la République, dans ses travaux. Pour y avoir participé de manière assidue, je peux témoigner que ses conclusions renforçaient le nécessaire équilibre des pouvoirs par un accroissement du rôle du Parlement sur les questions de défense, ce qui n'est toujours pas le cas.

On retrouve dans l'article 5 l'un des principaux objectifs de cette immixtion : le remplacement de la notion de défense par celle plus large et encore plus floue de sécurité nationale et l'extension ad libitum du domaine réservé.

La question du glissement de sens est posée dès le début de l'article 5, qui modifie l'article L. 1111-1 du code de la défense. Dans sa rédaction actuelle, l'article définit l'objet de la défense : « assurer en tout temps, en toutes circonstances et contre toutes les formes d'agression la sécurité et l'intégrité du territoire, ainsi que la vie de la population. »

La rédaction proposée par l'article 5 de la LPM est d'une tout autre nature : « La stratégie de sécurité nationale a pour objet d'identifier l'ensemble des menaces et des risques susceptibles d'affecter la vie de la nation. » – alinéa 3.

L'article 5 introduit ainsi une notion globalisante de « sécurité nationale » qui remplace la réponse à l'agression par l'identification de « l'ensemble des menaces et des risques » pouvant affecter la nation. La suite immédiate de l'article « dégrade » ensuite la défense nationale comme simple composante de la « sécurité nationale ».

Au-delà de l'évolution sémantique, le remplacement de l'agression comme point d'application de la politique de défense nationale par celle de « menaces et risques » de toutes sortes fait passer la posture du pays du registre concret – plans de défense, agression, application du plan – à un registre dans lequel l'analyse de la menace est en elle-même suffisante pour dimensionner la réponse possible.

On verra par la suite que, de surcroît, cette analyse est laissée à l'appréciation unilatérale du Président de la République, sans réel contre-pouvoir, ni intervention du Parlement.

L'article 5 supprime ensuite le conseil de défense pour lui substituer un « conseil de défense et de sécurité nationale » – alinéa 6. Ce conseil de défense et de sécurité nationale, annoncé par la Présidence de la République comme créé dès le 29 octobre 2008, est une formation spéciale du conseil des ministres, comme l'est le conseil de défense depuis 1959. En 1959, le « comité de défense » et le « comité de défense restreint » avaient pour objet « la direction générale de la défense » – articles 7 à 10 de l'ordonnance du 7 janvier 1959. Les conseils étaient présidés par le Président de la République et réunissaient le Premier ministre et les ministres des affaires étrangères, de l'intérieur, de la défense et des finances. Le Premier ministre est particulièrement chargé de la coordination des plans.

L'objet du nouveau conseil de défense et de sécurité nationale proposé par la LPM diffère de celui du conseil de défense. Il s'agirait désormais de prendre « les décisions en matière de direction générale de la défense et de direction politique et stratégique de la réponse aux crises majeures ». L'article 5 met désormais sur le même plan sécurité intérieure et politique de défense, en tant qu'ils concourent à la même finalité, et fusionne le conseil de défense et le conseil de sécurité intérieur au sein du CDSN.

Vous l'aurez compris, désormais tout est sécurité et toute la sécurité est sous le contrôle direct du Président. C'est donc une extension considérable du champ de compétence du Président de la République que propose l'article 5, à travers une vision généralisant une approche exclusivement sécuritaire. En effet, on considérait jusqu'à très récemment que le domaine réservé était composé de la diplomatie et des affaires de défense. Avec cet article 5, qui n'enlève rien et qui ajoute beaucoup, au contraire, la liste sera plus longue : diplomatie et sécurité nationale – c'est-à-dire l'administration de la République, au titre de la réponse aux catastrophes naturelles par exemple – police, défense, services de renseignement extérieur, services de renseignement militaires, contre-espionnage militaire, contre-espionnage civil, renseignement administratif et renseignement douanier...

Quant au Premier ministre, il conserve un pouvoir formel de coordination dans des domaines où le Président de la République aura déterminé au préalable les orientations – alinéas 18 et suivants. Dans la continuité des travaux de révision constitutionnelle, il est difficile d'y voir un renforcement du rôle du chef du Gouvernement. D'ailleurs, si vos intentions avaient été louables, pourquoi ne pas avoir prévu, au préalable, de modifier l'article 21 de la Constitution, afin de placer, non plus seulement la défense, mais également la sécurité nationale sous la responsabilité du Premier ministre ? Cela aurait eu le mérite de la clarté et nous aurait rassurés quant à la nature du régime qui se met en place.

Au lieu de cela, on aboutit à de véritables incohérences. Songez que le secrétaire général de la défense nationale devient secrétaire général à la sécurité et à la défense nationale tout en continuant de dépendre – sans doute formellement – d'un Premier ministre qui, constitutionnellement, reste responsable de la défense, mais pas de la sécurité nationale.

Le ministre de la défense, quant à lui, devient le gestionnaire de la préparation des armées, elle-même simple composante de la politique de sécurité nationale – alinéas 27 et suivants. Ne le prenez pas mal, monsieur le ministre, car j'ai beaucoup de respect pour vous, mais sans doute conviendrait-il mieux de revenir à l'ancienne dénomination de ministre des armées, et ce dans le meilleur des cas.

Avec le Président de la République, il y a un autre gagnant : le ministre de l'intérieur, qui devient l'homme, ou plutôt la femme orchestre du dispositif – alinéas 36 et suivants. Alors que la rédaction actuelle du code de la défense lui donne la responsabilité de la défense civile, de l'ordre public, de la protection des personnes et des installations et ressources d'intérêt général, la rédaction proposée par la LPM en fait un véritable vice-président en temps de crise.

Cet article est dangereux selon nous. Le problème ne vient pas du fait qu'il introduit un nouveau concept, lequel, avant même la rédaction du Livre blanc, avait d'ailleurs fait l'objet de nombreuses réflexions. C'est sa traduction au niveau institutionnel et étatique qui pose question. Et, sur ce point, la réponse que vous apportez consiste à modifier l'équilibre institutionnel, à élargir les pouvoirs du Président de la République et à accentuer la dérive présidentialiste du régime, tout cela quasiment en catimini, à la barbe de nos concitoyens !

Si vous aviez été logiques et, mieux encore, respectueux de la représentation nationale, l'ensemble des questions et modifications qu'induisait la mise en oeuvre des conclusions du Livre blanc et du concept de sécurité nationale aurait dû être traité dans un même texte.

Et quand je dis « vous » – sans vouloir vous offenser, mais ces questions sont importantes – je pense en réalité au chef du Gouvernement. Force est de constater que la fonction globalisante du concept de sécurité nationale n'intéresse en définitive que le Président de la République.

Les parlementaires, quant à eux, devront se contenter d'un saucissonnage législatif, avec, d'un côté, une loi de programmation militaire, de l'autre, la loi d'orientation sur la sécurité intérieure, puis le texte sur la gendarmerie. D'ailleurs, l'Assemblée devrait sans doute tirer les conséquences de l'effacement du clivage entre défense et sécurité intérieure en créant une commission de la sécurité nationale et de la défense.

Pourquoi pas ? C'est une proposition que je fais au président de la commission de la défense, un appel que je me risque à lancer au président Teissier. Je salue d'ailleurs le président de la Commission, qui s'est exprimé dans la presse, la presse spécialisée et confidentielle, mais il est vrai qu'il est quelquefois difficile de faire passer dans les médias les messages concernant les questions de défense.

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