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Intervention de Jean-Luc Warsmann

Réunion du 8 juin 2009 à 16h00
Loi de programmation militaire pour les années 2009 à 2014 — Discussion en première lecture d'un projet de loi

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Luc Warsmann, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Je m'adresse à de nombreux collègues de la commission de la défense nationale, qui savent l'utilité de protéger le secret défense. Il en va de même de la protection du secret d'une enquête de police ou de gendarmerie : il est inutile de le divulguer à des personnes qui n'ont pas intérêt à en connaître.

Deuxième problème : des lieux – très concrètement des coffres-forts ou des bureaux – vont être classifiés. Qu'y mettra-t-on ? L'objet de la loi est de ne placer dans le coffre-fort classifié d'une entreprise privée que des documents classifiés secret ou confidentiel défense. Il faut alors interdire d'y faire figurer d'autres documents. En effet, en cas de perquisition dans un tel lieu, même sans aucun rapport avec des documents « défense nationale », le juge sera systématiquement obligé de demander la présence d'un représentant de la commission au cas où les documents litigieux susceptibles de compromettre la société auraient précisément été rangés à cet endroit. Il faut donc prévoir une protection et une sanction pénale. Ce n'est pas réglé aujourd'hui. Le débat doit permettre d'y parvenir.

Troisième problème : vous concevez que, dans une affaire de ce type, il soit nécessaire de déclencher une série de perquisitions au même moment. Un magistrat peut souhaiter faire perquisitionner un mardi à six heures du matin dans cinq lieux différents. La CCSDN se compose de trois personnes, en dehors des parlementaires qui n'ont pas l'habitude de se déplacer dans de tels cas. Ce ne sera donc pas matériellement possible et il faut trouver une solution. Soit on augmente le nombre de membres de la commission, soit on leur donne, par exemple, le pouvoir de désigner des mandataires. Une telle disposition ne doit pas empêcher, demain, dans une enquête importante, de déclencher simultanément plusieurs perquisitions. Enfin, toutes les perquisitions ne se déroulent pas à Paris et un représentant de ladite commission pourra être amené à se rendre outre-mer, à Papeete, par exemple.

Il y a là un blocage qui n'est toutefois pas insurmontable. Même si on m'a opposé, lors des débats, la susceptibilité des grands corps de l'État, je crois que l'on peut trouver une solution,

Le quatrième problème concerne l'automaticité de l'intervention. Quand des forces de police apprennent que des documents risquent de se trouver tel lundi matin dans un lieu, la commission doit immédiatement leur déléguer quelqu'un. En effet, l'absence d'un représentant de la commission entraîne la nullité de la procédure, ce qui est terrible pour le juge. L'automaticité de la présence d'un représentant de la commission doit être clairement précisée. Il semble évident que le magistrat qui demande à être accompagné le soit automatiquement au jour et à l'heure souhaités. Mais il convient alors que les membres de la commission s'avèrent suffisamment nombreux.

Mes chers collègues, il ne me semble pas que cela soit à comparer avec l'escalade de quatre Annapurna ! C'est du bon sens. La commission des lois, qui travaille habituellement sur les moyens offerts à nos policiers, à nos gendarmes et à nos magistrats, a tiré la sonnette d'alarme sur ces quatre points essentiels.

À ce nouveau dispositif s'est ajoutée une excroissance – oserais-je dire une tumeur maligne – qui n'a été en rien demandée par le Conseil d'État dans son avis. J'appelle solennellement votre attention sur ce point. Il nous est demandé de voter un texte de loi définissant des lieux classifiés dans lesquels les magistrats ne pourront plus entrer, des lieux classifiés où l'application de la loi ne pourra plus se faire par les magistrats. Certains collègues ont parlé de zone de non-droit législative : c'est à peine un raccourci. Je souligne évidemment l'immense danger qu'il y aurait à définir sur notre territoire des lieux où les magistrats ne pourraient plus se rendre. Je n'en comprends d'ailleurs pas les raisons, monsieur le ministre. Le conseil d'État ne l'a pas demandé, et la procédure de classification et d'intervention de la commission consultative répond déjà à toutes ses observations.

De plus, je ne vois pas comment le Gouvernement pourra délimiter strictement ces lieux classifiés. S'il est interdit à des juges de se rendre dans certains lieux, encore faut-il les préciser. Il a été indiqué que cette décision devait incomber au seul Premier ministre parce qu'il ne pourra pas y avoir de contrôle judiciaire : le juge administratif et le juge judiciaire ne peuvent, en effet, connaître de données relatives au secret défense.

Et puis cela a fait naître des espoirs partout ! Quand la commission des lois a commencé ses auditions, on nous a dit qu'il n'y aurait pas plus de dix lieux classifiés. En commission de la défense, monsieur le ministre, vous avez parlé de trente ou quarante et M. le rapporteur de la commission de la défense de plusieurs dizaines. Chaque chef de service espère que son service en fera partie, ses fonctionnaires pourront alors travailler sans qu'un juge puisse les déranger. Je dis d'ailleurs aux chefs de service que c'est une illusion, que ce n'est pas une bonne solution de vouloir protéger l'activité de centaines ou de milliers de fonctionnaires en leur faisant croire que la justice ne pourra pas intervenir, car il y aura immanquablement des dérapages et des abus, et ceux qui cherchent la tranquillité juridique ne récupéreront que la polémique.

Mes chers collègues, si vous créez des zones où les magistrats ne pourront jamais entrer, il y aura toujours – la nature humaine est ainsi faite – quelques personnes qui commettront des infractions de droit commun en se disant qu'elles sont sûres de ne jamais être poursuivies.

Et n'en profitera-t-on pas demain pour y stocker des documents qu'on ne veut pas qu'un magistrat trouve ? En âme et conscience, réfléchissez aux affaires de ces trente dernières années. Si cette loi avait été votée, croyez-vous qu'un exécutif n'aurait pas eu la tentation, quand une affaire judiciaire commençait à pointer le nez, de classer un lieu, d'inventer un nouveau centre de contrôle opérationnel pour y organiser des écoutes prohibées par la loi ou y stocker des documents ?

Voter ces dispositions, c'est ouvrir par la loi de telles possibilités, et il est du devoir de la commission des lois de vous appeler à ne pas leur apporter votre voix.

C'est une question grave et importante. Je souhaite que l'on trouve des solutions pragmatiques aux quatre problèmes que j'ai soulevés. J'appelle le Gouvernement à jouer son rôle et à apporter des réponses. Je lui demande surtout de faire preuve de sagesse s'agissant des lieux classifiés. Ce qui serait sage, monsieur le ministre, est très clair pour moi : c'est que vous retiriez les dispositions sur les lieux classifiés, qui n'apporteront que des polémiques et ne feront qu'affaiblir notre outil militaire dans les années à venir. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

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