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Séance en hémicycle du 9 juin 2011 à 15h00

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

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Sommaire

La séance

Source

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Nous poursuivons la discussion de la proposition de loi relative à la taxation des transactions financières, mais je donne d'abord la parole à M. Jean-Pierre Brard, pour un rappel au règlement.

Fondé sur quel article, mon cher collègue ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Brard

Sur l'article 58, alinéa 2. Vous pourrez vérifier, monsieur le président, qu'il y a bien adéquation avec mon intervention.

Ce matin, j'ai donné une information concernant Citroën-PSA, qui vient d'être confirmée par une conférence de presse : 15 000 emplois sont menacés, dont 3 000 à Aulnay, sans compter les 1 000 intérimaires et sous-traitants dont les emplois seraient supprimés par voie de conséquence.

La semaine dernière, monsieur le président, nous avons eu une lacune commune : nous n'avons pas lu L'Humanité Dimanche, qui révélait déjà cette information. Au banc du Gouvernement, M. le secrétaire d'État chargé du commerce extérieur ne semble pas l'avoir lue non plus. Et si j'étais facétieux, je proposerais que, sur les crédits de communication du ministère, un abonnement à ce journal soit offert à tous les parlementaires afin qu'ils disposent des meilleures informations sur les coups tordus des grands capitaines d'industrie.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Je crois qu'Air France s'en est chargé pendant des années, monsieur Brard.

Je note, par ailleurs, que votre rappel au règlement était bien fondé sur l'article 58, alinéa 2. (Sourires.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de résolution européenne relative à l'introduction d'une taxe sur les transactions financières en Europe (nos 3439, 3468, 3456).

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Ce matin, l'Assemblée a commencé d'entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.

La parole est à Mme Marietta Karamanli.

Debut de section - PermalienPhoto de Marietta Karamanli

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État chargé du commerce extérieur, monsieur le président de la commission des affaires européennes, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, depuis ce matin, tout le monde s'accorde à souligner l'importance de cette proposition de résolution : la taxation des transactions financières apparaît comme l'une des mesures raisonnables pour lutter contre la spéculation sur les dettes publiques.

Après la grave crise financière qui a frappé le monde il y a maintenant trois ans, l'endettement public a augmenté. Depuis, les gouvernements européens estiment majoritairement que pour endiguer les assauts de la finance, la rigueur budgétaire et la limitation salariale sont inéluctables et constituent les seules voies possibles. L'idée est simple : si un pays se soumet à une discipline budgétaire, les taux d'intérêt redeviendront supportables et l'accès à un crédit moins cher sera alors à nouveau possible. Selon cette conception, les marchés commandent aux États car les acheteurs d'obligations sont censés être les meilleurs juges des plans d'austérité appliqués par les gouvernements.

À bien y regarder, l'application de taux plus doux ne repose en l'état que sur la confiance que manifestent ces marchés à l'égard de promesses car les réformes n'auront d'effets qu'à long terme. Par un effet paradoxal, la dette viendra à échéance avant même que les réformes ne portent leurs fruits, ce qui contribue à renforcer la tendance des marchés à demander aux États d'adopter des mesures plus dures. La situation de la Grèce le montre bien.

Les atermoiements nationaux et la cécité des instances européennes ou internationales renforcent, à leur façon, la position des marchés. L'expérience de ces derniers mois suggère que la reprise tant attendue ne pourra se produire qu'avec difficulté tant que les marchés financiers conserveront leur force de frappe. D'où la nécessité de les désarmer, en quelque sorte, afin qu'ils cessent de menacer les États de l'Union européenne.

La tâche n'est pas insurmontable, là encore. Elle suppose un effort de régulation, de taxation et de restructuration des dettes des pays. Dans la perspective d'une régulation offensive, il pourrait être envisagé d'interdire à toute entité financière européenne de spéculer sur les dettes souveraines des États membres par CDS interposés, ou encore d'instaurer une taxe européenne sur les plus-values, sous l'égide des gouvernements nationaux. Une autre voie possible – et c'est l'enjeu de cette proposition de résolution – consisterait à instituer une taxe sur les transactions financières.

Certes, une telle taxe ne constitue pas une panacée, mais son adoption n'a que trop tardé depuis que son principe a été ébauché en 1978. Elle repose sur un mécanisme simple : il s'agit ni plus ni moins de prélever un impôt sur les capitaux internationaux en circulation afin de décourager la spéculation internationale en la rendant trop onéreuse pour les opérateurs, même si le taux de taxation reste faible.

Cette taxation est nécessaire. Le coût des transactions financières a notablement diminué au cours des trois dernières décennies du fait du recours massif à des échanges par voie électronique et de l'utilisation d'applications informatiques propres à ces marchés. Ces transactions ont, pour la plupart, peu à voir avec la valeur économique ou sociale des droits et titres échangés et leur explosion a permis une énorme redistribution des ressources au profit du secteur financier.

La taxe que la proposition de résolution de notre collègue Pierre-Alain Muet tend à créer vise toutes les transactions financières, qu'il s'agisse des transactions boursières ou non boursières, des titres, des obligations ou produits dérivés, ou encore des transactions sur le marché des changes.

Cette proposition entend répondre aux arguments trop souvent opposés à l'instauration d'une telle imposition, selon lesquels, en ce domaine, les États ne peuvent agir seuls et ont besoin qu'une initiative internationale soit prise. Notre démarche s'inscrit en effet dans les perspectives dessinées par plusieurs sommets internationaux et évoquées par plusieurs dirigeants européens. En ce sens, elle peut constituer un signal positif : les États et l'Union Européenne ont leurs finalités propres au même titre que les marchés financiers, et seul un équilibre est de nature à établir une régulation et à prévenir les dérives.

J'aimerais à présent évoquer les effets positifs qui pourraient résulter d'une telle taxe. Malgré son caractère limité, elle est de nature à remettre en cause la primauté sans limite des marchés financiers. L'économiste André Orléan a montré combien l'idée selon laquelle le capital est fongible, peut passer sans coût d'un endroit à un autre, d'un actif à un autre, domine désormais. Taxer la finance de marché permettrait aux États d'affirmer qu'elle n'est pas forcément bonne et de montrer qu'ils n'acceptent pas la tyrannie du rendement maximal.

Limiter même modestement ce rendement maximal, c'est rendre possible demain, si les parlements le souhaitent, la mise en place d'une surtaxe spécifique sur les transactions les plus nocives, comme le note judicieusement notre rapporteur.

Promouvoir cette taxe, c'est aussi favoriser ce que les États du G 20 ont appelé des financements innovants en faveur du développement et de la lutte contre la pauvreté.

En faisant ce modeste pas vers plus de régulation et en incitant les acteurs à ne pas tous faire la même chose, la puissance publique favorise la diversité des comportements et on peut logiquement penser qu'en agissant de la sorte, elle favorise également l'économie réelle au détriment de l'économie virtuelle. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Régis Juanico

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le 8 mars 2011, le Parlement européen adoptait un rapport appelant à la création d'une taxe sur les transactions financières. Hier encore, ce même parlement a adopté le rapport de la commission spéciale sur les défis politiques et les ressources budgétaires pour une Union européenne durable après 2013 visant à réitérer cet appel. Malgré l'opposition obtuse, incompréhensible, de la Commission européenne, plusieurs États membres se sont engagés à avancer sur ce thème.

Aujourd'hui, ce sont les partis socialistes européens dans leur ensemble qui portent ce projet que nous défendons en même temps que nos collègues allemands du SPD au Bundestag. La cause progresse et nous sentons bien que c'est le moment ou jamais d'avancer.

Nous proposons une taxe réaliste de 0,05 % portant sur toutes les transactions financières au niveau de l'Union européenne. C'est une mesure salutaire de rééquilibrage sur le plan fiscal alors que le secteur financier est plus faiblement taxé que les autres secteurs, tels les revenus du travail ou le secteur productif.

Nous pouvons le constater chaque jour, deux ans et demi après le début de la crise : les difficultés économiques et sociales frappent durement des millions de personnes dans les vingt-sept États membres de l'Union. Les citoyens européens souffrent des politiques brutales d'austérité d'inspiration libérale qui font des dégâts considérables en matière de cohésion sociale : 7 millions d'Européens ont perdu leur emploi depuis la fin de l'année 2008. La croissance au sein de l'Union européenne en souffre.

Nous avons le devoir d'agir pour sortir de cette impasse, il y va de l'intérêt de l'Europe et de ses habitants : nous devons trouver de nouvelles marges de manoeuvre politiques et financières.

La responsabilité du secteur financier dans la crise n'est plus à démontrer. Citons quelques chiffres pour montrer à quel point ce secteur est aujourd'hui déconnecté des évolutions de l'économie réelle. Le volume des transactions financières a crû cinq fois plus vite que le PIB depuis 1950. Chaque jour, 4 000 milliards de dollars s'échangent sur le marché des changes. Le montant des transactions financières internationales a doublé depuis 2002 ; cette hausse vertigineuse provient en grande partie de la multiplication des prises de positions spéculatives aux fins de profit et ne relève pas à titre principal du financement des activités de production ou des échanges de biens et de services.

Or que s'est-il passé entre 2008 et 2010 ? Les aides en faveur du secteur financier, essentiellement sous forme de garanties, se sont élevées à 4 589 milliards d'euros, soit l'équivalent des PIB de la France et de l'Allemagne réunis. En 2008 et 2009, les aides publiques concrètement versées au secteur financier ont atteint près de 500 milliards d'euros. Dans le même temps, la baisse des recettes fiscales des États a eu pour conséquence directe le creusement des déficits publics, qui conduit toujours plus de pays à subir les attaques spéculatives de ces mêmes marchés financiers. Cette situation totalement ubuesque affaiblit les États et affecte directement les peuples de l'Union.

La création d'une taxe sur les transactions financières répond donc à un double impératif de souveraineté et de justice.

Un impératif de souveraineté d'abord. La taxe appliquée aux transactions financières au sein de l'Union européenne rapporterait 200 milliards d'euros. Nous proposons que ces nouvelles recettes soient affectées aux budgets des États membres pour qu'ils retrouvent les marges de manoeuvre nécessaires à leur indépendance à l'égard des marchés, mais aussi pour qu'ils conduisent des politiques publiques robustes en matière de solidarité, de services publics, d'investissements dans les infrastructures ou les secteurs innovants. Le principe européen de subsidiarité offrira aux États le libre choix de l'affectation des produits de cette taxe, y compris celui de les reverser au budget européen.

Un impératif de justice ensuite. Comment ne pas comprendre les peuples qui manifestent en Espagne, en Grèce et ailleurs quand les mesures d'austérité frappent exclusivement les secteurs productifs ou la protection sociale ? Les services publics et les mécanismes de solidarité sociale sont plus menacés que jamais, bien qu'ils n'aient rien à voir avec la crise financière.

En conclusion, le citoyen européen sera le premier bénéficiaire de l'instauration d'une taxe sur les transactions financières, laquelle aura trois effets vertueux.

D'abord, elle accroîtra la transparence du secteur financier et en garantira la moralisation.

Ensuite, elle exercera un effet dissuasif sur certains mouvements spéculatifs. Elle réduira ainsi considérablement les risques auxquels certains organismes bancaires exposent encore aujourd'hui leurs clients : trop souvent, l'épargne de ces derniers alimente les opérations spéculatives de ces établissements.

Enfin, elle permettra de créer de nouvelles recettes budgétaires pour financer des politiques volontaristes en matière d'industrie, d'emploi et de lutte contre la pauvreté, ainsi que des investissements à long terme dans l'économie réelle. Elle offrira ainsi aux États la possibilité d'innover pour mieux protéger leurs citoyens d'éventuelles futures secousses.

Je vous appelle donc, mes chers collègues, à approuver largement la proposition de résolution présentée par Pierre-Alain Muet au nom de notre groupe.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

La discussion générale est close.

La parole est à M. le rapporteur de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Alain Muet

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je me félicite de l'unanimité qui s'est construite dans cet hémicycle autour de la présente proposition de résolution. J'espère que le Parlement allemand, où elle a été défendue ce matin, ira dans le même sens ; pour l'heure, le texte a été renvoyé en commission afin qu'y soit discuté le montant de la taxe.

Comme l'a rappelé Jean-Marc Ayrault, pour le parti socialiste, c'est une longue histoire : la proposition figurait déjà dans un programme gouvernemental avant 1997 ; elle a débouché sur le vote par le Parlement, en 2000, de la taxe Tobin, qui figure dans notre code des impôts. Ce qui lève votre objection, monsieur le secrétaire d'État, selon laquelle il serait plus facile de progresser vers une taxe sur les transactions de change que vers une taxe générale. En effet, cette dernière ne posera aucun problème à notre pays, puisque le dispositif existe déjà ; il suffira d'en fixer le taux.

Jean-Marc Ayrault a également rappelé que les partis socialistes européens s'étaient engagés en 2009 à déposer devant les parlements nationaux des propositions de loi relatives à la taxation des transactions financières.

Mes collègues de l'UMP, dont le président de la commission des affaires européennes, ont évoqué l'amendement qu'ils ont fait voter en commission et notre abstention. Je regrettais et je continue de regretter que nous n'ayons pu, s'agissant d'un texte consensuel, trouver une formulation permettant de saluer tous les gouvernements qui ont oeuvré pour développer cette taxation.

En effet, je l'ai dit, c'est une longue histoire pour nous ; c'en est également une pour la droite. Mon collègue Michel Diefenbacher a ainsi cité un ancien Premier ministre qui était favorable à la taxe. Noël Mamère a également cité l'initiative du Président Jacques Chirac en matière de financements innovants. Il eût été plus satisfaisant que la formulation adoptée rappelât cette longue histoire.

En outre, si nous nous sommes abstenus, c'est parce que, à nos yeux, le texte de la résolution discutée en France et en Allemagne n'avait pas à rappeler l'histoire de cette idée dans chaque pays, qu'il devait être le plus général possible, pour convaincre la plupart de nos partenaires européens d'adopter la même démarche. Or le texte original avait l'avantage d'être beaucoup plus général. À ce propos, je reviendrai sur un amendement que j'ai déjà présenté devant les deux commissions.

Ce qui importe à nos yeux, c'est que nous progressions dans ce domaine. Le fait que notre Parlement soit unanime sur cette question est incontestablement un atout si nous voulons promouvoir cette idée à l'échelle internationale.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

La parole est à M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État chargé du commerce extérieur.

Debut de section - PermalienPierre Lellouche, secrétaire d'état chargé du commerce extérieur

Monsieur le rapporteur, vous me donnez l'occasion d'une intervention générale, qui n'en sera pas moins très brève. Je souhaite remercier les orateurs qui se sont exprimés ce matin et faire le point sur notre discussion.

Ce texte représente un geste politiquement important, un geste coordonné de deux grandes nations européennes, puisque cette initiative parlementaire fait aujourd'hui l'objet d'un débat au Bundestag comme à l'Assemblée nationale. Dans les deux parlements, l'initiative émane de la gauche, mais elle consacre le travail accompli, au nom de deux gouvernements de droite – permettez-moi de le dire –, par Christine Lagarde, ministre des finances, sous l'égide du Président Sarkozy, d'un côté, et par son homologue M. Schäuble, sous l'égide de Mme Merkel, de l'autre.

Ce que nous avons tous voulu faire, c'est adresser un message unitaire. Car, au-delà de la France et de l'Allemagne, il s'agit de convaincre les autres : nous n'inventerons pas tout seuls une taxe sur les transactions financières à l'heure de la mondialisation, alors que les mouvements de capitaux surviennent en une fraction de seconde grâce aux instruments modernes de communication.

Je note que ce matin, en Allemagne, l'entreprise a connu un succès quelque peu mitigé : vous le savez, le texte a été retoqué par une partie de la majorité de Mme Merkel, qui l'a renvoyé en commission dans des termes qui n'étaient pas toujours très flatteurs quant au sérieux de la proposition.

Telle n'est pas la position du gouvernement français. Nous avons simplement souhaité saluer une initiative pour laquelle nous nous sommes battus, pour laquelle le Président de la République française s'est battu. C'était du reste, me semble-t-il, le sens de l'amendement de M. Lequiller, contre lequel le groupe socialiste s'est élevé en commission.

Debut de section - PermalienPierre Lellouche, secrétaire d'état chargé du commerce extérieur

Je vous en prie, monsieur Emmanuelli, pour une fois, essayez de vous élever au-dessus des querelles politiciennes que vous affectionnez tant ! Quand vous voulez, mais pas ici, pas maintenant !

Nous tentons de donner l'exemple. Nous devons parvenir, nous, Français et Allemands, à lever 400 ou 500 milliards de dollars afin de résoudre les problèmes climatiques et de trouver des sources de financement innovantes destinées aux pays pauvres, le tout parallèlement à la présidence française du G20 et dans le prolongement de la négociation de Doha sur le commerce. On est au coeur du sujet !

De grâce, je le répète, évitons les querelles politiciennes. J'ai cru comprendre que ce matin, de l'autre côté du Rhin, on n'y était que médiocrement parvenu. Il serait bon qu'ici, à l'Assemblée nationale, les Gaulois…

Debut de section - PermalienPierre Lellouche, secrétaire d'état chargé du commerce extérieur

… donnent pour une fois l'exemple, qu'ils se montrent capables de s'unir, donc de rendre hommage au travail les uns des autres !

Je regrette, mais en ce qui concerne les transactions financières, ce gouvernement a fait le travail nécessaire, depuis le début, pendant la présidence française de l'Union, lors de la préparation du sommet de Copenhague et pendant la présidence du G20. Je vous l'assure, monsieur Emmanuelli, mesdames et messieurs les députés de l'opposition, c'est ce que nous essayons de faire tous les jours !

Je remercie le président Ayrault d'avoir indiqué que, malgré les réserves qu'il a exprimées en commission, le groupe socialiste s'orientait vers un vote favorable. C'est également ce qu'a semblé dire M. Caresche ; je m'en réjouis. J'ai cru comprendre que M. Brard et M. Mamère lui-même partageaient leur avis ; tant mieux. Si je ne me trompe, le groupe UMP, monsieur Diefenbacher, fera de même. Je serai donc heureux que ce texte soit voté à l'unanimité.

Quant au fond, vous le savez, en droit européen, l'initiative législative relève exclusivement de la Commission. Or la Commission doit procéder au cours de l'été à une étude d'impact sur ce texte. Nous devons donc éviter de la contourner, ce qui serait contre-productif.

Je souhaite enfin vous fournir plusieurs éléments factuels, en réponse à ce que disait ce matin M. Ayrault de la fiscalité en vigueur ici ou là. Car j'ai bien entendu les arguments de M. Ayrault ce matin, de M. Juanico tout à l'heure, de tous les orateurs de gauche, y compris M. Caresche : « Vous êtes en train de retarder le processus, de noyer le poisson ; ce qu'on veut, nous, c'est un texte tout de suite ! Si l'on n'y arrive pas au sein du G20, faisons-le au sein du G8 ; si l'on n'y arrive pas au sein du G8, faisons-le en Europe, et si ce n'est pas possible en Europe, faisons-le au sein de l'Eurogroupe, voire en France et en Allemagne (Exclamations sur les bancs du groupe SRC), ou même en France seulement ! Du reste, certains le font déjà : il existe déjà des taxes sur les mouvements financiers dans tel ou tel pays. »

En effet, plusieurs pays européens ont instauré une taxe sur les transactions financières, pour des raisons différentes de celles qui nous occupent aujourd'hui. Ainsi le Royaume-Uni, cité ce matin par M. Ayrault, et sa Stamp Duty Reserve Tax, qui consiste à prélever 0,5 % sur l'achat d'actions des sociétés résidentes ou cotées dans le pays. Cette taxe fonctionne comme un droit de timbre ou un droit d'enregistrement prélevé sur certaines transactions.

La Suède a également expérimenté, entre 1985 et 1990, une taxe sur les transactions financières limitée aux actions et obligations échangées en Bourse. La Belgique a instauré quant à elle un Stamp Duty de 0,15 % sur les actions et obligations échangées en Bourse. Enfin, Malte a créé une taxe de 2 % sur certaines valeurs mobilières.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri Emmanuelli

Alors que nous, nous avons supprimé l'impôt de bourse !

Debut de section - PermalienPierre Lellouche, secrétaire d'état chargé du commerce extérieur

Toutes ces taxes ont en commun une assiette étroite ; elles n'affectent ni les produits dérivés, ni les échanges de gré à gré – les OTC.

Bien au contraire, le Stamp Duty en vigueur au Royaume-Uni, limité aux actions, a provoqué la création de produits dérivés sophistiqués, les Contracts for Difference, ou CFD, destinés à contourner la taxe. En outre, la taxe ne pénalise pas les opérations les plus spéculatives, du type du trading à haute fréquence, et ne pèse que sur les investisseurs à moyen et long terme.

Ces taxes ne parviennent donc pas à l'objectif recherché, qui est de lutter contre la spéculation et de donner un coup d'arrêt aux produits complexes et opaques. Par ailleurs, l'étroitesse de leur assiette ne garantit pas un rendement important. Ainsi, la taxe britannique ne rapporte que 4 milliards d'euros, alors que Londres est la plus grande place financière d'Europe.

Pis, l'exemple suédois témoigne des risques que comporte l'instauration d'une taxe dans un seul pays. La création de la taxe suédoise sur les actions et obligations, au milieu des années 80, a ainsi entraîné une réduction de 50 % de l'activité boursière dans le pays, au profit des autres places financières européennes, en particulier de la Bourse de Londres. Voilà pourquoi l'actuel gouvernement suédois est vent debout contre l'initiative franco-allemande : la Suède a fait l'expérience d'un détournement massif vers d'autres pays.

Tels sont les motifs des réserves que j'ai exprimées tout à l'heure, mesdames et messieurs les députés. Oui à la démarche et au geste politique, en parfaite cohérence avec le travail accompli par le gouvernement de la République française et par le gouvernement allemand depuis plusieurs années, ainsi que par la présidence française du G20. Mais attention au contenu. J'ai ainsi émis tout à l'heure une série de réserves sur les modalités de la mesure et sur son impact, qu'étudiera la Commission européenne.

Agissons avec sérieux, et nous ferons progresser le dossier. Il ne s'agit pas de s'abîmer dans un geste idéologique en se faisant plaisir, mais bien d'élaborer un système financier permettant de lever des fonds pour financer Copenhague et l'après-Copenhague, et surtout d'aider les pays les moins avancés, les pays les plus pauvres. Croyez-moi, nous y travaillons de manière parfaitement cohérente au G20 et à l'OMC.

Je vous remercie donc d'avance, mesdames et messieurs les députés de l'opposition et de la majorité, du soutien unanime que vous voudrez bien apporter à ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Debut de section - PermalienPierre Lellouche, secrétaire d'état chargé du commerce extérieur

Monsieur le président, en application de l'article 96 du règlement de l'Assemblée nationale, le Gouvernement demande la réserve des votes sur les articles et amendements de la présente proposition de résolution.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

J'appelle maintenant l'article unique de la proposition de résolution dans le texte de la commission des finances.

Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 4 et 5 .

La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour défendre l'amendement n° 4 .

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Brard

Sans vouloir rouvrir le débat sur la référence au Président de la République, je voudrais plaider pour le respect de la Constitution : je n'en ai pourtant jamais été un adepte forcené, mais elle existe, c'est notre règle commune, et nous devons la respecter.

Et le premier qui devrait la respecter, plus que tout autre, c'est le Président de la République lui-même. En particulier, il ne devrait jamais, comme il le fait régulièrement, violer l'article 5 : le Président préside, il ne gouverne pas. Pour cela, il y a un Gouvernement, sous la présidence – pour le coup – du Premier ministre, et il y a des ministres.

Je dois vous dire, monsieur le secrétaire d'État, que je ne comprends pas les propos que vous avez tenus tout à l'heure. Vous avez vos propres neurones, que diable, vous n'avez pas besoin d'être branché sur le cerveau du Président de la République ! Le Président de la République n'a pas qualité pour vous dire ce que vous avez à faire. Il n'a pas à vous remettre de lettres de mission, ce serait même anticonstitutionnel.

Je propose donc d'en rester à notre loi fondamentale et d'en finir avec l'idolâtrie qui transforme le Palais en une sorte de petit Versailles où les courtisans viennent rendre hommage à Sa Majesté. Cela s'est déjà fait : nous avons eu la monarchie constitutionnelle. Maintenant, on a inventé la monarchie présidentielle, où l'on n'a plus besoin de la Constitution, dont le Président de la République viole chaque jour l'article 5.

Nos collègues socialistes avaient donc tout à fait raison de ne pas confondre le soutien à une démarche avec l'adhésion au Président de la République. Celui-ci n'est là que pour veiller au bon fonctionnement des institutions, et certainement pas pour dire à tout un chacun ce qu'il doit faire, ni pour se mêler de tout, en particulier de ce qui ne le regarde pas.

D'où notre amendement, qui tend à revenir à la rédaction initiale.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l'amendement n° 5 .

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Alain Muet

Cet amendement est identique au précédent.

Monsieur le secrétaire d'État, vous avez cité plusieurs taxes, dont la Stamp Duty britannique, qui se trouve être la plus vieille taxe du monde : mise en place en même temps que la Banque d'Angleterre, elle a survécu jusqu'à aujourd'hui. Si l'on ne taxe qu'une partie des transactions, vous avez raison de le dire, il y a bien sûr un effet d'éviction. C'est notamment le cas aujourd'hui avec les produits dérivés. Notre proposition est donc – et toutes les réflexions à ce sujet vont, je crois, dans le même sens – de taxer toutes les transactions, sans en oublier aucune.

On pourrait même faire mieux, en taxant encore plus fortement les transactions qui cherchent à échapper à la régulation. Bien sûr, c'est un peu compliqué à réaliser, mais c'est une réflexion qui mérite d'être menée.

Debut de section - PermalienPierre Lellouche, secrétaire d'état chargé du commerce extérieur

C'est très compliqué.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Alain Muet

D'autre part, si un groupe de pays suffisamment important s'engage dans la taxation, alors l'effet d'éviction qui peut se produire pour un petit pays – vous avez cité la Suède – sera beaucoup plus faible. Il sera d'ailleurs d'autant plus faible que les transactions qui échappent à la taxation sont des transactions inefficaces : ce sont les transactions les plus fréquentes, les plus spéculatives.

Paradoxalement, la taxation dans un groupe de pays pourrait donc, selon certains économistes, assainir la finance dans ces pays et chasser des transactions indésirables.

Je ne dis pas, bien sûr, que c'est facile à réaliser ; mais je dis qu'il faut avoir en tête que, si un groupe de pays s'engagent, cela peut permettre d'avancer sans effets dommageables pour eux – surtout si la France et l'Allemagne sont les moteurs de ce groupe.

Quant à l'amendement, il propose de revenir au texte initial de la résolution. Nous avions cherché à écrire une résolution aussi générale que possible, et qui fasse le moins de références possibles aux initiatives prises en France ou en Allemagne : elle ne mentionnait nulle part les actions menées par nos deux pays.

On pourrait, bien sûr, faire référence à l'ensemble des actions qui ont été menées en ce domaine. Après le débat que nous avons eu, je pense qu'il serait bon de saluer l'action de tous les gouvernements français qui ont oeuvré à la création d'une telle taxe depuis près d'une quinzaine d'années : ce sera l'amendement suivant.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Lequiller

Mes chers collègues, en tant que président de la commission des affaires européennes – ceux de ses membres ici présents pourront en témoigner -, je crois avoir toujours essayé de trouver des consensus, des compromis. De plus, comme le soulignait tout à l'heure M. le secrétaire d'État, il est important que l'Assemblée nationale dans son ensemble soutienne cette idée de taxe : à l'évidence, on est beaucoup plus fort sur la scène européenne comme sur la scène du G20 quand on est uni. C'est bien pourquoi, sur les textes que nous présentons, nous nous efforçons de trouver des solutions communes.

Je voudrais que l'on nous fasse crédit du fait qu'en l'occurrence nous avons trouvé cette solution commune. L'exposé sommaire de l'amendement de M. Brard montre que le vote d'un amendement en commission n'était pas superflu : la phrase selon laquelle « les auteurs de l'amendement estiment qu'il ne peut être mis au crédit du Président de la République une quelconque volonté de taxer les transactions financières » est évidemment contraire à la réalité !

En effet, le Président de la République comme la Chancelière allemande défendent en permanence cette taxe, dans le cadre de l'Union européenne comme dans celui du G20. Dans son discours de lancement de la présidence française du G20, le Président de la République en avait défendu le principe. Les ministres des finances français et allemand, Christine Lagarde et Wolfgang Schäuble, ont cosigné une lettre à la présidence belge de l'Union pour la défendre. Lors du sommet extraordinaire de l'Eurogroupe qui a eu lieu le 12 mars dernier, la France et l'Allemagne sont parvenues à convaincre les quinze autres États membres de la zone euro de sa pertinence. J'ajoute enfin que son principe a été voté à une très large majorité par le Parlement européen au mois d'octobre 2010, puis au mois de mars dernier.

Nous avons donc proposé cet amendement, qui nous a permis d'arriver à une position commune : notre accord ne saurait être que bon pour la France, pour l'Europe, pour le G20. Voilà la raison pour laquelle cet amendement a été voté par la majorité en commission des affaires européennes. Pour rappeler la vérité historique, au groupe socialiste, vous avez alors voté contre. Cet amendement a également été adopté par la majorité de la commission des finances, où vous vous êtes abstenus.

Mais là, je crois, n'est pas l'important. L'important, c'est que l'Assemblée nationale unie vote un texte que la France et l'Allemagne pourront défendre avec vigueur dans les instances internationales.

Debut de section - PermalienPierre Lellouche, secrétaire d'état chargé du commerce extérieur

Monsieur Brard, je vous porte, vous le savez, une grande estime.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Brard

C'est tout à fait réciproque, c'est pour cela que je pense que vous devriez utiliser vos neurones et ne pas rester branché ! (Sourires.)

Debut de section - PermalienPierre Lellouche, secrétaire d'état chargé du commerce extérieur

Monsieur Brard, vous connaissez notre Constitution. Ne faites pas mine de confondre l'Assemblée nationale et le conseil municipal de Montreuil. Le Président de la République ne s'appelle pas Voynet ! (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

De grâce, laissez-moi penser que nous avons un gouvernement qui travaille, et qu'il peut arriver à des ministres de la République de partager l'action diplomatique du Président de la République ! Nous travaillons ensemble, au G20, à l'OMC, et nous défendons les mêmes idées – ces idées sont d'ailleurs, me semble-t-il, largement partagées sur tous les bancs.

J'ai entendu vos taquineries, et je les mets de côté.

Pierre Lequiller a rappelé à bon escient les raisons du vote de son amendement en commission. Le Gouvernement est donc défavorable aux amendements de MM. Brard et Muet qui tendent à rétablir le texte initial.

Monsieur Muet, je ne reviens pas sur les explications que j'ai données tout à l'heure ; je veux simplement rappeler que, dans l'Union européenne, l'initiative législative appartient à la Commission. Le travail d'évaluation sera mené cet été. Nous cherchons effectivement à éviter des phénomènes d'éviction et de contournement : nous essayons donc d'aboutir à un texte commun. Si l'Union européenne dans son ensemble peut disposer d'un texte efficace, il pèsera nécessairement sur les autres places financières.

Si nous n'y arrivons pas, il faudra travailler différemment et par segments. Mais il faut, je crois, sur un sujet aussi grave, travailler au niveau européen, en essayant de rassembler au maximum – j'insiste sur ce point auprès de la représentation nationale. Comme vous le savez, nous avons du mal à convaincre les États-Unis, et notamment le Congrès américain, s'agissant des questions financières, monétaires et commerciales ; nous avons aussi des problèmes de pédagogie avec d'autres grands pôles : le banquier de la planète, le pays qui aujourd'hui dispose des réserves financières les plus importantes, aujourd'hui, c'est la Chine ! Vous ne pouvez donc pas, monsieur Emmanuelli, construire un système de taxation des transactions financières, ou réformer le système monétaire international, sans la participation des grands pays émergents.

Debut de section - PermalienPierre Lellouche, secrétaire d'état chargé du commerce extérieur

Cela ne veut pas dire repousser les choses aux calendes grecques !

Debut de section - PermalienPierre Lellouche, secrétaire d'état chargé du commerce extérieur

Non, cela n'y ressemble pas ! J'essaye de dire que, si nous voulons trouver une solution aux grands problèmes du monde, il faudra que les anciennes grandes puissances et les nouvelles trouvent un terrain d'entente. C'est tout l'objet du G20 français que de mener ce travail de pédagogie sur le système monétaire international, sur le cours des matières premières, sur le commerce après Doha. Nous avons tout un travail à faire, et il ne suffit pas d'adopter, dans un seul pays, une proposition de loi pour qu'elle devienne la loi de la scène internationale.

Vous le savez bien, d'ailleurs, car vous représentez un parti de gouvernement. Ce que je dis là ne devrait donc pas vous surprendre.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri Emmanuelli

Monsieur le secrétaire d'État, je ne souhaite pas polémiquer inutilement sur un sujet secondaire dans un débat sur une résolution qui porte, elle, sur un sujet majeur. Mais lorsque vous me demandez de ne pas rabaisser le débat, je vous réponds que ce n'est pas nous qui avons eu l'idée d'ajouter à cette résolution un amendement dithyrambique à la gloire du Président de la République. C'est ce que je me suis contenté de vous rappeler : n'inversez donc pas les rôles !

Dans son plaidoyer, M. Lequiller a eu l'honnêteté de reconnaître que nous avions voté contre son amendement en commission des affaires européennes mais que nous nous sommes ensuite abstenus en commission des finances. Nous avons en effet considéré que, compte tenu de l'ampleur du sujet, ce genre de petit amendement secondaire et pusillanime ne méritait pas un rejet. Mais cela ne vous autorise nullement à inverser les rôles et à dire que c'est nous qui sommes politiciens.

Comme M. Brard, je pense que si, dans cette République, on pouvait concevoir de parler de sujets politiques sans une référence obligatoire, automatique, systématique, irrépressible, au Président de la République, on aurait l'impression d'avoir un peu plus d'oxygène.

Cela étant, je dois dire qu'à votre différence, nous ne sommes pas nommés par le Président de la République.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Brard

Les ministres sont nommés par le Président de la République, mais sur proposition du Premier ministre, en principe…

(Le vote sur les amendements identiques nos 4 et 5 est réservé.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Je suis saisi d'un amendement n° 6 .

La parole est à M. le rapporteur.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Alain Muet

Cet amendement revient également, monsieur le président de la commission des affaires européennes, sur cet ajout, ce complément que vous avez fait adopter. Je précise d'ailleurs que nous avons voté contre votre amendement en commission des affaires européennes comme en commission des finances ; c'est sur l'ensemble du texte que nous nous sommes abstenus.

Je me souviens d'ailleurs que, dans votre empressement à saluer l'action du Président de la République, vous aviez complètement oublié la Chancelière allemande. C'est mon collègue Michel Delebarre qui vous a suggéré de rajouter son nom !

Il aurait été plus juste, et c'est ce que propose mon amendement, de rappeler qu'il existe aujourd'hui, dans notre code général des impôts, une taxation des transactions en devises, adoptée par notre assemblée dans le projet de loi de finances pour 2002, avec un taux zéro qui sera modifié le jour où d'autres pays nous suivront. Il aurait également été juste vis-à-vis de l'action des gouvernements et des Présidents de la République successifs, de rappeler la démarche engagée depuis 2001, date du premier vote dans notre assemblée d'une taxe sur les transactions financières, par les gouvernements français successifs et défendue conjointement avec le Gouvernement fédéral allemand au sein des institutions européennes et du G 20.

Inscrire ces deux considérants rendrait cette résolution vraiment cohérente avec la volonté d'unanimité qui ressort de nos débats. Et je pense naturellement que vous allez voter cet amendement.

Debut de section - PermalienPierre Lellouche, secrétaire d'état chargé du commerce extérieur

L'amendement n° 6 vise à compléter les visas de la version initiale de la proposition de résolution en ajoutant une référence à l'article 235 ter ZD du code général des impôts, introduit par la loi de finances pour 2002, qui prévoit une taxation des transactions sur devises dont l'entrée en vigueur est conditionnée à un accord international plus large sur la taxation des transactions. Cette référence ne me semble pas pertinente dans le cadre de la présente proposition de résolution, qui s'inscrit dans une démarche européenne visant à la mise en place d'une taxe sur l'ensemble des transactions financières avec pour objectif de dégager des financements supplémentaires pour la lutte contre la pauvreté et le changement climatique.

La démarche à l'origine de l'article 235 ter ZD du code général des impôts était en effet toute différente. D'une part, elle visait à instaurer une taxe sur les seules transactions sur devises, de type taxe Tobin, visant uniquement à lutter contre les mouvements de capitaux spéculatifs. D'autre part, elle s'inscrivait dans le cadre d'une initiative purement nationale. Ce n'est pas le cas de la démarche d'aujourd'hui.

Par conséquent, je ne suis pas favorable à cet amendement.

(Le vote sur l'amendement n° 6 est réservé.)

(Le vote sur l'article unique est réservé.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Nous avons achevé l'examen de l'article unique de la proposition de résolution.

Debut de section - PermalienPierre Lellouche, secrétaire d'état chargé du commerce extérieur

En application de l'article 44, alinéa 3, de la Constitution, le Gouvernement demande à l'Assemblée de se prononcer par un seul vote sur l'article unique de la proposition de résolution, à l'exclusion de tout amendement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Ce vote aura lieu ultérieurement. Je rappelle en effet que la Conférence des présidents a décidé que les explications de vote et le vote par scrutin public sur l'article unique de la proposition de résolution auraient lieu le mardi 14 juin, après les questions au Gouvernement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Yves Durand et plusieurs de ses collègues visant à lutter contre le décrochage scolaire (nos 3218, 3458).

La parole est à M. Yves Durand, rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l'éducation.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Durand

Monsieur le président, monsieur le ministre de l'éducation nationale, mes chers collègues, le décrochage scolaire n'est pas un phénomène nouveau mais, depuis quelques années, il est devenu le problème majeur de notre système éducatif. C'est ce qui justifie, à nos yeux, la présente proposition de loi.

Christian Forestier, président du Haut conseil de l'éducation, le notait il y a quelques mois : l'école marche bien pour les bons élèves et laisse de côté les décrocheurs. Ce sont ces 150 000 à 180 000 jeunes qui sortent du système éducatif sans diplôme ni qualification.

Les conséquences en sont insupportables pour une société qui se veut une société de la connaissance. Sur le plan économique, d'abord, nous n'avons jamais pris le soin d'évaluer le coût de l'échec et du décrochage scolaires. Sur le plan social, ensuite, l'échec et le décrochage scolaires sont à l'origine du creusement d'inégalités insupportables. Les récentes enquêtes, tant internationales que nationales, démontrent qu'il y a une corrélation entre inégalités sociales et inégalités scolaires, et celles-ci se creusent. Enfin, les conséquences se font ressentir sur le plan de la citoyenneté : alors que l'école de la République est le creuset où le citoyen se forme, les 150 000 élèves décrocheurs se trouvent du même coup exclus de la citoyenneté.

La situation va s'aggravant et montre que les politiques menées pour la combattre sont un échec. C'est l'échec de ce que j'appelle le mille-feuille de dispositifs devenus totalement illisibles, qui prétendent lutter contre le décrochage scolaire.

Pour autant, le décrochage et l'échec scolaires ne sont pas une fatalité. On ne naît pas décrocheur, on le devient pour des causes et sous des formes multiples. Le décrochage scolaire ne se réduit pas à l'absentéisme scolaire, qui n'en est qu'un symptôme. Penser apporter une réponse au décrochage scolaire par la simple lutte contre l'absentéisme, comme a proposé de le faire notre collègue Éric Ciotti dans une proposition de loi, est une aberration, une erreur, une illusion ! Il faut prendre les problèmes beaucoup plus en amont, considérer l'ensemble des causes du décrochage scolaire et y apporter des réponses nouvelles, individualisées et concentrées sur un objectif qui doit devenir prioritaire.

Quels sont les principes fondamentaux de notre proposition de loi ?

D'abord, prendre les problèmes en amont : prévenir vaut mieux que réparer. Lorsque le jeune a décroché, il est déjà trop tard. Il est nécessaire de détecter au plus tôt, dès la petite enfance, les prémices du décrochage que sont les difficultés psychologiques, linguistiques, sociales, affectives parfois. C'est une mission qui doit être remplie par un véritable service public de la petite enfance, que nous demandons et dont le pilier central serait l'école maternelle. Or, trop souvent, celle-ci joue dans vos budgets, monsieur le ministre, ce que l'administration de l'éducation nationale appelle pudiquement le rôle de variable d'ajustement. Voilà pourquoi nous demandons la scolarisation obligatoire dès trois ans.

Ensuite, prévoir un accompagnement personnalisé, individualisé : c'est à l'école de prendre un enfant en difficulté par la main. C'est pourquoi nous demandons la création de cellules de veille éducative dans chacun des établissements, de façon à mettre en place un suivi individuel, ainsi que l'extension des RASED, aujourd'hui mis en cause quand ils existent. Non seulement nous voulons en quelque sorte les sanctuariser, mais nous souhaitons les étendre jusqu'au collège, dans le cadre d'une continuité éducative de trois ans jusqu'à seize ans, pendant toute la durée de la scolarisation obligatoire.

Nous proposons d'instaurer un tutorat, pas seulement médiatique, mais constituant un véritable accompagnement de l'élève par un adulte, pas forcément enseignant. Ce tutorat se pratiquerait au sein même de l'école et pendant le temps scolaire. Nous avons condamné, et nous le faisons également dans la proposition de loi, tous les dispositifs, en particulier les fameuses deux heures dont vous vous glorifiez, monsieur le ministre, consistant à rajouter au temps scolaire. C'est à l'école et dans le temps scolaire qu'il faut apporter les remèdes à l'échec scolaire. L'institution scolaire doit être son propre recours.

Le troisième principe, peut-être le plus important pour nous, est de rétablir la confiance entre l'école et les parents. L'espèce de « guerre civile » que, selon le chercheur pédagogue – mot que vous n'aimez pas beaucoup sur certains bancs – Philippe Meirieu, se livrent l'école et les parents est intolérable. Il faut rétablir la confiance entre l'école, les parents et la nation.

Pour cela, il faut commencer par ne pas stigmatiser les parents en difficulté, ne pas faire de l'échec de leur enfant leur échec en les punissant par la suspension des allocations familiales. Ce faisant, on ne fait qu'accroître leurs difficultés. Ils doivent, au contraire, être reçus dans l'école, y être accueillis pour entendre autre chose que des remontrances sur leur enfant qui travaille mal, est absent ou chahute.

Dernier principe, combler le fossé qui se creuse entre la culture scolaire et la culture de la rue. Nous n'avons plus le mythe de l'école de Jules Ferry, qui d'ailleurs n'a jamais existé, chacun le sait. La société a changé, le public scolaire a changé ; l'école doit changer et répondre à cette extraordinaire hétérogénéité des élèves qu'elle reçoit. Grâce à l'éducation nationale, nous avons réussi à faire une école de masse, à accueillir tous les enfants de la République d'où qu'ils viennent. Avons-nous réussi à leur donner les mêmes chances de réussite d'où qu'ils viennent ? Non. Ce sera l'enjeu des prochaines années de transformer la massification en démocratisation pour que chacun ait la même chance.

Pour cela, on ne saurait se contenter de discours ni de bricolage d'un système aujourd'hui à bout de souffle malgré l'implication extraordinaire des enseignants, malgré le travail considérable qu'ils effectuent, quoi qu'on en dise. Au fond, il faut redonner du sens à l'effort demandé aux élèves.

Monsieur le ministre, nous ne sommes pas plus laxistes que vous.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Durand

Nous sommes pour l'école de la République : celle du respect, de la culture, du savoir, de la discipline, celle qui dit à un enfant qu'apprendre est difficile, que cela ne vient pas tout seul ni en jouant. Mais pour que cet effort soit consenti, encore faut-il qu'il prenne un sens. Donner un sens au savoir, redonner ce que nous avons appelé, dans un colloque récent organisé par notre groupe et auquel beaucoup d'enseignants et de parents d'élèves ont participé, le désir de l'école et du savoir, c'est là, sans doute, le premier remède au décrochage scolaire, qui aboutit à l'échec de trop d'enfants, de trop de jeunes. Ce désir, il faut le faire partager par tous et c'est peut-être la philosophie générale de cette proposition de loi et son principe le plus important.

Pour terminer, j'évoquerai la tonalité des débats qui ont eu lieu en commission, dont je suis au regret d'indiquer qu'elle a donné un avis défavorable à cette proposition de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Durand

Après que nos collègues de la majorité nous eurent dit qu'il y avait là de bonnes idées, que nous étions à la fois généreux et opiniâtres, nous félicitant presque, ils ont voté contre. Je ne sais pas pourquoi.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Durand

Ils l'expliqueront peut-être par une réaction idéologique. Je le regrette profondément parce que notre souhait, à travers cette proposition de loi, je voudrais que chacun ici en soit persuadé, c'est de rétablir profondément et durablement un véritable pacte éducatif entre l'école et les Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et GDR.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

La parole est à Mme Michèle Tabarot, présidente de la commission des affaires culturelles et de l'éducation.

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle Tabarot

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collèges, notre hémicycle débat aujourd'hui d'un sujet essentiel en France comme en Europe, qui concerne l'éducation et la réussite scolaire de nos élèves et sur lequel nous avons eu des échanges de grande qualité en commission lors de l'examen de cette proposition de loi relative au décrochage scolaire.

Le taux de décrochage est d'environ 14 % aujourd'hui dans l'Union européenne et pourrait être ramené en dessous de 10 %. La commission préconise, pour atteindre cet objectif, de prévoir des programmes qui associent prévention, intervention et remédiation.

La France réalise des efforts importants en ce sens en s'appuyant d'abord sur une meilleure connaissance du phénomène du décrochage scolaire. Ainsi, le nouveau système d'information mis en place par vos services, monsieur le ministre, nous permet d'avoir des données plus fiables afin de mettre en oeuvre des réponses adaptées et individualisées. Cette individualisation est d'ailleurs le coeur de l'action contre le décrochage scolaire.

L'aide personnalisée, les stages de remise à niveau en CM1 et CM2, l'aide au travail en sixième, l'accompagnement éducatif après les cours sont autant de solutions proposées pour soutenir les élèves dans leur scolarité.

Je veux aussi saluer le travail réalisé par notre mission d'information sur les rythmes scolaires. Nos rapporteurs, Xavier Breton et Yves Durand, ont rappelé, à très juste titre, que l'organisation actuelle du temps scolaire pouvait expliquer, au moins pour partie, le décrochage de certains élèves et qu'une nouvelle organisation, centrée sur l'intérêt de l'enfant, doit permettre d'améliorer la situation.

Le texte que nous examinons aujourd'hui nous invite à un constat que je pense largement partagé.

J'estime pour ma part que le Gouvernement et l'initiative parlementaire ont apporté des réponses adaptées et que la réflexion doit se poursuivre utilement pour tendre vers l'objectif de la réussite de tous les élèves.

Notre commission a rejeté la proposition de loi du groupe SRC. Nous estimons qu'il faut se laisser du temps pour permettre une mise en oeuvre optimale des différentes mesures adoptées afin qu'elles puissent avoir tout leur impact.

Ainsi, pourquoi vouloir abroger la loi visant à prévenir l'absentéisme scolaire, alors que les outils de prévention, notamment les contrats de responsabilité parentale, permettent précisément de détecter les décrochages en puissance ? Je rappelle qu'en trois mois cette loi a permis d'aider 7 000 élèves, qui ont ainsi repris le cours de leur scolarité.

Je suis convaincue que le débat d'aujourd'hui est intéressant à bien des égards. Il pose notamment la question de la scolarisation avant l'âge de six ans, qui est essentielle. Nous avons d'ailleurs pris la décision, lorsque notre mission d'information sur la formation des enseignants présidée par Jacques Grosperrin aura achevé ses travaux, d'installer une nouvelle mission d'information sur la scolarisation des très jeunes enfants.

Je souhaite que nous puissions ainsi poursuivre la réflexion utile sur l'éducation que nous avons engagée depuis la création de notre commission, en conservant l'esprit qui nous a animés jusqu'alors. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

La parole est à M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative.

Debut de section - PermalienLuc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative

Monsieur le rapporteur, la lutte contre le décrochage scolaire est absolument capitale. Nous nous rejoignons sur nombre d'orientations générales que vous avez définies dans votre propos liminaire. J'ai le sentiment que nous sommes souvent d'accord sur le constat, sur l'analyse. En revanche, nos divergences sont fortes sur les réponses à apporter.

Le rôle de l'école, c'est d'abord d'instruire, de transmettre le savoir. C'est ensuite d'éduquer des citoyens, de les préparer à être des personnes éclairées, à exercer librement leur autonomie tout au long de leur vie.

Mais il est une mission de l'école qui, plus que jamais, prend une part importante, c'est celle de l'insertion professionnelle. Un débat a longtemps opposé ceux qui considéraient que l'école était là pour transmettre et ceux qui, au contraire, pensaient qu'elle était le passage nécessaire à la vie professionnelle, à l'insertion dans la société. Aujourd'hui, un consensus s'est dégagé sur le fait que ces deux missions n'ont pas à s'opposer et que l'on peut à la fois instruire, éduquer et préparer à la vie professionnelle. À l'heure de l'économie de la connaissance, de la société du savoir, il est essentiel d'élever le niveau des connaissances pour faire en sorte que nos jeunes concitoyens puissent s'insérer professionnellement.

Aujourd'hui, on le voit avec la revalorisation du niveau d'exigence des entreprises mais aussi de tous les acteurs qu'ils soient publics ou privés, le diplôme constitue en quelque sorte le droit à l'insertion et parfois l'arme anti-crise. Une étude du Céreq sur les jeunes face à la crise de 2008-2009 montre très clairement que ce sont les jeunes sans qualification qui souffrent de cette crise, le diplôme devenant effectivement l'arme anti-crise. Aujourd'hui, le chômage chez les jeunes diplômés de moins de vingt-cinq ans est trois fois moins élevé que chez ceux qui sont sortis du système éducatif sans qualification. On le voit, l'insertion professionnelle est une priorité que nous devons fixer à l'école.

C'est la raison pour laquelle, le 29 septembre 2009, lorsqu'il a présenté le plan « Agir pour la jeunesse », le Président de la République a demandé au Gouvernement de faire de la lutte contre le décrochage scolaire une priorité nationale. L'éducation nationale est évidemment en première ligne dans cette bataille. Elle y est pleinement engagée. Je souhaite rappeler l'ensemble des actions que nous menons à cet égard.

Monsieur le rapporteur, à mon sens, il ne faut pas opposer prévention et réparation. Nous pensons qu'il importe de mener une politique globale de personnalisation tout au long de la scolarité. La meilleure réponse au décrochage scolaire, c'est d'abord de faire en sorte que chaque élève quitte le système éducatif en ayant trouvé sa voie et en passant un diplôme. Cela ne peut être obtenu que grâce à une personnalisation des méthodes d'enseignement. C'est la politique que nous avons engagée depuis quelques années, de l'école maternelle jusqu'au baccalauréat. Les deux heures d'aide personnalisée qui existent dans le primaire ont bien lieu pendant le temps scolaire. Il s'agit d'un accompagnement spécifique des élèves, d'un soutien scolaire, de préparer les élèves à des examens. Bref, c'est un temps où la différenciation s'opère, où l'enseignant s'adapte à l'hétérogénéité, à la diversité de sa classe.

Je pense aussi aux stages de remise à niveau que nous avons créés pendant les vacances scolaires et qui permettent à des élèves de rattraper leur retard et d'acquérir des compétences qu'ils n'avaient pas pu s'approprier durant leur scolarité.

Je pense encore à l'accompagnement éducatif au collège, qui permet d'accueillir plus d'un million de collégiens tous les soirs après seize heures et de leur proposer d'effectuer leurs devoirs au sein du système éducatif.

À l'article 1er, vous présentez en réponse à ce constat une mesure dont, je vous le dis très sincèrement, je me sens assez proche de l'esprit. Vous proposez de rendre la scolarité obligatoire dès l'âge de trois ans. Même si, dans les faits, nous scolarisons près de 100 % des élèves de trois à six ans, je serais prêt à vous rejoindre pour deux raisons essentielles.

Premièrement, je considère que la maternelle est une vraie école.

Debut de section - PermalienLuc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative

C'est le lieu où nos enfants apprennent la socialisation, les règles fondamentales du vivre-ensemble, et surtout le langage. Les grands spécialistes du langage expliquent que tout se joue à l'entrée en cours préparatoire. Un enfant qui maîtrise 150 mots aura beaucoup plus de difficultés à décrypter, à comprendre, donc à lire quand il entrera au cours préparatoire qu'un enfant qui en maîtrise 600 à 800 parce qu'il est issu d'une famille dans laquelle la conversation tient une place importante. Il est donc très important que la maternelle soit perçue comme une véritable école.

Deuxièmement, je vois tous les avantages à ce que l'obligation d'assiduité s'applique aussi à la maternelle. Trop de parents aujourd'hui n'ont pas suffisamment pris en compte l'importance de l'assiduité de leurs enfants en maternelle et le rôle fondamental des professeurs des écoles à la maternelle. Ce sont souvent les enfants issus de milieux défavorisés qui en souffrent. Rendre la présence de l'enfant obligatoire en maternelle me paraît donc une idée intéressante.

Toutefois, cette mesure est tellement forte qu'elle doit être prise en concertation avec l'ensemble des acteurs du système éducatif. Je pense en particulier aux collectivités territoriales dont on connaît l'importance des investissements en matière d'éducation. Telle qu'elle est rédigée, cette disposition entraînerait une augmentation considérable des charges qui pèsent sur les communes. Je pense que c'est un sujet que nous devons aborder en amont avec l'Association des maires de France et les différentes collectivités territoriales. Mais, je vous le répète, nous pourrions nous retrouver sur le principe.

La personnalisation des enseignements, c'est encore la diversification des voies d'excellence. Nous avons voulu redonner toutes leurs lettres de noblesse aux voies professionnelles et technologiques en revalorisant des séries, notamment la série L, dans le cadre de la réforme du lycée, mais aussi en mettant en place le bac pro en trois ans, qui permet de mettre sur un pied d'égalité formation professionnelle et formation générale.

À cette prévention, je veux intégrer le suivi permanent de la scolarité par la mobilisation de tous nos personnels, qui sont là pour détecter les signes avant-coureurs du décrochage – ils agissent pour repérer, détecter des difficultés chez tel ou tel élève – mais aussi par le développement d'une application informatique dédiée que nous avons déployée dans tous les établissements scolaires.

Ce suivi, c'est assurément l'affaire de l'école, mais nous ne devons pas oublier le devoir des parents qui restent les premiers éducateurs de leurs enfants.

Je rappelle d'ailleurs que l'assiduité de son enfant à l'école constitue légitimement une obligation, parce qu'elle est la condition première de la réussite et de l'insertion. Dans les lois de 1882, ce socle éducatif républicain que nous avons en partage, l'assiduité figure au même titre que la gratuité et l'obligation de la scolarité.

Avec la loi visant à lutter contre l'absentéisme scolaire, dite loi Ciotti, nous disposons désormais d'un dispositif efficace, proportionné et préventif. Préventif parce que ce dispositif est avant tout dissuasif, donc destiné à responsabiliser les parents. Proportionné parce que chacune des étapes du dispositif a été conçue pour tendre la main aux familles, pour renouer le dialogue avec elles en incluant des moments d'alerte, de remédiation et de rencontre. Efficace, car les premiers effets de cette loi sont d'ores et déjà sensibles et je continuerai à les suivre attentivement grâce aux données précises remontant des académies.

Les chiffres sont là, incontestables, attestant que le dispositif fonctionne puisqu'il remplit sa première mission : celle de ramener les élèves à l'école. Depuis le 24 janvier dernier, on dénombre, sur l'ensemble des académies, 27 917 premiers avertissements adressés aux familles par les inspecteurs d'académie, directeurs départementaux de l'éducation nationale. À la suite de ces 27 917 signalements, l'immense majorité des élèves est retournée à l'école puisque nous n'avons dû opérer qu'auprès de 6 280 d'entre eux un deuxième signalement, celui-ci n'ayant lui-même fait l'objet que de 51 suspensions effectives d'allocations familiales dans l'ensemble des départements.

Vous pouvez ainsi constater que ce dispositif est dissuasif, préventif et proportionné : sur la base de 27 917 élèves absents identifiés et signalés aux parents, la progressivité de nos réponses a permis le retour à l'école de la plupart d'entre eux et les allocations familiales de 51 familles seulement ont été suspendues.

Ces chiffres, monsieur le rapporteur, sont édifiants…

Debut de section - PermalienLuc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative

…et ils répondent aux critiques que vous avez pu émettre au moment de la discussion de la loi Ciotti.

Vous proposez des mesures en matière de sanction des élèves perturbateurs. Je regrette que vous n'ayez pas suivi le travail considérable mené par le conseil scientifique des états généraux de la sécurité à l'école, présidé par Éric Debarbieux, et que vous n'ayez pas retenu les propositions formulées par Alain Bauer à qui j'avais confié une mission à ce sujet.

Debut de section - PermalienLuc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative

À la suite de ces préconisations, j'ai décidé de remettre la règle au coeur de l'école, de limiter à moins de huit jours la durée des exclusions temporaires et de réduire le nombre des exclusions définitives en créant une mesure de responsabilisation, prenant la forme d'activités d'intérêt général. Je viens de signer deux décrets à cet effet et cette réforme entrera en application dès la rentrée 2011.

Debut de section - PermalienPhoto de François Pupponi

Et le maintien des exclus dans l'établissement ?

Debut de section - PermalienLuc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative

La « mallette des parents » constitue un autre exemple de notre volonté de responsabiliser les parents. Nous avons décidé de l'étendre à 1 300 collèges à partir de la prochaine rentrée.

Je me trouvais hier soir à Goussainville en compagnie du ministre de l'intérieur, Claude Guéant, pour assister à ce qu'on appelle une classe de l'école des parents, où sont dispensés des cours de français en faveur des pères et mères de famille, en grande partie issus de l'immigration. Il s'agit également de mieux leur faire comprendre notre système éducatif afin qu'ils puissent mieux suivre la scolarité de leurs enfants et soient mieux associés à l'organisation scolaire. Claude Guéant a annoncé hier le triplement du nombre d'établissements – ils passeront à 750 – devant bénéficier de ce dispositif de prévention du décrochage scolaire.

L'inadéquation de l'orientation est une autre source de décrochage, qui mène au découragement. Trop longtemps, le système éducatif a privilégié une orientation subie plutôt que choisie, une orientation-couperet qui imposait, à quatorze ans, de décider pour toujours de son métier. Je conteste ce système et nous venons de le revoir en profondeur avec la mise en place d'une orientation plus progressive au lycée évitant ce couperet à l'âge de quatorze ou quinze ans grâce à la mise en place de passerelles entre les différentes séries, entre les différentes filières, qui doivent permettre aux élèves de trouver leur voie, donc leur épanouissement, et ainsi faciliter leur insertion professionnelle.

À ce travail sur l'orientation, nous associons un effort important visant à mieux articuler formation et insertion professionnelle, notamment avec le parcours de découverte des métiers et des formations, que nous avons généralisé à la rentrée 2009 à destination de tous les élèves de la cinquième jusqu'à la terminale.

Pour lutter contre le décrochage scolaire, monsieur le rapporteur, il convient en effet d'agir d'abord en amont ; mais, à cette action préventive, nous avons associé une action en aval visant à permettre aux élèves qui ont déjà décroché de reprendre leur parcours, de se réinsérer.

Pour cela, il nous a fallu travailler collectivement pour consolider et partager notre système d'information. En effet, cela peut paraître surprenant, mais le ministre de l'éducation nationale ne connaissait pas jusqu'à présent le nombre précis d'élèves sortis chaque année du système éducatif sans qualification et sans diplôme. Nous avons par conséquent mis en place un système interministériel d'échange d'informations, déployé sur toute la France, qui permet de connecter les réseaux de l'éducation nationale, de l'enseignement agricole, des centres de formation d'apprentis, de Pôle emploi, des missions locales. Ainsi disposons-nous désormais du chiffre général des jeunes concernés par le décrochage scolaire.

Entre juin 2010 et mars 2011, quelque 250 000 jeunes ont été touchés par le fléau du décrochage, dont 72 000 sont suivis par les missions locales, les 180 000 élèves restants ayant quitté le système scolaire sans diplôme et sans information sur leur situation – des jeunes que nous avions perdus de vue. Le travail que nous avons engagé permet dorénavant de les connaître, donc de les contacter et de traiter leur cas individuellement.

Debut de section - PermalienLuc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative

J'y viens.

Ce dispositif est sans doute la clé qui nous manquait. Le recensement précis était la condition première d'un suivi et d'une prise en charge des décrocheurs. Nous avons expérimenté depuis deux ans dans une vingtaine de bassins de vie 400 plates-formes locales d'appui et de suivi scolaire et nous allons les généraliser à la rentrée prochaine, sous l'autorité des préfets et en relation avec les autorités académiques. Un tel dispositif permet d'apporter une réponse unique à chaque décrocheur grâce à un entretien individuel. L'ensemble des acteurs – éducation nationale, enseignement agricole, CFA, missions locales –…

Debut de section - PermalienPhoto de François Pupponi

Une mission locale alors qu'il est question d'enfants de l'école primaire ?

Debut de section - PermalienLuc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative

…proposeront une solution sur mesure, grâce à l'interlocuteur unique et grâce à un travail de personnalisation qui n'existait pas de façon aussi détaillée jusqu'à présent.

Le volontarisme du plan « Agir pour la jeunesse » et les mesures qui seront appliquées dès la rentrée prochaine répondront ainsi au problème du décrochage scolaire.

Au-delà, nous avons développé les dispositifs de la deuxième chance – je pense aux dispositifs relais, aux établissements de réinsertion scolaire, aux écoles de la deuxième chance, aux établissements publics d'insertion de la défense. Le Gouvernement a déclaré la guerre au décrochage scolaire, une guerre déterminée, une guerre coordonnée, une guerre complète.

Notre approche, loin de se réduire à la constitution d'une boîte à outils disparates, est structurée et permet d'envisager les différentes phases du décrochage pour en anticiper l'apparition comme pour en prévenir les effets. Elle est personnalisée afin de s'adapter au profil de chaque jeune. Surtout, elle s'appuie sur le réseau des acteurs de terrain afin qu'ensemble ils construisent des réponses adaptées à chacun de nos enfants. Elle est donc éloignée de la présente proposition de loi qui ne répond pas aux enjeux que je viens d'évoquer. C'est la raison pour laquelle j'appelle la représentation nationale à ne pas adopter ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Martine Faure.

Debut de section - PermalienPhoto de Martine Faure

Vous venez de nous dire, monsieur le ministre, que selon les dernières données 250 000 jeunes ont décroché du système scolaire sans diplôme ni qualification. Et vous soulignez avec regret que 180 000 ont été perdus de vue.

Or, dans le même temps, vous persistez à mener une politique scolaire qui ne peut qu'aggraver la situation. Je me contenterai de vous rappeler la suppression de 1 500 classes à la rentrée prochaine ; la diminution des postes d'enseignants, en particulier d'enseignants spécialisés ; l'aggravation du déficit massif de remplaçants, que ne comblera pas le recours à Pôle emploi ; la disparition progressive, dans les établissements scolaires, des postes de surveillants, de médecins et d'infirmières ; enfin le recours à l'exclusion, quoi que vous ayez dit, par le biais de la fameuse loi Ciotti visant à suspendre le versement des allocations familiales aux parents d'élèves décrocheurs.

Pourtant, la « maison école » est l'outil premier de la République pour construire l'égalité des chances, l'égalité entre les citoyens. L'école que nous voulons doit s'adresser à tous les élèves et pas seulement aux meilleurs. Je dirai même que cette école-là, celle que nous voulons reconstruire, doit offrir le meilleur aux enfants les plus fragiles.

Il faut réhabiliter l'école, Yves Durand l'a souligné, la rendre captivante au lieu de la désenchanter, donner ou redonner le goût d'apprendre aux élèves et plus particulièrement aux élèves en difficulté. Il faut aussi renoncer à la démagogie, aux incantations, aux campagnes de communication ruineuses et insincères : pour mémoire, près de 1,3 million d'euros ont été dépensés pour l'opération destinée à « attirer de nouveaux talents » et à recruter 17 000 personnes.

Vous venez de rappeler votre volonté de lutter contre le décrochage scolaire et d'apporter une réponse personnalisée et rapide à chaque jeune de seize à dix-huit ans sans diplôme et sans solution en créant 400 plateformes de suivi et d'appui pour recenser les décrocheurs. Et alors ? Ce ne sont pas des remèdes mais tout au plus des annonces qui, je l'espère, ne seront pas sans lendemain, mais on peut en douter.

Ce que nous proposons aujourd'hui en urgence, c'est de prendre le mal à la racine, dès les premières années, lors de l'acquisition des bases de compétences nécessaires. C'est pourquoi nous voulons abaisser de six à trois ans l'âge de la scolarisation obligatoire et donner la possibilité aux familles qui le souhaitent d'inscrire leurs enfants à partir de deux ans.

La lutte contre le décrochage scolaire doit commencer au moment où les premiers signes de difficulté ou de mal-être peuvent être repérés. Une stratégie précoce est indispensable : le destin scolaire d'un élève se joue avant la sixième, en particulier lors de l'apprentissage de la lecture. Nous ne saurions admettre la disparition des réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté, les RASED, qui ont fait la preuve de leur efficacité mais ont été sacrifiés sur l'autel des économies budgétaires. Nous voulons au contraire sécuriser ce dispositif et permettre aux enseignants spécialisés d'intervenir dans les collèges à la demande du chef d'établissement.

Ensuite, il est essentiel de maintenir l'élève décrocheur, ou qui risque de le devenir, au sein du système scolaire. Le rejet pur et simple de l'élément perturbateur à l'extérieur de la communauté est le pire des expédients, c'est une échappatoire, pas une solution. Toute mesure d'exclusion de la classe doit être assortie d'un dispositif d'accompagnement et de soutien à l'intérieur de l'établissement et en lien avec la famille. La sanction doit être expliquée et déboucher sur une réflexion et une prise de conscience de la part du jeune, mais cela nécessite la présence d'enseignants disponibles, formés et en nombre suffisant.

La meilleure façon de responsabiliser les familles n'est certainement pas de suspendre les allocations familiales comme l'impose la loi visant à lutter contre l'absentéisme scolaire. Le caractère systématique d'une telle mesure – répressive et non pas éducative – ne la rend pas plus efficace que celles qui l'ont précédée. C'est pourquoi nous proposons son abrogation.

En matière d'échec scolaire comme dans bien d'autres domaines, il vaut mieux prévenir que guérir. Cela va sans dire mais il faut le répéter et le faire. Une fois les difficultés installées, les mesures palliatives se révèlent souvent inopérantes. À l'inverse, la mise en place en amont de procédures pédagogiques doit permettre d'anticiper les problèmes et de réduire notablement la proportion d'élèves décrocheurs.

Notre proposition de loi nourrit cette ambition et j'encouragerais nos collègues de la majorité à la voter s'ils étaient présents. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Amiable

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lutter contre le décrochage scolaire, telle est l'ambition – que nous partageons – de la proposition de loi que nous soumettent nos collègues du groupe socialiste, radical et citoyen, à la faveur de la journée d'initiative parlementaire qui leur est aujourd'hui réservée.

Nous savions que le décrochage scolaire concernait entre 120 000 et 150 000 jeunes sortant chaque année du système scolaire français sans diplôme ni qualification, tandis que le sociologue Dominique Glasman évoquait 1 % d'élèves déscolarisés en France. Mais d'après les chiffres publiés par le ministère de l'éducation nationale pour la période comprise entre juin 2010 et mars 2011, environ 252 000 jeunes répondraient aujourd'hui à ces critères. Et si, parmi eux, 72 000 sont suivis par le réseau des missions locales, 180 000 sont considérés comme totalement « perdus de vue ». Et le rapport de souligner que « la comparaison avec les chiffres du décrochage scolaire des années 1990, environ 70 000, ou du milieu des années 2000, 150 000, montre pour le moins que, loin de se résorber, le nombre des jeunes qui sortent du système scolaire sans diplôme ni qualification représente une fraction de plus en plus significative d'une génération ».

Ce constat confirme la tendance déjà perceptible dans les chiffres transmis par la Commission européenne : la proportion des jeunes de 18 à 24 ans qui, avec un niveau d'études ne dépassant pas le premier cycle de l'enseignement secondaire, ne poursuivent ni études ni formation était en 2009 de 12,3 % en France. Elle était certes, à cette date, de 7,5 point inférieure à ce qu'elle était en 2000, mais la diminution de 44,6 % du taux de décrochage scolaire entre 1979 et 2002 avait été autrement plus spectaculaire !

La situation est alarmante, particulièrement dans certains territoires, et la majorité ne peut l'ignorer, d'autant que le Président de la République a annoncé, le 29 septembre 2009, que la lutte contre le décrochage scolaire constituait une « priorité nationale » ! Sauf que cette parole a semblé rejoindre les voeux pieux du chef de l'État, à l'instar des promesses de zéro SDF, de l'augmentation du pouvoir d'achat et de la moralisation du capitalisme !

Les rares initiatives gouvernementales ne semblent d'ailleurs pas prendre la bonne direction : la circulaire censée lutter contre le décrochage scolaire, diffusée par le ministère de l'éducation nationale le 9 février 2011, se borne à préciser l'organisation et la mise en oeuvre de la loi relative à l'orientation et à la formation professionnelle et de celle relative au service civique, concernant l'accompagnement des jeunes sortant sans diplôme du système de formation initiale. Il s'agit en fait d'orienter ces jeunes vers des dispositifs autres que scolaires et non pas de lutter spécifiquement contre leur décrochage.

C'est la même démarche qui a prévalu à l'installation par la secrétaire d'État à la jeunesse, le 23 mai dernier, de la première cellule « Jeunes, quartiers, entreprises », destinée à compléter les dispositifs existants de lutte contre le décrochage scolaire, mais organisant en réalité une sortie en douceur du système scolaire vers le monde du travail.

Mais au fond, comment pourrait-il en être autrement, puisque l'ensemble des autres mesures concourent à la remise en cause du service public d'éducation et n'ont pas pour objectif de servir l'ambition, qui devrait être commune, de la réussite pour tous ?

Rappelons que, d'après la dernière enquête PISA, « la proportion des élèves en échec scolaire grave progresse fortement », et que les études nationales et internationales confirment que les inégalités sociales et scolaires ont tendance à se creuser.

En 2010, la majorité adoptait une loi destinée à faciliter la suppression des allocations familiales en cas d'absentéisme scolaire, alors que les recherches et rapports concluaient déjà à l'inefficacité et à l'inéquité, en matière de prévention du décrochage scolaire, des mesures pénalisant les familles.

Que penser aussi de la récente expérience qui a consisté, pour le ministère de l'éducation nationale, à envoyer des collégiens d'un établissement de réinsertion scolaire de Nanterre en stage au 121e régiment du train de Montlhéry, alors que les militaires censés les encadrer se sont eux-mêmes déclarés incompétents car ne disposant pas des outils pédagogiques nécessaires ?

Et quand, aujourd'hui, les jeunes indignés, espagnols, grecs ou français, dénoncent à leur façon un avenir bouché qui fait rimer chômage et précarité avec rigueur et corruption, que répondent nos gouvernements à leur soif de démocratie, de justice sociale ou d'envie de vivre, tout simplement ?

Fort justement, les auteurs de cette proposition de loi rappellent que le décrochage a des causes « diverses et individualisées » et est « souvent la conséquence de difficultés familiales, scolaires, psychologiques ou sociales rencontrées dès la petite enfance et au cours de la scolarité ».

Les député-e-s communistes, républicains et du Parti de gauche estiment que l'échec scolaire est aussi l'échec de la politique menée par la droite au gouvernement, avec notamment la mise en oeuvre de la révision générale des services publics.

À l'annonce du dernier budget, le SNUIPP avait déclaré : « Après un appauvrissement progressif de l'école, ces nouvelles suppressions vont se traduire par des fermetures de postes classes. Maternelle, formation, RASED, éducation prioritaire, effectifs par classe, ce sont tous les leviers susceptibles de favoriser la réussite de tous les élèves qui vont en subir les conséquences. » Au travers de sa dernière mobilisation pour l'avenir de l'école, cette organisation a aussi indiqué combien, selon elle, une autre politique budgétaire est nécessaire pour faire réussir tous les élèves. Ce n'est d'ailleurs pas autre chose que vise la FCPE quand elle organise, comme elle l'a fait récemment, une « nuit des écoles » ou quand elle réclame un collectif budgétaire.

Et si l'Association des maires de France en est venue à contester l'élaboration de la carte scolaire, qui prévoit la suppression de 8 967 postes d'enseignants dans les écoles du premier degré à la rentrée prochaine, c'est aussi parce que les maires craignent une brutale dégradation des conditions d'accueil, qui aurait de lourdes conséquences sur la cohésion sociale et renforcerait l'exclusion de milliers de jeunes.

Nous avons donc déposé un amendement pour demander un rapport évaluant l'impact des suppressions de postes prévues par les lois de finances de 2007 à 2011 sur la réussite des élèves et sur la prévention du décrochage scolaire.

D'une façon générale, les dispositions contenues dans la proposition de loi nous satisfont. C'est en particulier le cas de l'article 1er, qui fixe l'âge de l'obligation scolaire à trois ans au lieu de six. On sait en effet l'importance de l'école maternelle pour la réduction des inégalités scolaires : selon l'étude PISA de 2009, « dans l'ensemble des pays participants, les systèmes d'éducation qui affichent une forte proportion d'élèves ayant suivi un enseignement pré-primaire tendent à être plus performants ».

Nous pensons toutefois que l'État devrait garantir un droit à la scolarisation des enfants dès l'âge de deux ans quand les parents en font la demande : en 2005, dans son « Portrait social », l'INSEE a en effet démontré l'incidence positive de la scolarisation avant trois ans sur la réussite scolaire. Et c'est particulièrement vrai dans les milieux populaires.

Nous avons donc déposé un amendement en ce sens qui, s'il n'a pas résisté à la censure de l'article 40 de la Constitution, semble avoir été réintégré par le biais d'un sous-amendement déposé par le rapporteur, ce dont je le remercie, car il nous permet de mieux connaître les intentions de chacun en la matière.

De même, nous sommes favorables aux articles 2 et 3, qui tendent à instituer des mesures de continuité éducative au sein des établissements en cas d'exclusion. Il semblerait toutefois nécessaire de préciser que ces mesures ne sauraient comprendre un travail d'intérêt général au sens que lui donne le code pénal.

Quant à l'article 5, tendant à créer des cellules de veille éducative dans tous les établissements scolaires, il a le mérite de remettre l'éducation nationale au coeur des dispositifs de lutte contre l'échec scolaire qui, aujourd'hui, ne doivent parfois leur existence qu'à une initiative des collectivités locales.

En revanche, la proposition, présentée à l'article 6, de permettre aux RASED du premier degré de venir en aide aux collégiens ne nous semble pas réaliste en l'état actuel de ces structures, d'autant que leur démantèlement sera considérablement aggravé à la rentrée prochaine. Nous avons donc demandé, par le biais d'un amendement, un rapport étudiant la possibilité de créer des réseaux d'aides spécialisées destinés à venir spécifiquement en aide aux collégiens en difficulté.

Vous aurez donc compris que les député-e-s communistes, républicains et du Parti de gauche souhaiteraient que la proposition de loi soit ainsi complétée, et qu'ils l'adopteront. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Grosperrin

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, par sa proposition de loi visant à lutter contre le décrochage scolaire, le groupe socialiste souhaite apporter des solutions aux jeunes qui quittent prématurément le système scolaire sans avoir obtenu de diplôme ni de qualification. Et je rends grâce à Yves Durand pour avoir suscité ce débat qui nous est cher à travers cette proposition de loi.

En effet, entre juin 2010 et mars 2011, 254 000 jeunes de plus de seize ans sont sortis du système scolaire sans diplôme. Parmi eux, 72 000 sont suivis par des missions locales. Mais il reste encore, et c'est trop, 180 000 jeunes que l'on peut considérer comme perdus de vue. Un pays comme la France ne peut accepter cela. Monsieur le rapporteur, vous avez parlé tout à l'heure de désir du savoir. Est-ce là la fonction érotique du savoir ?

De 13,4 % de décrocheurs en 2002, nous sommes passés à 12 % en 2009, alors qu'ils sont encore 14,4 % dans l'Union européenne. L'Espagne voit son taux augmenter, passant de 30,7 % en 2002 à 31,2 % en 2009. Félicitations, monsieur le ministre : nous ne sommes pas dans l'incantation mais dans l'action.

Faut-il cependant une loi qui rende l'école obligatoire à l'âge de trois ans, dès lors que plus de 95 % des enfants de trois ans sont inscrits à l'école maternelle ? Il y a un danger à institutionnaliser cet état de fait. Pourquoi pas, ensuite, deux ans et demi, deux ans,…

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Grosperrin

…voire plus tôt encore ? C'est un signal qui peut être dangereux pour les parents, dans la société où nous sommes, même si cela peut avoir un impact fort dans les zones culturellement difficiles.

Claire Brisset, ex-Défenseure des enfants, critiquait la loi d'orientation de 1989, dite loi Jospin, pour la scolarisation précoce. Le linguiste Alain Bentolila, pour sa part, considère que « scolariser trop tôt, c'est conforter le fait que les enfants apprennent le langage entre enfants et disposent, à l'entrée du CP, de 300 à 350 mots de vocabulaire et non de 900 à 1 000 ».

Entre trois et six ans, la maternelle n'est pas obligatoire mais tous les enfants y vont. Cette scolarisation, exception tricolore, a longtemps été pour nous une source de fierté, et nous pouvons nous en féliciter, contrairement à ce qu'a pu dire Julien Dazay dans Il faut fermer les écoles maternelles, puisque cet auteur affirme que les enfants ne travaillent pas plus d'une heure par jour et monopolisent des enseignants dont la formation est du niveau bac + 5. Nous, députés UMP, pensons au contraire que l'école maternelle joue un rôle primordial dans notre société.

Cela étant, votre proposition de loi aurait reçu de notre part un écho plus favorable si elle avait posé le problème du rôle, des fonctions et de l'évaluation de l'école maternelle dans la société française,…

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Grosperrin

…ainsi que la question des apprentissages effectifs, source de développement harmonieux de nos enfants. Non, à trois ans, tout n'est pas joué, et fort heureusement !

Une interrogation demeure cependant, lorsqu'on sait que dans des pays voisins où les résultats de PISA sont bien meilleurs que les nôtres, l'école obligatoire ne commence qu'à sept ans. Les raisons de l'échec sont à chercher ailleurs que dans l'âge de la scolarisation. Et ce n'est pas parce qu'il y a obligation scolaire qu'il y a réussite scolaire. Ainsi, relier la réussite scolaire à l'obligation scolaire dès trois ans peut sembler une erreur, alors qu'il est primordial de réfléchir sur la place de la maternelle dans notre société et sur le rôle de l'école primaire.

Les politiques de lutte contre le décrochage scolaire doivent comprendre trois volets : prévention, intervention et compensation.

La prévention, c'est le programme personnalisé de réussite éducative, avec une prise en charge de ceux que l'on a appelés « les orphelins de seize heures ».

L'intervention, c'est la loi Ciotti, qui a instauré un dispositif gradué et proportionné pour alerter, accompagner et, le cas échéant, sanctionner par la suspension des allocations familiales. Les résultats sont éloquents. M. le ministre nous les a décrits tout à l'heure. Mais donnons-nous du temps pour mieux évaluer cette loi. C'est à long terme que nous pourrons, peut-être, revenir sur certaines de ses dispositions.

Je suis d'ailleurs surpris du fait que certains puissent prôner un rôle dit innovant des collectivités locales. Je ne suis pas sûr que, même s'il en avait l'obligation, le département de Seine-Saint-Denis aurait la capacité financière qu'ont d'autres départements pour mener des actions d'accompagnement à hauteur de 400 000 euros, et même si l'Union européenne participe à hauteur de 200 000 euros. Ou alors, mesdames et messieurs les socialistes, êtes-vous favorables à une proximité plus forte entre le ministère de l'éducation nationale et les collectivités locales ?

Nous pensons que c'est au ministère de l'éducation nationale qu'il revient de gérer tout cela, et nous y sommes très attachés.

Je voudrais revenir sur quelques articles de cette proposition de loi.

L'article 1er prévoit d'abaisser l'âge de l'inscription obligatoire de six à trois ans. C'est un grand débat de société, qui n'a peut-être pas vocation à être traité au détour d'une proposition de loi.

L'article 3 expose le mode de prise en charge des élèves exclus temporairement. Mais le dispositif de classes et d'ateliers relais propose déjà un encadrement renforcé autour d'un large partenariat entre l'éducation nationale, la protection judiciaire de la jeunesse, les collectivités locales, les associations agréées complémentaires de l'enseignement public et les fondations reconnues d'utilité publique. Ces dispositifs relais ont prouvé leur efficacité, puisque 70 % des élèves qui en ont bénéficié ont été rescolarisés.

L'article 4 prévoit la désignation d'un tuteur pour cinq élèves. C'est une proposition intéressante, mais il faut peut-être aller plus loin et réfléchir au statut des enseignants. Ce statut de 1950 mérite peut-être d'être amendé afin de répondre à cette difficulté de l'accompagnement de nos élèves.

L'article 5 propose la création d'une cellule de veille éducative. C'est aussi intéressant, mais les plateformes de suivi et d'appui aux décrocheurs sont en cours de généralisation sur l'ensemble du territoire.

L'article 6 prévoit l'intervention d'un enseignant de RASED, mais la communauté éducative met déjà en place un suivi spécifique via les groupes d'aide à l'insertion, ou les cellules de veille.

L'article 7 prévoit d'abroger la loi du 28 septembre 2010 qui vous gène tant. Or, renforcer la lutte contre l'absentéisme scolaire, c'est responsabiliser les parents et c'est donc un moyen essentiel pour lutter contre le décrochage scolaire. La suppression de la loi renforcerait les difficultés des élèves et rendrait l'État responsable de l'accroissement des inégalités culturelles et ne serait-ce que pour cet article, nous ne pouvons voter votre proposition de loi.

Le Gouvernement a lancé des réformes pour lutter contre le décrochage scolaire : amélioration de la formation des CPE ; création, dans les établissements sensibles, de 5 000 postes de médiateurs de réussite scolaire en contrats aidés ; la mallette des parents, dispositif original et peu coûteux qui est étendu dans un grand nombre d'académies ; l'application informatique Sconet, qui permet de repérer les décrocheurs en rupture ; la plateforme de coordination et des crédits supplémentaires de près de 120 millions d'euros pour les missions locales ont été attribués. Ces efforts doivent être poursuivis.

Le débat sur cette proposition de loi peut nous rapprocher. Le clivage politique s'estompe sur le domaine de l'éducation, et le groupe UMP reconnaît l'intérêt d'en discuter aujourd'hui.

Yves Durand, m'a qualifié d'alibi intelligent de l'UMP, mais beaucoup d'autres parlementaires de mon groupe, dont Michèle Tabarot, partagent votre vision des choses, parce que vous vous rapprochez aussi de nous. Mais il nous semble inopportun d'adopter à ce jour un texte qui pourrait perturber tous les nouveaux dispositifs existants.

C'est la raison pour laquelle nous voterons contre cette proposition de loi qui pourrait troubler et rendre plus difficile le débat qui nous attend pour 2012. Nous espérons bien que le débat sur l'école sera le débat majeur de la campagne présidentielle.

Debut de section - PermalienPhoto de François Pupponi

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après avoir écouté l'intervention du ministre, puis celle de M. Grosperrin, je ne suis pas déçu d'être venu. Je venais défendre la position de notre groupe, mais aussi comprendre la vision du Gouvernement ainsi que du groupe UMP sur le décrochage scolaire – lequel est l'objet de notre proposition, et non l'échec scolaire.

Monsieur le ministre, le groupe SRC vous interpelle depuis quelques semaines lors des questions au Gouvernement. Chacun est dans son rôle : l'opposition vous reproche la suppression de postes, et vous expliquez qu'elle n'est pas grave dans notre contexte économique, et que de maintenir des postes n'est pas forcément la solution pour l'éducation nationale.

Depuis tout à l'heure, vous nous expliquez que vous avez deux solutions au problème du décrochage scolaire. La première consiste à faire rentrer tous les élèves absents de l'école dans les établissements scolaires. C'est sûrement une bonne chose, et il est normal que l'on applique la loi et que les enfants qui ont quitté le système scolaire le réintègrent.

Mais vous parlez des décrocheurs pour désigner des jeunes qui ont plus de 16 ans. Or, je suis président d'une mission locale, et ces structures s'occupent de jeunes de 16 à 25 ans. Ce ne sont plus des décrocheurs scolaires, ce sont des jeunes en situation d'échec scolaire, qui ont quitté le système, et que l'on essaie de réinsérer socialement. Notre proposition de loi ne porte pas du tout sur ces jeunes-là. Il faut bien sûr s'en occuper, mais ce que nous essayons de vous faire entendre est que dès le plus jeune âge, dès la plus tendre enfance, lorsque l'on décèle chez un enfant en maternelle ou en primaire une certaine difficulté à suivre l'enseignement prodigué, il faut aider cet enfant à reprendre le rythme normal de la pédagogie de sa classe.

Nous constatons tous que, pour une foule de raisons, certains enfants ne suivent plus en classe. Mais ils ne quittent pas forcément l'école pour autant. Ils viennent tous les matins à l'école, parce que leurs parents les accompagnent, parce qu'ils considèrent que c'est obligatoire et qu'il faut venir. Mais ils s'assoient sur les bancs de l'école et ils passent leurs journées sans prendre la moindre note. Ils n'y arrivent plus.

Ce que nous proposons, c'est que lorsqu'un tel cas survient dans une classe, on mette en place un dispositif afin de comprendre pourquoi ce jeune enfant est en situation de rupture, et que l'on trouve une solution pour le rattraper.

Le Gouvernement précédent avait mis en place un dispositif appelé le plan de réussite éducatif, le PRE, que certains d'entre nous ont mis en oeuvre dans leurs communes, de façon très réussie. Le principe des PRE, c'est la prise en compte individualisée des difficultés de l'enfant pour l'aider. Nous proposons aujourd'hui d'institutionnaliser cela au sein de l'école, pour que le PRE ne soit pas limité à quelques-uns, mais que l'on mette en oeuvre une véritable politique de suivi individualisé des enfants en difficulté. Comment pourrait-on être contre ?

Si nous mettons cela en oeuvre, nous éviterons l'échec scolaire, nous en sommes intimement convaincus. J'aimerais que le ministre nous réponde sur ce point : « Êtes-vous favorable à un suivi individualisé des enfants en difficulté dans nos écoles ? »

À titre d'exemple, dans l'est du Val d'Oise, cinq cents enfants sont signalés par l'éducation nationale comme ayant un problème de comportement qui requiert un suivi individualisé. À peine la moitié des familles acceptent d'entendre ce que dit l'éducation nationale et prend rendez-vous avec le secteur pédopsychiatrique lorsque le besoin s'en fait sentir. Et comme il n'y a qu'un pédopsychiatre pour un secteur de 400 000 habitants, les rendez-vous sont donnés pour deux ans après. Cela veut dire que la prise en charge n'existe pas.

Notre problème est donc, une fois que l'on décèle un problème chez un enfant, de savoir comment le prendre en charge. Nous proposons donc qu'une équipe pluridisciplinaire diagnostique le problème de l'enfant et lui propose, ainsi qu'à ses parents, une prise en charge. C'est cela qui nous manque, et l'équipe pluridisciplinaire n'a pas d'autre but. Un tuteur qui s'occupera de cinq enfants doit être capable, surtout s'il a la formation adéquate, de déceler le problème de l'enfant, et d'apporter une solution. Je ne vois pas comment quelqu'un pourrait être opposé à cette proposition.

Sur la deuxième proposition, fondamentale, vous n'avez pas donné votre sentiment. Aujourd'hui, le système scolaire exclut des élèves pendant deux, trois, voire dix jours, sans leur offrir une solution de remplacement. Nous proposons que, lorsqu'une mesure d'exclusion est prononcée, l'élève concerné reste au sein de l'établissement scolaire ; pas dans la classe, puisqu'il en a été exclu, souvent pour de bonnes raisons ; mais qu'au moins, l'établissement le prenne en charge pour éviter qu'il ne soit livré à la rue.

Je peux vous citer de nombreux exemples de jeunes exclus qui sont presque contents de l'être. Ils peuvent retourner voir leurs copains dans la rue et continuer leurs exactions, souvent à l'occasion de règlements de comptes entre bandes. Ils se sont fait exclure parce qu'ils se sont battus dans l'enceinte de l'établissement scolaire, et pour les sanctionner, on les met dans la rue où ils retrouvent ceux qui continuent à se battre.

Je connais l'exemple d'un élève exclu à Sarcelles, que l'on a changé de collège trois jours plus tard. Dès son arrivée dans le nouvel établissement, il a frappé le premier adulte qu'il a rencontré. Quand on lui a demandé pourquoi il avait fait ça, il a répondu qu'on l'avait envoyé dans le collège de la bande d'en face. C'est aussi très révélateur de ce que le monde éducatif connaît de ce qui se passe en dehors de l'établissement scolaire. C'est pourquoi, monsieur Grosperrin, il faut que les collectivités locales soient plus étroitement associées à ce qui se passe et dans l'école et en dehors. Vous ne pouvez pas demander à un responsable d'établissement ou un enseignant qui arrive dans une ville de connaître le tissu social et associatif. C'est ensemble que nous devons prendre en compte tout l'environnement pour le bien-être des enfants scolarisés.

Je ne vois donc pas ce qui pourrait gêner dans notre proposition de loi. Faire en sorte qu'un enfant exclu reste au sein de l'établissement, faire en sorte qu'un enfant en difficulté soit pris en charge d'une manière individualisée, pour éviter qu'il ne décroche, quels problèmes soulèveraient ces propositions ? Vous nous parlez des jeunes de plus de seize ans, des moyens que vous accordez aux familles : mais ce n'est pas l'objet de notre proposition de loi. Son objet est de trouver des solutions pragmatiques et précises pour éviter qu'un enfant ne décroche précocement. J'espère que le ministre apportera des réponses très précises et convaincantes à nos propositions. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Imbert

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans notre pays, l'école de la République a pour mission essentielle et pour responsabilité d'être le lieu d'accueil de l'enfant. Elle doit aussi faire en sorte de porter l'élève au maximum de ses possibilités.

Cette école est, pour un nombre important de jeunes, un lieu hostile, un lieu où se retrouvent des élèves désespérés, démobilisés, rencontrant des problèmes de discipline, un lieu qui les conduit parfois à sortir du système éducatif.

Certes, les causes de cette situation sont multiples. Les difficultés sociales, économiques, culturelles, familiales, psychologiques ou affectives concourent toutes au décrochage scolaire. Parfois, tous ces éléments se superposent et finissent par déstabiliser le jeune élève. Pourtant, il n'y a pas de fatalité : on ne naît certainement pas décrocheur.

Il y a, par contre, des trajectoires individuelles, singulières, des difficultés scolaires qui s'installent, liées à l'impossibilité de comprendre ce qui fait la spécificité de l'école, son fonctionnement, ses exigences.

Dans l'approche de ce problème, il ne s'agit pas de faire porter au seul jeune la responsabilité de son échec, et il faut bien être conscient que les exclus de notre système scolaire représentent à terme un coût social, économique qui doit nous interroger et nous impose d'y remédier.

La solution, ou plutôt les solutions pour lutter contre le décrochage scolaire sont complexes et doivent sans aucun doute être multiples.

Vous dites qu'elles existent déjà, mais le moins que l'on puisse dire, c'est qu'elles ne sont pas efficaces. Ce ne peut être la sanction financière des parents afin de lutter contre l'absentéisme scolaire ; l'efficacité de la mesure n'est pas vraiment démontrée et elle stigmatise des familles déjà en difficulté.

Ce n'est pas non plus de supprimer des postes d'enseignants dans les réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté, les RASED.

Des enseignants impliqués dans la lutte contre le décrochage scolaire m'ont rapporté les difficultés qu'ils rencontrent, après la suppression, en 2009, de la 3ème d'insertion. Ces classes alternaient stages en entreprise et cours au collège, s'adressaient à des effectifs réduits, et requéraient une pédagogie adaptée. Elles permettaient des séquences plus axées sur la vie sociale et professionnelle, et surtout un suivi individualisé des élèves en difficulté.

Le résultat était là : ces classes redonnaient une certaine confiance à l'élève. Aujourd'hui, les dispositifs et outils existants sont bien insuffisants. Il nous appartient donc d'avoir la volonté de proposer des solutions individuelles et collectives aux élèves décrocheurs.

Cette exigence, il faut l'avoir quand, chaque année, plus de 180 000 jeunes, filles et garçons, sont exclus de notre système scolaire sans diplôme, ni qualification. Ces jeunes n'ont pas choisi d'être des "élèves décrocheurs".

C'est ce qu'entend proposer aujourd'hui la présente proposition de loi. Ce qui la guide, à mon sens, c'est l'effort fait pour trouver des outils permettant de prévenir l'échec scolaire et de maintenir, dans le système scolaire, l'élève en difficulté.

Les habitudes, la politique actuelle poussent en effet plutôt au rejet, à l'exclusion de l'élève décrocheur ou en passe de le devenir. Nous ne pouvons plus accepter, par exemple, qu'on exclut un élève d'un établissement sans mettre en place en même temps un accompagnement.

Accompagnement individuel au sein de l'établissement, tutorat d'un petit nombre d'élèves, renforcement des RASED sont donc des dispositifs à mettre en place ou à renforcer dans le seul but que l'élève retrouve le chemin de l'école et, bien sûr, le plaisir d'étudier.

La mesure phare de cette proposition de loi – son article 1er – consiste à abaisser l'âge de l'obligation scolaire de six à trois ans. D'une part, cette obligation montre notre volonté d'assumer pleinement une politique de la petite enfance ; d'autre part, elle prend en compte ce que toutes les études montrent : plus la scolarité sera précoce, plus elle sera réussie.

C'est au début de la scolarité obligatoire que s'acquièrent et se construisent les bases des compétences nécessaires. C'est donc là que doivent se concentrer toute l'attention et, bien entendu, les moyens.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, il est temps de s'emparer d'un problème dont la persistance ne nous fait pas honneur, loin s'en faut. Il s'agit de donner toutes ses chances à l'école et à chacun des jeunes qui sont notre avenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Diefenbacher

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, comment ne pas partager le constat qui a été fait par notre collègue Yves Durand et ne pas souscrire également aux objectifs de cette proposition de loi ? Qui ne souhaite assurer la réussite scolaire de ses enfants ? Qui ne souhaite qu'ils aient accès aux diplômes, à l'insertion professionnelle et plus généralement à la vie en société ?

Mais comment ne pas être perplexe, en même temps, face aux moyens envisagés dans cette proposition de loi ? En la lisant, j'ai eu le sentiment que son auteur estime que ce problème grave du décrochage scolaire n'existe que depuis une dizaine d'années et que depuis ce temps là, rien n'aurait été véritablement été fait. Je crois qu'il faut rappeler que la lutte contre le décrochage scolaire est, évidemment, l'une des priorités majeures du ministre de l'éducation nationale.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Diefenbacher

Vous allez le voir !

Une action d'ensemble a été entreprise depuis quelques années et des moyens importants ont été engagés – moyens budgétaires, juridiques, en personnels. Je voudrais revenir sur l'intervention de notre collègue Pupponi. Mon sentiment, c'est que l'intérêt de la politique actuelle identifie très précisément les problèmes auxquels il faut répondre et s'attache à apporter à chacun d'eux une réponse particulière.

Il y a trois grandes séries de problèmes. Il y a d'abord ceux que posent ces élèves qu'on appelle les « orphelins de seize heures », qui quittent l'école à sa fermeture et qui ne disposent pas de l'accompagnement nécessaire pour reprendre pied s'ils ont décroché dans le courant de la journée. Pour eux, il y a l'accompagnement personnalisé de deux heures, les aides aux devoirs et des dispositifs qui jouent très tôt, comme l'ont souhaité les précédents orateurs. Dès le premier degré, 150 000 élèves en bénéficient et 720 000 en collège.

Pour ceux ensuite qui ne trouvent pas leur place dans le système scolaire, il existe d'autres solutions : les établissements de réinsertion scolaire, les classes et ateliers relais qui accueillent déjà plus de 8 000 élèves. Comment ne pas constater l'efficacité de ce dispositif : 77 % des élèves rescolarisés au collège, 9 % au lycée professionnel, 10 % en CFA ? On ne saurait montrer plus clairement la volonté du Gouvernement de ne pas laisser ces jeunes au bord du chemin.

Le troisième problème concerne les familles qui n'exercent pas leurs responsabilités à l'égard de leurs enfants. Il faut dire un mot de la loi Ciotti. Son objectif, soyons clairs, n'est pas de supprimer les allocations familiales aux familles en difficulté, mais de lutter contre l'absentéisme scolaire, en amenant les familles à exercer pleinement leurs responsabilités. Ce n'est pas une loi répressive, elle est dissuasive. Les chiffres cités tout à l'heure par M. le ministre montrent que ce dispositif fonctionne. Je ne connaissais pas ces derniers chiffres, j'avais en mémoire ceux précédemment rendus publics, mais qui sont finalement du même ordre.

Je trouve remarquable que le nombre des deuxièmes avertissements soit à peu près inférieur des trois quarts à celui du premier avertissement. Cela signifie que dans les trois quarts des cas le premier avertissement est suffisant pour que l'enfant retrouve le chemin de l'école.

Comment ne pas constater en regardant le nombre de demandes de suppression d'allocations que les chiffres sont encore plus spectaculaires ? Dans plus de 99 % des cas, la solution peut être trouvée sans que l'on aille jusqu'à supprimer les allocations. Ce sont des résultats provisoires et je comprends et partage entièrement l'analyse faite tout à l'heure par M. Grosperrin. Ces chiffres méritent évidemment d'être confirmés. Nous manquons actuellement de recul mais c'est précisément pour cette raison qu'il serait précipité de vouloir bouleverser ce dispositif.

Que pensez dans le détail de la proposition de loi qui nous est présentée ? Je partage la position du ministre quant à la scolarisation obligatoire à trois ans. Pourquoi pas, mais il convient de l'étudier. Comment décider, à l'occasion d'une proposition de loi, une mesure de cette importance, sans qu'il y ait eu concertation au sein de l'éducation nationale, avec les collectivités territoriales et bien entendu en liaison avec les familles ?

Je suis mal à l'aise sur la prise en charge des élèves perturbateurs, car j'ai le sentiment que la proposition de loi est peut-être un peu naïve sur le sujet. Selon l'article 3, « le chef d'établissement et l'équipe éducative recherchent toute mesure utile de nature éducative au sein de l'établissement. » Mais diable ! Si cela ne se faisait pas, on aurait des raisons d'être préoccupés.

« Cette mesure de continuité éducative comprend du travail scolaire fourni par les professeurs de la classe et propose à l'élève des réflexions, en lien avec sa famille, sur le sens des sanctions, la citoyenneté et son projet personnel. » Je crois sincèrement que ces dispositions ne sont pas à la hauteur des problèmes que l'on rencontre dans un certain nombre d'établissements scolaires.

La troisième mesure concerne l'abrogation de la loi Ciotti, je l'ai évoqué tout à l'heure. Ce serait tout à fait prématuré.

Je partage donc le sentiment exprimé par M. Grosperrin. J'aurais souhaité pouvoir voter cette proposition de loi. Malheureusement, je ne le pourrai pas. Autant je souscris aux objectifs, autant je me sens en désaccord avec le dispositif qui nous est proposé.

Debut de section - PermalienPhoto de Monique Boulestin

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « Lutter contre le décrochage scolaire », tel est le titre de la proposition de loi que nous présentons.

Tous les rapports publiés ces dernières années montrent en effet que le nombre de jeunes sortant chaque année du système scolaire sans diplôme et sans qualification ne cesse d'augmenter : 180 000 jeunes seraient même considérés comme « perdus de vus » par les différentes structures susceptibles de les accueillir comme les missions locales et Pôle emploi.

Pour nous, l'école reste le pivot essentiel de tous les apprentissages car c'est un lieu de vie majeur, notamment pour les plus jeunes. C'est pourquoi nos propositions sont simples.

Nous devons tout d'abord, au regard des dysfonctionnements graves de notre société, redonner à l'école primaire toute sa place au sein des quartiers, au sein des communes, en accordant une place particulière à l'école maternelle car nous sommes convaincus que les apprentissages fondamentaux se construisent dès le plus jeune âge et que l'attachement citoyen aux valeurs de la République se met en place dès la petite enfance. Ainsi, plus que jamais – et vous l'avez souligné –, l'école doit redevenir une école du quartier, une école de la commune, et non rester simplement une école dans le quartier, dans la commune. C'est tout le sens de l'article 1er de cette proposition de loi.

Naturellement, dans ce cadre, la scolarité devient obligatoire pour tous les enfants entre trois et seize ans. Naturellement, cela implique une clarification des rôles entre l'État et les collectivités territoriales.

Par ailleurs, l'ensemble des publications récentes, tel le rapport Debarbieux, montrent le lien étroit entre violence à l'école et remise à jour nécessaire de ce que l'on appelle traditionnellement « l'éducation civique », notamment dans le second degré. C'est pourquoi, en rupture avec toutes les propositions faites par les différents ministères depuis bientôt dix ans, nous proposons que l'élève qui passe en conseil de discipline soit pris en charge par des personnels formés à la gestion de crise.

Les articles 2, 3, 4 et 5 proposent ainsi que l'élève, temporairement exclu, puisse, en lien avec sa famille, redonner du sens à sa vie en commun dans l'établissement : ni rupture de scolarité de l'élève sanctionné, ni rupture de sa socialisation au sein de l'établissement, mais mise en place d'outils de prévention avec un tutorat particulier pour ces élèves en difficulté, afin qu'ils recouvrent, avant tout, l'estime d'eux-mêmes.

Enfin, rien ne peut réussir sans une mobilisation collective des équipes éducatives et une adhésion forte des chefs d'établissement. Cette démarche ne dépend pas de mesures spectaculaires : ni stigmatisation des uns, ni laxisme des autres, mais création d'un sentiment d'appartenance à l'école, tant pour les élèves que pour les adultes. C'est pourquoi l'abrogation de la loi du 28 septembre 2010 est pour nous une évidence. Elle a d'ailleurs montré ses limites en terme d'efficacité ou plutôt d'inefficacité.

Fidèles aux préconisations du Conseil européen de Lisbonne de 2000, qui, en termes d'éducation et de formation, avait fondé sa stratégie sur une économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, nous voulons tout simplement, à travers cette proposition de loi, permettre que 50 % d'une classe d'âge sorte diplômée de l'enseignement supérieur. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Luc Pérat

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le décrochage scolaire est un phénomène complexe.

On parle de décrochage scolaire lorsqu'un élève quitte l'institution scolaire, abandonne ses études, arrête en cours de cursus. La définition du « décrochage » se rapproche plus de celle de « déscolarisation », d' « échec scolaire. »

Le phénomène génère des dégâts humains et sociaux considérables et il interroge l'institution scolaire dans ses missions essentielles : garantir l'égalité des chances, faire en sorte que chacun puisse construire son avenir professionnel et réussir sa vie en société.

N'est-ce pas de notre responsabilité de tout faire, de tout mettre en oeuvre pour garantir ces nobles objectifs ? N'est-ce pas de votre responsabilité, monsieur le ministre, vous qui êtes aux commandes de ce beau et grand ministère ?

N'est-ce pas de votre responsabilité, monsieur le ministre, de prendre en considération tous ces jeunes qui souffrent et qui vivent mal leur scolarité pour diverses raisons, qui s'éloignent du dispositif ou qui le rejettent par des comportements marginaux ?

C'est de votre responsabilité, monsieur le ministre, d'être à l'écoute de cette proposition de loi ! La lutte contre le décrochage est une priorité nationale absolue.

On peut se féliciter et se réjouir des brillants résultats obtenus par un très grand nombre de jeunes, mais on doit, me semble-t-il, prendre à bras-le-corps le problème du décrochage scolaire en lui accordant toute l'attention nécessaire et en y consacrant les moyens humains et financiers indispensables.

Plus de 150 000 jeunes sont exclus du système scolaire, sans qualification, sans diplôme ! Quel triste constat !

L'école doit accueillir tous les enfants pour leur donner le « désir d'école ». Notre mission n'est-elle pas de donner à toute la jeunesse « la confiance d'apprendre » en prenant en compte les compétences de chacun, de lui permettre de se réaliser et de s'épanouir ?

Notre mission n'est-elle pas d'accompagner chaque famille, parfois éloignée de l'école, en lui redonnant confiance en l'école et en la déculpabilisant ?

Je suis personnellement convaincu que l'approche scolaire dès le plus jeune âge est une avancée capitale, indispensable et incontournable dans notre dispositif.

Détecter, prévenir, agir, répondre doivent être des objectifs majeurs, qu'on pourra bien identifier grâce à une scolarité obligatoire dès trois ans.

Dans ma fonction de maire d'une commune rurale, j'ai expérimenté la mise en place d'une classe passerelle de préscolarisation permettant aux parents d'être associés à l'initiation de leur enfant à l'école maternelle. C'est une véritable réussite qui satisfait toutes les parties prenantes de ce dispositif : les enseignants, les parents, les enfants et la collectivité. Ce genre d'initiative pourrait être multiplié .

Je conclurai mon intervention en évoquant l'importance de la mobilisation de la communauté éducative à tous les niveaux avec la mise en place d'un suivi spécifique, la surveillance des phases de transition, l'implication des partenaires de l'école, la surveillance de l ‘absentéisme.

Par ailleurs, je reste intimement convaincu que le rôle du professeur principal demeure capital dans le dispositif de la lutte contre le décrochage scolaire. En effet, il est le référent incontournable à la croisée des chemins de la famille, du jeune, de l'administration, des professeurs, des personnels et des structures associés. Il m'apparaîtrait donc judicieux, monsieur le ministre, de lui donner cette reconnaissance et les moyens pour assurer sa mission d'accompagner les jeunes dans leur réussite, mais aussi dans leurs difficultés, le décrochage scolaire tout particulièrement. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Françaix

Monsieur le président, monsieur le ministre, à un an de la présidentielle, nous avons souhaité mettre la question scolaire au centre des débats, car celle-ci ne peut plus attendre. Trop souvent, votre majorité s'est contentée de demi-mesures – je n'ai pas prononcé le mot supercheries –, qui se superposent les unes aux autres, mais qui ne font pas une politique.

Au-delà d'une mécanique de cache-misère, consistant à rogner partout les dépenses au prétexte qu'elles ne seraient pas utiles, votre tolérance envers les inégalités est stupéfiante.

Vous me direz sans rire qu'il y existe une « une loi phare » qui instauré la suppression des allocations familiales pour lutter contre l'absentéisme. En fait, cette loi a touché tout au plus cinq à six familles qui ne reçoivent plus d'allocations familiales parce qu'elles se seraient rendues coupables des absences répétées de leur enfant.

Avouez que c'est un peu mince et que cette loi est tout à la fois inefficace, honteuse et en rien dissuasive. Cela procède de la même argumentation utilisée pour justifier la peine de mort. Or ce genre d'argument est vain. Vous aurez compris que notre texte n'a pas pour seule ambition de pourchasser et de stigmatiser, mais de redonner du sens à notre pacte éducatif.

Pour nous, l'école est l'institution reine, l'outil premier pour construire l'égalité des citoyens. Or le système scolaire est devenu un noeud majeur du pessimisme français, qui nous renvoie, à tort ou à raison, à la peur du déclassement.

Si, comme je l'ai dit, l'aspect quantitatif est nécessaire et la suppression de postes intolérable, le qualitatif est lui aussi primordial et ce texte de loi fait des propositions en ce sens.

Comment motiver et faire travailler efficacement les élèves ? Comment lutter contre la violence et les incivilités ? Comment les parents et les partenaires extérieurs de l'école peuvent-ils favoriser la sécurité des élèves ? Quel socle commun de connaissances, de compétences et de règles de comportement les élèves doivent-ils prioritairement maîtriser au terme de chaque étape de la scolarité ?

Enfin et surtout, puisque c'est l'objectif de notre proposition de loi, comment prendre en charge les élèves en difficulté pour éviter le décrochage scolaire ?

Les inégalités se sont creusées. La proportion des élèves en très grande difficulté scolaire est bien au-dessus de la moyenne de l'OCDE. Voilà une exception française dont nous nous serions bien passés. Elle fait peur et elle devient dangereuse.

Notre système scolaire doit s'adresser à tous les élèves et pas seulement aux meilleurs. Bien sûr, tout ne se fera pas d'un seul coup de baguette magique et notre texte n'a pas vocation à tout régler, car c'est une réforme en profondeur, dans la durée, sur un temps long dont nous avons besoin. Mais notre objectif – qui devrait être le vôtre – est de réarmer l'école au lieu de la désenchanter.

On sait qu'un manque d'investissements à la maternelle, voire dans les établissements de la petite enfance, a des répercussions sur le parcours scolaire.

Oui, il faut sauver les RASED en danger.

Non, l'exclusion sans accompagnement n'est pas une bonne réponse. Non, le décrochage ne se réduit pas à l'absentéisme.

Oui, il y a une corrélation entre échec et milieu social. Oui aux cellules de veille éducative dans tous les établissements scolaires.

Chers collègues, si vous savez que le taux d'échec scolaire est trop élevé ; si vous savez que nous sommes dans les derniers rangs pour la maîtrise du calcul en CM2 et en recul constant en ce qui concerne la maîtrise de la lecture ; si comme moi, vous constatez que l'école échoue dans sa mission fondamentale de correction des inégalités et que même souvent elle les renforce ; si vous sentez que continuer dans la même voie, c'est préparer des milliers de jeunes à Pôle emploi et à de petits boulots, voire à l'exclusion de toute vie sociale, et entraîner certains vers la délinquance ; si vous pensez que l'on ne peut plus se contenter de réforme à la marge, de rideaux de fumée, de recettes de communication, alors changeons de braquet et reprenez à votre compte cette proposition de loi.

Mais si vous choisissez l'attentisme, au prétexte qu'il faut prendre du recul, alors cette formule vous va comme un gant : l'immobilisme est en marche et rien ne l'arrêtera.

Nous ne pouvons nous contenter d'améliorations techniques, nous avons besoin d'une nouvelle vision, d'une évolution révolutionnaire. Il est temps d'admettre que l'éducation est la valeur sociale et éthique de base de notre société et doit être l'investissement premier de la nation française.

Oui, transformer profondément le pacte éducatif pour que l'école soit attrayante et la connaissance un plaisir, mais accepter que les enfants d'aujourd'hui ne sont plus ceux d'hier. Retrouvons, selon la jolie formule de notre rapporteur Yves Durand, le désir d'école ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

La discussion générale est close.

La parole est à M. le rapporteur.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Durand

Je tiens à remercier l'ensemble de nos collègues qui sont intervenus dans ce débat de qualité, y compris des collègues de la majorité qui ont soutenue la proposition et l'ont amendée.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Durand

Concernant l'absentéisme – et sans vouloir personnaliser le débat en parlant systématiquement de la loi Ciotti –, nous proposons de supprimer la loi de septembre 2010, car les mesures qui y figurent sont stigmatisantes et tout à fait inefficaces, contrairement à ce que vous avez prétendu, monsieur le ministre.

Au moment de son examen, nous avions tenté de vous faire admettre – mais il était clair, dès le départ, vous ne vouliez pas nous entendre – que cette loi était inutile, car toutes les dispositions existaient déjà. Il ne s'agissait que d'une reprise de mesures, ce qui nous a conduits à qualifier cette loi de loi d'affichage – et je ne reprends pas l'expression polémique de loi « coup de menton ».

L'absentéisme n'est pas le seul facteur du décrochage scolaire. Chacun comprend bien – les enseignants et associations de parents l'ont dit – que commencer par agiter la menace pour ensuite dire aux parents qu'on leur ouvre les portes de l'école et qu'on leur fait confiance pour devenir lds coéducateurs n'était pas la bonne méthode sauf à vouloir donner des coups de menton sécuritaires, mais c'est un autre problème. L'école vaut mieux que ces positionnements politiciens.

Pour ce qui concerne la maternelle et la scolarisation dès l'âge de trois ans, il semblerait, monsieur le ministre, chers collègues de l'UMP, que vous ne seriez pas contre et même plutôt pour, d'autant que c'est le cas pour 95 % des élèves. Dans ces conditions, chiche ! Pourquoi ne pas l'institutionnaliser ?

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Durand

Pourquoi refusez-vous avec autant de vigueur l'institutionnalisation de ce qui existe déjà ?

J'y vois là la volonté de ne pas affronter des parents qui sont majoritairement favorables à la scolarisation des enfants de trois ans. Ma région a fait de la scolarisation précoce une priorité pour l'académie de Lille, sous tous les gouvernements, de droite ou de gauche. Et c'est le vôtre, monsieur le ministre, qui a comme ambition – j'entends encore Mme la rectrice de l'académie de Lille – de faire baisser la scolarisation précoce et de la ramener à la moyenne nationale.

Il y a là une véritable rupture dans l'ambition affichée – la non-ambition devrais-je dire –, qui va à l'encontre des déclarations que vous venez de faire. Je ne voudrais pas croire que cela soit la véritable raison du refus d'institutionnaliser la scolarité à trois ans.

Je ne voudrais pas que nous ayons un débat sémantique sur le décrochage scolaire, monsieur le ministre. Le décrochage ne concerne pas seulement les élèves qui sont déscolarisés après seize ans, d'autant qu'après seize ans, ils n'ont plus à être scolarisés, la scolarisation obligatoire cessant à seize ans.

Le décrochage, c'est le fait de ne plus participer à la vie et au travail scolaires, dès le début de la scolarité. Un élève peut décrocher tout en étant présent dans la classe.

En tant qu'enseignant, j'ai connu des élèves qui ne posaient aucun problème : ils étaient au fond de la classe, ils ne dérangeaient personne, ni leurs camarades, ni moi-même. Ils étaient physiquement présents, mais intellectuellement et affectivement absents. Ils étaient en décrochage scolaire et allaient vers l'échec. C'est à cette forme de décrochage qu'il faut répondre en dehors des cas des élèves chahuteurs.

Je crains que nous ne nous inscrivions pas dans la même logique, monsieur le ministre. Vous considérez qu'il faut instaurer un certain nombre de dispositifs de recours à côté de l'école, en dehors de l'école, après l'école. Comme ils fonctionnent, plus ou moins bien, inutile donc, selon vous, d'insister sur l'école elle-même. Pour notre part, nous estimons que c'est à l'école qu'il faut mettre en place des procédures pour lutter contre le décrochage et l'échec scolaires. Votre politique consiste à démanteler l'école, je n'insiste pas davantage car nous vous interpellons tous les mardi et mercredi sur la suppression des moyens et sur votre manque total d'ambition, je le dis nettement.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Durand

Notre vision est différente. Nous considérons que c'est dans le cadre de l'école, pendant le temps scolaire qu'il faut lutter contre l'échec scolaire, pour la réussite scolaire, devrais-je dire.

Si nous faisons le même constat, nous n'avons pas la même approche du rôle de l'école dans la réussite scolaire et la société et donc pas la même ambition. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Debut de section - PermalienLuc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative

Je constate d'abord en entendant les orateurs du groupe socialiste qu'ils ne sont manifestement pas d'accord sur la définition même de décrochage. M. Pupponi et M. Pérat en ont donné deux différentes. C'est intéressant parce que vous proposez des solutions qui ne sont pas adaptées aux différents problèmes que vous posez.

Le décrochage se constate à la fin de la scolarité obligatoire.

Debut de section - PermalienLuc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative

Vous pouvez ne pas être d'accord, mais c'est la définition qui sert aux comparaisons internationales. Dans tous les pays, entre 7 % et 14 % des élèves sont considérés comme des décrocheurs. C'est un fait. Vous n'êtes déjà pas d'accord entre vous sur le constat.

Ensuite, vous donnez le sentiment de totalement ignorer tous nos enseignants, tous nos éducateurs spécialisés, qui, tous les jours, se dévouent pour leurs élèves. (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Françaix

Vous avancez ce genre d'argument à chaque fois, ce n'est pas correct !

Debut de section - PermalienLuc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative

Comme si le système éducatif ne se préoccupait pas des élèves en grande difficulté ! Vous caricaturez notre politique en expliquant que nous avons supprimé tous les postes de professeurs spécialisés. Moi, je pense aux 8 000 enseignants de RASED qui sont dans nos écoles, qui travaillent et s'occupent de nos élèves. Je pense aux auxiliaires de vie, qui s'occupent des enfants handicapés afin qu'ils ne quittent pas le système éducatif sans qualification.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Roman

Vous voulez que l'on vous parle des assistants d'éducation dans l'académie de Lille, où l'on annonce 300 suppressions de poste ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Monsieur Roman, vous aurez tout le loisir d'intervenir tout à l'heure. Pouvez-vous laisser M. le ministre s'exprimer.

Poursuivez, monsieur le ministre.

Debut de section - PermalienLuc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative

Monsieur Pupponi, vous vous faites l'ardent défenseur de l'individualisation et de la personnalisation. Bienvenue au club, n'hésitez pas à soutenir notre politique ! C'est ce que nous faisons depuis cinq ans.

C'est le cas lorsque nous mettons en place la réforme du primaire, avec une personnalisation dès la maternelle, où l'on prend en charge les enfants ayant des difficultés de lecture pour qu'ils ne quittent pas le système éducatif du premier degré sans maîtriser la lecture, ce qui ne s'était jamais fait. Cela ne se passe en dehors de l'école, monsieur Durand, c'est dans le temps scolaire, avec nos enseignants. Nous avons réorganisé les emplois du temps pour que ce soit possible. C'est donc bien dans le système éducatif et non en dehors.

Enfin, sur la proposition de loi Ciotti, j'ai tout de même beaucoup de mal à vous suivre. Vous nous avez expliqué pendant des mois qu'elle serait inefficace et injuste parce qu'elle jetterait immédiatement l'opprobre sur les familles concernées et les stigmatiserait. Vous devriez donc vous réjouir que, sur 27 000 familles ayant été alertées, il n'y en ait eu que cinquante et une dont les allocations ont été suspendues. Cela marche puisque 99,8 % des familles concernées ont ramené leur enfant à l'école. C'était l'objectif. Cela montre qu'en prenant une mesure capable d'associer prévention et sanction, on obtient des résultats.

Vous avez d'ailleurs raison, monsieur Durand, un tel dispositif figure dans la loi depuis longtemps ; les principes ont été actés en 1959. Je n'ai d'ailleurs pas souvenir que, lorsque vous étiez au pouvoir, vous soyez revenus sur ces dispositions. Seul changement, nous avons remplacé le président du conseil général par l'inspecteur d'académie. Ce qui s'est passé en trois mois me montre que nous avons eu raison. Un plus grand nombre de cas ont été signalés et 99,8 % des élèves qui étaient absentéistes il y a trois mois sont revenus à l'école. C'est un vrai résultat. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Debut de section - PermalienLuc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative

En application de l'article 96 du règlement de l'Assemblée nationale, le Gouvernement demande la réserve des votes sur la présente proposition de loi.

Réserve des votes

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures trente-cinq, est reprise à dix-sept heures quarante.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

J'appelle maintenant les articles de la proposition de loi dans le texte dont l'Assemblée a été initialement saisie puisque la commission n'a pas adopté de texte.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Je suis saisi d'un amendement n° 1 , portant article additionnel avant l'article 1er, qui fait l'objet d'un sous-amendement n° 5 .

La parole est à Mme Marie-Hélène Amiable, pour soutenir l'amendement n° 1 .

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Amiable

Monsieur le ministre, vous prétendez qu'il n'y aurait aucune corrélation entre les moyens, donc l'investissement public, et la réussite scolaire. Nous pensons bien entendu le contraire, c'est-à-dire que votre politique aggrave le décrochage scolaire par une prise en charge insuffisante des enfants en difficulté. Il serait donc intéressant que le Gouvernement remette au Parlement un rapport évaluant l'impact des suppressions de postes intervenues depuis 2007 sur la réussite des élèves.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Durand

Lors du débat en commission, j'avais soumis cet amendement à l'appréciation de mes collègues, qui l'ont majoritairement rejeté, comme ils ont d'ailleurs rejeté tout le reste. À titre personnel, il me paraît toujours bon que nous ayons une évaluation des politiques menées. Le Parlement joue alors tout son rôle de législateur, bien sûr, mais également de contrôle. Qu'il y ait une évaluation des attributions et des suppressions de postes concernant les politiques éducatives serait une bonne chose et permettrait d'ailleurs d'éviter toutes les interprétations personnelles.

Debut de section - PermalienLuc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative

Madame Amiable, je ne prétends rien. Je lis les études internationales,…

Debut de section - PermalienLuc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative

…qui montrent que la France réussit mieux, dans son système éducatif, que certains pays qui investissent davantage et moins bien que d'autres qui n'ont pas la même dépense en matière éducative. Il n'existe pas de corrélation directe entre l'engagement des moyens et les résultats.

D'ailleurs, il suffit de regarder l'évolution du système éducatif depuis trente ans. Alors que les budgets par élève ont augmenté de 80 % en euros constants, nous avons encore, malheureusement, les chiffres du décrochage qui ont été évoqués.

En ce qui concerne l'amendement, nous considérons qu'il existe des outils d'évaluation utiles et efficaces. Au moment de l'examen du projet de loi de finances, le projet annuel de performance annexé permet de mesurer dans le détail l'efficacité des différents dispositifs et d'établir les comparaisons que vous demandez. Le Gouvernement sollicite donc le retrait de l'amendement ; à défaut de quoi j'émettrai un avis défavorable.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir le sous-amendement n° 5 .

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Durand

Dans le cadre du rôle de contrôle et d'étude du Parlement, il s'agit de demander une sorte d'étude d'impact sur la scolarisation, si les parents le souhaitent, des enfants de deux à trois ans, pour voir comment nous pouvons passer, pour les enfants de cet âge, des gardes familiales et traditionnelles à une véritable scolarisation, dans le même esprit que la proposition de loi, tendant à renforcer une scolarisation précoce.

Ce sous-amendement a été inspiré par M. René Couanau en commission. Je remercie notre collègue pour son apport et pour son investissement dans le débat.

Debut de section - PermalienPhoto de Marietta Karamanli

Ce sous-amendement ajoute une dimension importante. Comme les sociologues le rappellent – plusieurs études ont été réalisées sur le sujet –, une scolarisation commencée le plus tôt possible favorise la réussite et l'intégration en milieu scolaire et social, et prévient de façon importante le décrochage des enfants des classes sociales et culturelles les plus modestes.

La proportion des enfants de deux à cinq ans scolarisée dans le public et le privé tend à diminuer : elle était de 81,4 % en 2004-2005 et n'est plus que de 77,9 % aujourd'hui. L'examen attentif de ces chiffres montre que ce sont les enfants entre deux et trois ans qui ont le plus de difficultés à accéder à l'école.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Amiable

Il ne s'agit pas de caricaturer cette proposition de scolarisation, à la demande des parents, des enfants de deux ans. Ce sont surtout les enfants d'au moins deux ans et demi qui sont concernés. L'étude de l'INSEE a démontré l'incidence positive de la scolarisation avant trois ans sur la réussite scolaire. Cette scolarisation est actuellement autorisée dans les zones d'éducation prioritaire, là où les familles n'ont souvent pas les moyens d'assurer correctement les missions éducatives.

J'ai déposé une proposition de loi en ce sens. La scolarisation des enfants de moins de trois ans recule dangereusement dans notre pays : la proportion est passée à un enfant sur cinq, contre un sur trois auparavant. Dans les zones rurales, en particulier, c'est une véritable catastrophe.

Une telle demande dépasse souvent les clivages politiques : des maires de toutes tendances souhaiteraient pouvoir scolariser les enfants de leurs communes à partir de deux ans et demi.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Amiable

Il me paraît important de revenir sur ces questions, en raison du grave recul constaté, qui pose de nombreux problèmes dans nos territoires.

Debut de section - PermalienLuc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative

Comme tous mes prédécesseurs, je mets en oeuvre une scolarisation à partir de l'année des trois ans. Dans la limite des places disponibles, et pour un public prioritaire ciblé – zones d'éducation prioritaire, zones de revitalisation rurale –, nous accueillons également les enfants de deux ans. Je suis très surpris, madame Amiable, par les informations que vous communiquez sur les résultats.

Je note que la proposition de loi ne souhaite pas rendre obligatoire la scolarisation dès deux ans, ce qui serait, je crois, une erreur. Selon les cas de figure, les réponses à apporter diffèrent, et la scolarisation ne saurait être en la matière la seule réponse. Nous devons plutôt réfléchir à des modes de garde et de crèche en milieu rural et dans les zones défavorisées, et de scolarisation progressive.

Le sous-amendement propose un rapport dont le Gouvernement ne voit pas, là non plus, l'utilité. J'émets donc un avis défavorable.

(Les votes sur l'amendement n° 1 et sur le sous-amendement n° 5 sont réservés.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

En vertu de l'article 96, il n'y a pas de vote sur ce sous-amendement et cet amendement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

La parole est à M. Régis Juanico, premier orateur inscrit sur l'article.

Debut de section - PermalienPhoto de Régis Juanico

L'accueil des jeunes enfants dans une structure éducative adaptée est une condition essentielle à la réussite scolaire et constitue un outil majeur de lutte contre les inégalités sociales. Si 10 % d'une génération est concernée, en dix ans, c'est l'équivalent d'une génération qui aura subi l'échec scolaire, avec un coût significatif, sur les plans économique et social, pour l'ensemble de la société.

L'article 1er de cette proposition de loi s'attaque aux racines du décrochage scolaire par la détection et la prévention, et en établissant la scolarité obligatoire dès trois ans. Avec cet article 1er, nous faisons de l'école maternelle une priorité de l'éducation nationale, ce qu'elle n'est plus puisque vous en avez fait, monsieur le ministre, après votre prédécesseur M. Darcos, une variable d'ajustement.

Dès 2007, le Haut conseil de l'éducation dressait ce constat inquiétant : « Quatre écoliers sur dix, soit environ 300 000 élèves, sortent du CM2 avec de graves lacunes. Près de 200 000 d'entre eux ont des acquis fragiles et insuffisants en lecture, écriture et calcul. Plus de 100 000 n'ont pas la maîtrise des compétences de base dans ces domaines. »

Toutes les études sérieuses, ainsi que les retours d'expérience que nous avons de la communauté éducative, démontrent les bienfaits d'une scolarisation précoce. L'analyse de l'étude internationale Pisa 2009 révèle que « les élèves qui ont suivi un enseignement préprimaire tendent à être plus performants. Cet avantage est le plus marqué dans les systèmes d'éducation où l'enseignement préprimaire dure longtemps, où le ratio élève-enseignant au niveau préprimaire est faible et où les dépenses publiques par élève à ce niveau sont élevées. »

Dans le cadre du comité d'évaluation et de contrôle, avec mon collègue Michel Heinrich, député des Vosges, nous avons auditionné beaucoup d'experts, nationaux et internationaux, sur la performance des politiques sociales en Europe, et tous nous disent qu'il faut investir massivement dans les services publics de la petite enfance, en particulier dans l'école maternelle, qui est un lieu d'apprentissage fondamental du langage, du vocabulaire, de la socialisation et du vivre ensemble, mais aussi un mode de garde complémentaire financièrement accessible à de nombreuses familles, en particulier à des femmes qui souhaitent continuer à travailler.

M. le ministre a indiqué qu'il n'était pas opposé à cet article 1er mais qu'il avait des doutes quant au coût financier pour les collectivités locales, s'agissant des locaux et de l'accueil. Cela nécessite discussion. Pour être, la plupart d'entre nous, des élus locaux, nous savons qu'il s'agit d'investissements sociaux majeurs, des investissements d'avenir et d'intérêt général. Les collectivités locales ont tout intérêt à investir massivement dans ce service public de la petite enfance et dans l'école maternelle.

M. le ministre nous a également opposé la concertation avec la communauté éducative. Chiche, monsieur le ministre ! Mettez ce sujet dans la concertation ! Ce serait étonnant de la part de quelqu'un qui passe son temps à mettre sous tension le système éducatif par des changements permanents qui ne sont pas concertés. Faites-le : mettez cette question, avec celle des rythmes scolaires, en débat !

En conclusion, mieux vaut prévenir que guérir. C'est la logique de cet article 1er.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Je demande à chacun de respecter son temps de parole, de sorte que nous puissions avancer.

La parole est à Mme Marietta Karamanli.

Debut de section - PermalienPhoto de Marietta Karamanli

Je tiens à souligner l'aspect positif de cet allongement de la scolarité obligatoire. En 1882, la loi sur l'enseignement primaire a instauré la scolarité obligatoire dès l'âge de six ans, avant que le terme en soit porté à seize ans par l'ordonnance du 6 janvier 1959.

L'éminent sociologue et économiste Esping-Andersen a mis en évidence l'intérêt d'organiser une prise en charge éducative collective des enfants le plus tôt possible en veillant à ce que cette prise en charge soit financièrement accessible et de qualité. Ce renforcement du capital culturel est contenu dans notre proposition de loi.

Au-delà, il convient de rappeler que l'éducation a besoin de moyens. L'OCDE a montré qu'en 1995 les dépenses d'éducation représentaient 11,5 % du total des dépenses publiques et qu'elles ne représentent plus aujourd'hui que 7,1 %. Ces données, si elles doivent être analysées avec prudence, mettent en évidence une tendance de fond à la baisse des dépenses d'éducation, révélatrice des choix qui sont faits, année après année, au détriment de ces dépenses.

L'effort en matière d'éducation est un investissement pour tous. Plus le niveau de qualification est élevé, plus le taux d'emploi et les revenus du travail, quel que soit le niveau de qualification, le sont. Certes, l'école a un coût, mais il est sans commune mesure avec celui, économique et social, de l'ignorance et de l'échec scolaire. Mettons donc les choses en perspective : l'éducation publique est avant tout un investissement humain, social et économique qu'il faut soutenir et développer.

Debut de section - PermalienPhoto de Patrick Lebreton

La principale mesure de cette proposition de loi, la scolarité obligatoire dès trois ans, paraît essentielle, si ce n'est par son impact direct – à la Réunion, le taux de scolarisation est déjà important : 90 % des enfants de trois à cinq ans –, du moins par la revalorisation de l'enseignement en maternelle qu'elle suscitera.

Il est fondamental que les bases éducatives soient renforcées dès la maternelle. Cette exigence est particulièrement essentielle à la Réunion, où l'environnement familial est souvent instable : la prégnance de familles monoparentales, l'illettrisme, le déclassement sont des phénomènes malheureusement trop courants. Ce qui se traduit par des résultats très inférieurs à la moyenne nationale dans les évaluations de CM2.

En outre, il faut noter que beaucoup d'enfants, dans notre île, grandissent dans un univers créolophone. Aussi, cette intégration en milieu scolaire, où les enseignements sont très majoritairement dispensés en français, doit se faire le plus tôt possible.

Debut de section - PermalienPhoto de Martine Faure

Martine Martinel ne pouvant être présente, je vous remercie, monsieur le président, de me permettre d'intervenir en son nom.

Le décrochage scolaire n'est pas une fatalité. Il est possible de le prévenir par une politique ambitieuse qui fasse de l'école une priorité. C'est la raison d'être de l'article 1er de notre proposition de loi, qui rend obligatoire la scolarité pour tous les enfants de trois à seize ans.

Scolariser l'enfant dès trois ans, c'est oeuvrer à une politique ambitieuse de la petite enfance, l'outil principal de cette politique étant l'école maternelle, qui doit être enfin reconnue comme partie intégrante du cursus obligatoire. La maternelle est en effet le lieu par excellence où peuvent être détectées de manière précoce et pertinente les difficultés qui pourraient lourdement handicaper la scolarité des élèves. On sait que c'est également le lieu privilégié pour fonder les bases des apprentissages qui seront développés à l'école primaire.

C'est en particulier le lieu par excellence de maîtrise de la langue orale. Vous avez signalé, monsieur le ministre, qu'il pouvait y avoir une différence de soixante-dix à huit cents mots chez un élève entrant en cours préparatoire. D'où l'importance d'une scolarité précoce !

« Aujourd'hui, 99 % des élèves âgés de trois ans sont scolarisés. La pratique sociale a devancé la loi. Instaurer cette obligation est une manière de reconnaître l'importance de l'école maternelle et de l'inscrire comme partie intégrante du système scolaire. » C'est ce que reconnaissait un leader syndical enseignant lorsque nous avions lancé cette idée, au moment de la campagne présidentielle de 2007.

C'est la raison pour laquelle nous devons assurer le socle de scolarité obligatoire de trois à seize ans pour tous les enfants, afin de leur éviter de déserter les bancs de l'école et de les aider à acquérir, outre des savoirs, des codes nécessaires pour devenir des citoyens acteurs de leur vie. Au moment où le Gouvernement a la tentation, pour des raisons comptables, de différer l'âge d'entrée dans la vie scolaire et de précipiter l'âge de sortie, c'est la principale raison de cet article 1er.

(Le vote sur l'article 1er est réservé.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

La parole est à Mme Marietta Karamanli, première oratrice inscrite à l'article 2.

Debut de section - PermalienPhoto de Marietta Karamanli

À entendre certains discours, on ne punirait pas, ou plus, à l'école, au collège, au lycée. Pour avoir exercé pendant quinze ans, je peux vous dire que ce n'est pas vrai.

J'exclus les incivilités, les dégradations de biens, les violences aux personnes, et tout ce que je considère comme des comportements extrêmes. Ce sont souvent les mêmes élèves qui sont punis, de plusieurs façons, et qui exécutent des peines en quelque sorte multiples pour un comportement général non conforme à ce que les enseignants tentent de leur apprendre et à ce que la vie scolaire doit leur faire partager.

Les enfants sont inégalement préparés, dans leur milieu familial et social, à maîtriser certaines situations, certains actes et objectifs, et à cette première punition, si j'ose dire, vont s'en ajouter d'autres. La dégradation plus ou moins lente des résultats, la perte d'attention, la multiplication des punitions, voire des sanctions plus graves, peut les conduire au décrochage quasi définitif.

L'exclusion temporaire auxquels certains collèges n'hésitent pas à recourir renforce le sentiment d'échec de l'élève, le conforte dans l'idée qu'il n'a pas sa place dans l'établissement et le met en retard par rapport au programme.

Face à de telles situations, la décision d'exclure l'élève de la classe mais pas de l'établissement est de nature à permettre une reconnaissance mutuelle des problèmes posés et un début de solution. Les résultats sont significatifs dans les établissements ayant mis ce dispositif en place, ce qui montre que non seulement ils doivent être généralisés mais aussi conduire à une réflexion d'ensemble sur la construction de l'école pour tous.

La réponse au décrochage est pour une grande part de nature pédagogique : elle passe par la prise en compte des différents temps dans la journée de la classe, par la pratique d'évaluations valorisantes de compétences, par la définition d'outils de base de réflexion sur le contenu, ainsi que par la nécessaire revalorisation de la formation des maîtres et des intervenants dans l'école – à l'inverse des partis pris gouvernementaux actuels –, toutes choses que nous devons avoir à l'esprit dans cette première étape de la lutte contre le décrochage.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascal Deguilhem

Je veux tout de suite rassurer notre collègueJacques Grosperrin : cet article, très simple, ne perturberait pas les dispositifs existants que vous avez rappelés.

L'exclusion est un échec. Le décrochage scolaire, qui ne concerne pas, il faut le redire ici, que les élèves qui quittent le système scolaire sans diplôme, est dans l'école, et il s'exprime parfois très tôt dans la scolarité, peut être momentané ou bien sûr, malheureusement, s'inscrire dans la durée. Il peut se manifester à travers une situation de conflit au sein de l'institution.

Je ne sais pas, monsieur le ministre, si vous avez déjà participé à des conseils de discipline qui ont été amenés à prononcer l'exclusion d'élèves. Pour ma part, sans doute comme d'autres collègues ici présents, j'y ai participé : c'est un sentiment de véritable échec, qui marque profondément et durablement l'ensemble de la communauté éducative. Mme Karamanli l'a dit : il faut généralement sortir l'élève du groupe classe et de l'établissement pour quelques jours. Mais c'est une sanction brutale, très sommairement expliquée, et qui ne s'accompagne d'aucune remédiation, et l'élève reviendra donc tel que dans l'établissement. Cet élève est alors, bien sûr, en voie de décrochage parce qu'il ne trouve plus d'intérêt dans le système scolaire. Les causes du décrochage, on l'a dit, sont nombreuses et variées, et l'exclusion n'y remédie pas parce qu'elles sont souvent sociales. C'est alors l'engrenage de l'échec, souvent dû au matraquage de la notation. Il y a aussi le problème des professeurs qui se succèdent, des remplacements non assurés, des jeunes enseignants qui ne sont pas armés pour faire face à des situations difficiles. Les causes sont donc multiples, y compris psychologiques. Avec des causes multiples, il ne peut y avoir une seule typologie des élèves exclus et on ne peut donc pas se satisfaire d'un modèle unique de sanctions.

C'est pourquoi, comme il y a des typologies différentes, il doit y avoir des prises en charge différentes. Tel est l'objet de l'article 2, dont les modalités sont définies à l'article 3.

(Le vote sur l'article 2 est réservé.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Je suis saisi d'un amendement n° 3 .

La parole est à Mme Marie-Hélène Amiable.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Amiable

J'ai déjà évoqué cet amendement dans la discussion générale. Il vise à préciser que la mesure de continuité éducative ne saurait comprendre un travail d'intérêt général au sens des articles du code pénal s'y rapportant. En effet, une sanction pénale ne peut être prononcée par le chef d'établissement ou par une cellule de veille éducative, à l'encontre de mineurs. C'est donc un amendement de précision.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Durand

Il est bien évident qu'une mesure de punition scolaire ne peut absolument pas faire référence au code pénal et qu'elle n'a rien à voir avec un travail d'intérêt général. Cette précision qu'introduit l'amendement tombe sous le sens.

Monsieur le ministre, je souhaiterais un éclaircissement. Vous avez évoqué des aides personnalisées à l'intérieur du temps scolaire. Ce n'est pas du tout le cas actuellement. D'une part, pour les collégiens, vous avez dit que ces aides avaient lieu pendant les vacances scolaires. D'autre part, en ce qui concerne les fameuses deux heures, conséquence de la remarquable semaine de quatre jours, qui fait aujourd'hui d'ailleurs l'unanimité contre elle, elles ne s'effectuent pas non plus pendant le temps scolaire.

Debut de section - PermalienLuc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative

Si, monsieur Durand.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Durand

Non, monsieur le ministre, puisque c'est soit avant l'école, soit après l'école, soit de plus en plus, pour éviter que la journée ne soit trop longue, pendant la période méridienne, celle du repas. Le fait que ces deux heures d'aide personnalisée ne soient pas utilisées pendant le temps scolaire constitue d'ailleurs un des inconvénients majeurs du dispositif, qui conduit à sa totale inutilité.

Debut de section - PermalienLuc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative

Tout d'abord, un élément de réponse à M. Durand. Ne faites pas semblant de ne pas comprendre. Vous avez rappelé que mon prédécesseur avait supprimé la classe le samedi matin et avait donc réorganisé le temps scolaire sur quatre jours,…

Debut de section - PermalienLuc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative

…mais je vous rappelle que les deux heures d'aide personnalisée font partie du temps scolaire. Ensuite, selon la nature des difficultés qu'il rencontre, l'élève y participe ou non.

Debut de section - PermalienLuc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative

De même, les deux heures d'accompagnement personnalisé au lycée, qui existent depuis la dernière rentrée, font partie, elles aussi, de l'emploi du temps des élèves. Quand bien même organiserait-on du soutien scolaire à la fin des vacances, où serait le problème ? C'est cela qui nous différencie, monsieur Durand. Je préfère que le soutien soit organisé par l'école de la République au sein des établissements plutôt que par des petits cours privés que toutes les familles ne peuvent pas se payer.

Debut de section - PermalienLuc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative

Avant d'en venir à l'amendement de Mme Amiable, je rappelle que les deux projets de décret relatifs à la discipline dans les établissements d'enseignement du second degré, qui vont être prochainement publiés et qui s'appliqueront à la rentrée prochaine, comportent des dispositions comparables à celles prévues dans les articles 2 et 3 de cette proposition de loi. Je m'empresse de préciser que les dispositions en question seront de nature réglementaire.

Cet amendement apporte une précision sur la nature de la sanction « mesure de continuité éducative ». Les sanctions disciplinaires prononcées à l'encontre d'un élève ne sauraient en effet, madame Amiable, être assimilées à des peines prononcées par la justice. C'est un élément que j'ai moi-même pris en compte dans la réforme qui sera mise en oeuvre à la rentrée. Les mesures de responsabilisation sont des sanctions éducatives, qui ont reçu un avis favorable du Conseil d'État : à travers une activité, l'élève donne de son temps pour compenser le préjudice causé à la communauté éducative, mais cette période doit aussi lui permettre de prouver qu'il est capable de s'amender en montrant un aspect positif de sa personnalité et d'intégrer les règles de vie communes. Cet amendement, comme l'ensemble de la proposition, n'apporte rien par rapport à l'action que nous avons engagée et qui sera mise en oeuvre à la prochaine rentrée scolaire. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement émet un avis défavorable.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Roman

Il est important d'y voir clair dans cette question du temps scolaire. J'ai un enfant qui fréquente une école maternelle. Elle a une amie, âgée de cinq ans, qui a des difficultés d'élocution. Celle-ci fait, comme ma fille, vingt-quatre heures par semaine, de huit heures trente à onze heures trente, puis de treize heures trente à seize heures trente. On a proposé à sa maman, qui est venue me demander mon avis, de lui ajouter deux fois une heure le midi pour faire du rattrapage. Si le temps scolaire, c'est vingt-quatre heures plus deux heures, M. Durand a raison : ces heures de soutien se situent hors temps scolaire puisqu'on lui demande de faire deux heures supplémentaires au-delà des vingt-quatre heures de scolarisation. Il ne faut pas user de sophismes : le temps scolaire, c'est vingt-quatre heures,…

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Roman

…et les heures de soutien proposées en plus se situent donc hors temps scolaire.

Debut de section - PermalienLuc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative

Monsieur Roman, quelle était la durée du temps scolaire avant la réforme mise en oeuvre par M. Xavier Darcos ? Elle était de vingt-six heures. Nous avons décidé de faire un choix : celui d'apporter, dans ce temps scolaire de vingt-six heures, un soutien spécifique pour les élèves en difficulté afin d'éviter qu'à l'issue du premier degré, ils passent en sixième sans maîtriser les fondamentaux. À cet effet, nous avons réorganisé les programmes pour les concentrer sur les fondamentaux, à raison de vingt-quatre heures par semaine ; et pour les élèves qui ont des difficultés, nous disposons de deux heures de soutien personnel, ce qui porte le temps à vingt-six heures, c'est-à-dire le même qu'auparavant.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Roman

Je note qu'au moment où les réductions de postes continuent année après année, les organisations syndicales expliquent que le ministre les masque par une diminution des horaires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Grosperrin

Mais non ! Les enseignants font toujours le même nombre d'heures : c'est vingt-six heures !

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Roman

Je constate que ma fille, comme des centaines de milliers d'enfants, est donc passée de vingt-six heures d'éducation à vingt-quatre heures. Il s'agit de réduire le nombre de postes et, par conséquent, le service public de l'éducation nationale. On a trouvé l'alibi d'ajouter quelquefois, pour quelques enfants, deux heures supplémentaires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Chers collègues, plus particulièrement vous, Monsieur Roman, on ne peut pas en même temps demander à faire une séance prolongée pour pouvoir terminer l'examen des textes sans séance de nuit et sortir totalement du contexte de l'amendement sur lequel on a souhaité intervenir. Je vous rappelle que le débat sur l'amendement de Mme Amiable devait porter sur la différence entre mesures éducatives et travail d'intérêt général.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Je propose que M. le rapporteur intervienne très brièvement, ainsi que le ministre s'il le souhaite, et que nous passions à la suite de la discussion.

La parole est à M. le rapporteur.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Durand

Tout à fait d'accord, monsieur le président. Mais si monsieur le ministre n'avait pas apporté des imprécisions lors de son intervention, je ne me serais pas permis d'aborder ce problème.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Durand

Permettez-moi deux observations très simples. Si ce que dit monsieur le ministre est juste, il y a une inégalité de traitement entre des enfants…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Monsieur Grosperrin, monsieur Durand, soit vos interventions sont très courtes, soit nous arrêtons là le débat.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Durand

Ce sont de faits. Je ne suis pas professeur de mathématiques, simplement ancien professeur d'histoire et géographie, mais j'observe que ceux des enfants qui n'ont pas besoin de ces deux heures d'aide personnalisée vont avoir vingt-quatre heures de cours tandis que les autres en auront vingt-six.

Deuxièmement, monsieur le ministre, vous me semblez confondre les temps périscolaire et scolaire. Le temps périscolaire se déroule en dehors des horaires classiques des journées de classe, elles-mêmes réduites par votre prédécesseur pour aboutir à cette semaine de quatre jours qui paraît faire l'unanimité contre elle.

Si elles ne sont pas effectuées le samedi matin, ces deux heures d'aide personnalisée doivent être placées en dehors des heures de classe, c'est-à-dire durant ce temps périscolaire : avant huit heures et demi, entre onze heures et demi et quatorze heures ou après seize heures trente.

Monsieur le président, je ne voudrais pas allonger le débat, d'autant que cela a l'air d'irriter M. Grosperrin…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Je n'ai pas du tout eu le sentiment que M. Grosperrin était irrité mais j'ai simplement rappelé une règle que vous sembliez approuver avant de relancer le débat.

Avant de passer à la suite, la parole est à M. le ministre.

Debut de section - PermalienLuc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative

Cet échange illustre assez bien nos différences. Vous défendez un égalitarisme qui a fait tant de mal à notre système éducatif depuis vingt-cinq ans.

Debut de section - PermalienLuc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative

Nous défendons – et je l'assume pleinement – la différenciation : faire plus pour les élèves qui ont plus de difficultés et de besoins.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Grosperrin

Très bien !

(Le vote sur l'amendement n° 3 est réservé.)

(Le vote sur l'article 3 est réservé.)

Debut de section - PermalienPhoto de Pascal Deguilhem

Monsieur le ministre, je rebondis sur vos derniers propos.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascal Deguilhem

J'interviens sur l'article 4, cher collègue.

Faire plus pour les élèves qui sont le plus en difficulté, dites-vous monsieur le ministre. C'est précisément l'objet de l'article 4 qui propose un tutorat pour les élèves en difficulté scolaire, une mesure à laquelle vous devriez aisément adhérer.

La lutte contre le décrochage scolaire peut prendre une forme extrême telle que l'exclusion, mais si l'on veut traiter le problème en amont et s'intéresser aux élèves en difficulté scolaire, donnons-leur les moyens et prévoyons l'accompagnement par un tuteur pour ceux qui en ont le plus besoin.

Ce tutorat peut s'organiser en s'adressant à l'ensemble de la communauté éducative, à tous les intervenants de l'école et pas seulement à l'enseignant qui est en charge de l'élève. Il peut être effectué par l'un de ses collègues, le directeur de l'école, un psychologue, une infirmière. On peut associer tous les personnels pour assurer un tutorat dans des conditions satisfaisantes pour remédier réellement aux difficultés scolaires de ces élèves.

Les conditions sont définies dans cet article 4. Chaque tuteur n'aurait pas la responsabilité de plus de cinq élèves à la fois, ce qui permettrait cette prise en charge individualisée dont vous parlez sans arrêt, monsieur le ministre. Bien entendu, il ne s'agirait pas de bénévolat, le tuteur bénéficiant d'une décharge horaire ou d'une compensation en heures supplémentaires.

(Le vote sur l'article 4 est réservé.)

Debut de section - PermalienPhoto de Pascal Deguilhem

Cet article 6 qui traite aussi de remédiation propose d'étendre au collègue un dispositif qui existe dans le primaire, afin d'assurer une continuité dans le suivi de l'élève au cours de sa scolarité : les réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté.

Hélas, de moins en moins d'élèves en difficulté bénéficient de ce dispositif en raison de la suppression massive du nombre de RASED. Quand ils ne sont pas supprimés, ils ont des difficultés à intervenir en zone rurale car les frais de déplacement ne sont souvent pas pris en charge. Bien souvent leur intervention s'arrête trop tôt, ce qui est très dommageable pour les élèves suivis.

Cet article 6 propose d'inscrire une continuité dans l'accompagnement de l'élève en difficulté. Il y a des généralistes, les enseignants ; il y a des spécialistes, les intervenants de RASED. Nous proposons que ces derniers puissent intervenir en collège, afin de suivre l'élève du primaire au secondaire, si la remédiation n'a pas été effectuée.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Je suis saisi d'un amendement n° 4 .

La parole est à Mme Marie-Hélène Amiable.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Amiable

Cet amendement me permet de revenir sur les RASED et leur efficacité – contestée à plusieurs reprises par le Gouvernement – en m'appuyant sur la synthèse d'une étude effectuée par la Fédération nationale des associations des rééducateurs de l'éducation nationale et l'université Paris-Descartes et intitulée : «L'élève en difficulté scolaire : aide personnalisée ou aides spécialisées des RASED ? »

Concernant l'aide personnalisée dispensée par les maîtres des classes, cette étude montre que 20 % des élèves ayant suivi trente heures de soutien font effectivement des progrès dans les acquisitions scolaires, mais seulement dans ce domaine.

S'agissant de l'aide spécialisée, cette étude montre que 70 % des élèves ayant suivi trente heures d'aide rééducative – c'est-à-dire avec des enseignants spécialisés titulaires d'une certification option G – font effectivement des progrès, et ce non seulement dans les acquisitions scolaires mais également dans le domaine des compétences cognitives, sociales et relationnelles. Tout cela conforte les RASED et démontre leur utilité.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Durand

Avis tout à fait favorable pour deux raisons. D'une part, cet amendement conforte la présence et la nécessité de ces réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté, ce qui est très exactement la philosophie de notre proposition de loi, à un moment où ces réseaux sont largement mis en danger.

D'autre part, le fait de les étendre ou d'en créer de spécifiques pour les collèges est important puisque cette extension reconnaît une continuité éducative entre l'école élémentaire et le collège dans le cadre du socle commun avec lequel nous sommes d'accord – nous avons toujours dit qu'il fallait faire de l'école obligatoire un parcours sinon unique, du moins cohérent.

Cette continuité étant prévue dans la loi, l'amendement devrait donc recueillir un avis favorable du Gouvernement et ensuite les votes favorables de l'ensemble de nos collègues.

Debut de section - PermalienLuc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative

Le Gouvernement n'est pas favorable à cet amendement qui propose un nouveau rapport. J'ai évoqué tout à l'heure les nombreuses évaluations qui existent sur les politiques éducatives.

Quant aux réseaux d'aides, le groupe socialiste aime caricaturer la politique du Gouvernement, mais je rappelle qu'il existe encore 8 000 RASED et près de 13 000 éducateurs spécialisés dans l'éducation nationale. Mais c'est le rôle des enseignants eux-mêmes – et nous misons sur eux – que d'apporter la remédiation dans le temps scolaire, comme M. Durand le dit régulièrement, au sein même de la classe, et de répondre aux difficultés rencontrées par les élèves. C'est l'objet de la personnalisation que nous mettons en place.

(Le vote sur l'amendement n° 4 est réservé.)

(Le vote sur l'article 6 est réservé.)

Debut de section - PermalienPhoto de Patrick Lebreton

Cet article vise à supprimer les sanctions automatiques de l'absentéisme scolaire, un dispositif sans aucun intérêt pédagogique et inefficace socialement.

Monsieur le ministre, au moment où vous détricotez de nombreuses pseudo-réformes que vous aviez engagées depuis 2007, nous vous proposons d'abolir un dispositif qui entraîne dans la spirale du déclassement et de l'exclusion des familles qui connaissent des difficultés sociales sévères. Nous croyons que ces familles relèveraient davantage d'un accompagnement social renforcé que de sanctions impératives et mécaniques.

Nous n'avons vraiment pas l'impression que toutes ces mesures aient eu un impact quelconque sur l'intégration scolaire des élèves ou pour empêcher le décrochage scolaire.

Au contraire, au-delà des causes sociales et familiales, nous croyons que votre politique d'abaissement de la mission pédagogique des enseignants, les fermetures de classes en milieu rural, les suppressions de postes et la création d'une armée de précaires dans l'éducation nationale constituent de réelles causes du décrochage scolaire que nous observons.

C'est pour cela que nous plaidons pour cet article.

(Le vote sur l'article 7 est réservé.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Nous avons achevé l'examen des articles de la proposition de loi.

La parole est à M. le ministre.

Debut de section - PermalienLuc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative

En application de l'article 44, alinéa 3, de la Constitution, le Gouvernement demande à l'Assemblée nationale de se prononcer par un seul vote sur les articles, à l'exclusion de tout amendement, et sur l'ensemble de la proposition de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

J'en prends acte et je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les explications de vote et le vote par scrutin public sur l'ensemble de la proposition de loi auront lieu le mardi 14 juin, après les questions au Gouvernement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Jean-Marc Ayrault et plusieurs de ses collègues simplifiant le vote par procuration (nos 3374, 3461).

La parole est à M. Bernard Roman, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Roman

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'année prochaine sera riche en rendez-vous électoraux.

Dans cette perspective, le groupe SRC vous propose un texte sur lequel toutes les sensibilités politiques de notre assemblée devraient pouvoir se retrouver. Cette proposition de loi vise à faciliter l'usage du vote par procuration, ceci pour l'ensemble des élections politiques.

À l'issue de la plupart des scrutins nationaux ou locaux, nous nous retrouvons souvent, au-delà des clivages partisans, pour regretter l'insuffisance de la participation électorale.

Il serait bien sûr irréaliste de prétendre résoudre le problème de l'abstention par le seul biais de la simplification du vote par procuration : l'abstentionnisme puise sa source dans des causes évidemment bien plus profondes.

En revanche, après chaque scrutin, nous sommes souvent saisis, en tant qu'élus locaux ou nationaux, de réclamations et d'interrogations de la part de nos concitoyens qui ont rencontré des difficultés pour voter par procuration. C'est à ces difficultés que cette proposition de loi vise à remédier. Il s'agit donc de simplifier la vie de nos concitoyens et de faciliter l'exercice du droit de vote.

Le vote par procuration est un outil d'autant plus indispensable que notre société a changé. Elle a doublement changé. D'abord, elle a vieilli. Elle doit donc répondre aux besoins des personnes âgées qui ne sont plus en mesure de se déplacer aussi facilement les jours de vote. Notre société est aussi de plus en plus mobile, ce qui garantit de plus en plus rarement que chaque électeur se trouve le dimanche dans la commune où il est inscrit.

Le vote par procuration a déjà fait l'objet, en 2003, d'une simplification. Les possibilités de donner une procuration ont été élargies et une attestation sur l'honneur remplace désormais la production de justificatifs. Cette réforme est allée dans le bon sens et elle explique en partie la forte hausse du nombre des procurations lors de l'élection présidentielle de 2007 : plus de 2,1 millions contre un peu moins de 1,2 million lors de l'élection présidentielle de 2002.

Toutefois, la réforme de 2003 n'est pas suffisamment bien appliquée. Il se trouve encore – je le dénonce avec force en le regrettant, madame la ministre, parce que cela relève des instructions à donner aux préfets – des officiers de police judiciaire dans les gendarmeries ou les commissariats pour exiger la production de justificatifs qui n'ont juridiquement plus lieu d'être.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Roman

Surtout, la réforme de 2003 n'est pas allée assez loin, comme le montre le nombre de procurations données lors des élections cantonales de mars dernier : 235 000, soit un niveau sensiblement identique à celui des scrutins cantonaux précédents

Il est donc indispensable de simplifier encore la procédure du vote par procuration. Nous proposons, à cet effet, trois séries de simplification.

Première simplification : la proposition de loi permet à un électeur de désigner un mandataire inscrit dans une autre commune que la sienne et non plus seulement dans la même commune, comme cela est prévu aujourd'hui dans les textes. On élargirait ainsi le choix du mandataire.

La limitation actuelle des procurations au sein d'une même commune ne s'explique que par le contrôle par le maire du nombre maximal de procurations par mandataire. La création d'un registre informatique permettrait de remédier à cette situation.

Deuxième simplification : la proposition de loi porte à deux, au lieu d'un, le nombre maximal de procurations par mandataire.

Actuellement, l'article L. 73 du code électoral prévoit que chaque mandataire « ne peut disposer de plus de deux procurations, dont une seule établie en France ». Notre proposition veut élargir ce dispositif. Des procurations pourraient ainsi être plus facilement confiées aux membres d'une famille ne résidant pas dans la même commune.

Troisième simplification : la proposition de loi confie aux mairies le soin d'établir les procurations. Celles-ci doivent être établies aujourd'hui au tribunal d'instance, au commissariat de police ou à la brigade de gendarmerie.

Cela pose deux séries de difficultés.

D'une part, les électeurs ne comprennent pas, alors que c'est à la mairie qu'ont lieu les inscriptions sur les listes électorales et que sont délivrées les cartes électorales et que c'est le maire ou un conseiller municipal qui préside les bureaux de vote, qu'il faille aller au commissariat ou à la gendarmerie pour établir une procuration. Cela représenterait donc une simplification pour les électeurs.

D'autre part, les commissariats et les gendarmeries sont mobilisés sur des tâches qui ne constituent pas leur coeur de métier lorsqu'ils sont chargés de s'occuper de démarches administratives de cette nature. Ce serait également une simplification pour eux.

Cette idée de réforme a été discutée au sein de la commission des lois, mais je tiens à rappeler qu'elle est demandée depuis plusieurs années par nombre de parlementaires, y compris de la majorité : elle a fait l'objet de questions écrites et de propositions de loi.

Cette réforme a également été suggérée par le ministre de l'intérieur à l'automne dernier, lors de l'examen des crédits de la mission « Sécurité ». Elle a ensuite été proposée de nouveau – il est vrai sans succès – par plusieurs parlementaires de la majorité lors de la discussion de la loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, la LOPPSI 2. Le rapporteur du texte, M. Ciotti, y avait même donné un avis favorable.

Je sais qu'une telle proposition a pu laisser craindre que certaines mairies indélicates – cela peut exister – en fassent un usage partial. Mais notre proposition apporte trois garanties permettant d'éviter, autant que faire se peut, de telles dérives.

D'abord, les mairies n'auraient qu'un rôle de guichets. L'établissement des listes de procurations appartiendrait in fine à la commission administrative chargée d'établir et de réviser les listes électorales.

L'intervention de cette commission, composée de trois membres – le maire ou son représentant, un délégué de l'administration désigné par le préfet et un délégué désigné par le président du tribunal de grande instance – devrait permettre de lever tout doute quant à l'impartialité de la procédure. Si l'on doute de l'impartialité de cette commission, il y a de quoi être inquiet pour notre démocratie puisque c'est elle qui est chargée de l'établissement et de la révision annuelle des listes électorales.

Deuxième garantie : nous garderions le système actuel pour les personnes souffrant de maladie ou d'infirmité les empêchant de se déplacer. Les forces de police ou de gendarmerie continueraient d'être chargées d'enregistrer les procurations.

Troisième garantie : nous proposerons, par un amendement, que les décisions de la commission administratives soient susceptibles d'être contestées devant le juge de l'élection par les électeurs et par le préfet.

Il m'incombe, en tant que rapporteur, de vous indiquer que la commission des lois n'a pas adopté cette proposition de loi.

À titre personnel – mais pas uniquement à titre partisan, puisque j'ai rappelé les initiatives prises depuis plusieurs années par de nombreux élus de la majorité et celle du ministre de l'intérieur il y a un peu plus d'un an –, je vous invite à ne pas suivre l'avis de notre commission et vous demande donc d'adopter cette proposition de loi. Cela permettrait de favoriser l'exercice du droit de vote et mériterait donc qu'au moins sur ce sujet, nos clivages partisans soient dépassés. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

La parole est à Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer.

Debut de section - PermalienMarie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, le groupe socialiste soumet à votre examen une proposition de loi visant à simplifier le vote par procuration.

Elle a fait l'objet d'un rejet de la commission des lois, tant en ce qui concerne son dispositif que les différents amendements qui avaient été déposés.

Dans la droite ligne de l'avis exprimé par votre commission des lois, le Gouvernement considère que cette proposition de loi n'est pas opportune : d'une part, elle intervient trop tard pour pouvoir être applicable lors des échéances électorales majeures de 2012, d'autre part, sa mise en oeuvre précipitée risquerait d'être source de dysfonctionnements.

Elle doit donc s'inscrire dans une réflexion à plus long terme afin qu'on en mesure mieux les conséquences. En tout cas, elle n'est pas opportune à moins d'un an de la fin de la présente législature et des échéances électorales de 2012.

En préalable, il me semble utile de rappeler que le vote par procuration est un sujet sensible, car le droit pour l'électeur de « déléguer » son droit de vote à un autre électeur constitue une dérogation au principe constitutionnel du secret du vote énoncé à l'article 3 de la Constitution : « Le suffrage () est toujours universel, égal et secret ». Toute réforme dans ce domaine doit donc être soupesée avec la plus grande attention.

De plus, les échéances électorales de 2012 entraîneront probablement l'établissement d'un très grand nombre de procurations. À l'occasion des dernières élections législatives, 1 170 625 électeurs ont donné procuration à un électeur de leur commune pour voter à leur place pour l'un des deux tours. Pour l'élection présidentielle de 2007, élection qui connaît traditionnellement le plus fort taux de participation, le nombre de procurations établies a atteint 2 432 037 sur 37 342 004 votants, soit 6,5 % des électeurs ayant participé au scrutin.

La possibilité pour l'électeur de recourir au vote par procuration est donc un facteur important de la participation électorale.

Le transfert de l'établissement des procurations aux commissions en charge de la révision des listes électorales est une option possible mais sa mise en oeuvre risquerait d'être source de confusion et de complexité à dix mois du premier tour de l'élection présidentielle. En effet, les services des communes devraient être en mesure, dans un délai très bref et pour un nombre important de dossiers, de recevoir en mairie les demandes de procuration et de préparer leur instruction par les commissions. Les commissions de révision des listes électorales, quant à elles, devraient assumer une nouvelle mission dont elles ne sont pas familières, puisqu'elles seraient chargées de valider les demandes de procuration déposées par les électeurs. Enfin, nos concitoyens qui peuvent donner procuration pour un an et ont donc d'ores et déjà la possibilité d'établir des procurations pour la prochaine élection présidentielle, pourraient être perturbés par le changement d'interlocuteurs.

Pour toutes ces raisons, il ne semble pas opportun de mener, à ce stade de la législature, une réforme par nature sensible, dont la mise en oeuvre risquerait de nuire à la participation électorale en 2012.

Cela étant, la modernisation de l'établissement des procurations électorales reste une préoccupation du Gouvernement, qui a engagé une réflexion de fond sur le sujet.

L'allégement des formalités requises pour voter par procuration ayant réduit le rôle des officiers de police judiciaire à la seule vérification de l'identité de l'électeur souhaitant donner procuration, le Gouvernement était favorable, dans le cadre de la deuxième lecture de la LOPPSI 2, au transfert de la responsabilité d'établir les procurations aux commissions en charge de la révision des listes électorales, avec le soutien des services des mairies. Cela permettrait en effet de recentrer les forces de sécurité sur leur coeur de métier.

Or l'amendement a été rejeté, le 29 septembre 2010, par votre commission des lois, qui s'est montrée inquiète des risques de fraude que cela pouvait entraîner et circonspecte sur le montant des économies susceptibles d'être réalisées.

Le Gouvernement reste attaché au principe d'une réforme permettant d'alléger la tâche des forces de l'ordre en la matière. Une mission conjointe de l'Inspection générale de l'administration, de l'Inspection générale de la police nationale et de l'Inspection générale de la gendarmerie nationale a donc été programmée pour le second semestre 2011. Cette réforme de fond ne pourra être menée à son terme d'ici aux prochaines échéances électorales.

Pour résumer, la proposition de loi du groupe socialiste n'est pas opportune, tant par son contenu que par le moment où elle vient en discussion. En outre, un tel projet appellerait une concertation approfondie avec l'Association des maires de France – AMF –, ce que le calendrier actuel ne permet pas.

Le ministère de l'intérieur étudie néanmoins tous les allégements possibles du processus administratif d'établissement des procurations qui permettraient à la fois d'alléger la tâche des officiers de police judiciaire et de faciliter le recours à cette modalité d'exercice du droit de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Frédérique Massat, pour le groupe SRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Frédérique Massat

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, l'abstention, comme vient de le rappeler notre rapporteur, connaît des taux rarement égalés. Plus qu'une tendance, c'est une réalité qui se généralise à toutes les démocraties occidentales.

Il est de notre devoir de législateur de lever les freins à l'abstentionnisme. Si la complexité du vote par procuration n'est qu'une des multiples causes expliquant la faiblesse de la participation électorale, il convient néanmoins de réfléchir aux manières dont nous pourrions simplifier cette démarche.

C'est tout le sens de cette proposition de loi, qui tend à faciliter les conditions permettant à un citoyen de se faire représenter le jour d'une élection par un électeur de son choix.

Le présent texte s'inscrit donc dans une démarche d'assouplissement du vote par procuration initiée dès 2003 et approfondie en 2006.

Les électeurs peuvent désormais établir une procuration non seulement sur leur lieu de résidence, mais également sur leur lieu de travail sans avoir à fournir de certificats justifiant leur absence le jour du vote.

Le formulaire a également été simplifié. Les personnes ne pouvant se déplacer doivent solliciter, en passant un simple coup de téléphone au commissariat, la venue à domicile d'un officier de police judiciaire.

Toutefois, nous nous sommes rendus compte que tout le monde n'appliquait pas la loi de la même façon. Par exemple, certains exigent de malades la preuve de l'empêchement de voter, alors qu'une simple déclaration sur l'honneur suffit pour d'autres.

Mes chers collègues, notre société change. Nous devons prendre en compte ses évolutions et adapter notre législation.

Autrefois sanctuarisé, le dimanche tend aujourd'hui à devenir une journée dont beaucoup profitent pour exercer d'autres activités.

J'appelle également votre attention sur la situation des salariés qui, depuis la loi légalisant le travail le dimanche, n'ont plus la possibilité de se déplacer pour aller voter.

À toutes ces personnes qui, pour des motifs différents, ne pourront se rendre dans leurs bureaux de vote, il est important de faciliter l'accès au vote par procuration afin de leur permettre de faire entendre leur voix.

Constatant que, depuis les assouplissements de 2003 et 2006, les demandes de vote par procuration s'étaient considérablement multipliées mais qu'elles comportaient encore trop de lourdeurs, notre groupe a décidé de proposer trois grandes modifications du code électoral permettant de simplifier ce recours en vue des prochaines échéances électorales de 2012.

La première de ces modifications est la suppression de l'obligation d'inscription sur les listes électorales d'une même commune pour l'établissement d'une procuration et, la deuxième, le passage à deux procurations par mandataire.

Il n'est pas toujours évident de trouver un mandataire à qui donner une procuration. Que l'on habite dans une grande ville ou dans une commune rurale, on ne dispose pas toujours de quelqu'un de disponible pour aller voter à notre place. Dans ces cas-là, faute de mandataire potentiel, on n'établit pas de procuration, ce qui gonfle au passage le nombre des abstentionnistes.

Par ailleurs, à l'heure où la question de la prise en charge de la dépendance est devenue centrale, nous remarquons qu'un nombre important de personnes âgées, qui ne peuvent se déplacer pour aller voter, souhaiteraient que leurs enfants puissent accomplir cet acte de citoyenneté à leur place, mais, souvent, les enfants ne résident pas dans la même commune et ne peuvent donc pas avoir de procuration. De plus, chacun ne peut aujourd'hui avoir qu'une procuration.

Le problème est le même avec un parent dont les deux enfants étudient dans des villes différentes mais sont toujours inscrits sur les listes électorales du domicile parental.

Pour toutes ces situations, qui sont loin d'être des cas isolés, les mesures proposées dans ce texte apparaissent comme les solutions idéales qui permettraient à la fois de simplifier les démarches et d'élargir la liberté de choix du mandataire.

En effet, au-delà des aspects techniques et pratiques, la question de la confiance accordée au mandataire est centrale. Quoi de plus personnel que le vote ? Qu'est-ce qui garantit à l'électeur dépossédé de l'acte physique qui consiste à mettre son bulletin dans l'urne que son vote sera respecté ? C'est en cela que la question de la confiance accordée au mandataire est essentielle.

Certains électeurs préféreront s'abstenir plutôt que de déléguer leur vote à une personne en qui ils n'ont pas entièrement confiance.

Ainsi, en supprimant l'obligation d'inscription sur les listes électorales de la même commune et en relevant à deux le nombre de procurations par mandataire, on offre au mandant la possibilité de choisir comme mandataire la personne de son choix.

Le troisième axe de cette proposition de loi est l'établissement en mairie des procurations.

Actuellement, les procurations doivent être établies au tribunal d'instance, au commissariat de police ou à la brigade de gendarmerie. Nous avons décidé de substituer la mairie à ces lieux.

Il s'avère qu'aujourd'hui – cela a été rappelé par notre rapporteur – les électeurs se tournent déjà spontanément, mais à tort, vers leur mairie pour donner une procuration. La confusion se justifie par le fait que les inscriptions sur les listes électorales ont lieu en mairie; que les cartes électorales sont établies par le maire et que les bureaux de vote sont présidés par les maires, les adjoints et les conseillers municipaux. En outre, à ce jour, nous ne connaissons pas de suppressions de mairies, alors que nous avons des suppressions de gendarmeries. Cette évolution irait donc dans le bon sens et garantirait davantage de proximité pour bon nombre de citoyens.

Quant à l'administration, il me semble que, au vu de l'encombrement des tribunaux et des difficultés de fonctionnement des commissariats et des gendarmeries à la suite de la révision générale des politiques publiques, cette réforme allégerait considérablement leurs charges.

Je pense également aux petites communes en milieu rural et en zone de montagne, par exemple celles du département de l'Ariège. Cent quinze des 332 communes de l'Ariège comptent moins de 100 habitants, et elles sont bien souvent éloignées d'une gendarmerie, et encore plus d'un tribunal ou d'un commissariat. De plus, ces derniers mois, le Gouvernement a supprimé trois gendarmeries dans le département et la pérennité de l'existence d'un commissariat suscite les plus vives inquiétudes.

Certains cantons sont ainsi orphelins de gendarmerie, donc d'un lieu d'établissement de procurations.

En zone de montagne, ce sont parfois plus de trente ou quarante kilomètres qui séparent les communes d'un lieu d'établissement de procurations. Je rappelle qu'il s'agit de routes de montagne, parfois enneigées. L'an dernier, au mois de mai, l'Ariège subissait ainsi les assauts d'une dernière vague neigeuse et, pendant plusieurs jours, un certain nombre de communes sont restées isolées. Cette réalité s'ajoute à celle du parcours du combattant de l'établissement d'une procuration dont se plaignent nos compatriotes à toutes les élections.

Mes chers collègues, le texte que nous vous proposons aujourd'hui, admirablement géré par notre collègue Bernard Roman, va dans le bon sens et transcende les clivages politiques classiques. Il correspond aux évolutions de notre société et contribue à endiguer le phénomène rampant de l'abstention. Refuser de soutenir cette proposition de loi, c'est refuser de participer à une démarche en faveur de la citoyenneté.

C'est pourquoi, nous vous demandons aujourd'hui de nous accompagner dans cette démarche et de soutenir cette initiative. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

La parole est à Mme Marie-Hélène Amiable, pour le groupe GDR.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Amiable

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, à l'initiative de nos collègues du groupe socialiste, radical et citoyen, nous examinons une proposition de loi de simplification du vote par procuration.

Nous partageons le constat de la nécessité, entre autres moyens, d'une simplification du système des procurations pour lutter contre l'abstention.

Aujourd'hui, effectivement, les commissariats de police et les brigades de gendarmerie ont des difficultés à gérer les afflux de demandes, souvent concentrées dans les jours qui précèdent les scrutins. Les forces de l'ordre ont bien souvent d'autres priorités, et les élus doivent d'ailleurs parfois intervenir pour permettre le bon déroulement des opérations.

Pour reprendre les principales propositions contenues dans ce texte, il est bien évident que laisser à un mandataire la possibilité de disposer de deux procurations et de ne pas habiter dans la même commune que ses mandants simplifierait le vote par procuration.

Dans le même temps, une telle simplification ne va pas sans un certain nombre de risques qu'il nous faut examiner attentivement.

Chacun le sait ici, le système actuel a montré par le passé à quel point le dispositif des procurations pouvait s'avérer un levier de fraudes. Plusieurs exemples d'élections truquées par le recours à des procurations fictives en attestent. Certains scrutins aux résultats très serrés ont été annulés, notamment dans des baronnies locales aux pratiques clientélistes connues. Dans ce contexte, il importe de légiférer avec la plus grande prudence.

Ainsi, si le principe d'une déconnexion du lieu de résidence ou de travail du mandant et du lieu de résidence du mandataire paraît aller dans le bon sens, son application rendra les contrôles plus ardus. Un fichier informatique départemental ou national peut bien entendu être créé, mais les procédures de vérification seront loin de s'en trouver simplifiées.

Le principe de porter à deux le nombre de procurations possibles par mandataire peut, lui, être légitimement retenu.

Nous souhaitons par ailleurs revenir sur le dispositif de la proposition de loi qui transfère la compétence de l'établissement des procurations aux municipalités. Les députés communistes, républicains et du parti de gauche ont d'ailleurs déposé un amendement en ce sens.

Je veux effectivement attirer votre attention sur le fait qu'il s'agit d'un nouveau transfert de charge. L'État se trouverait dessaisi d'une charge régalienne, assumée actuellement par les tribunaux d'instance ou les officiers de police judiciaire, qui incomberait désormais aux communes. Or celles-ci ont pourtant déjà fort à faire, et les collectivités territoriales ne peuvent pas assumer la totalité des missions dont l'État se déleste sous les coups de boutoir de la déréglementation libérale menée par le Gouvernement. Dans le cas qui nous occupe, ce transfert de charge n'est pas compensé par un transfert des moyens humains et financiers correspondants. Par principe, nous estimons que les collectivités territoriales ne peuvent être considérées comme les suppléantes de l'État défaillant, surtout lorsque cette défaillance résulte de politiques d'appauvrissement délibéré des services publics. C'est par ce type de transferts de compétences progressifs que s'organisent le dépeçage de l'État et de l'administration et l'augmentation des dépenses des collectivités territoriales non compensées.

D'autre part, transférer la compétence de l'établissement des procurations aux municipalités, c'est à notre sens accroître les risques de fraude et de pression. Les maires, et les adjoints, qui sont intéressés aux résultats des scrutins, ne doivent pas participer à l'établissement des procurations ; cela les placerait en situation d'être à la fois juge et partie. Des possibilités de tricherie existent déjà, comme le montre la variété des méthodes de fraude ayant fait l'objet de sanctions ; elles ne doivent pas être étendues.

Si les services de police ou de gendarmerie n'ont souvent pas le temps et les moyens nécessaires pour un bon accueil des citoyens qui souhaitent établir une procuration, ces dysfonctionnements ne peuvent justifier une simplification qui étendrait par trop les risques de fraude. C'est d'ailleurs pour prévenir ce type de dérapages que la présente proposition de loi laisse au juge du tribunal d'instance la charge de désigner des officiers de police judiciaire pour se rendre auprès des malades ou des personnes âgées dans les hôpitaux et les établissements de retraite. Ce garde-fou montre bien que chacun est conscient des risques. Las, s'il limite l'importance de la charge qui incomberait désormais aux municipalités, ce saucissonnage des compétences – municipalités pour l'établissement des procurations, police pour le vote des personnes ne pouvant se déplacer – ne semble pas aller dans le sens d'une réelle simplification.

Chers collègues, vous l'avez compris, les députés communistes, républicains, citoyens et du parti de gauche partagent le constat de la nécessité d'une amélioration du système des procurations. Certaines des simplifications proposées par nos collègues socialistes nous semblent aller dans le bon sens mais, dans un esprit de grande vigilance par rapport à l'important risque de fraude que ces modifications pourraient occasionner, et sauf si notre amendement est adopté, nous nous abstiendrons.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Diefenbacher

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l'objectif de la proposition de loi que nous examinons est clairement de faire baisser le nombre des abstentions. La montée de l'abstention est en effet un phénomène préoccupant, parce qu'elle témoigne d'un certain désintérêt pour la vie publique, également parce que, de plus en plus souvent, les abstentionnistes sont les arbitres des élections. Nous ne pouvons pas admettre ces évolutions.

Par conséquent, il faut regarder avec une attention particulière tout ce qui peut être fait pour ramener les citoyens à l'exercice de leur droit de vote. La réponse que nous propose le groupe socialiste aujourd'hui est-elle la bonne ? C'est la question que nous devons nous poser. Cette réponse consiste en une simplification de la procédure des procurations.

Comment ne pas observer, tout d'abord, que des assouplissements ont déjà été apportés récemment, en 2003 et en 2006 ? Ils consistent, d'une part, en un élargissement des motifs pour lesquels on peut recourir aux procurations – cela a été élargi à tel point que le départ des intéressés en vacances est un motif valable –…

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Diefenbacher

…et, d'autre part, en une simplification de la procédure. Il n'est effectivement plus nécessaire d'apporter la preuve que l'on ne peut pas aller voter ; il suffit de délivrer une attestation sur l'honneur. Attester sur l'honneur que l'on est en vacances un dimanche et que, de ce fait, on ne peut aller voter dans la commune sur les listes électorales de laquelle on est inscrit, ce n'est pas une procédure particulièrement difficile !

Ces assouplissements semblent avoir porté leurs fruits. Du moins était-ce le sentiment que nous pouvions éprouver en 2007, à l'occasion de l'élection présidentielle. Le nombre de procurations avait alors augmenté d'à peu près 80 %, et la participation s'est de ce fait trouvée extrêmement élevée, pour atteindre 84 %.

Ce résultat prometteur n'a malheureusement pas été confirmé en 2008. On a effectivement constaté, à l'occasion des élections cantonales et municipales, que le nombre de procurations était revenu à son niveau antérieur, et par ailleurs le taux d'abstention a atteint un niveau historiquement élevé : 44,5 % aux élections cantonales, 37,5 % aux élections municipales.

Il faut, me semble-t-il, tirer les conclusions de cette évolution.

Le taux de participation ne dépend plus aujourd'hui – pour l'essentiel en tout cas – des simplifications qui peuvent être apportées au dispositif des procurations. Il fallait incontestablement le simplifier, et cela a été fait en 2003 et en 2006 ; sincèrement, je ne vois pas dans l'immédiat comment il serait possible d'aller plus loin, et c'est la première raison pour laquelle le groupe UMP ne votera pas cette proposition de loi.

Une autre raison tient au dispositif du texte lui-même. Je crois sincèrement qu'il présente toutes les chances, ou plutôt tous les risques d'être inefficace et même dangereux. Je n'ai personnellement jamais rencontré d'électeur absent ou empêché qui m'ait dit que, malgré des recherches sérieuses, il n'avait pas été en mesure de trouver un mandataire. Le doublement du nombre des mandataires potentiels ne réglerait pas le problème. Par conséquent, je ne vois pas l'efficacité de ce dispositif.

Je le crois par ailleurs dangereux, pour une raison simple, évoquée tout à l'heure par Mme la ministre : le risque de fraude. Il ne s'agit pas de jeter la suspicion sur tous les élus municipaux, mais nous savons que si la vertu est le principe de la démocratie – c'est en tout cas ce que disait ce grand Lot-et-Garonnais qu'était Montesquieu –, elle n'est pas pour autant généralement partagée.

Ne tentons pas le diable, ne créons pas un nid à contentieux, ne suscitons pas un nouveau motif de suspicion à l'encontre des élus : ce serait leur rendre un bien mauvais service que de les faire, dans cette procédure, à la fois juge et partie.

Si l'on veut que les Français retrouvent le chemin des urnes – nous le souhaitons tous, car c'est une nécessité pour la démocratie –, il faut rendre son crédit au débat public. Il faut y trouver le respect des engagements, le respect des électeurs et le respect de ses concurrents. Nous avons tous des progrès à faire sur ce terrain et, quelle que soit notre orientation politique, nous devons avoir la modestie de commencer par faire des efforts dans ce domaine. Cela me paraîtrait plus utile que de modifier, une fois encore, la loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

La discussion générale est close.

La parole est à M. Bernard Roman, rapporteur.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Roman

Je serai bref, monsieur le président, afin que nous puissions terminer cette séance en prolongée.

D'abord, madame la ministre, je ne pense pas qu'il soit trop tard pour ajuster des dispositifs de cette nature. Tout ce qui s'applique aux réformes électorales, par principe et non constitutionnellement, un an avant la date des élections, touche au mode d'élection.

Il s'agit en l'occurrence de la mesure centrale de ce dispositif. Je le dis notamment pour M. Diefenbacher, celle qui consiste à confier aux mairies le rôle de guichet relève du domaine réglementaire. Nous faisons une proposition de loi, mais c'est un article R. du code électoral qui gère cette question et elle sera de nouveau précisée par circulaire au début du mois de janvier.

Il y a d'ailleurs une véritable interrogation quant au fait que des ministres soient, un jour, autorisés à écrire que l'on donne cette possibilité aux officiers de police judiciaire, sauf aux maires et aux adjoints. Y aurait-il des officiers de police judiciaire qui ne seraient pas dignes de la confiance de la République ? Ils ne sont pas juge et partie ; en tant qu'officiers de police judiciaire, ils peuvent verbaliser n'importe quel citoyen dans leur circonscription, et ils le font au nom de la justice de ce pays. Mais quand il s'agit de donner une procuration, ils ne seraient pas des officiers de police judiciaire comme les autres, ils ne seraient pas dignes de la confiance de leur pays.

Cela pose une vraie question, car ce n'est pas la loi qui l'a décidé, mais le règlement. Voilà pourquoi je vous propose que nous examinions cette question aujourd'hui.

Ensuite, madame la ministre, il n'est pas trop tard : vous évoquez les procurations qui durent un an. Or il y aura toujours des procurations en cours. Quel que soit le moment où nous déciderons une réforme de simplification du système des procurations, il y en aura toujours en cours. La validité des procurations est à ce jour d'un an pour les procurations établies en France, de deux, voire de trois ans pour celles établies à l'étranger. Comme il y a forcément des élections en trois ans, il y aura toujours des procurations en cours. Par conséquent, si nous nous fondons sur cet argument, nous n'arriverons jamais à régler le problème.

Je pourrais me retrouver dans l'intervention du groupe GDR, à l'exception de la question des officiers de police judiciaire. Je vous demande, madame la ministre, de réfléchir sur ce point. Les maires et les adjoints, quelle que soit leur couleur politique, sont des officiers de police judiciaire et ils ont à ce titre la confiance que leur donne la justice de notre pays. Cette confiance ne doit pas différer selon qu'ils sont maires ou adjoints. Ils ne méritent pas une confiance moindre que n'importe quel agent de la police nationale qui travaille dans leur commune. Cela me semble être une évidence.

Cela étant, les forces de l'ordre mobilisées aujourd'hui sur ces questions, alors qu'elles manquent cruellement pour remplir leur mission centrale, posent réellement un problème. On entend cela tous les jours : nos concitoyens qui vont au commissariat ou à la gendarmerie font la queue à côté de personnes qui viennent déposer plainte pour des violences conjugales ou des vols à domicile, et les premiers sont contraints d'attendre pour remplir un formulaire de procuration. Cela pose un problème, d'autant que la RGPP crée des difficultés supplémentaires.

En 2007, il y a eu 2 200 000 procurations ! En comptant dix minutes par procuration – ce qui est peu –, ce sont 22 millions de minutes du temps de travail d'agents de police et de gendarmes consacrées à des tâches administratives qui pourraient être utilisées ailleurs. Certes, il y a un transfert de charges, je le reconnais. Mais si vous transformez 22 millions de minutes en heures et en incapacité d'intervenir pour les missions essentielles de la police et de la gendarmerie, vous comprendrez que l'on peut légitimement se poser la question de savoir si l'on ne peut pas aller plus vite pour simplifier le système des procurations.

Debut de section - PermalienMarie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer

Monsieur le rapporteur, laissons la mission d'inspection prévue à cet effet nous éclairer sur les différents points que vous avez soulevés à juste titre pour nous permettre de faire le meilleur choix dans la gestion de ce dossier des procurations.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

J'appelle maintenant les articles de la proposition de loi dans le texte dont l'Assemblée a été saisie initialement, puisque la commission n'a pas adopté le texte.

Debut de section - PermalienMarie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer

Monsieur le président, en application de l'article 96 du règlement de l'Assemblée nationale, le Gouvernement demande la réserve des votes sur la présente proposition de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Roman

L'article 1er vise à supprimer la condition d'inscription sur les listes électorales d'une même commune pour l'établissement d'une procuration.

J'y insiste, cela a d'ailleurs été dit en commission et dans cet hémicycle, l'une des trois mesures ou certaines d'entre elles pouvaient recueillir l'assentiment de certains élus pour pouvoir, le moment venu, évoquer la possibilité de retenir tout ou partie de ce texte.

(Le vote sur l'article 1er est réservé.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Je suis saisi d'un amendement n° 6 .

La parole est à Mme Marie-Hélène Amiable.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Amiable

Je serai brève, car j'ai déjà eu l'occasion de m'exprimer dans la discussion générale.

Les maires et les adjoints sont des officiers de police judiciaire et, bien entendu, ils sont, dans leur immense majorité, des gens honnêtes. Il ne s'agit pas de dire le contraire ! Cela étant, les maires et les adjoints peuvent avoir un intérêt particulier au scrutin. Par conséquent, nous devons rester très vigilants pour éviter tout risque de fraude.

Notre second argument est le nouveau transfert de charges opéré sur les collectivités locales. Les communes sont déjà asphyxiées par les transferts de charges supplémentaires qui leur incombent au fil des années.

Tel est le sens de notre amendement de suppression.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

La parole est à M. Bernard Roman, rapporteur, pour donner l'avis de la commission.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Roman

Défavorable.

Comme j'aimerais que l'on suive l'avis de la commission qui, ce matin, a émis, au titre de l'article 88, un avis défavorable à cet amendement. La commission préfère ma proposition plutôt que de rester dans la situation antérieure.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

La parole est à Mme Marie-Luce Penchard, ministre, pour donner l'avis du Gouvernement.

Debut de section - PermalienMarie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer

Défavorable.

(Le vote sur l'amendement n° 6 est réservé.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Je suis saisi d'un amendement n° 1 .

La parole est à M. Bernard Roman.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Roman

Cet amendement clarifie le partage des rôles entre les autorités municipales et la commission administrative, comme je l'ai dit tout à l'heure en présentant mon rapport.

Debut de section - PermalienMarie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer

Défavorable.

(Le vote sur l'amendement n° 1 est réservé.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Je suis saisi d'un amendement n° 2 .

La parole est à M. Bernard Roman.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Roman

Comme le précédent, cet amendement précise que les autorités municipales n'ont qu'un rôle de guichet. En outre, il introduit un délai limite de dépôt des demandes de procuration, ce qui devrait résoudre le nombre des difficultés pratiques souvent rencontrées.

Je me demande s'il existe aujourd'hui dans les textes des dispositions qui concernent des agents de police municipale ou des gendarmes qui auraient par ailleurs des missions électives. Car ils sont officiers de police judiciaire avant d'être considérés comme des élus. Aujourd'hui, ils enregistrent les procurations comme officiers de police judiciaire, policiers ou gendarmes, mais on oublie qu'ils sont élus. S'ils n'étaient que des élus, ils ne pourraient pas le faire. Aussi je m'interroge.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Je sors de mon rôle pour dire que les policiers municipaux non plus, en tout état de cause.

Je suis saisi d'un amendement n° 3 , de M. Roman.

Il s'agit d'un amendement rédactionnel.

L'avis du Gouvernement est défavorable.

(Le vote sur l'amendement n° 3 est réservé.)

(Le vote sur l'article 2 est réservé.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Nous en venons à deux amendements portant articles additionnels après l'article 2.

Je suis saisi d'un amendement n° 4 .

La parole est à M. Bernard Roman.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Roman

Cet amendement permet de contester, devant le juge de l'élection, les décisions de la commission administrative relative aux procurations.

Il a été présenté comme étant d'une grande banalité, tous les éléments pouvant être utilisés. Mais comme cette commission est présidée par un représentant du tribunal, c'est un élément très fort de permettre que la décision d'un tribunal puisse être portée à l'actif d'un recours déposé soit par le préfet soit par un citoyen.

Debut de section - PermalienMarie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer

Défavorable.

(Le vote sur l'amendement n° 4 est réservé.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Je suis saisi d'un amendement n° 5 .

La parole est à M. Bernard Roman.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Roman

Cet amendement de coordination avec l'article 1er de la présente proposition de loi vise à maintenir le principe selon lequel, pour l'élection des députés par les Français établis hors de France, le mandataire doit être inscrit dans la même circonscription consulaire que le mandant qui lui confie une procuration de vote.

Debut de section - PermalienMarie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer

Défavorable.

(Le vote sur l'amendement n° 5 est réservé.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Nous avons achevé l'examen des articles de la proposition de loi.

La parole est à Mme la ministre.

Debut de section - PermalienMarie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer

Monsieur le président, en application de l'article 44, alinéa 3, de la Constitution, le Gouvernement demande à l'Assemblée de se prononcer par un seul vote sur les articles, à l'exclusion de tout amendement, et sur l'ensemble de la proposition de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Ce vote aura lieu ultérieurement. Je rappelle en effet que la Conférence des présidents a décidé que les explications de vote et le vote par scrutin public sur l'ensemble de la proposition de loi auraient lieu le mardi 14 juin, après les questions au Gouvernement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

L'ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, de la proposition de loi portant dispositions particulières relatives aux quartiers d'habitat informel et à la lutte contre l'habitat indigne dans les départements et régions d'outre-mer (nos 3395, 3505).

La parole est à Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer.

Debut de section - PermalienMarie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer

Monsieur le président, monsieur le rapporteur de la commission des affaires économiques, mesdames et messieurs les députés, je voudrais d'abord vous exprimer toute ma satisfaction de représenter aujourd'hui le Gouvernement pour le deuxième examen, devant vous, de la proposition de loi relative aux quartiers d'habitat informel et à la lutte contre l'habitat indigne dans les départements et régions d'outre-mer, après son vote en première lecture par votre assemblée le 26 janvier 2011 et par le Sénat le 4 mai dernier.

Nous sommes proches de l'aboutissement de la démarche que le Gouvernement a engagée en avril 2009 avec la mission confiée à M. Serge Letchimy, député de la Martinique.

L'objectif du Gouvernement, partagé avec l'ensemble des élus ultramarins, est de relancer la lutte contre l'habitat insalubre outre-mer et de la doter de nouveaux outils opérationnels. Cet objectif s'inscrit plus globalement dans l'engagement pour le logement outre-mer, conformément aux orientations définies par le Président de la République, pour relancer le logement social outre-mer et la reconstitution des tissus urbains dégradés.

Dans ce cadre, j'ai eu, depuis ma prise de fonction, la volonté d'aider nos bailleurs sociaux, de développer l'offre de logements avec de nouveaux moyens opérationnels et législatifs.

Depuis deux ans, nous avons mis en place une politique de relance du logement social à partir de deux volets complémentaires : une politique volontariste de développement de l'offre nouvelle de logements et une intervention forte sur l'habitat informel, dégradé et insalubre.

Concernant le développement de l'offre nouvelle de logements, nous disposons aujourd'hui des deux instruments fondamentaux que sont la défiscalisation et la ligne budgétaire unique.

Je relève que cette nouvelle ressource nous donne un véritable effet de levier sur la production neuve puisque, grâce à la défiscalisation, la production de logements nouveaux a pu connaître un bond de 15 % entre 2009 et 2010, avec plus de 7 000 logements engagés l'année dernière.

La loi de finances pour 2011 a maintenu la capacité d'engagement de la ligne budgétaire unique, dont les crédits en autorisations d'engagement sont restés à 275 millions d'euros. Par ailleurs, l'article 169 de la loi de finances permet désormais à l'État de céder gratuitement ses terrains dès lors qu'ils sont destinés à accueillir des programmes de logements sociaux ou des équipements collectifs. Il s'agit d'une mesure importante et très attendue qui, souvenez-vous, avait été décidée par le conseil interministériel de l'outre-mer du 6 novembre 2009. Je rappelle en outre que le décret du 9 novembre 2010 ouvre la possibilité pour l'État d'intervenir seul dans la compensation de la surcharge foncière dès lors que la situation financière des collectivités ne leur permet pas de le faire. Des mesures sont dédiées à l'habitat social, mais la mobilisation du Gouvernement pour développer l'offre de logements sociaux outre-mer ne doit pas occulter l'autre enjeu fondamental qu'est l'amélioration de l'habitat privé. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement soutient les interventions qui visent à réparer également les tissus urbains dégradés, qu'il s'agisse de la réhabilitation du logement social ou de l'intervention sur le logement privé.

Dans le cadre de cette politique globale, le Gouvernement a souhaité donner un nouveau souffle volontariste à la politique de lutte contre l'habitat indigne et informel. En effet, devant le développement phénoménal de constructions informelles et insalubres qui touchait et continue de toucher les départements d'outre-mer – presque une construction sur deux –, il s'agissait de relancer la lutte contre toutes ces formes d'habitat sur des bases qui devaient être adaptées au contexte institutionnel et social des outre-mer. Il en est résulté un rapport commandé par le Gouvernement, remis en septembre 2009 par le député Serge Letchimy, comportant quatorze recommandations dont la plupart sont contenues dans cette proposition de loi, et d'autres mesures que nous avons mises en application sans attendre. Des pôles départementaux de lutte contre l'habitat insalubre ont été installés. Un soutien a été apporté pour lancer des plans communaux de lutte contre l'habitat indigne. Des formations au bénéfice des agents de l'État ont été organisées en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane et à La Réunion. Ces premières actions ont fait l'objet d'instructions très précises transmises aux préfets dès l'année dernière.

Aujourd'hui, mesdames et messieurs les députés, la proposition de loi que vous examinez en deuxième lecture est donc l'aboutissement d'une démarche ambitieuse que le Gouvernement continue de soutenir avec le Parlement depuis le début de l'examen de ce texte au mois de janvier. Nous voulons en effet donner à l'État, aux communes, aux aménageurs, les outils nécessaires pour agir efficacement et plus durablement contre l'habitat insalubre et informel. Il s'agit incontestablement d'un phénomène dont le caractère massif est sans comparaison dans l'ensemble national. Ce constat a d'ailleurs conduit le Sénat à réduire le champ d'application de la section 1 aux départements d'outre-mer et à Saint Martin.

Ce texte me semble désormais clair et adapté aux objectifs souhaités par les pouvoirs publics. Il présente des avancées fondamentales. Je placerai au premier rang d'entre elles l'institution d'une aide financière compensatoire pour les occupants dont le domicile devra être démoli ou exproprié. Cette aide financière a une finalité importante : faciliter l'intégration de la lutte contre l'habitat insalubre et indigne dans le cadre des opérations d'aménagement. Elle permettra, j'en suis convaincue, de compenser la perte de domicile résultant des démolitions ou des expropriations rendues nécessaires lors du déroulement de ces opérations. Cette mesure permet de tenir compte de la réalité des constructions érigées sur le terrain d'autrui qui caractérisent l'insalubrité outre-mer. La compensation qu'elle institue représente une incitation à la transition des personnes occupantes vers une situation normalisée. Il s'agit d'une disposition équilibrée dans la mesure où les droits du propriétaire foncier sont préservés et où elle est assortie de conditions d'exécution strictes définies dès l'article 1er de la proposition de loi.

Le Parlement a fourni un travail important en première lecture pour apporter des précisions sur les conditions de versement de cette aide et veiller à ce que la loi prévoie sans ambiguïté des modalités adaptées de calcul et de versement. Par ailleurs, l'exclusion des marchands de sommeil du bénéfice de cette aide financière est clairement soulignée dans un parfait accord entre le Gouvernement et tous les parlementaires pour combattre cette pratique inacceptable.

Je précise que, si le Gouvernement a accepté le bénéfice d'une aide financière pour des bailleurs dans l'esprit des dispositions de l'article 3, c'est pour permettre la prise en compte d'une situation réelle dans nombre de quartiers d'habitat informel où une proportion significative d'environ 35 % des occupations locatives ne sont ni précaires, ni abusives, ni indignes. Majoritairement, cette occupation locative se déroule dans un cadre de mutations professionnelles ou familiales. Il s'agit de bailleurs de bonne foi, notion reconnue dans notre droit et soumise à l'appréciation des tribunaux en cas de contestation des conditions de la location.

La deuxième avancée réside dans la flexibilité et la souplesse notables apportées aux conditions d'intervention du préfet et du maire. À cet effet, je relève la définition par arrêté du préfet d'un périmètre insalubre à contenu adapté. Ce périmètre permettra au préfet d'instituer une zone d'insalubrité adaptée à l'état des diverses constructions dans les secteurs d'habitat informel. Ce nouveau dispositif sera moins rigide dans son contenu et ses effets que le périmètre d'insalubrité actuellement en vigueur dans le code de la santé publique, qui s'avère décalé par rapport aux réalités de l'outre-mer. La définition de ce périmètre sera subordonnée à un travail de repérage que nous avons tous souhaité mieux encadrer en termes de délais et de mesures de police administrative. Pour ce faire, l'établissement d'un périmètre d'insalubrité et la prise des arrêtés de même nature par le préfet ainsi que les arrêtés de péril du maire comporteront des règles précises relatives a la procédure, aux droits des occupants, au relogement de ces derniers ou encore à la nature des travaux prescrits dans le cadre du respect des droits de la propriété et du domicile.

Je souhaite également souligner les possibilités ouvertes par l'article 16, qui permet de doter les maires, sur l'ensemble du territoire national, du support législatif nécessaire pour mieux gérer les situations d'abandon manifeste des parcelles. Le problème de l'abandon manifeste, sans être un phénomène propre aux départements d'outre-mer, y est assez massif dans nombre de centres de villes et de bourgs, alors même que le foncier est rare dans ces territoires. Il était donc nécessaire de simplifier la phase administrative de l'expropriation en respectant bien évidemment les principes de base que sont l'information du public sur la destination du bien exproprié et l'indemnisation des propriétaires dans les conditions de droit commun.

Enfin, s'agissant de la possibilité de recourir au Fonds de prévention des risques naturels majeurs, dit Fonds Barnier, cela se fera sous certaines conditions, et notamment en direction des occupants sans titre, installés dans les zones exposées à des risques naturels prévisibles menaçant gravement des vies humaines. À cet égard, les montants affectés à ce dispositif seront identifiés au sein du Fonds Barnier. Il faut qu'ils soient inscrits dans le cadre d'une prochaine loi de finances.

Une fois encore, j'affirme l'attachement du Gouvernement à la rénovation des procédures que permet la proposition de loi sur l'habitat indigne en outre-mer. Nous soutenons cette proposition de loi qui est très attendue dans nos territoires et c'est pourquoi, je vous invite à un vote conforme au texte de la Haute assemblée. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

La parole est à M. Serge Letchimy, rapporteur de la commission des affaires économiques.

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Letchimy

Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, je tiens à vous dire, dans les dix ou quinze minutes qui me sont imparties, combien cette proposition de loi est fondamentale pour les départements et régions d'outre-mer, certes, mais combien elle est également essentielle sur le plan global. Je me permets de le faire, dans cet hémicycle, parce que se limiter à l'aspect purement opérationnel, technique et financier de ce texte serait quelque peu réducteur. Cela justifie ma position sur son application ou non à la France tout entière, et je m'en expliquerai tout en m'en remettant, bien entendu, à la rédaction du Sénat.

Cette proposition de loi est une avancée conceptuelle fondamentale, une reconnaissance éthique sur le plan de l'urbain et de l'humain, et c'est, enfin, une vision nouvelle de la solidarité dans le monde. Un milliard de personnes environ vivent dans ce que l'on appelle l'habitat informel ou insalubre. Selon les prévisions des Nations unies, trois milliards de personnes vivront, d'ici à 2050, et notamment dans le Sud, dans ce que l'on appelle l'habitat populaire, l'habitat informel ou insalubre. Le taux de croissance de cet habitat sera d'environ 4 à 5 % par an. Des villes – comme au Brésil – compteront 500 000, 800 000, voire un million d'habitants de ce type d'habitat. Cela signifie que la place de l'informel dans la production de l'habitat est essentielle. La procédure que nous engageons aujourd'hui est un exemple, un modèle, une technique, une reconnaissance d'une forme de « loger », d'une forme d'exister, d'une forme d'habitat, donc de mon point de vue d'un droit de propriété, puisque c'est ainsi qu'il faut l'appeler, minimaliste.

Mais nous n'avons pas associé droit de propriété et versement d'une indemnité. Nous avons franchi un premier pas : celui d'accorder un droit en cas de perte de jouissance de domicile. Reconnaître une perte de jouissance de domicile, c'est admettre que la maison existe depuis longtemps, que quelqu'un l'a construite et qu'elle n'est pas tombée du ciel. Si telle famille a construit une maison au Brésil, à Djakarta, en Afrique du Sud, à Nanterre comme il y a quelque temps, en Martinique ou en Guadeloupe, c'est parce qu'il y a un schéma de survie dans l'urbain qu'il convient absolument de reconnaître. Le processus d'appropriation de l'habitat résidentiel n'est pas le même pour tout le monde. Je le dis parce que cela concerne, dans nos pays, environ 70 000 maisons ou familles, donc près de 10 % de la population, soit 200 000 personnes. Je suis donc d'accord avec M. Torre qui considère que cette situation est indigne de la République et que la loi Besson – la loi MOLLE – et le caractère inaliénable et imprescriptible d'habiter dans un lieu décent n'ont aucun sens dans une telle République, si l'on n'apporte pas une solution adéquate.

Autre constat terrible : la lenteur avec laquelle sont menées ces opérations est insupportable. Je tiens à vous remercier, madame la ministre, ainsi que l'État, d'avoir accepté cette mission permettant de trouver des perspectives afin de sortir d'une telle situation. En effet, une opération de résorption de l'habitat insalubre de 200 logements dure dix, quinze, voire vingt ans. Cela n'a aucun sens. Maintenir un tel rythme serait s'engager pour des milliers d'années. Les familles concernées risquent donc de disparaître sans bénéficier d'une politique de l'habitat et du logement.

Je vous le dis clairement : cette proposition de loi est bienvenue. Elle est très technique. Je souhaite vraiment que vous mettiez toute la puissance nécessaire pour que les circulaires, notamment celle de 2004, soient modifiées. Je suis d'accord avec le Sénat, qui considère que ce texte est excellent mais que, sans une politique du logement et de l'habitat déterminée, sans une politique de financement du logement appropriée, cela n'aura pas de sens. Il en ira de même si nous ne conduisons pas une politique foncière localement appropriée et si nous ne menons pas une politique de gouvernance locale.

C'est pourquoi j'invite mes collègues à ne pas amender ce texte et donc à le voter conforme, même si nous ne sommes pas totalement d'accord sur quelques points. Ainsi, le Sénat a choisi de limiter le champ d'application aux départements et régions d'outre-mer. Je sais que, tout comme moi, vous n'êtes pas sur cette ligne. Le rapport qui m'a été demandé devait porter sur les départements et régions d'outre-mer. J'aurais pu égoïstement m'en tenir à nos pays. Je ne l'ai pas fait parce que je considère, en toute intégrité intellectuelle, que le droit au logement et à la dignité n'appartient pas qu'à une partie du peuple dans le monde, mais à tout le monde, que l'on soit ici, en France, ou ailleurs. En profiter, à la limite, pour reconnaître des droits à ceux qui vivent ici depuis plus de dix ans dans des conditions acceptables aurait été une bonne chose. Cependant, je considère qu'aujourd'hui un pas est franchi. Nous veillerons demain, comme vous je le suppose, à faire appliquer cette mesure sur l'ensemble du territoire national en utilisant tous les espaces nécessaires. Seules les procédures d'abandon manifeste s'appliquent sur l'ensemble du territoire national. Cela permettra peut-être d'accélérer et de reconquérir des espaces.

Le Sénat a également modifié les mesures de clarification sur les modalités de versement de l'aide. Nous y souscrivons. Nous ne pouvons pas verser une aide forfaitaire sans relogement. Les personnes qui ont construit sur les terrains d'autrui ne doivent pas bénéficier d'une aide si elles ne procèdent pas au relogement effectif des locataires. Enfin, le Sénat a décidé de faire passer de trois à six mois la contribution forfaitaire, ce qui me semble être une bonne chose.

S'agissant des conditions d'éligibilité au Fonds Barnier dans le cas de terrains soumis aux risques naturels, nous nous sommes tous accordés pour dire qu'il fallait conserver ce dispositif. Je demande à l'Assemblée de maintenir cette aide. En effet, il serait terriblement incohérent, alors que l'on sait qu'il existe des zones à risques, de ne pas prendre des dispositions pour que les familles puissent quitter ces lieux.

Bien entendu, il faudra configurer un budget et établir un cadre budgétaire précis, au titre du projet de loi de finances de l'année prochaine. Nous proposons que ces dispositions soient maintenues, comme l'a souhaité le Sénat, du reste.

J'en viens au quatrième point important : la suppression par le Sénat de l'article 13 relatif à la création de groupements d'intérêt public, laquelle nous paraissait indispensable. Le Sénat, quant à lui, a voulu faire du juridisme – tant pis ou tant mieux – en se réfugiant derrière les articles 98 à 102 de la loi Warsmann qui vise à établir un cadre législatif général pour les GIP. Il n'en demeure pas moins que notre objectif était de fédérer les moyens pour mieux accélérer les procédures, sachant que les fonds proviennent du département, de la région, de l'État et de divers ministères. Nous ferons avec : nous créerons dans chaque département ces groupements, même si la loi ne le prévoit pas.

Cinquième point : des garanties de procédure ont été données en matière de procédures de carence. Le Sénat a modifié le texte de façon à rapprocher la procédure de déclaration en état d'abandon manifeste de la procédure existant en matière d'état de carence. Il me semble utile que les procédures d'abandon manifeste soient rapidement mises en oeuvre de manière à éviter la situation que l'on trouve dans la plupart des villes d'outre-mer où la multiplication des dents creuses, des maisons et des terrains abandonnés empêche de créer les conditions d'une esthétique urbaine remarquable.

Le sixième point concerne le repérage. Christiane Taubira avait proposé qu'obligation soit faite, dans un délai donné, de repérer les habitats indignes ou insalubres ; le Sénat a prévu une rédaction autre, qui vise à ce que le travail de repérage débute dans un délai d'un an. Je le dis à mes amis guyanais, il existait un risque d'interprétation possible, compte tenu du niveau d'immigration à Mayotte et en Guyane. Je le dis très clairement, cette loi n'est pas faite pour cautionner des squattérisations ou des occupations illicites. Les possibilités de soutien et d'aide ne sont prévues que dans le cadre d'un aménagement urbain d'initiative publique. C'est uniquement dans ce cadre-là que l'aide visant à compenser la perte de domicile est reconnue. L'encadrement du dispositif ne peut donc en aucune façon faire obstacle aux politiques mises en oeuvre en matière d'immigration. Une personne occupant un terrain, que ce soit en métropole, en Martinique ou en Guyane ne se verrait pas appliquer ce dispositif, sauf dans le cas où le maire, le préfet ou un EPCI décideraient de mener des opérations d'aménagement.

J'aimerais conclure, monsieur le président, en disant clairement que si ce texte est voté aujourd'hui – ce que je souhaite profondément –, il n'y aura pas de décret ministériel particulier, mis à part l'arrêté interministériel relatif au barème de l'aide financière de la section 1. Pour tous les dispositifs pour lesquels l'État s'est engagé, je propose que des circulaires de simplification soient publiées, car le texte est compliqué, et que des conventions soient mises en place pour ce qui est des nouveaux dispositifs opérationnels.

Tout cela renvoie à un triptyque : le premier volet, législatif, reposant sur les quatorze propositions de mon rapport, est acquis ; le deuxième volet, le dispositif de réforme de la circulaire, est en cours et nécessite une accélération ; le troisième volet, enfin, est constitué par la mise en place locale d'un programme de résorption de l'habitat insalubre et par un renforcement du pilotage et de la gouvernance des politiques de résorption de l'habitat insalubre.

Deux romans m'ont particulièrement marqué : Bahia de tous les saints du Brésilien Jorge Amado et Texaco de Patrick Chamoiseau, sur un quartier de Fort-de-France. Ces romans, qui ont tous deux remporté des prix littéraires, sont des symboles d'une conception nouvelle. En ce troisième millénaire, nous serons confrontés à de grands enjeux mondiaux : guerres, changement climatique, reconnaissance de la diversité comme élément fondamental. Mais si, dans le monde, en France, dans nos départements d'outre-mer, nous ne savons pas reconnaître ce qui fait partie de notre patrimoine et de notre culture, nous nous abandonnerons nous-mêmes. En ce sens, cette loi est le point de départ d'une nouvelle ère en matière de reconnaissance de l'urbain populaire, des petits peuples ayant investi les territoires de la ville pour survivre. À partir de ces pratiques, gageons que nous pourrons construire d'autres formes de solidarités, au-delà des seuls mécanismes du rendement et du profit. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Frédérique Massat, pour le groupe SRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Frédérique Massat

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, permettez-moi en préambule de vous dire l'honneur qui est le mien d'être la seule élue de métropole à m'exprimer ce soir à la tribune. Je remercie mes collègues du groupe SRC de m'avoir permis de le faire car il faut savoir que les places dans la discussion générale étaient très chères, puisque seuls trois orateurs de notre groupe pouvaient intervenir.

Nous terminons en beauté ce marathon législatif qui a vu commencer la discussion des propositions du groupe SRC à neuf heures trente ce matin. Comme vient de l'indiquer le rapporteur, cette proposition de loi sera sans doute votée dans des termes conformes, ce qui permettra à ce texte d'être adopté dans des délais presque record dans notre législature.

Avec l'ensemble de mes collègues du groupe SRC, je salue le travail effectué par Serge Letchimy. Le caractère exemplaire de sa démarche est le fruit d'un travail de fond, relayé par les parlementaires de l'Assemblée et du Sénat et accompagné par le Gouvernement.

Je ne résiste pas au plaisir de rappeler que le 26 janvier dernier, c'est à l'occasion d'une niche du groupe SRC que cette proposition de loi a été votée à l'unanimité. Trois mois plus tard, au Sénat, à l'occasion d'une niche de nos collègues socialistes, le texte a été examiné dans des conditions qui ont permis d'assurer dans les meilleurs délais la navette parlementaire. Aujourd'hui, avant-dernière étape, une niche socialiste verra la finalisation de ce processus avec l'adoption définitive du texte. Ensuite, madame la ministre, c'est à vous et à M. le président de la République qu'il reviendra d'en assurer la promulgation dans des délais, espérons-le, rapides – dans les quinze jours suivant son adoption nous a-t-on dit en commission.

L'originalité et la particularité de ce texte et de sa démarche découlent du constat que les dispositifs érigés par nos législations afin de lutter contre l'habitat insalubre sont inadaptés à la réalité ultramarine. En effet, les opérations de résorption de l'habitat insalubre, caractérisées par une dissociation entre la propriété du sol et la propriété du bâti, sont partiellement inefficaces dans ces territoires. Les outils de police administrative en matière de péril ou d'insalubrité sont également inadaptés car ils s'adressent aux propriétaires de constructions légales.

Ce texte procède à l'adaptation des outils législatifs aux réalités locales, ce qui va permettre aux acteurs publics et privés de s'attaquer au chantier de l'éradication de l'habitat indigne en débloquant des situations inextricables dans les conditions actuelles du droit.

L'accès à la maîtrise foncière, l'ouverture de nouveaux droits à indemnisation pour les occupants, la prévention en cas de risque naturel avéré visant à reloger les populations situées dans des zones répertoriées à risque, seront à même de transformer l'habitat outre-mer, de sécuriser les populations dans des logements répondant aux conditions de respect de la dignité humaine.

Dans son rapport de septembre 2009, Serge Letchimy indiquait qu'« une proportion significative d'habitants des DOM est en dehors de la loi républicaine », ajoutant : « le droit constitutionnel à un logement décent n'existe pas dans les DOM ; comment le droit au logement opposable peut-il n'être pas considéré comme virtuel ou fictif ? ».

Peut-on tolérer dans notre pays que certains de nos concitoyens ne soient pas protégés par les lois de la République ? La lutte contre l'habitat indigne en France, en métropole et outre-mer doit être érigée en priorité nationale, en enjeu majeur de la politique du logement. Elle répond non seulement à un devoir humanitaire de premier ordre, mais aussi à un devoir de solidarité envers nos concitoyens les plus défavorisés.

Le vote de ce texte par les deux assemblées de façon unanime signe la volonté des parlementaires et du Gouvernement de répondre à l'attente de ces territoires et de les doter d'outils pertinents pour débloquer des situations aujourd'hui dans une impasse.

Cependant, on ne peut que regretter, comme a pu le faire l'auteur de cette proposition de loi, que le Sénat ait amendé le texte pour restreindre le champ d'application de sa section 1. Le texte initial visait à prendre en compte une situation particulière aux DOM, mais qui pouvait trouver un écho sur l'ensemble du territoire. Les dispositions retenues ne stigmatisaient personne et permettaient une amélioration largement partagée, de dimension universelle.

Le Sénat a décidé de modifier le titre de la section 1, de même que l'article 6 bis. Cette modification ne correspond pas à l'esprit initial de Serge Letchimy et du groupe SRC. Nous aurions souhaité que ce texte conserve sa portée nationale, car en métropole nous avons aussi des situations douloureuses et difficiles à régler.

Debut de section - PermalienPhoto de Frédérique Massat

Cependant, compte tenu de l'enjeu que représente ce texte pour l'ensemble de nos compatriotes ultramarins, compte tenu de l'incontestable avancée que constituent ces nouveaux dispositifs qui vont pouvoir être mis en oeuvre sur ces territoires, compte tenu enfin de l'urgence qu'il y à agir, nous voterons ce texte dans les mêmes termes que le Sénat afin que le travail de son auteur, la bonne volonté manifestée par les deux assemblées et par le Gouvernement ne soient pas remis en cause.

Nous pouvons tous nous féliciter de ce travail collectif et constructif. N'oublions pas toutefois que ce texte seul ne réglera pas tous les problèmes, comme par un coup de baguette magique. Des moyens financiers de l'État et des collectivités seront nécessaires pour accompagner ces dispositifs législatifs, faute de quoi l'éradication de l'habitat insalubre, de l'habitat indigne, restera lettre morte et n'aura été qu 'un doux rêve le temps d'une lecture au Sénat et de deux passages à l'Assemblée. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Madame Massat, vous avez exprimé votre satisfaction de pouvoir vous exprimer à cette tribune. Permettez-moi d'exprimer la frustration qui est la mienne de ne pouvoir faire de même car le calendrier a voulu que je sois de permanence pour présider cette séance.

La parole est à M. Alfred Marie-Jeanne, pour le groupe GDR.

Debut de section - PermalienPhoto de Alfred Marie-Jeanne

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, tout citoyen aspire à accéder à un logement décent. C'est pour moi la colonne vertébrale de la vie en société.

Ce besoin légitime a été reconnu par la loi comme un droit fondamental. Vivre dans un logement précaire peut être un facteur d'humiliation, de frustration, mais aussi de révolte. L'humain peut se détruire. Les rapports entre les humains peuvent s'altérer. La vie en société court le risque de se détériorer.

La Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et La Réunion sont concernées à des degrés divers par ce problème.

Aussi le Gouvernement a-t-il jugé utile et opportun – on ne le dit peut-être pas suffisamment – de donner mission à notre collègue Serge Letchimy de dresser un état des lieux. À la suite à cette mission, les députés ont adopté à l'unanimité, le 26 janvier 2011, la proposition de loi portant dispositions particulières relatives aux quartiers d'habitat informel et à la lutte contre l'habitat indigne dans les départements et régions d'outre-mer, intitulé qui montre bien que cette mission était expressément circonscrite à ces territoires où plus de 150 000 personnes sont en attente d'un logement social.

À leur tour, le 4 mai 2011, les sénateurs ont voté à l'unanimité le texte présenté, après l'avoir recadré et remanié. Tout ceci en un temps record.

Une fois achevés les travaux de notre commission des affaires économiques, on constate qu'un consensus s'est dégagé pour entériner en l'état le texte issu du Sénat. Qu'à cela ne tienne : ce qui importe ici et maintenant, c'est bel et bien une mise en route concrète, selon le même tempo, des mesures arrêtées d'un commun accord.

Là est le vrai défi. Car quand on sait l'impasse dans laquelle se trouvent les finances de l'État ; quand on sait la quasi-insolvabilité des collectivités communales, dont certaines ne verront leurs dettes apurées que dans trente à quarante ans au moins – dixit la chambre régionale des comptes ; quand on sait que la demande de logements sociaux en Martinique est de 12 000 logements alors que le niveau de production est tombé à environ 300 logements par an ; quand on sait enfin que, en 2010, l'État n'a dépensé outre-mer que 20 des 110 millions d'euros qu'il avait prévus de consacrer au logement social, ce qui représente 80 millions d'investissements en moins ; quand on sait tout cela, il faut avoir l'honnêteté de dire que le contexte est particulièrement contraint.

Cela étant, ce n'est pas avec la proposition de loi que tout commence : de nombreuses opérations de résorption de l'habitat insalubre, informel et indigne ont été menées dans le passé. Cette démarche apparaît plutôt comme un aboutissement, comme un parachèvement, qui permettra de faire plus vite afin de rattraper le temps précieux que l'on a perdu par endroits.

J'en prends à témoin le rapporteur, qui a lui-même déclaré que « certaines opérations de traitement de l'habitat durent depuis vingt-cinq ans et qu'il faut en moyenne une dizaine d'années pour traiter quatre cents logements ». Cela prouve que bien d'autres opérations ont été réalisées, grâce à l'implication de l'État, bien sûr, mais aussi – on oublie souvent de le dire – avec le concours des municipalités, toutes orientations politiques confondues. Leur contribution concernait le plus souvent la prise en charge du foncier et des travaux de voirie et réseaux divers.

Je concède volontiers qu'il existe des cas épineux, des véritables kafé léfan, comme on dit en langue créole. C'est le cas de Trénelle Citron, à Fort-de-France, où vivent agglomérés pas moins de 8 000 habitants. Rendez-vous compte que, dans la seule ville de Fort-de-France, capitale de la Martinique, 20 % de l'habitat est informel, selon le rapporteur lui-même !

De même, l'île de La Réunion avait déjà appliqué le principe du périmètre insalubre à contenu adapté.

Les avancées juridiques retenues aujourd'hui ne sont donc pas apparues ex nihilo, loin s'en faut. L'aide financière était de mise dans toutes les opérations de résorption de l'habitat insalubre. La proposition de loi vient à point nommé pour conforter ces usages ; elle est le reflet d'une pratique pertinente. Mais rappeler ce qui a été accompli n'enlève rien à sa valeur intrinsèque, bien au contraire : le de facto devient de jure.

Pour faire face à l'urgence, pour parer au plus pressé, on a ainsi conclu des accords tacites à profusion, dans l'espoir d'un renvoi d'ascenseur sous forme de votes favorables. Et, pour donner au tout l'apparence de la légalité, les bénéficiaires ont été élevés au rang de contribuables à part entière, redevables de l'impôt, de la taxe d'habitation, de la taxe foncière. Mais, qu'on le veuille ou non, c'était déjà une manière de conférer à ces personnes, considérées comme contrevenant à la loi, un certificat de reconnaissance et un titre de propriété.

De fil en aiguille, la situation est devenue pratiquement ingérable, d'autant que chaque particulier était le plus souvent son propre aménageur, ce qui envenimait parfois les rapports de bon voisinage. On ne pouvait plus tarder davantage à trouver une solution adaptée à ces situations complexes, voire inextricables.

Il est important de signaler, d'abord, que le foncier est une denrée très rare en Martinique, où les prix sont prohibitifs et contribuent à l'exclusion ; ensuite, que certaines zones à réhabiliter sont surexposées aux risques naturels majeurs.

De fait, la Martinique est un concentré de risques, risques auxquels s'ajoute celui de la pollution des terres. Ce dernier élément ne doit pas être négligé, car des personnes indélicates y ont vu une aubaine spéculative pour des opérations de construction.

Ces deux derniers paramètres doivent également être pris en considération, ce qui implique deux obligations supplémentaires auxquelles on ne saurait se soustraire : la construction en hauteur, d'une part ; la construction parasismique et anticyclonique, d'autre part.

En faisant la somme de ces exigences légitimes, on comprend aisément que le montant des fonds alloués doit être élevé si l'on veut rendre l'habitat salubre, mais aussi sécurisé.

En conclusion, la mission a été accomplie : la proposition de loi va être adoptée aujourd'hui même. Mais il reste tout le reste : le marathon de son application, sans prétention excessive. Car, aux risques naturels majeurs que je viens d'évoquer, l'État et les collectivités ne doivent pas ajouter un autre risque majeur : celui d'un financement qui ne serait pas à la mesure des véritables besoins. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Alfred Almont

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui en deuxième lecture la proposition de loi portant dispositions particulières relatives aux quartiers d'habitat informel et à la lutte contre l'habitat indigne, insalubre et précaire dans les départements et régions d'outre-mer. Déposé par notre collègue Serge Letchimy – que nous savons parfaitement qualifié sur le sujet –, ce texte a été adopté à l'unanimité par notre assemblée le 26 janvier 2011 et par le Sénat le 4 mai 2011.

La proposition de loi fait suite aux conclusions du rapport rédigé par M. Letchimy dans le cadre de la mission que lui a confiée le Gouvernement. Remis en septembre 2009, ce rapport visait à accélérer l'entreprise de résorption des formes d'habitat indigne dans les départements et régions d'outre-mer, objectif que nous partageons et que, bien entendu, nous soutenons avec énergie.

Mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur les propos des orateurs qui m'ont précédé, propos auxquels je m'associe, ni sur les arguments que j'ai développés en première lecture pour souligner la nécessité d'instaurer sans délai des dispositifs adaptés. Mais, j'y insiste, c'est bien par des mesures législatives que nous devons relever ce défi : faire en sorte que l'action publique en matière de logement tienne davantage compte de l'habitat insalubre.

Serge Letchimy nous l'a rappelé, bien que les collectivités aient dégagé ces dernières années d'importants crédits pour lutter contre l'habitat indigne et assurer des opérations de résorption de l'habitat insalubre, le phénomène de l'habitat informel et indigne persiste à un degré critique dans les territoires concernés, générant une précarité insupportable. Il ne concerne pas moins de 70 000 maisons, soit plus de 200 000 personnes. L'enjeu est donc moins le financement proprement dit que la gouvernance : il faut agir sur le foncier, sur la construction.

La proposition de loi qui nous est soumise correspond à nos attentes. Mais il faut maintenant faire vite. Je me contenterai d'insister sur deux séries de mesures urgentes proposées par le texte.

Il s'agit, d'une part, de l'aide financière octroyée aux occupants sans droit ni titre afin de les inciter à quitter les lieux et de permettre ainsi la réalisation d'opérations d'aménagement urbain.

C'est un point important du texte, que nous avions précisé par voie d'amendement en première lecture, avec le rapporteur et plusieurs collègues de mon groupe. Pour rendre les dispositions proposées conformes au principe du droit de propriété, nous avions ainsi remplacé l'indemnité pour perte de jouissance par une aide financière destinée à compenser la perte de domicile pour les occupants sans droit ni titre, s'agissant d'habitations qui doivent être démolies dans le cadre d'une opération d'aménagement public.

D'autre part, le texte prévoit d'adapter les procédures de police en matière d'insalubrité et de péril, afin d'imposer aux édificateurs de locaux sans droit ni titre la réalisation des travaux nécessaires.

Il s'agit, nous l'avons tous compris, d'un texte fondateur pour les régions et départements d'outre-mer, et dont l'intérêt principal est d'inscrire dans la loi le patrimoine immobilier informel.

Une fois le texte adopté par notre assemblée, le Sénat lui a apporté plusieurs modifications afin de le rendre plus efficace.

Il a par exemple clarifié les conditions d'éligibilité aux aides financières applicables aux occupants sans titre de terrains publics ou privés, lorsque la réalisation d'une opération d'aménagement ou d'équipement public rend nécessaire la démolition de locaux à usage d'habitation ou de locaux affectés à l'exploitation d'établissements à usage professionnel.

Il a également clarifié les conditions d'éligibilité des bailleurs sans titre à l'aide financière et ramené de dix-huit à douze mois le délai de repérage de l'habitat informel dans le cadre du plan départemental d'action pour le logement des personnes défavorisées.

Le périmètre d'insalubrité dans les secteurs d'habitat informel a par ailleurs été associé à un projet d'aménagement et d'assainissement porté par une commune ou par un établissement de coopération intercommunale.

En outre, la saisine du juge n'est plus requise lorsque le propriétaire du terrain a donné son accord à la démolition des locaux en cause.

Enfin, le Sénat a porté de trois à six mois de loyer la participation du bailleur défaillant au coût du relogement ou de l'hébergement d'urgence des occupants.

Mes chers collègues, la commission des affaires économiques a adopté conforme et à l'unanimité le texte issu des délibérations du Sénat, notamment afin que les mesures proposées soient appliquées dans les meilleurs délais.

Réjouissons-nous donc qu'un consensus soit possible sur un enjeu aussi fondamental pour les territoires concernés. Mais comment les mesures incluses dans la loi ne nous rassembleraient-elles pas, elles qui adressent aux collectivités concernées un message fort en matière d'aménagement et d'équipement, secteurs dont nous savons qu'ils conditionnent l'expansion du territoire comme l'épanouissement des populations ?

Madame la ministre, mes chers collègues, le groupe UMP votera donc cette proposition de loi. (Applaudissements les bancs du groupe UMP.)

Debut de section - PermalienPhoto de Louis-Joseph Manscour

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je me dois tout d'abord de saluer la belle unanimité qu'a suscitée, tant à l'Assemblée nationale, en première lecture, qu'au Sénat, la proposition de loi présentée par Serge Letchimy et le groupe SRC.

Ce sera du reste la première proposition de loi émanant d'un ultramarin à être adoptée depuis la loi Taubira tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité.

Cela montre également que nous reconnaissons aux ultramarins le droit, déjà inscrit dans la Constitution, de bénéficier d'un logement digne de ce nom.

Le moment est d'autant plus important que cette proposition de loi porte sur un sujet particulièrement sensible : le logement et l'habitat et, plus spécifiquement, l'habitat insalubre et indigne dans les départements et régions d'outre-mer.

Certes présents dans l'hexagone, ces problèmes se posent de manière beaucoup plus aiguë dans nos territoires ultramarins. Certains les jugent critiques à l'heure où nous sommes confrontés à de grandes difficultés de toute nature, notamment les catastrophes naturelles, en particulier les séismes.

Les territoires d'outre-mer sont en effet confrontés à une grave crise du logement. Les besoins non satisfaits sont considérables, en particulier en matière de logements sociaux. De plus, l'habitat insalubre – qui représente près du quart du parc immobilier ultramarin – et l'habitat informel, c'est-à-dire auto-construit, sans permis, y sont malheureusement des phénomènes récurrents.

Mes chers collègues, malgré les différentes lois relatives au logement et à l'habitat, et notamment la loi Besson, la situation ne s'est pas améliorée outre-mer. Elle s'est même dégradée.

Faut-il rappeler, comme l'indique l'excellent rapport de notre collègue Serge Letchimy, que l'on dénombre 70 000 maisons relevant de ce type d'habitat dans les quatre départements ultramarins, ainsi qu'à Mayotte et à Saint-Martin, soit 200 000 personnes vivant dans des conditions de précarité absolue ? Et je ne reviendrai pas ici sur les conséquences de cette insalubrité, tant en termes de santé que d'éducation. Nous constatons que ce sont toujours les familles les plus fragilisées et les plus démunies qui sont pénalisées – ce qui, vous en conviendrez, est cruel et injuste.

Cette proposition de loi constitue donc une avancée significative et un enjeu majeur pour nos territoires ultramarins. Elle contient un certain nombre de mesures qui permettront, je l'espère, d'apporter des réponses concrètes et pérennes au problème de l'insalubrité de l'habitat dans les DOM, problème qui perdure depuis des décennies.

Ce texte propose un ensemble de mesures législatives qui visent à simplifier les procédures en vigueur, souvent mal adaptées aux réalités de nos territoires, caractérisés, comme le dit notre collègue Serge Letchimy dans son rapport, « par une dissociation entre la propriété du sol et la propriété du bâti ». Cette proposition de loi renforce également les mesures de police administrative.

Depuis des années, les procédures en vigueur ralentissent, voire bloquent les opérations de résorption de l'habitat insalubre dans nos territoires ; en tant que maire, je le sais bien. C'est ainsi qu'en Martinique aucune opération de ce genre n'a pu être engagée au cours des cinq dernières années, et de nombreuses familles déjà en difficulté attendent un logement décent depuis parfois dix ans.

En reconnaissant par exemple un droit à l'occupant qui se trouve sur le terrain d'autrui et en lui versant une aide financière, le texte permet de surmonter ces blocages et de faciliter la réalisation d'opérations d'aménagement telles que celles de résorption de l'habitat insalubre.

De surcroît, le texte vise à mieux prendre en compte la notion d'habitat informel, en l'incluant dans la définition d'habitat indigne, permettant ainsi son repérage.

Je l'avais dit lors de mon intervention en première lecture, et je le répète avec force : cette proposition de loi aura une portée majeure. Elle constitue le fondement d'une nouvelle politique de l'habitat précaire pour les départements d'outre-mer. C'est très bien ; cependant, les différentes dispositions prévues par le texte ne seront applicables que si des moyens financiers conséquents sont accordés par l'État pour accompagner la mise en oeuvre de cette loi. Sans cela, madame la ministre, elle ne pourra atteindre son véritable objectif.

Le Président de la République, pendant la campagne présidentielle de 2007, avait affirmé vouloir faire de la France un pays de propriétaires. On en est bien loin aujourd'hui : la recherche d'un logement ressemble toujours à un vrai parcours du combattant.

Debut de section - PermalienPhoto de Louis-Joseph Manscour

Si la majorité gouvernementale pouvait permettre à chaque citoyen vivant sur le territoire national, et notamment outre-mer, de bénéficier d'un logement décent, elle aurait déjà fait un grand pas pour redonner plus de dignité à nos populations. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Abdoulatifou Aly

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les quartiers d'habitat informel et l'habitat indigne sont des phénomènes qui ont pris dans les départements d'outre-mer des proportions importantes rendant nécessaires des solutions spécifiques et urgentes.

Je tiens donc à adresser mes vives félicitations à M. le rapporteur pour la qualité de son rapport, qui a suscité un indéniable consensus sur tous les bancs de l'Assemblée, tant et si bien que des voix s'élèvent – une fois n'est pas coutume – pour suggérer la généralisation du champ d'application de la présente proposition de loi à l'ensemble du territoire national. C'est dire que le texte a au moins le mérite de mettre en exergue la réalité du problème et sa terrible ampleur, qui menace gravement la cohésion sociale.

Ce texte ne constitue pas la panacée, mais apporte bien une première réponse concrète et adaptée à cette double préoccupation. À ce titre, il me paraît nécessaire, d'une part, de revenir sur l'opportunité de restreindre le champ d'application de ce texte pour Mayotte et, d'autre part, d'envisager un dispositif de relogement favorisant l'accession à la propriété pour les personnes bénéficiaires des opérations concernées.

De par son intitulé, la proposition de loi est appelée à s'appliquer aux départements et régions d'outre-mer. Comme Mayotte vient d'accéder à la dignité de département d'outre-mer, vous pouvez imaginer aisément l'espoir que suscite ce texte dans cette collectivité unique selon l'article 73 de la Constitution.

Or l'article 7 du texte prévoit une restriction spécifique à Mayotte, au seul motif que la loi Besson relative au droit au logement et à l'habitat n'y est pas applicable. Permettez-moi d'avoir la faiblesse de croire que cet argument est peu pertinent : le principe d'identité législative, désormais en vigueur à Mayotte, plaide justement pour que ce texte voie son domaine d'application non pas restreint, mais au contraire étendu jusques et y compris dans ce nouveau département, quitte à ce que les mesures d'application rendues ainsi nécessaires soient élaborées par la suite. D'ailleurs, la loi Besson est déjà modifiée et ses nouvelles dispositions entreront en vigueur le 1er janvier 2012. En 2012, nous dira-t-on encore qu'il faut attendre ? Il faut au contraire, je crois, remédier au plus vite à cette situation.

En tout état de cause, il importe de relever que, si l'article 7 est maintenu dans sa rédaction actuelle, c'est la spécialité législative qui sera ainsi artificiellement perpétuée, alors même que le processus de départementalisation engagé à Mayotte implique le déploiement d'un mécanisme de rattrapage juridique, notamment par le biais des ordonnances de l'article 38 de la Constitution.

Je ne peux donc que me retourner vers le Gouvernement, madame la ministre, et vers vous, monsieur le rapporteur, pour solliciter un amendement salutaire sur ce point. Si cela n'est pas possible, pourquoi ne pas prévoir un complément par la suite ?

Ma seconde remarque porte sur l'article 15, qui ouvre à Mayotte la possibilité d'engager des opérations d'habitat insalubre dans la zone des pas géométriques. Cette disposition arrive à son heure, car elle permettra d'avaliser une pratique ancienne des administrations locales, qui agissent de concert dans cette partie du domaine public maritime, puisque la plupart des villes et villages mahorais se trouvent sur le littoral.

Il reste cependant que cette coutume place les bénéficiaires des opérations de « décasement-recasement » ou de résorption de l'habitat insalubre dans un imbroglio juridique inextricable, dans la mesure où le logement leur appartient, mais la propriété du sol leur échappe.

Comme le présent texte instaure la possibilité d'indemniser, sous certaines conditions, les personnes délogées par les pouvoirs publics, il convient de souligner que la combinaison de cette nouvelle disposition avec en particulier les deux décrets Fillon du 9 septembre 2009 relatifs au code général de la propriété des personnes publiques à Mayotte facilitera considérablement leur accession à la propriété du terrain d'assiette de leur logement. C'est pourquoi j'appelle le Gouvernement à étendre rapidement à notre nouveau département l'ensemble des dispositifs d'aide au logement, et spécialement le prêt à taux zéro, pour réaliser les objectifs clairs et précis que le Président de la République a fixés le 18 janvier 2010 devant les Mahorais.

C'est sous le bénéfice de ces observations que je voterai sans réserve cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et UMP.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

La parole est à M. Patrick Lebreton, dernier orateur inscrit dans la discussion générale.

Debut de section - PermalienPhoto de Patrick Lebreton

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, en préambule de mon intervention, je souhaite féliciter chaleureusement et remercier notre estimé collègue Serge Letchimy, pour le travail de fond qu'il a accompli.

Au-delà de la qualité technique de ce texte, mais aussi de son caractère fondateur, il convient de saluer, comme d'autres l'ont déjà fait, la performance politique que constituent l'adoption de cette proposition de loi à l'unanimité à l'Assemblée nationale puis son maintien pour l'essentiel par le Sénat.

Une fois n'est pas coutume, madame la ministre, je veux saluer l'effort que vous avez consenti pour faire aboutir ce texte. Si le débat politique entre nous est parfois âpre, il est aussi important, je crois, de reconnaître lorsque votre action est positive.

Je viens d'évoquer le caractère fondateur de ce texte : en effet, la reconnaissance du droit au domicile est un élément fondamental ; sans être excessif, placer ce droit sur l'orbite du droit à la propriété, qui est, rappelons-le, une composante essentielle de notre Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, est assurément annonciateur d'une évolution majeure de notre législation.

Si je ne comprends pas, j'entends que nos collègues sénateurs ont souhaité temporiser sur ce point, en limitant le champ d'application de la première section du texte à l'outre-mer. Il ne faut pas pour autant bouder notre satisfaction : il est heureux que l'outre-mer puisse servir de territoire précurseur pour l'affirmation d'une avancée juridique fondamentale, mais aussi d'un progrès social indéniable.

Voir l'outre-mer dépasser ses problèmes sociaux récurrents, ses difficultés économiques, ses indicateurs statistiques effrayants et ses handicaps en tout genre est pour nous un sujet de profonde fierté. Ce texte démontre, s'il en était besoin, que les ultramarins sont debout, que l'action de leurs représentants ne se borne pas à réclamer des subsides à l'État central.

Debut de section - PermalienPhoto de Patrick Lebreton

Plus en profondeur, ce texte consacre des usages en matière de réhabilitation de l'habitat insalubre qui ont fait leurs preuves. En témoigne, pour l'île de La Réunion, la réduction importante du nombre de logements insalubres liée aux politiques menées dès les années 80 et 90. L'Agence pour l'observation de la Réunion, l'aménagement et l'habitat, l'AGORAH, constate ainsi que le nombre de logements insalubres serait passé en une dizaine d'années de 22 500 à 16 235. C'est un progrès que les outils législatifs offerts par ce texte permettront assurément d'accentuer.

Cette avancée est donc une nécessité : la démographie très dynamique des collectivités d'outre-mer rend cruciaux les problèmes d'infrastructures, qui constituent de véritables défis. Dès maintenant, il nous incombe d'adapter les centres villes à une inéluctable densification, tout en développant dans nos écarts les infrastructures de base qui font souvent défaut, qu'il s'agisse de l'accès à l'eau potable ou à l'assainissement.

Aussi, ce texte, par l'indemnisation des propriétaires et l'aide financière qu'il offre aux occupants de constructions en bois sous tôle, facilitera assurément la mise en oeuvre de nécessaires grandes opérations d'aménagement.

Toutefois, si la compensation financière et la simplification de la procédure de récupération du foncier constituent d'indéniables progrès, on ne peut les dissocier du problème du relogement des familles concernées. En la matière, on ne peut que constater que les carences et les perspectives à très court terme ne sont pas encourageantes. Plus de 25 000 familles réunionnaises sont maintenant en attente d'un logement social, et la construction demeure atone. Entre 1990 et 2000, 21 900 logements furent livrés – ce qui était déjà juste –, mais dans la décennie suivante ce nombre a diminué de moitié.

D'aucuns pointent la responsabilité des collectivités dans la non-mise en oeuvre de programmes ou la non-mise à disposition de foncier que cette loi favorisera. Pour ma part, j'ajouterai le manque de volonté politique de certains.

Le coeur du problème, c'est le choix politique de l'État d'abandonner les politiques d'intervention et d'accompagnement. Depuis quelques années, les dispositifs permettant de conduire les programmes d'aménagement et les politiques sociales du logement ont littéralement fondu. Le FRAFU est devenu, sinon un mythe, du moins une rareté. Les crédits de paiement de la LBU, qui devaient être le coeur du financement du logement social, s'érodent loi de finances après loi de finances.

Le choix politique et idéologique de faire reposer le financement du logement social essentiellement sur la défiscalisation est, à mon sens, un risque. En effet, la défiscalisation est, par nature, un mécanisme fluctuant et instable. Le défiscalisateur ne cherche pas à oeuvrer pour la politique du logement social outre-mer. Ce qu'il souhaite, c'est tout simplement un placement lui permettant de s'exonérer du paiement de l'impôt. (« C'est vrai ! » sur les bancs du groupe SRC.) Il ira donc vers la solution la plus performante au regard de ses objectifs, et ce ne sera pas nécessairement le logement social outre-mer.

Face aux enjeux, à La Réunion comme ailleurs outre-mer, je ne pense pas que la défiscalisation doive devenir le socle unique du financement du logement social. Au contraire, l'intervention directe de l'État, via une réhabilitation de la LBU, doit être privilégiée.

Madame la ministre, à chaque jour suffit sa peine, mais aussi sa joie, monsieur le rapporteur. Ces choix sur lesquels il est crucial de revenir ne doivent pas nous faire oublier l'avancée importante que le logement social, notamment outre-mer, va vivre avec cette proposition de loi de notre collègue Serge Letchimy, que, pour ma part, je voterai avec espoir. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Letchimy

Il me semble utile de répondre aux remarques et aux interrogations de nos collègues, car le texte est compliqué, difficile. Non pas que je doute des qualités intellectuelles de chacun, mais il était déjà prévu d'établir des circulaires et un document de vulgarisation pour éclairer tous ceux, en particulier les professionnels, qui sont aujourd'hui dans l'attente.

Je remercie Mme Massat pour son soutien.

Alfred Marie-Jeanne a abordé beaucoup de sujets et je voudrais lui fournir quelques précisions. Concernant le budget de l'État et des collectivités, il y a effectivement un enjeu terrible, pour les communes notamment. L'aménagement urbain constitue une sollicitation extrêmement forte en matière de voirie et réseaux divers, et cela coûte très cher. Même si l'État finance à 100 % le bilan des opérations de résorption de l'habitat insalubre, l'autre bilan, dit hors RHI, peut être aussi élevé que le bilan RHI et la commune peut être sollicitée à ce titre. Il nous appartient donc, localement, d'apporter toutes les contributions des collectivités et de mesurer la capacité d'investissement.

Notre collègue Marie-Jeanne a également soulevé la question de la durée des opérations en cours. Je suis bien placé pour le savoir car, en tant que professionnel de la question, j'ai conduit beaucoup d'opérations RHI. Lorsqu'une opération dure vingt-cinq ans, ce n'est pas un succès, c'est un échec. Lorsqu'une opération portant sur 300 ou 400 logements s'étend sur dix ans, ce n'est pas un succès, c'est un recul. Un enfant qui aura vu commencer une telle opération à dix ans peut, vingt-cinq ans plus tard, être marié et, ayant lui-même des enfants, retrouver sa maison pratiquement dans le même état !

D'une manière générale, c'est le problème de ce type d'opérations, tant dans le quartier de Boissard en Guadeloupe, qu'à La Réunion, Cayenne la Mirande, Texaco ou Volga plage à Fort-de-France : Boissard a commencé il y a trente ans, Volga plage en 1986, Alaric en 1986 aussi et en est à un tiers de l'opérationnel. C'est donc un véritable enjeu, et cette loi veut accélérer les processus, surtout pas décourager les professionnels.

La participation des collectivités, notamment sur le plan foncier, est essentielle. On peut demander à l'État et on peut faire aussi sur place. Personnellement, je pense que la politique foncière locale n'appartient pas à l'État. C'est une question de décentralisation, de responsabilité, et il serait fort utile, pour les départements qui n'en sont pas encore dotés, d'avoir un établissement public foncier régional, qui permette de réaliser des réserves foncières et de ne pas attendre après l'État.

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Letchimy

Cette responsabilité est donc totalement locale.

Madame la ministre, Alfred Marie-Jeanne l'a souligné avec raison, des personnes qui vivent depuis des années dans des quartiers dits populaires paient l'impôt foncier sur la propriété bâtie. De mon point de vue, l'État a commis une injustice en faisant payer cet impôt. Ce n'est pas que l'on refuse de payer l'impôt, mais payer alors que c'est l'État qui est propriétaire sur les cinquante pas géométriques, c'est plutôt difficile ! Ce n'est pas pour justifier que l'État délivre un semblant de titre de propriété, mais simplement pour relever une injustice : qui paie l'impôt foncier devrait bénéficier d'un titre de propriété, pouvoir hypothéquer son bien, le transmettre à ses enfants en pleine propriété. Ce n'est le cas que depuis la loi de cession des cinquante pas géométriques du 30 décembre 1996.

La loi que nous allons voter aujourd'hui ne concerne pas la cession de la parcelle, qui est liée aux cinquante pas géométriques. Quant à la loi rendant propriétaires les occupants sans titre dans les quartiers informels, elle est à faire bientôt, ici dans cette assemblée ou dans les collectivités locales, de manière à compléter le dispositif.

Alfred Almont a parlé de l'aide sociale. Je lui précise que l'indemnité versée n'est pas une aide au sens purement social du terme. Ce n'est pas une aide pour consacrer une inégalité. Dans le cadre d'une opération d'aménagement, on verse une indemnité reconnaissant le droit de domicile, appelée « aide ». Cette aide ne permet de décaser que les personnes concernées par l'aménagement. Dans un quartier quelconque, comme Trenel, sur les 8 000 personnes concernées, soit environ 2 300 familles, aujourd'hui une centaine de familles seulement sont décasées pour l'aménagement en réseaux et voirie. Il ne faut donc pas laisser croire que cette loi va provoquer un décasement massif des familles.

Cette loi ne confère pas non plus à quiconque le droit de squatter n'importe où. Elle ne se résume d'ailleurs pas à ce seul aspect, elle s'intéresse aussi aux mesures de police administrative : arrêtés d'insalubrité, arrêtés de péril et problèmes de terrains vacants.

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Letchimy

Le périmètre dit insalubre avait déjà été créé par la loi. Ce périmètre a été mis en place, courageusement, par la seule Réunion, dans l'illégalité la plus complète. Je rends ici hommage à tous les préfets qui ont quelque peu marronné à La Réunion face aux carences de l'État dans le domaine de la politique de résorption de l'habitat insalubre et des collectivités qui n'ont pas pris la question à bras-le-corps. Le problème qui se pose lorsqu'on décase une personne dans un périmètre illégal, c'est qu'on l'entraîne dans des contentieux très lourds. Cette proposition de loi permettra d'y remédier très rapidement en recourant à une procédure adaptée du code de la santé pour définir un périmètre d'insalubrité et pouvoir intervenir en toute sécurité.

M. Aly a soulevé plusieurs problèmes concernant Mayotte. Ainsi, il est bien évident qu'il faudra adapter l'article 7, mais la loi Besson ne s'appliquant pas à Mayotte, on ne pouvait pas l'intégrer. Cela viendra avec la départementalisation. Pour ce qui est de l'article 15, je pense qu'il s'est trompé. Cet article, au contraire, permet de faire des opérations de résorption de l'habitat insalubre dans la bande des cinquante pas géométriques, ce qui n'était pas possible.

Je partage l'avis de Patrick Lebreton sur la défiscalisation du logement social. L'État doit respecter la sacralisation de la LBU, la défiscalisation ne pouvant venir qu'en complément. Sortir de ce mécanisme qui garantit la production d'un minimum de logements sociaux, c'est s'exposer à des surprises demain. Une opération de réaménagement de quartier ne consiste pas seulement à mettre en oeuvre une politique de logement, mais à restructurer des années d'investissements populaires de façon à maintenir en place le plus de personnes possible, à ne pas décaser les familles, à utiliser le patrimoine populaire immobilier comme parc de logement locatif et à permettre aux familles d'hypothéquer, de louer et de vendre dans de bonnes conditions. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

J'appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles de la proposition de loi sur lesquels les deux assemblées du Parlement n'ont pas pu parvenir à un texte identique.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec, inscrit sur l'article.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Le Bouillonnec

Monsieur le président, je vous propose une négociation : si vous m'accordez une minute de plus, je n'interviendrai pas sur les autres articles.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Marché conclu, monsieur Le Bouillonnec ! Plutôt qu'une négociation, considérons cela comme une meilleure organisation de la séance.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Le Bouillonnec

Je savais pouvoir bénéficier de votre compréhension, monsieur le président.

Les explications de Serge Letchimy me facilitent la tâche. D'abord, il a affirmé que cette loi ne créait pas une situation à la marge de la légalité républicaine et constitutionnelle, ce qu'il fallait rappeler et faire figurer au Journal officiel. Nous n'avons pas cherché à consacrer des situations illégales. Le texte ne fait que reconnaître une réalité qui n'existe que dans certains territoires, pas seulement outre-mer, et qui se situe en dehors du droit de la propriété, de la location ou de la sous-location. Sans cette proposition de loi, la République ne répondrait pas à la diversité des situations de toutes les composantes de son territoire.

Ensuite, il s'agit véritablement d'un texte de combat contre l'habitat indigne et insalubre et pour la restructuration de nos territoires. Nous y avons travaillé avec volonté, dans des conditions tout à fait remarquables auxquelles, madame la ministre, nous vous sommes reconnaissants de vous être associée.

Enfin, le Sénat a apporté des corrections rédactionnelles. Notre rédaction n'était, il est vrai, pas tout à fait pertinente en termes de droit, mais nous avions cherché à explorer une difficulté qu'il a manifestement balayée d'un revers de main. Hantés par l'enjeu constitutionnel, nous avions pris des précautions oratoires pour expliquer et rédactionnelles pour écrire la loi, afin d'éviter tout risque. Le Sénat a balayé le tout en invoquant l'article 73 qui, à mes yeux, ne s'applique pas. Il faudrait d'ailleurs l'inscrire dans le texte. Toutefois, d'une certaine manière, on peut accepter cette rédaction parce qu'elle force, dans un premier temps, à une stratégie que nous cherchions à mettre en place dans les DOM-TOM.

À mes yeux, ce texte consacre en effet une stratégie particulière dans les territoires. Mais elle n'aura d'efficacité que si l'État reste totalement engagé, donc mieux qu'il ne l'est actuellement, dans la lutte essentielle pour la construction de logements sociaux et contre l'insalubrité. Comme l'a indiqué Frédérique Massat au nom de notre groupe, nous sommes fiers de voter ce texte avec vous tous. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

(L'article 1er est adopté.)

Debut de section - PermalienPhoto de Victorin Lurel

Monsieur le président, je ne m'étais pas inscrit dans la discussion générale ni sur les articles, mais il me paraît important de rappeler qu'il ne s'agit en aucun cas de mettre en cause le droit constitutionnel de propriété. Comme l'a indiqué le rapporteur, il s'agit d'accorder une aide financière aux occupants sans titre de terrains publics ou privés.

Il est rare d'assister dans cet hémicycle à un exercice bipartisan, comme disent les Américains, c'est-à-dire de voir que ce sujet est compris ici et là et qu'il fait l'unanimité – peut-être est-ce même pourquoi certains collègues sont absents. De cela, il faut féliciter le rapporteur, mais aussi le Gouvernement et la ministre chargée de l'outre-mer, Mme Penchard.

Il s'agit d'un bon texte et ce sera peut-être un grand texte si l'on a les moyens de son application. Serge Letchimy vient de dire qu'il n'a pas l'habitude, contrairement à ce que certains peuvent croire, de quémander des aides à l'État puisque des compétences nous sont dévolues et qu'elles sont financées, même si on se plaint souvent. Par exemple, en Guadeloupe, nous avons pris l'initiative de créer un établissement public foncier local afin que les élus locaux disposent de la maîtrise foncière, le directeur n'étant pas ordonnateur, c'est-à-dire qu'il n'est pas au service de la politique décidée par l'État. Il ne s'agit pas de concurrencer l'État ni de s'en défier, mais de mieux maîtriser les armes et les outils qui nous sont donnés.

J'aimerais insister sur les moyens qui devront être octroyés pour accompagner cette loi car, on le sait, les communes, elles, n'ont pas les moyens de la mettre en oeuvre. C'est le cas en Guadeloupe, à la Martinique et à La Réunion.

Demain matin, ici même, aura lieu, à partir de neuf heures trente, la suite de la discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2011. Le Gouvernement proposera un amendement visant à revenir sur une disposition qui avait raboté de 10 % le plafond des avantages fiscaux résultant des réductions d'impôt pour les investissements dans le logement social outre-mer, et à le relever à 40 000 euros, contre 36 000 euros actuellement. Mais lorsque vous bénéficiez d'une défiscalisation au titre de l'article 199 undecies A, de l'article 199 undecies B dit « Girardin industriel », et de l'article 199 undecies C, c'est-à-dire sur le logement social, c'est toujours le plafond de 36 000 euros qui s'applique. Demain, nous essaierons de corriger cette erreur, en plus de ce que le Gouvernement a prévu. Je demande donc à mes collègues d'être présents.

Par ailleurs, M. Marie-Jeanne a indiqué, à juste titre, que l'État n'avait dépensé, en 2010, pour l'outre-mer, que 20 millions d'euros sur les 110 millions d'euros prévus pour le logement social. Dans le même temps, comme l'a rappelé Patrick Lebreton lors du débat sur le suivi des mesures du CIOM, on a vu la LBU, censée être sanctuarisée, perdre 21 millions d'euros. En matière d'exécution du budget, c'est donc la catastrophe : on perd en LBU, en enveloppe fiscale, et parallèlement la lutte contre le logement indigne, insalubre, informel n'est pas financée.

Il manque donc une ambition politique armée de moyens pour que cette belle loi soit une très grande loi, même si nous sommes fiers de la voter de façon bipartisane. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

(L'article 2 est adopté.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.

(L'ensemble de la proposition de loi est adopté.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Je constate que le vote est acquis à l'unanimité. (Applaudissements sur tous les bancs.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Prochaine séance, vendredi 10 juin à neuf heures trente :

Suite de la discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2011.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures trente-cinq.)

Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,

Claude Azéma